Le Prix à payer - Highlander Fanfiction
Aélis exhala un souffle tremblant, savourant brièvement le goût âpre de sa victoire. Elle avait réussi. Pour la première fois depuis longtemps, elle n’avait pas subi. Elle avait choisi. Elle avait agi. Son regard se perdit un instant dans l’obscurité de la forêt qui s’étendait devant elle, son corps encore engourdi par le Quickening de Gorath. La foudre de son énergie brûlait encore sous sa peau, mais ce n’était rien comparé à l’adrénaline qui pulsait encore dans ses veines.
C’était ce qu’elle voulait. Juste elle et Methos à la fin.
Pas pour s’affronter. Pas pour suivre la logique absurde de ce Jeu. Mais parce que c’était la seule conclusion qui lui paraissait juste. Il avait toujours su survivre. Il trouverait une issue, un moyen d’attendre, de jouer avec le temps comme il l’avait toujours fait. Ils pouvaient disparaître dans l’ombre, patienter des années si nécessaire, jusqu’à ce que les spectateurs se lassent, jusqu’à ce que cette mascarade s’effondre sur elle-même.
Elle ne voulait plus être celle qui attend, qui espère qu’un miracle survienne à sa place. Soleman avait raison. Elle avait trop longtemps laissé les événements la guider, hésitant entre ce qu’elle voulait faire et ce qu’elle devait faire. Mais cette fois, c’était son choix.
Elle avança lentement, évitant de faire craquer les branches sous ses pas. L’excitation du combat s’atténuait, remplacée par une concentration nouvelle. Elle voulait retrouver Methos, sans trop l’approcher. Juste assez pour lui montrer qu’ils étaient encore là, qu’ils avaient le contrôle. Elle jeta un dernier regard derrière elle, là où le corps sans tête de Gorath gisait au fond de son piège. Il avait toujours pensé être invincible. Il n’avait jamais envisagé qu’elle puisse être plus rusée que lui. Elle serra les poings, inspirant profondément. Cette fois, elle était maîtresse de son destin. Et rien ni personne ne l’en priverait à nouveau.
Mais l’équilibre fragile qu’Aélis avait atteint s’effondra en un instant.
Son collier, qui avait repris sa teinte blanche après la mort de Gorath, s’illumina brusquement d’un rouge intense, pulsant à un rythme lent et implacable. Un frisson glacé parcourut son échine alors qu’elle portait instinctivement la main à sa gorge. Elle savait désormais ce que cela signifiait. Un compte à rebours venait de s’enclencher. Son regard se leva immédiatement vers le ciel, où un nouvel hologramme venait de s’animer. Deux cartes brillaient encore, seules dans l’immensité. Le 7 de Cœur. Le 2 d’As. Et, juste en dessous, des chiffres rouges s’affichèrent brutalement.
720 minutes. Douze heures.
Son souffle se coupa. Quelque chose venait de basculer.
Le silence pesant de la réserve fut brisé par une voix qui, dès la première syllabe, fit se contracter son estomac.
— Mes chers immortels…
Elle sentit une vague de froid la traverser. Cette voix…
Callestina.
Son esprit se figea un instant, la ramenant brutalement en arrière. Elle l’avait crue morte. Absente de la première manche, rayée du Jeu avant même qu’il ne commence. Pourtant, elle était là. Pas comme une simple spectatrice, mais comme celle qui tirait les ficelles. Le ton de Callestina, à la fois suave et tranchant comme une lame bien affûtée, résonnait dans la réserve avec une clarté oppressante.
— Vous voilà les deux derniers en lice. Félicitations !
Aélis serra les poings, sentant un mélange d’angoisse et de colère se propager en elle. La voix de Callestina reprit, toujours aussi calculée, toujours aussi perfide.
— La seconde manche touche à sa fin. Voici vos règles : vous avez douze heures pour vous affronter et décider qui mérite de survivre.
Elle sentit son souffle devenir plus court. Non…
— Le vainqueur aura l’immense honneur de m’affronter dans une troisième et dernière manche.
Le ton était presque léger, comme si elle annonçait une formalité.
— Mais vous devez savoir…
L’hologramme changea, et son malaise se mua en terreur glacée. Sous les cartes en suspens, de nouvelles images apparurent. Des villes, des monuments, des infrastructures stratégiques. Un frisson d’horreur parcourut Aélis lorsqu’elle comprit ce qu’elle voyait : des charges explosives implantées aux quatre coins du globe, prêtes à être déclenchées.
— Refuser de jouer cette dernière partie entraînera une issue très simple.
Elle marqua une pause, théâtrale, laissant le temps aux implications de s’insinuer dans leur esprit. Puis, sa voix s’adoucit encore, comme une caresse vénéneuse.
— Ces dispositifs se déclencheront, annihilant tout sur leur passage. Vos colliers mettront également fin à vos existences, bien sûr. Mais avec vous, vous entraînerez la destruction totale de ces sites… et de millions de vies humaines.
Aélis sentit son estomac se tordre. Des millions de morts.
— Une bien maigre consolation pour vos consciences immortelles, n’est-ce pas ?
La bile lui monta à la gorge. Cette fois, Callestina n’avait pas seulement orchestré un massacre pour le plaisir du spectacle. Elle avait pris le monde entier en otage. Aélis ne doutait pas un instant que les dispositifs étaient réels. L’immortelle n’était pas du genre à faire des menaces en l’air.
— Il ne peut en rester qu’un.
Les mots tombèrent avec une douceur cruelle, comme une sentence irrévocable. Puis l’hologramme s’éteignit, laissant derrière lui un silence oppressant, une absence plus terrifiante encore que les paroles qui l’avaient précédée.
Aélis chancela légèrement, l’adrénaline pulsant dans ses veines comme une brûlure. Tout venait de changer. Elle ferma les yeux un instant, essayant de reprendre pied. Réfléchir. Respirer. Elle n’était plus seulement piégée dans un duel. Le destin du monde était désormais enchaîné au leur. Elle inspira profondément. Une pensée traversa son esprit, balayant le chaos qui menaçait de l’engloutir.
Methos. Elle ouvrit les yeux, la détermination remplaçant la panique. Elle devait le retrouver. Maintenant.
Le reflet de Callestina dans la vitre teintée de la salle de contrôle lui renvoya une image figée, un masque d’impassibilité qu’elle portait depuis si longtemps qu’elle ne savait plus quand il avait cessé d’être un rôle pour devenir son véritable visage. Devant elle, des dizaines d’écrans illuminaient la pièce d’une lumière spectrale, projetant des fragments de l’arène où se jouait l’ultime acte du Jeu.
Aélis avançait prudemment, les muscles tendus, le regard brûlant de détermination. De l’autre côté du terrain, Methos restait en retrait, dissimulé dans l’ombre, analysant encore et toujours, comme il l’avait toujours fait. Callestina observa leurs visages, scrutant la moindre hésitation, la plus infime faille.
Ils sont presque au bout.
Une satisfaction froide s’infiltra dans ses pensées. Ce qu’elle avait construit, ce qu’elle avait imposé à leur espèce, arrivait enfin à son terme. C’était cela, son but. Prouver la nécessité du Jeu. Démontrer, sans équivoque, qu’il n’y avait pas d’autre voie. Trop longtemps, les immortels avaient fui leur propre nature, s’accrochant à des illusions de rédemption et de coexistence. Elle leur avait offert la seule vérité qui comptait : survivre exige un prix. Un prix que peu étaient prêts à payer.
Elle s’adossa lentement à son siège, croisant les jambes avec une élégance calculée, et laissa son esprit dériver.
