Le Prix à payer - Highlander Fanfiction
Slovaquie – Année 1241
Il courait. Ses cheveux bruns trempés de sueur lui collaient au visage, glissant devant ses yeux. Les mèches brouillaient sa vision, mais il n'osait pas ralentir. Son souffle était court, sa poitrine en feu, et pourtant, il continuait d’avancer. Ses yeux verts brillaient d’une étrange lueur : celle de la peur, mêlée d’une obstination farouche. Survivre. Toujours.
Ses vêtements, simples mais soignés, étaient maculés de terre et de sang. Le plastron de cuir sur sa poitrine portait des entailles superficielles, souvenirs récents de lames qui avaient failli trouver leur cible. Il ressemblait à un homme du peuple, ou peut-être à un mercenaire en retrait, un de ces anonymes que la guerre engloutit sans cérémonie. Assez ordinaire pour se fondre dans la foule, mais pas assez pour disparaître complètement.
Le monde autour de lui n’était qu’un chaos indistinct : des villages brûlés, des cris lointains, et cette odeur âcre de fumée et de chair. Il fuyait tout cela. Il fuyait les hordes mongoles qui rasaient tout sur leur passage, des ombres brutales venues dévorer l’Europe. Mais ce n’était pas seulement eux.
C’était lui. L’autre immortel.
Un instant, son esprit retourna dans la mêlée. La silhouette massive, un guerrier mongol, l’avait repéré dans le tumulte. L’armure rudimentaire de l’homme, son sabre taché de sang, et cette façon de le fixer. Pas un hasard. Pas une menace indistincte. Ce regard avait traversé les flammes, les corps, et s’était planté en lui. Le message était clair.
Ils avaient croisé le fer brièvement, à l’écart du carnage. Il avait compris, dès la première rencontre des lames, qu’il ne faisait pas le poids. L’homme avait une force brute, une maîtrise glaciale, et lui... il n’était pas un guerrier. Pas comme ça. Mais il était rapide. Suffisamment pour désarçonner. Suffisamment pour fuir.
Et maintenant, il courait.
Le poids des siècles pesait sur ses épaules autant que cette course effrénée. Il ne pouvait pas mourir aujourd’hui.
Au loin, à travers la ligne des arbres, il aperçut enfin ce qu’il cherchait. Un sanctuaire. Une église. Une promesse muette de protection. Les règles invisibles de ce monde étrange dont il faisait partie lui garantiraient la sécurité. Encore fallait-il l’atteindre.
Il ralentit en approchant, ses pas devenant plus prudents, presque mesurés. Le bâtiment, robuste et austère, se dressait comme une sentinelle sur le flanc de la montagne. Des murs en pierre grise, marqués par le temps, portaient des fissures qui semblaient raconter l’histoire de siècles passés. Une croix sommaire surplombait une tour carrée. L’ensemble dégageait une force tranquille, une permanence que même les mongols ou l’autre ne pourraient briser.
Il hésita un instant, regardant autour de lui, écoutant. Le vent dans les arbres. Le craquement d’une branche. Il serra les dents et fit un pas en avant. Puis un autre. Ses mains tremblaient encore en serrant le pommeau de son épée, mais il entra dans la clairière.
Derrière lui, le monde semblait attendre. Il ne savait pas s’il était encore poursuivi, mais le poids de ce regard brûlait toujours quelque part, dans son esprit.
Là-bas, le monastère semblait s’imposer au silence, indifférent au tumulte des hommes. Pourrait-il encore croire à cette paix ?
Darius achevait sa journée dans un silence presque cérémonieux. Dix ans, déjà, dans ce lieu. Un battement de cœur à l’échelle de sa longue existence, mais assez pour qu’il s’y soit enraciné. Le monastère de Zobor, perché au-dessus de la ville de Nitra, n’avait pas été choisi par hasard.
Depuis son arrivée, il avait vu les besoins désespérés de cette région. La misère s’accrochait aux villages comme une seconde peau : famine, maladie, guerres incessantes. Les raids mongols n’étaient que la dernière couche d’un fardeau que ces terres portaient depuis des générations. C’est ici qu’il avait choisi de se poser, non pas pour fuir, mais pour construire quelque chose. Quelque chose de durable.
Ses mains avaient appris à soigner avec douceur. Chaque jour, il veillait sur les réfugiés qui franchissaient les portes du monastère, épuisés, affamés, parfois mutilés. Il écoutait leurs récits entrecoupés de larmes et leur rappelait, d’une voix basse mais ferme, que même dans les ténèbres, il restait une lueur. Il organisait les ressources, partageait le pain, guidait les moines dans leurs tâches. Chaque manuscrit recopié sous sa supervision devenait une déclaration silencieuse : tout n’était pas perdu.
Dans son habit modeste de moine, il passait presque inaperçu parmi les autres. Presque. Mais il y avait cette gravité dans sa présence, un calme magnétique qui attirait les regards sans qu’il ait besoin de prononcer un mot. Ses cheveux châtains, toujours impeccablement coupés, ne faisaient rien pour cacher un visage marqué par une sérénité insondable, teintée de certitudes et d’une profonde bienveillance. Ses yeux, d’un bleu qui semblait presque surnaturel, regardaient au-delà des apparences, comme s’ils percevaient l’âme de ceux qu’il croisait. Une rencontre avec ce regard suffisait souvent pour apaiser une tempête intérieure – ou en raviver une.
Mais il portait un poids que personne ne pouvait voir, pas même ceux qui cherchaient refuge dans ses paroles ou ses gestes. Son passé le suivait comme une ombre. Des vies prises, des batailles livrées, des choix qu’il ne pouvait effacer. Il s’était battu comme un démon, jadis. Aujourd’hui, il vivait pour apaiser ce qu’il avait détruit.
