Le Prix à payer - Highlander Fanfiction

Chapitre 11 : Liaison Dangereuse

14525 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 5 mois

Quelques années s’étaient écoulées. Aélis, bien que toujours marquée par la perte de Darius, avait fini par apprivoiser cette douleur. Elle ne disparaîtrait jamais vraiment, mais elle s’était fondue dans son quotidien, s’adoucissant jusqu’à devenir une ombre discrète plutôt qu’une plaie béante. Avec le temps, elle avait appris à mieux comprendre ce que Darius lui avait laissé, bien au-delà de son quickening. Il continuait de la guider, à sa manière, se manifestant parfois dans la fluidité d’un mouvement, dans une réaction instinctive qui ne venait pas d’elle, mais de lui. Pourtant, jamais il n’avait repris le contrôle. Il l’avait laissée libre de grandir à son propre rythme.

Sa relation avec Methos s’était transformée, loin des tempêtes et des non-dits qui les avaient autrefois écorchés. Ce n’était ni une passion brûlante ni une dépendance, mais une évidence qui s’était imposée d’elle-même, tissée dans la patience et la confiance. Avec lui, elle avait appris à ne plus fuir. Il ne lui demandait rien, ne cherchait pas à combler un vide, et c’était précisément cela qui lui avait permis de trouver une forme de stabilité. Ils avaient construit un équilibre fait de légèreté et de constance, un refuge silencieux où ils pouvaient être simplement eux-mêmes, sans le poids du passé pour les écraser.

Methos, lui, n’avait pas changé, ou du moins en donnait l’illusion. Toujours installé à Paris, il poursuivait son travail auprès de l’annexe historique des Guetteurs, collectant et consignant les récits immortels avec une patience infinie. Ce projet lui tenait plus à cœur qu’il ne l’admettait.

Joe, après des décennies de services, avait fini par prendre une retraite méritée. Il avait quitté l’agitation parisienne pour le Sud de la France, où il vivait paisiblement entre promenades sur le littoral et vieux morceaux de blues grattés sur sa guitare.

Quant à Aélis, elle avait repris son activité de traductrice, appréciant la liberté que lui offrait ce travail. Ses connaissances linguistiques s’étaient encore enrichies au fil du temps, certaines acquises de façon inattendue, absorbées malgré elle lors de quickenings. Mais ce n’était pas suffisant. Un besoin de mouvement, de nouveauté, la poussait à partir. Cette fois, elle avait choisi la Mongolie. Un projet de préservation du patrimoine culturel lui offrait un prétexte pour s’éloigner de l’Europe et, peut-être, se confronter à autre chose qu’aux fantômes du passé.

 

Un soir, alors qu’elle revenait d’un entraînement avec Duncan, elle passa voir Methos. Lorsqu’elle entra, il leva les yeux de son bureau et lui adressa un sourire en coin.

— Tu es déjà de retour ?

Elle posa ses affaires près du canapé avant de s’approcher.

— L’entraînement s’est terminé un peu plus tôt que prévu. Duncan a décrété que je devenais une élève ingérable.

Methos haussa un sourcil amusé.

— Ingérable ? Toi ? Ça me semble tout à fait crédible.

Elle lui lança un regard faussement outré avant de déposer un bref baiser sur ses lèvres, un geste habituel, naturel. Il effleura doucement sa taille avant de se reculer et de jeter un regard intrigué vers son sac entrouvert.

— Alors, voyons voir…

Il en sortit son épée et l’examina sous la lumière.

— Tu as l’air de l’utiliser plus qu’avant.

— Je progresse, admit-elle en reprenant son arme, essuyant la lame du bout des doigts. Doucement, mais sûrement.

— Ce qui veut dire ? Que tu arrives enfin à ne pas te blesser toute seule ?

Elle plissa les yeux, feignant l’indignation.

— Très drôle.

— Je sais. C’est ce qui me rend irrésistible.

— Je mettrais plutôt ça sur le compte de ton incroyable modestie.

Il connaissait la vérité. Elle s’améliorait bien plus qu’elle ne voulait l’admettre. Ses gestes étaient plus précis, ses mouvements plus sûrs. Darius, d’une manière ou d’une autre, continuait de l’aider. Quand elle arrêtait de réfléchir, quand elle laissait simplement son corps réagir, quelque chose en elle s’alignait avec ce qu’elle avait hérité de lui.

— Tu sais, reprit-elle après un silence, je crois que je commence à mieux comprendre certaines choses.

Methos leva un sourcil.

— Vraiment ?

— C’est subtil, mais parfois, c’est comme si… il était là.

Il ne répondit rien, mais son regard se fit plus attentif. Il comprenait. Certains quickenings laissaient plus qu’une simple empreinte énergétique. Ils s’ancraient, se mêlaient aux leurs sans jamais totalement disparaître.

Elle reposa son épée sur la table avant de changer de sujet.

— Et toi, tu pars quand ?

— Demain matin.

— Rome, c’est ça ?

— Hm. Des archives à consulter pour les Guetteurs.

Elle esquissa un sourire.

— Tu crois qu’il te reste quelque chose à apprendre sur cette ville ?

— Peut-être pas. Mais il y a toujours quelque chose à redécouvrir.

— C’est fascinant, vraiment. Tu pourrais écrire un livre. "L’Italie pour les immortels : cinq mille ans de tourisme et de paperasse."

Un silence léger s’installa, teinté d’un sourire à peine contenu. Ils avaient toujours fonctionné ainsi. Des conversations sans nécessité d’explications, une complicité sans besoin de justification. Aélis finit par se lever.

— J’ai encore quelques préparatifs à faire.

Il hocha simplement la tête.

— Essaie de ne pas te perdre dans les steppes.

— Et toi, essaie de ne pas te perdre dans tes archives.

Un dernier regard, un sourire à peine esquissé. Puis elle quitta l’appartement.

Le lendemain, ils prirent chacun leur vol, partant dans deux directions opposées.




Dans l’atmosphère feutrée d’un musée romain, Methos déambulait entre les salles, un léger sourire au coin des lèvres. Le Museo Nazionale Romano, connu pour sa collection exceptionnelle d’œuvres antiques, abritait une partie de l’histoire qu’il avait vécue. En s’arrêtant devant une sculpture, le Discus Thrower de Myron, il revit en esprit cette scène lointaine où la statue ornait l’agora grecque. Les rires, les cris, et l’effervescence des jeux olympiques semblaient encore résonner à ses oreilles. Plus loin, une fresque rescapée de Pompéi fit surgir des souvenirs vifs : les couleurs éclatantes d’une villa où il avait festoyé, entouré de convives aux noms depuis longtemps effacés par le temps.

Ces moments, à la fois fascinants et teintés de mélancolie, étaient devenus un plaisir solitaire pour l’immortel, une manière de connecter le présent à son passé sans se laisser submerger. Mais ce jour-là, une vibration familière brisa sa tranquillité. Il se figea, son instinct affûté éveillé par une présence qu’il n’avait pas ressentie depuis des siècles.

Flavius.

Son esprit plongea aussitôt dans des souvenirs vieux de plusieurs siècles, à cette période où leurs chemins s’étaient entrelacés, puis déchirés. À l’Antiquité, Flavius et lui avaient partagé une liaison passionnée, marquée autant par des élans fiévreux que par des conflits acerbes. Leur relation, intense et fragmentée, avait fini par sombrer dans l’amertume lorsque, des siècles plus tard, Flavius, emporté par la jalousie, avait tué une jeune mortelle que Methos courtisait. Florence, la ville des Médicis, était encore en ébullition artistique, et Alessandra, une orfèvre au talent délicat, avait captivé Methos. Alessandra, son sourire lumineux, ses mains tachées d’or et d’argent en façonnant ses bijoux. Alessandra, dont la vie avait été soufflée par la jalousie d’un seul homme. Sa mort injuste avait marqué la fin définitive de leur histoire.

Methos rouvrit les yeux, ravalant un flot d’émotions indésirables. Quand il pivota lentement, Flavius était là.

Grand, blond, les traits aussi élégants qu’autrefois, il se tenait à quelques mètres, l’observant avec une intensité indéchiffrable. Son allure était raffinée, son costume taillé à la perfection, comme s’il avait pris soin d’effacer tout vestige du passé brutal qui les liait. Mais Methos savait mieux que personne que sous cette façade polie, l’homme restait un être complexe, guidé par des désirs qu’il n’avouerait jamais pleinement.

— Methos, lança Flavius avec un sourire presque amusé, où perçait pourtant quelque chose de plus profond.

La voix fit remonter mille souvenirs. Trop. Le vieil immortel ne répondit pas immédiatement. Son regard vert, froid, analysait l’homme en face de lui avec une prudence instinctive.

— Flavius, répondit-il enfin, d’un ton neutre.

— Toujours à errer entre les échos du passé et le présent, constata ce dernier en balayant la salle du regard.

Methos ne mordit pas à l’hameçon.

— On ne peut pas tous prétendre être neufs à chaque siècle, répliqua-t-il sèchement.

Un éclat amusé passa dans les yeux de Flavius, mais il ne le contredit pas. Un silence s’installa entre eux, imprégné de non-dits. L’électricité qui flottait dans l’air n’avait rien d’amical, ni même d’hostile. C’était quelque chose de plus sournois, de plus intime.

— Cela fait bien longtemps, reprit finalement Flavius, plus doucement.

— Pas assez.

Un rire léger échappa à l’immortel, mais il n’insista pas sur la pique.

— J’ai souvent pensé à toi, continua-t-il après un moment, et cette fois, la sincérité perçait sous l’amusement.

Methos détourna les yeux, préférant fixer une mosaïque usée par le temps plutôt que de soutenir ce regard trop pénétrant.

— Je sais ce que tu ressens, reprit Flavius avec un soupir mesuré. Ce que j’ai fait à l’époque était… impardonnable.

Le vieil immortel sentit son estomac se nouer à ces mots. Impardonnable. Un euphémisme, et Flavius le savait parfaitement. Son regard se durcit lorsqu’il se retourna vers lui.

— Les morts ne reviennent pas, Flavius.

Ce dernier soutint son regard, impassible, mais Methos vit cette lueur fugace dans ses yeux. De la douleur, peut-être. Ou juste un souvenir d’un autre temps. Puis, avec un sourire triste, l’immortel sortit une carte de visite de la poche de son manteau et la tendit à Methos.

— Je ne vais pas insister, dit-il avec une douceur calculée. Mais si jamais tu veux parler…

D’un geste assuré, il glissa la carte dans la poche intérieure de son interlocuteur et recula d’un pas.