Tout avait commencé avec Jehan. L’homme hanté par des visions d’apocalypse, consumé par l’obsession de réécrire le passé. Lorsqu’elle l’avait croisé, elle n’avait pas immédiatement cherché à le manipuler. Au départ, elle avait cru pouvoir exploiter sa soif de contrôle, en faire un instrument pour façonner un monde où seuls les plus forts perduraient. Mais très vite, elle avait compris qu’il n’était qu’un pion de plus. Il pensait plier le temps à sa volonté, remodeler l’histoire comme un dieu. Joue avec le temps, Jehan. Sois le démiurge que tu rêves d’être. Il croyait aux légendes. Elle, non. Mais elle avait nourri sa folie, l’encourageant à envoyer Aélis dans le passé. Une simple idée, une seule impulsion, et l’illusion du choix ferait le reste. Il était trop fier, trop aveuglé par sa propre quête pour voir qu’elle guidait sa main.
Mais la vérité, c’est qu’elle s’en fichait du futur. Ce qu’elle voulait, c’était qu’Aélis – Marie – comprenne ce qu’elle-même avait appris depuis longtemps : le monde ne récompense pas ceux qui refusent d’embrasser leur vraie nature. Elle voulait la voir lutter, la voir souffrir, la voir se heurter à cette réalité brutale. Personne ne défie le temps sans en payer le prix.
L’idée était venue lentement, comme une graine plantée dans l’ombre. Callestina avait passé des siècles à observer les immortels. Combien avaient fui ? Combien avaient renié leur propre essence ? Ils se terraient, refusaient le combat, prétendaient que la survie était suffisante. Mais elle savait. Elle avait survécu non pas en fuyant, mais en s’adaptant, en dominant, en écrasant ceux qui se mettaient en travers de son chemin. Pourtant, une absurdité persistait. Une légende transmise de génération en génération.
"Il ne peut en rester qu’un." Un concept vide, sans finalité. Une prophétie que personne n’avait jamais essayé d’accomplir jusqu’au bout.
Alors elle l’avait fait.
Elle avait créé le véritable Jeu, débarrassé de ses ambiguïtés, de ses faux-semblants. Ce n’était plus un simple mythe, mais une mécanique implacable. Un filtre impitoyable, une épreuve où seuls les plus adaptés pouvaient espérer voir le jour suivant.
Et dans le fond, elle avait toujours su que ce serait elle. Elle était prête à affronter n’importe lequel d’entre eux, à les éliminer un par un, à être celle qui découvrirait ce qui se trouvait après la dernière tête tombée. La fin du Jeu. La réponse. Mais elle avait commis une erreur. Elle avait sous-estimé ceux qu’elle pensait inférieurs.
Elle serra les dents, chassant l’éclat de colère qui menaçait de fissurer son calme. Darius. Un homme qui aurait pu être son égal, si seulement il avait eu le courage d’embrasser la vérité. Il se pensait au-dessus du Jeu, au-dessus du combat. Il parlait de rédemption, de paix, de renoncement. Mais quel choix avait-il fait, au final ? Fuir. Se cacher derrière des principes creux. Et pourtant, elle ne pouvait pas nier sa force. Il aurait pu être un rival. Elle aurait pu l’admirer. Elle l’avait méprisé. Lui qui prêchait l’espoir, alors qu’il savait que ce monde ne le permettait pas. Lui qui parlait d’un autre chemin, alors qu’il n’avait jamais osé l’emprunter. Et maintenant, Aélis suivait ses pas, répétant les mêmes erreurs, s’accrochant à des fantômes.
Son regard acéré suivait les chiffres qui s’égrenaient sur l’écran principal. Douze heures. Un sourire effleura ses lèvres.
Aélis. Elle n’avait jamais cru qu’elle irait si loin. Trop d’émotions, trop d’attaches. Une survivante par accident, plus que par mérite. Une ombre qui s’accrochait désespérément à un passé révolu. Mais voilà où elle était. Poussée à bout, contrainte d’accepter la règle qu’elle avait toujours cherché à contourner. Callestina savourait cette ironie : Aélis n’avait jamais voulu de ce Jeu. Elle s’était accrochée à l’idée qu’elle pourrait y échapper, qu’il y aurait une autre solution. Elle s’était trompée. Car maintenant, il ne restait plus que deux cartes. Elle ou Methos.
Callestina se délectait de cette pensée. Peu importait combien Aélis avait tenté d’éviter l’inévitable, combien elle s’était battue contre l’idée même du Jeu, elle se retrouvait face au dilemme ultime. Le tuer, ou mourir.
Et après ? Après, le dernier survivant devrait encore l’affronter, elle.
Elle ferma brièvement les yeux, savourant l’ironie. Il ne pouvait en rester qu’un. Mais ce ne serait pas Methos, et ce ne serait certainement pas Aélis. Elle avait conçu la troisième manche pour s’assurer que ce serait elle. Tout avait été calculé, réglé au millimètre. Les pièges. Les règles. Les conditions de la victoire. Ce n’était pas un pari. C’était une certitude. Qu’ils fassent leur choix.
Callestina rouvrit les yeux et reporta son attention sur l’écran. L’angoisse se lisait déjà sur le visage d’Aélis. Le doute, la peur. Bientôt, l’un d’eux disparaîtrait. Et elle attendrait le survivant. Prête à conclure le Jeu.
La tension régnait depuis des jours dans les couloirs aseptisés du complexe. Un malaise diffus, une fissure dans l’ordre glacé qu’avait instauré Callestina. Au départ, personne n’avait osé mettre des mots sur l’horreur. Les gardes, les ingénieurs, les analystes… Ils avaient tous obéi, fascinés ou terrifiés par cette femme qui, d’un regard, pouvait briser une vie. Mais ensuite… ils avaient compris. Le Jeu ne couronnerait qu’un seul survivant.
Certains avaient cru, naïvement, qu’il s’agissait d’un spectacle. Une expérience pour tester les limites des immortels, un moyen de les voir s’entre-détruire sans que cela ait de réelles conséquences pour l’humanité. Mais ce n’était pas ça. Lorsque les premières images des massacres avaient envahi les écrans, lorsqu’ils avaient vu ces êtres se traquer, se tuer, se décapiter sous leurs yeux, la vérité était apparue dans toute sa brutalité.
Callestina ne jouait pas. Elle orchestrait. Elle attendait. Chaque décision qu’elle prenait, chaque phase du Jeu, chaque épreuve qu’elle imposait… Tout menait à elle. Elle ne voulait pas voir qui gagnerait. Elle voulait être celle qui survivrait. C’était elle qui régnerait sur les cendres, elle qui resterait debout lorsque la dernière tête tomberait. Elle qui serait l’ultime immortelle. Et ils ne pouvaient pas la laisser faire.
Ils étaient cinq. Tous faisaient partie de sa garde rapprochée. Tous avaient vu, jour après jour, comment elle façonnait ce cauchemar. Viktor, qui avait un jour cru en son discours, qui l’avait servie avec loyauté, et qui maintenant, ne voyait en elle qu’un monstre. Lena, qui avait vu des êtres humains mourir dans l’arène, réduits à de simples pions dans un Jeu dont ils ne comprenaient même pas les règles. Harlan, un ancien officier, un homme de guerre qui avait longtemps cru que Callestina représentait l’avenir – jusqu’à ce qu’il réalise qu’elle ne se battait pas pour l’avenir, mais pour elle-même. Et les deux derniers… ils n’avaient même pas de noms entre eux. Juste des visages fermés, marqués par la peur et la colère.