Il croisa son reflet dans une vitre sombre, à peine visible dans l’obscurité. Un homme debout dans un monastère, vêtu simplement, prêchant la paix. Mais derrière ce masque de calme : des siècles d’âmes perdues.
Il tourna la tête, chassant ces pensées, et s’avança vers l’autel. Ses pas étaient lents, précis, presque mécaniques, comme s’il craignait de troubler la quiétude du lieu. Pourtant, dans ce silence, un léger bruit attira son attention.
Un souffle, étouffé. Presque imperceptible. Puis, le léger crissement d’une porte qui pivotait lentement sur ses gonds fatigués.
Il ferma les yeux un instant. Et il sentit cette présence : une vibration subtile mais distincte, quelque chose que seuls ceux comme lui pouvaient reconnaître. Ce n’était pas un pèlerin, ni un moine.
Un autre immortel approchait.
Le fugitif arriva devant les imposantes portes. Les battants de bois, usés mais solides, portaient les marques du temps, comme tout ici. Il ralentit, le souffle encore court, puis posa une main sur l’une des portes. Le bois rugueux contre sa paume semblait vibrer légèrement, ou peut-être était-ce simplement son imagination. Il repoussa son hésitation et poussa la porte.
Le grincement des gonds déchira la quiétude environnante, un son à la fois discordant et étrangement apaisant, comme si ce bruit faisait partie de la vie de ces lieux depuis toujours. Il entra dans la cour intérieure.
L’espace, fermé par des murs de pierre patinés par le temps, semblait suspendu hors du tumulte du monde. La lumière tamisée du soir naissant filtrait doucement à travers un voile de nuages, enveloppant les lieux d’une clarté diffuse et bienveillante. Pourtant, à peine avait-il franchi le seuil qu’il sentit une vibration familière.
Un immortel.
Son instinct s’éveilla, tendu comme une corde prête à rompre. Ses sens, affinés par des siècles de vigilance, balayaient déjà l’environnement, cherchant un indice, une menace. Mais presque immédiatement, la raison prit le dessus : il était en sécurité ici. Il n’avait rien à craindre, pas dans un lieu saint. Il inspira profondément, apaisant le léger frisson qui avait traversé son échine, et relâcha ses épaules.
— Bienvenue.
La voix, douce et posée, le tira de ses pensées. Sur sa droite, un homme apparut. Grand, vêtu d’une robe simple de moine, il avançait d’un pas mesuré, les mains ouvertes, sans aucune trace d’hostilité.
— Je suis Darius, ajouta-t-il en tendant la main avec un sourire courtois.
Le nouveau venu hésita, un battement à peine perceptible. Le nom sembla flotter un moment dans l’air. Une fraction de seconde, son esprit vacilla, cherchant un lien, mais il masqua soigneusement toute expression. Ses yeux, fatigués mais aiguisés, glissèrent sur Darius, non pas à la recherche d’une menace, mais comme pour évaluer une énigme.
Après un instant, il tendit la main, serrant celle du prêtre.
— Laszlo, répondit-il simplement.
Darius, lui, observait ce nouvel arrivant avec une curiosité discrète. Il inclina légèrement la tête, comme pour saluer cette retenue qu’il percevait. Ce n’était pas une méfiance ouverte, mais plutôt une prudence instinctive, celle des immortels habitués à cacher leur véritable nature.
— Tu sembles avoir voyagé longtemps, reprit Darius en relâchant doucement sa main. Entre, tu trouveras ici de quoi te reposer.
Il hocha la tête sans un mot et suivit le prêtre à l’intérieur, passant sous l’arcade qui menait au cloître. Les murs semblaient resserrer le silence autour d’eux, un silence ponctué seulement par leurs pas sur le sol de pierre.
À mesure qu’ils progressaient, il sentit une part de lui se détendre, presque malgré lui. Ce lieu imposait une sorte de paix, comme une force invisible qui effaçait lentement les tensions. Pourtant, une petite réserve demeurait, comme un éclat discret au fond de son esprit. Il n’était pas en alerte, simplement vigilant. Un réflexe ancien, qu’il ne pourrait jamais totalement désapprendre.
Mais même ici, sous l’apparence de "Laszlo", il savait qu’il ne pourrait fuir son passé. Son véritable nom, Methos, pesait lourd dans l’histoire des immortels — un nom qu’il gardait précieusement dissimulé, tout comme ses secrets.
Darius l’installa dans une petite salle éclairée par la lumière mouvante de quelques torches. Une longue table en bois brut occupait le centre de la pièce, flanquée de chaises simples. Quelques instants plus tard, il revint, portant un bol de soupe fumante et un morceau de pain encore tiède qu’il déposa devant son invité.
— Ce n’est pas grand-chose, dit-il calmement en croisant ses bras. Mais cela devrait suffire à te réchauffer.
Methos, assis, ne se précipita pas sur la nourriture. Il fit glisser ses doigts le long du bois de la table, observant le bol avec un détachement apparent. Finalement, il le saisit et huma brièvement l’arôme simple mais réconfortant de la soupe avant de prendre une première cuillerée, lente et mesurée.
— C’est presque ironique, lança-t-il d’un ton faussement léger, brisant le silence. Tu offres à manger à un immortel. Ce n’est pas comme si nous pouvions réellement mourir de faim.
Darius, adossé à un mur proche, le regarda avec une sérénité inchangée, un léger sourire jouant sur ses lèvres.
— Peut-être pas, répondit-il d’un ton posé. Mais offrir de la nourriture, ce n’est pas juste nourrir un corps. C’est un acte qui apaise, qui crée un lien, qui honore la vie, même la nôtre.
Methos esquissa un sourire en coin, un brin moqueur. Pourtant, une étincelle de réflexion traversa son regard.
— Une soupe contre l’effondrement du monde ? Tu es vraiment plus idéaliste que moi, Darius.
Le prêtre, imperturbable, haussa légèrement les épaules.
