Le Prix à payer - Highlander Fanfiction

Chapitre 18 : Un Sursis Inattendu

5155 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 4 mois

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, Aélis fut assaillie par une sensation étrange : celle de ne plus être dans sa cellule. Ses pensées étaient confuses, comme si le sommeil forcé avait brouillé ses perceptions. La lumière tamisée d’une pièce spacieuse contrastait violemment avec l’obscurité froide de l’arène.

Elle se redressa brusquement, son cœur battant la chamade, lorsque la vibration familière envahit son esprit. Un immortel était présent.

La pièce dans laquelle elle se trouvait était d’une sobriété surprenante : des meubles modernes aux lignes épurées, des murs aux teintes claires, et une grande baie vitrée devant laquelle des rideaux tamisaient la lueur nocturne. Face à elle se tenait un homme d’apparence moyenne, vêtu simplement mais avec une élégance certaine. Il avait des traits marqués et les cheveux légèrement grisonnant, révélant qu’il devait avoir atteint la quarantaine au moment de sa première mort. Ses yeux gris-bleu la fixaient avec calme.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? souffla-t-elle en le dévisageant. Qu’est-ce que je fais ici ?

L’homme inclina légèrement la tête en signe de salut.

— Je suis Jehan, répondit-il d’un ton posé.

Aélis resta figée, le nom résonnant dans son esprit. Elle scruta son visage, essayant de se rappeler si elle l’avait déjà vu parmi les immortels présentés dans le Jeu. Mais non, il n’y était pas.

— Tu… tu ne fais pas partie des 104. Comment est-ce possible ?

Jehan haussa légèrement les épaules, un sourire énigmatique effleurant ses lèvres.

— C’est exact, je ne suis pas sur la liste.

Son calme contrastait violemment avec l’état de panique intérieur de la jeune immortelle. Elle fronça les sourcils, essayant de comprendre.

— Alors… tu es quoi ? Un spectateur privilégié ? Un infiltré ?

Il croisa les bras, son regard devenant plus sérieux.

— Disons que ma position dans la société me permet d’éviter certains désagréments. Mais je suis ici pour toi, Aélis.

Le poids de ses paroles la laissa perplexe. Pourquoi cet immortel, visiblement influent et hors d’atteinte du Jeu, s’intéressait-il à elle ? Quel rôle jouait-il réellement dans cette mascarade ?

Jehan croisa les mains derrière son dos, ses traits se faisant plus graves.

— Je vais aller droit au but, dit-il. Si j’ai pris le risque de te faire enlever, c’est parce que tu es la seule à pouvoir m’aider.

Aélis le regarda, les sourcils froncés. Elle n’aimait pas le ton autoritaire de ses mots, mais il y avait autre chose dans son regard : une lueur de détresse qu’il ne parvenait pas à masquer.

— T’aider pour quoi, exactement ? demanda-t-elle.

Il inspira profondément avant de répondre :

— J’ai besoin de toi pour une quête. Une mission qui m’obsède depuis des siècles.

L’immortelle se tendit. Les mots de Jehan résonnaient comme un mélange de mystère et de désespoir. Il poursuivit, sa voix se faisant plus douce.

— Au 19e siècle, bien avant que cette folie de purges et de jeux n’existe, j’avais trouvé ce que je croyais impossible pour un immortel : une famille.

Elle le fixa, intriguée, alors qu’il baissait les yeux, ses mains crispées comme s’il revivait un souvenir douloureux.

— C’était une femme et ses enfants, reprit-il. Des mortels. Je les avais adoptés. Ils savaient ce que j’étais, mais cela ne comptait pas pour eux. Ils m’avaient offert un foyer, une raison d’être.

Il marqua une pause, sa voix vibra légèrement.

— Mais ils m’ont été arrachés. Massacrés.

Le silence qui suivit était presque tangible. Aélis ressentit un pincement au cœur en voyant la douleur qui transparaissait encore sur le visage de Jehan.

— Cela fait des siècles, murmura-t-il, mais je ne peux pas tourner la page. J’ai besoin de savoir ce qu’il s’est passé, pourquoi cela leur est arrivé. Sans ces réponses, leur mort reste une plaie béante.

Elle voulut dire quelque chose, mais aucun mot ne lui vint. Elle comprenait sa douleur, mais elle était perplexe quant à son rôle dans tout cela.

