Le Prix à payer - Highlander Fanfiction

Chapitre 10 : La Quête du Vide

15136 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 5 mois

Methos était de plus en plus absorbé par la mise en place de la nouvelle annexe des guetteurs. Entre réunions, écriture de premières directives et réflexion sur l’archivage des témoignages immortels, ses journées étaient bien remplies. Pourtant, il se sentait plus serein ces derniers temps. Aélis, dont le moral s’améliorait de jour en jour, semblait peu à peu retrouver son équilibre. Il n’éprouvait plus la même crainte de la laisser seule.

Elle n’avait pas encore regagné son appartement, préférant encore l’atmosphère rassurante de celui de Methos, mais elle commençait à envisager un retour prochain à une certaine normalité. Le simple fait qu’elle y pense était pour lui un bon signe. Pourtant, même si elle semblait peu à peu se stabiliser, il ne pouvait s’empêcher de garder un œil sur elle. Il ne lui en parlait pas, mais une part de lui restait aux aguets, guettant le moindre signe de rechute. Peut-être était-ce une habitude qu’il avait prise ces derniers mois, ou peut-être était-ce simplement parce qu’il tenait à elle plus qu’il ne voulait l’admettre.

Il chassa cette pensée et reporta son attention sur les dossiers étalés devant lui. Pour l’heure, il devait se concentrer sur son travail.

 

Le calme régnait dans la vaste salle d’archives des Guetteurs. Un endroit feutré, baigné par la lumière tamisée des lampes de bureau et le murmure discret des pages que l’on tourne. L’odeur familière du papier ancien se mêlait aux relents d’encre fraîche, témoins des nouvelles entrées dans les registres.

Methos, installé derrière un bureau couvert de dossiers, laissa échapper un soupir satisfait. Ici, dans ce sanctuaire de papier et d’encre, tout avait un ordre. Chaque information était classée, chaque événement consigné avec une précision presque obsessionnelle.

Il parcourait un rapport compilé récemment, un recueil de fragments d’informations glanées à travers le réseau des Guetteurs : des rumeurs sur des duels récents, des déplacements d’anciens immortels, des noms murmurés dans des cercles restreints. Certains immortels faisaient profil bas depuis des siècles et semblaient soudainement réapparaître. D’autres disparaissaient brutalement, preuve que le Jeu ne s’arrêtait jamais.

Il feuilleta un dossier mentionnant une série de combats en Argentine : deux immortels en guerre depuis l’époque coloniale s’étaient retrouvés après plus d’un siècle de silence. Un autre rapport faisait état d’un jeune immortel sans mentor qui prenait des têtes de façon désordonnée. Il haussa un sourcil, songeur. Ce n’était pas une surprise. C’était toujours la même histoire, un cycle éternel de sang et d’épées. L’histoire humaine et immortelle n’étaient que des variations d’un même motif.

— Tu comptes te noyer sous les vieux récits, ou tu vas finir par prendre un verre avec moi ?

Joe Dawson venait d’apparaître dans l’embrasure de la porte, un sourire en coin. Methos leva à peine les yeux de son texte.

— Pourquoi choisir ? Je peux faire les deux.

Joe s’avança, observant le bureau surchargé de notes, de livres et de rapports manuscrits. Il secoua la tête, amusé.

— Sérieusement, depuis quand es-tu aussi studieux ?

— Depuis que la bêtise humaine me fatigue trop pour y participer activement.

Joe éclata de rire et prit une chaise en face de lui.

— Tu apprécies vraiment ce boulot, hein ?

— Disons que c’est rassurant de voir que certaines choses ne changent pas. L’histoire évolue, se répète, mais au moins, ici, elle est bien rangée dans des dossiers.

Le Guetteur l’observa un instant, son sourire s’effaçant légèrement.

— Et tu comptes passer la soirée à ranger des archives poussiéreuses ?

Methos hésita, son regard se posant sur la pile de documents. Il n’avait pas encore terminé, mais après tout, ce travail attendrait bien une nuit de plus. Il referma lentement un dossier et se leva en s’étirant.

— Va pour un verre, concéda-t-il finalement. Avant que je commence à ressembler à ces fichus papiers.