— Le monde vacille, oui. Mais chaque petit geste peut ralentir sa chute, ne serait-ce que pour un instant.
Methos, tout en déchirant un morceau de pain, observait son hôte avec l’intensité de celui qui analyse plutôt qu’il ne participe. Après un moment de silence, il posa une question, presque innocemment, mais avec une pointe de curiosité.
— Darius... le chef de guerre qui a embrassé la foi ?
Ce dernier laissa échapper un léger rire, un souffle teinté d’amertume.
— J’ai été cela, oui.
— Et qu’est-ce qui t’a poussé à renoncer ? demanda Methos, la curiosité perçant à travers son ton détaché.
Le prêtre fixa le vide un instant avant de répondre, sa voix plus grave.
— Ce n’est pas comment j’en suis arrivé là qui compte, mais ce que je suis aujourd’hui.
— Tu crois vraiment ? Moi, je pense que le chemin importe autant que la destination.
Darius eut un sourire énigmatique et, après un instant de réflexion, prit place face à son invité, croisant ses mains sur la table.
— Très bien. Si tu veux connaître mon chemin, je vais te le raconter.
Il marqua une pause, comme pour remonter le fil de souvenirs qu’il aurait préféré laisser enfouis.
— C’était il y a 800 ans, aux portes de Paris. À cette époque, j’étais consumé par une ambition dévorante. Je voulais prendre la ville et en faire le joyau d’un empire immortel, à la tête d’une armée invincible. Rien ne semblait pouvoir m’arrêter. Jusqu’à ce qu’un immortel se dresse sur ma route, un homme du nom d’Emrys.
Sa voix se fit plus lente, presque hantée.
— Nous nous sommes battus. C’était un combat féroce, acharné. Et j’ai pris sa tête. Mais le quickening que j’ai reçu de lui n’était pas comme les autres. C’était… différent. Emrys avait mis toute sa volonté dans ce dernier souffle d’énergie. Une volonté de paix, d’amour. Ce qu’il m’a transmis m’a frappé plus violemment que son épée ne l’aurait jamais fait.
Le vieil immortel écoutait en silence, ses traits adoucis par une lueur de fascination.
— Tu veux dire que ce n’est pas ta foi, mais celle d’Emrys, qui a planté cette graine dans ton esprit ?
L’ancien chef de guerre détourna légèrement le regard, un instant d’hésitation traversant ses traits habituellement sereins. Il prit un moment avant de répondre.
— Peut-être. Peut-être qu’il a planté une graine. Mais ce qui importe, ce n’est pas d’où elle vient. Ce qui compte, c’est ce qu’elle est devenue.
Methos appuya son menton sur sa main, ses yeux verts scrutant Darius avec intensité.
— Alors, où est la frontière ? Où s’arrête Darius, et où commence Emrys ?
Le prêtre resta silencieux un long moment, le regard perdu dans un passé qu’il semblait toujours tenter de comprendre.
— Je ne sais pas, Laszlo, finit-il par dire, sa voix presque imperceptible. Mais peut-être que cela n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est ce que je fais maintenant. Je ne peux pas changer le passé, mais je peux réparer ce que j’ai brisé.
Pour une fois, Methos n’avait pas de réplique. Le sarcasme qui l’accompagnait d’ordinaire s’était tu, remplacé par une réflexion silencieuse. Peut-être voyait-il dans Darius un reflet de ses propres doutes, une ombre qu’il n’osait pas encore affronter.
L’homme de foi se leva doucement, comme pour s'extraire de ses propres pensées, un bref soupir trahissant le trouble que les paroles de Methos avaient éveillé en lui.
— Il se fait tard. Tu peux rester ici aussi longtemps que tu en auras besoin. Une chambre t’attend dans le monastère.
Le vieil immortel acquiesça d’un léger signe de tête et suivit son hôte à travers les couloirs silencieux. Tandis qu’il avançait, ses pensées le rattrapaient. Les mots de Darius résonnaient en lui comme une énigme qu’il n’était pas encore prêt à résoudre.
Le matin était encore frais lorsque Methos sortit prendre l’air. La lumière douce du lever de soleil effleurait la cour du monastère, sans effort ni prétention. Au centre de la cour, il aperçut Darius, debout, immobile, le regard levé vers le ciel comme s’il cherchait quelque chose au-delà du visible.
Le prêtre se retourna lentement en entendant Methos arriver. Ses traits étaient sereins, mais il y avait une profondeur dans son regard, une pensée qui ne l’avait pas quittée depuis la veille.
— Tes paroles d’hier soir m’ont touchées, dit-il d’une voix calme, ses yeux rencontrant ceux de son invité. Elles m’ont donné à réfléchir.
Ce dernier croisa les bras, un sourire vaguement amusé flottant sur ses lèvres.
— Eh bien, ravi d’avoir perturbé ton esprit si bien ordonné, répondit-il, sa voix traînante et ironique.
Darius esquissa un sourire, mais son expression restait marquée par une gravité intérieure.
— Je ne dirais pas que tu l’as perturbé, répondit-il doucement. Plutôt... ébranlé.
Intrigué malgré lui, Methos s’appuya contre un mur, son regard perçant fixé sur le prêtre.
— Et comment ai-je réussi à ébranler les convictions d’un homme de foi ? murmura-t-il avec une ironie teintée d’un léger étonnement.
Darius inspira profondément, comme s’il cherchait à formuler des pensées complexes.
— Cette idée que mon changement... ma foi, mon pacifisme... que tout cela pourrait ne pas entièrement venir de moi.
Il marqua une pause, fixant un point invisible devant lui.
— J’ai passé une partie de la nuit à y réfléchir. Emrys, son quickening... il a laissé quelque chose en moi, une empreinte. Et je me demande parfois si ce que je suis aujourd’hui n’est pas le prolongement de ce qu’il était.