Il reprit :

— J’ai mis au point une machine à remonter le temps. Elle n’est pas parfaite, mais elle fonctionne.

Les yeux d’Aélis s’écarquillèrent.

— Une machine à remonter le temps ? C’est impossible.

— Pas tout à fait, corrigea-t-il. Mais il y a des limites. Elle ne peut envoyer qu’une personne à une époque où elle n’a jamais vécu.

Elle fronça les sourcils, confuse.

— Et pourquoi vouloir m’y envoyer moi ?

— Je ne peux pas y aller moi-même, répliqua Jehan. J’ai déjà vécu à cette époque. Et j’ai déjà envoyé des mortels. Aucun n’est jamais revenu.

Il marqua une pause, la fixant droit dans les yeux.

— Tu es immortelle. Et tu es jeune, suffisamment pour n’avoir jamais vécu à cette période. Tu es la seule à répondre aux critères nécessaires.

Aélis ouvrit la bouche pour répliquer, mais il leva une main, anticipant son objection.

— Écoute-moi bien, Aélis. La théorie, je la maîtrise. Mais la pratique… eh bien, tu seras la première immortelle à tester ce voyage. Ceux que j’ai envoyés avant toi ? Disparus. Je ne sais pas s’ils sont morts ou s’ils ont simplement cessé d’exister.

Un frisson la parcourut.

— Peut-être qu’ils sont restés là-bas, tenta-t-elle.

— C’est une possibilité, admit-il. Mais une autre est qu’ils n’ont jamais atteint leur destination. Que leur conscience s’est égarée dans un entre-deux, sans corps pour l’accueillir.

 

Le poids des paroles de Jehan semblait s’abattre sur elle, l’immobilisant comme sous une chape de plomb. Son esprit tentait en vain de contenir le flot de questions, mais une seule vérité s’imposait : il lui demandait l’impossible. Elle détourna les yeux, fixant la lumière tamisée qui se reflétait sur le sol, cherchant un semblant de stabilité dans ce tumulte. Voyager dans le passé ? Dans une époque inconnue ? Seule ?

Jehan, toujours impassible, s’avança de quelques pas, réduisant la distance entre eux.

— Je sais que c’est une demande immense. Mais regarde les choses en face. Si tu restes ici, tu sais ce qui t’attend. Demain, tu entreras dans l’arène contre Theron. Et soyons réalistes : il a des siècles d’expérience sur toi. Tu es douée, mais ça ne suffira pas.

Sa voix était calme, presque douce, mais chaque mot frappait comme une gifle.

— Tu vas mourir, Aélis, poursuivit-il sans détour, son regard fixé sur elle. Et si ce n’est pas demain, ce sera lors d’un autre combat. Ce Jeu est une mascarade ; il n’y a pas d’échappatoire pour les immortels qui y participent.

Elle releva lentement les yeux, croisant le regard perçant de Jehan. La colère bouillonnait en elle, un mélange de défi et d’une peur qu’elle ne voulait pas reconnaître.

— Et tu crois que ce que tu me proposes est mieux ? Lancer une immortelle inexpérimentée dans une époque qu’elle ne connaît pas, avec une machine qui a déjà tué ?

Il esquissa un sourire triste.

— Peut-être pas mieux, mais différent. Une chance, aussi mince soit-elle, d’échapper à cette absurdité et de servir une cause plus grande que toi. Et soyons honnêtes : tu n’as plus rien à perdre.

Ces mots, prononcés avec une désarmante simplicité, la percutèrent de plein fouet, résonnant dans son esprit comme une vérité qu’elle n’avait jamais voulu formuler à voix haute. Plus rien à perdre. Elle détourna le regard, mais une pensée s’imposa avec une intensité presque douloureuse, surgissant du fond de sa mémoire, brutale et irrépressible.

Darius.

Son souffle se suspendit, son cœur accélérant soudainement comme si, après des années de silence, cette seule évocation suffisait à réveiller un manque qu’elle avait trop longtemps refoulé. Elle s’était convaincue d’avoir tourné la page, d’avoir surmonté cette dépendance qui l’avait poussée, un siècle plus tôt, à chercher le frisson du combat dans l’espoir vain de le retrouver dans chaque affrontement. Pourtant, en une fraction de seconde, tout ce qu’elle croyait maîtriser venait de lui échapper.

