Le Prix à payer - Highlander Fanfiction
Les saisons défilaient avec une régularité apaisante, dessinant un cycle immuable de floraisons, de récoltes et de neiges. Au cœur des ruines désormais fleuries, la communauté vivait en harmonie, un microcosme d’humanité où immortels et mortels coexistaient avec une simplicité que beaucoup, ailleurs, auraient jugée impossible.
Les mortels allaient et venaient. Certains trouvaient refuge au hameau pour quelques années, d'autres restaient jusqu'à la fin de leur vie. Avec le temps, les maisons de bois et de pierre s'étaient multipliées, et les champs autour du village s’étaient étendus. Chaque nouvelle construction, chaque outil forgé à la main, témoignait de la résilience de ces âmes unies par un besoin commun de paix.
Les immortels, eux, restaient inchangés. Astrid, avec sa force tranquille, devenait une figure d’autorité respectée parmi les mortels. Zafira enseignait l’art du tissage et du soin des plantes, tandis qu’Aélis, guidée par Methos, découvrait la médecine.
— Tu as un talent naturel, lui dit-il un jour en l'observant appliquer un baume sur une brûlure.
— Je n’ai fait que suivre tes conseils, répondit-elle modestement.
Il lui offrit un sourire en coin.
— Peut-être, mais il y a une différence entre écouter et comprendre. Tu as le don de voir les besoins des autres, même quand ils ne les expriment pas. C’est précieux, Aélis.
Le matin était encore frais lorsque le son sourd des coups résonna dans l’air calme du hameau.
Dans une clairière dégagée, à l’écart des habitations, Astrid et Zafira s’entraînaient sous le regard attentif de quelques spectateurs. Lames en bois en main, elles s’affrontaient avec une intensité maîtrisée. Astrid, plus grande et plus imposante, adoptait une approche méthodique, chaque attaque calculée et chaque mouvement ancré dans une discipline forgée par des siècles d’expérience. Zafira, à l’inverse, se mouvait avec une fluidité presque féline, esquivant les coups de son adversaire avec une agilité remarquable. Elle ne contrait pas frontalement—elle contournait, glissait, utilisait le poids d’Astrid contre elle.
Aélis, accoudée à un tronc d’arbre, observa avec un intérêt croissant.
Soudain, dans un mouvement rapide et presque imperceptible, Zafira pivota et fit glisser son arme le long de celle d’Astrid, crochetant habilement son poignet. Avant que cette dernière ne puisse réagir, la lame en bois vola dans les airs et atterrit quelques mètres plus loin.
Astrid se figea, cligna des yeux, puis laissa échapper un rire bref.
— D’accord, concéda-t-elle en secouant la tête. Tu es bien plus vicieuse que tu n’en as l’air.
Zafira lui rendit un sourire en coin, légèrement essoufflée.
— Tu es plus forte que moi. Je n’ai pas le choix si je veux survivre.
Elle ramassa l’arme d’Astrid et la lui tendit sans cérémonie.
Aélis, fascinée, se redressa.
— Où est-ce que tu as appris ça ?
— À survivre contre d’autres immortels.
— Tu pourrais me l’enseigner ?
— Tu sais déjà te battre, non ?
— Je me débrouille. Mais je me repose beaucoup sur ma rapidité et mon instinct. Toi, tu ne comptes pas sur la force brute, et j’aimerais apprendre ça.
Zafira échangea un regard avec Astrid, qui haussa les épaules avec un sourire amusé.
— Ça pourrait être intéressant, fit-elle. Je suis curieuse de voir si elle parvient à te désarmer aussi vite qu’elle l’a fait avec moi.
Elle finit par acquiescer, faisant signe à Aélis de se mettre en position.
— D’accord. Montre-moi comment tu attaques.
La jeune immortelle s’équipa d’un bâton de bois et se mit en garde, ses jambes légèrement fléchies, prête à bondir. Elle lança la première offensive, rapide et tranchante. Zafira esquiva d’un pas fluide, sans bloquer directement.
— Trop direct, commenta-t-elle.
Aélis enchaîna un second coup, plus bas cette fois, visant à la déséquilibrer. Zafira pivota à nouveau, et avant qu’Aélis ne puisse comprendre ce qui se passait, elle sentit son poignet happé dans un mouvement précis. L’instant d’après, son arme lui échappait et elle se retrouvait désarmée, le poing de Zafira à quelques centimètres de son ventre.
— Et voilà, conclut Astrid en croisant les bras, amusée.
Aélis souffla un rire court, secouant la tête.
— Ok, c’était impressionnant.
Zafira lui rendit son arme et s’accroupit pour dessiner un schéma dans la terre avec la pointe du bâton.