Joe eut un sourire satisfait et lui donna une tape sur l’épaule avant de l’entraîner hors de la pièce. Derrière eux, les dossiers restaient empilés, figés dans le silence de la salle d’archives. Pour une fois, l’histoire pouvait bien attendre.

Alors qu’ils quittaient la salle des archives, Methos jeta un bref coup d’œil à sa montre. Il rentrerait un peu plus tard que d’habitude. Aélis n’était pas du genre à s’inquiéter, et ces derniers temps, elle appréciait aussi d’avoir quelques moments seule dans l’appartement. Pour une fois, il se permit de ne pas trop y penser.




Installée dans un fauteuil de l’appartement de son compagnon, une tasse de thé entre les mains, la jeune immortelle savourait un moment de quiétude.

Surgissant de nulle part et la prenant au dépourvu, une vibration caractéristique lui traversa la poitrine, un frisson d’énergie familier mais déplaisant. Ce n’était pas Methos. Une onde de méfiance monta immédiatement en elle. Elle se raidit, tentant de reconnaître cette présence. Puis cela lui revint : cette sensation sournoise, oppressante, elle l’avait déjà ressentie. Alexandre.

Comment cela était-il possible ?

L’instant d’après, il apparut dans l’encadrement de la porte d’entrée. Sa silhouette massive se découpait dans l’ombre, et l’éclat métallique de l’épée qu’il tenait à la main semblait capter la lumière diffuse de la pièce. Aélis eut à peine le temps de se lever que, dans un bond féroce, il fondit sur elle.

Elle se jeta sur le côté dans un réflexe instinctif, évitant de justesse la lame qui s’abattit lourdement, déchirant le canapé dans une explosion de rembourrage. Le souffle court, elle bondit vers l’entrée, saisit en un éclair son épée posée près de la porte et agrippa un trousseau de clés qu’elle croyait être celui du garage et de la voiture de Methos. Sans perdre une seconde, pieds nus, elle dévala les marches de l’immeuble haussmannien, le bruit de sa course résonnant dans la cage d’escalier en pierres.

 

La rue, déserte et baignée par les halos blafards des réverbères, semblait figée dans le silence. Elle la traversa en courant, avant de s’engouffrer dans le parking souterrain où Methos disposait d’un box pour sa voiture. Ses mains tremblaient tandis qu’elle ouvrait la porte du box, mais en fouillant le trousseau, elle réalisa avec horreur que la clé de la voiture manquait. Elle avait dû la perdre dans sa fuite précipitée.

Un bruit derrière elle. Elle se retourna, son souffle s’accélérant. Alexandre était là, un sourire carnassier sur le visage. Dans sa main, il tenait les clés qu’il fit tinter avec un triomphe moqueur avant de les jeter négligemment sur le côté.

— Tu pensais t’en sortir aussi facilement ? cracha-t-il avec un rictus.

Elle n’avait plus le choix. Serrant la garde de son épée à s’en blanchir les jointures, elle le fixa, prête à se battre. Alexandre attaqua sans prévenir, avec une violence inouïe. Le choc de leurs lames résonna dans le parking, chaque coup faisant vibrer son bras jusqu’à l’épaule. Il était fort, brutal, et son style de combat ne laissait aucune place à la finesse.

Aélis tenta de compenser par l’agilité, esquivant tant bien que mal les assauts sauvages de son adversaire, mais il avait clairement l’avantage. Sa férocité l’acculait, chaque coup rapprochant Alexandre de la victoire. Finalement, elle perdit l’équilibre et tomba lourdement en arrière, son épée encore dans sa main tremblante.

Allongée au sol, la lame d’Alexandre levée au-dessus d’elle, elle sut que c’était la fin. Une étrange sérénité l’envahit. Mourir ainsi, en combat, ce n’était pas une si mauvaise manière d’en finir. Après tout, elle avait toujours su que ça finirait comme ça, d’une façon ou d’une autre. Peut-être même que c’était mieux ainsi.

