Le Prix à payer - Highlander Fanfiction

Chapitre 33 : Les Fils du Destin

5791 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 5 mois

Les années s’égrenaient avec une tranquillité trompeuse, marqués par le fil invisible des relations immortelles. La complicité entre Marie et Darius se poursuivait dans le secret de leurs rencontres, chaque instant partagé empreint d’une intensité mêlant tendresse et retenue. Parallèlement, les liens d’amitié qu’elle entretenait avec Soleman et Thalia se renforçaient, offrant à ces êtres éternels un sentiment rare d’appartenance et de stabilité dans un monde en perpétuel changement.

Lorsqu’ils se retrouvaient, Marie, Soleman et Thalia consacraient une partie de leur temps à des entraînements au combat. Ces sessions, bien plus que de simples exercices physiques, étaient devenues pour eux une manière de partager et d’apprendre les uns des autres.

Ils s’affrontaient souvent en duel, les lames s’entrechoquant dans une cadence presque musicale.  Entre deux passes d’armes, ils échangeaient des conseils, des anecdotes sur leurs précédents duels, et parfois même des taquineries. Ces instants de camaraderie, où la tension du combat cédait place à des éclats de rire, renforçaient leur lien. Mais au-delà de l’amitié, ces entraînements étaient une préparation essentielle à leur survie dans un monde où chacun d’entre eux pouvait être défié à tout moment.

 

Ce soir-là, ils laissèrent les épées de côté pour se retrouver autour d’un repas dans le jardin du presbytère. La lumière du crépuscule baignait les lieux d’une teinte dorée, et l’air était imprégné des arômes des herbes que Marie cultivait avec soin. Une table de bois, simple mais accueillante, était dressée sous un grand chêne dont les branches massives formaient une voûte naturelle.

Soleman, fidèle à son rôle officieux de maître de cérémonie, servait du vin dans des coupes d’argile avec une aisance tranquille. Ses yeux brillaient d’une lueur taquine, prêt à lancer la première pique.

— Alors, Marie, lança-t-il avec un sourire en coin, tu passes de plus en plus de temps ici. Est-ce vraiment pour la paix spirituelle que tu prônes ?

Cette dernière, sans se démonter, leva un sourcil.

— Peut-être que je trouve simplement le vin de Darius meilleur que celui de mes voyages.

Thalia, qui avait déjà vidé sa coupe avec l’enthousiasme d’une guerrière en repos, éclata de rire en reposant bruyamment son verre.

— Ah, c’est donc pour ça, fit-elle, son regard pétillant d’espièglerie passant de Marie à Darius. Et moi qui pensais que c’était une question d’affections partagées.

— Moi aussi, j’avais cru que ce n’était pas pour mon vin que tu étais restée, lança le prêtre, la voix empreinte d’un amusement contenu. Peut-être devrais-je revoir mes prétentions de vigneron.

Marie secoua la tête avec un sourire indulgent, mais une lueur de tendresse passa dans ses yeux. Soleman leva sa coupe avec un air solennel, mais ses yeux trahissaient sa malice.

— Un couple immortel au grand cœur, c’est toujours fascinant. Vous êtes un exemple pour nous autres âmes égarées.

L’immortelle roula des yeux.

— Vous me fatiguez tous les deux.

— Oh, mais nous n’avons même pas encore commencé, répliqua Thalia, ses yeux pétillant de malice.

Soleman hocha la tête, prenant un air faussement sage.

— Exact. D’ailleurs, Darius, j’ai entendu dire que tu avais amélioré ta recette de pain. Est-ce pour charmer Marie, ou comptes-tu ouvrir une boulangerie ?

Thalia éclata de rire, couvrant sa bouche d’une main.

— Une boulangerie ? Je suis sûre que le pain de Darius serait aussi austère que ses prières.

— Je ne sais pas, répondit le concerné d’un ton posé. Peut-être que je fais ce pain pour qu’elle reste, ou peut-être qu’elle reste parce qu’elle aime mes prières austères.

Thalia leva les mains en signe de reddition.

— D’accord, d’accord, vous êtes imbattables dans l’art de la réplique romantique discrète.

Elle jeta un regard moqueur à Soleman.

— Et toi, Soleman ? Qu’en est-il de tes aventures ?