Ils s’étaient réunis en silence, dans une pièce oubliée des sous-sols du complexe, là où les murs n’avaient ni caméras ni microphones. Ils savaient qu’elle les surveillait toujours. Mais pas ici. Ici, ils pouvaient parler. Leur décision avait été prise rapidement. Il fallait l’arrêter. Pas demain. Pas dans une semaine. Maintenant.
L’arme laser reposait sur la table, son design froid et fonctionnel trahissant sa finalité létale. Un dispositif développé pour exécuter les immortels dans l’arène, une technologie qui contournait leur régénération et les décapitait proprement en une fraction de seconde. Un tir, et tout était fini.
Ils avaient dû détourner un transport de matériel, éliminer un garde loyaliste, effacer leur propre existence du système de surveillance pour arriver jusqu’ici sans déclencher d’alerte. Mais c’était fait. Viktor ajusta sa prise sur la gâchette, échangea un regard avec Lena. Elle hocha la tête. C’était l’heure.
Le couloir menant à la salle de contrôle était écrasant de silence. Harlan avançait en tête, ses pas lents, contrôlés. Les autres le suivaient, chacun retenant son souffle, chaque pas les rapprochant d’un point de non-retour. La porte de la salle de contrôle s’ouvrit. Viktor entra en dernier. Devant lui, Callestina était là. Debout, face aux écrans, ses mains croisées derrière son dos. Elle ne se retourna pas. Elle observait les deux immortels. Elle se délectait de leur dilemme, de leur impasse. Elle savourait déjà la troisième manche qu’elle leur réservait.
Viktor s’arrêta, leva lentement le canon du laser. Ses yeux se posèrent sur la nuque de Callestina. Elle ne les avait pas entendus. Elle ne savait pas. Il inspira profondément, puis posa son doigt sur la gâchette.
Aélis courait. Le sol se dérobait presque sous ses pas tant elle allait vite, poussant son corps au-delà de l’épuisement, au-delà de la douleur. Chaque foulée était une prière silencieuse, une tentative désespérée de devancer l’inévitable. Elle aperçut enfin la zone où elle avait affronté un immortel avant que Methos ne la sauve d’un second affrontement. Il était là. Son visage était grave, tendu, son regard fixé sur elle avec une intensité insondable. Un mélange de soulagement et d’appréhension.
Elle s’arrêta brusquement, cherchant son souffle, prête à parler, à dire quelque chose—mais une détonation statique fendit l’air. Un crépitement. Puis une voix. Hésitante. Malhabile.
— Je… Je ne sais pas si ça fonctionne… Vous m’entendez ?
Le son était brouillé, parasité, comme si celui qui tentait de parler ne savait pas manipuler le système. Il y eut un grésillement, un bruit métallique – un coup maladroit contre un micro, sans doute.
—Je suis désolé, je ne sais pas comment…
Un silence tendu, chargé d’incertitude. Puis, enfin, un souffle profond, suivi d’une tentative plus assurée :
— J’ai tué la femme responsable de tout ça. Celle qui a mis en place ce Jeu.
Aélis sentit son cœur se contracter. Methos ne bougea pas, mais elle perçut son souffle se suspendre.
— On a… on a réussi à récupérer une des armes. Celles qui servaient à… exécuter les immortels dans l’arène, pendant la première manche.
Un frisson lui parcourut l’échine. Elle revoyait ces exécutions froides, impersonnelles. Un flash de lumière, une vie effacée en un instant.
— Avec d’autres… on a utilisé cette arme contre elle.
Le jeune homme vacillait entre la rage et l’incrédulité. Comme s’il peinait encore à croire à ce qu’il avait fait.
— Vous comprenez ? Je ne voulais pas… qu’un immortel capable de… de concevoir quelque chose d’aussi monstrueux puisse être le dernier.
Il inspira, sa respiration saccadée grésillant dans le micro.
— Tout ce qu’elle a fait… tout ce sang, toutes ces horreurs. Pour quoi ? Pour être la dernière ?
Sa voix se brisa presque.
— Ça ne justifie pas ce genre de barbarie.
Il s’interrompit, avant de murmurer :
— J’ai eu peur. Peur qu’une personne capable de penser et d’orchestrer tout ça… qu’elle puisse régner ensuite sur nous tous.
Il y eut un silence. Un long silence, comme si les mots eux-mêmes pesaient trop lourd.
— Elle est morte, finit-il par dire, et sa voix n’était plus qu’un souffle brisé. Mais… je ne sais pas si ça suffira.
Un silence pesant s’abattit, laissant les derniers mots du jeune homme flotter dans l’air comme des spectres insaisissables. Aélis sentit une vague de soulagement inattendue l’envahir à l’idée que Callestina ne pouvait plus nuire. La femme qui avait orchestré tant de souffrances n’était plus, et pourtant, ce soulagement était teinté d’une amertume douloureuse. Elle échangea un regard avec Methos, leurs pensées s’accordant dans une même conclusion : cela ne changeait rien. Le compte à rebours continuait, implacable, comme une condamnation gravée dans la pierre. Peu importait que Callestina soit morte. Le mécanisme qu’elle avait mis en place, ou dont elle n’avait peut-être jamais eu le contrôle total, continuait de fonctionner, indifférent à sa disparition.
Aélis sentit ses épaules s’affaisser sous le poids de cette réalité. Les flammes de sa rage, alimentées par l’existence de sa rivale, s’éteignirent, ne laissant qu’un vide oppressant. Elle regarda le ciel obscurci, ses pensées naviguaient entre espoir et désespoir. Methos posa une main sur son bras, un geste silencieux mais chargé de gravité. Ils étaient seuls face à un ennemi invisible, une machine lancée sans pilote, qui les poussait inexorablement l’un contre l’autre. Sans un mot, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Leurs corps tendus cherchaient une ancre, une force, quelque chose à quoi se raccrocher dans cet abîme d’incertitudes. La tension qui les unissait semblait prête à exploser, mais ils s’accrochèrent, incapables de faire face à cette nouvelle horreur seuls. Ils s’assirent lentement sur le sol, leurs esprits vidés, leurs corps épuisés, entourés par le silence oppressant de la forêt.
Quelques minutes plus tard, des bruits de pas précipités et des voix solennelles s’élevèrent dans la forêt. Un groupe d’hommes apparut, armé, leurs visages marqués par l’épuisement mais déterminés. Leur chef, un homme aux traits durs et à la voix grave, s’adressa à eux :
— Les murs sont désactivés. Vous êtes libres de sortir. Mais nous devons agir vite.
Les deux immortels échangèrent un regard avant de les suivre. Ils furent escortés hors de la réserve jusqu’à un laboratoire, similaire à celui dans lequel ils avaient été emmenés avant de se réveiller au milieu de la réserve. Des scientifiques et techniciens s’y affairaient dans un chaos contrôlé, leurs regards tendus rivés sur des écrans saturés de données complexes.
Un homme portant une blouse de laboratoire, les traits tirés et les lunettes légèrement de travers, s’avança vers eux avec une démarche nerveuse. Il leur jeta un regard furtif avant de parler, sa voix trahissant une certaine incertitude.
— Nous allons essayer de retirer vos colliers, annonça-t-il, tentant maladroitement de masquer sa nervosité sous une façade professionnelle.
Sans un mot, ils se laissèrent guider chacun de leur côté par des groupes de scientifiques. Ils furent installés sur des chaises froides et inconfortables, sous une lumière blanche crue qui semblait tout révéler, sans indulgence. Les chercheurs se mirent immédiatement au travail, approchant leurs outils avec une prudence presque excessive.