Elle pensa à Darius. À son sourire, à sa voix grave qui résonnait encore dans son esprit. Peut-être que la mort n’était pas une fin, peut-être qu’elle allait enfin le retrouver. Cette idée aurait dû l’apaiser. Mais au lieu de cela, un rire silencieux, amer, monta en elle.

Darius. Toujours lui. Toujours son fantôme qui la hante, même maintenant.

Sauf que cette fois, ce n’était pas sa propre voix intérieure qui murmurait ces mots. C’était une autre voix, plus sèche, légèrement moqueuse.

Methos.

L’idée la heurta comme une gifle. Instinctivement, ses doigts se crispèrent autour de son épée. Elle pouvait presque l’entendre, avec ce ton désinvolte qui rendait chacune de ses piques insupportables : Vraiment, Aélis ? Même au seuil de la mort, c’est encore Darius qui occupe tes pensées ?

Le choc la traversa, brutal. Son esprit refusa de lâcher prise. Methos. Son regard insaisissable, son sourire flegmatique qui dissimulait une acuité redoutable. Il l’aurait observée avec cet air faussement détaché, puis aurait lâché, du bout des lèvres : C’est comme ça que tu choisis de mourir ? Dans un parking miteux, face à un abruti en mal de revanche ?

La certitude de sa propre fin vacilla. Une bouffée de colère, fugace mais brûlante, s’éveilla en elle. Il n’avait pas tort. Elle ne pouvait pas mourir comme ça.

C’est alors que la chaleur la traversa. Une présence ancienne, familière. Darius.

Son corps ne sembla soudain plus entièrement lui obéir. Une force nouvelle sembla guider ses gestes, une puissance qu’elle reconnaissait sans peine. Alors qu’Alexandre abattait son épée, elle leva la sienne et para avec une précision déconcertante.

Se relevant avec une assurance nouvelle, Aélis sentit l’esprit de Darius en elle, influençant chacun de ses mouvements. Alexandre, décontenancé, perdit son arrogance. Le combat bascula. Chaque attaque de la jeune immortelle était calculée, fluide, empreinte d’une maîtrise qu’elle ne possédait pas seule.

Dans un dernier enchaînement implacable, elle désarma Alexandre et, d’un geste rapide et précis, lui trancha la tête.

 

Le quickening déferla aussitôt, une tempête d’énergie pure l’envahissant. Des éclairs illuminèrent le parking tandis que la puissance de son adversaire se déversait en elle.

Lorsque tout s’apaisa, elle se retrouva seule, à genoux, respirant difficilement, la sensation réconfortante de Darius s’évanouissant peu à peu.

 

Il lui fallut de longues minutes pour reprendre ses esprits. Le souffle court, les muscles tremblants, elle resta un moment à genoux sur le béton froid, tentant de calmer le chaos dans son esprit.

Quand elle se redressa enfin, tout autour d’elle semblait irréel, comme si la scène appartenait à un cauchemar dont elle peinait à s’éveiller. Alexandre gisait là, inerte, sa tête roulée à quelques pas. Aélis détourna les yeux, luttant contre la nausée qui montait. Mais elle savait qu’elle ne pouvait pas rester là.

Rassemblant le peu de force qu’il lui restait, elle attrapa le corps sans vie de son adversaire et le traîna tant bien que mal jusqu’à l’intérieur du box. Chaque mètre lui semblait une éternité, le poids du cadavre se faisant de plus en plus lourd à mesure que l’adrénaline s’estompait. Une fois à l’intérieur, elle se mit en quête de quelque chose pour masquer les traces du combat.

Ses yeux tombèrent sur une vieille couverture roulée dans un coin. Elle l’attrapa et commença à essuyer le sang sur le sol avec des gestes mécaniques, presque désespérés. Elle frotta, encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une tache indistincte, à peine différente d’une vieille trace d’huile incrustée dans le béton. Satisfaite malgré tout, elle jeta la couverture sur le corps d’Alexandre et referma la porte du box à clé, la main tremblante.

 

En sortant du parking, elle récupéra les clés de voiture qu’Alexandre avait jetées plus tôt. Son regard balayait nerveusement les alentours, guettant le moindre signe de présence humaine. Mais tout était calme.