— Je suis ici pour un moment.

Puis il s’éloigna sans attendre de réponse. Methos le regarda disparaître au détour d’une colonne, ses pensées troublées par cette rencontre inattendue. Mais en cet instant précis, il souhaitait juste ne jamais le revoir.




La nuit avait été longue.

Allongé sur son lit d’hôtel, les mains croisées sous sa tête, Methos fixait le plafond, perdu dans un tumulte de pensées qu’il n’arrivait pas à faire taire. Flavius. Son nom seul faisait resurgir une cascade de souvenirs, des éclats de rires partagés aux murmures fiévreux, des promesses murmurées aux cris de colère. Il n’aurait jamais imaginé le revoir après tant de siècles.

Un soupir lui échappa alors qu’il fermait les yeux, cherchant un répit impossible. Il aurait dû l’ignorer, balayer cette rencontre d’un revers de main et poursuivre son voyage comme si de rien n’était. Mais il se connaissait trop bien. L’idée que l’homme puisse avoir changé, que le temps ait peut-être adouci cette part sombre qu’il portait en lui, l’intriguait malgré lui.

Il ne voulait pas céder. Mais il savait qu’il finirait par le faire.

Les jours passèrent, et avec eux, cette tension diffuse qui pesait sur ses épaules. Chaque soir, alors qu’il arpentait les ruelles pavées de Rome, il hésitait. Ne pas aller le voir. Ne pas rouvrir ce chapitre. Mais l’ombre de Flavius semblait toujours flotter quelque part dans l’air, comme une empreinte indélébile.

Ce ne fut qu’au bout de plusieurs nuits d’insomnies qu’il finit par sortir la carte de sa poche et observer l’adresse d’un œil critique. Un simple coup d’œil, peut-être un verre, puis il repartirait.

Il se mentait à lui-même. Mais il en était conscient.




L’immeuble, niché dans un quartier cossu, portait l’empreinte de l’immortel jusque dans ses moindres détails. Élégant, raffiné, légèrement ostentatoire sans être vulgaire. Une façade en pierre claire, des colonnes décoratives, un équilibre subtil entre le faste et le bon goût. Methos esquissa un sourire sans joie.

Toujours le même.

Il grimpa lentement les marches du perron et appuya sur l’interphone. Quelques secondes s’écoulèrent avant qu’une voix feutrée ne réponde.

— Je t’attendais.

Il n’aurait pas su dire si c’était une simple phrase ou une victoire soigneusement calculée.

La porte s’ouvrit sur Flavius, vêtu avec cette élégance nonchalante qui lui était propre. Une chemise en lin, un pantalon sombre, des manches légèrement retroussées révélant un poignet marqué d’une cicatrice ancienne. Il souriait, mais dans ses yeux brillait cette intensité troublante, ce mélange de satisfaction et d’anticipation.

— Entre.

Methos aurait dû hésiter. Mais il avança.

 

L’intérieur était à l’image de son hôte : impeccablement ordonné, d’un goût irréprochable, baigné dans une lumière tamisée qui sublimait chaque objet. Des œuvres d’art anciennes se mêlaient à un mobilier moderne, créant une atmosphère à la fois intemporelle et sophistiquée.

— Tu n’as pas changé, observa Flavius en refermant la porte derrière lui.

— Toi non plus, répliqua Methos, détaché.

Un léger rire. Il versa deux verres de vin.

— Rome te va bien, remarqua-t-il en lui tendant son verre.

— Rome me va toujours bien.

— Je me souviens d’une époque où tu trouvais cette ville trop bruyante, rétorqua Flavius, un sourire effleurant ses lèvres.

— C’était le cas. Il y a longtemps.

Ils trinquèrent en silence, le cristal résonnant légèrement dans l’air calme de la pièce. Les premières minutes furent légères, ponctuées d’observations anodines sur Rome, l’Histoire, et l’étrange sentiment qu’inspirait la marche du temps aux immortels.

Puis Flavius changea de sujet.

— J’ai souvent pensé à toi.

Sa voix était posée, sincère, mais empreinte d’une prudence calculée. Methos ne répondit pas immédiatement. Il fit tourner son vin dans son verre, pensif.

— J’aimerais dire que ce n’est pas réciproque, finit-il par lâcher.

Son hôte rit doucement, inclinant la tête sur le côté.

— Mais ce serait un mensonge.

Le silence s’étira entre eux. Flavius s’installa plus confortablement dans son fauteuil avant de poursuivre, sa voix prenant un ton plus introspectif.

— Je suis devenu quelqu’un de plus réfléchi, tu sais. La vie m’a appris quelques leçons.

Methos haussa un sourcil, esquissant un sourire sceptique.

— Tout le monde change, répondit-il, laconique.

Flavius continua, insistant sur le fait qu’il avait souvent repensé à leur histoire commune, mais Methos, fidèle à lui-même, restait sur la réserve. Finalement, pour changer de sujet, il mentionna son travail actuel :

— Je recueille des témoignages d’immortels pour une sorte de chronique historique. C’est… un projet à long terme.

Son hôte sembla immédiatement intrigué. Il posa son verre sur une table basse et se redressa légèrement, son expression prenant un tour théâtral.

— Dans ce cas, laisse-moi te donner une histoire. Sparte, 40 avant Jésus-Christ.

Methos releva un sourcil, piqué par la curiosité.

— Je me souviens très bien de cette époque, poursuivit-il en posant un regard rêveur sur une sculpture antique près de lui. C’était chez Lysandre, un homme aussi influent que flamboyant. Il organisait un banquet somptueux, comme il savait si bien le faire, avec des invités triés sur le volet : stratèges, poètes, hommes politiques… et quelques personnalités comme moi, qu’il aimait exhiber.

Il sourit en coin et marqua une pause, comme pour mieux ménager son effet.

— Et lui… continua-t-il en désignant Methos d’un léger mouvement de tête. Lui était là, adossé à une colonne, l’air détaché, presque ennuyeux, mais avec ce regard qui observait tout. Il semblait au-dessus de la mêlée, et pourtant, il voyait tout, analysait tout.

Methos détourna légèrement les yeux, une lueur d’agacement mêlée d’un vague amusement dans le regard. Flavius poursuivit, son ton devenant plus intime, presque langoureux :

— Je l’ai remarqué tout de suite, évidemment. Qui ne l’aurait pas remarqué ? Mais il m’a ignoré. Il regardait ailleurs, alors que moi, je cherchais déjà un prétexte pour m’approcher.

Il reprit son verre et fit tourner le liquide, un sourire malicieux sur les lèvres.

— Évidemment, ma femme d’alors s’en est rendu compte avant même que je ne fasse un geste. Jalouse comme pas deux, elle a passé le reste de la soirée à surveiller chacun de mes mouvements.

Methos, malgré lui, esquissa un sourire. Il voyait où Flavius voulait en venir, mais ne l’interrompit pas.

— Plus tard, reprit-il, quand l’agitation du banquet s’est calmée, je suis sorti dans le jardin pour échapper à son regard. Et lui… il était là, près de la fontaine. Une coïncidence ? Peut-être. Mais j’aime à croire qu’il savait très bien ce qu’il faisait.

Il termina son récit en posant un regard appuyé sur Methos, ses lèvres étirées en un sourire qui semblait murmurer : « Tu te souviens, n’est-ce pas ? ». Ce dernier, silencieux, soutint son regard, les souvenirs affluant malgré lui.

— Tu ne réponds pas ? insista Flavius en se penchant légèrement.

Methos resta immobile, mais son silence parlait pour lui. Flavius, sûr de son charme, s’en délectait. La conversation oscilla entre souvenirs et allusions subtiles, chaque échange resserrant l’espace entre eux.

Les heures passèrent, et Methos sentit ses défenses se fissurer. Flavius était toujours aussi fascinant, toujours aussi insaisissable. Et cette combinaison, dangereusement familière, ravivait une étincelle qu’il croyait éteinte. Le doyen des immortels savait où cela menait. Il aurait pu partir. Il aurait dû. Mais lorsqu’une main effleura son poignet, l’électricité familière de leur passé jaillit instantanément. Une tension brûlante, une certitude brutale.

Il céda.

Les lèvres de Flavius trouvèrent les siennes, et la retenue vola en éclats. Le passé les rattrapait, implacable. La passion était immédiate, fiévreuse, teintée d’un besoin primal. Des gestes retrouvés, des souffles mêlés, la fièvre d’un désir ancien jamais vraiment éteint.

Ils basculèrent sur le canapé, les vêtements oubliés un à un, leurs corps se cherchant avec une urgence presque brutale. C’était un combat autant qu’un abandon. La chaleur de la peau contre la peau, les murmures rauques échappés dans l’obscurité, tout en eux criait cette tension entre amour et rancune, entre désir et défiance.

Quand enfin le tumulte s’apaisa, Methos resta silencieux, fixant le plafond comme il l’avait fait la veille, son esprit incapable de se reposer. Flavius, lui, semblait détendu, satisfait.




Les jours passèrent et la liaison entre les deux immortels retrouva un rythme presque naturel, comme si le temps s’était suspendu pour leur permettre de revivre une version adoucie de leur passé. Les nuits étaient longues, faites de conversations fiévreuses, de rires complices et de corps entremêlés dans la chaleur du désir.

Flavius savourait chaque instant, persuadé d’avoir retrouvé ce qui leur avait un jour appartenu. Mais quelque chose clochait. Ce n’était pas une évidence brutale, pas un détail frappant. C’était une impression diffuse, insaisissable. Une infime fracture dans l’intensité de Methos, un éclat dans son regard qui, parfois, s’échappait ailleurs.

Au début, il s’était convaincu que c’était son imagination. Mais il connaissait l’homme. Il connaissait la façon dont il s’abandonnait, d’ordinaire, quand la passion le prenait. Et ce n’était pas exactement pareil.

 

Ce soir-là, Flavius était allongé sur le canapé, un verre de vin à la main, observant son amant se mouvoir dans son appartement avec une familiarité troublante. Il aimait cette image. Le tableau de cet homme appartenant à son espace, s’appropriant les lieux comme il l’avait fait autrefois.

— Tu restes cette nuit ? demanda-t-il d’un ton faussement détaché.

Methos, en train d’examiner un livre posé sur une étagère, haussa un sourcil amusé.

— Tu veux déjà me chasser ?

Flavius sourit, mais ne répondit pas tout de suite. Il le détaillait, cherchant un indice invisible, un détail qui confirmerait ce qu’il commençait à ressentir.