Elle revit son sourire paisible, sa silhouette drapée dans sa robe de moine, la douceur de son regard chargé d’une sagesse patiente, celle d’un homme qui avait su voir en elle ce qu’elle-même ignorait encore. Elle se revit à ses côtés, à l’abri des murs de son église, absorbée par ces discussions qui semblaient suspendre le temps et lui offraient un répit dans la tempête de son existence. Puis, comme un coup de poignard, elle revit aussi la fin, ce dernier regard avant qu’il ne disparaisse, ce vide béant qu’il avait laissé derrière lui et qu’elle n’avait jamais vraiment su combler.

Elle l’avait perdu, et avec lui, quelque chose d’essentiel en elle s’était brisé.

Et si elle pouvait le revoir ?

L’idée, insensée et enivrante, s’imposa à son esprit avec une telle force qu’elle en eut le vertige. Si Jehan disait vrai, s’il existait une chance, même infime, de remonter dans le temps, alors elle pourrait le retrouver, le voir de ses propres yeux, entendre sa voix, comprendre enfin ce qui l’avait façonné avant qu’il ne devienne cet homme qui avait tant compté pour elle. Pendant un instant, tout le reste s’effaça. Ni la mission de Jehan, ni les risques, ni même le fait qu’elle se jetait peut-être dans un gouffre dont elle ne maîtrisait pas les règles. Seule comptait cette possibilité, aussi fragile et dangereuse soit-elle.

Mais alors qu’elle s’apprêtait à céder totalement à cet espoir insensé, une pensée plus froide, plus acérée, fusa au cœur du tumulte qui l’assaillait. Cela faisait plus de cent ans qu’elle courait après une ombre. Elle eut un moment de recul, comme si une partie d’elle tentait désespérément de reprendre le contrôle, et pour la première fois depuis qu’elle avait entendu parler de ce voyage, une brève hésitation s’immisça en elle. Que faisait-elle, exactement ? Était-elle en train de se jeter à nouveau dans la même spirale d’obsession et de perte ?

Elle serra les poings, luttant contre cette lucidité indésirable qui menaçait de fissurer son désir aveugle. Non, ce n’était pas la même chose. Cette fois, ce n’était pas une quête sans fin, pas une illusion construite sur des souvenirs et du manque. Cette fois, c’était réel.

Elle se redressa légèrement, ancrant à nouveau son regard dans celui de Jehan.

— J’accepte de t’aider, mais à une seule condition, déclara-t-elle.

L’homme cligna des yeux, comme s’il percevait enfin qu’il se passait quelque chose de plus profond en elle. Il ne répondit pas tout de suite, et pendant un bref instant, son expression changea imperceptiblement. Un malaise fugace, une hésitation à peine perceptible.

Il avait vu. Pendant une fraction de seconde, il avait perçu quelque chose d’inquiétant dans son regard. Il s’attendait à voir une détermination froide et calculée, celle d’une survivante qui choisissait la meilleure option pour rester en vie. Mais ce n’était pas ce qu’il avait trouvé. Il avait vu une lueur trop vive, un éclat qui n’avait rien de rationnel, quelque chose de fiévreux et d’obsessionnel, un fanatisme qu’il ne s’attendait pas à croiser dans ses yeux.

Mais il ne fit aucun commentaire. À la place, il croisa les bras et hocha lentement la tête.

— Et laquelle ?

— Je veux que tu me fasses remonter en l’an 38, bien avant l’époque de ta quête.

La réaction de Jehan fut immédiate : ses yeux s’écarquillèrent sous l’effet de la surprise, suivis d’un froncement de sourcils agacé.

— L’an 38 ? Tu te rends compte de ce que tu demandes ? protesta-t-il.

— Parfaitement, répondit Aélis calmement.

Il se leva brusquement, arpentant la pièce comme un lion en cage.

— C’est insensé. Ce n’est pas une simple excursion. Ce sont des siècles de survie dans un monde brutal et imprévisible. Et s’il t’arrive quelque chose avant d’atteindre le 19e siècle, ma quête sera réduite à néant.

Elle resta impassible, les mains croisées sur ses genoux.

— Je comprends tes inquiétudes. Mais c’est ma condition.