— Tu es rapide, mais tu attaques toujours dans une ligne prévisible. Si ton adversaire est plus fort que toi, tu dois l’empêcher de se servir de sa force.
Elle fit un tracé en spirale.
— L’astuce, c’est de ne jamais aller directement contre l’attaque adverse. Tu dois l’accompagner, la contourner, et l’utiliser pour créer une ouverture.
La jeune immortelle observa le dessin un instant avant de hocher la tête.
— Tu faisais ça avant d’être capturée ?
Le sourire de Zafira s’effaça légèrement. Elle posa son bâton à côté d’elle, hésitant une fraction de seconde avant de répondre.
— Oui. Je m’en suis toujours sortie comme ça.
Un silence pesant s’étira entre elles, puis Zafira se redressa et épousseta son pantalon.
— Allez, reprenons. Essaie encore.
Aélis hocha la tête et reprit position, plus concentrée cette fois. Elles s’entraînèrent jusqu’à ce que leurs muscles s’engourdissent et que le soleil commence à descendre.
À la fin, Aélis tenait mieux son arme. Elle n’avait pas encore réussi à surprendre son adversaire, mais elle commençait à comprendre.
La vie suivait son cours, et pourtant, quelque chose pesait sur le cœur de la jeune immortelle. À mesure que les années passaient, elle voyait ceux qu’elle avait appris à aimer vieillir, leurs corps fléchir sous le poids du temps. Elle s’était attachée à eux : des artisans, des cultivateurs, des enfants qui devenaient adultes avant de fonder à leur tour une famille. Et un jour, ils s’éteignaient.
Un soir d’été, alors que le crépuscule baignait le hameau d’une lumière dorée, Aélis trouva Methos assis sur un vieux tronc d’arbre, un livre ancien posé sur ses genoux. Elle s’assit à ses côtés, le silence de la nature les enveloppant.
— Comment fais-tu ? murmura-t-elle après un long moment.
Methos releva les yeux de son livre, intrigué.
— Comment je fais quoi ? Lire tranquillement sans qu’on me pose de questions existentielles ?
Aélis esquissa un sourire, mais son regard resta sérieux.
— Non… Comment fais-tu pour… pour continuer, alors que tout le monde autour de toi vieillit et meurt ?
Il referma doucement son livre, le posant à côté de lui, puis se tourna légèrement vers elle. Un sourire empreint de mélancolie flotta sur ses lèvres.
— C’est une question que chaque immortel se pose à un moment ou un autre. Tu n’es pas la première, Aélis. Et tu ne seras pas la dernière.
Elle baissa les yeux, honteuse de sa propre douleur.
— Parfois, je me demande si c’est égoïste de rester ici, au milieu d’eux. Ils m’aiment, mais je sais que je vais les voir disparaître, tous.
Methos posa une main rassurante sur son épaule, puis glissa lentement ses doigts jusqu’à sa joue, qu’il effleura du bout des doigts.
— Ce n’est pas égoïste. Ils t’aiment, oui, mais toi aussi tu les aimes. Et cet amour, ce lien, n’est pas moins réel parce qu’il est temporaire.
Il marqua une pause, cherchant ses mots.
— Les mortels nous rappellent la valeur du temps. Leur fragilité est ce qui les rend si précieux. Ils vivent avec une intensité que nous, immortels, avons parfois tendance à oublier.
Elle releva les yeux, troublée, ses émotions brouillant ses pensées.
— Et pourtant, ça fait tellement mal de les perdre…
— Oui, admit Methos doucement. Mais cette douleur fait partie de la vie. Le prix à payer. Si tu fermes ton cœur pour éviter de souffrir, tu te prives aussi de tout ce qui donne un sens à notre existence.
Voyant les larmes qu’elle retenait, il passa doucement une main derrière sa tête et l’attira contre lui. Elle se laissa faire, posant sa tête sur son épaule tandis qu’il déposait un baiser léger sur son front.
— Ne fuis pas ce lien, murmura-t-il près d’elle. Accepte-le, même si cela signifie accepter la perte. C’est cela, vivre.
Aélis ferma les yeux un instant, bercée par le son de sa voix et la chaleur de son étreinte. Ses pensées vagabondaient, effleurant tour à tour les visages des mortels qui avaient marqué sa vie et les questions qu’elle n’osait encore poser sur l’avenir. Ce moment de calme la laissait pensive, partagée entre la douleur de ce qu’elle savait inévitable et la sérénité apaisante qu’elle trouvait auprès de Methos.
Leurs échanges se prolongeaient souvent ainsi, dans des moments volés à la routine du quotidien. Astrid, elle aussi, offrait parfois ses réflexions, empreintes de pragmatisme nordique.
