Le Prix à payer - Highlander Fanfiction
Chapitre 38 : Quand le Destin se Joue de Nous
11211 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a 4 mois
Qumrân, 2146
Le retour fut abrupt et déconcertant, comme si le temps lui-même avait retenu son souffle avant de se relâcher brusquement. Aélis se retrouva là où elle avait quitté le futur, les genoux enfouis dans le sol aride du desert. L’air semblait différent, plus dense, comme s’il portait encore les traces de sa traversée. Tout était à la fois identique et étrangement décalé. Elle posa une main sur le sol pour se stabiliser, son esprit oscillant entre deux réalités.
Jehan se tenait à quelques mètres d’elle, une silhouette immobile, les bras croisés, ses yeux plongés dans les siens. Son regard était énigmatique, mélange de curiosité et de quelque chose d’indéchiffrable. Une lueur froide traversa son visage, mais ses traits restèrent impassibles, comme un masque de marbre. Il n’avait pas bougé depuis son arrivée, mais Aélis sentit que son esprit travaillait, analysant chaque détail d’elle, chaque micro-expression.
Elle se redressa lentement, sa respiration mesurée malgré l’effervescence de ses pensées. Ses cheveux longs et emmêlés glissèrent devant ses épaules, dissimulant partiellement son corps, mais elle ne tenta pas de se couvrir davantage. Le mélange de ses souvenirs la déstabilisait. Elle était partie il y a une heure… et pourtant deux mille ans s’étaient écoulés. Les images du passé, ses émotions d’alors, se superposaient à celles du présent. Tout s’entremêlait dans une rivière unique, deux affluents qui s’étaient enfin rencontrés en une seule et inexorable course. Elle fixa Jehan, cherchant désespérément une réponse dans ses yeux. Son cœur battait contre sa poitrine avec une insistance douloureuse. Savait-il ? Se doutait-il de ce qu’elle avait fait ? Le savait-il depuis le début ? Une tension insupportable s’étira entre eux, chaque seconde semblant alourdir l’atmosphère déjà chargée. Aélis ouvrit la bouche pour parler, mais aucun mot ne vint. Jehan resta silencieux, ses bras toujours croisés, son regard perçant.
La vibration les interrompit. Un frisson familier, à la fois dérangeant et intime, traversa l’air. Tous deux ressentirent simultanément la présence d’un troisième immortel. Aélis se figea, son souffle suspendu. Cette signature, elle l’aurait reconnue entre mille. Soleman. L’incrédulité fit place à une stupeur profonde. Elle venait de lui dire adieu dans le passé. Il s’était sacrifié pour elle dans le présent. Comment cela pouvait-il être possible ? De l’ombre émergea une silhouette. La carrure imposante, le port noble, le visage à demi éclairé par la lumière douce de la lune. Il s’arrêta à quelques pas d’eux, une épée levée, pointée droit sur Jehan. Ses traits étaient marqués par une détermination inébranlable, mais ses yeux trahissaient une douceur familière, celle d’un ami retrouvé.
— Soleman… murmura-t-elle, sa voix brisée par la surprise et l’émotion. Comment est-ce possible ?
Un sourire presque imperceptible courba les lèvres de l’immortel, mais il ne baissa pas son arme.
— Le destin, répondit-il calmement. Une force que nous aimons blâmer pour justifier nos échecs ou accepter nos pertes. Mais aujourd’hui, j’ai décidé que ce serait moi, et non le destin, qui choisirait mon sort.
Sa voix était profonde, emplie de cette gravité qui semblait à la fois inviter à la réflexion et imposer le respect. Il poursuivit, son ton devenant plus introspectif :
— Certains disent que le destin est immuable. Que nous sommes des marionnettes dans une pièce écrite depuis des millénaires. Moi, je refuse cette idée. S’il existe un destin, il devra me vaincre pour me soumettre.
Aélis sentit une chaleur familière l’envahir à ses mots, une force qu’elle avait cru perdue. Mais son esprit vacillait encore.
— Mais… tu t’es sacrifié… Tu as sauvé ma vie. Comment peux-tu être ici, vivant ?
Soleman baissa légèrement son épée, relâchant une partie de la tension, mais pas assez pour que Jehan baisse sa garde.
— Parce que je savais ce qui allait arriver, répondit-il simplement. J’ai pris mes précautions.
— J’ai changé le cours du combat, reprit-il après une pause. J’ai fait s’effondrer des pierres massives sur la Montagne avant qu’elle ne t’atteigne. Une fois certain que tu étais en sécurité, je me suis enfui. Depuis, j’attends ici… prêt à te protéger si nécessaire.
Son ton devint plus grave, chargé d’une sincérité désarmante.
— Darius a choisi de ne pas intervenir. Il a décidé de respecter le cours naturel des choses. Je l’ai compris, mais je ne pouvais pas m’y résoudre. Si d’autres choisissent d’accepter la fatalité, moi, j’ai choisi de vivre.
Les paroles de Soleman laissèrent un silence dense, un vide soudain où même le vent semblait retenir son souffle. Aélis sentit une vague glaciale lui remonter le long de l’échine, lente et implacable. Chaque mot résonnait en elle comme une condamnation silencieuse. C'était si simple, pourtant : Il avait choisi d’agir. Il avait refusé la fatalité. Il avait défié le destin. Et elle ? Elle n’avait rien fait. Rien d’autre que survivre, portée par son propre désir égoïste.
Soleman l'observa, et dans ses yeux, il n'y avait ni colère ni reproche, seulement cette lucidité désarmante qui la transperçait plus sûrement qu'un coup de lame.
— Tu avais le savoir, Aélis, souffla-t-il, sa voix basse mais chargée d'un regret sincère. Pourquoi n’as-tu rien fait ?
Elle voulut répondre. Trouver un mot, une excuse, quelque chose pour justifier tout ce vide qu’elle avait laissé derrière elle. Mais aucun son ne sortit. Sa gorge était nouée, sa langue lourde d’un silence qu’elle n’avait plus la force de rompre. Parce qu’elle le savait. Il avait raison. Les paroles de son ami laissèrent un vide dans lequel Aélis sentit le poids de ses propres manquements s’abattre comme une chape de plomb. Mais ce n’était pas un regret abstrait, diffus. C’étaient des images, précises et brûlantes, qui remontaient, une à une, et qui s’imposaient avec une violence qu’elle ne pouvait plus contenir.
Elle revit Paris. La Saint-Barthélemy. Les corps entassés dans les ruelles, l’odeur du sang qui poissait l’air, les cris qu’elle avait cru ne jamais pouvoir oublier. Elle s’était tenue là, dans cette nuit d’août 1572, sachant que quelque chose se tramait. Elle avait entendu les murmures dans les tavernes, perçu les regards fuyants, senti l’imminence du drame. Elle avait eu les moyens d’intervenir. De prévenir. Peut-être même d’empêcher. Mais elle n’avait rien fait. Puis la Seconde Guerre mondiale. Elle en avait vu les signes avant tout le monde. Dans les rues de Paris encore, dans ces ombres qui s’allongeaient trop vite sur les visages fermés, dans les conversations qui s’éteignaient quand elle passait. Elle avait senti cette peur, ce frisson glacial annonciateur du pire. Elle savait ce qui approchait. Et pourtant, là aussi, elle avait fui. Parce qu’elle avait toujours fui. Chaque fois, elle avait détourné les yeux. Elle avait trouvé mille excuses : ce n’était pas son rôle, ce n’était pas son combat, Jehan lui avait dit de ne pas interférer… ou peut-être, au fond, avait-elle simplement préféré ne pas porter le poids de ces choix. Mais il y avait eu Alexandre. Horton. Et cette fois, ce n’était pas l’Histoire qu’elle avait regardée de loin, impuissante ou résignée. Cette fois, elle avait eu une chance. Une occasion. Une clé tendue dans le silence du destin. Mais elle avait échoué.
— Je suis restée immobile, murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour Soleman. Depuis toujours. J’ai vu venir le pire, et je n’ai rien fait. Ni pour ce monde, ni pour ceux qui y vivaient. Tout ce que j’ai su faire… c’est courir après Darius.