Il s’arrêta net, la fixant avec une intensité nouvelle.

— Pourquoi l’an 38 ? Si c’est pour retrouver un immortel, tu pourrais simplement demander une époque plus proche, quelque chose de moins risqué.

Aélis détourna légèrement le regard, cherchant ses mots.

— L’immortel que je veux revoir… c’est Darius. Je l’ai connu dans sa dernière vie, mais je n’ai jamais compris ce qui l’a façonné. Je veux voir ses débuts, savoir qui il était avant de devenir celui que j’ai connu trop peu de temps.

Jehan parut surpris, mais pas entièrement convaincu.

— Tu demandes à vivre des siècles de danger pour une quête personnelle, alors que la mienne est déjà un pari risqué. Tu te rends compte de l'ampleur de ce que tu exiges ?

— Je ne demande pas. Je t’offre mon aide, mais à mes conditions. Tu veux faire le deuil de ta famille, Jehan ? Moi aussi.

Son ton était calme, mais chargé d’une telle force intérieure que l’immortel comprit qu’il ne pourrait pas la faire changer d’avis.

 

Il s’assit à nouveau, les coudes appuyés sur ses genoux, la tête baissée dans une réflexion intense.

— Si je t’envoie en l’an 38, tu devras survivre seule pendant plus de dix-huit siècles avant d’atteindre le 19e. Je ne peux pas garantir que tu seras encore en vie pour résoudre ma quête.

Elle hocha la tête.

— Je comprends le risque, mais je suis prête à le prendre.

Il poussa un soupir avant de secouer légèrement la tête.

— Ce n’est pas que ça, Aélis… Il y a autre chose.

Il hésita un instant, cherchant ses mots.

— Si tu rencontres Darius dans le passé… tu pourrais altérer le futur.

Elle ouvrit la bouche pour répondre, mais il leva une main pour la couper.

— Je sais, tu vas me dire que tu n’as pas l’intention de changer quoi que ce soit. Mais personne ne peut prédire l’effet d’une présence extérieure sur le cours du temps. Peut-être que tu ne feras que l’observer… mais s’il t’accorde son amitié ? S’il prend des décisions différentes parce que tu es là ? S’il ne devient pas l’homme que tu as connu ?

Il s’interrompit, comme s’il mesurait lui-même l’ampleur de ses paroles. Aélis sentit un frisson la parcourir. L’idée lui avait effleuré l’esprit, mais entendre Jehan l’énoncer ainsi la rendait plus tangible, plus inquiétante.

Et s’il avait raison ?

Darius n’était pas juste un immortel parmi d’autres. Il était un roc, une lumière dans l’obscurité qu’elle n’avait jamais pu retrouver après sa mort. Son existence avait été marquée par une transformation unique : de conquérant impitoyable, il était devenu un homme de paix, un guide, un être dont la sagesse dépassait de loin celle des autres immortels. Il était celui qui lui avait donné un ancrage, une raison de croire qu’ils n’étaient pas condamnés à n’être que des tueurs.

S’il n’avait pas emprunté cette voie, s’il n’avait pas fait ce choix… que serait-il devenu ? Et si elle en était la cause ?

L’idée lui serra la gorge. S’il restait ce guerrier brutal qu’il avait été au départ, un conquérant insensible… Si, à cause d’elle, il ne trouvait jamais le chemin qui l’avait mené à devenir cet homme qu’elle admirait tant… Elle ferma les yeux un instant, cherchant à ralentir le flot de pensées qui menaçait de l’engloutir.

Mais Darius était Darius.

Elle voulait croire que rien ni personne ne pourrait empêcher ce qu’il devait devenir. Peut-être qu’elle pouvait lui parler, l’observer, mais elle ne le changerait pas. Elle le connaissait trop bien pour cela. Elle prit une inspiration lente.

— Tu crois que je pourrais le détourner de son destin ? murmura-t-elle.

Jehan soupira.

— Je n’en sais rien. C’est bien ça le problème.

Un silence s’installa entre eux. Aélis serra les poings sur ses genoux.

— Darius… n’a pas eu besoin de moi pour devenir celui qu’il était, finit-elle par dire, la voix plus ferme. Il avait sa propre lumière, sa propre force. J’ai confiance en lui.

Jehan l’observa longuement.

