Le Prix à payer - Highlander Fanfiction
Les 43 vainqueurs furent emmenés loin de l’arène, leurs corps meurtris et leurs âmes fatiguées transportés dans des chambres qui semblaient avoir été conçues pour masquer l’horreur de leur réalité. Ces espaces vastes et lumineux étaient décorés avec un minimalisme sophistiqué, baignant dans des tons clairs et apaisants. Le mobilier, simple mais d’une élégance irréprochable, offrait un confort presque déconcertant. Chaque chambre semblait vouloir envelopper ses occupants d’une sérénité artificielle, comme si le luxe pouvait effacer la brutalité des jours précédents. Aélis parcourut lentement l’espace, ses pas résonnant doucement sur le sol lisse. La salle de bains était un chef-d'œuvre de technologie avancée, les surfaces se transformant au toucher pour offrir des options qu’elle n’aurait jamais imaginées. Une douche d’un autre monde, avec des jets d’eau modulés par des capteurs qui s’adaptaient à ses besoins. Des commandes tactiles diffusaient une musique apaisante ou ajustaient l’éclairage en fonction de son humeur. Même la nourriture, servie en abondance par des mécanismes automatisés, semblait conçue pour ravir tous les sens.
Pourtant, malgré cet apparent paradis, les chambres restaient des prisons. Les portes verrouillées, les murs trop parfaits, tout était un rappel cruel de leur captivité. Il n’y avait aucun contact possible avec l’extérieur, aucune chance de voir ses amis ou de briser l’isolement. Aélis ressentait cette situation comme une torture supplémentaire, une cage dorée destinée à les étouffer lentement sous le poids de leur solitude.
Chaque jour, un jeune garde venait vérifier si tout allait bien, posant des questions d’une voix monotone, s’assurant qu’elle ne manquait de rien. Aélis le guettait, utilisant chacune de ses visites comme une opportunité. Elle l’abordait avec une persistance douce, insistant sur une seule demande : Voir Methos, lui parler, ne serait-ce que quelques minutes. Le garde, jeune et inexpérimenté, semblait troublé par son insistance. Aélis voyait ses hésitations, la lueur de pitié dans son regard, mais il répondait toujours la même chose, avec une gêne croissante :
— Je ne peux pas. Ce n’est pas autorisé.
Mais elle n’abandonnait pas. Jour après jour, elle répétait sa requête, ses mots chargés d’émotion, jusqu’à ce que le masque de neutralité du garde commence à se fissurer. Une nuit, alors qu’elle était allongée sur son lit, fixant le plafond immaculé, une vibration familière la traversa soudain. Son cœur bondit, un mélange de soulagement et de stupeur brute. Deux mille ans. C’était le temps qu’elle avait passé sans le voir, sans sentir sa présence, sans entendre sa voix autrement qu’à travers l’écho de souvenirs trop lointains. Et maintenant, il était là, tangible, réel.
Avant qu’elle ne puisse se relever, la porte de sa chambre s’ouvrit doucement. Methos apparut, flanqué du jeune garde dont le visage était empreint d’une nervosité palpable.
— Vous avez deux heures, dit-il à voix basse. C’est tout ce que je peux faire.
Aélis n’attendit pas plus longtemps. Elle se précipita vers lui, saisi son visage entre ses mains et l’embrassa, avec une ferveur qui dépassait les mots. Il y avait dans ce baiser toute la douleur d’un exil imposé, la brûlure de l’absence, le poids des millénaires passés à errer sans lui. Elle l’embrassa comme si elle voulait prouver qu’elle était toujours là, qu’elle avait survécu à ce que le temps et le destin lui avaient infligé. Methos fut d’abord immobile sous l’intensité de ce contact, puis ses mains trouvèrent ses épaules, son dos, s’agrippèrent à elle comme pour l’ancrer, pour s’assurer qu’elle n’était pas une illusion née de l’épuisement ou du désespoir. Elle sentait son souffle court contre sa peau, sa chaleur trop familière, et pendant un instant, plus rien n’existait que ce moment arraché à l’inévitable.
Lorsqu’ils se séparèrent enfin, Methos la fixa, son regard scrutant chaque trait de son visage, chaque ombre qui passait dans ses yeux. Il la connaissait depuis longtemps, et pourtant, il avait la sensation de découvrir une étrangère. Quelque chose en elle avait changé, une gravité nouvelle pesait sur ses traits, une flamme plus vive, plus dure, allumée par des épreuves qu’il ne pouvait qu’imaginer. Ce n’était pas seulement ses cheveux, plus longs, ni sa posture plus assurée. C’était son regard. Il y lisait une profondeur qu’il n’avait jamais vue auparavant, comme si elle portait en elle quelque chose qu’il ignorait. Il finit par murmurer, sa voix douce mais chargée de retenue :
— Tu es différente. Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose en toi a changé. Il y a une lueur dans tes yeux… elle brille autrement.
Il détourna brièvement le regard, cherchant ses mots.
— Je t’ai vue te battre. Contre Soleman. C’était magnifique et terrifiant à la fois.
— Quand tu as gagné, continua-t-il, j’ai ressenti un immense soulagement. Mais aussi un chagrin insupportable. Soleman… Il était ton ami, mais il était aussi le mien. Et toi… je ne t’avais jamais vue comme ça. Si forte, si résolue. Je t’ai presque à peine reconnue… Que s’est-il passé, Aélis ?
Elle baissa les yeux un instant, rassemblant son courage. Il y avait tant à dire, tant à expliquer, et pourtant si peu de temps. Lorsqu’elle releva la tête, son regard s’accrocha au sien, et elle laissa échapper un léger sourire amer.
— C’est de ça que je voulais te parler. Je dois te raconter ce qui m’est arrivé.
Pendant deux heures, elle parla.
Elle lui raconta tout, depuis cette nuit où Jehan l’avait arrachée à son époque, la plongeant dans une quête insensée. Elle lui parla de la mission qu’il lui avait confiée, de sa trahison, de son voyage à travers le temps. Elle évoqua son arrivée dans le passé, sa rencontre avec Darius, et l’illusion douce-amère de revivre des instants qu’elle n’aurait jamais dû retrouver. Elle lui confia ses batailles, ses sacrifices, ses erreurs. Callestina, Thalia, Aram… des noms qui portaient désormais le poids des morts et des regrets. Elle ne lui cacha rien, pas même la vérité sur Darius et sur ce qu’ils avaient partagé.
Methos l’écoutait en silence, son expression impassible, mais Aélis percevait les infimes réactions qui trahissaient ses pensées. L’incrédulité d’abord, puis un éclat de compréhension, et enfin cette gravité qui marquait ses traits lorsqu’il assimilait une vérité qu’il aurait préféré ne jamais entendre. Ils échangèrent quelques mots, des fragments de réflexion brisés par le poids du récit. Methos ne doutait pas de ses paroles – il la connaissait trop bien pour ça – mais il mesurait encore ce que cela signifiait. Peu à peu, une logique s’imbriquait, une explication aux incohérences et aux mystères qu’il avait perçus sans pouvoir les comprendre jusqu’ici.
Le temps leur échappa, filant plus vite qu’ils ne l’auraient voulu. Lorsque la porte s’ouvrit de nouveau, le jeune garde hésita avant de parler, presque gêné d’interrompre cet instant.
— Deux heures, souffla-t-il. Il est temps de partir.