— Les mortels savent qu’ils vont mourir, disait-elle en étendant du linge un matin. Et pourtant, ils continuent à bâtir, à aimer, à espérer. Peut-être que nous, immortels, avons quelque chose à apprendre d’eux.
Peu à peu, Aélis apprit à embrasser cette réalité. Elle aidait à mettre au monde des enfants, soignait les blessures, et assistait aux funérailles de ceux qu’elle avait connus. Chaque adieu était une épreuve, mais aussi une leçon sur l’importance de vivre pleinement chaque instant.
Et ainsi, les décennies passèrent dans une harmonie douce et fragile. Le hameau prospéra, renforcé par cet équilibre improbable entre mortels et immortels. Pour Aélis, cette période devint un apprentissage profond de la vie et de la mort, du lien humain et de la résilience. Et, quelque part, elle trouva une paix qu’elle n’avait jamais soupçonnée.
La quiétude du hameau fut finalement troublée par une sensation subtile, un frisson familier parcourant les immortels. Aélis et Methos échangèrent un regard, intrigués. La sensation était curieuse, presque réconfortante, comme un souvenir oublié qui refait surface.
Lorsqu’il apparut à l’orée du village, Methos fronça légèrement les sourcils avant qu’un sourire ne détende ses traits.
— Soleman, murmura-t-il, visiblement surpris.
Aélis reconnut aussitôt l’homme à l’allure posée. Soleman, avec sa démarche tranquille et ses yeux sombres, portait toujours cette aura de mystère qui semblait le suivre partout. Les retrouvailles furent marquées par une chaleur discrète. Methos s’avança pour l’accueillir, tandis qu’Aélis observait en retrait, attentive. Soleman inclina légèrement la tête, un sourire presque imperceptible adoucissant ses traits.
— Que fais-tu ici ? demanda Methos, intrigué mais visiblement ravi.
— J’ai entendu des rumeurs, répondit-il, sa voix toujours aussi calme. Un endroit où immortels et mortels vivent en harmonie. Je voulais voir si c’était vrai… Je n’avais pas prévu de vous y trouver.
Un éclat d’émotion passa dans son regard, vite dissimulé. Methos éclata de rire, un son rare et spontané.
— Eh bien, tu es le bienvenu parmis nous.
Soleman haussa les épaules, un sourire en coin. Malgré la légèreté de leurs échanges, une certaine retenue demeurait dans ses gestes. Fidèle à lui-même, il gardait une certaine distance, comme s’il refusait de s’ancrer trop profondément dans le présent.
À la tombée de la nuit, Aélis le trouva seul, assis sous un grand chêne en retrait du hameau. Le clair de lune glissait sur son visage, révélant des traits graves mais paisibles. Elle s’approcha doucement, hésitant un instant avant de briser la solitude de l’homme.
— Puis-je m’asseoir ? demanda-t-elle doucement.
Soleman releva les yeux, puis acquiesça d’un léger mouvement de tête. Elle s’installa près de lui, laissant le silence s’installer un moment. Elle baissa les yeux, pensive. Puis, après un silence, releva la tête et, avec une sincérité rare, lâcha :
— Je ne crois pas t’avoir jamais remercié, Soleman.
Il arqua un sourcil, légèrement surpris.
— Pour quoi ?
— Pour m’avoir arrêtée. Pour ne pas m’avoir laissée sombrer complètement… Et pour ne pas m’avoir tuée ce soir-là.
Il l’observa un instant, puis détourna le regard vers les branches du chêne au-dessus d’eux.
— Je ne t’ai pas arrêtée. C’est toi qui as fini par t’arrêter.
— Peut-être. Mais sans toi, je n’aurais jamais eu cette chance.
Un silence s’installa, non pas pesant, mais chargé d’une reconnaissance muette, d’un respect tacite. Puis, après un instant, elle reprit, sa voix plus posée :
— La première fois que je t’ai vu, c’était devant l’église de Darius. Vous parliez, lui et toi… Avec le recul, ça ressemblait à des adieux déguisés.
Soleman resta silencieux, son regard perdu dans les ombres mouvantes des arbres.
— Il t’avait parlé de ses visions ? reprit-elle.
Il hocha la tête, lentement.
— Oui. Il parlait de ses cauchemars, de ce poids qu’il ressentait… Mais comment distinguer une crainte profonde d’une certitude ? J’espérais qu’il se trompait.
Avant qu’Aélis ne puisse répondre, une voix grave s’éleva derrière eux.
— Et pourtant, il avait raison.
Methos s’avança doucement, prenant place à leurs côtés. Il s’assit près d’Aélis, suffisamment proche pour que leurs épaules se frôlent. D’un geste presque instinctif, il posa une main légère sur son dos, un contact chargé de réconfort.