— Et si cette confiance était mal placée ?

— Je préfère prendre ce risque… plutôt que de renoncer à la seule chance que j’ai de le revoir.

— Dans ce cas… prépare-toi à l’inconnu.

 

Il se redressa et reprit un ton sérieux.

— Avant que nous poursuivions, il y a des règles essentielles à respecter, et elles sont non négociables.

Aélis acquiesça, attentive.

— La première, et la plus importante : tu ne dois jamais être présente dans la même temporalité que toi-même. Si cela se produit, les conséquences pourraient être désastreuses.

— À quel point désastreuses ? demanda Aélis, un frisson la parcourant.

— Ton existence entière serait effacée. Non seulement tu mourrais, mais ce serait comme si tu n’avais jamais existé. Tous tes souvenirs, tes actes, ton empreinte sur l’histoire… tout disparaîtrait.

Elle déglutit, le poids des implications s’abattant sur elle.

— Je devrai donc être revenue ici, dans le futur, avant ma naissance en 1993.

— Exactement. Et il y a une autre règle : ne jamais modifier le passé.

Elle fronça les sourcils.

— Pourquoi ?

Jehan haussa légèrement les épaules.

— Parce que nous ignorons ce que cela pourrait provoquer. Peut-être que cela changerait l’histoire de façon anodine… ou peut-être que cela aurait des répercussions catastrophiques. Dans tous les cas, tu ne dois pas tuer de mortels. Chaque vie humaine a un impact sur l’avenir, et même une seule mort pourrait provoquer un effet domino.

Il se pencha légèrement en avant, son regard sombre fixé sur elle.

— Tu dois promettre de ne prendre aucune vie humaine lors de ton séjour dans le passé.

Aélis hésita. Elle comprenait l’importance de cette règle, mais elle savait aussi que la survie dans des temps hostiles était imprévisible. Elle inspira profondément.

— Je ne peux pas promettre de ne pas en prendre, répondit-elle avec franchise. Mais je peux promettre d’essayer. Je ferai tout ce qui est en mon possible pour m’y tenir.

L’immortel soupira, partagé entre sa méfiance et son besoin d’aide. Après un moment, il hocha lentement la tête.

— Très bien. Je ne peux pas t’obliger à faire autrement, mais sois consciente que chaque mort humaine pourrait compromettre l’avenir de ce que tu cherches à protéger.

Aélis acquiesça, sentant le poids de sa promesse peser déjà sur ses épaules.

 

Alors qu’elle réfléchissait aux implications des règles énoncées par Jehan, il se leva brusquement, se dirigeant vers un petit coffre métallique posé sur une table. Il l’ouvrit avec précaution, révélant une série d’instruments et un minuscule disque transparent à peine visible à l’œil nu.

— Avant de partir, il y a encore une chose à faire, annonça-t-il.

Il retourna vers elle, tenant l’objet entre ses doigts gantés.

— C’est quoi ? demanda Aélis, méfiante.

— Une puce holographique, répondit-il calmement. C’est la clé qui te permettra d’effectuer le voyage dans le temps et de revenir.

Elle fronça les sourcils.

— Une puce ? Tu veux m’implanter ça sous la peau ?

Jehan hocha la tête avec un calme désarmant.

— Oui. C’est le seul objet capable de supporter les distorsions du voyage temporel. Elle est indétectable et ne te gênera pas… tant qu’elle n’est pas activée.

— Et quand elle est activée ?

— Lorsque tu activeras la puce, des symboles lumineux apparaîtront sous ta peau. Ils te permettront de sélectionner ta destination temporelle : l’aller ou le retour.

Il désigna une chaise à proximité.

— Installe-toi. Cela prendra quelques minutes.

 

Aélis hésita un instant, puis s’assit lentement. Jehan sortit un petit appareil ressemblant à une seringue sophistiquée et plaça la puce à l’intérieur. Il ajusta l’appareil, le positionnant au niveau de l’intérieur de son poignet.

— Tu vas sentir une légère piqûre, mais rien de grave, assura-t-il.

La piqûre fut effectivement brève, mais une chaleur étrange se diffusa rapidement sous sa peau. Elle regarda son poignet, mais rien n’était visible.

— C’est tout ? demanda-t-elle.

Jehan secoua la tête.