Les deux immortels se levèrent lentement, comme si rompre cet échange risquait de les précipiter dans un gouffre dont ils ne reviendraient pas. Elle s’avança et l’enlaça, une étreinte empreinte d’une intensité nouvelle. Pas celle d’un simple adieu, mais d’une certitude douloureuse, celle d’avoir retrouvé quelqu’un juste avant de le perdre à nouveau. Elle murmura contre son oreille :
— Garde espoir, Methos. Des jours meilleurs arrivent.
Il resserra son étreinte un instant, son souffle se mêlant au sien, comme s’il pouvait y puiser un peu de cette foi qu’elle essayait de lui insuffler. Lorsqu’il recula enfin, son regard brillait d’une émotion qu’il ne chercha pas à masquer. Sans un mot de plus, il tourna les talons et disparut dans le couloir sombre, suivant le garde. Aélis resta un instant figée, fixant la porte refermée. Son cœur était lourd, mais pour la première fois depuis longtemps, il était empli d’une étrange sérénité. Peut-être que tout n’était pas encore perdu.
On les sortit finalement de leurs chambres, un par un, dans un silence froid et méthodique. Aélis sentit des mains fermes l’attraper, mais elle ne résista pas. Elle avait abandonné l’idée d’avoir un quelconque contrôle sur ce qui allait suivre. Escortée par des gardes silencieux, elle fut conduite à travers des couloirs interminables et immaculés, jusqu’à une vaste salle éclairée par une lumière blanche et crue.
Le lieu ressemblait à un laboratoire, avec ses murs lisses et ses surfaces métalliques réfléchissantes. Les immortels, chacun emmené séparément, étaient allongés sur des tables de métal froid, leurs regards fixant le plafond sans vraiment le voir. Autour d’eux, des machines bourdonnaient doucement, des écrans affichaient des données cryptiques. Aélis fut invitée à s’installer sur l’une de ces tables. Avant qu’elle ne puisse poser une question ou protester, un gaz s’échappa d’une buse invisible, et le monde devint flou. Ses paupières se fermèrent, sa conscience se dissipa dans un sommeil artificiel et oppressant.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, tout avait changé.
Elle était seule. Couchée sur un tapis d’herbe douce, son corps engourdi, elle sentit la fraîcheur de l’air sur son visage et le murmure d’un ruisseau proche. Autour d’elle s’étendait une réserve naturelle immense, comme un tableau vivant. Des arbres majestueux se dressaient, leurs branches s’entrelacent pour former des dômes de verdure. Plus loin, des forêts épaisses, des pierriers accidentés, et des cours d’eau scintillants dessinaient un paysage aussi magnifique qu’inquiétant. Pourtant, une présence insidieuse rompait la quiétude apparente. Tout autour d’elle, des drones silencieux flottaient, leurs mouvements aussi légers que ceux d’insectes. Leurs minuscules caméras suivaient ses gestes avec une précision implacable, capturant chaque détail de son réveil. Leur bourdonnement à peine perceptible ajoutait une tension sourde, rappelant que cette beauté sauvage était loin d’être naturelle ou innocente.
Aélis se redressa lentement, ses membres encore lourds, et porta instinctivement la main à son cou. Ses doigts effleurèrent une surface lisse et froide : un collier blanc, parfaitement ajusté à la courbe de sa peau. Il semblait fusionné avec elle, inamovible, étranger et oppressant. Elle tira dessus, tenta de l’arracher, mais il ne bougea pas. La confusion l’envahit alors qu’elle scrutait les alentours. Aucun signe des autres. Aucun signe de Methos. Elle était seule dans cette immensité.
Au-dessus d’elle, le ciel s’illumina soudain, projetant des hologrammes immenses dans l’air. Quarante-trois cartes apparurent, alignées de manière ordonnée, chacune marquée d’un symbole unique reprenant les règles d’un jeu classique : As de Trèfle, 6 de Cœur, Roi de Carreau... Elle observa ces cartes en silence, cherchant à en comprendre la signification. Quelle carte était la sienne ? Et celle de Methos ? Impossible de savoir. Aucun indice. Pas de voix cette fois pour expliquer les règles. Pas de directives, pas d’annonce sarcastique ou de fanfare. Seulement un vide angoissant.
Aélis inspira profondément, ses sens s’aiguisant peu à peu. Elle était seule, livrée à elle-même, avec seulement son arme et ses instincts pour survivre. L’immensité de la réserve dissimulait autant d’opportunités que de dangers. Elle savait que les autres immortels étaient là, quelque part, dispersés dans cette vaste étendue. Chacun d’eux était sans doute aussi confus qu’elle, portant le même collier, armé et prêt, volontairement ou non, à jouer un rôle dans ce nouveau chapitre du Jeu. Elle posa la main sur la garde de son épée, la seule chose familière dans cette situation incompréhensible. Elle savait qu’il ne s’agissait pas seulement de survie. Ils voulaient plus. Un combat non seulement pour la vie, mais aussi contre la folie de l’isolement, contre le poids de l’incertitude.
Aélis se redressa complètement, balayant les environs du regard. Les drones étaient toujours là, suspendus dans le ciel, silencieux mais omniprésents. Les murs invisibles de cette prison naturelle, constitués d’un champ magnétique imposant, rendaient toute évasion impossible. Ils étaient seuls. Seuls face à eux-mêmes, face à leurs propres peurs, leurs propres instincts.
La seconde manche avait commencé.
Methos ouvrit les yeux sur un ciel trop pur, trop immobile. Une lumière dorée filtrait à travers le feuillage dense, peignant des éclats mouvants sur le sol herbeux. L’air était frais, chargé d’une odeur de terre humide et de résine, une sensation presque paisible, presque irréelle. Il resta immobile, les muscles tendus, sondant son propre corps avant même de bouger. Pas de douleur, pas de blessure. Juste une légère sensation de torpeur qui s’accrochait à ses membres, vestige du gaz qui l’avait plongé dans l’inconscience. Il tourna lentement la tête, son regard parcourant les environs. Une vaste étendue boisée s’offrait à lui, à perte de vue. Des arbres majestueux, un cours d’eau serpentant entre les rochers, des clairières baignées de lumière. Tout était trop parfait. Trop calculé.
Il redressa lentement son torse, et c’est à ce moment-là qu’il le sentit. Un poids étranger, froid contre sa peau. Sa main monta instinctivement à son cou, ses doigts rencontrant une surface lisse, métallique. Un collier. Un sentiment glacé s’insinua en lui. Il ne tira pas dessus. Pas tout de suite. Pas avant d’avoir compris ce que cela impliquait. Il n’y avait jamais de hasard dans ce Jeu. Tout avait une fonction. Un but.
Au-dessus de lui, l’air sembla vibrer, et soudain, des hologrammes surgirent dans le ciel. Des dizaines de cartes, suspendues dans le vide comme un jeu divin distribué par une main invisible. Trèfle, Carreau, Cœur, Pique. Des chiffres, des figures. Quarante-trois symboles qui flottaient en silence, annonçant un nouvel ordre qu’il ne comprenait pas encore.