Methos le laissa parler sans l’interrompre, mais son regard, brillant d’une lueur à la fois curieuse et provocatrice, ne quittait pas Darius.
— Je ne remets pas en question ton honnêteté, Darius, dit-il finalement. Mais ta certitude, ça, c’est autre chose. Ce besoin de réparer, de prêcher la paix... tu es sûr qu’il vient de toi ?
Ce dernier fronça légèrement les sourcils, son regard se perdant à nouveau. Il resta silencieux un moment, ses pensées semblant peser lourd sur ses épaules.
— Je l’ignore, finit-il par avouer. Peut-être qu’Emrys a laissé une... une direction en moi. Une impulsion.
Il leva les yeux vers Methos, cherchant à exprimer l’indicible.
— Mais est-ce que cela change ce que je fais aujourd’hui ?
Le vieil immortel répondit par un sourire en coin, son ton moqueur masquant une curiosité sincère.
— Cela dépend. Tu crois vraiment que prêcher la paix efface ce que tu as fait ? Toutes ces vies, toutes ces souffrances que tu as causées... Tu penses qu’elles trouvent une forme de rédemption dans tes actions actuelles ? Ou est-ce que ça apaise simplement ta propre conscience, et rien de plus ?
Les mots étaient directs, tranchants, mais ils portaient une vérité brute. Darius, loin de s’en offusquer, le regarda avec calme, bien que son regard trahisse une pointe de douleur.
— Peut-être que ça apaise ma conscience, admit-il doucement. Mais est-ce mal ? Je ne peux pas effacer ce que j’ai fait, Laszlo. Tout ce que je peux faire, c’est m’efforcer de créer quelque chose de meilleur.
Methos hocha la tête, réfléchissant à cette réponse. Il s’approcha légèrement, sa posture décontractée contrastant avec l’intensité de ses paroles.
— Alors tu admets que ton chemin compte autant que ta destination. Que tes erreurs font partie de toi, tout autant que tes convictions actuelles.
Darius ferma un instant les yeux, un sourire triste effleurant ses lèvres.
— Tu as raison. Ce que j’étais, ce que j’ai fait, me détermine autant que mes actions présentes. Peut-être même plus. Mais ce sont ces erreurs qui m’ont conduit ici. Et si je dois porter leur poids pour avancer, alors qu’il en soit ainsi.
Un silence tomba entre eux, une pause lourde de réflexions partagées. Methos, d’ordinaire si enclin au sarcasme, semblait troublé par les mots du prêtre.
— Je dois admettre, dit-il finalement avec un soupçon d’hésitation, que ta foi... ta détermination... tout cela est impressionnant.
Darius, surpris par cette concession, tourna son regard vers lui avec une intensité nouvelle.
— Et toi, Laszlo ?
La question sembla heurter Methos, non par sa violence, mais par sa précision. Il releva les yeux vers Darius, l’air sur ses gardes.
— Que veux-tu dire ? demanda-t-il, feignant la légèreté, mais son regard trahissait un mélange de défiance et de curiosité.
Darius s’approcha légèrement, croisant ses mains devant lui.
— Je ressens en toi une lutte constante, reprit-il avec douceur. Une partie de toi veut croire qu’il est encore possible de faire quelque chose de bien. Mais une autre partie, plus sombre, te murmure que c’est inutile.
Methos haussa un sourcil, mais il ne démentit pas.
Un silence s’installa, lourd mais pas oppressant. Darius l’observait sans détour, une patience désarmante dans son regard. Le vieil immortel finit par soupirer, agacé par cette attention.
— Une lutte constante, hein ? souffla-t-il finalement, le regard fuyant. Ce n’est pas totalement faux.
Il se redressa légèrement, croisant les bras comme pour ériger une barrière entre eux.
— Mais ce n’est pas une lutte pour faire quelque chose de bien, Darius. C’est une lutte pour avancer, tout simplement.
Il laissa un rictus amer se former sur ses lèvres avant de poursuivre, plus dur :
— Tu veux que je te dise ce que j’en pense ? Parce qu’une fois que tu as fait certaines choses…
Il marqua une pause, cherchant ses mots, comme s’ils lui échappaient malgré lui.
— …Il n’y a pas de retour en arrière. Les souvenirs, ils restent. Ils te hantent. Ce n’est pas une question de regret ou de pardon. Ce qui est fait, est fait. J’ai pillé, détruit, brisé des vies. Tu dis que tes erreurs font partie de toi ? Eh bien, les miennes sont gravées en moi, au fer rouge.
Son regard se fit plus perçant, presque accusateur, mais derrière cette façade se dessinait une fissure, une fragilité qu’il peinait à cacher.
— Je me souviens de tout. Chaque visage, chaque cri. Tout reste là, gravé. Il n’y a pas de seconde chance, pas de rédemption miraculeuse qui efface ce qu’on a été. Ce que j’ai fait, ce que j’ai détruit, c’est une part de moi. Et toi, avec tes belles convictions, tu penses que ça suffit de faire le bien pour compenser ?
Darius ne répondit pas tout de suite. Il semblait peser chaque mot de l’immortel, laissant le silence s’étendre, comme une invitation muette. Methos, pourtant, ne s’en saisit pas.
— Ce que tu appelles rédemption, continua-t-il finalement, c’est une illusion. Ce n’est pas qu’une question de pardon, ni des autres ni de soi. Je ne cherche pas le pardon, Darius. Je ne l’attends pas, et je ne crois même pas que ça ait un sens.
Darius resta impassible, absorbant les paroles de son interlocuteur comme on laisse passer une tempête. Quand il répondit, ce fut avec une calme intensité :
— Je n’ai jamais dit que c’était suffisant.
Methos arqua un sourcil, pris de court.
— Alors pourquoi es-tu là ? répliqua-t-il, la voix plus mordante, comme s’il testait la patience du prêtre. Pourquoi rester dans ce monastère, prêchant la paix et le pardon ?