— Au contraire, je veux que tu restes.

Le vieil immortel referma le livre et le reposa à sa place avant de s’approcher lentement.

— Alors pourquoi poser la question ?

Flavius ne répondit pas. Il posa son verre et attira l’immortel contre lui, leurs corps s’imbriquant avec une aisance habituelle. Pourtant, même dans ce contact, il y avait une retenue qu’il ne parvenait pas à nommer.

Le baiser fut lent, mesuré, mais une part de Flavius cherchait à y imposer plus. Il voulait sentir son compagnon flancher, retrouver cette fièvre qui les avait toujours consumés. Il y parvint presque. Jusqu’à ce que la vibration d’un téléphone vienne briser l’instant.

Methos s’écarta légèrement, une hésitation imperceptible dans son regard. Flavius n’aurait pas dû s’en formaliser. Ce n’était qu’un message, un détail sans importance. Mais il vit la manière dont son compagnon détourna brièvement les yeux, comment son corps, un instant tendu par le désir, s’était imperceptiblement relâché. Et surtout, il remarqua qu’il ne vérifiait pas son téléphone.

— Tu ne regardes pas ? murmura-t-il, feignant l’indifférence.

— Ça peut attendre.

Un sourire effleura les lèvres de Flavius, mais il ne répondit rien. Il glissa ses doigts sur la nuque de Methos, reprenant leur étreinte là où elle s’était arrêtée. Mais quelque chose avait changé. Ce n’était pas grand-chose. Seulement une sensation très, très légère. Comme un premier grain de sable dans une mécanique bien huilée.




La nuit enveloppait Rome d’un voile doré. L’air était doux, imprégné des parfums de la ville éternelle. Marcher ici, la nuit, c’était comme flâner à travers les siècles, sentir les échos d’un passé qui ne mourait jamais vraiment. Les deux hommes avançaient d’un pas tranquille, longeant les ruines du Forum, là où les pierres millénaires murmuraient encore les ambitions et les trahisons d’un empire révolu. Leurs pas résonnaient sur la pierre, le silence entre eux était chargé de souvenirs.

— Je crois que ce que j’ai toujours aimé ici, c’est cette sensation que rien ne change vraiment, dit Flavius, contemplant les colonnes ébréchées par le temps.

— Un mensonge rassurant, répondit Methos en esquissant un sourire. Tout change. Nous les premiers.

— Toi, changer ? Tu es la chose la plus constante que je connaisse.

Methos ne répondit rien tout de suite. Il leva les yeux vers les étoiles, comme s’il cherchait une réponse ailleurs, avant de murmurer :

— On change toujours. Parfois sans même s’en rendre compte.

Flavius tourna légèrement la tête vers lui, intrigué par cette nuance dans sa voix. Ce n’était pas une réflexion lancée au hasard. Il le connaissait trop bien.

— Tu dis ça comme si tu parlais de quelqu’un, nota-t-il après un silence.

Methos se tendit imperceptiblement, mais il ne laissa rien paraître.

— Je parle de la vie, Flavius.

Ce dernier laissa échapper un léger rire, secouant la tête.

— Ne me fais pas croire que tu es devenu philosophe, rétorqua-t-il d’un ton faussement léger. Tu n’as jamais aimé les généralités.

Ils s’arrêtèrent devant le temple de Saturne, dont les imposantes colonnes se découpaient dans la nuit. Flavius croisa les bras et l’observa attentivement.

— Qui est-ce ? demanda-t-il finalement, plus directement.

— Pourquoi cette question ?

— Parce que je te connais. Quand tu parles de quelque chose qui te touche vraiment, tu ne le fais jamais par hasard.

Un silence s’installa, mais Methos resta impassible. Il savait que Flavius était perspicace. Trop, parfois.

— Tu as trouvé quelqu’un qui te comprend mieux que moi ?

Cette fois, il y avait un réel agacement dans sa voix. Une tension qui se propageait lentement. Methos glissa les mains dans ses poches, choisissant soigneusement ses mots.

— Tu cherches des réponses que je ne te donnerai pas.

Un rire bref, sans joie, s’échappa des lèvres de Flavius.

— Pourquoi ce secret ? Aurais-tu peur que je sois jaloux ?

Methos le fixa, son regard devenant plus froid.

— Je n’ai jamais aimé les jeux, Flavius.

L’autre immortel soutint son regard un instant, avant de détourner les yeux vers le ciel. Un sourire étira lentement ses lèvres, mais quelque chose dans ses traits avait durci.

— C’est fascinant, souffla-t-il. Cette distance que tu mets entre nous… Je me demande pourquoi.

Methos ne répondit pas et reprit sa marche, laissant son compagnon méditer ses propres pensées. Mais Flavius n’oublia pas cette conversation. Quelque chose clochait.




Le matin filtrait à travers les rideaux épais de la chambre d’hôtel, projetant une lumière douce sur les draps défaits. Flavius ouvrit lentement les yeux, seul dans le lit. L’espace à côté de lui était tiède, preuve que Methos s’était levé il y a peu.

Le bruit de l’eau de la douche résonnait faiblement à travers la porte entrouverte de la salle de bains. Il prit une profonde inspiration, savourant encore la sensation familière du corps de son compagnon contre le sien, cette chaleur qui lui avait tant manqué.

Un léger vrombissement sur la table de chevet attira son attention. Le téléphone de Methos. L’écran s’illumina brièvement. Un message venait d’arriver. Son regard s’y attarda sans réelle intention au départ.

Aélis.

Un deuxième message suivit immédiatement. Puis un troisième. Des mots furtifs, ponctués de cœurs. Un frisson glacé parcourut son échine. Qui était-elle ?

L’eau coulait toujours dans la salle de bains. Methos ne sortirait pas tout de suite. L’opportunité était là. Son regard oscillait entre la porte et le téléphone. L’espace d’une seconde, il hésita. Puis, pris d’une impulsion qu’il ne s’expliqua même pas, il tendit la main et attrapa l’appareil.

L’écran était verrouillé. Il suffisait d’un code.

Il jeta un regard vers la salle de bains. Toujours le bruit de l’eau. Son pouce glissa sur l’écran, presque malgré lui. Il connaissait Methos. Il connaissait ses habitudes. Il tenta une date. Puis une autre. Une frustration sourde montait en lui. Non. Pas comme ça. Il reposa le téléphone précipitamment, son cœur battant plus fort qu’il ne l’aurait voulu. L’écran s’illumina à nouveau.

"Je pense à toi. ❤"

Cette fois, ce fut un choc.

L’eau cessa de couler.

Flavius serra les mâchoires, l’esprit en ébullition. Qui était cette femme ? Une amante ? Une passade ? Ou bien était-elle plus que cela ?

Il entendit Methos pousser la porte de la salle de bains. Il se força à respirer lentement, à détendre ses traits. Ne rien montrer. La silhouette de Methos apparut dans l’encadrement de la porte, une serviette nouée négligemment autour des hanches, la peau encore couverte de fines gouttes d’eau. Détendu. Insouciant.

— Tu es déjà réveillé ? lança-t-il avec un sourire en coin.

Flavius releva la tête et força un sourire.

— On dirait bien.

Methos attrapa un t-shirt posé sur une chaise et l’enfila sans se presser.

— Je dois filer. J’ai rendez-vous avec l’archiviste du musée…

Il jeta un rapide coup d’œil à son téléphone et le glissa dans sa poche sans remarquer le trouble de son amant.

— On se voit ce soir ?

Il se pencha légèrement et déposa un baiser rapide sur les lèvres de l’immortel. Un geste simple, devenu presque naturel au fil des jours. Flavius ne bougea pas. Il sentit juste l’odeur familière de Methos s’évaporer avec lui lorsqu’il quitta la pièce.




L’immortel avait passé la journée en proie à une agitation qu’il ne parvenait pas à maîtriser. Aélis. Ce simple prénom tournait en boucle dans son esprit. Qui était-elle ? Que représentait-elle pour Methos ?

La porte s’ouvrit enfin sur la silhouette qu’il attendait. Methos entra, visiblement fatigué mais satisfait de sa journée.

— Alors ? demanda-t-il en retirant sa veste. Tu n’es pas sorti ?

— J’ai préféré attendre.

Il haussa un sourcil amusé.

— Je suis flatté.

Flavius sourit en retour, mais son regard analysait chaque geste, chaque intonation. Il n’attaquerait pas frontalement. Pas encore.

Ils s’installèrent, partageant un verre de vin. La conversation fut d’abord légère, rythmée par leurs échanges habituels sur l’histoire, sur Rome et ses éternelles métamorphoses. Puis, lentement, Flavius orienta la discussion.

— Et toi, alors ? demanda-t-il, feignant une curiosité désinvolte. Qu’as-tu fait ces dernières années ?

Methos s’appuya contre le dossier du fauteuil, faisant tourner son verre entre ses doigts.

— Pas grand-chose d’exceptionnel. Je suis resté à Paris. Un peu de travail pour les Guetteurs, quelques voyages. Rien de bien palpitant.

— Et quelqu’un pour partager tout ça ?

Methos ne cilla pas. Il prit une gorgée de vin avant de répondre d’un ton neutre :

— Où veux-tu en venir, Flavius ?

Un silence. Flavius retint un sourire. Il esquivait. Il le voyait, il le sentait. Methos, d’ordinaire si habile avec les mots, avait marqué une seconde d’hésitation. Et cette seconde lui suffisait.

Il n’insista pas davantage ce soir-là, mais son esprit était en marche. Il la trouverait. Il découvrirait qui était cette femme qui lui avait volé celui qu’il croyait être sien.




Les jours à Rome touchèrent à leur fin plus vite que Methos ne l’aurait anticipé. Entre les archives qu’il avait consultées et les retrouvailles avec Flavius, il s’était laissé happer par un passé qu’il croyait avoir définitivement laissé derrière lui. Pourtant, l’appel de Paris se faisait sentir, non par urgence, mais par nécessité. Il avait une vie là-bas, un équilibre qu’il s’était construit et qu’il ne voulait pas voir vaciller sous l’influence d’une passion aussi trouble qu’ancienne.

Lorsqu’il évoqua son départ, son amant ne chercha pas à le retenir, du moins pas ouvertement. Il se contenta d’un sourire entendu et, avec la désinvolture étudiée qu’il maîtrisait si bien, lança qu’il avait justement prévu une visite à Paris dans les semaines à venir. L’idée d’une rencontre future resta suspendue entre eux, ni actée ni écartée, comme un fil tendu sans qu’aucun ne veuille vraiment le couper.