— Darius s’était aussi confié à moi, et à Duncan. Il nous avait parlé de ses rêves, de cette peur qu’il ne comprenait pas. Mais, comme toi, je ne l’ai pas pris au sérieux.
Soleman releva les yeux vers Methos, surpris par cette confession.
— Tu regrettes ? demanda-t-il, presque dans un murmure.
Le vieil immortel haussa légèrement les épaules, un sourire triste aux lèvres.
— Ce n’est pas une question de regret. Darius savait que nous ne pouvions pas comprendre ce qu’il portait en lui. Mais je crois qu’il espérait qu’on l’écoute, qu’on prenne son fardeau plus au sérieux.
Le silence qui suivit fut lourd, empreint de souvenirs et de mélancolie. Aélis baissa les yeux, revivant intérieurement les derniers jours de Darius et les signaux qu’elle n’avait pas su lire.
Methos, comme s’il lisait en elle, glissa sa main de son dos à son épaule, serrant légèrement, avant de murmurer :
— Il aurait compris. Ce n’était pas à toi de porter ça seule.
Les mots apaisants et le geste chaleureux dissipèrent un instant la culpabilité de la jeune femme. Elle fixa les étoiles, son esprit dérivant vers Darius et l’héritage qu’il avait laissé, se demandant s’il aurait trouvé un semblant de paix dans un monde devenu si chaotique.
Soleman choisit de prolonger son séjour dans le hameau, trouvant dans cet endroit reculé une pause bienvenue après des décennies d’errance. Il s’intégra peu à peu à la vie de la petite communauté, participant aux tâches quotidiennes et partageant parfois des récits de ses voyages, bien qu’il restât fidèle à sa nature solitaire. Sa présence apporta une dimension nouvelle au groupe, ses réflexions teintées de sagesse et de mystère invitant souvent Methos et Aélis à des discussions introspectives. Dans cet espace hors du monde, ils retrouvèrent une complicité inattendue, un hommage silencieux à leur ami commun, qui continuait d’unir leurs vies malgré son absence.
Le repas était terminé, et peu à peu, les habitants du hameau s’étaient dispersés, regagnant leurs abris pour la nuit. Aélis était restée assise près du feu, le regard perdu dans la danse des flammes. Elle jouait distraitement avec un morceau de bois, traçant des formes abstraites dans la terre. À quelques mètres de là, Soleman se tenait debout, observant la nuit d’un air pensif. Il n’avait pas l’air de vouloir partir, mais il ne semblait pas non plus vouloir s’attarder trop près des autres.
Aélis brisa le silence la première.
— Tu es toujours comme ça, ou c’est juste avec moi ?
Il tourna légèrement la tête vers elle.
— Comme quoi ?
— Distant. Sur tes gardes.
Un léger rictus étira le coin de ses lèvres.
— Vieille habitude.
Il s’approcha et s’assit sur une pierre en face d’elle, les bras posés sur ses genoux.
— Toi aussi, tu es restée, fit-il remarquer.
Elle haussa les épaules.
— J’aime bien regarder le feu. Ça me détend.
Elle laissa passer un instant, hésitant. Parler de Darius n’était jamais facile, surtout avec quelqu’un qui l’avait connu aussi bien. Mais Soleman était là, et elle n’avait que rarement l’occasion d’échanger avec quelqu’un qui comprenait réellement ce que sa disparition représentait.
— Je pensais à Darius, ajouta-t-elle enfin, d’une voix plus basse.
Le nom flotta dans l’air, lourd de souvenirs et de regrets. Elle guetta la réaction de l’immortel, s’attendant à ce qu’il détourne la conversation. Mais cette fois, il ne fit rien de tout cela. Son regard se perdit un instant dans les braises rougeoyantes, et son visage, d’ordinaire impassible, se ferma légèrement.
— Il me manque, avoua-t-elle finalement.
Un silence s’installa. Puis, après une longue inspiration, il répondit d’une voix calme, dénuée de son habituel détachement :
— À moi aussi.
Elle releva les yeux vers lui, surprise par cette absence de cynisme.
— Tu ne parles jamais de lui, remarqua-t-elle.
— Je n’en vois pas l’intérêt.
— Parce que ça fait mal ?
Soleman haussa à peine les épaules.
— Parce qu’il n’est plus là.
Cette phrase lui coupa le souffle. Comme si tout se résumait à cette fatalité. Comme si le manque, la douleur, l’amour même, s’effaçaient sous la seule force de l’évidence. Elle serra les poings.
— Il était ton ami, pourtant.
— Oui.
La réponse était neutre, trop neutre. Un mur. Mais Aélis n’était pas du genre à s’arrêter là.