Darius inclina légèrement la tête, ses yeux scrutant ceux de Methos avec une clarté presque désarmante.
— Au départ, répondit-il doucement, parce que je cherchais la paix. Parce que je n’avais plus envie d’être ce que j’étais avant.
Il marqua une pause, ses mots devenant plus lourds :
— Et ensuite ? Parce que j’ai compris que je ne pouvais pas effacer ce que j’ai fait, mais que je pouvais choisir ce que je voulais devenir. La rédemption, si elle existe, commence par une reconnaissance sincère de ses erreurs et une volonté de les assumer.
Methos le fixa un long moment, cherchant une faille dans ce discours qui semblait trop sûr. Mais il n’en trouva pas.
— Et toi, Laszlo ? Pourquoi es-tu là ?
Le prénom fit l’effet d’un coup porté à Methos. Il détourna le regard, un muscle de sa mâchoire se contractant légèrement. Quand il répondit, ce fut d’une voix plus basse, presque tremblante :
— Ne m’appelle pas comme ça, gronda-t-il doucement, un soupçon de douleur dans la voix.
Darius ne répondit pas, mais il nota que, derrière cette réaction brusque, une partie de la façade de l’immortel qu’il avait en face de lui était en train de s’effondrer.
Après un silence, Methos reprit, plus acerbe :
— Au début ? Parce que cet endroit me garantissait un répit, un abri.
Il se tourna vers Darius, un sourire amer aux lèvres.
— Mais maintenant ? Peut-être parce que tu es là. Parce que tu m’écoutes sans me juger. Et ça…
Il s’interrompit, secouant la tête, un rire sans joie s’échappant de sa gorge.
— Ça m’agace, tu sais.
Darius n’insista pas, mais son regard resta fixé sur lui, un léger sourire apparaissant sur son visage.
— Tu dis que tu te souviens de tout, reprit-il après un moment. Et je crois que je te comprends. Moi aussi, je me souviens.
Cette fois, Methos releva les yeux, intrigué malgré lui.
— J’ai vu les flammes dévorer des villages. J’ai entendu les cris que j’avais provoqués. Chaque bataille, chaque mort, tout cela est là, dans ma mémoire.
Il posa une main sur sa poitrine, comme pour indiquer l’endroit où ces souvenirs pesaient le plus lourd.
— Mais ce que j’ai appris, c’est que fuir ces souvenirs ne fait que les rendre plus puissants. C’est en les affrontant que j’ai commencé à les comprendre.
Methos plissa les yeux, méfiant.
— Et ça t’a suffi ?
— Non, répondit Darius sans hésiter. Rien ne suffit jamais. Mais j’ai fait un choix. Celui de ne pas me définir uniquement par ce que j’ai fait de pire.
Methos resta silencieux, ses yeux sombres vacillant entre rejet et réflexion.
— Alors quoi ? reprit-il finalement, presque méprisant. Tu crois qu’il suffit de reconnaître ses erreurs pour avancer ?
— Non, dit Darius, son ton toujours calme mais ferme. Il faut plus que ça. Mais c’est une première étape.
Il marqua une pause, puis ajouta :
— Et si tu veux avancer, il faudra que tu passes par là.
Darius resta un instant silencieux, observant l’homme devant lui avec patience. Il voyait les murs que ce dernier s’était bâtis, ces remparts érigés au fil des siècles pour cacher une vérité qu’il semblait encore fuir. Mais derrière la douleur et l’ironie acérée, Darius percevait autre chose : un poids, une lutte intérieure qui cherchait à émerger.
Il inspira doucement, ses traits empreints de bienveillance. Pas de jugement dans son regard, seulement une invitation à déposer ce fardeau, à être enfin vrai.
—Avancer, c’est aussi accepter… accepter tout ce que l’on a été.
Il pencha la tête légèrement, ses yeux emplis de bienveillance, et ajouta:
— Alors, dis-moi… comment dois-je t’appeler ?
Il resta immobile, observant son compagnon avec une patience tranquille, mais la question qu’il venait de poser n’était pas anodine. Ce n'était pas simplement un nom qu’il recherchait, mais une brèche, une ouverture dans la carapace de l’immortel. Une invitation, en quelque sorte, à un moment de vérité. Un instant où les masques tomberaient, où des failles, aussi petites soient-elles, se révéleraient. Mais il n’avait pas anticipé l’effet que sa question aurait sur l’homme en face de lui.
À l’instant où les mots quittèrent ses lèvres, Methos se tendit. Un frisson perça sa calme façade, et ses prunelles, jusqu'alors posées, se détournèrent brièvement, comme si elles cherchaient une échappatoire. Il se redressa, et son visage se durcit. Il passa une main nerveuse dans ses cheveux, comme pour dissimuler la confusion qui venait d’éclater en lui. Il n’aimait pas être pris au piège, encore moins par ses propres contradictions. Et cette question… Elle faisait resurgir des souvenirs qu’il n’était pas prêt à affronter. La peur, sans doute. La honte, certainement. L’étrange sensation d’être sur le point de perdre tout ce qu’il avait caché pendant des siècles. Cette façade qui l’avait maintenu à distance du monde. De lui-même.
Il fallait qu’il s’échappe. Mais comment fuir sans perdre la face ? Comment éviter de se montrer vulnérable, d’admettre qu’il tremblait à l’idée de ce qu’il pourrait dévoiler ?
— Ça n’a pas d’importance. Il y a bien des siècles que j’ai cessé d’être celui que ce nom désigne.
Il s’interrompit un instant, les yeux fuyants, avant de lâcher, d’un ton plus acide, presque amer :
— Je ne suis pas prêt à m’encombrer de ça, Darius. Pas encore.