Une pensée brutale s’imposa à elle, un éclat de lucidité qui la fit vaciller. Je me suis raconté que c’était pour préserver le cours du temps. Que ce n’était pas à moi de changer l’Histoire… Mais c’était plus simple que ça. Plus lâche. Je voulais juste retrouver Darius. Et tout le reste pouvait bien s’effondrer, tant que j’étais sur ses traces.
Le silence autour d’elle pesa soudain plus lourd. Elle leva les yeux vers Soleman. Il ne disait rien. Il ne détournait pas les yeux. Elle sentit ses bras se resserrer autour d’elle, comme si elle voulait empêcher son propre corps de se disloquer sous le poids de ces révélations. Elle avait été spectatrice du monde. Éternelle passagère d’une histoire qu’elle s’était contentée d’observer derrière les pas de Darius.
— Peut-être que je n’ai pas été aussi forte que toi, murmura-t-elle, la voix brisée, rauque, comme arrachée à sa gorge.
Soleman la fixa longuement, avec cette façon de regarder qui n'était jamais dure, mais toujours exacte. Son regard voyait tout. Même ce qu'elle n'avouait pas.
— Ce n’est pas une question de force, Aélis. C’est une question de choix.
Elle releva lentement les yeux vers lui, cherchant à y déceler de la colère, du mépris peut-être. Mais non. Juste cette vérité nue qu’il savait prononcer sans haine.
— Moi aussi, j’ai eu peur, reprit-il. Mais j’ai agi. J’ai pris le risque de me tromper. Pas pour être un héros. Pas parce que je pensais que ça marcherait forcément. Juste parce que je savais que je ne pourrais pas vivre en sachant que je n’avais rien tenté.
Ses mots étaient calmes, posés, et c’est ce qui les rendait plus lourds encore. Elle sentit la brûlure familière dans sa poitrine, ce feu acide qui la consumait lentement depuis son retour. Tout ce temps... tout ce voyage… Et pour quoi ? Elle avait cru chercher Darius, mais c’était surtout elle-même qu’elle avait fui.
— J’ai suivi Darius, souffla-t-elle. C’est tout ce que j’ai fait. J’ai traversé les siècles en pensant qu’il suffisait d’aller vers lui… encore et encore. J’ai passé ma vie à marcher dans ses pas sans jamais lever les yeux pour regarder ce qu’il y avait autour de moi.
Ses doigts tremblaient légèrement, et elle dut inspirer profondément pour ne pas vaciller. Puis, d’une voix encore plus basse, comme si la question elle-même la brûlait :
— Et si… Et si j’avais essayé ? Si j’avais fait comme toi ? Si j’avais pris ce savoir que j’avais et que je l’avais utilisé pour empêcher ce qui devait arriver ? Et si, pour une fois, j’avais fait autre chose que poursuivre mon propre passé ?
Soleman resta immobile. Il la laissa vider ce qu’elle avait à dire, sans l’interrompre, sans combler les silences. Et lorsqu’il répondit enfin, ce fut simplement :
— Peut-être que tu aurais échoué. Peut-être que tu n’aurais rien pu empêcher. Peut-être même que ça aurait été pire. Mais… au moins, tu n’aurais pas détourné le regard, tu aurais essayé.
Et elle sut que c’était là, le vrai drame. Elle avait eu ce que tant d’autres n’avaient jamais eu : la connaissance, la mémoire, les avertissements du futur. Elle avait vécu avec des siècles d’avance sur les autres… et elle avait laissé faire. Elle sentit un frisson la parcourir. Oui. Essayer. Rien que ça. Elle baissa les yeux, secoua lentement la tête, incapable d’accepter cette évidence.
— Mais maintenant, c’est trop tard.
Soleman inclina légèrement la tête, ses traits impassibles, mais ses yeux lourds d’une compassion silencieuse.
— Ça, tu n’en sais rien.
Et dans le silence qui suivit, Aélis sut qu’il avait raison. C’était ça, la pire des tragédies : Elle ne le saurait jamais.
D’un geste lent et automatique, elle se détourna pour récupérer ses vêtements, laissant la conversation en suspens. Elle commença à se rhabiller, ses gestes mécaniques, sa tête baissée. La chaleur familière du bracelet en cuir tressé que Darius lui avait offert frôla sa peau, et un frisson la traversa. Elle s’arrêta un instant, fixant l’objet. Puis, dans un mouvement empreint de gravité, elle le rattacha à son poignet, serrant le cuir usé comme une ancre dans ce tumulte intérieur. Jehan observait toujours en silence.
Une fois vêtue, Aélis tourna lentement la tête vers Jehan, ses yeux se fixant sur lui comme une lame prête à transpercer un voile de silence. Sa voix s’éleva, empreinte de colère et de douleur mêlées.
— Tu savais… n’est-ce pas ? Depuis le début, tu savais que c’était moi qui avais pris leur vie.
Jehan resta silencieux, son regard se perdant dans les dunes au loin. Puis, lentement, il acquiesça, un mouvement à peine perceptible, mais suffisant pour faire vaciller Aélis. Elle recula d’un pas, comme si son monde venait de s’effondrer une fois de plus.
— Alors pourquoi ? souffla-t-elle, sa voix se brisant sous l’émotion. Pourquoi m’y avoir envoyée ? Pourquoi avoir choisi de reproduire ce cycle infernal, en sachant ce que cela signifierait ? Pourquoi n’avoir rien fait pour empêcher tout ça ? Pourquoi proposer ce voyage, cette quête ? Rien de tout cela ne se serait produit si tu ne m’avais pas forcée à retourner dans ce passé maudit !
Jehan soupira profondément, ses traits empreints d’une lassitude presque tangible.
— Ce n’est pas si simple, murmura-t-il, sa voix alourdie par une peine qu’il ne cachait plus.
Aélis sentit une vague de frustration monter en elle, brûlante, incontrôlable.
— Alors explique-moi, Jehan ! s’écria-t-elle, sa voix résonnant entre les roches du désert. Je suis revenue pour des réponses, pas pour ton silence ! Je mérite de comprendre. Soleman aussi.
Il croisa les bras, les doigts crispés, et plongea son regard dans celui d’Aélis.
— Au départ, je croyais que le passé ne pouvait pas être modifié, commença-t-il d’une voix lente et mesurée. Je pensais que tout était immuable, que nous étions des acteurs enfermés dans un scénario déjà écrit. Si je t’ai envoyée dans le passé, c’était parce que je n’avais pas d’autre choix. J’étais convaincu qu’intervenir serait inutile… que nous étions tous prisonniers de cette boucle.
Il marqua une pause, cherchant ses mots.
— Pourtant j’ai tenté, à ma manière, de briser ce cercle vicieux. Quand je t’ai demandé de promettre que tu ne prendrais la vie d’aucun mortel, je croyais que cela suffirait. Que peut-être, cette promesse empêcherait ce qui devait arriver.
Ses traits se contractèrent, la douleur de ses souvenirs devenant visible.
— Je ne connaissais pas… je ne connais toujours pas les raisons qui t’ont poussée à incendier cette église. Pourquoi eux ? Pourquoi ce jour-là ?
Aélis sentit son cœur se serrer. Elle détourna le regard un instant, cherchant à contenir sa honte et son désarroi.
— Alors cette promesse… c’était pour ça, murmura-t-elle, la voix lourde de regrets.
Elle inspira profondément avant de reprendre, les yeux fixés sur Jehan.
— Jehan, je n’ai jamais voulu les tuer. C’était un malentendu, une histoire de vengeance personnelle qui a mal tourné.
— Je suis désolée, ajouta-t-elle dans un souffle.
Jehan la dévisagea un instant, mais son visage demeura impassible.
— Désolée, répéta-t-il doucement. Peut-être que c’est vrai. Mais cela ne change rien à ce qui s’est passé, n’est-ce pas ?
Il ferma les yeux, inspirant profondément pour se maîtriser, avant de continuer :
— Ce que Soleman vient de révéler… cela change tout. Je n’imaginais pas qu’on puisse défier les lois du temps. Que l’on puisse choisir, malgré tout, un autre chemin.