— Mes aventures ? Oh, elles sont nombreuses. La dernière en date impliquait un cheval têtu et une femme qui a insisté pour me vendre du vin de mauvaise qualité.

— Et la femme, elle était jolie ? demanda Marie avec une innocence feinte.

— Jolie, oui. Mais elle n’avait pas ton goût pour l’ironie, répliqua-t-il en levant sa coupe dans un geste de fausse révérence.

Leurs éclats de rire fusèrent, emplissant le jardin d’une légèreté rare. Ces instants, bien qu’éphémères, étaient des trésors pour chacun d’eux : des moments de camaraderie sincère au cœur d’un monde trop souvent marqué par les combats et les regrets.




Mais le tumulte des événements historiques ne pouvait être ignoré. La Révolution française, avec son vent de liberté et ses excès sanglants, avait bouleversé les fondations mêmes de l’Europe. Les guerres napoléoniennes qui suivirent laissèrent un héritage de frontières redessinées et de monarchies ébranlées. Ce contexte instable et mouvementé ouvrait la voie à des opportunités mais semait aussi la désolation. Pour les immortels, ces périodes de chaos représentaient à la fois des dangers et des occasions de se fondre dans le tumulte pour mieux disparaître.

 

Marie vivait avec ce poids historique, consciente que son existence se jouait en parallèle de ces grands bouleversements. Pourtant, son esprit était tourné vers une mission plus personnelle, un secret confié par Jehan, l’immortel inventeur. Il lui avait révélé l’histoire tragique de sa famille adoptive, massacrée en 1845 à Milwaukee, et l’avait chargée de résoudre ce mystère en voyageant dans le passé.

Alors que l’échéance approchait, elle préparait son départ pour le Nouveau Monde. Milwaukee, située dans le territoire du Wisconsin, attirait déjà des colons européens, séduits par ses terres fertiles et son emplacement stratégique le long du lac Michigan. Bien que la ville fût encore en pleine expansion, elle représentait une porte d’entrée vers un continent en devenir, une mosaïque de cultures et d’ambitions.

À ceux qui l’interrogeaient sur son départ, Marie se contentait d’évoquer son désir de découvrir ce nouveau continent, d’explorer des horizons inconnus. Elle n’évoqua jamais la véritable raison de ce voyage, préférant garder le secret. Un soir, alors qu’elle partageait un moment calme avec Thalia, elle mentionna son projet. Fascinée par l’idée d’une telle aventure, la jeune femme proposa de l’accompagner.




Le voyage, long et exigeant, s’effectua par voie maritime. Les deux immortelles embarquèrent dans un port d’Europe, à bord d’un navire marchand. La traversée de l’Atlantique, soumise aux caprices des vents et des marées, dura plusieurs semaines. Les journées étaient rythmées par la monotonie de l’horizon marin, les escales rares, et les discussions discrètes qu’elles échangeaient à l’abri des regards curieux. Les cabines exiguës, l’odeur salée et les nuits froides étaient le prix à payer pour atteindre ce continent en effervescence.

C’est par un matin glacial de Décembre 1844 qu’elles atteignirent enfin Milwaukee. La ville, encore jeune mais en pleine croissance, s’étendait sur les rives du lac, ses habitations en bois se mêlant à des édifices plus imposants en pierre. La neige recouvrait le sol, étouffant les bruits et donnant à la cité une allure presque irréelle. Le souffle du vent, chargé d’humidité glaciale, faisait trembler les volets des maisons et enveloppait les ruelles d’une atmosphère à la fois rude et fascinante.

Les deux immortelles avancèrent dans cette ville naissante, leurs pas crissant sur la neige fraîche. L’animation discrète des habitants se mêlait au silence imposé par l’hiver. Marie, le regard fixé sur cet horizon inédit, se laissait envahir par une étrange excitation. Thalia, à ses côtés, observait tout avec un mélange de curiosité et de prudence. Ainsi commençait leur aventure en terres américaines, où, pour Marie le futur et le présent s’entremêleraient dans une quête mystérieuse.