Les minutes s'étiraient, chaque instant alourdissant l'atmosphère dans le laboratoire exigu. Les premières tentatives échouèrent avec une constance décourageante. Les outils chirurgicaux glissaient inutilement contre le matériau des colliers, et les scanners révélaient des réactions biologiques complexes et imprévisibles chaque fois qu'une manipulation était tentée. Chaque échec semblait écraser non seulement l'espoir d'Aélis et Methos, mais celui de tout le personnel présent, dont les regards devenaient de plus en plus désespérés.
Le scientifique le plus âgé releva finalement la tête, ses traits tirés par la fatigue et l'incompréhension. Il s'appuya légèrement sur la table, comme pour chercher un soutien face au poids des mots qu'il s'apprêtait à prononcer.
— Ces colliers, murmura-t-il, sa voix tremblante, réagissent directement à vos spécificités biologiques. Ils semblent conçus pour anticiper et contrer toute tentative humaine de désactivation.
Il jeta un coup d'œil à ses collègues, cherchant leur approbation, qui vint sous forme de hochements de tête hésitants.
— Selon nos analyses, continua-t-il, les colliers ont deux modes de désactivation. Le premier... une autodétonation, ajouta-t-il avec une grimace, comme si le simple fait de prononcer ces mots ajoutait un poids supplémentaire à la pièce. Et le second…
Il inspira profondément avant de poursuivre, comme pour se donner du courage.
— Il semble qu’ils ne puissent être coupés que par une décharge énergétique spécifique.
Un silence glacial s'abattit, alourdi par le bourdonnement des machines en arrière-plan. Aélis fixa Methos, et dans son regard se lisait une compréhension immédiate, mêlée d'une terreur croissante. Elle savait déjà ce qui allait être dit avant même que le scientifique ne trouve les mots.
— Une décharge de quickening, murmura-t-il finalement, presque avec hésitation, comme si formuler cette hypothèse la rendait irréversible.
Ces mots tombèrent comme une sentence, lourds de conséquences. Methos ferma brièvement les yeux, comme pour contenir une vague d’émotions qu’il ne pouvait se permettre d’exprimer. Aélis sentit son estomac se nouer, un frisson glacial remontant le long de sa colonne vertébrale. Ce n’était pas seulement une question de technologie. Tout était conçu pour que leur propre nature immortelle devienne leur bourreau. Le scientifique détourna le regard, incapable de soutenir les leurs.
— Je suis désolé, murmura-t-il d’une voix brisée. Nous n’avons pas la technologie nécessaire pour faire plus.
Le laboratoire sembla se figer, chaque respiration devenant un effort. La révélation pesait sur leurs épaules comme une enclume, tandis que les secondes s’écoulaient inexorablement. Aélis serra les poings, sentant ses ongles s'enfoncer dans ses paumes. Methos restait stoïque, mais elle pouvait lire dans son regard cette angoisse qu’il peinait à dissimuler.
Autour d’eux, les techniciens continuaient d’échanger des idées, mais les voix devenaient de plus en plus frénétiques. Des disputes éclataient, certains accusant leurs collègues de perdre un temps précieux sur des pistes inutiles.
— Continuez à chercher, ordonna le chef d’équipe, sa voix plus autoritaire que convaincue. On doit trouver un moyen.
Mais même cette injonction avait un goût d’aveu. Ils savaient tous que les chances de succès étaient minces.
Aélis, les yeux fermés, cherchait un fragment de calme dans ce chaos. Mais la question restait suspendue dans son esprit comme une menace : et s’ils ne trouvaient pas de solution ? Si cette impasse devenait leur tombeau ? Methos posa une main légère sur son épaule, un geste discret mais chargé de sens. Ils avaient traversé trop d’épreuves pour abandonner maintenant. Mais même lui savait qu’ils s’approchaient dangereusement de l’impensable. Le temps était contre eux, et Callestina, même dans la mort, continuait de les manipuler.
Le tic-tac inexorable continuait de résonner, une mélodie funeste dans l’air saturé d’angoisse. Les minutes défilaient comme une lame invisible suspendue au-dessus d’eux. 610. 480. 360. Les visages autour d’eux étaient tendus, marqués par le désespoir. Aux quatre coins du monde, des équipes s’activaient, scientifiques, militaires, démineurs, tous s’efforçant de déjouer l’impossible. Mais rien ne fonctionnait. Chaque hypothèse, chaque tentative échouait face à la perfection impitoyable du système que Callestina avait laissé derrière elle.
Le laboratoire, autrefois une ruche d’efforts frénétiques, sombrait peu à peu dans une atmosphère lourde, presque résignée. Les discussions étaient devenues des murmures, puis des regards échangés, des sous-entendus qui s’insinuaient comme des ombres. Certains scientifiques, en jetant des coups d’œil furtifs vers les deux immortels, commencèrent à évoquer une solution plus radicale. Ils ne disaient rien à voix haute, mais leurs yeux parlaient pour eux. Les colliers pouvaient être désactivés d’une seule manière.
Aélis et Methos entendaient ces murmures, voyaient ces regards, et même s’ils avaient refusé d’y prêter attention au début, l’idée s’insinuait, lente, douloureuse, inexorable. Et s’il n’y avait vraiment pas d’autre issue ?
180 minutes.
Aélis fixa les hologrammes suspendus dans l’air, son regard absorbé par le compte à rebours qui défilait inexorablement. Chaque seconde qui s’écoulait la rapprochait de l’inéluctable, et pourtant, elle se sentait figée, incapable de bouger, incapable de penser clairement. L’agitation autour d’elle avait disparu, laissant place dans son esprit à un vide qui lui semblait assourdissant, et lui rappelait à quel point elle était seule face à cette décision. Mais était-ce vraiment un choix ? Ou bien n’était-ce qu’une fuite sous un autre nom ?
Elle inspira profondément, cherchant un semblant de clarté, mais ce fut Soleman qui lui revint en mémoire. Son regard brûlant, non pas de résignation, mais de défi. Il n’avait pas seulement survécu. Il avait choisi de vivre. De s’emparer de son destin au lieu de le subir. Il aurait pu céder, accepter la fatalité, se laisser emporter par l’un des innombrables combats qu’il avait livrés. Mais il avait refusé. Il avait fait un choix – pour lui, et pour ce qu’il croyait encore possible. Il avait osé défier le cours des choses, tenter quelque chose, même sans certitude de réussite. Lui avait eu ce courage.
Un autre visage surgit dans son esprit, un autre choix, un autre sacrifice. Duncan. Elle revit son expression déterminée, ce regard empli d’une résolution implacable alors qu’il se lançait contre Horton, sachant que cette tentative lui coûterait la vie. Il n’avait pas agi pour lui-même, ni par vengeance. Il l’avait fait parce qu’il croyait qu’en éliminant Horton, il offrirait un monde meilleur aux immortels, un monde où ils ne seraient plus traqués comme des bêtes. Il savait qu’il risquait tout, mais il l’avait fait quand même.
Soleman avait choisi de vivre pour protéger ce qu’il restait. Duncan avait choisi de mourir pour tenter de changer les choses. Et elle ? En était-elle seulement capable ? N’était-ce pas là sa plus grande faiblesse, cette incapacité à envisager un avenir sans ceux qu’elle aimait ? Darius, Soleman, Thalia… Methos. Elle s’accrochait à des fantômes.