— Tu arrives vraiment à tourner la page aussi facilement ? demanda-t-elle, la colère perçant légèrement dans sa voix.
Cette fois, il lui jeta un regard plus appuyé.
— Non, mais à quoi bon regarder en arrière ?
— Parce que c’est ce qui nous construit, répliqua-t-elle aussitôt.
Il eut un léger sourire en coin, et un silence s’étira entre eux. Puis il demanda d’une voix plus posée :
— Et si tu pouvais le retrouver ?
Elle sursauta légèrement, troublée par la question.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Soleman ne détourna pas les yeux, scrutant sa réaction avec une attention particulière.
— Si tu avais un moyen… quelconque. Si tu pouvais lui parler une dernière fois. Qu’est-ce que tu serais prête à faire ?
Aélis ouvrit la bouche, avant de la refermer. L’idée ne lui avait jamais traversé l’esprit ainsi formulée.
— Je… Je ne sais pas, souffla-t-elle.
Le guerrier haussa légèrement un sourcil, mais garda le silence, la laissant chercher sa propre réponse. Elle baissa les yeux vers le feu, pensive.
— Darius…
Elle s’arrêta un instant, le nom suspendu dans l’air comme une prière silencieuse.
— Il a été une ancre pour moi, un guide, bien plus qu’un simple mentor. Il m’a aidée à comprendre qui j’étais, à voir plus loin que ma propre colère. Et il a changé ma façon de voir le monde.
Sa voix s’adoucit, chargée d’émotion.
— Même aujourd’hui, il est là. Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à lui. Où je ne me demande pas ce qu’il aurait dit, ce qu’il aurait fait à ma place. Parfois, j’entends encore sa voix dans ma tête, comme un écho persistant…
Elle inspira profondément, puis releva les yeux vers Soleman.
— Alors je ne sais pas... Si je pouvais le revoir, si je pouvais lui parler une dernière fois…
Elle laissa sa phrase en suspens, incapable de l’achever. Il n’y avait pas de mots pour exprimer ce que cela signifierait pour elle. Soleman l’observa un instant, son visage toujours impassible. Mais dans son regard, elle crut apercevoir une lueur fugace, indéchiffrable.
— Pourquoi tu me demandes ça ?
Il détourna subtilement les yeux, comme si la question n’avait pas d’importance. Puis, un fin sourire, presque imperceptible, effleura ses lèvres. Aélis pencha légèrement la tête, se rendant compte qu’elle n’obtiendrait rien de plus de lui.
— Il t’a parlé de moi ?
Un fin sourire, presque imperceptible, passa sur ses lèvres.
— Disons que j’avais déjà entendu ton nom avant de te rencontrer.
Il se leva lentement, comme pour couper court à la discussion, et ajouta d’un ton tranquille :
— Mais ce n’est pas le passé qui compte. C’est ce que tu vas faire maintenant.
Il lui adressa un dernier regard avant de s’éloigner dans la nuit. Aélis, elle, resta immobile, le cœur battant un peu plus vite. Une intuition diffuse, une impression étrange. Quelque chose lui échappait. Mais quoi ?
Avec le temps, Soleman fit un choix qu’il n’aurait autrefois jamais envisagé : il s’installa définitivement dans le hameau. Il laissa derrière lui l’errance et les incertitudes qui avaient marqué tant de siècles de son existence. Nichée dans une vallée isolée, la petite communauté prospéra dans une harmonie fragile mais tenace.
Les cinq immortels — Soleman, Methos, Aélis, Astrid et Zafira — vivaient en paix parmi les mortels, partageant leur savoir, leur expérience et participant à la vie quotidienne. Ensemble, ils veillaient sur le hameau, qui restait autarcique et discret, à l’abri des turbulences du monde extérieur.
Le reste du monde, lui, continuait de s’effondrer sous le poids de ses propres excès. Les ressources naturelles, déjà insuffisantes pour répondre à la demande, se raréfièrent jusqu’à provoquer des tensions insoutenables. Les grandes nations se disputèrent ce qui restait, et les conflits qui éclatèrent à travers le globe ravagèrent les populations. Les maladies se propagèrent rapidement dans les zones les plus touchées, amplifiées par les guerres, la malnutrition et l’effondrement des systèmes de santé. La population mondiale, autrefois florissante, chuta drastiquement, ne laissant qu’un milliard d’humains éparpillés sur une planète dévastée.
Les paysages eux-mêmes portaient les stigmates de ces bouleversements. La montée des eaux submergea les côtes, repoussant les survivants vers des terres déjà saturées. Les déserts s’étendirent, engloutissant villages et terres cultivables, tandis que des tempêtes titanesques transformaient des régions entières en ruines. La Terre devenait de moins en moins habitable, forçant les populations à s’entasser dans des enclaves protégées ou à errer dans des zones de plus en plus hostiles.