— Pas encore. Je dois maintenant la programmer.

Il sortit un appareil circulaire qu’il plaça au-dessus de son poignet. Une lumière bleue s’activa, projetant des symboles lumineux sur la peau de l’immortelle. Elle les observa, fascinée, alors que Jehan manipulait des commandes sur un petit terminal.

— Ces symboles représentent les paramètres temporels, expliqua-t-il. Chaque configuration correspond à une époque spécifique.

— Et si je fais une erreur en les manipulant ? demanda Aélis, soudain inquiète.

Il répondit sans lever les yeux de son travail.

— Tu ne peux pas voyager par accident. Les symboles doivent être activés dans un ordre précis pour fonctionner. Une fois la programmation terminée, je te montrerai comment t’en servir.

Après quelques minutes, il recula et éteignit l’appareil. Les symboles disparurent, laissant la peau d’Aélis aussi lisse qu’avant.

— Voilà, c’est fait, dit-il en croisant les bras.

— Comment je l’active ?

Jehan tendit la main, paume ouverte, pour lui montrer.

— Appuie ici, sur le centre de ton poignet.

Elle obéit, et immédiatement, les symboles lumineux réapparurent, filtrant à travers sa peau comme des tatouages vivants. Ils changeaient légèrement d’aspect lorsqu’elle bougeait le doigt.

— C’est incroyable, murmura-t-elle, fascinée.

L’immortel sourit légèrement, fier de sa création.

— Pour sélectionner l’aller ou le retour, il te suffit de faire glisser les symboles jusqu’à obtenir la configuration que je vais te montrer. Une fois validée, la puce s’active et te transporte à l’époque choisie.

Il marqua une pause, son regard devenant sérieux.

— Mais souviens-toi : tu n’as droit qu’à deux voyages. Un aller et un retour. Rien de plus.

Elle hocha la tête, consciente de la gravité de cette responsabilité. Jehan lui expliqua les derniers détails de l’utilisation, insistant sur l’importance de ne jamais activer la puce de manière impulsive.

— Cette technologie est encore expérimentale, admit-il. Les règles que je t’ai données sur le passé doivent être suivies à la lettre. Toute déviation pourrait avoir des conséquences… imprévisibles.

Aélis sentit un frisson parcourir son échine. Malgré ses appréhensions, elle posa une main sur son poignet, sentant la puce désormais implantée sous sa peau.

— J’espère que tu sais ce que tu fais, murmura-t-elle.

Il la fixa, son regard empreint d’un mélange de confiance et de tension.

— Moi aussi.

— Et où est-ce que j’arriverai exactement ?

— Le lieu depuis lequel tu partiras dans le futur sera celui où tu réapparaîtras dans le passé, répondit-il. Le temps changera, mais pas l’espace. Il n’y a pas de téléportation géographique.

Il marqua une pause, puis ajouta :

— Enfin, tu ne pourras emporter aucun objet, ni vêtement. Le voyage temporel ne permet pas de faire passer autre chose que de la matière organique vivante.

Aélis haussa un sourcil, légèrement déconcertée.

— Je vais arriver… nue ?

Jehan acquiesça, un brin gêné.

— Oui, mais si tu choisis bien ton point d’arrivée, cela ne posera pas de problème.

 

Elle réfléchit un instant, puis une idée germa dans son esprit.

— Je veux arriver dans une communauté d’Esséniennes.

L’homme sembla surpris.

— Les Esséniens ? Ces ascètes juifs du premier siècle ?

— Oui, mais je parle d’une communauté féminine, inspirée de leurs principes. J’ai lu qu’il en existait en Judée, des groupes de femmes pacifistes vivant dans des lieux saints. Si je dois arriver vulnérable, je préfère être protégée par des femmes dans un endroit où je ne serai pas une cible directe pour des immortels.

Jehan approuva d’un hochement de tête.

— Sage décision. Il y a effectivement des témoignages de telles communautés près de Qumrân, à proximité de la Mer Morte.

Il consulta une carte holographique et sélectionna un point précis.

— Nous partirons pour ce lieu. Il est isolé, et son caractère sacré devrait te garantir une certaine sécurité à ton arrivée.