Elle traversa la rue vide et reprit le chemin de l’appartement. Ses pieds nus étaient glacés sur le bitume, et elle sentit une vague d’appréhension monter en elle en imaginant son apparence. Elle était couverte de sang, de la tête aux pieds. Ses vêtements imbibés collaient à sa peau, et des mèches de ses cheveux étaient agglutinées par des traînées sombres.

Aélis pria en silence pour ne croiser personne. Pas un passant nocturne, pas un voisin curieux, pas même un chat errant. Elle monta les marches de l’immeuble haussmannien en apnée, le cœur battant à tout rompre. Quand elle atteignit enfin le quatrième étage, une vague de soulagement l’envahit en constatant que le couloir était désert. Elle passa la porte de l’appartement de Methos, encore ouverte, avec précaution, referma derrière elle, et s’adossa un instant à la porte. Le silence du loft lui parut à la fois écrasant et réconfortant.




Methos rentra chez lui peu après, pour découvrir un véritable chaos. Le canapé était éventré, des meubles renversés, et quelques éclats de verre scintillaient faiblement dans la lumière tamisée du salon. Il s’immobilisa dans l’entrée, l’esprit en alerte. Tout cela n’avait rien de normal. Pourtant, en montant les marches du hall, il avait ressenti la présence d’Aélis. Mais elle n’était nulle part en vue.

Le silence oppressant de l’appartement fut brisé par un bruit discret : le léger murmure de l’eau qui coulait. Intrigué et inquiet, Methos avança à pas mesurés vers la salle de bains. Lorsqu’il poussa doucement la porte, la scène qui s’offrit à lui le laissa sans voix.

 

La jeune immortelle se tenait sous la douche, immobile. À ses pieds, ses vêtements imbibés de sang gisaient en amas sombres. L’eau qui ruisselait sur son corps formait des rivières rougeâtres avant de disparaître dans le siphon.

Elle tourna lentement la tête vers lui en entendant le grincement de la porte. Son visage, bien que fatigué, arborait une expression presque candide, un contraste frappant avec la violence de la scène.

— Que s’est-il passé ? demanda Methos, sa voix un mélange d’inquiétude et d’incrédulité.

Elle coupa l’eau d’un geste lent avant de se tourner complètement vers lui. Ses mouvements semblaient mécaniques, comme guidés par une volonté éteinte.

— J’ai tué Alexandre, répondit-elle, le ton neutre, presque détaché.

Les yeux de Methos s’agrandirent sous le choc.

Elle tendit la main pour attraper une serviette et s’enroula maladroitement dedans, plus pour se réchauffer que pour se couvrir. Puis, elle sortit de la douche, l’eau dégoulinant encore de ses cheveux et de sa peau.

— Il est venu ici, reprit-elle d’un ton calme en essorant ses mèches mouillées. Je me suis enfuie, mais il m’a rattrapée dans le parking. J’ai dû l’affronter.

Ses explications furent succinctes, délibérément dépourvues de détails sur la violence du combat. Methos l’écoutait sans mot dire, ses pensées se bousculant, mais il savait qu’il valait mieux ne pas la presser.

— J’ai déplacé son corps dans le box, ajouta-t-elle après un instant de silence. Mais j’aurais besoin de ton aide… pour tout nettoyer.

Elle avait tenté de masquer sa gêne dans sa demande, mais Methos pouvait sentir le poids de la culpabilité qui pesait sur elle.

— Entendu, je vais t’aider, finit-il par répondre, encore abasourdi.

Au moment où il se détournait d’elle, le son de son téléphone rompit le silence. Le vieil immortel décrocha, un soupir las dans la voix.

— Methos ? C’est Joe, lança une voix grave à l’autre bout du fil. J’ai des nouvelles d’Alexandre, l’immortel que vous cherchiez il y a quelques temps.

Il jeta un regard à Aélis, mais ne répondit pas immédiatement. Joe poursuivit :

— Figure-toi qu’il vient d’être relâché. Il ne pouvait pas être lié au meurtre de Darius, et les accusations concernant une préparation d’attentat n’ont pas tenu. La police n’avait rien de solide contre lui, mis à part une détention illégale d’arme blanche, ce qui n’était pas suffisant pour le garder. Je me suis dit que ça pourrait t’intéresser.