Elle les avait toujours suivis, d’une manière ou d’une autre. Ils avaient été ses repères, ses piliers, les seuls ancrages qui lui permettaient de traverser les siècles sans se perdre totalement. Peu importait où elle allait, peu importait combien de temps elle restait loin d’eux, ils avaient toujours été là, quelque part. L’idée de revenir vers eux, de les retrouver, avait toujours existé dans un coin de son esprit, même inconsciemment. C’était cette certitude, aussi fragile soit-elle, qui avait donné un sens à son existence.
Mais maintenant… il ne restait plus rien. Darius, Soleman et Thalia étaient morts. Et Methos… Methos serait celui qui survivrait.
Elle n’avait jamais su être seule. Elle avait essayé, elle s’était persuadée du contraire, mais ce n’était qu’une illusion. Elle avait eu des moments de solitude, oui, des voyages en terres inconnues, des années passées loin de tout, mais toujours avec l’idée d’un retour possible. Toujours avec la présence rassurante de ceux qui l’attendaient, ou qu’elle attendait. Mais si elle survivait à cette nuit, alors tout disparaîtrait. Elle vivrait pour toujours sans eux. Sans aucun d’eux. Et elle ne voulait pas de cette existence. Elle ne voulait pas traverser les siècles en sachant que plus rien ni personne ne l’attendrait jamais. Qu’il n’y aurait plus personne pour comprendre d’où elle venait, pour partager ses souvenirs, pour lui rappeler qui elle avait été. Une vie solitaire, une éternelle errance sans but, sans point d’ancrage, sans visage familier à retrouver au bout du chemin. Elle se savait incapable de supporter cette idée.
C’était pour cela qu’elle ne pouvait pas être celle qui restait.
Et c’était bien là la racine de son dilemme : voulait-elle mourir pour échapper à une vie sans eux, ou parce qu’elle avait enfin trouvé une raison de choisir sa propre fin ? Pendant si longtemps, elle avait subi. L’immortalité. L’exil dans le passé. Les règles du Jeu. Même son retour dans cette époque n’avait été qu’un enchaînement d’événements qu’elle n’avait jamais véritablement contrôlés. Elle avait été une marionnette entre les mains du destin, ballottée d’un siècle à l’autre, incapable d’infléchir le cours des choses. Mais aujourd’hui, pour la première fois, elle pouvait choisir. Vraiment choisir. Et elle voulait que ce soit son choix, pas celui du Jeu, pas celui de Callestina, pas même celui de Methos.
Mais pourquoi elle ? Pourquoi pas lui ?
Elle aurait pu lutter, elle aurait pu chercher un autre moyen. Mais il n’y en avait pas. Tout avait été conçu pour qu’il n’y ait qu’un seul survivant.
Elle tourna la tête vers Methos. Il était là, silencieux, perdu dans ses propres pensées, et elle sentit un pincement au cœur. Il ne voulait pas mourir. Elle le savait. Il avait toujours été un survivant, il l’avait toujours été mieux qu’elle. Et malgré la lassitude, malgré le poids des millénaires, il continuerait. Peut-être pas tout de suite, peut-être pas sans douleur, mais il finirait par avancer.
Elle, elle ne pouvait pas.
Son choix était fait.
Elle baissa les yeux, laissant un dernier soupir échapper à ses lèvres, puis se redressa lentement. Il était temps de lui dire.
Methos marchait lentement, scrutant les alentours d’un regard perçant, son esprit en perpétuelle ébullition. Il refusait d’accepter ce qu’imposait le Jeu. Il y avait toujours une faille. Toujours une issue. Depuis cinq mille ans, il avait survécu en trouvant un chemin là où d’autres voyaient une impasse. Pourquoi cela serait-il différent cette fois ? Il fixait les hologrammes suspendus au-dessus d’eux, ces chiffres rouge sang qui défilaient lentement, implacables. Trois heures. Il restait trois heures avant qu’ils ne soient acculés à l’ultime choix. Trois heures avant que l’un d’eux ne doive tomber pour que l’autre survive. Ses poings se serrèrent malgré lui.
Il passait en revue chaque scénario possible. Fuir ? Impossible. Tant qu’ils avaient ces colliers, le compte à rebours était là pour les forcer à agir Callestina avait verrouillé le jeu, conçu chaque règle pour les pousser à s’affronter. Chaque seconde écoulée les rapprochait de la fin, les privait d’options, réduisait leur existence à un duel programmé.
Il tourna lentement la tête vers Aélis, la regardant sans qu’elle ne s’en aperçoive. Elle semblait calme, presque résolue. Un calme qui lui déplaisait. Il la connaissait trop bien. Il savait ce qu’elle préparait. Elle comptait choisir. L’idée lui souleva le cœur d’un malaise presque viscéral.
Methos avait passé sa vie à éviter ces moments. Il n’avait jamais cru au destin, jamais accepté l’idée qu’un fil rouge guidait leurs pas vers une conclusion écrite d’avance. Il avait fui la guerre, s’était échappé des complots, avait traversé les âges en esquivant les lames qui cherchaient sa tête. Il n’était pas un héros, il n’était pas un martyr. Il survivait, parce que c’était ce qu’il savait faire de mieux.
Mais cette fois, il n’y avait pas de fuite possible.
Il se força à respirer plus lentement. Ce n’était qu’un Jeu. Un autre Jeu, comme tous les autres. Il devait juste comprendre les règles, trouver l’échappatoire que personne n’avait vue. Il avait déjà vu des situations qui semblaient sans issue, et pourtant il était toujours là, à réfléchir à la prochaine étape. Mais cette fois-ci, plus il creusait, plus il comprenait l’ampleur du piège. Callestina avait tout verrouillé. Le Jeu n’était pas seulement une mascarade cruelle, une distraction pour une immortelle avide de pouvoir. C’était une conclusion, une boucle se refermant sur eux, et Callestina avait trouvé comment la rendre implacable. L’un d’eux devait mourir. Et ce ne serait pas Aélis. Il n’allait pas la laisser faire.
Il ferma les yeux un instant, chassant la nausée qui montait en lui. Il devait la convaincre. Il devait trouver les mots, briser cette résolution absurde qu’il devinait en elle avant qu’il ne soit trop tard. Parce qu’il savait qu’elle le ferait, si elle en avait la possibilité. Et l’idée d’être celui qui restait… Non. Il ne voulait pas de ce rôle. Il ne voulait pas porter une mort de plus sur ses épaules. Il avait tout perdu, encore et encore, et il s’était toujours relevé. Mais cette fois… cette fois, il se demanda s’il en serait capable.
Aélis s’approcha lentement de Methos, son regard accroché à sa silhouette immobile. Il scrutait les écrans, impassible en apparence, mais elle connaissait ce masque. Il cherchait encore une solution, une échappatoire. Quelque chose, n’importe quoi, pour éviter ce qui se dessinait devant eux. Elle resta un instant silencieuse à ses côtés, observant les scientifiques épuisés s’acharner sur les dispositifs de contrôle. Ils tentaient de comprendre, de désactiver les colliers, de renverser ce jeu qui avait été conçu pour ne laisser qu’un seul survivant. Mais chaque minute qui passait resserrait l’étau. Elle baissa les yeux, inspira profondément, puis, sans un mot, glissa sa main dans celle de l’immortel. Il ne réagit pas immédiatement, mais elle sentit ses doigts se refermer autour des siens, doucement, presque inconsciemment.
Quand il tourna enfin la tête vers elle, elle sut qu’il avait compris.
— Methos.
Il n’eut pas besoin qu’elle dise autre chose. Il vit la résolution dans ses yeux, cette flamme douce mais inébranlable qu’il avait appris à reconnaître chez ceux qui avaient pris une décision irrévocable.
— Non.