 

Les premiers jours de Marie furent marqués par une vigilance constante. Chaque geste, chaque mot semblait peser lourd dans l’atmosphère oppressante de cette ville en pleine expansion. Ses mouvements mesurés et ses regards fuyants n’échappèrent pas à Thalia, qui commençait à nourrir un doute silencieux : son amie lui cachait quelque chose. Son ancienne discpiple l’observait  avec une attention accrue, guettant le moindre signe, le moindre aveu involontaire. Mais Marie restait insaisissable, son comportement renforçant une tension déjà palpable entre elles. Les ruelles poussiéreuses, bordées de façades austères, et les regards furtifs des habitants semblaient eux-mêmes conspirer pour ajouter une épaisseur de mystère à leur séjour.

C’est un soir, dans leur modeste auberge, que Marie sentit que le moment était venu de briser cette barrière invisible. Assises autour d’un repas tiède et fade, elle leva les yeux vers Thalia, ses traits marqués par une gravité inhabituelle.

— Thalia… murmura-t-elle, sa voix à peine audible. Il y a une raison à ce voyage.

La jeune femme releva lentement la tête, sa fourchette s’immobilisant en plein mouvement. Son regard s’accrocha à celui de Marie, cherchant déjà à percer le voile de ce secret.

— Une raison ? répéta-t-elle, son ton bas mais chargé d’une curiosité méfiante.

Marie détourna un instant les yeux, comme si le poids de ses propres pensées la dépassait. Lorsqu’elle osa les ramener vers Thalia, ils brillaient d’une intensité sombre.

— Une mission m’a été confiée, dit-elle enfin. Quelque chose… d’important.

Thalia s’adossa à sa chaise, croisant les bras, son visage trahissant un mélange d’inquiétude et d’expectative.

— Une mission, dis-tu ? Sa voix était calme, mais chaque mot semblait peser comme une pierre. Alors pourquoi ne m’en as-tu pas parlé avant ?

— Parce que je ne peux pas tout te dire, avoua-t-elle. Mais j’ai besoin de ton aide.

Un éclat fugace de surprise passa dans le regard de la jeune femme. Pourtant, elle garda son calme, son expression impénétrable.

— Je ne comprends pas tout, murmura-t-elle après un moment. Mais si tu as besoin de moi, je suis là.

Marie sentit un mélange de soulagement et de culpabilité l’envahir. Encouragée par les paroles de Thalia, elle se lança, pesant chaque mot.

— Je cherche un homme, finit-elle par dire. Un immortel. Jehan, un pasteur dont la présence dans cette ville pourrait éclairer bien des mystères. C’est ma seule piste.

Thalia, bien qu’acceptant, resta silencieuse, ses pensées semblant déjà s’égarer vers l’ombre des défis à venir. L’auberge, autour d’elles, était redevenue étrangement calme, comme si même les murs retenaient leur souffle face à l’obscurité qui semblait envelopper cette mission.

 

Marie savait que trouver un immortel, surtout un homme aussi ancré dans sa communauté, nécessiterait une approche délicate. Elle exposa donc un plan méticuleux. Thalia, jeune et fougueuse, jouerait le rôle d’une immortelle inexpérimentée, désorientée, cherchant refuge pour échapper à un adversaire fictif. La vulnérabilité de cette façade devait suffire à attirer la compassion de Jehan et, à travers elle, lui permettre d’approcher la vérité sans compromettre son propre anonymat. Thalia resta silencieuse un moment, son regard pensif se perdant dans l’ombre de leur chambre d’auberge. Puis, un léger hochement de tête confirma son accord.

— Tu es sûre de toi ? demanda Marie, son ton à la fois ferme et inquiet. Ce rôle pourrait te mettre en danger.

— Je sais, répondit Thalia avec une lueur de détermination dans les yeux. Mais je me suis battue pour bien plus risqué que ça. Et puis… je veux t’aider.

Marie sentit un soupir de soulagement lui échapper. Elle savait combien cette discrétion était cruciale. Si Jehan venait à reconnaître son véritable objectif, ou pire, à deviner la portée réelle de sa mission, tout l’équilibre fragile qu’elles avaient établi dans cette ville pourrait voler en éclats.

 

Pendant des semaines, elles explorèrent les rues enneigées de Milwaukee et ses environs, usant de discrétion et de ruse pour glaner des informations. Les rues silencieuses semblaient parfois les engloutir dans leur froideur, mais elles persévéraient.