L’immortel inspira profondément, fermant brièvement les yeux avant de répondre, d’un ton lourd :

— Ce n’est plus la peine, Joe…

Il jeta un coup d’œil vers Aélis, toujours immobile, sa silhouette fragile enveloppée dans la serviette. Puis il raccrocha sans un mot de plus.




Les jours passèrent, mais la jeune immortelle ne parvenait pas à chasser de son esprit la sensation étrange qu’elle avait ressentie lors de son affrontement avec Alexandre. Cette présence... Ce n’était pas simplement une force qui l’avait guidée. Elle avait cru, l’espace d’un instant, que Darius était là, vivant, quelque part en elle. Et cette idée lui donnait l’impression qu’il n’était pas complètement parti.

Ce souvenir devenait une obsession. Elle voulait revivre cette sensation, s’y accrocher comme à un fil ténu qui la reliait encore à son ami. Mais jour après jour, ce ressenti s’effaçait un peu plus, laissant en elle un vide grandissant.

 

Sans rien dire explicitement à son compagnon, elle tenta de trouver des réponses. Elle l’interrogea sur le quickening, sur la transmission des connaissances et des compétences d’un immortel à un autre. Methos, pourtant vieux de plusieurs millénaires, n’avait rien dans ses réponses qui pût éclairer ce qu’elle avait ressenti.  Ses paroles étaient rationnelles, logiques, mais elles ne comblaient pas le vide en elle. Elle voulait croire qu’il y avait plus que ça.

Ce désir devint une urgence, un besoin presque viscéral. Elle en était certaine : Darius avait été là. D’une manière ou d’une autre, il lui était venu en aide. Et elle voulait ressentir sa présence à nouveau.

 

Un soir, alors qu’elle feuilletait un livre dans le salon, Aélis tenta une nouvelle approche :

— Tu aurais une liste des immortels dans le coin ? demanda-t-elle d’un ton qu’elle voulait détaché.

Methos releva les yeux, visiblement surpris par la question.

— Pourquoi tu voudrais ça ?

Elle haussa les épaules, affectant un air désinvolte.

— Juste pour me préparer, au cas où. On ne sait jamais. C’est toujours bien de savoir à quoi s’attendre.

Il la fixa un instant, scrutant son visage comme s’il cherchait une autre vérité derrière ses paroles. Puis il poussa un soupir et secoua la tête avec une patience teintée d’exaspération.

— Aélis… Tu sais bien que je ne garde jamais ce genre d’informations ici. Et même si c’était le cas, je préférerais éviter d’y toucher

Il parlait avec douceur, comme s’il espérait clore la discussion sans qu’elle insiste davantage. Avant qu’elle puisse répondre, il s’était déjà replongé dans son livre, passant à autre chose avec une légèreté feinte. Elle resta figée quelques secondes, déçue par cette réponse qui, bien qu’attendue, ne faisait qu’alimenter son sentiment d’urgence. Methos n’avait pas compris.

 

Déterminée à trouver une autre solution, elle se tourna vers Joe quelques jours plus tard. Elle se rendit seule à son bar en plein milieu de la journée, choisissant un moment calme pour éviter toute interruption.

— J’ai besoin d’un service, Joe, dit-elle après une brève hésitation.

Il lui adressa un sourire chaleureux tout en essuyant un verre.

—Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

Elle inspira profondément, cherchant ses mots.

— J’ai besoin de noms. Les immortels dans les environs. Ceux qui pourraient me poser problème.

Le mouvement du Guetteur s’arrêta net. Il posa lentement le verre sur le comptoir et son sourire s’effaça, laissant place à une expression grave.

— Non, répondit-il calmement, mais sans ambiguïté.

Un simple mot. Calme. Définitif. Aélis sentit une frustration brutale monter en elle.

— Joe… écoute-moi. Ce n’est pas grand-chose. Je veux juste… me préparer, au cas où.

Il ne bougea pas. Il croisa les bras sur sa poitrine, et son regard se fit plus dur.