Methos se releva prudemment, sentant chaque muscle répondre sous la contrainte d’un terrain légèrement incliné. Son regard analysait chaque détail, chaque indice. Une réserve naturelle. Pas de sortie visible. Juste cette immensité sauvage, sans horizon net. Il leva la main vers le collier et tira légèrement. Inutile. Il ne bougea pas d’un millimètre, fusionné à sa peau comme une chaîne invisible dont il ne connaissait pas encore la portée. Les règles n’étaient pas expliquées, mais il les devinait déjà. Un piège. Un autre de leurs jeux. Il n’avait pas besoin de plus d’informations. Ce qui comptait, c’était ce qu’il savait déjà : il n’était pas seul ici. Ils étaient quarante-trois. Et la Manche venait de commencer.
Les premiers jours furent marqués par un silence trompeur. La nature environnante, magnifique et intacte, n’était qu’un décor illusoire masquant l’implacable réalité du Jeu. Methos s’était installé dans un pierrier, une légère élévation lui permettant d’avoir une vue dégagée sur une partie du terrain sans s’exposer. Il avait trouvé un renfoncement naturel sous les rochers, suffisant pour se dissimuler si nécessaire. Chaque mouvement était mesuré, chaque respiration contrôlée. L’attente était son alliée, la précipitation un piège mortel. Il passa de longues heures à observer. Il analysa les drones flottant à intervalles réguliers dans le ciel, suivant des trajectoires précises. Il étudia l’affichage immobile des cartes suspendues au-dessus de l’arène. Quarante-trois symboles, intacts. Un simple alignement figé, attendant son premier changement.
Puis, enfin, l’attente prit fin.
Dans une clairière, à plusieurs centaines de mètres, deux silhouettes émergèrent. Des ombres mouvantes se cherchant du regard. Methos ne les connaissait pas, mais leurs postures parlaient pour elles. Des guerriers, l’un plus imposant, l’autre plus agile, tous deux conscients de ce qui allait suivre. Un frisson glacé le parcourut lorsqu’un détail apparut sous les hologrammes de deux cartes. Un compte à rebours venait de s’enclencher.
Il vit la tension monter, l’instinct de survie s’imposer. Le premier attaqua, tranchant l’air d’un mouvement vif, mais son adversaire esquiva, répondant d’un coup précis. Ils n’avaient pas le choix. Methos observa, impassible, cherchant à comprendre. C’était un combat comme tant d’autres qu’il avait vus, mais ce qui l’inquiétait, c’était ce qu’il ignorait encore. Enfin, l’un d’eux trouva une ouverture. Une lame s’enfonça dans la chair, un corps s’effondra, la tête roula au sol. Le quickening éclata. Le compte à rebours s’arrêta immédiatement. Le vainqueur, haletant, attendit, le regard levé vers le ciel. Puis l’hologramme changea. La carte du perdant se grisa.
Methos comprit alors. Ce n’était pas seulement un combat. Ce n’était pas seulement tuer pour survivre. Ici, il fallait prendre la tête de son adversaire avant que le temps ne s’écoule. Sinon… il n’osait pas encore deviner ce qui se passerait. Mais il savait une chose : il ne testerait pas cette hypothèse sur lui-même.
Quelques heures plus tard, alors que le soleil amorçait sa lente descente vers l’horizon, Methos demeurait immobile dans son abri de pierre, son regard scrutant la réserve avec une vigilance inchangée. Depuis l’élimination du dernier immortel qu’il avait observée, il s’attendait à d’autres mouvements, à d’autres révélations sur les règles de ce jeu mortel. Il ne bougea pas lorsqu’il aperçut une silhouette familière s’avancer avec prudence à découvert. Astrid. Son pas était sûr, calculé, mais tendu. Elle n’était pas seulement en chasse ; elle était sur ses gardes, prête à devenir une proie si nécessaire. Puis elle s’arrêta brusquement. Methos vit son regard se fixer sur quelque chose hors de son champ de vision. Un instant plus tard, elle se mit à courir. Non pas pour fuir, mais pour rejoindre quelqu’un. Il suivit instinctivement son mouvement et, à l’orée de la forêt, une autre silhouette apparut. Zafira. Il la reconnut immédiatement. Son agilité féline, sa rapidité naturelle, contrastait avec la précision martiale d’Astrid. Elles coururent l’une vers l’autre sans hésitation, et lorsqu’elles se retrouvèrent, elles s’étreignirent. Pas de méfiance, pas de combat. Seulement un soulagement brutal, une reconnaissance immédiate.
Il serra inconsciemment les poings. Il connaissait le règlement implicite du Jeu, et quelque chose dans cette réunion lui sembla immédiatement… anormal. Un son doux, presque imperceptible, résonna dans l’air. Un bip court, mécanique. Methos leva les yeux vers les cartes holographiques au-dessus d’eux. Deux cartes venaient d’être marquées : le Roi de Pique et le Trois de Pique. Un compte à rebours s’afficha sous chacune d’elles, implacable. 360 minutes.
Il reporta rapidement son attention sur Astrid et Zafira. Leur étreinte s’était interrompue, et elles regardaient leurs colliers avec une méfiance grandissante. Methos vit la lueur rouge qui les illuminait à présent. Un avertissement. Un décompte qui ne s’arrêterait pas tant qu’aucune tête ne tomberait. Son esprit analysa immédiatement les implications. Si personne ne mourait dans le temps imparti, alors quoi ? La sensation du collier serré autour de sa propre gorge lui revint brusquement en mémoire. Non, ce n’était pas une simple menace. Le jeu ne laissait pas de place aux issues neutres.
Il observa, méthodique, refusant de céder à l’émotion. Astrid et Zafira, elles, s’étaient assises sur un tronc abattu, échangeant des mots qu’il ne pouvait entendre, mais dont la tension se lisait dans la crispation de leurs traits. Elles ne se battraient pas. Il le savait, tout comme elles le savaient. Les heures passèrent lentement, chaque seconde pesant un peu plus sur eux. Il aurait voulu détourner les yeux, ne pas assister à l’inéluctable, mais il savait que comprendre était essentiel.
Astrid avançait prudemment dans la réserve, sa posture tendue, chaque muscle prêt à réagir au moindre mouvement. La forêt dense s’ouvrait soudainement sur une clairière bordée d’herbes hautes, baignée d’une lumière douce et trompeuse. Elle connaissait ce calme. C’était celui qui précédait toujours la tempête. Elle balaya l’horizon du regard, cherchant un signe, un indice sur ce qui l’attendait. Puis, son cœur bondit. Une silhouette familière émergeait des ombres de la lisière opposée. Petite, rapide, une fluidité féline dans ses gestes. Zafira. Astrid cessa de respirer un instant, le choc lui nouant l’estomac. Son instinct lui criait de ne pas bouger, de ne pas croire à ce qu’elle voyait. Après tout, elle s’était trop souvent retrouvée seule dans ces jeux cruels pour se permettre de croire à une trêve du destin. Mais ce n’était pas une illusion. Elle connaissait cette démarche, ce regard perçant qui la cherchait à travers l’espace qui les séparait. Alors, dans un même mouvement, elles se mirent à courir l’une vers l’autre.
Leurs pas résonnèrent dans le sol meuble, rapides, impatients. Lorsqu’elles se rejoignirent enfin, elles s’agrippèrent mutuellement, leurs doigts s’accrochant au tissu, à la peau, comme si elles avaient peur de voir l’autre disparaître en fumée.
— Tu es en vie, souffla Zafira contre son épaule, son souffle court.
Astrid hocha la tête sans répondre immédiatement, trop prise par l’émotion brute de ces retrouvailles. Un instant, elle ferma les yeux, savourant cette chaleur humaine qui lui avait tant manqué. Puis, une sensation étrange lui fit ouvrir les paupières.