De retour à Paris, Methos reprit rapidement son rythme habituel. Ses recherches chez les Guetteurs, ses soirées passées à parcourir d’anciens manuscrits, quelques verres au bar de Joe lorsqu’il était en ville. Aélis n’était pas encore rentrée de Mongolie, et l’appartement qu’elle occupait à quelques rues du sien restait plongé dans un silence immobile. Il n’y pensa pas immédiatement, préférant se plonger dans la familiarité rassurante de son quotidien. Mais quelques jours après son retour, Flavius annonça son arrivée.

Ils se retrouvèrent au bar de l’hôtel où séjournait l’immortel, dans une ambiance feutrée où les verres de whisky remplaçaient les grands discours. Methos s’attendait à un simple échange, une discussion ponctuelle qui leur permettrait de jauger si leur relation survivrait à la distance et au retour à la réalité. Mais la soirée s’étira, et lorsque Flavius lui proposa de monter dans sa chambre, Methos n’opposa aucune résistance.

 

Ce qui ne devait être qu’une nuit se transforma en plusieurs. L’habitude s’installa presque naturellement, comme un prolongement de ce qu’ils avaient vécu à Rome. Pourtant, une barrière invisible restait dressée entre eux, un non-dit que Methos refusait de confronter et que Flavius tentait d’effacer à force de proximité. Chaque matin, il le retenait un peu plus longtemps, chaque soir, il insinuait leur lien dans la routine de Methos avec une aisance troublante.

Puis vint le moment où il posa la question.

— Pourquoi est-ce que je ne viens pas chez toi ?

Methos, qui connaissait l’inévitable de cette demande, se contenta d’un haussement d’épaules.

— Pourquoi faire ? Ici, c’est très bien.

Flavius sourit, mais ses yeux restaient inquisiteurs.

— Parce que c’est chez toi. Et j’ai envie de voir la façon dont tu vis, maintenant.

Methos soupira, posant son verre. Il n’avait jamais été dupe. Flavius testait ses limites, cherchait jusqu’où il pouvait s’insinuer avant qu’il ne le repousse. Et il savait aussi que s’il refusait trop fermement, cela ne ferait qu’attiser la curiosité et l’entêtement de ce dernier.

— Très bien.

Il céda, mais avec prudence.

Avant de l’inviter, il s’assura de ne laisser aucune trace compromettante. Aélis n’était pas là, mais elle faisait partie de son espace, même en son absence. Quelques vêtements oubliés, un livre posé sur une étagère, une tasse qu’elle préférait parmi les autres. Des détails insignifiants pour n’importe qui, mais pas pour Flavius. Alors il rassembla tout ce qui pouvait évoquer sa présence et les déposa chez elle.

L’appartement plongé dans l’obscurité l’accueillit dans un silence qu’il n’avait pas l’habitude d’y trouver. Il parcourut l’espace du regard, ressentant une étrange impression d’absence plus pesante que prévu. Il releva le courrier qui s’était accumulé dans la boîte aux lettres et passa distraitement les doigts sur les enveloppes, en mettant de côté celles qui semblaient sans importance et qu’il laissa sur place. Mais certaines lettres, plus officielles, attirèrent son attention. Sans y prêter plus de réflexion, il les glissa dans sa poche, se promettant de les examiner plus tard.

De retour chez lui, il rangea les lettres dans un tiroir discret du buffet de l’entrée. Il prendrait le temps de les parcourir quand il serait seul, avant de prévenir Aélis si quelque chose nécessitait son attention. Pour l’instant, il devait s’assurer que rien dans son appartement ne trahissait ce qu’il s’efforçait de dissimuler.




Flavius n’était à Paris que depuis quelques jours, mais il avait déjà pris ses marques. D’abord logé dans un hôtel de luxe, il avait habilement poussé Methos à l’inviter chez lui, usant de leur intimité retrouvée pour rendre l’idée naturelle, presque évidente. Le vieil immortel avait fini par céder, non sans une certaine réserve qu’il masquait derrière son flegme habituel.

L’appartement de Methos lui ressemblait. Rien d’ostentatoire, mais chaque détail trahissait une existence marquée par les siècles : des livres anciens soigneusement alignés, des artefacts glissés ici et là, un globe terrestre aux marques d’usure trahissant un usage fréquent. Flavius observait tout, notant chaque indice sur la vie actuelle de son amant, cherchant à comprendre ce qui avait changé chez lui.

Les premiers jours, il se contenta d’être un invité irréprochable. Il prenait ses aises sans envahir l’espace de Methos, s’installant dans le salon avec un livre ou partageant avec lui des discussions nocturnes teintées de souvenirs et d’ironie. Mais sous cette apparente insouciance, il observait. Quelque chose lui échappait encore, et il était bien décidé à le découvrir.

Le vieil immortel finit par se détendre, laissant peu à peu tomber la méfiance instinctive qu’il avait éprouvée en l’invitant ici. Flavius s’immisçait dans son quotidien avec une aisance presque déconcertante, rendant leur cohabitation fluide, comme si elle avait toujours existé.

Un matin, alors que Methos se préparait à sortir, Flavius s’étira nonchalamment dans le lit, le drap glissant sur son torse nu.

— Tu sors ? demanda-t-il d’un ton léger.

— Juste une course, répondit Methos en attachant sa montre. J’en ai pour une heure, peut-être deux.

Flavius hocha la tête avec un sourire indolent, le regard suivant son amant qui récupérait ses affaires.

— Ne sois pas trop long, souffla-t-il en s’installant plus confortablement sur l’oreiller.

Methos ne releva pas, se contentant de saisir ses clés et de quitter l’appartement.

Dès que la porte se referma, l’attitude de Flavius changea. Il ne perdit pas de temps à savourer l’instant : il se leva aussitôt, se glissant dans l’espace de son amant avec la précision d’un homme habitué à fouiller sans laisser de traces. Il ouvrit doucement les tiroirs, effleura les pages des livres, analysa les objets disposés avec soin.

Puis, dans l’entrée, son regard se posa sur un buffet. Rien d’extraordinaire. Un meuble discret, sobre, que Methos utilisait pour déposer ses affaires en rentrant. Flavius l’ouvrit.

Un léger frisson parcourut son échine lorsqu’il découvrit une pile de lettres soigneusement rangées. Il en saisit une, son regard accrochant immédiatement le nom inscrit dessus.

Aélis.

Son souffle se suspendit une fraction de seconde. Il saisit l’enveloppe du bout des doigts. Une adresse. Pas très loin d’ici. Son regard dériva sur le plateau au-dessus du buffet. Un trousseau de clés était posé là, à côté d’un reste de courrier non ouvert. Son esprit fit rapidement le lien. Il reposa la lettre, réfléchissant intensément.

Il savait déjà que Methos lui échappait, mais cette découverte confirmait ses pires soupçons. Il y avait une autre présence dans sa vie. 




L’immortel attendit quelques jours avant de mettre son plan à exécution. Il savait se montrer patient lorsque l’enjeu en valait la peine. Il lui fallait le bon moment, une absence assez longue de Methos pour ne pas éveiller ses soupçons.

L’occasion se présenta lorsque ce dernier lui annonça qu’il devait passer l’après-midi chez les Guetteurs. Une réunion sur des archives récemment découvertes, probablement un de ces interminables débats entre érudits qui le retiendrait des heures. Flavius afficha un sourire compréhensif, un baiser sur les lèvres, un regard nonchalant.

— Ne te perds pas trop dans tes parchemins, murmura-t-il avec amusement.

Methos roula des yeux, enfila sa veste et quitta l’appartement sans se douter de ce que son amant préparait.

Dès qu’il fut parti, Flavius récupéra le trousseau de clés sur le buffet. L’adresse inscrite sur l’enveloppe était à moins d’une dizaine de minutes de marche. Il s’y rendit d’un pas tranquille, traversant les rues parisiennes avec une assurance naturelle, comme s’il appartenait à cet endroit.

 

L’immeuble était discret, sans prétention, situé dans une rue calme bordée d’arbres. Une habitation choisie pour la tranquillité plutôt que pour l’apparat. Il gravit les escaliers sans hésitation et déverrouilla la porte avec une précision maîtrisée.

Flavius referma la porte derrière lui et s’immobilisa un instant, laissant son regard parcourir l’espace. L’appartement était silencieux, empreint d’une absence qu’il percevait presque physiquement. Aucune trace d’un passage récent, aucun désordre laissé dans la précipitation d’un départ. Tout était soigneusement rangé, organisé, comme si sa propriétaire avait pris le temps de tout laisser en ordre avant de partir.

Il s’avança lentement, observant chaque détail avec attention. Rien dans la pièce principale ne révélait quoi que ce soit d’inhabituel. Des livres soigneusement disposés, des objets du quotidien, un espace de vie sobre et structuré. Mais ce n’était pas ce qui l’intéressait.

Son regard glissa vers l’entrée, où une armoire discrète se fondait dans le décor. Il tendit la main vers la poignée, l’ouvrit d’un geste mesuré. Là, parmi quelques vestes et chaussures, quelque chose attira immédiatement son attention. Un fourreau. Lentement, il écarta les vêtements qui l’entouraient et tira l’objet de sa cachette. Une épée, d’un équilibre parfait, visiblement bien entretenue. Une arme qui avait servi. Il en effleura la lame du bout des doigts, un frisson parcourant sa peau.

Il n’avait plus de doute. C’était une Immortelle.

Lentement, il replaça l’arme exactement comme il l’avait trouvée, prenant soin de ne pas laisser la moindre trace de son passage. Puis, son regard se posa sur le bureau.

Quelques feuilles étaient soigneusement empilées, des impressions de cartes et d’articles sur la Mongolie. Il y reconnut le nom de Khatgal, plusieurs annotations sur un projet de préservation culturelle. Une note manuscrite griffonnée dans la marge mentionnait une date d’arrivée et un contact sur place. Elle était là-bas. Un sourire froid étira lentement ses lèvres.

Il referma le dossier, fit un dernier tour de la pièce pour s’assurer qu’il ne laissait rien au hasard, puis quitta l’appartement aussi silencieusement qu’il était venu.

Le soir même, lorsqu’il retrouva Methos, il lui annonça qu’il devait rentrer à Rome pour régler quelques affaires. Son amant ne parut pas surpris, acceptant cette séparation temporaire avec son habituelle désinvolture.

Flavius ne lui laissa rien deviner de ses véritables intentions. Et trois jours plus tard, il prenait un vol pour Oulan-Bator.