Le mot claqua, immédiat, définitif. Elle ne s’étonna pas. Elle s’y attendait. Il voulait repousser cette possibilité par la seule force de sa volonté. Mais ils savaient tous les deux que ce n’était pas suffisant.
— S’ils ne trouvent pas de solution… commença-t-elle.
— Ils en trouveront une.
Il voulait y croire. Il devait y croire. Elle hocha lentement la tête, comme si elle acceptait son refus tout en le contournant.
— S’ils ne trouvent pas de solution, je veux que ce soit toi.
Un silence abyssal s’étira entre eux. Methos la fixa, figé, puis son expression se tordit sous le choc. Il secoua la tête, une fois, puis une deuxième, comme si le simple fait de nier pouvait effacer ses mots.
— Non… non, Aélis… Tu ne peux pas me demander ça. Tu ne peux pas…
Sa voix s’étrangla, il détourna le regard, le souffle court. Ses mains tremblaient légèrement. Il passa une main nerveuse sur son visage, cherchant un ancrage, n’importe quoi. Puis il inspira profondément, comme pour ravaler sa propre révolte.
— Il reste encore du temps. Trois heures… peut-être qu’ils trouveront quelque chose au dernier moment…
Sa voix s’éteignit dans un souffle. Il manquait de conviction. Il ferma les yeux un instant, cherchant à échapper à cette réalité qui s’imposait à lui.
— Pourquoi moi ? Pourquoi pas l’inverse ? demanda-t-il enfin, la voix rauque.
Elle le regarda longtemps avant de répondre.
— Parce que je ne veux pas d’une existence sans toi.
Les mots étaient simples, mais lourds de sens. Elle aurait pu s’arrêter là, mais elle devait aller au bout de sa pensée.
— Ni sans Soleman. Ni sans Thalia… Ni sans Darius.
Surtout sans Darius…
Aélis baissa les yeux, et l’aveu s’imposa à elle avec une clarté brutale. Vivre sans lui, ce n’était pas seulement douloureux. C’était une absurdité. Une existence vidée de son sens, un souffle sans air. Peu importait ce qu’elle accomplirait, peu importaient les années qui passeraient—tout resterait creux, manquant de cette présence qu’elle avait tant cherchée. Elle pouvait combattre, survivre, prétendre, mais la vérité restait la même : sans Darius, elle n’existait qu’à moitié.
Methos ne répondit pas tout de suite. Son souffle se coupa imperceptiblement, comme s’il venait de heurter un mur invisible. Il détourna légèrement le regard, cherchant à s’accrocher à autre chose, mais tout lui échappait. Ses doigts se crispèrent malgré lui. Il n’avait jamais voulu se poser la question. Il n’avait jamais eu besoin de le faire. Mais maintenant… Il releva enfin les yeux vers elle, et il comprit.
— Darius…
Ce nom lui brûla les lèvres comme une évidence, un fantôme qui avait toujours été là, tapi dans l’ombre de leur histoire. Il le prononça avec une douceur douloureuse, comme s’il testait son poids, son existence. Comme s’il venait seulement d’admettre qu’il avait toujours su.
— Ça a toujours été lui, n’est-ce pas ?
Il n’y avait aucune rancune dans ses mots, seulement une tristesse profonde, une résignation teintée de compassion. Il voyait l’amour qu’Aélis portait encore à cet homme, et cela ne le diminuait pas. Au contraire, cela renforçait son respect pour elle, pour la capacité qu’elle avait à aimer si intensément. Aélis hésita. Elle aurait voulu lui dire que non, que ce n’était pas aussi simple. Mais elle ne pouvait pas mentir.
— Il était une part de moi, souffla-t-elle. Une part que je ne peux pas retrouver.
Methos hocha lentement la tête. Il comprenait pourquoi elle n’envisageait pas un futur sans eux. Il avait vécu des millénaires sans jamais s’accrocher à un amour immortel. Il avait aimé, il avait perdu, mais il avait appris à continuer, encore et encore. Elle, elle ne pouvait pas. Elle avait remonté le temps pour retrouver Darius. Elle avait affronté l’impossible pour ne serait-ce qu’un instant avec lui. Elle avait vécu ce que lui n’avait jamais osé espérer. Il rabaissa légèrement la tête, un sourire triste effleurant ses lèvres. Il prit ses mains dans les siennes avec une tendresse qu’il peinait à contenir. Il voulait qu’elle comprenne, qu’elle ressente la vérité dans ses mots, qu’elle ne porte pas ce poids seule.
— Ce que vous aviez trouvé, c’était rare, Aélis. Un amour immortel, quelque chose qui transcende le temps. Et je suis désolé… désolé que cela ait dû se terminer comme ça.
Il marqua une pause, cherchant les mots, mais aucune phrase ne pouvait combler ce vide. Son regard se plongea dans le sien, chargé d’une intensité qu’il ne savait plus masquer.
— J’ai de la peine pour toi. Parce qu’aimer de cette façon et perdre… c’est une souffrance que peu d’entre nous peuvent comprendre.
Aélis baissa les yeux un instant, laissant les souvenirs l’envahir, chaque image d’un passé révolu s’imposant à elle. Elle pensa à Darius, à sa sagesse, à sa chaleur, mais aussi à Methos, qui l’avait accompagnée dans les heures les plus sombres, qui avait tenté de panser ses plaies avec une patience infinie.
— J’ai été heureuse avec toi, finit-elle par murmurer, sa voix fragile mais sincère. Tu m’as tellement appris. J’ai grandi grâce à toi. Tu étais là, dans chaque moment difficile.
Methos hocha la tête, un sourire triste effleurant ses lèvres.
— Moi aussi, j’ai été heureux avec toi… Mais j’aurais voulu être plus. J’aurais voulu que ma présence puisse combler ce vide qu’il a laissé.
Il baissa légèrement la tête, reprenant d’un ton presque résigné.
— Mais j’ai compris. Ce vide était trop profond, trop vaste pour que quiconque puisse le remplir. Alors j’ai essayé.
— Tu as réussi, Methos. Pas à tout effacer, non… Mais à me rappeler que la vie pouvait encore être belle, même avec tout ce que j’ai perdu.
Il eut un léger sourire, triste, mélancolique.
— Et pourtant, tu choisis toujours de partir.
Elle prit une profonde inspiration, comme pour se donner du courage.
— Ce n’est pas une fuite.
— Non.
Il ne pouvait pas lui enlever cela.
Ils se regardèrent, leurs silences disant ce que les mots ne pouvaient exprimer. L’air semblait chargé d’une gravité qui rendait chaque respiration plus lourde.
— Tu trouves que c’est égoïste, ce que je demande ? murmura-t-elle. Ne pas avoir à vivre avec ta perte, alors que toi, tu devras porter la mienne ?
Methos ferma les yeux un instant. Il savait ce que cette question signifiait. Il savait qu’elle voulait entendre qu’elle ne faisait pas un choix lâche, qu’elle ne trahissait pas ce qu’ils avaient construit ensemble. Il prit une profonde inspiration.
— Tout est égoïste, Aélis. Même nos sacrifices. Ce sont toujours des choix que l’on fait pour nous-mêmes, pour ce que l’on pense être juste… ou supportable.
Il marqua une pause, fixant ses mains qui tremblaient légèrement. Chaque fibre de son être hurlait de rejeter sa demande, de refuser cet avenir qui se dessinait. Mais au fond, il savait qu’elle avait raison. Il savait qu’il n’y avait pas d’autre issue.
— Mais j’ai compris ta requête, finit-il par dire, d’une voix basse mais posée. Et je l’accepte.