Un bip. Doux, insidieux.
Elles se détachèrent légèrement l’une de l’autre, leurs regards se croisant avec la même question silencieuse. Zafira porta la main à son collier, y découvrant la lueur rouge qui pulsait lentement. Astrid en fit de même, un frisson glacé lui traversant la nuque.
— Qu’est-ce que c’est ? murmura Zafira.
Astrid observa autour d’elles, son instinct de guerrière en alerte. Puis son regard se leva vers les hologrammes flottant au-dessus de la réserve. Deux cartes venaient de s’illuminer, marquées d’un décompte. Trois-cent-soixante minutes. Zafira grimaça, détaillant le chiffre qui clignotait lentement sous leurs cartes.
— Ça ne me dit rien qui vaille.
Elles échangèrent un regard. Elles ne savaient pas encore ce que signifiait ce décompte, ni ce que les colliers signifiaient exactement. Mais toutes deux avaient appris à ne pas sous-estimer la cruauté de ce Jeu.
— Assieds-toi, dit finalement Astrid.
Zafira obtempéra, venant s’installer sur un tronc couché tandis qu’Astrid prenait place à ses côtés. Un instant, elles restèrent silencieuses, leurs regards oscillant entre leurs colliers et les cartes suspendues au-dessus d’eux.
— Ce jeu n’a pas de sens, murmura-t-elle. Il ne s’agit pas de savoir qui est le plus fort ou le plus habile. Ce n’est pas un combat. C’est un massacre déguisé en spectacle.
Zafira serra la mâchoire. Elle releva les yeux vers Astrid, et son regard brillait d’une lueur dure.
— Ce n’est pas une épreuve pour voir qui est le plus digne. C’est une exécution.
— Et pourtant, nous sommes toujours là.
— Pour combien de temps ?
Elles levèrent toutes deux les yeux vers les cartes suspendues au-dessus d’elles. 321. 320. 319. Elles tentèrent d’ignorer la tension qui s’infiltrait lentement sous leur peau, mais chaque chiffre qui s’effaçait ne faisait qu’alourdir le silence. Elles parlaient par instants, tentant de garder leur esprit ancré dans autre chose que l’angoisse grandissante. Elles évoquaient la première manche, les morts absurdes qu’elles avaient vues, le poids du Jeu qui pesait sur leurs épaules. Mais peu à peu, les mots se tarirent. Elles se regardèrent, cherchant une réponse dans les yeux de l’autre. Il fallait faire quelque chose. Astrid posa une main sur le collier, l’arracher ? Impossible. Briser le dispositif ? Trop risqué. Elles n’avaient pas de réponse. Juste un mauvais pressentiment devenu certitude.
Lorsque le compte à rebours atteignit zéro, il y eut une fraction de seconde de silence absolu. Puis, sans avertissement, sans la moindre chance de répit, les colliers explosèrent en parfaite synchronisation. Les têtes des deux immortelles furent arrachées en un éclair fulgurant. Pas de Quickening, pas de transmission de pouvoir. Seulement la violence froide et mécanique d’un système implacable.
Methos resta figé, un frisson glacial parcourant son échine. Ce n’était pas une exécution. C’était un message. Un rappel cruel qu’il n’y avait pas d’alternative. Ici, le choix n’existait pas. Lentement, ses yeux remontèrent vers les hologrammes suspendus au-dessus de lui. Les cartes du Roi de Pique et du Trois de Pique s’effacèrent, se grisant progressivement jusqu’à disparaître. Quarante cartes restantes. Methos inspira lentement, ses muscles tendus comme s’il venait d’assister à un spectacle dont il était lui-même la cible. L’arène ne laissait pas de place aux principes, pas de place aux erreurs. Il le savait déjà, mais à cet instant, il le comprit d’une manière bien plus viscérale.
Aélis se fondait dans la nature comme une ombre. Les premiers jours, elle n’avait fait que ça : observer, attendre, essayer de comprendre les règles de cette nouvelle manche. Elle s’était rapidement éloignée de la clairière où elle s’était réveillée, prenant de la hauteur pour dominer la vaste étendue de la réserve. Dans ce monde où le moindre bruit pouvait trahir sa présence, elle s’était imposé une discipline rigoureuse, se déplaçant lentement, calculant chaque pas. Elle avait trouvé refuge dans un arbre colossal, un pin aux branches solides qui lui offrait une cache idéale. Perchée là, dissimulée par le feuillage, elle scrutait l’horizon, ses yeux balayant la végétation à la recherche du moindre mouvement suspect.
Les cartes holographiques flottaient toujours au-dessus d’elle, énigmatiques et immobiles. Parfois, elle les fixait longuement, cherchant à en percer le sens. Puis, un matin, un changement infime attira son attention. Une carte s’était assombrie. Aucune explosion, aucun bruit, seulement cette transition silencieuse. Elle fronça les sourcils, cherchant une explication. Quelqu’un était-il mort ? Avait-il été éliminé d’une manière qu’elle ne comprenait pas encore ?
Elle observa encore. Les heures passèrent et d’autres cartes commencèrent à se griser. Chaque fois, elle essayait d’apercevoir un signe dans la réserve, un mouvement, un combat, quelque chose qui lui permettrait de comprendre. Mais elle ne voyait rien. C’était comme si les participants disparaissaient un à un sans laisser de trace. Alors elle attendit.
Enfin, après plusieurs jours, elle eut sa réponse. Au loin, un duel s’engagea entre deux immortels. Elle reconnut immédiatement l’un d’eux : Gorath. Son imposante silhouette dominait son adversaire, sa lame s’abattant avec une force brutale, sans la moindre retenue. L’autre immortel, un homme plus petit et plus agile, esquivait avec adresse, mais Aélis voyait déjà l’issue du combat. Gorath était un prédateur. Il n’attaquait pas au hasard ; chaque coup portait une intention létale, chaque mouvement forçait son adversaire à reculer, à perdre du terrain. Puis vint l’erreur fatale. L’homme tenta une feinte, une esquive trop ambitieuse. Gorath, anticipant l’ouverture, abattit sa lame dans un arc meurtrier. La tête roula au sol. Aélis se crispa, son cœur battant plus vite malgré elle. Ce n’était pas la première fois qu’elle voyait un immortel mourir, loin de là, mais cette fois-ci, c’était différent. Cette mort faisait partie d’un système qu’elle ne comprenait pas encore entièrement. Elle leva aussitôt les yeux vers les hologrammes. Comme elle s’y attendait, la carte du vaincu devint grise. Mais celle de Gorath, le Valet de Cœur, restait là, inchangée.
Elle retint son souffle. C’était donc ainsi que le Jeu se jouait. Les règles. Elle commençait à les comprendre. Deux immortels qui s’approchaient à une certaine distance déclenchaient un compte à rebours. Si l’un tuait l’autre, prenant son quickening, le décompte s’arrêtait, et le vainqueur survivait. Elle resserra sa prise sur la branche, fixant l’hologramme au-dessus d’elle, là où les cartes colorées restaient immuables pour l’instant. Mais alors qu’elle croyait commencer à comprendre, une autre vérité lui apparut brutalement. Quelques jours plus tôt, deux cartes s’étaient grisées en même temps.
Elle fronça les sourcils, tentant de deviner ce qui s’était produit. Une élimination simultanée ? Une autre règle cachée ? Un mauvais pressentiment l’envahit. Il lui manquait encore une pièce du puzzle. Et ce qu’elle ignorait encore pouvait lui coûter la vie.