La lumière tamisée de la yourte donnait à la réunion une ambiance feutrée, où les voix s’entremêlaient dans un murmure studieux. Assise parmi les chercheurs, les historiens et les conservateurs locaux, Aélis prenait des notes avec application, concentrée sur les discussions du jour. Autour d’elle, les murs étaient ornés de broderies mongoles traditionnelles, témoins du riche héritage qu’elle contribuait à préserver. L’odeur du feutre, du thé infusé et du bois brûlé se mêlait dans l’air, une atmosphère à la fois chaleureuse et studieuse.

Quelques secondes avant qu’il ne fasse son entrée dans la yourte, une sensation familière la traversa. Un Immortel. Troublée, elle esquissa un bref regard vers l’entrée, aux aguets. Elle garda néanmoins son calme et reprit rapidement le fil de ses notes. Ce n’était pas la première fois qu’elle ressentait cette vibration si particulière, et elle savait qu’afficher la moindre réaction risquait d’attirer l’attention des autres participants.

L’homme entra avec une aisance mesurée, sa présence semblant capter l’attention sans qu’il ait besoin d’élever la voix. Grand, élégant dans un manteau d’un bleu profond, il portait sur lui cette prestance naturelle qui lui conférait un charisme certain. Son regard balaya la pièce avec une curiosité discrète, s’attardant brièvement sur elle avant de se détourner.

Il se présenta sous le nom de Flavien Valère, un mécène européen passionné d’histoire et de conservation du patrimoine. Il expliqua qu’il finançait divers projets culturels à travers le monde et que celui-ci l’avait particulièrement interpellé. Son discours, fluide et maîtrisé, attira aussitôt l’attention des autres participants.

Aélis l’observa à la dérobée, attentive à la moindre dissonance. L’homme savait manier les mots, c’était indéniable. Son intérêt semblait sincère, et pourtant, il y avait quelque chose dans son regard, dans sa manière de mesurer chacun de ses gestes, qui sonnait faux. Peut-être était-ce simplement cette intuition que seuls les Immortels développaient au fil des siècles : une méfiance instinctive, un besoin de comprendre avant de se dévoiler.

Après la réunion, alors que certains échangeaient autour d’une table basse où fumait un thé au lait de yack, Flavius s’approcha d’elle, un sourire courtois aux lèvres.

— Vous avez une manière fascinante de poser des questions, dit-il d’un ton léger. Peu parlent avec autant de passion de sujets aussi… anciens.

L’immortelle, surprise par l’approche, releva les yeux vers lui.

— L’histoire mérite qu’on s’y intéresse avec sérieux, répondit-elle simplement. Ce projet est important pour les communautés locales, il ne s’agit pas juste de préserver des objets, mais une identité.

Flavius inclina légèrement la tête, comme s’il savourait sa réponse.

— Une belle cause, en effet. Il est rare de voir des étrangers aussi investis dans ce genre d’initiatives. Vous êtes ici depuis longtemps ?

— Quelques mois.

— Et avant cela ?

Elle soutint son regard, percevant l’amorce d’une curiosité trop appuyée.

— Paris, répondit-elle avec neutralité.

Flavius eut un sourire imperceptible.

— Une ville fascinante, dit-il, comme s’il savourait le mot. Mais si vous êtes venue jusqu’ici, c’est que Paris ne suffisait pas ?

Aélis ne répondit pas immédiatement. Il y avait dans sa voix une façon d’orienter la conversation qui la mettait sur la défensive.

— Disons que j’avais besoin d’un peu d’air, répondit-elle enfin, vague mais sincère.

Il la scruta un instant, attentif au moindre détail. Un simple voyage, ou une fuite ? Ses yeux captèrent un éclat fugace dans son regard, une ombre qu’il ne parvenait pas encore à définir. Il choisit de ne pas insister. Il inclina légèrement la tête, comme pour laisser entendre qu’il respectait son silence.

— J’aimerais en savoir plus sur votre travail ici. Peut-être pourriez-vous me parler de ce qui vous a attirée vers cette culture en particulier ?

La jeune femme, bien que polie, garda un ton mesuré.

— C’est un projet collectif, pas seulement le mien. Nous essayons de documenter et préserver ce que nous pouvons, avant que tout ne disparaisse sous la modernisation et les influences extérieures.

Flavius sourit.

— Un combat noble. Je serais ravi de vous aider, si vous le permettez.

Elle observa brièvement son visage, cherchant à deviner ses véritables intentions.

— Toute aide est toujours la bienvenue, dit-elle prudemment.

Il sourit avec cette pointe de satisfaction propre aux hommes habitués à obtenir ce qu’ils veulent. Mais elle n’était pas dupe.

— Peut-être pourrions-nous poursuivre cette discussion ailleurs ? J’aimerais en savoir plus sur votre projet, si vous avez un peu de temps.

— Vous voulez dire maintenant ? demanda-t-elle avec un calme étudié.

— Si cela ne vous dérange pas, bien sûr. Il y a un petit café non loin d’ici, avec une vue magnifique sur le lac. Je promets de ne pas monopoliser votre soirée.

L’invitation était habile. Ni trop pressante ni trop détachée, elle laissait à Aélis la possibilité de refuser sans paraître impolie. Mais elle n’avait aucune raison de décliner. Il se présentait comme un mécène, un homme influent intéressé par la préservation du patrimoine, et ce projet avait besoin de soutiens.

Elle hocha la tête.

— Très bien.

Flavius lui adressa un sourire courtois avant de l’accompagner vers la sortie de la yourte.

Ils marchèrent quelques minutes sur un sentier qui longeait les rives du lac Khövsgöl. L’air était vif, chargé de l’humidité de l’eau et du parfum des steppes avoisinantes. La nuit commençait à tomber, teintant le ciel de reflets dorés et pourpres. Aélis profitait de la fraîcheur du crépuscule, tandis que Flavius, lui, semblait plus concentré sur son interlocutrice que sur le paysage.

— Vous travaillez ici depuis combien de temps ? demanda-t-il d’un ton léger.

— Quelques mois. Mais ce n’est pas un projet qui se termine en une saison, répondit-elle sans détour.

— J’imagine. Préserver une culture demande du temps et de la patience.

Elle acquiesça en silence, jaugeant toujours la nature de cette rencontre.

Ils arrivèrent enfin au café, une petite terrasse de bois surplombant l’eau. À cette heure, il n’y avait que quelques clients, des voyageurs et des locaux échangeant autour de thés fumants. Flavius tira doucement une chaise pour elle avant de s’installer en face, gardant ce sourire poli et ce regard scrutateur.

— Alors, commença-t-il en croisant les doigts devant lui. Dites-moi, qu’est-ce qui vous a poussée à vous investir dans un projet aussi éloigné de tout ?

Aélis se permit un léger sourire.

— Vous voulez dire, qu’est-ce qui fait qu’une Européenne choisisse de consacrer son temps à un coin reculé de Mongolie ?

Flavius inclina légèrement la tête, l’invitant à poursuivre.

— L’histoire est universelle, répondit-elle simplement. Peu importe où l’on est, elle nous façonne tous.

— Belle formule. Mais il y a forcément une raison plus personnelle.

— Peut-être. Mais si je devais toutes les analyser, je n’aurais plus le temps de faire mon travail.

— Vous avez l’esprit acéré. Je comprends mieux pourquoi certains vous trouvent fascinante.

Elle leva un sourcil, méfiante.

— Certains ?

Il haussa les épaules, feignant l’insouciance.

— Disons que les passionnés d’histoire ont tendance à se reconnaître entre eux.

Aélis prit une gorgée de thé, masquant son trouble. Il y avait quelque chose d’étrange dans cette conversation, une manière subtile qu’il avait de la tester sans en avoir l’air.

— Et vous ? répliqua-t-elle, détournant habilement la conversation. Qu’est-ce qui vous amène ici, en dehors de l’intérêt philanthropique ?

Flavius sourit, visiblement amusé par son retournement de situation.

— J’aime découvrir des histoires, et surtout, ceux qui les racontent.

— Les histoires sont fascinantes, mais elles appartiennent à ceux qui les vivent.

Flavius pencha légèrement la tête, détaillant sa réaction. Il cherchait à comprendre ce qui la rendait si spéciale, pourquoi son amant s’était attaché à elle au point d’entretenir un lien durable avec une immortelle. Elle n’avait pas la flamboyance des femmes qu’il avait croisées aux côtés de Methos autrefois, ni cette arrogance séductrice propre aux immortels qui avaient traversé les âges avec assurance. Elle semblait plus posée, plus insaisissable d’une certaine manière.

Il prit une gorgée de thé, masquant un sourire ironique. Décidément, Methos avait des goûts de plus en plus énigmatiques. D’ordinaire, il choisissait des créatures plus promptes à jouer avec les cœurs qu’avec les archives.

— Vous êtes surprenante, lâcha-t-il enfin.

— C’est souvent ce qu’on dit, répondit-elle sans émotion particulière.

Un silence s’installa, pendant lequel Flavius sut qu’il ne gagnerait rien à insister davantage ce soir-là. Mais il ne comptait pas abandonner si facilement.




Quelques jours s’étaient écoulés depuis leur première rencontre.

Flavien Valère s’était imposé avec une aisance naturelle parmi les mécènes et chercheurs du projet, naviguant entre les discussions avec ce mélange de charme et d’intelligence calculée qui lui permettait d’être rapidement accepté. Aélis, bien que polie, restait en retrait, observant plus qu’elle ne se laissait approcher. Il était courtois, intéressé, mais quelque chose dans son comportement sonnait faux.

Ce jour-là, une réception avait été organisée sous une grande yourte dressée en l’honneur des avancées du projet. La lumière du jour filtrant à travers les tentures conférait à l’endroit une atmosphère feutrée, tandis que les conversations allaient bon train autour des tables basses garnies de thé et d’alcools locaux. Aélis échangeait avec un petit groupe lorsqu’une voix, à la fois fluide et posée, s’invita dans la discussion.

— Il est fascinant de voir à quel point certains consacrent leur vie à recueillir les témoignages du passé. Pas seulement en les étudiant, mais en les capturant auprès de ceux qui l’ont vécu.

La jeune immortelle sentit une tension instinctive la traverser. Son regard se posa sur Flavius, qui venait de s’installer près d’elle avec ce sourire affable qui masquait trop bien ses véritables intentions.

— L’histoire est un fil conducteur, répondit-elle en levant légèrement son verre. Elle nous enseigne d’où nous venons et parfois, où nous allons.