Thalia prit un rôle plus actif que prévu. Usant de son naturel direct et de son apparence franche, elle se fit passer pour une vagabonde cherchant refuge dans les églises locales. Grâce à ses interactions, elle parvint à récolter des informations précieuses. C’est elle qui revint un jour, le visage illuminé d’une lueur de triomphe.

— Je l’ai trouvé, annonça-t-elle avec un mélange de fierté et de prudence.

Jehan officiait dans une petite église en bois où la simplicité de la structure contrastait avec la chaleur qu’on disait émaner de ses sermons. Pasteur luthérien, il était marié à une femme mortelle, veuve d’un premier mariage, et père adoptif de deux jeunes enfants. Leur maison, bien qu’à l’écart de l’église, se fondait dans l’environnement modeste mais vivant de la ville.

Marie remercia Thalia pour son aide et lui permit de se retirer pour se reposer, consciente qu’elle devrait désormais poursuivre seule cette quête qui lui pesait tant.

 

À distance, elle observa le quotidien de Jehan et de sa famille. Chaque geste semblait empreint d’un calme que peu d’immortels connaissaient. Le matin, le pasteur célébrait des offices ou répondait aux besoins de sa paroisse. Les après-midi le voyaient arpenter les rues pour des œuvres de charité, portant réconfort à ceux qui en avaient besoin. Et le soir, il rejoignait sa famille, offrant une image d’unité et de sérénité.

Mais cette tranquillité était-elle réelle ? Marie, méfiante, interrogea discrètement des habitants. Les éloges ne manquaient pas : Jehan était respecté pour sa bonté et son éloquence, aimé pour sa capacité à inspirer espoir et foi. Pourtant, un malaise subsistait en elle. Elle savait que le danger, s’il existait, ne serait pas visible à l’œil nu. Elle continuait donc à attendre, à observer, consciente que le moindre faux pas pourrait entraîner des conséquences irréversibles. Ce calme apparent n’était qu’un prélude. Le moment viendrait où cette façade se fissurerait, révélant ce que Marie était venue chercher, et elle devait être prête à l’affronter.




Les rues de Milwaukee étaient en ébullition. Une épaisse colonne de fumée noire s’élevait vers le ciel, visible à des kilomètres, marquant le site d’un incendie dévastateur. Les bâtiments en bois, fragiles et proches les uns des autres, avaient propagé le feu avec une voracité impitoyable. La panique s’était emparée des habitants, leurs cris se mêlant au fracas des seaux passés de main en main dans une chaîne humaine désespérée.

Marie, alertée par l’agitation et l’odeur âcre de la fumée, avait quitté son poste d’observation pour se fondre dans la foule. Elle arpentait les ruelles encombrées, le regard rivé sur le brasier qui dévorait une portion de la ville. Ses pensées tournaient autour de Jehan et de sa famille : avaient-ils été pris dans le chaos ?

C’est alors qu’un frisson familier la traversa, une vibration subtile qu’elle ne pouvait ignorer. Son instinct immortel s’éveilla instantanément. Dans la foule dense, ses yeux croisèrent ceux d’une femme qu’elle n’avait pas vue depuis des siècles. Callestina.

La rencontre fut un choc. Les deux immortelles se fixèrent, immobiles, au milieu du tumulte. La foule passait autour d’elles, indifférente à l’étrange tension qui s’installait. Le visage de Callestina était marqué par la surprise, mais aussi par une pointe de défi, comme si elle ne croyait pas ce qu’elle voyait.

— Marie… souffla-t-elle, sa voix noyée dans le vacarme environnant.

Cette dernière demeura muette, son esprit assailli par des souvenirs qu’elle aurait préféré oublier. Callestina, ce spectre de son passé, celle qui avait juré de la voir mourir et avait presque réussi. Le regard de sa rivale se durcit, mais une lueur d’incrédulité brillait encore dans ses yeux.

— Tu devrais être morte, murmura-t-elle, davantage pour elle-même que pour Marie.

Un éclair de colère traversa Marie. Elle fit un pas en avant, mais Callestina, rompue aux subtilités de leur existence, se recula instinctivement.

— Ce n’est pas possible, ajouta cette dernière, presque dans un souffle.

— Crois-moi, je suis bien réelle, répondit Marie, sa voix froide et tranchante.