Aélis savait qu’elle ne pouvait pas rester passive indéfiniment. L’observation lui avait donné des indices précieux, mais elle ignorait encore trop de choses sur les règles de cette manche. Et plus que tout, elle voulait retrouver Methos. Pourtant, ce n’était pas une décision mûrement réfléchie, pas une stratégie calculée comme il l’aurait fait. C’était une impulsion. Une nécessité née de l’impatience, de cette tension qui brûlait en elle depuis trop longtemps. Elle aurait dû attendre, analyser plus longtemps, mais le silence oppressant de la réserve lui devenait insupportable. Elle se souvenait des mots de Soleman, de sa voix chargée de reproches, de cette colère qu’il avait jetée à son visage comme une vérité brute.
Elle serra les poings. Elle ne voulait plus être celle qui restait dans l’ombre, spectatrice d’un drame qu’elle aurait pu empêcher. Elle avait promis de ne plus fuir. Alors, elle prit une décision. Elle quitta sa cachette et se déplaça à découvert, consciente du risque, mais incapable de rester immobile plus longtemps. Ses pas étaient mesurés, mais son cœur battait à un rythme effréné. Elle voulait provoquer quelque chose, forcer le destin à lui donner des réponses. Elle voulait retrouver Methos, mais au fond, elle savait que c’était bien plus que cela : elle cherchait à briser cette inertie, à se prouver qu’elle pouvait encore avoir un impact sur ce qui l’entourait. Soleman n’aurait pas hésité.
Elle progressa prudemment à travers la forêt, s’appuyant sur ses sens aiguisés pour éviter de se faire repérer. Ses pas étaient légers, calculés, mais malgré sa prudence, elle savait que chercher Methos impliquait de se révéler à d’autres. C’était un risque qu’elle acceptait. Mieux valait provoquer une rencontre que d’être prise au dépourvu par un adversaire dissimulé dans l’ombre.
Elle atteignit une zone dégagée où le vent soufflait à travers les herbes hautes, offrant peu de cachettes naturelles. Son instinct lui criait de ne pas s’y attarder, mais elle décida de s’y exposer un instant, volontairement. Si Methos l’observait, il la verrait. S’il était proche, il comprendrait qu’elle le cherchait. Elle se redressa lentement au centre de la clairière, posant une main sur la garde de son épée. Elle fit un tour sur elle-même, scrutant l’horizon, puis avança d’un pas mesuré. Son cœur battait fort, mais elle ne laissa rien paraître.
Une vibration. Elle se retourna juste à temps pour voir une silhouette émerger d’entre les arbres. Un homme grand, robuste, aux traits marqués par le temps et le combat. Son regard acéré s’attarda sur elle avec une intensité calculatrice. Il portait une épée à la ceinture, une posture assurée qui ne laissait aucun doute sur son expérience. Il n’était pas surpris de la voir.
— Tu cherches quelqu’un ? demanda-t-il d’un ton presque moqueur.
Aélis ne répondit pas. Son regard glissa brièvement vers le ciel. Le compte à rebours venait de s’activer sous deux cartes, le 5 de Pique et le 7 de cœur.
Son adversaire sourit en remarquant son attention.
— Je suppose que ça signifie que nous n’avons pas le choix.
Il dégaina son arme sans précipitation, comme si le combat n’était qu’une formalité pour lui. Aélis, elle, recula légèrement, analysant sa posture, sa prise sur l’épée. Elle sentit l’excitation du duel monter en elle, mêlée d’un calme glacial. Elle avait traversé deux millénaires d’un monde impitoyable, s’était forgée dans le sang et la survie, avait affronté et vaincu d’innombrables immortels. Chaque duel l’avait façonnée, perfectionnée, jusqu’à faire d’elle une combattante redoutable. Cet homme, aussi expérimenté soit-il, n’était pas imbattable.
Le premier assaut fut rapide. Il chargea avec une force brute, cherchant à l’écraser sous son poids et sa puissance. Aélis esquiva de justesse, pivotant sur le côté, et riposta aussitôt. Son épée fendit l’air, frôlant son flanc, mais il para avec une efficacité implacable. Ils échangèrent plusieurs coups, le métal heurtant le métal dans une danse mortelle. L’homme était puissant, mais Aélis était plus rapide. Elle jouait sur sa souplesse, sur sa capacité à anticiper ses mouvements. Peu à peu, elle le poussa à se fatiguer, à exposer des failles qu’elle exploitait sans pitié. Une ouverture. Elle feinta une attaque sur sa droite. Son adversaire mordit à l’hameçon, levant son épée pour parer. Trop tard. Elle pivota dans l’autre sens et, dans un mouvement précis, trancha sa gorge d’un coup net. Son regard s’éteignit avant même qu’il ne touche le sol. La carte du 5 de Pique se grisa.
Le silence retomba sur la clairière. Puis, le ciel se déchira d’une lumière aveuglante. Le quickening s’abattit sur Aélis comme un orage, foudroyant son corps d’une énergie brûlante. Elle sentit la puissance de son adversaire se mêler à la sienne, chaque éclat d’électricité traversant ses nerfs comme une lame. Elle grinça des dents sous l’impact, ses muscles crispés par l’intensité du transfert.
Lorsque tout s’apaisa enfin, elle tomba à genoux, haletante. Son corps tremblait encore sous l’effet du choc, et la fatigue l’envahit aussitôt. Elle posa une main sur le sol, reprenant lentement son souffle. Le quickening attirerait inévitablement d’autres immortels. Elle devait partir. Rassemblant ses forces, elle se redressa, ignorant la douleur qui pulsa dans ses membres. Elle devait se cacher, reprendre ses esprits. Trouver Methos attendrait encore un peu.
Methos s'était promis de rester en retrait. Depuis le début de cette seconde manche, il avait scruté les moindres mouvements dans la réserve, analysé chaque comportement, évalué chaque risque avec la froideur qui l’avait toujours gardé en vie. Il savait que la patience était sa meilleure alliée. Que le moindre faux pas pouvait signer sa fin. Et pourtant, lorsqu’il aperçut Aélis dans la clairière, son équilibre vacilla. Il la vit se mouvoir, le regard attentif, son corps tendu dans une posture de vigilance. Elle était en chasse, ou bien elle cherchait quelque chose. Quelqu’un. Lui.
Il serra les mâchoires. Elle n’avait pas encore compris les règles. Elle ignorait que leur simple proximité pouvait suffire à les condamner. Il aurait voulu pouvoir la prévenir, lui crier de rester cachée, de ne pas se dévoiler ainsi. Mais il était trop tard. Une autre silhouette émergea des ombres. Un homme massif, aux gestes assurés, à la démarche d’un combattant expérimenté. Methos reconnut immédiatement le danger qu’il représentait. Il retint son souffle, ses doigts se crispant contre la pierre où il s’appuyait.
Le compte à rebours s’enclencha. Son instinct de survie lui dicta de rester immobile. C’était une règle qu’il connaissait par cœur : observer, apprendre, ne pas intervenir. Il n’y avait rien qu’il puisse faire. Rien qu’il ne devait faire. Mais il ne put détourner les yeux. Il suivit chaque mouvement d’Aélis, chaque attaque et esquive, la précision de ses coups. Elle n’était plus la combattante qu’il avait connue autrefois. Elle s’adaptait, elle réfléchissait vite, elle anticipait. Quelque chose en elle avait changé. Puis la lame d’Aélis trancha son adversaire, et la tête tomba au sol.