Ses mots semblaient sceller un pacte silencieux entre eux. Aélis sentit son cœur se serrer, et pourtant, une étrange paix s’immisça en elle. Methos serra légèrement ses mains, un dernier geste pour lui transmettre tout ce qu’il ne pouvait dire.
Le temps s’effaça, ne laissant que l’écho de leurs âmes liées dans une douleur partagée. Ils restèrent là, immobiles, leurs regards accrochés, unis dans cette terrible certitude. Leur amour n’avait jamais eu besoin de mots, et pourtant, dans cet instant, tout était dit. Autour d’eux, les scientifiques s’agitaient encore, désespérément, autour des écrans et des machines, mais ces efforts semblaient lointains, flous, comme un écho dans une pièce vide.
Methos resta immobile, le regard perdu quelque part entre les écrans holographiques et le vide. Les scientifiques murmuraient encore derrière lui, échangeant des hypothèses, des calculs, cherchant désespérément un moyen de briser l’impasse dans laquelle ils étaient piégés. Mais leurs voix n’étaient plus qu’un bourdonnement lointain.
Il savait que c’était terminé. Il aurait dû s’y attendre. Il aurait dû anticiper que tout se terminerait de cette façon, que ce maudit Jeu ne leur laisserait pas de porte de sortie. Et pourtant, quelque part au fond de lui, il avait cru que cette fois, les choses seraient différentes. Il aurait préféré que ce soit différent. Il sentit le poids de la fatigue, pas celle du corps, mais celle plus profonde, celle qui s’accumule sur les siècles et que même l’immortalité ne peut alléger.
Tout lui échappait encore une fois. Aélis avait pris sa décision. Et il n’avait rien pu faire d’autre que l’accepter. Il ne pouvait pas lui en vouloir. Il aurait pu refuser. Il aurait pu s’accrocher à cette idée folle d’une dernière échappatoire. Mais il n’était pas homme à se mentir. Ce qu’elle lui avait dit… Il l’avait compris.
Elle avait toujours eu quelqu’un. Darius, Soleman, lui. Et si elle restait, elle n’aurait plus rien.
Il la connaissait mieux qu’elle ne le pensait. Il savait ce qui l’animait. Elle était forte, elle avait appris à survivre, mais Aélis n’avait jamais été une ombre solitaire. Elle avait toujours trouvé des points d’ancrage dans ce monde chaotique, quelque chose ou quelqu’un qui valait la peine d’être aimé, protégé, suivi. Sans eux, il ne lui restait plus rien.
Il baissa les yeux vers sa main, celle qui avait tenu la sienne quelques instants plus tôt. Il la serra légèrement, comme si l’écho de ce dernier contact pouvait encore y rester imprimé. Mais déjà, il savait qu’il ne garderait que l’absence. C’était étrange. Lui qui avait toujours prôné la survie à tout prix, qui s’était juré de ne jamais céder à la tentation du désespoir, se retrouvait aujourd’hui à envier sa décision. Aélis allait partir. Elle aurait enfin la paix. Et lui… Il resta figé un moment, réalisant brutalement ce que cela signifiait.
Il survivrait. Encore. Toujours. Comme il l’avait toujours fait, comme il savait le faire mieux que quiconque.
Il serait le dernier.
Il se vit, dans un siècle, dans mille ans, dans un monde où il ne resterait plus que lui. Il se vit marcher à travers des villes en ruines, croiser des visages qu’il ne reconnaîtrait pas, entendre des noms qu’il n’aurait plus personne pour partager. Il se vit portant le poids de tous ceux qui avaient disparu, de Darius, de Soleman, de Flavius, de Duncan, d’Aélis…
C’était ça, être immortel. Ce n’était pas une bénédiction. Ce n’était pas un don. C’était une condamnation. L’éternité n’était pas un privilège, c’était une prison où le temps finissait toujours par tout lui arracher.
Il s’était cru différent. Il avait cru qu’il pouvait vivre sans s’attacher, traverser les époques sans jamais vraiment souffrir des pertes. Mais il s’était menti. Les pertes s’étaient accumulées. Et maintenant, il comprenait. Il comprenait enfin ce que d’autres immortels, ceux qui avaient abandonné, avaient ressenti avant lui. La lassitude. Le poids du vide laissé par ceux qui s’en allaient.
Et le pire, c’était qu’il savait qu’il continuerait. Parce que c’était ce qu’il faisait. Parce que c’était ce qu’il avait toujours fait. Il continuerait à survivre, même si cela n’avait plus aucun sens. Parce que la survie était sa nature. Et que, malgré tout, il ne savait pas faire autrement.
60 minutes.
Le décompte affiché sur l’écran brillait avec une froideur impitoyable. Ils le savaient. Il était trop tard.
Ils échangèrent un regard, un accord silencieux. Il n’y avait qu’une seule solution, une solution qu’ils avaient redouté, retardé, mais qu’ils ne pouvaient plus éviter. Ils demandèrent à quitter le laboratoire, à passer l’heure qu’il leur restait loin du chaos, dans un endroit où ils pourraient se dire adieu. Certains s’opposèrent, craignant que ni l’un ni l’autre n’ait la force d’accomplir l’irréparable. Mais la majorité comprit. Ce choix leur appartenait. Ils avaient droit à cette intimité.
La nuit enveloppait le paysage d’une obscurité douce, percée par la lumière argentée d’une lune pleine. L’air était tiède, presque apaisant, et portait avec lui le parfum des herbes sauvages. Le temps semblait suspendu, moqueusement léger, en contraste cruel avec ce qui les attendait. Pas un bruit ne venait troubler le calme, hormis le léger froissement des feuilles agitées par une brise discrète.
Main dans la main, Aélis et Methos quittèrent le laboratoire, leurs pas étouffés par la terre meuble de la plaine. La nature semblait indifférente à leur sort, offrant une sérénité trompeuse, presque insultante. Au loin, des grillons chantaient, et quelques lucioles dansaient parmi les hautes herbes. Ils avancèrent en silence, comme s’ils craignaient de briser la fragile harmonie de cette nuit.
Ils s’arrêtèrent au pied d’un grand chêne solitaire, aux abords de la forêt. Ses branches noueuses s’élevaient vers le ciel comme des bras ouverts, figés dans un geste silencieux d’accueil ou d’adieu. L’herbe sous leurs pas était douce, ondulant sous la brise nocturne, et pourtant, le monde n’avait jamais semblé aussi dur.
Aélis s’assit lentement, puis tira doucement sur la manche de Methos pour l’inviter à faire de même. Il s’installa près d’elle, son corps tendu sous un poids invisible, mais il ne protesta pas lorsqu’elle se blottit contre lui. Ses doigts s’accrochèrent légèrement à sa veste, comme si ce simple contact pouvait repousser l’inéluctable, suspendre le temps un instant de plus.
Au-dessus d’eux, l’hologramme projetait toujours son compte à rebours. Les chiffres rougeoyaient faiblement contre l’obscurité, implacables, annonçant la fin d’un chemin dont ils avaient trop longtemps repoussé l’échéance. Methos restait silencieux, les yeux perdus au loin, comme s’il cherchait une faille dans l’univers, un dernier espoir caché dans l’ombre des étoiles.
Ce fut Aélis qui brisa le silence, sa voix à la fois douce et résolue.
— Tu crois pouvoir les sauver ?
Il ne répondit pas tout de suite. Il inspira profondément, son regard glissant sur les chiffres qui défilaient lentement au-dessus d’eux.
— Je n’en sais rien.
Il finit par tourner la tête vers elle, et dans la pâleur de la nuit, ses yeux semblaient refléter une lumière incertaine, vacillante entre espoir et résignation.