— Certains ne se contentent pas de l’étudier, poursuivit Flavius avec une légèreté calculée. Ils cherchent à la retranscrire, à l’archiver, à en faire le récit le plus détaillé possible. Comme si, en mettant des mots sur elle, ils pouvaient lui donner un sens.

Elle sentit une tension grimper d’un cran. Il ne parlait pas d’histoire au sens général. Il parlait de quelqu’un.

— C’est le propre des historiens et des archivistes, répondit-elle prudemment.

— Oui, mais il y a une différence entre les passionnés… et ceux qui ont vécu assez longtemps pour vouloir tout consigner eux-mêmes.

Cette fois, son regard croisa directement le sien. Un silence flottant s’installa une fraction de seconde trop longue.

— J’ai connu un homme ainsi, ajouta-t-il en inclinant légèrement la tête. Il passait son temps à recueillir les témoignages de ceux qui, comme lui, avaient traversé les siècles. Il prétendait observer, sans jamais s’impliquer. Un érudit, mais aussi un fantôme, insaisissable.

Aélis, jusque-là impassible, sentit son estomac se nouer imperceptiblement.

— Vous parlez comme si vous faisiez référence à quelqu’un en particulier.

Flavius sourit, savourant visiblement le moment.

— Disons que le monde est petit pour certains d’entre nous. Ceux qui fuient toujours finissent par être rattrapés, n’est-ce pas ?

Cette fois, il n’y avait plus de doute. Il parlait de Methos. Aélis prit une gorgée de son vin, masquant son trouble sous une expression parfaitement maîtrisée.

— C’est une vision très dramatique des choses. Certains ne fuient pas, ils avancent simplement.

— Peut-être. Mais ceux qui avancent sans jamais se retourner… finissent parfois par laisser derrière eux des choses précieuses.

Elle posa son verre avec lenteur, soutenant son regard.

— Vous semblez bien renseigné sur ces questions.

— J’ai eu l’occasion d’observer certaines dynamiques au fil du temps, répondit-il avec une fausse désinvolture.

Aélis se redressa légèrement, son instinct lui hurlant de ne pas ignorer cette conversation. Il était venu ici avec un but précis. Un sourire poli se dessina sur ses lèvres.

— Je suppose que c’est une manière élégante de dire que l’histoire a parfois tendance à se répéter.

— En effet, acquiesça Flavius, amusé.

Le jeu était dangereux, mais elle savait qu’elle n’en tirerait rien de plus pour l’instant. Elle échangea encore quelques mots avant de prétexter vouloir prendre l’air. Une fois dehors, elle inspira profondément l’air frais des steppes, cherchant à apaiser le trouble qui s’insinuait en elle.

Puis elle composa le numéro de Methos.




Le vrombissement lointain d’un téléphone fit lentement émerger Methos du sommeil. Son esprit embrumé mit quelques secondes à reprendre pied dans la réalité. Il jeta un regard à l’écran qui luisait faiblement sur la table de nuit. Aélis.

Il fronça légèrement les sourcils. Il était tard. Beaucoup trop tard. Ou plutôt… trop tôt. Un rapide coup d’œil à l’horloge lui confirma l’évidence : 4h18 du matin. L’appel n’était pas anodin.

Il décrocha immédiatement, repoussant les draps d’un geste sec.

— Aélis ?

Un silence, léger, mais chargé d’une tension palpable.

— Je suis désolée de t’appeler à cette heure.

Sa voix était basse, contrôlée, mais il connaissait trop bien ses nuances. Quelque chose n’allait pas.

— Ce n’est pas grave, répondit-il en se redressant, le sommeil déjà oublié. Qu’est-ce qui se passe ?

Elle prit une inspiration mesurée avant d’expliquer :

— Un homme est arrivé ici il y a quelques jours. Un immortel. Il se fait appeler Flavien Valère, un mécène soi-disant passionné par la préservation du patrimoine. Il est cultivé, il sait parfaitement où se placer pour inspirer confiance. Mais il y a quelque chose qui cloche.

Methos sentit son ventre se contracter.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Il parle trop bien. Il observe. Et ce soir, il a laissé échapper quelque chose…

Elle marqua une pause, comme pour s’assurer qu’elle ne s’était pas fait de fausses idées.

— Il a fait une allusion à toi. Pas à toi directement, mais suffisamment pour que je comprenne qu’il te connaît.

Methos passa une main sur son visage. Son estomac se noua encore davantage.

— Décris-le-moi.

— Grand, blond, sûr de lui. Un charisme étudié, un sourire à demi-mesure, et une manière de jouer avec les mots qui frôle l’arrogance.

Il ferma les yeux. Flavius. Le silence qui suivit pesa lourdement entre eux.

— Tu le connais, conclut Aélis.

— Oui.

Un battement. Puis :

— Il s’appelle Flavius.

Elle ne dit rien tout de suite, attendant la suite.

— Lui et moi… on a une histoire.

Il marqua une pause, cherchant les bons mots.

— Disons qu’il a toujours eu une manière très… passionnelle de s’attacher aux gens.

— Passionnelle ? répéta-t-elle, comprenant l’implication.

— Nous avons été proches. Très proches.

Il ne développa pas, mais elle saisit immédiatement ce qu’il sous-entendait.

— Il y a longtemps ?

— Toujours trop peu de temps pour lui.

Son ton était plus dur qu’il ne l’aurait voulu. Il savait jusqu’où Flavius pouvait aller quand il se sentait menacé.

— Aélis… Il inspira lentement. Il sait très bien ce qu’il fait en étant là. Ce n’est pas un hasard.

— Tu penses qu’il sait pour moi ?

— Il doit s’en douter. Mais pour l’instant, il t’observe.

Un silence. Elle comprenait.

— Que veux-tu que je fasse ?

— Rien.

— Methos…

— Surtout, ne le confronte pas.

Sa voix s’était faite plus basse, plus urgente.

— Ne lui donne pas de raison de croire que tu as vu clair dans son jeu. Continue comme si tout était normal.

— Et toi ?

— Je prends un vol dès que possible.

Son ton n’admettait aucune discussion.

— D’ici là, reste prudente.

Elle expira lentement, comprenant que, quoi qu’il se passe, ce n’était que le début.




Les deux jours qui suivirent furent une danse silencieuse entre prudence et faux-semblants.

Aélis, désormais consciente de la véritable identité de Flavius, s’efforça de ne rien laisser paraître. Elle continua à vaquer à ses occupations, à participer aux réunions, à discuter avec les chercheurs et les mécènes, comme si tout était normal. Comme si Flavien Valère n’était qu’un homme parmi tant d’autres. Mais elle savait. Et lui aussi savait que quelque chose avait changé.

D’abord, ce ne fut qu’une impression fugace, une sensation ténue qui glissait dans l’air lorsqu’elle parlait à d’autres avec un naturel plus étudié qu’avant. Puis, il le perçut dans son regard : une fraction de seconde où elle sembla peser ses mots différemment, où elle lui offrit un sourire un peu trop mesuré. Flavius n’était pas dupe.

Il remarqua comment elle prenait subtilement ses distances. Comment elle ne se retrouvait jamais seule en sa présence, s’arrangeant pour être entourée. Comment elle refusait poliment mais fermement ses propositions de l’accompagner en repérage ou d’en savoir plus sur son projet. Elle lui échappait. Et cela, il ne pouvait pas l’accepter.

La frustration s’insinua en lui, une colère sourde qui affûtait chacun de ses gestes. Lui qui avait tant de patience, qui savait attendre le bon moment, sentait son contrôle s’effriter.

Il devint plus insistant. Ses mots, toujours élégants et maîtrisés, prirent une teinte plus acérée, des sous-entendus plus mordants. Il glissa dans leurs échanges des phrases ambiguës, des piques voilées qu’elle feignait de ne pas entendre.

— Vous semblez différente depuis quelques jours, Aélis. Quelque chose vous tracasse ?

— Les journées sont longues, c’est tout.

Elle gardait un ton léger, neutre. Il souriait en réponse, mais ses yeux, eux, s’assombrissaient à chaque faux-semblant. Il savait qu’elle mentait. Mais ce qui l’agaçait plus encore, c’était de ne pas en comprendre la raison. Avait-elle deviné qui il était vraiment ?

L’idée était possible, mais il se refusait à la croire immédiatement. Car pour cela, il aurait fallu qu’elle ait une information qu’elle n’avait pas auparavant. Et cela signifiait une seule chose.

Methos.

Une colère silencieuse commença à ronger les fondations de sa patience.




L’air frais du matin s’élevait au-dessus des eaux calmes du lac Khövsgöl lorsque Methos arriva enfin à Hatgal. Il n’avait pas dormi depuis son départ de Paris. Dans l’avion, dans la voiture qui l’avait mené jusqu’ici, il n’avait fait que ressasser la même question : jusqu’où Flavius était-il prêt à aller ? Et maintenant qu’il était là, cette question trouvait une réponse immédiate dans le regard de l’homme qu’il aimait.

Ils se croisèrent pour la première fois près d’un des campements temporaires du projet, un espace ouvert où l’on déchargeait du matériel. Aélis n’était pas loin, discutant avec un groupe de restaurateurs.

Les immortels sentirent sa présence avant de le voir. Flavius se retourna lentement, et lorsque son regard croisa celui de Methos, une fraction de seconde d’incrédulité traversa ses traits. Mais très vite, son expression se referma. Il savait. Il comprenait maintenant pourquoi Aélis lui échappait. C’était Methos.

Son calme revint aussitôt, mais quelque chose, dans la tension de sa mâchoire, dans la lenteur mesurée de ses gestes, trahissait la rage contenue qui l’habitait. Il s’approcha sans hâte, contournant méthodiquement les obstacles sur son chemin, comme un prédateur qui ne lâche pas sa proie des yeux.

— Methos, souffla-t-il enfin, un sourire sans chaleur aux lèvres.

L’autre ne répondit pas tout de suite. Ils s’observèrent en silence.

Aélis, plus loin, s’était figée. Elle perçut immédiatement la densité de la tension entre eux, ce champ de force invisible qui semblait les maintenir à distance l’un de l’autre tout en les poussant inexorablement à se confronter.

Flavius inclina légèrement la tête, d’un air faussement détendu.

— Je ne m’attendais pas à te voir ici.

Methos répondit d’un ton égal :

— J’aurais aimé ne pas avoir à venir.

— Vraiment ? Tu sembles toujours finir par te retrouver là où je suis.