Methos détourna légèrement le regard lorsque le quickening s’abattit sur elle, illuminant la clairière d’éclairs violents. Il savait ce que cela impliquait. La fatigue. La vulnérabilité temporaire. Il scruta immédiatement les environs, sachant pertinemment qu’elle venait de signer son arrêt de mort si quelqu’un d’autre la repérait à cet instant. Et quelqu’un l’avait repérée. Son cœur se serra. Il aurait dû s’y attendre. Il aurait dû se détourner, se dire qu’il ne pouvait pas se permettre d’intervenir. Mais il ne le fit pas.
Il observa la trajectoire de l’immortelle, sa démarche silencieuse et fluide. Ce n’était pas une novice. Elle savait exactement ce qu’elle faisait. Aélis, fatiguée par son duel, ne la verrait peut-être pas venir à temps. Methos inspira profondément. Il n’avait jamais été un héros. Il n’avait jamais voulu être celui qui se sacrifiait. Il savait que s’interposer était une erreur, que cela le forcerait à se dévoiler, à risquer ce qu’il avait patiemment construit. Et pourtant, il se redressa, glissant hors de sa cachette avec la détermination silencieuse d’un homme qui avait déjà fait son choix. Il allait s’interposer.
Sans un bruit, il descendit de son perchoir, glissant entre les ombres avec l’aisance d’un prédateur expérimenté. L’immortelle avançait, méthodique, ses mouvements précis et assurés. Il l’observa un instant, détaillant sa silhouette élancée, la manière dont elle posait chaque pas sans jamais briser le silence de la forêt. Il la reconnut avant même qu’elle ne tourne la tête. Indira. Son cœur se serra à cette réalisation. Il ne l’avait pas vue depuis plusieurs siècles, mais il n’avait pas oublié. Une guerrière née dans l’Inde du VIIe siècle, autrefois prêtresse et stratège, dont le regard acéré dissimulait une intelligence redoutable. Ils s’étaient connus dans une autre vie, à une autre époque. Ils avaient partagé des nuits à philosopher sous les étoiles, des batailles menées côte à côte, une confiance tacite qui, aujourd’hui, ne valait plus rien. Elle le vit au même instant. Un sourire sans joie passa sur ses lèvres, et sans surprise, elle ne chercha pas à parler. Il n’y avait rien à dire. Dans un autre monde, ils auraient pu s’asseoir, se raconter leurs errances, partager un dernier verre avant de disparaître à nouveau. Ici, dans cette réserve artificielle, c’était une chimère. Il n’y avait que la lame et le silence.
Methos dégaina lentement son épée, et elle fit de même. Le premier échange fut rapide, brutal. Le choc de l’acier résonna à travers les arbres, vif et tranchant comme une sentence. Indira attaqua avec la précision d’une femme qui avait déjà affronté la mort cent fois. Elle était rapide, plus rapide qu’il ne s’en souvenait. Mais Methos était plus ancien. Plus patient. Il esquiva, para, s’adapta en un instant à son rythme, à son souffle, à chaque micro-mouvement qui trahissait ses intentions. Il n’avait pas envie de ce combat. Et pourtant, il savait qu’il n’y avait pas d’alternative.
Indira tenta une feinte, chercha à briser sa garde avec une série d’attaques calculées, mais il ne céda pas un pouce. Il la contraignit à reculer, l’encercla avec son jeu de jambes, réduisant lentement l’espace autour d’elle. Son épée trouva une ouverture. Un éclair d’acier. Une entaille nette au flanc. Indira grimaça, mais ne broncha pas. Elle tenta une dernière attaque, une frappe aussi désespérée que résolue. Il esquiva de justesse, pivotant sur lui-même, et dans ce même mouvement, il porta le coup fatal. Sa lame trancha proprement. Indira resta immobile une fraction de seconde, comme figée dans un instant suspendu entre la vie et la mort. Puis, lentement, son corps s’effondra, et sa tête roula sur le sol moussu.
Methos ne bougea pas. Il ferma les yeux un bref instant, comme pour figer son propre regret avant qu’il ne devienne un fardeau. Puis le quickening s’abattit sur lui. Une tempête d’énergie pure, un déluge de souvenirs, de force et de rage. Il serra les dents alors que la foudre s’enroulait autour de lui, ravageant la terre sous ses pieds, hurlant son droit d’exister un jour de plus. Lorsque le silence retomba enfin, Methos se redressa lentement. Il leva les yeux vers le ciel, vers les cartes suspendues au-dessus d’eux. Une nouvelle venait de se griser.
Aélis avançait prudemment, les sens en alerte, s’éloignant lentement de la clairière où elle venait de remporter son duel. Ses muscles étaient encore engourdis par le Quickening, son esprit embrumé par l’énergie brute qui s’était abattue sur elle. Pourtant, son instinct lui criait de ne pas rester à découvert plus longtemps. Le combat était terminé, mais le Jeu n’avait pas de répit. D’autres immortels l’avaient sûrement entendue, et elle refusait d’être une cible facile. Alors qu’elle progressait entre les arbres, elle jeta un regard rapide vers les cartes holographiques suspendues au-dessus de la réserve. Son cœur manqua un battement. Deux nouvelles cartes brillaient d’un éclat froid : le 2 de Pique et le 8 de Carreau. Sous elles, un compte à rebours venait d’apparaître, lançant un nouveau cycle implacable. Un autre combat avait commencé.
L’adrénaline remonta instantanément dans ses veines. Son regard se porta dans la direction opposée. Derrière elle, en contrebas, la clairière qu’elle venait tout juste de quitter. Une onde de tension traversa son corps. Était-ce un pur hasard, ou était-ce lié à son propre duel ? Un bruit l’arrêta net. Le chant métallique de lames qui s’entrechoquaient, étouffé par la densité de la forêt. Elle reconnut immédiatement le son d’un combat en cours. Ce n’était pas loin. Sans réfléchir, elle fit demi-tour, revenant sur ses pas avec une prudence accrue. Elle glissa entre les troncs, ses mouvements calculés, se fondant dans les ombres avec une habileté née de l’expérience. Plus elle se rapprochait, plus les bruits de lutte s’intensifiaient. L’acier mordait l’acier dans une danse mortelle, les pas frappaient le sol en un rythme saccadé. Elle s’arrêta derrière un épais chêne et s’accroupit, retenant son souffle. De là, elle pouvait enfin voir.
Methos. Son cœur se serra à cette vision. Il combattait, concentré, son regard trahissant une froide détermination. Face à lui, une femme qu’Aélis ne reconnaissait pas, aux gestes vifs et précis. Elle n’eut pas besoin d’en voir plus pour comprendre. Ce combat ne se terminerait que d’une seule façon. Elle ne pouvait qu’assister, impuissante, tandis que Methos menait le duel avec une précision méthodique. Il ne cherchait pas l’affrontement inutile, pas de bravoure ou de gestes spectaculaires. Seulement l’efficacité pure. Il attendait les erreurs, les provoquait, et lorsqu’elles arrivaient, il les exploitait sans pitié. Puis vint le moment décisif. Un mouvement trop ambitieux de l’immortelle. Une parade impeccable de Methos. Une ouverture brève, mais suffisante. Il ne lui laissa pas le temps de reculer. D’un geste rapide et précis, il frappa. La lame trancha net. Le corps s’effondra.