Aélis fronça les sourcils, sa colère toujours présente, bouillonnant sous la surface.
— Et ça te suffit comme excuse ? dit-elle, un éclat d’amertume dans la voix.
— Non, répondit-il. Parce qu’il y a d’autres raisons.
Son regard se durcit légèrement, et une ombre passa sur ses traits.
— Je voulais me venger de toi, lâcha-t-il avec une froideur qui fit frissonner Soleman et Aélis. En t’envoyant dans le passé, je t’ai condamnée à sceller ton propre destin. Tu devais revivre cette boucle, commettre cet acte, et en subir les conséquences.
— Mais pourquoi ? murmura Aélis, la gorge serrée.
— Parce que je voulais que tu ressentes ce que j’ai ressenti. La perte. La souffrance. Tu as connu la mort de Darius, et je voulais que cette douleur te hante, comme la mienne me hante depuis des siècles.
Aélis recula, son esprit vacillant sous le poids de ses paroles. Soleman, qui avait gardé le silence, le regardait avec une colère contenue, son épée toujours prête. Mais Jehan n’avait pas fini.
— Et il y avait une troisième raison, reprit-il, sa voix se faisant plus douce, presque brisée.
— Laquelle ? demanda Aélis, le cœur battant à tout rompre.
Il ferma les yeux un instant avant de murmurer :
— Par amour.
Ces mots tombèrent comme une pierre dans un lac, provoquant des ondulations silencieuses dans l’air chargé du désert. Aélis le fixa, incrédule.
— Par amour ? répéta-t-elle, abasourdie. Non, Jehan. Non, je ne comprends pas. Comment peux-tu, par amour, laisser ta famille se faire massacrer ?
Jehan secoua lentement la tête, un sourire triste étirant ses lèvres.
— Il ne s’agissait pas d’eux, répondit-il. Oui, je les ai aimés. Oui, leur perte a été un déchirement. Mais ils étaient mortels. Leur existence était éphémère.
— Alors de quoi s’agissait-il ?
Il la fixa intensément, son regard chargé d’une douleur qu’il n’avait jamais partagée.
— Callestina, dit-il dans un souffle.
Le nom de sa rivale résonna comme une détonation dans l’esprit d’Aélis. Elle sursauta, ses yeux s’écarquillant de surprise.
— Callestina… répéta-t-elle, le mot semblant étranger sur ses lèvres.
— Je l’ai rencontrée ce jour-là, confessa l’immortel, sa voix tremblante. Lorsque les flammes ont ravagé notre quartier. J’avais mis mes enfants à l’abri dans l’église. Et c’est là qu’elle est arrivée, poursuivie par un immortel. Elle était terrifiée, à bout de forces. Nous nous sommes réfugiés ensemble, tous les cinq.
Son visage se crispa alors qu’il poursuivait.
— Nous avons perdu connaissance, asphyxiés par la fumée avant de comprendre ce qui se passait. Quand Callestina et moi nous sommes réveillés, le feu avait déjà pris. Mes enfants… ma famille… ils étaient partis. Mais Callestina était là. Elle m’a aidé à surmonter ma peine. Elle m’a soutenu, elle m’a aimé. Et moi, je l’ai aimée en retour. Alors oui, j’ai fait tout cela par amour. Sans la perte de ma famille, je ne l’aurais jamais rencontrée.
Aélis et Soleman restèrent figés, leurs esprits s’embourbant dans le chaos de la révélation. Les mots de Jehan résonnaient encore en eux, lourds de douleur et de vérité. Callestina. Ce nom, une cicatrice à peine refermée, venait de rouvrir une blessure béante. L’amour de Jehan pour cette femme, son acceptation presque stoïque de la perte de sa famille au nom de cette rencontre, semblait défier toute logique, tout instinct humain. Le silence s’étira, pesant et oppressant. Aélis ouvrit la bouche, prête à répondre, mais aucun mot ne vint. Une tension subtile, comme un avertissement invisible, s’insinua soudain dans l’air. Soleman fut le premier à le sentir. Son instinct, affûté par des siècles de combats et de survie, lui envoya une alerte silencieuse. Il tourna légèrement la tête, ses yeux scrutant les environs. L’atmosphère avait changé. Quelque chose n’allait pas.
Puis ils les virent. Des points rouges lumineux, froids et précis, dansant sur leurs poitrines. Trois cibles parfaitement alignées, vibrant légèrement sous l’effet du vent. Soleman réagit immédiatement, pivotant pour interposer son corps devant Aélis, mais il était déjà trop tard. Une rafale de détonations éclata, violente et brutale, brisant le silence du désert comme un coup de tonnerre. Les impacts furent instantanés, implacables.
Les trois immortels s’effondrèrent en même temps, leurs corps frappés par des projectiles invisibles, sombrant dans une inconscience glaciale.
Le réveil fut brutal, comme une secousse arrachée à l’inconscience. Aélis ouvrit les yeux, et un instant, tout ne fut que flou : une lumière blanche, crue, et le bourdonnement sourd d’un moteur. Ses membres étaient lourds, son esprit embrouillé. Lentement, elle reprit conscience de son environnement. Elle était assise, immobilisée dans un siège englobant, ses bras et ses jambes maintenus par des harnais invisibles mais rigides. La matière sous elle était froide, lisse, presque organique dans sa texture, et tout autour régnait un silence étrange.
Le véhicule dans lequel elle se trouvait semblait voler, traversant l’air à une vitesse vertigineuse. Ses murs étaient d’un blanc immaculé, dépouillés, ne laissant aucun indice sur l’extérieur. Aélis tenta de bouger, mais ses mouvements étaient entravés par le siège qui semblait s’adapter à chacun de ses gestes pour les contrecarrer. Elle ne pouvait voir ni Soleman ni Jehan, mais elle savait qu’ils étaient là, quelque part dans ce même engin. La solitude imposée par cette disposition ajoutait à l’angoisse, renforçant l’idée qu’ils étaient des pions, déplacés sur un échiquier par des forces qu’ils ne contrôlaient pas. L’esprit d’Aélis s’embrasa de questions sans réponses, mais elle n’eut pas le temps de chercher des solutions.
Le véhicule ralentit soudain, une vibration sourde parcourant sa structure, et avant qu’elle ne puisse comprendre ce qu’il se passait, elle fut brusquement extraite de son siège. L’arrivée à l’Arena d’Ouraï fut un choc brutal, un retour dans un cauchemar qu’elle avait tenté d’oublier. Dès qu’ils furent descendus du véhicule, les trois immortels furent séparés, chacun conduit dans une direction différente.
Aélis fut conduite dans un espace clos, une salle exiguë qui évoquait une attente oppressante. Les murs blancs et lisses semblaient absorber la lumière, tout comme le sol qui ne renvoyait aucun écho de ses pas. Une surface plane et immaculée occupait le centre de la pièce, sur laquelle étaient disposés des objets qui lui semblèrent à la fois familiers et étrangers. Elle les reconnut immédiatement : ses affaires de combat, celles qu’elle avait séléctionnées la veille, une éternité et quelques heures plus tôt à la fois. Elle passa la main sur l’armure, ressentant un étrange mélange de nostalgie et de détermination.
Alors qu’elle se changeait, chaque pièce de l’armure trouvant sa place sur son corps, ses pensées se tournèrent vers le combat annoncé. Elle se souvenait des mots prononcés la veille : Theron. Elle ferma les yeux un instant, cherchant dans sa mémoire l’image de cet adversaire : un homme imposant, sa barbe sombre accentuant la dureté de son regard. Elle se rappela la peur panique qu’il avait éveillée en elle, cette terreur viscérale qu’elle avait ressentie en tant que jeune immortelle, presque inexpérimentée. À l’époque, elle savait qu’elle ne pourrait pas sortir vivante d’un duel contre lui. Mais aujourd’hui, tout avait changé. Pas loin de deux mille ans s’étaient écoulés, ponctués d’innombrables combats, de batailles acharnées et de siècles d’entraînement. Aélis n’était plus cette jeune femme fragile. Theron ne lui faisait plus peur. Elle pouvait presque sentir un sourire se dessiner sur ses lèvres à cette pensée. Malgré l’horreur de cette situation, malgré le poids de ce retour dans l’Arena, elle ne put s’empêcher de ressentir une pointe d’excitation. L’idée de combattre sous les yeux de ses amis, de leur montrer ce qu’elle était devenue, faisait battre son cœur un peu plus vite. Une guerrière, pensa-t-elle. Une Aélis différente, prête à livrer un combat inoubliable.