— Non, répéta-t-il, cette fois avec plus de fermeté. Ce que tu demandes est dangereux, Aélis.

— C’est juste une information. Je ne te demande pas de trahir qui que ce soit.

— C’est exactement ce que tu fais.

Elle serra les dents.

— Ne joue pas sur les mots.

— Et toi, ne me prends pas pour un imbécile.

Son ton claqua comme un coup de fouet. Aélis sentit sa mâchoire se contracter. Son pouls battait trop fort.

— Joe…

— Non.

Il secoua la tête lentement, comme s’il pesait chacun de ses mots.

— Si je commence à te donner ce genre de choses, où est-ce que ça s’arrête ?

Elle ouvrit la bouche pour protester, mais il leva une main pour la couper.

— C’est non, Aélis.

Sa voix était ferme. Sans appel.

— Je t’apprécie, mais il y a des limites que je ne franchirai pas. Même pour toi.

Un instant, elle envisagea d’insister. D’exiger. De lui faire comprendre qu’elle n’accepterait pas un non. Mais elle réalisa quelque chose. Elle n’avait jamais vu Dawson la regarder comme ça. Comme si, pour la première fois, elle lui faisait peur. Un goût amer lui monta dans la gorge. Elle se recula lentement, les poings serrés.

— Comme tu veux.

Son ton était tranchant, froid. Elle tourna les talons et quitta le bar sans un mot de plus. Les mâchoires serrées, la respiration saccadée, son désespoir se mêlant à une colère sourde. Si personne ne voulait l’aider, elle trouverait un autre moyen. Elle n’était pas prête à abandonner. Pas encore.




Frustrée par les refus catégoriques de Methos et Joe, Aélis finit par envisager une option plus créative. C’est ainsi qu’elle se retrouva à frapper à la porte de l’appartement d’Amanda.

Lorsque cette dernière ouvrit, vêtue d’une robe élégante même à cette heure tardive, un sourire amusé apparut immédiatement sur son visage.

— Ma chère Aélis, à quoi dois-je l’honneur de cette visite nocturne ?

La jeune immortelle hésita un instant, puis se lança.

— J’ai besoin de ton aide pour une petite… aventure.

Amanda arqua un sourcil intrigué, mais son sourire s’élargit.

— Une aventure, dis-tu ? Voilà qui m’intéresse. Entre donc.

 

Dans le salon chaleureux, un verre de vin entre les mains, Aélis lui exposa son plan. À mesure qu’elle parlait, Amanda se penchait de plus en plus en avant, les yeux brillants d’excitation.

— Donc, si je résume… Tu veux qu’on infiltre le bar de Joe pour accéder à son PC ? demanda l’immortelle, son ton espiègle trahissant une absence totale d’hésitation.

— Exactement, confirma Aélis, un peu gênée par la simplicité avec laquelle son amie acceptait cette idée.

— Et tu crois que je vais dire non à une opportunité pareille ? s’exclama Amanda, riant doucement. Je suis parfaite pour ce genre de chose. Et ne t’inquiète pas, ça restera entre nous. Je suis une tombe… ou presque.

Elle ne put s’empêcher de sourire. L’enthousiasme d’Amanda était contagieux, et pour la première fois depuis des jours, elle sentit la tension en elle se relâcher un peu.

 

Peu après minuit, les deux femmes arrivèrent devant le bar. Amanda portait une combinaison noire ajustée et une trousse à outils discrète, tandis qu’Aélis, plus nerveuse, se contentait d’observer les alentours.

— Relax, ma chérie, murmura Amanda en crochetant la serrure avec une aisance déconcertante. Ce n’est pas ma première intrusion nocturne, tu sais.

— Pourquoi est-ce que ça ne me rassure pas ? répliqua Aélis à mi-voix, ce qui fit rire Amanda.

En quelques minutes, elles étaient à l’intérieur. Amanda se déplaçait avec une grâce féline, désactivant l’alarme et trouvant rapidement le coffre où Joe conservait son PC.

— C’est là, chuchota-t-elle, tout en se mettant à genoux pour forcer la serrure du coffre. Passe-moi la lampe de poche.