Dans ce chaos, la société humaine se divisa. Les grandes métropoles, dominées par une élite technologique, offraient un semblant de stabilité, mais à un prix élevé. Ces cités ultra-modernes étaient des bastions de contrôle, où chaque aspect de la vie était surveillé et régulé. Les habitants y vivaient sous une propagande constante, acceptant la domination des puissants en échange de leur sécurité. À la périphérie, des communautés marginalisées tentaient de subsister en autarcie, refusant de plier face à l’oppression, mais elles restaient vulnérables face à l'avidité des grandes puissances qui s’appropriaient les dernières ressources.
Les immortels restaient une anomalie dans un monde déjà fracturé. Bien que les traques systématiques aient pris fin après plusieurs décennies, leur existence continuait de susciter méfiance et crainte. Les nombreuses expériences scientifiques menées pour percer leur secret n’avaient abouti à aucun résultat concluant.
Malgré des décennies de recherche, les humains n’étaient jamais parvenus à comprendre ou reproduire ce qui rendait les immortels uniques. Les scientifiques avaient bien identifié leur particularité, une anomalie non génétique apparaissant aléatoirement à la naissance avec une probabilité d’un sur un million. Mais malgré des tentatives répétées, parfois cruelles, impliquant des cobayes humains, cette singularité demeurait hors de portée.
Face à ces échecs constants, les gouvernements finirent par abandonner leurs projets. Les immortels furent relégués au rang de curiosités dangereuses, fascinants mais inexploitables, un mystère que l’humanité accepta finalement de ne pas résoudre.
Certains immortels tentèrent de s’intégrer dans la société dominante, négociant leur survie en échange de services ou de postes influents. Pourtant, la majorité d’entre eux choisit l’exil, préférant l’isolement aux regards hostiles. La doctrine de James Horton, bien qu’il soit mort depuis longtemps, continuait de hanter l’humanité. Sa propagande avait semé une peur durable, justifiant les discriminations et maintenant les immortels à la marge.
Dans ce contexte, le hameau où vivaient Soleman, Methos et les autres restait un havre de paix. Son isolement et sa discrétion lui permettaient d’échapper à l’attention des gouvernements et des grandes puissances. Pourtant, les échos des luttes extérieures atteignaient parfois ses habitants, sous forme de réfugiés ou de rumeurs. La communauté savait que son équilibre, bien que précieux, restait fragile dans un monde en décomposition.
L’unité du lieu, renforcée par les liens entre mortels et immortels, devenait un exemple rare d’harmonie dans un paysage de plus en plus fragmenté et hostile. Mais même cet endroit paisible semblait, tôt ou tard, devoir affronter les tempêtes qui balayaient le reste du monde.
Comme ils s’y attendaient, le calme précaire qui régnait dans leur région fut brisé par l’émergence d’une nouvelle menace. Des groupes de rebelles violents commencèrent à semer le chaos, attaquant d’autres communautés pour s’approprier leurs ressources. Ces bandes, opportunistes et désespérées, profitaient de l’effondrement des anciennes structures pour imposer leur loi par la force.
Leur petite communauté ne tarda pas à être confrontée à l’un de ces groupes. Une confrontation directe devint inévitable lorsqu’un groupe d’assaillants attaqua leur base en pleine nuit. Les défenseurs, pris au dépourvu, furent contraints de se mobiliser dans l’urgence.
Huit silhouettes furtives s’approchaient, armes en main, profitant de la couverture de l’obscurité pour attaquer. Les assaillants comptaient sur l’effet de surprise pour désorienter leurs cibles.
L’attaque éclata soudainement, déchirant la tranquillité de la nuit. Un cri perça l’obscurité, suivi par le fracas de bois et de métal lorsque les assaillants brisèrent les barricades improvisées. Leur violence désordonnée sema le chaos, prenant les défenseurs par surprise. Arrachés à leur sommeil, ces derniers se précipitèrent hors de leurs abris, plongés dans une confusion totale.
Les immortels furent parmi les premiers à réagir. Soleman, toujours alerte, s’élança au cœur de la mêlée, sa lame scintillant dans la pénombre tandis qu’il fauchait ses adversaires avec précision. Non loin de lui, Zafira intercepta un assaillant d’un coup rapide, ses gestes fluides témoignant d’une maîtrise redoutable.
Mais malgré leur rapidité, l’effet de surprise joua en faveur des agresseurs. Un cri déchirant retentit lorsqu’un assaillant, armé d’un couteau rouillé, frappa sans pitié l’un des mortels du camp. Methos arriva trop tard pour intervenir, mais abattit froidement l’agresseur d’un coup d’épée, son visage impassible dissimulant une colère contenue.