Aélis détourna brièvement le regard au moment où le Quickening frappait. Un éclair brutal dans la nuit artificielle de cette réserve. L’énergie se déversa autour de Methos, illuminant la clairière d’une lumière aveuglante, hurlant son pouvoir à ceux qui savaient écouter. Et puis, tout retomba dans le silence.
Aélis expira lentement. Il était en vie. Elle savait qu’elle devait bouger. Il était là, si proche. Après des jours d’incertitude, elle savait enfin où le trouver. Sans hésiter, elle se redressa et fit un pas en avant, prête à le rejoindre.
— STOP !
La voix de Methos claqua comme un fouet. Aélis s’immobilisa instantanément, surprise par la brutalité de son ton. Elle le vit se redresser lentement, encore marqué par le Quickening, mais son regard était d’une intensité glaciale.
— N’avance pas.
Aélis s’arrêta net, son regard accroché à celui de Methos. L’urgence dans sa voix l’avait figée sur place, son instinct criant de ne pas ignorer l’avertissement.
— Tu as compris la règle ? demanda-t-il, son souffle encore saccadé par le Quickening.
Elle hocha la tête.
— Le compte à rebours démarre si on s’approche trop.
— Et s’il commence… il n’y a qu’une seule façon de l’arrêter, reprit-il. L’un de nous doit mourir.
Le poids de ses mots s’abattit sur elle comme un couperet. Elle jeta un regard aux cartes suspendues au-dessus d’eux. Le 8 de Carreau venait de se griser. Le 2 de Pique, lui, restait bien visible, brillant dans l’obscurité artificielle de la réserve. Un vertige la prit alors qu’elle réalisait pleinement l’ampleur du piège. Ce Jeu ne permettait aucun autre choix. Pas d’alliances, pas de stratégie à plusieurs. Juste une mécanique brutale et inéluctable : deux entrent, un seul en sort. Elle recula d’un pas, créant un espace supplémentaire entre eux, un espace de survie.
— On ne peut pas rester ensemble.
Sa propre voix lui sembla irréelle, étrangère.
— Non.
Elle le regarda encore un instant, gravant ses traits dans sa mémoire. Chaque muscle tendu, chaque ombre sous ses yeux fatigués, chaque détail de cet instant volé à une guerre qu’ils n’avaient jamais voulu mener. Puis elle pivota et s’éloigna sans un mot, disparaissant dans l’épaisseur des arbres.
Il la regarda partir, son corps refusant de bouger jusqu’à ce que son ombre ne soit plus qu’un murmure entre les troncs. Un soupir lui échappa, lent, contrôlé, mais il n’apaisa pas la tension qui nouait ses épaules. Il savait que ce moment viendrait. Que le Jeu ne les laisserait pas se retrouver comme autrefois, comme avant que tout ne s’effondre. Il n’y avait pas de répit, pas de temps pour les retrouvailles. Juste une règle simple : tuer ou être tué. Il passa une main sur son visage, lissant distraitement la poussière et la sueur sur sa peau. Il devait continuer, retourner à l’ombre, rester invisible. Observer et attendre. Parce qu’ici, vouloir protéger quelqu’un, c’était déjà être condamné.
Elle courait, aussi silencieuse que possible, fendant la forêt avec la légèreté d’un animal traqué. L’air froid lui brûlait les poumons, mais elle ne ralentit pas avant d’avoir mis une distance suffisante entre elle et Methos. Son esprit était en ébullition. Seule. Elle était de nouveau seule. L’illusion qu’elle pourrait s’allier avec lui venait d’être brisée en quelques mots implacables. Elle s’adossa à un tronc massif, reprenant son souffle, son cœur battant encore trop fort dans sa poitrine. Combien de temps avant qu’ils soient forcés de s’affronter, lui et elle ? Elle ferma les yeux une fraction de seconde. Non. Elle refusait d’accepter cette fatalité. Il y avait un moyen de survivre. Il devait y en avoir un. Mais pour le trouver, elle allait devoir jouer autrement. Plus intelligemment.
Le nombre de participants continuait de diminuer. Chaque jour, cachés dans l’ombre et la solitude, Aélis et Methos observaient les cartes holographiques et voyaient le déclin inexorable du nombre de survivants. 22. 18. 17. Le temps s’étirait en une attente oppressante. L’air de la réserve, si pur en apparence, était saturé d’une tension invisible. La beauté sauvage de cet endroit n’était qu’un leurre, un décor cruel masquant la véritable nature du Jeu. Une prison déguisée en paradis.
Aélis refusait pourtant de se laisser happer par cette lente fatalité. Elle n'était plus simplement une spectatrice. Elle ne voulait plus l’être. Soleman l’aurait méprisée pour son indécision. Pas avec cruauté, pas avec haine. Mais avec cette lucidité froide qui l’avait toujours défini. Ce regard qui transperçait les illusions et qui voyait au-delà des excuses et des faux-semblants. Il lui avait demandé d’agir. D’être autre chose qu’un fantôme traversant le temps sans jamais en prendre la responsabilité. Mais agir ne signifiait pas être impulsive. C’était là que résidait la vraie leçon. Elle ne se battrait pas parce qu’elle était piégée. Elle ne tuerait pas parce qu’elle en était forcée. Elle voulait choisir, enfin.
Son destin ne lui avait jamais appartenu, mais ici, dans cette réserve, alors qu’il ne restait presque plus personne, elle pouvait décider. Elle rouvrit les yeux, fixant la terre marquée par la violence de ceux qui l’avaient foulée avant elle. Elle ne se précipiterait pas. Elle ne répéterait pas les mêmes erreurs. Soleman lui avait toujours reproché de refuser de prendre position. Aujourd’hui, elle prenait position en son honneur. Elle ne gagnerait pas par la force brute, mais par l’intelligence, la patience et la détermination. Et si elle devait survivre, ce serait parce qu’elle l’avait voulu.
Elle restait immobile dans les hautes branches des arbres, observant les cartes changer au-dessus d’elle. Chaque disparition confirmait un affrontement, une mort de plus. Il était facile d’imaginer les corps qui s’effondraient, les visages figés dans l’instant ultime, mais elle chassait ces images de son esprit. Elle ne pouvait pas se permettre de se laisser envahir par la peur ou la culpabilité. Elle devait survivre. Elle devait agir.
À quelques kilomètres de là, Methos adoptait une approche similaire, mais son regard n’était pas tourné vers les cartes, il était fixé sur le sol, sur les empreintes presque invisibles laissées par ceux qui avaient combattu ici. Il traçait mentalement des trajectoires, des itinéraires possibles, des échappatoires. Il savait que rester immobile trop longtemps était aussi dangereux que de se déplacer sans précaution. Il trouvait des refuges temporaires, des grottes dissimulées sous les racines, des anfractuosités dans les pierriers. Survivre était un art que Methos maîtrisait depuis cinq mille ans. Mais cette fois, la prudence ne suffirait peut-être pas.