Mais avant qu’elle ne puisse dire ou faire quoi que ce soit de plus, Callestina se tourna brusquement et s’élança dans la foule. Marie ne perdit pas une seconde. Elle s’élança à sa suite, bousculant les passants sans ménagement. Le chaos ambiant jouait en sa défaveur: les cris, la fumée et les mouvements désordonnés des habitants créaient une cacophonie qui rendait la traque difficile. Callestina, plus petite et plus agile, se glissait entre les groupes, disparaissant presque dans les ombres projetées par les flammes. Marie la suivait de près, son cœur battant à un rythme effréné, mais pas d’effort ou d’épuisement — plutôt d’une rage froide et contenue.

Dans une ruelle étroite, Callestina sembla hésiter, jetant un coup d'œil derrière elle. Marie en profita pour accélérer, réduisant l'écart entre elles.

— Arrête-toi, Callestina ! lança-t-elle, sa voix claquant comme un fouet dans l’air saturé de fumée.

Mais la silhouette de sa rivale s’engouffra dans un passage latéral. Marie la suivit, seulement pour émerger dans une rue vide, où seuls des flocons de cendres dansaient dans la lumière incandescente. Un juron s’échappa de ses lèvres. Elle tourna sur elle-même, scrutant chaque ombre, chaque recoin. Rien. Callestina avait disparu, comme un mirage.

Marie resta immobile quelques instants, reprenant son souffle, les poings serrés de frustration. Ce retour inattendu de sa rivale bouleversait tout. Pourquoi était-elle ici, à Milwaukee ? Était-ce une coïncidence, ou était-elle attirée par le même objectif qu’elle ?

Elle passa le reste de la journée à sillonner les rues de Milwaukee, ses pas résonnant sur les pavés irréguliers. La fumée de l’incendie avait commencé à se dissiper, mais les échos du chaos persistaient : des habitants tentaient encore d’éteindre les dernières braises ou de sauver ce qui pouvait l’être. Malgré ses recherches méticuleuses, l’autre immortelle restait introuvable. Alors que le crépuscule étendait ses ombres sur la ville, elle n’avait pas renoncé. La lueur blafarde de la lune, voilée par des nuages errants, éclairait faiblement les ruelles. Elle savait qu’elle devait prévenir Thalia du danger imminent. Callestina représentait une menace pour tous ceux qu’elle aimait.

 

Son intuition la mena naturellement vers l’église de Jehan. Avec son architecture modeste en bois sombre et son cimetière adjacent, elle semblait le lieu naturel où Thalia aurait cherché refuge. Depuis leur arrivée à Milwaukee, Thalia et lui avaient commencé à tisser un lien subtil, né de leur plan commun. La jeune femme jouait parfaitement son rôle, laissant croire à Jehan qu’elle peinait encore à comprendre sa nouvelle existence en tant qu’immortelle. Elle s’était présentée à lui comme une âme perdue, vulnérable et en quête de guidance. Ce rôle, bien que feint, avait permis d’établir une connexion sincère entre eux, Jehan étant sensible à la détresse qu’il croyait percevoir en elle. Si Thalia avait cherché protection, c’était ici qu’elle serait venue.

Marie accéléra le pas, espérant y trouver Thalia saine et sauve. Mais une crainte grandissait en elle : Callestina avait-elle déjà mis ses menaces à exécution ?

 

Tandis qu’elle s’approchait des lieux, une décharge lumineuse zébra soudain le ciel, suivie d’une autre, brisant l’obscurité nocturne comme un éclat de verre. Marie s’immobilisa, le souffle suspendu. Ce n’était pas un orage. Le ciel dégagé offrait une vue claire sur les étoiles, mais ces éclairs... Ils portaient la signature inimitable du quickening. Un frisson glacial courut le long de son dos : l’un d’entre eux avait péri.

Son cœur s’emballa, et sans plus attendre, elle s’élança, son instinct la poussant à travers les sentiers obscurs. Ses pas résonnaient sur le sol inégal, et chaque battement de son cœur semblait résonner à l’unisson avec son souffle court. L’air froid mordait ses poumons, mais elle ne ralentissait pas. Le paysage changea rapidement autour d’elle alors qu’elle pénétrait dans une zone boisée. Les arbres bordant son chemin formaient une haie sombre et menaçante, leurs branches semblant vouloir l’arrêter. La sensation oppressante s’intensifiait, comme un étau invisible se refermant autour d’elle. Un mauvais pressentiment, presque une certitude, l’assaillait : quelque chose d’irréparable venait de se produire. Lorsqu’elle atteignit une clairière bordée d’arbres, une silhouette émergea des ombres.