Astrid, quant à elle, se déplaçait avec une agilité déconcertante, sa précision clinique contrastant avec la brutalité des assaillants. Elle frappait avec une efficacité implacable, éliminant un adversaire après l’autre.
Aélis, armée de son épée, combattait avec l’assurance d’une guerrière. Pourtant, cette fois, elle sentait une différence. Son corps réagissait avec une aisance qu’elle n’avait jamais connue. Elle parait les coups avec plus de souplesse, anticipait mieux les mouvements de ses adversaires. Là où, avant, elle aurait cherché à attaquer immédiatement, elle retenait parfois son geste, analysait, attendait l’ouverture parfaite.
Un assaillant se précipita sur elle, arme levée. Instinctivement, elle pivota, laissant le coup s’écraser dans le vide avant de frapper au moment exact où son adversaire perdait l’équilibre. Son épée s’enfonça sous ses côtes, nette, précise. Il s’effondra sans un cri.
Un frisson lui parcourut l’échine. Ce n’était plus la rage qui guidait sa lame. Ni l’instinct brut. C’était autre chose. Elle n’eut pas le temps d’y réfléchir davantage. Déjà, un autre ennemi fondait sur elle. Elle esquiva au dernier moment, laissant l’homme s’empaler sur la dague qu’elle lui enfonça dans le flanc. Cette fois encore, le geste avait été parfaitement mesuré. Ni précipitation, ni excès de force.
Un regard. Soleman l’observait. Il n’avait pas eu besoin de lui prêter main-forte. Il l’avait vue se battre, et pour la première fois, il ne semblait pas douter de ses capacités.
La bataille faisait rage, mais quelque chose s’était déverrouillé en elle. Elle n’était plus cette combattante impulsive, mue par un besoin viscéral de prouver sa force ou de se jeter dans le danger tête baissée. Son entraînement, son vécu, ses erreurs passées… tout cela s’imbriquait enfin. Elle se battait avec stratégie. Avec patience. Avec contrôle. Et cela la terrifiait presque autant que cela la fascinait.
Les pillards combattaient avec une brutalité chaotique, profitant de leur nombre et de leur détermination aveugle. Mais face à des immortels aguerris, leur frénésie devint vite un désavantage. Soleman et Aélis, forcés de combattre ensemble, développèrent rapidement une synchronisation instinctive. Elle couvrait ses angles morts, et lui compensait son manque d’expérience en lui évitant d’être acculée. À un moment, elle repoussa un ennemi d’un coup de pied avant de croiser son regard.
— T’inquiète pas, je gère, lâcha-t-elle, un brin provocante.
— J’ai vu ça.
Mais l’ombre d’un sourire passa sur son visage avant qu’il ne détourne la tête pour abattre un autre pillard.
La bataille, bien que brève, s’avéra d’une intensité rare. Les immortels, malgré leur résilience, encaissèrent plusieurs coups, certains tombant sous la violence de l’assaut avant de se relever, leurs blessures se refermant rapidement. Cet avantage surnaturel, combiné à leur expérience, finit par renverser le cours des événements.
Peu à peu, l’ardeur des assaillants céda la place à la peur. Voyant leur offensive échouer face à une résistance implacable, ils commencèrent à battre en retraite, laissant derrière eux un champ de bataille jonché de pertes et marqué par leur échec.
Aélis s’appuya contre un mur de pierre, reprenant son souffle, les muscles endoloris par l’effort. Soleman, à quelques pas d’elle, rengaina son arme, l’observant du coin de l’œil.
— Au moins, tu n’as pas foncé tête baissée cette fois, lâcha-t-il finalement.
Elle esquissa un sourire fatigué, mais quelque chose dans son regard avait changé.
— J’apprends…
Il hocha la tête, l’air vaguement approbateur, avant de s’éloigner pour vérifier les dégâts.
Elle, cependant, resta un instant figée. Son corps vibrait encore du combat, mais ce n’était pas comme avant. Ce n’était pas la décharge brutale et aveuglante de l’adrénaline, ni l’appel enivrant du danger. C’était autre chose. Une maîtrise nouvelle. Une force plus calme.
Dans le camp, le silence retomba peu à peu. Les immortels, bien qu’épargnés par la mort définitive, portaient encore les marques du combat. Soleman et Zafira observaient leurs blessures se refermer lentement, tandis que Methos essuyait le sang qui maculait sa lame.
Mais les mortels n’avaient pas cette chance. Trois d’entre eux avaient succombé à leurs blessures. Les survivants regardaient les corps avec un mélange de chagrin et de résignation. Astrid, habituellement stoïque, posa une main réconfortante sur l’épaule de l’un des jeunes hommes, incapable de trouver les mots.