Elle finit de tresser ses longs cheveux châtains, les attachant solidement pour qu’ils ne la gênent pas. Elle se regarda brièvement dans le reflet déformé d’une des surfaces lisses de la pièce. Ses yeux verts brillaient d’une intensité féroce, et son expression était celle d’une femme qui n’avait plus rien à perdre. Elle serra la poignée de son épée, sentant son poids familier dans sa main. Debout face à la porte, elle patienta, immobile. L’armure moulait son corps élancé, accentuant sa silhouette athlétique. Elle respirait lentement, profondément, chaque souffle maîtrisé, comme une prière silencieuse avant la tempête. Son regard était dur, déterminé. Elle ressemblait à une statue vivante, une guerrière sculptée dans le marbre.
Ses pensées s’échappèrent un instant vers Methos, Astrid et Zafira. Mais elle les repoussa rapidement. Non, ils ne me reconnaîtront pas, pensa-t-elle, un sourire froid et figé se dessinant sur ses lèvres. Ils ne s’attendent pas à ça.
Aélis fixait toujours la porte, ses yeux verts brillants d’une intensité presque surnaturelle. Elle était immobile, son épée pendante à sa main droite, le poids familier de l’arme ancrant son esprit dans la réalité. Pourtant, une tension sourde lui nouait la poitrine. Elle ne pouvait détacher son regard de la porte, comme si elle espérait que sa simple volonté suffirait à l’ouvrir, ou peut-être à la faire disparaître. Le silence de la pièce était étouffant, mais soudain, un grondement métallique s’éleva, suivi d’une voix amplifiée qui fit vibrer l’air.
— Mesdames et Messieurs, chers spectateurs, nous voici en direct pour cette cinquième journée du Jeu qui promet d’être palpitante !
Aélis retint son souffle, ses muscles se tendant instinctivement. La voix, suave et théâtrale, semblait emplir chaque recoin de l’Arena. Elle savait ce qu’elle annonçait : du sang, du spectacle, des vies immortelles jouées sur un pari cruel.
— Un petit incident ayant perturbé le nombre de participants, poursuivit la voix, nous vous proposons aujourd’hui un duel inédit !
Les mots s’insinuèrent dans son esprit comme un avertissement glacial. Un incident ? Elle sentit son rythme cardiaque s’accélérer, ses pensées virevoltant entre Soleman et Jehan. Parlaient-ils d’eux ?
La voix continua, implacable, son ton teinté d’une fausse légèreté, comme si elle savourait le suspense qu’elle entretenait :
— Deux nouveaux participants nous ont rejoints aujourd’hui, une surprise inattendue, mais qui a rebattu les cartes de cette journée que je vous promets mémorable !
Les mots lui parvinrent comme un coup porté à l’estomac. Chaque mot résonnait comme une sentence, et elle sentit son souffle se bloquer.
— Mais pour ne pas faire durer le suspense plus longtemps, voici comment va se dérouler cette cinquième journée. Les trois premiers combats auront lieu normalement. Vous avez déjà placé vos paris, rien ne changera.
Aélis inspira doucement, s’efforçant de calmer la panique qui montait en elle. Mais elle n’était pas prête pour ce qui suivit.
— Le quatrième, cependant, va évoluer. Vous deviez assister à la rencontre de la fougue de la jeunesse contre celle de la force tranquille. Aélis contre Theron !
Son cœur manqua un battement. Son nom résonna dans la pièce comme une sentence. Elle déglutit difficilement, une sueur froide parcourant son dos. Mais la voix n’en avait pas fini :
— Je vous propose de revoir vos paris. Le quatrième duel verra Aélis affronter Soleman, l’un de nos nouveaux arrivants, rapide, féroce, d’une efficacité redoutable !
Le monde sembla s’écrouler autour d’elle. Elle sentit son sang se figer, son cœur manquer un battement. Soleman. Ils voulaient qu’elle affronte Soleman. Celui qu’elle avait pleuré. Celui qu’elle venait à peine de retrouver, miraculeusement vivant, comme un dernier espoir au milieu du chaos. Et maintenant, ce même destin moqueur la forçait à lever l’arme contre lui. C’était grotesque. Une punition. Une ironie cruelle cousue de fil noir, comme si tout ce qu’elle avait tenté de préserver, tout ce qu’elle avait refusé d’affronter auparavant, se retournait contre elle en une sentence implacable. Elle n’avait pas su choisir ses batailles autrefois. Cette fois, on lui en imposait une, sans qu’elle puisse fuir.
Elle sentit un frisson la parcourir tandis que la voix continuait, insensible au vertige qui la saisissait :
— Soleman est une légende parmi les immortels, un guerrier aux réflexes éclairs et à la ruse sans pareille. Habile stratège, il manie l’épée avec une précision chirurgicale et une brutalité maîtrisée. Face à lui, la jeune Aélis, à peine cent cinquante ans mais déjà tenace et terriblement efficace ! Deux destins entrelacés, deux forces de la nature. Qui triomphera ?
Elle ferma les yeux un instant. Ils voulaient un spectacle. Ils voulaient les voir s’écorcher, se briser, détruire ce qu’il restait de leur humanité devant des milliers d’yeux avides.
Ils voulaient qu’elle devienne ce qu’elle avait toujours refusé d’être : une arme. Dans son esprit, la seule décision qu’elle crut possible se forma avec une évidence glaciale. Elle allait perdre. Volontairement. Elle n’aurait pas cette victoire sur Soleman. Jamais. Mais aussitôt cette pensée esquissée, elle sentit l’écho du regard de Soleman peser sur elle. Elle n’avait même pas encore osé le chercher des yeux, mais elle savait. Il ne l’accepterait pas. Il refuserait de la voir se sacrifier pour lui, tout comme il avait refusé autrefois qu’elle détourne les yeux face au chaos. Soleman ne voulait pas d’une victime. Pas d’elle.
« Tu avais le savoir, Aélis. Pourquoi n’as-tu rien fait ? » Ces mots résonnaient encore dans sa tête. Cette question, qu’il avait formulée avec tant de calme, tant de lucidité, lui revenait maintenant en pleine poitrine. Et si perdre maintenant, volontairement, c’était encore fuir ? Encore reculer devant ce qu’elle était censée devenir ? Non… Il n’y avait aucune issue. Pas cette fois. Ils la forçaient à choisir dans un piège parfait : se battre contre celui qu’elle aimait comme un frère… ou s’effacer et le condamner à la honte et à la mort à sa place. Quoi qu’elle fasse, elle y perdrait quelque chose de vital. Elle serra les poings, les ongles enfoncés dans ses paumes jusqu’à la douleur. Le Jeu ne les opposait pas seulement sur le sable de l’arène. Il la mettait face à ses contradictions, à ses faiblesses, à ses renoncements passés. Et elle comprit que même ici, même maintenant, tout reposait encore sur ses choix.
La voix continua, s’adressant aux spectateurs avec un enthousiasme exagéré :
— Et pour ce duel inédit, vous pourrez placer vos paris jusqu’à dix minutes avant le combat !
Elle savait qu’en cet instant, quelque part dans l’Arena, des hologrammes d’elle et de son ami étaient projetés pour captiver les foules. Elle pouvait presque les imaginer, ces images lisses et impeccables, capturant la férocité dans leurs regards, la puissance dans leurs postures. Des caricatures. Rien de plus.