Le cynisme, familier et bien ancré, refluait à toute vitesse, un masque qu’il enfilait sans réfléchir. Mais derrière ce masque, il n’avait qu’une envie : fuir. Fuir cette conversation. Fuir la vérité derrière la question de Darius. Parce qu’il n’était pas prêt à la dire. Pas encore.
Il se tourna brusquement, ses pas précipités résonnant contre le sol de la cour.
Darius, de son côté, ne bougea pas. Il laissa son interlocuteur s’éloigner sans un mot, sans tenter de l’arrêter. Il savait que ce n’était pas le moment. Que l’immortel n’était pas prêt à lâcher prise, pas encore. Darius avait appris à reconnaître ces instants. Il avait vu trop d’âmes errantes, fuyant leurs démons, cherchant à éviter une vérité trop lourde à porter. Mais il savait aussi que cette vérité finirait par émerger, tôt ou tard. Et il n’allait pas précipiter les choses.
Methos passa le reste de la journée seul, le regard perdu, comme s’il cherchait une réponse dans le vide. La chapelle devint son refuge, non pas pour prier, mais pour échapper à lui-même, à cette question qui continuait de résonner dans son esprit, bien au-delà de la conversation avec Darius. Il s’assit sur un banc, les coudes appuyés sur ses genoux, et fixa le vide devant lui. Ses pensées s’éparpillaient, tantôt revivant des souvenirs qu’il aurait voulu oublier, tantôt échappant à toute cohérence. Une fois encore, il se demanda pourquoi il restait. Pourquoi ces conversations le touchaient autant, pourquoi il n’avait pas déjà tourné les talons, comme il l’avait fait tant de fois auparavant. Et pourtant, il était là. Prisonnier de ses propres contradictions.
Plus tard, alors que la lumière déclinait doucement, Darius entra dans la chapelle. Methos entendit ses pas feutrés avant de le voir, mais ne leva pas immédiatement les yeux. Il sentit sa présence avant tout, une sorte de tranquillité qui contrastait violemment avec le chaos intérieur qui bouillonnait en lui. Darius ne dit rien. Il se contenta de se diriger vers l’autel, s’agenouillant pour prier dans un silence apaisant. Le vieil immortel l’observa du coin de l’œil, malgré lui. Il était fasciné, presque irrité par cette sérénité. Comment pouvait-il être si calme ? Comment pouvait-il prier alors qu’il portait en lui les mêmes souvenirs sanglants, les mêmes fautes indélébiles ? Quand Darius se releva, il tourna brièvement la tête vers Methos, lui adressant un regard qui semblait contenir à la fois compréhension et patience. Puis il quitta l’église, le laissant seul, avec ses pensées et cette impression d’avoir été vu, vraiment vu, pour la première fois depuis des siècles.
La nuit fut longue. Methos ne trouva pas le sommeil. Allongé sur une paillasse rudimentaire, il fixa le plafond de pierre, ses pensées s’enroulant autour des souvenirs qu’il avait cherché à enterrer. Chaque scène revenait avec une précision douloureuse : les visages de ceux qu’il avait tués, les cris de ceux qu’il avait torturés, les larmes de ceux qu’il avait réduit en esclavage. Il avait aimé ça, autrefois. Il se l’était justifié, aussi. La survie d’abord. Toujours la survie. Mais ce cynisme qu’il portait aujourd’hui comme une armure lui semblait de plus en plus lourd, comme une façade qui menaçait de se fissurer. Au petit matin, il savait ce qu’il devait faire, bien qu’il n’en ait aucune envie. Il se leva, et alla retrouver Darius.
Le prêtre était dehors, dans les jardins, parmi les plantes qu’il entretenait avec un soin minutieux. Methos s’approcha sans précaution, ses pas lourds brisant le calme ambiant. Darius releva la tête, mais ne dit rien. Il attendit simplement. L’autre immortel inspira profondément avant de lâcher, presque à contrecœur :
— Mon nom est Methos.
Darius hocha la tête, comme pour indiquer qu’il avait entendu, sans interrompre le silence qui suivit. Methos baissa les yeux, puis continua :
— Je faisais partie des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse. Avec trois autres d’entre nous. Kronos, Caspian et Silas. J’étais Mort. Et je portais bien mon nom.
Il marqua une pause, l’ombre d’un sourire amer effleurant ses lèvres, plus une grimace qu’autre chose. Ses mots suivants s’échappèrent comme un aveu, lourds et implacables.
— J’ai tué. Plus que je ne peux compter. Et j’étais doué pour ça.
Il leva les yeux vers Darius, cherchant quelque chose dans le regard calme du prêtre, sans vraiment savoir quoi. Une condamnation ? Une absolution ? Mais il n’y trouva qu’une attention bienveillante, dépourvue de jugement.
— Je ne tuais pas par cupidité, ajouta-t-il, sa voix plus basse, presque un murmure. Ni par vengeance. Je tuais parce que j’aimais ça. Parce que c’était facile. Parce que c’était du pouvoir, brut et terrifiant, et que ça m’enivrait.
Un silence pesant s’étira entre eux, mais Darius ne bougea pas, ne détourna pas les yeux. Il attendait, laissant à son interlocuteur l’espace de dire tout ce qu’il devait dire.
— Et je n’ai pas simplement tué ; j’ai détruit. J’ai brûlé des vies, des âmes, des mémoires. Quand les mères disaient à leurs enfants que le monstre viendrait les chercher la nuit… ce monstre, c’était moi. J’étais Mort. J’étais la mort. Celle qui vient et qui dévore tout. Celle qui arrache chaque souffle, chaque sourire, chaque espoir, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.
Les mots résonnèrent, emplissant l’espace comme un écho sinistre d’une autre époque. Methos se détourna, le regard perdu dans un point invisible, comme si les images de ces siècles de carnage défilaient encore devant ses yeux.
— J’ai pillé. Torturé. Violé. Réduit des hommes et des femmes, mortels comme immortels, à l’état de choses. De jouets. Je les ai brisés parce que je pouvais. Parce que je croyais que c’était ça, vivre. Survivre.