Methos ne releva pas la provocation. Il connaissait trop bien Flavius pour ignorer où cette conversation menait. Il voulait le pousser.

— Tu n’aurais pas dû venir, Flavius.

— C’est amusant, répondit-il avec une douceur calculée, c’est exactement ce que je pensais de toi.

Un silence pesant s’installa. Puis Flavius reprit, d’un ton plus bas, plus dangereux :

— Alors c’est ça ? Tu as trouvé une nouvelle distraction ?

Methos soutint son regard sans ciller.

— Ce n’est pas un jeu, Flavius.

— Oh, bien sûr que si, murmura l’autre, s’approchant légèrement. Tout est un jeu. Nous le savons mieux que personne.

Il tourna légèrement la tête vers Aélis qui s’était rapprochée.

— Mais je dois avouer que je ne m’attendais pas à ça.

Elle ne broncha pas, son regard braqué sur Flavius, prête à intervenir si nécessaire. Methos avança d’un pas, s’interposant subtilement entre eux.

— Ne la mêle pas à ça.

Flavius le fixa, immobile. Puis il éclata d’un rire bref, presque amusé.

— Oh, mais c’est déjà trop tard, tu ne crois pas ?

Aélis perçut immédiatement le changement subtil dans l’attitude de Flavius. Son sourire s’était éteint, remplacé par une lueur glaciale dans son regard. Ce n’était plus seulement de la jalousie ou de la frustration. C’était une certitude. Une décision qui venait d’être prise.

Methos le comprit aussi. Il le vit dans la manière dont Flavius se redressa légèrement, dans cette respiration plus lente, plus maîtrisée. Il s’apprêtait à agir.

— Ce n’est ni le lieu ni le moment, Flavius, dit-il calmement.

— Ah, mais je crois que si, souffla l’autre en pivotant légèrement vers Aélis.

Le sang de Methos ne fit qu’un tour. Il s’interposa immédiatement, son corps se plaçant instinctivement entre les deux immortels.

— Ne fais pas ça.

— Pourquoi pas ? Son regard passa de Methos à Aélis. Après tout, c’est ce que nous faisons, n’est-ce pas ? Nous réglons nos différends à notre manière.

La jeune immortelle, qui jusque-là avait retenu son souffle, sentit une vague de colère monter en elle.

— Je ne suis pas une pièce sur ton échiquier, répliqua-t-elle, la voix plus dure.

Flavius l’observa, intrigué.

— Non… mais tu es un problème.

Le sous-entendu était limpide. Et cette fois, Methos n’hésita pas. Il attrapa fermement le bras de Flavius, l’obligeant à reculer de quelques pas.

— Si tu veux te battre, c’est moi que tu affrontes.

L’immortel ne broncha pas, mais son regard flamboya d’une satisfaction malsaine.

— C’est tout ce que je voulais entendre.

Methos savait qu’il n’y avait plus d’issue. Il relâcha lentement sa prise et souffla :

— Alors viens.

Un silence tendu s’installa. Flavius haussa un sourcil, puis sourit. Il savait ce que Methos faisait. Il lui offrait un autre terrain.

— Allons-y.

Il pivota sur ses talons et s’éloigna, avançant d’un pas mesuré vers les steppes. Methos fit un pas pour le suivre, mais s’arrêta net. Il se tourna vers Aélis. Elle savait déjà ce qu’il allait dire.

— N’interviens pas.

— Je ne vais pas te laisser…

— Aélis.

Son ton était ferme, mais pas brutal. Cette bataille n’était pas la sienne. Elle serra la mâchoire, contrariée, mais hocha la tête.

— Fais attention à toi.

Methos ne répondit pas. Il se contenta d’un regard. Puis il s’éloigna à son tour, suivant Flavius dans l’immensité des steppes. Aélis resta en retrait, le cœur battant. Elle ne pouvait pas intervenir. Mais elle pouvait observer.

Alors, à distance, elle se mit à les suivre.




Le vent soufflait, soulevant des volutes de poussière sous la lueur blafarde du soleil voilé. Loin du campement, sous un ciel chargé de nuages, deux silhouettes se faisaient face. Le silence était absolu.

Flavius dégaina lentement son épée, la lame luisant sous la lumière incertaine. Son regard était intense, presque fébrile, mais il n’y avait plus de sourire sur ses lèvres. Plus de jeu. Juste une attente, un battement suspendu entre deux âmes qui s’étaient trop longtemps connues.

Methos, lui, ne bougea pas immédiatement. Il tenait son arme, mais sans la lever, ses doigts se resserrant inconsciemment sur la garde. Tout en lui hurlait de ne pas faire ça. Ce n’était pas un combat de vengeance. Pas un duel pour la gloire ou la survie. C’était une sentence, un choix qu’il aurait voulu éviter.

— C’est donc comme ça que ça se termine ? demanda Flavius, sa voix basse, vibrante d’une émotion contenue.

Methos ne répondit pas.

— Je me souviens d’un temps où tu aurais fait n’importe quoi pour moi, continua-t-il. Un temps où nous étions invincibles.

Le vieil immortel esquissa un sourire amer.

— Nous n’avons jamais été invincibles.

Flavius secoua lentement la tête, un éclat de tristesse voilé dans son regard.

— Alors montre-moi. Montre-moi ce que tu es devenu.

Il attaqua. Le premier choc des lames brisa le silence comme une détonation. Methos para avec fluidité, reculant d’un pas. Flavius était rapide, ses coups précis, calculés. Pas un mouvement superflu. Il connaissait Methos. Il savait comment il bougeait, comment il pensait. Et Methos, lui, connaissait Flavius. Chaque feinte, chaque accélération, chaque faille.

Ils se battaient comme s’ils avaient dansé mille fois ensemble. Un échange fluide, presque hypnotique, où aucun ne dominait l’autre. Mais Methos n’attaquait pas vraiment. Il déviait. Il contenait.

— Tu hésites, souffla Flavius entre deux assauts.

Methos ne répondit pas. Mais c’était vrai. Flavius était une partie de lui. Son passé, ses erreurs, ses nuits d’ivresse et d’extase. Il n’était pas un monstre insensible. Il n’était pas un tueur né. Mais Flavius ne s’arrêterait jamais. Ce n’était pas une querelle passagère. Pas une blessure d’orgueil. C’était une obsession. Et une obsession comme celle-là ne mourrait pas tant que son porteur vivait.

— Qu’est-ce que tu attends ? souffla Flavius entre deux assauts.

Methos resta mutique. Ils s’étaient battus des centaines de fois, à Rome, à Florence, à Byzance, pour s’entraîner, pour séduire, pour jouer. Mais aujourd’hui, ce n’était plus un jeu.

Le duel s’étira, une danse mortelle où aucun des deux ne cherchait réellement à prendre l’avantage. Flavius tentait de briser l’hésitation de Methos, de le forcer à aller au bout. Il ne voulait pas. Mais Flavius l’acculait, le poussait à se défendre plus vite, plus fort. Jusqu’à ce qu’un faux pas décide de tout.

Un coup effleura le flanc de Methos. Il grimaça. Il contre-attaqua enfin, plus rapide, plus tranchant. Flavius recula légèrement, surpris. Puis il sourit.

— Ah… voilà mon Methos.

Un battement de cœur plus tard, il fonça de nouveau, mais cette fois, Methos ne lui laissa plus l’initiative. Une parade. Une feinte. Une ouverture. Le cri du vent fut la seule réponse à la lame qui s’enfonça profondément dans le torse de Flavius.

L’immortel tituba légèrement sous l’impact du coup qu’il venait de recevoir, une main tremblante appuyée contre la plaie béante qui souillait son torse. Son souffle était court, haché, et ses genoux fléchirent lentement sous son propre poids jusqu’à s’enfoncer dans la terre froide.

Methos recula d’un pas, son épée encore levée, comme figé dans un instant qui ne devait pas exister. Il aurait voulu détourner les yeux, effacer ce qu’il voyait, nier l’inévitable. Il avait gagné. Mais il ne pouvait pas. Pas ça. Il aurait dû se sentir soulagé, rassuré même, mais tout ce qu’il ressentait, c’était une douleur sourde, un vertige nauséeux qui lui comprimait la poitrine. Il ne pouvait pas porter le coup fatal.

Flavius leva les yeux vers lui, son regard empreint de lassitude. Il y avait dans ses traits quelque chose d’étrangement paisible, une résignation teintée de tristesse. Plus d’arrogance, plus de sourire carnassier. Juste un homme à bout, un homme qui savait qu’il n’y avait plus d’issue.

— Alors, tu hésites ? souffla-t-il d’une voix rauque.

Le vieil immortel ne répondit pas. Il voulait dire quelque chose, n’importe quoi, mais aucun mot ne venait. Son souffle était saccadé, sa main crispée sur la garde de son épée, comme si le simple fait de la lâcher pouvait le ramener en arrière, à un moment où tout cela aurait pu être évité.

Il ne pouvait pas. Parce que c’était Flavius. Flavius, qui avait illuminé ses nuits à Rome d’une passion qu’il n’avait jamais connue ailleurs. Flavius, avec qui il avait partagé des siècles d’errance, de rires, de batailles et d’amours volés au temps. Flavius, qui l’avait aimé au point d’en devenir fou. Methos ferma brièvement les yeux, tentant de reprendre son souffle. Il aurait dû y avoir une autre issue.

— Pourquoi… souffla-t-il enfin, sa voix brisée par l’émotion. Pourquoi en arriver là ? Pourquoi tu n’as jamais pu changer ?

Flavius eut un sourire douloureux.

— Parce que je ne suis pas toi.

Un silence pesant s’étira entre eux, que Methos brisa par un aveu douloureux :

— Je t’aime, Flavius.

Sa voix n’était qu’un souffle, rauque, étranglé, comme si chaque mot lui arrachait un morceau d’âme.

Il n’y avait pas de victoire ici. Pas de soulagement. Rien d’autre qu’un gouffre béant dans sa poitrine, un vertige insoutenable qui lui retournait l’estomac. Il aurait voulu que ce soit un mensonge. Que ces mots ne résonnent pas avec autant de vérité. Que son cœur ne s’accroche pas encore, désespérément, à ce qu’ils avaient été. Mais c’était là. Une évidence terrible. Il l’aimait encore. Et pourtant, ça ne changeait rien.

Flavius détourna légèrement le regard, ses lèvres tremblant sous le spectre d’un sourire éteint.

— Alors pourquoi tu me tues ?