Lorsque la voix annonça le début des combats, Aélis sentit le sol vibrer sous ses pieds, Lentement, la porte devant elle s’ouvrit, laissant entrer un souffle d’air plus froid. Mais un mur invisible l’empêchait de sortir. Elle comprit qu’elle devait attendre, observer, et subir l’attente comme une torture supplémentaire. Devant elle, une ouverture lui permettait de voir l’Arena. Le premier duel commença, et elle vit les combattants entrer sous les acclamations assourdissantes de la foule. Les coups d’épée résonnaient comme des claquements secs, le sang jaillissant en éclaboussures rouges sur l’arène dorée. Mais Aélis ne pouvait se concentrer sur ce spectacle. Son esprit était ailleurs, enchaîné à l’image de Soleman. « Il a toujours été meilleur que moi. Plus rapide. Plus fort. Plus rusé. » Elle le savait, et cela la terrifiait. Elle repensa à Methos, à la manière dont il l’avait toujours encouragée à progresser, mais aussi à sa manière de la protéger de ses propres limites. Il ne pourrait rien faire cette fois. Elle sentit un frisson lui parcourir l’échine. Peut-être que ce jour marquerait sa fin. Elle n’avait même pas obtenu les réponses qu’elle espérait de Jehan. Sa vie s’était construite sur des questions sans fin, et elle risquait de s’éteindre sans avoir trouvé la moindre certitude.
Deux autres combats se succédèrent, chacun plus brutal que le précédent, mais Aélis n’y prêta qu’une attention distraite. Son cœur était oppressé, comme si chaque battement l’éloignait un peu plus de son humanité. Soleman. Ce nom martelait son esprit, mêlant affection et angoisse. Combattre Soleman… et perdre. Combattre Soleman… et gagner. Aucune des issues ne lui semblait supportable.
Le nom d’Aélis résonna dans l’Arène, amplifié par des haut-parleurs qui semblaient projeter sa propre existence dans le vide. Elle sentit une vibration dans le sol sous ses pieds, comme si l’Arena elle-même respirait. Le mur invisible disparut, dissipé dans un souffle presque imperceptible, et elle avança. Ses pas résonnaient, lents et mesurés, sur le sol encore maculé des traces de sang des trois combats précédents. Chaque empreinte qu’elle laissait dans ce liquide séché semblait sceller un peu plus son propre destin.
Le hurlement de la foule, immense et vorace, s’abattit sur elle comme une vague. Des milliers de spectateurs rugissaient, avides d’un spectacle. Des cris, des paris, des encouragements ou des insultes indistinctes s’élevaient dans un chaos vibrant. Aélis n’entendait presque rien, pourtant. Leur frénésie n’était qu’un bourdonnement lointain dans son esprit, écrasé par le poids de ce qu’elle voyait devant elle.
Soleman.
Sa silhouette se dessinait à l’autre bout de l’Arène, marchant lentement vers elle. Ses pas étaient tout aussi calculés, sa démarche lourde de détermination. Il avançait comme un guerrier qui connaissait l’issue de ce combat, mais qui refuserait jusqu’au bout de se laisser abattre par son injustice. Soleman, celui qu’elle aimait comme un frère, celui qu’elle avait cru perdu à jamais. Et maintenant, il était là, au centre de ce cauchemar, destiné à devenir son ennemi mortel. Chaque pas qu’elle faisait résonnait dans sa tête comme une sentence. Son esprit bouillonnait. Elle se revoyait, dans d’autres combats, contre d’autres ennemis. Elle sentait les regards de ses amis, du public, des drones suspendus au-dessus d’elle, comme une force invisible qui la pesait. Elle n’était pas seulement une guerrière. Elle était un pion dans un jeu cruel, un divertissement pour une foule assoiffée de sang.
Ils s’arrêtèrent enfin, à une dizaine de mètres l’un de l’autre, et le monde sembla suspendre son souffle. Le rugissement de la foule s’effaça, lointain, comme si le vacarme était étouffé derrière une cloison invisible. À cet instant, il ne restait plus qu’eux deux. Deux âmes usées par les siècles, placées là comme des pièces sur un échiquier qu’ils n’avaient jamais voulu rejoindre. Aélis savait. Soleman savait. Ce soir, le sang serait versé, et les projecteurs du Jeu réclamaient leur tribut. Tout, autour d’eux, était devenu caricature : les applaudissements déchaînés, les paris hurlés, les promesses de gloire pour le survivant. Mais eux ne voyaient plus que ce gouffre absurde qui venait de s’ouvrir sous leurs pieds. Cette certitude glaciale qu’ils avaient perdu la partie avant même de dégainer la moindre lame.
Quand elle osa lever les yeux vers lui, ce fut comme heurter un miroir. Soleman la regardait déjà, et ce qu’elle lut dans ses prunelles lui serra le cœur. Pas de peur. Pas de haine. Mais ce poids silencieux qu’elle connaissait trop bien. La douleur d’avoir compris. La révolte de celui qui devine qu’il ne reste plus d’échappatoire. Et au fond, ce refus obstiné, inscrit dans la tension discrète de sa mâchoire, de la voir mourir pour lui.
« Ne fais pas ça », disait son regard. « Ne baisse pas ta garde. N’ose pas m’épargner. »
Elle lui répondit sans un mot, simplement par la détresse au fond de ses propres yeux, cette tristesse sourde qui criait qu’elle ne voulait pas lever l’arme contre lui. Mais elle savait aussi qu’il ne lui laisserait pas ce choix. Qu’il se battrait, qu’il jouerait son rôle jusqu’au bout, par respect pour elle autant que par instinct de survie. Parce que céder, fuir ou tricher n’étaient plus des options. Dans cet échange silencieux, il y avait tout ce qu’ils n’avaient pas le droit de dire : L’envie d’arrêter le temps. La certitude amère qu’ils étaient en train de devenir ce qu’ils avaient toujours refusé d’être : des pantins au service de la violence d’un autre. Le drame était écrit. Il ne leur restait qu’à lui donner un visage. Alors elle hocha imperceptiblement la tête, un accord muet. Soleman inclina légèrement le menton, acceptant l’inévitable. Ils comprenaient tous deux ce que l’autre s’apprêtait à faire. Pas par volonté. Pas par choix. Mais parce qu’ils n’étaient plus que les ultimes fragments d’une partie qu’on leur avait arrachée des mains.
La voix de l’Arena résonna à nouveau, interrompant leur échange silencieux. Le nom d’Aélis fut prononcé, accompagné d’une énième description de ses talents, presque moqueuse. Mais cette fois, un détail fut ajouté, sarcastique, hors contexte : une remarque sur ses cheveux, sur leur longueur, comme si cela avait une importance quelconque. Ses cheveux. La veille encore, elle les avait coupés courts, un souvenir de sa fuite lorsqu’elle tentait d’échapper à la traque des immortels menée par Horton. Mais deux mille ans étaient passés, et ils avaient repoussé, longs et épais, une nouvelle identité forgée dans le temps.
Elle leva les yeux vers l’un des drones qui lévitait devant elle, une machine froide et mécanique, observant chaque mouvement. Sans le quitter des yeux, elle saisit sa longue natte de la main gauche, ses doigts fermes mais délicats. Puis, avec une précision calculée, elle abattit son épée, tranchant la tresse d’un geste fluide. Elle jeta les cheveux au loin, ses yeux toujours ancrés dans ceux du drone, comme un défi silencieux. Elle tourna son regard vers Soleman, et leurs yeux se retrouvèrent. Ils se fixèrent, plongeant l’un dans l’autre comme s’ils cherchaient un refuge dans l’abîme de cette tragédie. Lentement, Aélis porta sa main droite à son cœur, un geste solennel, chargé de gravité. Ses doigts se posèrent là où battait encore sa vie, un serment silencieux. Soleman répondit, avec une lenteur égale. Sa main droite vint toucher son propre cœur, son regard sombre ne quittant pas celui d’Aélis. Ils n’avaient pas besoin de mots. En cet instant, ils se jurèrent mutuellement ce que le destin leur refusait : le respect, la mémoire, la promesse qu’ils ne s’oublieraient jamais.