Callestina.

Marie s’arrêta net, le souffle court. La lumière de la lune effleurait le visage de l’immortelle, révélant une expression étrange : un mélange de triomphe, de peur contenue, et de défi glacial. Leurs regards se croisèrent, et un instant de silence lourd s’installa. Puis Callestina recula lentement, son visage s’assombrissant davantage, avant de tourner les talons. D’un pas rapide, elle se dirigea en hâte vers l’église de Jehan, ses mouvements marqués par une urgence fébrile.

Sans réfléchir, Marie s’élança à sa poursuite. Le vent glacial sifflait à ses oreilles alors qu’elle franchissait les dernières distances entre elles. Mais, arrivée au cimetière jouxtant l’église, elle sentit soudain cette barrière invisible : les limites du lieu saint. Elle s’arrêta brusquement, le souffle haletant, les poings serrés. Une force intangible la retenait, imposant une paix inexorable.

Callestina s’immobilisa à son tour, se retournant pour lui faire face. Une étincelle de défi brillait dans ses yeux. Derrière elle, l’église de Jehan dressait sa silhouette austère, ses murs silencieux témoins d’une tension palpable. Protégée par la sanctuarisation du site, l’immortelle redressa la tête, ses lèvres se tordant en un sourire provocateur. Marie, les poings toujours serrés, sentit la colère monter en elle, mais elle savait qu’elle ne pouvait rien faire ici.  Leur duel restait en suspens, une confrontation figée par la sacralité du lieu. Mais dans le regard de Marie brillait une promesse : ce n’était qu’une question de temps.

Callestina, déjà au seuil de l’église, se retourna lentement. Une ombre obscure traversa son visage tandis qu’un sourire amer étirait ses lèvres.

— Ta précieuse Thalia… murmura-t-elle d’une voix mielleuse, teintée d’un venin glacial. Elle n’est plus.

Le souffle de Marie s’accéléra. Non. Ce n’était pas possible.

— Qu’est-ce que tu racontes ? haleta-t-elle, sa voix brisée par l’incrédulité et la peur.

Sa rivale haussa les épaules, le regard détaché.

— Elle est morte, trancha-t-elle d’un ton implacable. Tu vis maintenant avec le poids de la perte… comme moi autrefois.

Elle fit un pas vers la porte de l’église, mais s’arrêta juste avant de l’atteindre, comme si elle hésitait à franchir le seuil.

— Tu crois que je suis un monstre, Marie, et tu as peut-être raison. Mais regarde-toi. Tu n’es pas si différente de moi. Tu te bats aussi pour ceux que tu as perdus. Tu veux que je sorte pour pouvoir venger Thalia, n’est-ce pas ?

Marie sentit la rage bouillonner en elle, mais quelque chose dans la voix de Callestina la troubla.

— Nous sommes toutes les deux prisonnières de notre passé, reprit-elle. La seule différence, c’est que j’ai cessé de me mentir à moi-même.

La déclaration frappa Marie comme un coup de poignard. Son esprit se brouilla, oscillant entre douleur et colère.

— Callestina ! rugit-elle, les yeux embrasés de rage. Sors et affronte-moi !

L’immortelle resta un instant immobile, son sourire s’étirant davantage, avant de secouer lentement la tête.

— Pas aujourd’hui, dit-elle calmement, avant de disparaître dans l’église.




Marie était hors d’elle. La rage bouillonnait en elle, un tourbillon incontrôlable qui noyait toute autre pensée. Elle serrait les poings si forts que ses ongles s’enfonçaient dans sa chair, mais la douleur physique n’était rien comparée à celle qui envahissait son cœur. Son souffle était saccadé, ses yeux brûlaient de larmes qu’elle refusait de laisser tomber. La perte de Thalia était une blessure béante, et la haine qu’elle ressentait pour Callestina s’y enfonçait comme une lame chauffée à blanc.