— Tu penses qu’ils écouteront ? Pas seulement avec leurs oreilles, mais avec leur cœur ?
Aélis leva les yeux vers lui, observant les traits marqués de Methos, ce visage qu’elle connaissait mieux que le sien. Elle sentit une chaleur douce et amère lui serrer la poitrine.
— S’il y a quelqu’un qui peut leur faire comprendre, c’est toi.
Methos esquissa un sourire, mince et mélancolique.
— Il faut garder espoir, murmura-t-il. C’est toi qui me l’as appris.
Elle ferma les yeux un instant, laissant ses pensées dériver à travers le flot de ses souvenirs. Elle revit les visages et les voix de ceux qu’elle avait aimés, ceux qu’elle avait perdus. Darius et sa sagesse infinie. Richie et son insouciance brisée trop tôt. Duncan et son sens du devoir, jusqu’à la fin. Joe, bourru, loyal, indéfectible. Amanda, insaisissable, lumineuse comme une étoile filante. Soleman, son roc, son reflet. Aram, son amour mortel qu’elle n’avait jamais oublié. Thalia, sa sœur d’armes. Astrid et Zafira, dont les rires et les silences résonnaient encore dans un coin de sa mémoire. Et Methos… Methos, qui lui avait appris que l’immortalité n’était pas un mur froid, mais une route pavée d’instants fragiles qu’il fallait savoir saisir avant qu’ils ne disparaissent.
Le prix de l’éternité était clair à ses yeux. Ce n’était pas la solitude. Ce n’était pas le combat. C’était de voir tous ceux qu’on aime disparaître, un à un, en sachant que rien ne pouvait jamais durer.
— C’était tout ce que je voulais, murmura-t-elle, à peine plus qu’un souffle. Juste un instant où tout semblait possible, même ici, même maintenant.
Methos ne répondit pas tout de suite. Il laissa simplement ses bras se resserrer autour d’elle, son souffle effleurant ses cheveux. Ils restèrent ainsi, immobiles, comme si en s’accrochant l’un à l’autre, ils pouvaient contenir le monde un peu plus longtemps. Mais le temps ne s’arrête jamais.
Aélis prit une inspiration plus profonde, puis recula légèrement pour pouvoir croiser son regard.
— Promets-moi quelque chose.
Methos fronça légèrement les sourcils, une appréhension muette dans son regard.
— Aélis…
— Promets-moi que tu ne vas pas simplement survivre.
Elle le regardait avec une intensité brûlante, ses doigts toujours serrés autour des siens.
— Promets-moi que tu ne feras pas que traverser les siècles sans jamais rien attendre d’eux. Que tu vivras. Que tu trouveras un sens à tout ça.
Il sentit son souffle se bloquer. Il aurait voulu lui mentir, lui dire que c’était facile, qu’il y arriverait sans mal. Mais elle le connaissait trop bien. Alors il lui offrit la seule vérité qu’il pouvait lui donner.
— Je promets d’essayer.
Elle hocha doucement la tête, et un sourire, infiniment triste mais infiniment beau, éclaira ses traits. Elle porta sa main à son visage, caressa sa joue du bout des doigts comme pour imprimer cette sensation une dernière fois. Methos ferma les yeux à ce contact, sachant que ce serait le dernier.
Le compte à rebours continuait à s’égrener au-dessus d’eux, froid et indifférent. Il n’y avait plus rien à dire.
Alors ils restèrent là, sous le chêne, dans un dernier instant figé dans l’éternité.
5 minutes.
Ils se levèrent ensemble, leurs mains toujours jointes, avançant lentement vers la lisière de la forêt. Chaque pas résonnait comme un adieu silencieux, chaque souffle portait le poids de tout ce qu’ils allaient perdre. Le décompte holographique, suspendu dans le ciel, semblait les narguer. Chaque seconde écoulée était un rappel cruel, implacable, de l’inéluctable. Le chant lointain des grillons et la brise douce contrastaient violemment avec l’intensité de l’instant.
1 minute.
Aélis s’agenouilla au pied d’un grand chêne, ses doigts effleurant le tronc rugueux couvert de mousse. Elle posa son front contre l’écorce, y déposant un souffle tremblant, comme si elle cherchait à s’ancrer une dernière fois à cette terre qui l’avait vue naître, aimer et perdre tant de fois.
Dans cet instant, son esprit la ramena loin d’ici, à une autre époque, à une autre fin.
Elle pensa à Darius, à ce jour où il avait choisi de mourir.
Elle se revit, plus jeune, plus impétueuse, incapable de comprendre pourquoi il s’était agenouillé devant son propre destin sans tenter de le fuir. Elle se souvenait de l’injustice brûlante qui l’avait consumée, de la colère qui avait remplacé la douleur. Il aurait pu se battre. Il aurait pu fuir. Il aurait pu faire ce qu’elle-même avait fait tant de fois pour survivre.
Mais il ne l’avait pas fait. Parce qu’il savait. Il savait que sans lui, elle était condamnée. Que s’il vivait, si on lui prenait son pouvoir, alors elle n’aurait plus aucune chance. Alors il avait choisi. Pas pour lui. Pour elle.
Ce jour-là, il n’avait pas cherché à défier le destin, mais à le plier avec douceur, à en accepter la fatalité pour lui offrir une chance qu’il ne pourrait jamais lui donner autrement. Il l’avait aimée d’une façon qu’elle n’avait compris que trop tard, en sacrifiant tout ce qu’il était pour qu’elle puisse encore exister.
Et aujourd’hui, elle se tenait là, au bord du même gouffre. Mais elle ne mourrait pas pour les mêmes raisons. Darius avait vu dans sa mort un dernier acte d’amour. Elle, elle ne voulait plus dépendre de ces sacrifices. Elle voulait choisir pour elle-même, sans dette à honorer, sans main tendue vers l’avenir d’un autre. Ce n’était pas un renoncement. Ce n’était pas une fuite. C’était enfin son propre choix.
30 secondes.
Une présence derrière elle, familière et immuable. Methos s’agenouilla en silence, sa main glissant doucement dans ses cheveux pour repousser les mèches sombres qui retombaient sur sa nuque. Dans ce geste, il dévoila un éclat sinistre : la lumière rouge du collier pulsait doucement contre sa peau, comme un cœur étranger, une présence froide et mécanique contrastant cruellement avec la chaleur humaine qui les unissait encore.
— Dire qu’en deux mille ans, tu n’as pas pris le temps d’apprendre à te couper les cheveux correctement…
Sa voix, empreinte d’une tristesse voilée par une tentative de légèreté, était un fragile écran pour contenir l’angoisse qui le dévorait.
Aélis esquissa un sourire, fragile mais sincère.
— Je n’ai jamais vu l’intérêt, murmura-t-elle.
Methos ferma les yeux une seconde, absorbant ce moment, ce dernier échange tissé entre ombre et lumière. Puis il inspira profondément, resserrant sa prise sur la garde de son épée. Elle n’eut pas besoin de le regarder pour sentir la douleur qui irradiait de lui. La lame froide effleura sa nuque, une caresse d’acier qui promettait la fin. Une larme glissa lentement sur sa joue, se mêlant à la terre en une offrande silencieuse.
Methos, la main légèrement tremblante, resserra sa prise. Ils ne se dirent pas je t’aime. Ils n’en avaient pas besoin. Ces mots étaient dérisoires face à l’immensité de ce qu’ils étaient l’un pour l’autre, face à la douleur de cet instant où tout allait basculer.
Un souffle suspendu. Une promesse silencieuse. Et soudain, tout devint calme.