Le peuple voulait un combat. Ils allaient en avoir un. Mais ce combat, ils le livreraient à leur manière. Avec tout ce qu’ils avaient. Une bataille digne de leur amitié, de leur respect mutuel. Une bataille inoubliable, même si l’un d’eux devait mourir ce soir. Dans leurs cœurs, dans leurs regards, ils gravèrent ce serment. Rien, pas même la mort, ne pourrait effacer ce qu’ils étaient l’un pour l’autre.
Le combat fut une tragédie magnifiquement chorégraphiée, un ballet d’acier et de volonté, un affrontement où chaque coup portait la charge de l’amour, de l’amitié et du désespoir. Aélis et Soleman se donnèrent entièrement, leurs corps en parfaite synchronisation, comme s’ils avaient répété cette danse des centaines de fois. Ils l’avaient fait, autrefois, lors de leurs entraînements, mais jamais ainsi, jamais avec une telle intensité ni un tel poids sur leurs épaules. Les épées claquaient dans l’air, des éclats métalliques se répercutant dans l’immensité de l’Arène. Leurs lames fendaient l’espace avec une précision mortelle, se rencontrant dans une symphonie rythmée qui capturait l’attention de chaque spectateur. Chaque pas, chaque mouvement, était calculé et fluide, un mélange de force brute et d’élégance. Soleman menait des assauts d’une technicité implacable, mais Aélis ripostait avec une finesse et une rapidité qu’elle avait perfectionnées au fil des siècles. Ils se connaissaient par cœur. Chaque feinte, chaque posture trahissait une familiarité douloureuse. Soleman savait comment elle bougeait avant même qu’elle ne le fasse, et elle anticipait ses attaques comme si elles étaient gravées dans sa mémoire. C’était une danse macabre, un échange parfait d’énergie et de mouvement, où l’horreur et la beauté se mêlaient.
La foule, captivée, était tombée dans un silence rare, comme si elle retenait son souffle devant la maestria des deux combattants. Aélis frappait, Soleman esquivait. Soleman avançait, Aélis contrait. Chaque geste semblait porter en lui la promesse d’une fin inévitable, mais aucun des deux ne ralentissait. Ils savaient que ce combat ne pouvait se terminer que d’une seule manière, et pourtant, ils continuaient à se battre, refusant d’abandonner, refusant de céder à l’horreur de ce qu’on leur imposait. Les minutes s’écoulaient, longues et douloureuses, mais pour eux, le temps semblait s’effacer. Tout ce qui restait, c’était cette danse funèbre, cette communion dans la violence, où l’amour et la haine se rejoignaient. Aélis sentait son souffle devenir plus lourd, ses muscles brûler, mais elle refusait de faiblir. Elle voyait la même fatigue dans les mouvements de Soleman, mais il n’abandonnait pas. Pas encore.
Et puis, tout changea.
Soleman fit un mouvement, une esquive qui, pour la première fois, manqua de précision. À peine perceptible, un instant suspendu dans l’éternité. Mais Aélis le vit, et son cœur se serra. Sa lame trouva une ouverture, transperçant sa garde et venant s’enfoncer dans son flanc. Le coup atteignit l’endroit exact où elle savait qu’il avait une tache de naissance, un détail qu’elle seule pouvait connaître. Elle laissa échapper un cri de stupeur, une douleur brute qui s’échappa de ses lèvres. Elle savait. Il l’avait laissé faire.
Soleman tomba à genoux, son épée glissant de ses mains pour se planter dans le sol ensanglanté. Son visage était pâle, mais ses yeux, toujours aussi sombres et profonds, la fixaient avec une douceur presque insupportable.
— Pourquoi ?! lui cria Aélis, la voix brisée, tremblante d’incompréhension.
Il ne dit rien, mais elle devina dans le sourire discret qu’il lui offrit : L’histoire d’une promesse qu’il avait choisi d’honorer, une fois de plus.
Aélis se figea, sa poitrine se serrant à cette pensée. Elle secoua la tête, comme pour nier l’évidence, mais elle savait ce que cela signifiait. Il avait pris cette décision bien avant de mettre un pied dans l’Arène. Elle inspira profondément, sentant les larmes monter mais refusant de les laisser couler. Il n’y avait plus d’échappatoire. Elle devait faire ce qu’on attendait d’elle, ce que Soleman lui demandait. Lentement, elle leva son épée, sa main tremblant légèrement. Il sentit la morsure de l’acier froid contre son cou.
—Je t’aime mon ami, murmura-t-elle d’une voix brisée, un murmure que lui seul pouvait entendre, tu diras au destin que je n’en ai pas fini avec lui.
Elle ferma les yeux un instant, cherchant le courage qu’il lui avait donné par son sacrifice, et dans un mouvement rapide et précis, elle trancha. Le quickening l’envahit immédiatement. Une lumière aveuglante jaillit du corps de l’immortel, une énergie brute et dévastatrice qui s’éleva dans l’Arène comme une tempête. Les éclairs jaillirent, enveloppant Aélis dans un tourbillon d’énergie. Chaque éclat était une onde de douleur et d’émotion, un flot de souvenirs, de force, de tout ce qu’était son ami si cher à son cœur. Elle hurla, incapable de contenir la puissance qui s’abattait sur elle. Chaque fibre de son être semblait se briser, se reconstruire, comme si elle absorbait tout ce qu’il était, tout ce qu’il avait été. La douleur et l’amour se mêlaient, un mélange qui la laissait à genoux, épuisée et vidée.
Lorsque les éclairs cessèrent, lorsque la lumière s’éteignit, elle tomba à genoux, son épée glissant de ses mains. La foule explosa dans un rugissement assourdissant, mais elle n’entendait rien. Le monde semblait vide, comme si tout s’était éteint avec lui. On la saisit, des mains fermes la tirant de l’Arène, mais elle ne protesta pas. Elle se laissa traîner, son corps lourd, son esprit engourdi. Elle sentait encore l’énergie de Soleman en elle, mais elle n’arrivait pas à s’y accrocher. Tout semblait irréel.
Lorsqu’elle fut jetée dans sa cellule, elle resta immobile, ses yeux fixant un point invisible dans l’obscurité. Son corps était là, mais son esprit était ailleurs, perdu entre les souvenirs qu’il lui avait transmis et le vide qu’il avait laissé.
Le nom de Soleman avait résonné dans les cellules comme un coup de tonnerre. Ils avaient tous vu s’afficher les noms des combattants plusieurs heures avant le duel, et pourtant, aucun d’eux n’avait voulu y croire. Theron avait disparu du tableau, remplacé par un leur ami qu’ils pensaient mort. Astrid avait ressenti une onde de choc parcourir son corps, son esprit tentant désespérément de comprendre comment Soleman pouvait être ici. Methos, lui, était resté figé, la mâchoire serrée, incapable de masquer sa surprise. Zafira, accroupie au fond de sa cellule, le regard levé vers l’hologramme suspendu au-dessus de l’arène, n’avait rien dit. Aucun d’eux ne pouvait échanger de regard, mais tous savaient ce que pensaient les autres.
Et maintenant, il était là. Soleman traversait l’arène, sa silhouette aussi droite et assurée qu’à son habitude, mais quelque chose dans sa posture trahissait la fatigue d’un homme qui avait déjà tout perdu une fois. Il était vivant. Contre toute logique, contre toutes les probabilités, il était encore debout, et ce constat leur arracha un étrange soulagement, aussitôt balayé par l’injustice criante de la situation. Car ce combat n’aurait jamais dû avoir lieu.
Methos sentit son cœur se serrer en voyant apparaître Aélis à son tour. Il savait qu’elle combattrait, il avait vu son nom affiché, mais la voir en vrai, là, dans cette arène… C’était un choc bien plus brutal. La dernière fois qu’il l’avait vue, c’était lors de l’attaque du Hameau. Avant que tout bascule. Elle avait encore ce visage qu’il connaissait, ces traits marqués par les épreuves mais habités d’une détermination qu’il reconnaissait bien. Pourtant, il y avait autre chose. Quelque chose qui le troubla profondément.