La question le heurta de plein fouet. Pourquoi, en effet ? Pourquoi condamnait-il l’homme qu’il avait tant aimé ? Pourquoi était-ce lui qui portait ce fardeau, qui devait être celui qui décidait de la fin ? Il voulait croire qu’il pouvait encore y avoir un autre chemin, une rédemption possible. Mais il savait. Il savait que Flavius ne s’arrêterait jamais. Il savait que la jalousie, le désir de possession, l’obsession maladive qui l’animait étaient autant de chaînes dont il ne se libérerait jamais. Il savait que, s’il le laissait partir, un jour, il lèverait de nouveau son épée sur Aélis. Ou sur un autre. Et il savait qu’il ne pouvait pas vivre avec cette idée. Pas cette fois.

Il avait laissé Kronos survivre par le passé, persuadé qu’il pouvait fuir l’ombre de son existence. Il avait vu Duncan hésiter face à Kristin, condamnant d’autres victimes à son indécision. Il avait laissé tant d’hommes et de femmes derrière lui, croyant qu’ils finiraient par comprendre, par changer. Mais Flavius ne changerait jamais. Et lui-même ne pouvait plus être cet homme qui fermait les yeux.

La lame qu’il tenait dans sa main lui semblait soudain terriblement lourde. Ses doigts tremblaient sur la garde. Il devait le faire.

— Je t’aime encore malgré tout ce que tu es, malgré tout ce que tu as fait.

Sa voix se brisa sur les derniers mots. Il inspira lentement, douloureusement.

— Mais je ne peux plus. Je suis désolé.

Flavius le regardait sans ciller, et dans son regard, il y avait quelque chose de terrible. Il comprenait que c’était fini. Pas parce que Methos ne l’aimait plus, mais parce que l’amour ne suffisait pas à effacer les ombres, à effacer le sang. Parce que, même s’il le voulait de toutes ses forces, il n’y aurait jamais de retour en arrière.

— Tu sais ce qui est drôle ? murmura-t-il. J’ai toujours su que ça finirait ainsi.

Son souffle devint tremblant. Son regard n’était plus celui d’un ennemi, mais d’un homme qui aimait encore.

— Mais j’espérais…

Sa voix se brisa.

— … que ce ne serait pas toi.

Un dernier battement de cœur. Methos leva lentement son épée. Un dernier regard. Il voulait graver en lui cette image, se souvenir de l’homme qu’il avait aimé et non du monstre qu’il était devenu.

Puis l’épée s’abattit.

Le quickening déchira la nuit. Des éclairs bleutés jaillirent dans le ciel, frappant le sol dans un chaos incandescent. Methos serra les dents sous l’impact de l’énergie, son corps traversé par la force de Flavius, par des siècles de souvenirs et de passions consumées. Il sentit l’essence son ancien amant disparaître en lui, s’effacer comme une empreinte laissée sur le sable balayé par la marée.

Puis tout s’éteignit. Le silence retomba. Methos resta immobile, les genoux dans la poussière. L’épée glissa de sa main, oubliée, tandis qu’il restait figé, vidé, incapable de bouger. Flavius était mort. Et lui restait.

Il sentit un mouvement derrière lui, une présence qui approchait lentement. Un pas discret, mesuré. Aélis. Elle ne dit rien. Elle n’avait pas besoin de parler. Elle savait. Alors, doucement, elle s’agenouilla à ses côtés.

Methos n’eut pas la force de résister. Il s’effondra contre elle, son corps secoué d’un tremblement qu’il ne pouvait plus contenir. Elle referma les bras autour de lui, le tenant fermement contre elle, un ancrage silencieux dans la nuit glaciale.

Et dans l’immensité des steppes, il laissa enfin la douleur le rattraper.




Le vent glissait doucement sur la surface du lac, soulevant de petites vagues qui venaient mourir contre la rive. L’eau sombre reflétait les étoiles, calmes et indifférentes à ce qui venait de se jouer sur ces terres silencieuses. Aélis était assise sur un rocher, les bras posés sur ses genoux, le regard perdu dans l’immensité du paysage. À quelques pas d’elle, Methos restait debout, immobile, le regard rivé sur l’eau comme s’il pouvait y noyer le poids de ses pensées.

Ils n’avaient pas échangé un mot depuis qu’ils avaient recouvert le corps de Flavius de pierres, un tombeau de fortune au creux des steppes. Aucun rite, aucun adieu. Juste la poussière et le silence.

La nuit semblait s’étirer à l’infini autour d’eux, mais Aélis n’essaya pas de combler le vide. Elle savait qu’il en avait besoin. Qu’il devait faire face à ce qu’il venait de perdre.

Elle regardait l’horizon sans vraiment le voir. Elle repensait à tout ce qu’elle avait vu, à tout ce qu’elle avait compris ces derniers jours. Elle savait que Methos souffrait. Pas seulement de ce qu’il avait fait, mais de ce que cela représentait. Flavius n’avait pas été qu’un rival ou une erreur du passé. Il avait été un amour qui avait traversé les siècles, fragmenté, imparfait, mais toujours présent.

Et elle, où se situait-elle dans tout ça ?

Elle ne se posait pas cette question par jalousie. Ce n’était pas une compétition. Mais elle réalisait que ce qu’elle partageait avec Methos était d’une autre nature. Plus paisible, plus ancrée dans le présent. Un lien de confiance, de liberté mutuelle, quelque chose qui n’avait pas besoin d’être dévorant pour exister.

Elle tourna légèrement la tête vers lui. Il était debout, le regard perdu sur la surface noire du lac. Son visage était creusé par la fatigue, marqué par le poids de tout ce qu’il venait de traverser.

Finalement, d’une voix basse, presque un murmure, elle demanda :

— Tu penses qu’on peut aimer pour toujours ?

Elle ne le regardait pas, et pourtant, elle sentit son corps se tendre légèrement à sa question. Le silence s’étira encore. Methos ne répondit pas immédiatement. Il laissa les mots flotter entre eux, peser de tout leur poids. Il savait que ce n’était pas une question anodine. Pas ici. Pas maintenant. Il expira lentement, ferma les yeux un instant.

— Je ne sais pas.

Sa voix était basse, presque rauque. Comme si chaque mot lui coûtait un effort. Il passa une main sur son visage fatigué avant de s’asseoir à son tour, ses coudes appuyés sur ses genoux. Il fixait le lac, mais son esprit était ailleurs.

— J’ai aimé des hommes, des femmes, à travers les siècles. Chaque fois différemment. Souvent intensément.

Il marqua une pause, cherchant ses mots.

— Il y a eu des amours fugaces, des passions brûlantes, des liens que je pensais indestructibles. Et pourtant…

Il secoua lentement la tête.

— Le temps finit toujours par tout effriter. Par tout emporter.

Un sourire amer passa brièvement sur ses lèvres.

— Mais Flavius…

Il s’arrêta. Aélis ne dit rien. Elle le laissa continuer à son rythme.

— Lui, c’était différent.

Sa voix n’était plus qu’un souffle.

— Il était une part de moi, une part que j’ai aimée avec une intensité que je n’ai retrouvée que rarement. Peut-être jamais.

Un frisson le traversa, mais il ne chercha pas à se détourner de cette vérité.

— Et pourtant, regarde où ça nous a menés.

Un silence.

— Alors je ne sais pas, Aélis. Peut-être qu’on peut aimer pour toujours. Peut-être que certains le font.

Il tourna lentement la tête vers elle, et pour la première fois de la nuit, leurs regards se croisèrent.

— Mais même si c’est possible… ça ne suffit pas toujours.

Elle le regarda sans rien dire. Il y avait dans ses yeux une compréhension silencieuse, une compassion dénuée de pitié. Elle ne chercha pas à lui offrir de réponses. Elle n’en avait pas. Alors elle se contenta d’être là, assise à ses côtés, regardant le lac refléter l’éternité.




Paris était calme sous la lueur des réverbères. La ville brillait doucement sous la pluie fine qui tapissait les rues d’un éclat humide, reflétant les néons des enseignes et les phares des voitures qui glissaient dans la nuit.

Methos poussa lentement la porte de son appartement. L’obscurité familière l’accueillit sans un bruit. Il referma derrière lui, laissant le silence l’envelopper. Tout semblait inchangé, et pourtant, quelque chose dans l’air lui paraissait différent. Il alluma une lampe, traversa la pièce d’un pas mesuré. Son regard effleura les étagères pleines de livres, les carnets posés sur son bureau, les objets épars témoins d’un quotidien qu’il avait quitté quelques jours plus tôt. Tout était exactement à sa place. Comme si rien ne s’était passé.

Comme si Flavius n’avait jamais existé.

Il s’arrêta devant la fenêtre, observant la ville en contrebas. Il aimait Paris la nuit, son effervescence atténuée, ses rues encore habitées mais moins bruyantes, comme si la ville elle-même prenait une respiration plus profonde.

Il ouvrit une bouteille de whisky, se servit un verre d’un geste mécanique. L’alcool ambré tournoya dans le cristal alors qu’il le portait lentement à ses lèvres.

Flavius était mort. Et il était là.

Il ferma les yeux un instant, laissant les souvenirs remonter. Le combat dans les steppes. Le regard de son amant, à la toute fin. Ce dernier sourire triste, ce soupir résigné.

Il avait choisi la raison. Mais alors pourquoi avait-il l’impression d’avoir perdu bien plus qu’un duel ?

Il pensa à Aélis. À la manière dont elle était restée à ses côtés après le combat, silencieuse, lui offrant un refuge sans poser de questions. Elle n’avait pas cherché à combler le vide par des mots. Elle avait juste été là. Leur relation était différente. Rien à voir avec la passion dévorante qu’il avait partagée avec Flavius. Avec elle, il n’y avait ni jalousie, ni bataille d’ego, ni cette intensité brûlante qui consume tout sur son passage. Il y avait autre chose. Une confiance. Une stabilité. Peut-être qu’il ne s’agissait pas toujours d’un feu ardent. Peut-être que parfois, c’était la constance qui comptait.

Il porta le verre à ses lèvres et but une gorgée. La chaleur du whisky s’attarda dans sa gorge, mais elle ne chassa pas le froid qu’il sentait en lui.

Ce n’était pas la même histoire.

Son regard se perdit à nouveau sur la ville. L’amour, la loyauté, la douleur de l’éternité… Il n’y avait pas de règles universelles. Pas de réponses simples. Seulement des choix, et les conséquences qui les accompagnaient.

Il reposa lentement son verre et laissa son regard se perdre dans la ville qui s’étendait devant lui.

Il n’était pas encore guéri. Mais il avançait.

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