Elle fit demi-tour et retourna sur le lieu de l’affrontement. Lorsqu’elle atteignit l’endroit où tout s’était joué, son regard tomba sur le corps sans vie de Thalia, étendu sur l’herbe, immobile sous la lumière lunaire. Marie s’agenouilla lentement, ses jambes flanchant sous le poids de son chagrin.

— Oh, Thalia… murmura-t-elle d’une voix brisée. Je suis désolée… tellement désolée.

Les larmes qu’elle retenait déferlèrent enfin, roulant sur ses joues en torrents silencieux.

— Tu ne méritais pas ça, continua-t-elle entre deux sanglots. Tu étais forte, si pleine de vie…

Elle resta là, un moment interminable, le cœur déchiré, chuchotant des mots d’adieu, des promesses qu’elle n’était pas sûre de pouvoir tenir. Mais une pensée perça la brume de son chagrin : Callestina. Elle devait mourir. Pas demain, ni un autre jour. Ce soir. Elle vengerait Thalia et mettrait fin à cette querelle qui n’avait que trop duré. Se redressant lentement, elle essuya ses larmes et inspira profondément, rassemblant ce qui restait de son courage. Elle savait que sa rivale ne quitterait pas l’église cette nuit. La lâcheté était une de ses armes favorites. Mais Marie avait un plan.

De retour en ville, elle trouva ce dont elle avait besoin : de l’alcool, de la paille, quelques outils. À mesure qu’elle rassemblait ses provisions, un dialogue intérieur la poussait en avant.

« Elle m’a laissée brûler, murmura-t-elle pour elle-même, ses mains tremblant légèrement. Elle a tenté de m’anéantir par le feu… Alors ce sera le feu qui causera sa perte. »

 

Lorsqu’elle revint à la clairière, la nuit avait pris le pas sur tout. Les étoiles étaient les seules témoins de ce qui allait se passer. Devant le cimetière qui bordait l’église, Marie créa un bûcher funéraire. Elle disposa la paille soigneusement, entourant le corps de Thalia d’un cercle protecteur, presque rituel. Elle prit un instant pour contempler son œuvre, les souvenirs de leur amitié remontant à la surface.

— Thalia, dit-elle doucement, je t’offre des funérailles dignes de toi.

Mais son regard se durcit rapidement. Elle se détourna du bûcher et disposa le reste de la paille tout autour du périmètre de l’église en bois, en faisant attention de ne pas s’en approcher trop prêt pour ne pas dévoiler sa présence à sa rivale. Chaque mouvement était précis, calculé, mû par une rage froide. Elle imbiba la paille d’alcool, s’assurant que rien n’échapperait aux flammes. Callestina était sans doute en train de dormir, inconsciente du piège qui se refermait sur elle.

Lorsque tout fut prêt, Marie se déplaça vers un point légèrement surélevé, d’où elle pouvait avoir une vue d’ensemble. Avec une froide détermination, elle alluma une torche et lança les premières flammes sur le bûcher funéraire. Le feu se propagea rapidement, ses langues rouges léchant le ciel sombre.

— Voici ton jugement, Callestina, murmura-t-elle en fixant le brasier. Tu as utilisé le feu pour tenter de me détruire… aujourd’hui, c’est moi qui t’enferme dans tes propres flammes.

Elle décocha une flèche imbibée d’huile, la regardant tracer une ligne incandescente avant de s’écraser contre le flanc de l’église. Une, puis une autre, et une autre encore. Le bois commença à crépiter, et bientôt, l’église fut encerclée d’un mur de flammes. Le regard de Marie restait rivé sur l’édifice en feu. Elle attendait, silencieuse, presque immobile, que Callestina n’ait d’autre choix que de sortir.

— Tu m’affronteras ce soir, finit-elle par dire, sa voix glaciale se perdant dans le crépitement des flammes. Et ce sera la fin.

Alors qu’elle observait le brasier, ses poings serrés, elle sentait sa colère atteindre son paroxysme, mais aussi une étrange sensation de libération. La vengeance par le feu. La fin d’un cycle qui aurait dû s’arrêter il y a bien longtemps.