Le premier échange d’acier résonna dans l’arène. Soleman attaqua le premier. Ils le connaissaient, ils savaient à quel point il était redoutable, précis, impitoyable lorsqu’il le fallait. Mais Aélis… Aélis ne reculait pas. Elle ne subissait pas. Chaque mouvement semblait anticipé, chaque parade exécutée avec une justesse troublante. Methos sentit un frisson d’incompréhension lui parcourir l’échine. Ce n’était pas possible. Il y avait un gouffre entre celle qu’il avait connue et celle qui combattait devant eux. Zafira, elle, observait chaque détail, chaque mouvement. Elle savait comment Aélis se battait. Elle l’avait vue, elle lui avait appris. Et ce qu’elle voyait à cet instant lui était étranger. Son aisance, la précision de ses pas, la manière dont elle tenait son épée… Rien de cela n’était familier. Ce n’était pas un simple progrès. Ce n’était pas une combattante qui avait appris à survivre. C’était autre chose. Astrid, silencieuse, suivait le moindre déplacement. Ce n’était plus l’élève hésitante qu’ils avaient laissée derrière eux. Son corps réagissait avec une fluidité instinctive, ses appuis étaient solides, son regard ne tremblait pas. Cette assurance n’avait rien de naturel. Elle ne l’avait jamais vue se battre ainsi.
Ils observèrent, impuissants, l’épreuve qui se déroulait sous leurs yeux, une danse macabre où chaque geste était une déclaration silencieuse. Soleman attaqua avec la rapidité qu’ils lui connaissaient, mais Aélis ne recula pas. Pas une seule fois. Elle pivotait avec une fluidité effrayante, esquivait sans effort apparent, bloquait avec une maîtrise qui leur échappait totalement. Methos sentit son ventre se nouer. Cette femme qu’il avait vue évoluer, grandir, douter, vaciller… Elle était devenue autre chose. Quelque chose qu’il ne comprenait pas encore.
Le combat bascula. Soleman perdit l’équilibre un bref instant, une erreur que jamais il n’aurait commise en temps normal. Aélis bondit sur l’ouverture, et tout alla trop vite. Une lame fendit l’air, une silhouette vacilla, et Soleman s’effondra. Le silence tomba comme une chape de plomb. Zafira sentit un froid glacial s’emparer de son corps, mais elle ne bougea pas. Astrid serra les poings, incapable d’éloigner le poids qui s’abattait sur sa poitrine. Methos se détourna brutalement, s’éloignant du champ de vision de l’arène, le regard dur et fermé.
Aélis venait de tuer Soleman. Ils auraient dû se réjouir, d’une certaine manière. Elle avait survécu. Mais face à cette victoire, il n’y avait que le goût amer de la perte. Ils avaient cru avoir perdu Soleman à jamais, et maintenant qu’ils le retrouvaient, il leur était arraché une fois encore. Et au centre de l’arène, Aélis restait immobile, son épée toujours en main, son regard perdu dans le vide. Comme si elle n’était pas victorieuse. Comme si elle aussi, venait de tout perdre.
Depuis sa cellule, Aélis assista, impuissante, aux combats qui se succédèrent, chaque affrontement marquant un pas de plus vers une tragédie collective. Le temps semblait s’étirer et se comprimer à la fois, chaque jour une répétition de violence, de survie, et de pertes irréparables.
Le combat de Zafira fut le premier à briser la monotonie suffocante de sa captivité. La lionne des sables, comme l’appelait la voix avec emphase, apparut dans l’arène, sa silhouette élancée et féline irradiant de confiance. Zafira était redoutable, une guerrière qui avait forgé sa réputation dans le feu et le sang, et son adversaire semblait en être conscient. L’homme qu’elle affrontait, d’apparence frêle mais doté d’une technique redoutable, avait dans son regard une intensité glaciale. Le combat s’engagea, une danse dangereuse entre deux styles opposés. Il esquivait, frappait avec précision, cherchant à exploiter les ouvertures qu’elle lui laissait. Mais Zafira, imperturbable, attendit son moment. Lorsqu’il lança une attaque trop ambitieuse, elle pivota brusquement, esquivant d’un souffle avant de désarmer son adversaire avec une torsion brutale de son poignet. Aélis observa avec fascination la technique qu’elle déploya ensuite : un mouvement rapide et fluide, utilisant sa propre cape pour désorienter l’homme avant de planter son épée dans son flanc. Une exécution nette, sans fioritures. Le silence tendu de l’arène explosa en acclamations lorsque son adversaire s’effondra. Zafira triomphante, le visage marqué par une fierté farouche, quitta l’arène sans un regard en arrière.
Vint ensuite Gorath, la Montagne. Aélis sentit son cœur se serrer en voyant cet homme imposant entrer dans l’arène, ses pas lourds résonnant comme un présage funeste. Celui qui avait failli la tuer, celui dont Soleman l’avait sauvée. Mais Soleman n’était plus là. Aélis détourna un instant le regard, sentant la douleur la submerger à nouveau. Gorath était une force brute incarnée. Dès le début du combat, il écrasa son adversaire sous un déluge de violence inhumaine. Son style était dépourvu de finesse, mais terriblement efficace. Il avançait sans relâche, balayant les coups de son adversaire comme s’ils n’étaient que des piqûres d’insectes. L’homme face à lui, pourtant impressionnant par sa carrure et sa maîtrise tactique, n’eut aucune chance. Chaque tentative d’offensive était contrée par une riposte d’une brutalité écrasante. Aélis sentit une sueur froide lui parcourir l’échine. Et si elle ou Methos tombait sur lui lors de la prochaine épreuve ? Elle chassa rapidement cette pensée. Ce n’était pas le moment de céder à la peur.
Lorsque Methos entra dans l’arène à l’aube du onzième jour, Aélis sentit son souffle se suspendre. Il avançait avec une sérénité trompeuse, ses pas mesurés, sa silhouette élancée contrastant avec celle de son adversaire. Le tirage au sort lui avait désigné un samouraï du XVIe siècle, Takeda Harunobu, un immortel âgé de près de six siècles. L’homme portait un katana, son regard acéré trahissant une discipline rigoureuse et une expérience redoutable.
Methos s’avança dans l’arène avec la lenteur d’un homme qui connaissait déjà l’issue de ce combat. Non pas par arrogance, ni par certitude absolue, mais parce que l’histoire avait toujours suivi le même schéma : il survivait. Il était un fantôme à travers les âges, une ombre insaisissable qui avait vu trop de batailles pour encore croire à la noblesse des duels. Et pourtant, il était là, une fois de plus, condamné à se battre pour son existence. Le sable crissa sous ses bottes alors qu’il levait les yeux vers son adversaire. Takeda Harunobu. Un guerrier du XVIe siècle, forgé par les principes du bushido, un homme de discipline et de dévotion à son art. Un soldat du passé, persuadé que la force et l’honneur suffisaient à dominer le monde. Methos esquissa un sourire fugace. L’honneur était un luxe qu’il avait abandonné il y a bien longtemps.
Le combat débuta sans cérémonie. Takeda ne perdit pas un instant, attaquant avec la précision chirurgicale de ceux qui avaient passé leur vie à affûter leurs gestes. Son katana fendit l’air avec une vitesse impressionnante, cherchant à briser la garde de Methos dès le premier échange. Mais Methos ne combattait pas avec l’ardeur d’un guerrier, il combattait avec la patience d’un prédateur. Il ne bloquait pas, il détournait. Il ne subissait pas, il analysait. Chaque coup était un message, chaque pas un indice. Les spectateurs ne voyaient que le duel entre deux immortels aguerris. Mais Methos, lui, voyait un homme qui se battait encore pour prouver quelque chose. Lui n’avait rien à prouver, seulement à survivre. Takeda intensifia ses attaques, cherchant à le cerner, à imposer son rythme. Methos le laissa faire. Il feintait une ouverture, reculait d’un pas calculé, forçant son adversaire à s’exposer un peu plus à chaque échange. Il voyait la détermination dans les yeux du samouraï, l’implacable concentration de celui qui ne concevait pas la défaite. Methos, lui, savait déjà que ce combat ne serait qu’un autre souvenir parmi tant d’autres.