Il s’interrompit, serrant les poings pour maîtriser l’agitation qu’il sentait monter en lui. Les mots qu’il prononçait ne suffisaient pas à porter le poids de ce qu’il avait fait. Rien ne suffirait. Il releva les yeux et, pour la première fois, croisa le regard de Darius.
Ce dernier n’avait toujours rien dit. Mais son regard, ferme et apaisant, semblait dire qu’il avait tout entendu. Que ce n’était pas la fin de l’histoire. Que c’était un début, si Methos le voulait.
— Chaque siècle, je me suis convaincu que survivre suffisait. Que c’était tout ce qui comptait. Mais aujourd’hui… je ne sais même plus ce que ça veut dire.
Le prêtre restait immobile, ses traits empreints d’une étrange sérénité. Il écoutait sans juger, mais sans détourner les yeux non plus. Comme si Methos, dans toute sa brutalité, méritait d’être vu. Entièrement.
Le silence devint presque tangible, oppressant. Le vieil immortel pouvait sentir son propre souffle, lourd, comme si les mots qu’il avait lâchés flottaient encore dans l’air, pesants, impossibles à ignorer.
Darius finit par parler, d’une voix douce mais empreinte de fermeté :
— Tu sembles voir la rédemption comme une quête impossible, un idéal hors de portée. Pourtant, elle n’est pas là pour honorer le passé, ni pour effacer ce qui a été fait. La rédemption, Methos, ce n’est pas une fin. C’est un choix, chaque jour, de ne pas être l’homme que tu as été. C’est cette conviction que chacun peut changer, pas en niant son passé, mais en vivant pour le dépasser.
Il marqua une pause, ses yeux clairs posés sur l’autre immortel avec une intensité presque douloureuse.
— C’est ce que je crois. Peut-être est-ce naïf. Mais c’est cette foi qui m’a porté. Et, d’une certaine manière, c’est ce qui m’a sauvé.
Methos releva la tête, son regard brillant d’une lueur qu’il aurait préféré cacher. Sa voix, lorsqu’elle s’éleva, était rauque, presque un murmure :
— Tu penses vraiment que les gens changent, Darius ? Que quelqu’un comme moi peut changer ? Parce que je n’y crois pas. Ce que j’ai fait... c’est là, en moi. C’est ce que je suis.
Darius ne détourna pas le regard, un sourire empreint de tristesse effleurant ses lèvres.
— Tu as raison, répondit-il calmement. On ne peut pas se défaire de son passé. Pas plus que je ne peux échapper au mien.
Methos ne broncha pas, mais une ombre traversa ses traits, légère, presque imperceptible. Il connaissait déjà cette partie de l’histoire de Darius. Ils l’avaient évoquée la veille avant qu’il ne choisisse de fuir la discussion.
— Toi, reprit-il après un moment, sa voix mesurée, presque lasse. Un prêtre qui prêche la paix… et un chef de guerre ? Comment tu fais, Darius ? Comment tu gères ce que tu es… et ce que tu as été ?
Sa question n’était pas vraiment une attaque, ni une provocation. Plutôt un écho de quelque chose qu’il ne s’était jamais autorisé à formuler pour lui-même.
Le regard de Darius sembla glisser au-delà des murs du monastère, comme s’il contemplait un champ de bataille lointain, un endroit perdu dans le temps mais gravé à jamais dans sa mémoire.
— Moi aussi, j’ai semé la terreur. Pillé, massacré, conquis. J’ai regardé des villages brûler, entendu les cris des innocents, et jamais je n’ai détourné les yeux.
Methos ne répondit rien, ses yeux fixant le prêtre, calme mais attentif. Il ne cherchait pas à juger. Il écoutait, tout simplement, laissant ces mots s’ancrer en lui, trouver leur résonance.
— Et pourtant, un jour, tout a changé, continua Darius, la voix plus basse. Pas par choix, pas par mérite. La révélation m’a été imposée. Emrys... Il a forcé en moi une lumière que je ne voulais pas voir. C’était une grâce, peut-être. Ou une malédiction. Je ne sais pas. Mais cette lumière m’a montré ce que j’étais. Ce que j’avais fait. Et elle m’a laissé avec un poids que je porterai jusqu’à la fin de mes jours.
Il s’interrompit, fixant ses mains comme si elles étaient encore couvertes du sang de son passé.
— Mais cette révélation, elle n’a pas effacé ma culpabilité. Elle n’a pas ramené les vies que j’ai prises, ni réparé les torts que j’ai causés. Elle m’a juste donné une chance de choisir. De faire quelque chose de différent.
Methos eut un rire, pas moqueur, mais lourd de scepticisme.
— Alors c’est ça ta solution ? Simplement choisir ?
Darius ne se laissa pas démonter, son regard ancré dans celui de Methos, tranquille mais d’une intensité désarmante.
— Non, ça ne suffit pas. Mais c’est là que ça commence. Le choix, ce n’est que le premier pas. Le reste, c’est un chemin. Pas pour les autres. Pas pour ceux qu’on a blessés. Mais pour nous-mêmes.
Un silence plus intime s’installa. Le vieil immortel détourna les yeux, fixant un point invisible sur le sol, luttant avec quelque chose qu’il ne voulait pas nommer. Quand il parla enfin, sa voix était basse, presque inaudible.
— Et toi, murmura-t-il, tu crois que tu as gagné ton pardon ?
Le sourire de Darius s’effaça, son visage se durcissant d’une gravité qui semblait alourdir l’air.
— Non. Je ne l’ai pas gagné, dit-il doucement. Et peut-être que je ne le mériterai jamais.
Il baissa les yeux, l’ombre d’une douleur ancienne traversant son regard.