La pression s’intensifiait. À mesure que le nombre de cartes se réduisait, la zone de survie se resserrait inévitablement. Bientôt, ils n’auraient plus d’autre choix que de se confronter les uns aux autres. Aélis se recroquevilla contre un tronc épais, ses doigts crispés sur l’écorce rugueuse. Elle connaissait Gorath. Elle avait vu son style de combat, sa brutalité sans retenue. Il n’avait aucune subtilité, seulement une force écrasante et une détermination sans faille. Il ne se contentait pas de tuer ; il anéantissait. Elle jeta un dernier regard aux cartes illuminées au-dessus d’elle. Gorath était toujours là. Il serait l’un des derniers. Si elle voulait survivre, elle devait l’anticiper. L’affronter de front était une condamnation à mort.
Mais un guerrier aussi sûr de lui était vulnérable à un autre type d’attaque. Il pensait être invincible. Elle ferait en sorte qu’il le croit jusqu’à la dernière seconde.
Le nombre de participants se réduisait à une poignée. Trois cartes restaient suspendues au-dessus de l’arène, des hologrammes pâles, presque irréels dans cette nature trompeusement paisible. Aélis connaissait chacun de ces symboles. Elle-même était le 7 de Cœur. Methos était le 2 de Pique. Gorath le Valet de Coeur.
Le moment était venu.
Elle avait tout préparé, exploitant chaque instant où les autres immortels étaient absorbés par leurs propres traques. La patience et la ruse étaient devenues ses armes les plus précieuses. Elle ne pouvait pas vaincre Gorath par la force brute, mais elle pouvait le faire tomber par excès de confiance. Elle avait choisi une clairière à l’orée d’une pente abrupte bordée d’arbres, un terrain dont la disposition lui offrait un avantage. Pendant plusieurs heures, elle avait creusé la terre meuble à l’aide de son épée, dégageant un trou suffisamment large pour engloutir un homme et assez profond pour l’empêcher de remonter. Dans ce piège, elle avait disposé des piques taillées avec soin dans des branches solides. L’idée n’était pas seulement de ralentir son adversaire, mais de le condamner dès l’instant où il tomberait.
Puis, elle avait effacé toute trace de son labeur. Des branches fines placées avec minutie, des feuilles mortes dispersées, un camouflage aussi naturel que le sol qui l’entourait. Tout devait sembler intact. Enfin, elle avait tracé son piège psychologique. Elle avait allumé un feu. Une fumée grise, fine mais visible, s’éleva doucement dans l’air. Suffisamment pour attirer un œil aguerri. Pour lui faire croire qu’elle était là, vulnérable. Elle avait laissé des empreintes bien visibles autour du feu, des branches cassées sur son passage, un sentier qu’un prédateur suivrait naturellement. Puis, elle s’était cachée.
Gorath apparut comme un fauve attiré par l’odeur du sang. Sa silhouette massive se découpa contre la lumière du jour déclinant, sa démarche lourde et assurée. Il ne se cachait pas. Il n’avait pas peur. Il avançait comme un guerrier certain de sa victoire, son épée levée dans une poigne brutale. Aélis, perchée sur une branche épaisse au-dessus de son piège, retenait son souffle. Gorath suivait exactement le chemin qu’elle avait tracé pour lui. Elle observa sa mâchoire se contracter lorsqu’il aperçut les empreintes, le feu mourant encore fumant. Il pensa l’avoir trouvée. Son regard s’illumina d’un éclat carnassier.
Un pas. Il s’approchait. Un autre. Son poids fit légèrement craquer une branche sous ses pieds. Encore un. Il était juste devant la fosse. Aélis serra les dents. Fais-le. Gorath avança, prêt à bondir… Le sol s’effondra sous lui. Un cri bref, un grondement de surprise, puis un bruit sourd.
Aélis descendit immédiatement de son arbre, précise, rapide, implacable. Elle atterrit au bord du trou, ses yeux fixés sur son ennemi. Gorath s’était empalé sur les piques, son torse puissant transpercé, sa respiration sifflante de douleur et de colère. Mais il vivait encore. Son regard furieux se planta dans celui d’Aélis.
— Sale petite…
Elle n’attendit pas la suite. Son épée fendit l’air. Un seul mouvement, net, sans hésitation. La tête de Gorath roula dans la fosse. Puis le Quickening l’engloutit. Une explosion de lumière déchira la clairière. Les éclairs s’infiltrèrent en elle, brûlants, déchaînés, fusionnant avec son être. Des fragments de mémoire, des émotions brutales, une force colossale s’abattirent sur son corps. Elle serra les poings. Elle tint bon. Le silence retomba comme un couperet. Son collier s’éteignit. Gorath était mort.
Aélis ouvrit les yeux. Elle était en vie. Mais le Jeu n’était pas terminé.
Methos ne bougeait plus, figé dans l’ombre d’un rocher, son regard rivé sur les cartes flottant dans le ciel. Il ne voyait rien d’autre, ne cherchait même plus à deviner ce qui se passait ailleurs dans la réserve. Il n’y avait plus que ce décompte cruel, ces chiffres qui défilaient inexorablement sous deux cartes. Le Valet de Cœur. Le Sept de Cœur.
Aélis. Elle était en train de se battre. Contre qui, il l’ignorait. Il n’avait aucune certitude sur l’identité de l’autre survivant. Il savait seulement que c’était le dernier obstacle avant un dernier combat qui signerait la fin de cette manche. Une victoire ou une mort. Il n’y avait pas d’autre issue. Il serra les mâchoires, incapable de détacher son regard du ciel, comptant presque malgré lui les secondes qui s’égrenaient. Il connaissait Aélis, connaissait sa détermination, son intelligence, mais aussi ses failles. Avait-elle sous-estimé son adversaire ? S’était-elle engagée dans un duel qu’elle ne pouvait pas gagner ? Il imaginait l’affrontement, sans même pouvoir en distinguer le moindre bruit, chaque instant qui s’étirait ne faisant qu’alimenter cette angoisse sourde qui s’insinuait en lui.
Puis soudain, le décompte disparut. Il sentit son souffle se bloquer alors qu’une seconde de silence s’abattait sur lui. Son regard se porta immédiatement sur les cartes, une tension glaciale s’emparant de son corps tout entier. Une seule chose pouvait provoquer cela. Le Valet de Cœur se grisa lentement, s’éteignant définitivement. Elle avait gagné.
Un flot d’émotions contradictoires s’abattit sur lui, un soulagement violent qui se heurta presque immédiatement à une autre certitude, encore plus brutale. Il laissa échapper un long soupir, ses épaules s’affaissant légèrement sous le poids de cette vérité implacable. Il n’y avait plus qu’eux.
Lui et Aélis. Deux cartes encore en jeu. Le 7 de Cœur. Le deux de Pique.
Le soulagement d’un instant se mua en une tension nouvelle, plus insidieuse, plus vicieuse encore. Il avait passé des siècles à éviter les combats inutiles, à fuir plutôt qu’à se battre. Il avait survécu non pas par la force, mais par l’intelligence et l’esquive. Mais ici, dans cette prison qu’ils avaient façonnée pour eux, il savait que la fuite n’était plus une option. Il sentit son cœur s’accélérer, sa respiration devenir plus lente, plus mesurée. Ils savaient tous les deux ce que cela signifiait. Un dernier combat. Un duel qui ne devait pas avoir lieu. Et pourtant…
Il leva de nouveau les yeux vers les cartes, fixant leur immobilité trompeuse, s’attendant presque à voir les chiffres réapparaître. Ce n’était qu’une question de temps. Il se passa une main sur le visage, tentant d’éloigner l’idée qui s’imposait déjà trop clairement à son esprit. Allaient-ils vraiment en arriver là ?