Puis vint le moment décisif. Un simple détail, un infime déséquilibre dans l’attaque de Takeda. Une fraction de seconde où sa garde s’ouvrit légèrement. Methos n’hésita pas. Son épée s’éleva dans une trajectoire implacable, frappant l’arme de son adversaire avec une précision chirurgicale. Le katana s’échappa des doigts de Takeda, tournoyant avant de s’écraser dans le sable à plusieurs mètres de là. Le silence s’étira. Takeda tomba à genoux, le souffle court, son regard plongé dans celui de Methos. Il ne supplia pas, ne chercha pas à reculer. Il savait. Methos vit cette compréhension passer dans ses yeux, cette acceptation du destin qui appartenait à ceux ayant fait la paix avec leur propre mort.
Un soupir presque imperceptible s’échappa de ses lèvres alors qu’il levait son épée. Il n’avait jamais aimé tuer. Il n’avait jamais aimé ces jeux cruels où seuls les plus impitoyables survivaient. Mais il n’avait pas le luxe de refuser. La lame s’abattit dans un éclair d’acier. Puis vint le quickening. Une lumière aveuglante, des éclairs qui s’abattirent sur lui avec la violence d’un orage. Il sentit l’énergie déferler en lui, un cri silencieux résonner dans son esprit alors que la force d’un autre immortel s’ajoutait à la sienne. Chaque fois, la sensation était la même. Une puissance qui l’emplissait, un feu brûlant chaque fibre de son être. Et pourtant, chaque fois, il avait l’impression de devenir un peu plus vide.
Lorsque la lumière s’éteignit et que le silence retomba sur l’arène, Methos resta immobile un instant, son épée toujours en main, son regard perdu dans le vide. Encore un. Il releva lentement la tête et observa la foule silencieuse. Dans certaines cellules, il savait que des regards le suivaient. Peut-être avec admiration, peut-être avec crainte. Mais cela n’avait pas d’importance. Il rangea son épée et tourna les talons, quittant l’arène sans un mot.
Survivre. C’était tout ce qu’il savait faire.
Le treizième jour arriva enfin, marquant la fin des 52 combats annoncés. Mais alors que la voix se faisait entendre une fois de plus, un frisson parcourut l’arène.
— Mesdames et Messieurs, pour clore cette journée mémorable, je vous réserve une surprise de taille : un duel inattendu, le 53ᵉ affrontement !
Aélis sentit son cœur se serrer alors que le nom de Jehan fut prononcé. Il allait affronter Theron, l’homme qu’elle aurait dû combattre à l’origine. Une vague de culpabilité la submergea. Si les choses s’étaient déroulées comme prévu, Soleman serait peut-être encore en vie. Mais elle chassa vite cette pensée. Elle savait que le destin ne réservait que peu de répit, et elle devait se préparer à affronter ce qui viendrait ensuite.
Jehan avançait dans l’arène, son pas mesuré contrastant avec la tension palpable qui imprégnait l’air. Les projecteurs se braquèrent sur lui, isolant sa silhouette comme une figure tragique dans un théâtre de cruauté. Ses vêtements, simples et sombres, trahissaient son calme apparent, mais ses poings serrés racontaient une histoire différente. Theron, de son côté, rayonnait d’une assurance conquérante. Grand, puissant, il tournait autour de son adversaire comme un prédateur, savourant déjà le spectacle qui allait suivre. Au centre de l’arène, Jehan s’arrêta. Son regard balaya les gradins, les visages indistincts de milliers de spectateurs unis dans leur appétit de sang. Puis, lentement, il leva les yeux vers l’un des drones qui flottait au-dessus de lui. Sa mâchoire se contracta, ses traits se durcirent, et soudain, il hurla :
— Pourquoi ?!!
Sa voix, déchirante, résonna dans l’arène, brisant le brouhaha ambiant. Les spectateurs se turent un instant, surpris par la force de cette interpellation. La caméra du drone s’approcha légèrement, comme pour capturer chaque nuance de sa rage. La voix répondit, teintée de sarcasme, comme si la question n’avait jamais mérité d’être posée :
— Parce qu’il ne peut en rester qu’un !
Un éclat de rire collectif s’éleva des gradins, suivi d’applaudissements et de sifflements. Pour eux, ce n’était qu’un jeu, une plaisanterie morbide destinée à alimenter leur soif de divertissement. Jehan, impassible, abaissa son regard. Il se pencha lentement, sa main frôlant la poignée de son épée. Mais au lieu de la saisir, il la laissa tomber à terre dans un bruit sourd.
— Je refuse de combattre !
Un murmure d’étonnement traversa la foule avant que le grondement ne reprenne, plus fort, plus intense. La voix, toujours calme mais impitoyable, répondit sans hésitation :
— Dans ce cas, vous savez ce qui vous attend.
Theron, profitant de l’occasion, se mit à arpenter l’arène, jouant avec la foule comme un acteur principal dans une pièce tragique. Il tournait autour de Jehan, son arme au poing, levant les bras pour solliciter l’approbation des spectateurs.
— Alors ? cria-t-il, sa voix rugissant au-dessus du tumulte. Que dit le peuple ? Que doit-il subir ?
La foule, galvanisée par sa performance, répondit en scandant :
— À mort ! À mort !
Theron continuait de s’approcher, lentement, un sourire carnassier sur les lèvres. Jehan ne bougea pas. Il fixait le sol, son visage fermé, comme s’il avait accepté son sort. Theron leva son arme haut dans les airs, saluant une fois de plus les spectateurs qui hurlaient leur approbation. Puis, avec une fluidité presque cérémoniale, il abattit son épée sur le cou de Jehan, tranchant sa tête d’un seul mouvement net et précis, et emportant avec lui le reste de son histoire.
Le silence tomba dans l’arène pendant une fraction de seconde, le temps que la tête de Jehan roule sur le sol, puis un rugissement assourdissant s’éleva. La foule exultait, ses acclamations résonnant comme une onde de violence collective. Aélis détourna les yeux, son estomac se tordant sous le poids de ce qu’elle venait de voir. Pourquoi s’était-il laissé faire ? Pourquoi avait-il abandonné ainsi ? La mort de Jehan laissait un goût amer dans sa bouche, une injustice de plus dans cette mascarade sanglante. Elle serra les poings, tentant de contenir la rage qui menaçait de l’engloutir.
Son esprit vagabonda, cherchant des réponses là où il n’y en avait pas. Callestina. Aélis se rendit compte qu’elle ne l’avait pas vue parmi les duellistes. Morte. Ce mot s’imposa à elle, brutal et froid, mais elle savait qu’il était vrai. Callestina avait disparu avant même le début des combats, mais la façon dont elle était morte resterait à jamais un mystère. Tout comme Amanda. Amanda… Le fantôme de cette amie lui revint, un souvenir teinté de douleur et de nostalgie. Elle n’avait pas eu à la voir tomber. Elle avait simplement constaté son absence en lisant la liste des participants. Son nom n’y figurait pas, comme effacé de l’histoire, une existence réduite à un vide inexplicable. Aélis serra les dents, luttant contre la vague d’émotion qui menaçait de la submerger. Deux femmes, deux absences, deux morts qui resteraient sans réponse. Callestina, qu’elle avait affrontée et haïe. Amanda, son amie. Elles étaient parties, toutes les deux, emportant avec elles des fragments du passé qu’Aélis ne pourrait jamais récupérer.
La voix reprit, imposant son autorité sur l’arène en liesse :
— Mesdames et Messieurs, la première manche est terminée ! Les 43 candidats toujours en vie pourront désormais se reposer avant la seconde manche qui débutera dans quelques jours.
Un tonnerre d’applaudissements accueillit ces mots, comme si la survie d’une poignée de combattants était une victoire à célébrer.
— Offrons à nos valeureux guerriers un repos bien mérité avant la seconde manche !
Aélis, toujours figée dans sa cellule, sentit un frisson glacial parcourir son échine. Repos ? Non. Ce n’était pas du repos. C’était le calme avant une tempête encore plus dévastatrice. Elle le savait, tout comme elle savait que les épreuves à venir n’épargneraient personne. Elle inspira profondément, refoulant ses pensées les plus sombres.