Jehan conduisit Aélis dans un véhicule volant privé, qui fila silencieusement à travers les cieux vers leur destination. L’appareil se posa dans une vallée désertique, dominée par des falaises abruptes et baignée par une lumière dorée. Au loin, les ruines d’une ancienne communauté étaient encore visibles, partiellement enfouies dans le sable.

— C’est ici, dit Jehan. L’endroit où tu te trouves deviendra celui où tu apparaîtras dans le passé.

L’immortelle observa le lieu, une sérénité étrange émanant de l’endroit. Elle prit une profonde inspiration, se préparant mentalement à ce qui allait suivre. Puis, lentement, elle commença à se déshabiller, pliant soigneusement ses vêtements qu’elle posa à côté d’elle. Elle détacha également le bracelet en cuir que lui avait offert Darius, qu’elle n’avait jamais quitté, et le posa religieusement au-dessus de la pile de vêtements.

Assise sur le sol, ses bras entourant ses jambes dans un élan de pudeur, elle lança un dernier regard à Jehan.

— Je ferai tout pour revenir exactement ici. Mais quoi qu’il arrive, seulement une heure se sera écoulée dans le futur, n’est-ce pas ?

Jehan confirma d’un signe de tête.

— Oui. Une heure pour nous. Mais pour toi… plusieurs siècles.

Il marqua une pause, puis inspira profondément, le regard rivé sur elle. Aélis vit, pour la première fois, une hésitation fugace dans son attitude. Il ouvrit la bouche, puis la referma. Son regard, d’ordinaire si assuré, vacilla un instant.

— Aélis…

Sa voix était plus basse qu’à l’accoutumée, presque hésitante.

— Si quelque chose tourne mal, tu n’auras aucun moyen de revenir.

— J’en suis consciente.

Jehan baissa brièvement les yeux, songeur, puis les releva vers elle.

— J’ai toujours cru en cette machine, en mes calculs. Mais je réalise maintenant… que je ne crois pas autant en l’avenir que toi.

Un sourire amer effleura ses lèvres.

— J’espère que tu as raison d’y croire plus que moi.

Aélis soutint son regard un moment, puis effleura doucement la surface de la puce sur son poignet. La lumière s’activa, projetant un halo bleuté sur sa peau.

— Il n’y a qu’une seule façon de le savoir.

Jehan retint son souffle. Sélectionnant l’option Aller du bout des doigts, Aélis releva une dernière fois les yeux vers lui.

— Bonne chance, murmura-t-il.

 

En un instant, le monde autour d’elle changea. La lumière s’éteignit brusquement, plongeant son environnement dans une obscurité totale. Elle ressentit une étrange vibration dans tout son corps, comme si chaque cellule était en train d’être arrachée et réassemblée.

Le vent siffla à ses oreilles, de plus en plus fort, une tempête soufflant depuis l’éternité. Mais elle n’avait pas peur. Son esprit tout entier s’accrochait à une seule pensée, un seul nom. Darius. Bientôt, elle le reverrait. Elle entendrait à nouveau sa voix, verrait cette lueur de sagesse dans son regard, ressentirait cette présence apaisante qui lui avait tant manqué. Peu importaient les siècles à traverser, les dangers à affronter. Il serait là, et elle pourrait enfin réparer ce qui avait été brisé.

Une brûlure étrange se propagea sous sa peau, mais elle l’ignora, refusant de laisser quoi que ce soit la détourner de cette certitude. Puis, fugace comme une ombre, une pensée la frappa.

Et si ce n’était pas lui ?

Son souffle se bloqua. L’idée, absurde et terrifiante, s’insinua dans son esprit comme une faille brusquement ouverte sous ses pieds. Et si elle avait tort ? Et si Darius n’était pas celui qu’elle espérait retrouver ? Pendant une fraction de seconde, elle vacilla, prise entre le vertige de l’inconnu et l’impulsion irréversible qu’elle venait de déclencher.

Mais elle se força à chasser cette peur. Non. Elle le retrouverait, celui qu’elle avait connu. Elle en était sûre. Plus qu’un instant, plus qu’un souffle, et tout recommencerait.

Puis, tout s’arrêta. Pas de son. Pas de lumière. Juste le vide absolu. Aélis sentit son cœur battre la chamade, chaque pulsation résonnant dans cet espace infini et indéfinissable. Et alors qu’elle se perdait dans cette sensation étrange et indescriptible, tout devint noir.

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