— Mais je sais que je dois essayer. Pas pour les autres. Pas pour ceux que j’ai blessés, parce que rien ne pourra jamais réparer cela. Mais pour moi. Parce que si je ne me pardonne pas, alors tout ce que j’ai fait depuis, tous les efforts pour apporter un peu de bien dans ce monde, n’auront servi à rien.
Ses mots tombèrent dans le silence comme des pierres dans l’eau, créant des vagues invisibles. Methos resta immobile, ses pensées se bousculant. Il voulait rejeter ces paroles, les tourner en ridicule, mais une part de lui savait qu’il ne le pouvait pas. Parce qu’elles résonnaient trop fort. Trop juste.
— Alors... tu penses qu’on peut vraiment changer ? Ceux comme nous... Après tout ce qu’on a fait ?
Darius releva les yeux, et pour la première fois depuis le début de leur conversation, il sembla hésiter. Pas à cause d’un doute sur ses convictions, mais parce qu’il pesait chacun de ses mots avec le soin d’un homme conscient de leur portée.
— Changer... Ce n’est pas effacer ce qu’on a été, Methos. Ce n’est pas réécrire notre histoire. C’est apprendre à porter ce poids sans s’effondrer. C’est choisir, chaque jour, d’être différent. Et oui, c’est lent. Parfois frustrant. Mais c’est possible.
Ce dernier émit un rire bref, sans joie, mais sans malice.
— Lent... Ça, je peux le croire. Mais est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? Je veux dire... Qu’est-ce que ça change, au fond ? Le mal est fait. Les morts restent morts.
Darius hocha la tête, sans détourner le regard.
— Tu as raison. Le mal est fait. Les morts ne reviennent pas. Mais ce que nous faisons ensuite... Ça change quelque chose. Peut-être pas pour ceux que nous avons détruits, mais pour ceux qui sont encore là. Pour nous.
Le vieil immortel croisa les bras, ses traits durcis par une réflexion intérieure intense.
— Alors, tu penses vraiment qu’on peut avancer avec ça ? Pas pour effacer quoi que ce soit, ni pour être pardonné, mais simplement... pour ne pas sombrer complètement ?
Darius inclina légèrement la tête, son sourire empreint d’une gravité tranquille.
— Ce n’est pas une question de pouvoir ou non. C’est une question de choix. Et ce choix, il ne se fait pas une fois pour toutes. Il se fait chaque jour. Pas pour effacer nos fautes, ni pour chercher une rédemption impossible, mais pour empêcher que le poids de ce que nous avons fait nous écrase.
Le silence retomba, cette fois plus intime, presque complice. Methos baissa la tête, sa mâchoire serrée. Il luttait contre un torrent d’émotions qu’il n’était pas prêt à nommer. Mais quand il parla à nouveau, sa voix était plus basse, presque un murmure.
— Et toi ? Tu as l’impression que tu pourras réussir à faire la paix avec ça ? Avec... tout ce que tu as été ?
Darius détourna les yeux un instant, contemplant le jardin autour d’eux. Les feuilles d’un figuier dansaient doucement sous la brise, projetant des ombres mouvantes sur les pierres anciennes.
— Pas complètement, non. Je crois que je ne le pourrai jamais. Mais je commence à comprendre que renier ce que j’ai été, ce serait renier ce que je suis aujourd’hui. Emrys m’a ouvert les yeux, oui. Mais je ne suis pas que ce qu’Emrys m’a légué. Je suis aussi Darius. Le chef de guerre. L’homme de paix. Ces deux parties de moi coexistent, et c’est à moi de les accepter.
Il tourna la tête vers Methos, un éclat sincère dans le regard.
— Merci.
Methos haussa un sourcil, pris au dépourvu par ces mots.
— Merci pour quoi ?
— Pour m’avoir rappelé que je ne suis pas qu’un homme transformé par la lumière. Je suis aussi celui qui portera toujours l’ombre. Et c’est en acceptant les deux que je peux avancer.
Le vieil immortel resta immobile, absorbant ces paroles. Puis, lentement, il hocha la tête.
— Peut-être que tu as raison. Peut-être que tout ce qu’on peut faire, c’est porter ce poids sans le laisser nous détruire. Et essayer... d’être un peu meilleurs.
Darius sourit à nouveau, mais cette fois, c’était un sourire empreint d’espoir.
— Oui. Essayer. C’est là que tout commence.
Un silence apaisant s’installa entre eux, cette fois non pas marqué par des tensions ou des non-dits, mais par une sorte de sérénité fragile. Les deux hommes restèrent là, assis sur le vieux banc de pierre, le regard perdu dans les nuances de vert et d’ocre du jardin.
La brise légère transportait le parfum des herbes et des fleurs, mêlé aux chants lointains des oiseaux. Les rayons du soleil perçaient à travers les branches, projetant une lumière douce et dorée.
Methos étira ses jambes, posant les mains derrière lui pour s’appuyer, ses traits un peu moins crispés qu’à l’accoutumée.
— Je dois admettre... ton jardin n’est pas si mal.
Darius se permit un léger rire, une note légère dans l’atmosphère grave de leur conversation.
— C’est un lieu de réflexion, comme tout ce monastère. Un endroit pour se souvenir... et pour se pardonner, peut-être.
Methos leva les yeux vers le ciel, dont les teintes viraient lentement du rose au bleu.
— Se pardonner... Ce sera sûrement le plus dur.
Darius hocha doucement la tête.
— C’est toujours le cas. Mais parfois, c’est en essayant de pardonner à soi-même qu’on découvre comment avancer.
Ils restèrent ainsi, laissant le silence et la nature remplir les espaces entre leurs pensées. Aucun d’eux ne prétendait avoir trouvé une réponse définitive, mais ils savaient tous deux qu’ils avaient fait un pas, aussi infime soit-il, vers une forme de paix intérieure.
Et parfois, se contenter d’un moment de calme partagé était suffisant.