Aélis s’exécuta, regardant avec une admiration mêlée d’appréhension tandis qu’Amanda manipulait habilement ses outils.

— Et voilà, souffla-t-elle en ouvrant le coffre avec un sourire triomphant. Maintenant, voyons ce qu’il cache.

Elles sortirent le PC et l’allumèrent. Amanda, toujours aussi experte, accéda rapidement aux dossiers protégés.

— Il n’a pas changé son mot de passe depuis trois ans, commenta-t-elle avec un sourire en coin. Joe, Joe, Joe…

Les noms et informations défilèrent sur l’écran. Aélis sortit discrètement son téléphone et prit des photos des données, notant les localisations des immortels proches de Paris.

— Tu as tout ce qu’il te faut ? demanda Amanda après quelques minutes.

— Oui, c’est bon, répondit Aélis, la voix un peu tremblante.

Elle referma le PC, le remit dans le coffre et s’assura que tout était exactement comme elles l’avaient trouvé.

 

De retour à l’extérieur, les deux femmes s’éloignèrent dans la nuit silencieuse. Amanda glissa un bras autour des épaules d’Aélis, un sourire complice sur les lèvres.

— Je dois dire que tu te débrouilles plutôt bien pour une débutante, plaisanta-t-elle.

— Et toi, tu prends ça beaucoup trop à la légère, répliqua la jeune immortelle, mais avec un sourire.

— Allons, où serait le plaisir sinon ? Amanda lui adressa un clin d’œil. Et ne t’inquiète pas, Joe ne saura jamais rien de cette petite escapade.

Les deux femmes se séparèrent à un coin de rue, une promesse tacite scellant leur complicité : cette aventure resterait leur secret.




Aélis se décida à retourner vivre chez elle. Son appartement parisien, baigné de la lumière douce des premiers jours d’automne, était à la fois familier et étrangement vide. Mais ici, dans son espace personnel, elle pouvait réfléchir, planifier et, surtout, se concentrer pleinement sur sa traque.

Chaque soir, elle épluchait les informations recueillies, étudiant les profils des immortels répertoriés. Elle cherchait un adversaire qu’elle pourrait affronter sans trop de risques, quelqu’un de relativement jeune, peut-être encore inexpérimenté.

Son choix se porta sur Alain Duroc, un immortel âgé de seulement 76 ans. D’après les notes des Guetteurs, il était devenu immortel dans les années 1980, à la suite d’un accident de voiture. Alain semblait pacifiste, menant une vie tranquille dans une petite maison à la périphérie de Paris. Il était décrit comme peu formé au combat, vivant éloigné des intrigues immortelles.

Parfait.




La jeune immortelle s’avançait vers la maison de sa proie, dissimulée dans l’ombre de la nuit. Son souffle était court, tendu. Elle savait que cette confrontation était inévitable. Alain finirait par ressentir sa présence, comme elle ressentirait la sienne.

La lumière éclairait l’intérieur de la maison, signalant qu’Alain était à l’intérieur. Quelques minutes passèrent, et Aélis entendit enfin la porte s’ouvrir. L’immortel sortit sur le seuil, un manteau jeté sur les épaules, mais il s’immobilisa aussitôt.

— Qui est là ? demanda-t-il d’une voix alerte, sa main instinctivement posée sur la poignée de la porte.

Aélis surgit lentement des ténèbres, son épée déjà dégainée. Alain fronça les sourcils, comprenant immédiatement la nature de sa visiteuse. Il referma doucement la porte derrière lui, se plaçant sur le perron.

— Vous venez pour moi, murmura-t-il avec une pointe d’hésitation dans la voix.

— Oui, répondit-elle avec froideur.

— Je vois, dit-il après un silence. Mais pourquoi moi ? Je n’ai rien contre vous.

Elle resta immobile, ses doigts crispés sur la poignée de son épée.

— Ce n’est pas personnel. C’est comme ça que ça fonctionne, ajouta-t-elle d’une voix dure.

L’homme soupira profondément, une tristesse lasse se peignant sur son visage.

— Pourquoi ? demanda-t-il doucement, comme s’il espérait une autre réponse.

Aélis le fixa, une lueur déterminée dans les yeux.