 

Elle attendit, immobile, les yeux rivés sur les flammes qui dansaient autour de l’église. Chaque seconde s’étirait comme une éternité. Le bois craquait, les fenêtres explosaient sous la chaleur, et l’air se chargeait d’une odeur insupportable de cendres et de désespoir. Elle retenait son souffle, les muscles tendus, prête à affronter Callestina dès qu’elle franchirait les portes. Mais lorsque ces dernières s’ouvrirent enfin, la scène qui s’offrit à elle la frappa comme une lame glacée en plein cœur.

Elle vit Jehan. Il tenait dans ses bras deux petits corps inertes, leurs silhouettes frêles noircies par la fumée. Des enfants. Ses fils. Derrière lui, Callestina émergeait à son tour, traînant péniblement le corps sans vie d’une femme dont les vêtements et la chair portaient déjà les stigmates des flammes. Jehan s’arrêta sur le seuil, ses yeux se plantant dans ceux de Marie, et elle sentit son monde s’effondrer sous le poids de ce regard. Un regard empli d’incompréhension, de douleur et d’une colère sourde qui semblait pouvoir briser le ciel lui-même.

— Pourquoi ?! hurla-t-il, sa voix se brisant dans la nuit.

Ce cri fendit l’air comme un coup de tonnerre, résonnant dans la clairière et dans l’âme de Marie. Elle resta figée, incapable de bouger, incapable de parler. Ce regard, elle savait qu’il la hanterait jusqu’à la fin des temps. Il portait en lui tout le chagrin du monde, un abîme d’émotions si profond qu’elle en sentait le poids écrasant sur ses épaules. Ses pensées s’embrouillaient, tourbillonnaient comme une tempête déchaînée. Que se passait-il ? Pourquoi Jehan était-il là ? Pourquoi tenait-il ces corps sans vie dans ses bras ? Puis, lentement, horriblement, la vérité s’insinua dans son esprit comme un poison. C’était elle. Elle était responsable. Elle avait allumé ce feu. Elle avait causé cette tragédie.

Une vague d’effroi monta en elle, lui coupant le souffle. Ses jambes menaçaient de céder sous le poids de cette révélation. Son esprit cherchait des explications, des justifications, mais il n’y en avait aucune. Elle se souvenait du moment où elle avait jeté la torche sur le bûcher, animée par une colère froide, par un besoin de justice ou de vengeance. Mais maintenant, tout cela semblait dérisoire, absurde face aux conséquences irréversibles de son acte.

Marie détourna le regard des corps, incapable de supporter davantage cette vision. La culpabilité se resserra autour de son cœur comme un étau, et une pensée terrifiante s’imposa : qu’avait-elle fait ?

Elle détourna les yeux de Jehan, mais son regard croisa alors celui de Callestina. Loin de la haine qu’elle s’attendait à y trouver, elle n’y vit qu’une terreur muette et une incompréhension aussi profonde que celle de Jehan. Pour la première fois, elle vit son ennemie comme une victime, non comme une adversaire. Et cela la dégoûta. De Callestina. Mais surtout d’elle-même.

Elle avait tué. Une fois de plus. Pas seulement tué, elle avait massacré des innocents. Des mortels. Elle qui s’était promis de ne jamais franchir cette ligne. Elle s’était transformée en ce qu’elle méprisait le plus, pire encore, elle s’était abaissée plus bas que sa rivale elle-même. Le poids de cette réalisation écrasa Marie. Sa respiration devint haletante, ses pensées un chaos incontrôlable. Elle ne pouvait pas rester. Pas après ça. Elle était incapable de lever son épée contre quiconque, encore moins contre Callestina. Alors elle tourna les talons.

Elle courut. Ses jambes semblaient lourdes, mais elle courut quand même, fuyant la scène, fuyant leurs regards, fuyant sa propre culpabilité. Elle trébucha plusieurs fois, ses mains raclant la terre, mais elle se relevait à chaque fois, le souffle court, le cœur brisé. Les images restaient imprimées dans son esprit : Jehan et ses fils, la femme sans vie, les flammes dévorant tout sur leur passage. Elle ne savait pas où elle allait. Elle voulait juste disparaître.

Au loin, le brasier continuait de brûler, éclairant la nuit comme une balise funeste. Mais pour Marie, il ne restait plus que l’obscurité. Une obscurité qu’elle savait ne jamais pouvoir quitter.

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