Victorieuse, la communauté ressentit néanmoins le poids de cette attaque. L’assaut, bien que bref, leur avait montré à quel point leur refuge était vulnérable. Tandis que l’aube se levait, baignant le camp d’une lumière pâle, Zafira brisa enfin le silence :
— Ils reviendront peut-être… ou d’autres prendront leur place. Nous devons nous préparer.
Les immortels échangèrent un regard entendu. Si cette nuit avait prouvé quelque chose, c’était que même eux n’étaient pas à l’abri dans ce monde ravagé par le chaos. Le temps des réactions improvisées était terminé. Ils allaient devoir réfléchir, anticiper et renforcer leurs défenses avant qu’un nouvel assaut ne vienne frapper à leur porte.
Le soleil était haut dans le ciel lorsque la communauté se rassembla autour du feu de camp éteint, qui portait encore les marques de la bataille de la veille. L'air était lourd, chargé à la fois de chaleur et de chagrin. Les tombes fraîches des mortels tombés lors de l'attaque, situées non loin, ajoutaient à l'atmosphère pesante.
Tous étaient là : les immortels et les mortels, unis dans leur douleur et leur incertitude face à l'avenir.
— On ne peut pas rester là sans rien faire, lança Astrid, brisant le silence. Ses yeux flamboyaient d'une colère contenue, et son ton trahissait son impatience. Si on ne riposte pas, ils reviendront. Et la prochaine fois, ils seront plus nombreux.
— Astrid, réfléchis, répondit Zafira, assise à côté d'elle. Sa voix, calme mais ferme, contrastait avec l’ardeur de sa compagne. Ces assaillants étaient désespérés, pas organisés. Si on se met à les traquer, on attirera d'autres groupes, plus puissants.
— Donc, on reste là à attendre qu'ils nous attaquent de nouveau ? répliqua Astrid avec véhémence. Ça, c’est signer notre arrêt de mort.
Methos, qui observait la scène en silence, intervint enfin, posant calmement son regard sur Astrid.
— Zafira n’a pas tort. Riposter avec force, c'est dangereux. Mais rester passifs, c'est aussi une erreur. Nous devons trouver un équilibre.
Soleman hocha la tête en signe d’approbation.
— L'entraînement est la clé. Nous devons être prêts pour la prochaine fois, et ça inclut tout le monde ici, mortels comme immortels.
Les mortels présents échangèrent des regards inquiets. L'idée de manier des armes et de se battre ne leur était pas familière, mais la peur des attaques futures l'emportait sur leur réticence.
— On n'est pas des guerriers, murmura l'un des survivants, un homme nommé Elias, qui avait perdu son frère la nuit précédente. Mais on fera ce qu'il faut pour protéger ce qui nous reste.
— Nous ne sommes pas non plus des monstres, ajouta Zafira, regardant l’assemblée avec douceur. Personne ne vous demande de devenir des tueurs. Mais savoir vous défendre pourra faire la différence.
Un silence pesa sur le groupe tandis que chacun réfléchissait aux paroles de Zafira. Astrid, bien qu’encore contrariée, se redressa et prit un ton plus conciliant.
— Alors, commençons. Dès demain, on s’entraîne. Tous. Pas de distinction. Nous serons là pour vous guider. Et si jamais d’autres viennent, nous serons prêts.
Methos croisa les bras et laissa échapper un soupir.
— Très bien, mais n’oublions pas que la force brute ne fait pas tout. Nous devons aussi réfléchir à comment fortifier cette place. La surprise leur a donné l’avantage. Il faut s'assurer que ça n'arrive plus.
— Et si on ne peut pas tenir cette position ? demanda une jeune femme, hésitante.
Aélis répondit avec assurance, posant une main réconfortante sur son épaule.
— Alors nous trouverons un autre endroit. Mais pour l’instant, nous sommes ici. Et tant que nous le sommes, nous nous battrons pour le garder. Ensemble.
— Ensemble, oui, murmura Elias, avant de relever la tête avec détermination.
La réunion s'étira jusque tard dans la nuit. Les immortels échangèrent leurs stratégies, chacun partageant son expérience de combats passés, tandis que les mortels écoutaient avec attention. On parla de techniques de défense, de pièges rudimentaires à installer autour du camp, et d’un système de veille renforcé pour éviter toute autre surprise nocturne.
Finalement, le groupe se dispersa, épuisé mais déterminé. La perte de leurs camarades était encore vive dans leurs esprits, mais cette réunion avait semé une graine d'espoir. Leurs liens s’étaient renforcés, et tous savaient que l’aube du lendemain marquerait le début d’un nouveau chapitre, où chacun prendrait son rôle dans leur survie commune.