— Parce qu’il ne peut en rester qu’un.

Avant qu’il ne puisse répondre, elle se jeta sur lui, l’obligeant à réagir.

 

Le duel fut bref. Alain, bien qu’il se défendît avec une certaine habileté, n’était pas un adversaire à la hauteur. Ses mouvements étaient maladroits, et son manque d’entraînement évident. Aélis, au contraire, se battait avec une intensité féroce, chaque coup porté avec une précision implacable.

En moins d’une minute, elle le désarma, le mettant à genoux. Son épée s’échappa de ses mains, glissant sur le sol. Il leva les yeux vers elle, haletant.

— Allez-y, murmura-t-il, résigné. Faites ce que vous avez à faire.

Aélis se figea, son arme levée, prête à porter le coup fatal. Elle attendait quelque chose. Une sensation, une présence. Darius. Mais rien ne vint. Le silence résonnait dans sa tête, insupportablement vide.

Les secondes s’étirèrent, et son souffle devint de plus en plus erratique. Elle baissa les yeux vers Alain, qui la fixait avec une expression mêlée de peur et d’incompréhension. Elle non plus ne comprenait pas. Pourquoi ? Pourquoi ça ne marchait pas ? Pourquoi n’y avait-il que du vide ? Elle recula brusquement, son épée tremblante.

— Je… je ne peux pas, balbutia-t-elle soudain, reculant de plusieurs pas.

Sans attendre de réaction de sa part, elle se retourna et s’enfuit, son épée toujours à la main.

 

Elle courut jusqu’à ce que ses jambes ne puissent plus la porter. Sans réfléchir, sans destination, sans autre pensée que cette seule vérité insupportable. Il n’était pas venu. Elle s’effondra dans une ruelle déserte, les genoux raclant le bitume. Son épée tomba au sol, glissant dans un bruit métallique. Elle inspira violemment, mais son souffle ne venait plus. Quelque chose était cassé en elle.

— Pourquoi ? murmura-t-elle entre ses dents serrées.

Elle aurait dû le sentir. Elle aurait dû retrouver sa chaleur, sa présence, son essence. Mais tout ce qu’elle ressentait, c’était un gouffre. Un vide béant. Un manque. L’angoisse la frappa comme une gifle, son cœur battant trop vite, trop fort. Elle plaqua sa main contre son front, tentant de calmer le chaos en elle. Mais rien n’y faisait. Le manque empirait. Pire encore, elle avait failli tuer un immortel innocent pour rien.

Une vague de culpabilité et de confusion la submergea. Elle posa la tête contre le mur froid, les larmes lui montant aux yeux. Elle voulait tellement retrouver Darius, sentir à nouveau sa sagesse et sa chaleur. Mais à quoi bon, si elle devait devenir un monstre pour y parvenir ?

Cette question resta suspendue dans son esprit, pesante, alors qu’elle s’éloignait dans l’obscurité.




Elle n’abandonna cependant pas son idée. Malgré son échec face à Alain, elle était persuadée qu’elle finirait par trouver un moyen. La réponse devait se cacher quelque part, enfouie sous son incapacité à s’abandonner pleinement au danger.

Quelques jours plus tard, elle choisit un adversaire bien plus redoutable : Branwen. Âgée de près de huit siècles, Branwen était une guerrière reconnue, célèbre pour son style de combat précis et calculé. Une adversaire impitoyable, qui ne laissait aucune place à l’improvisation. Cette fois, Aélis savait exactement ce qu’elle risquait. Affronter l’immortelle revenait à signer son arrêt de mort si la présence de Darius ne se manifestait pas. Elle en était consciente, et pourtant, elle ne recula pas. Parce qu’au fond, la peur de mourir n’avait plus la même emprise sur elle. Elle l’avait déjà regardée en face, cette peur, lorsqu’elle avait cru mourir sous la lame d’Alexandre. Et dans cet instant suspendu entre la vie et la mort, elle s’était demandé si elle reverrait Darius. Si l’éternité avait une réponse à lui offrir. S’il ne venait pas, si elle tombait aujourd’hui, peut-être que cette réponse viendrait enfin.

Aélis déposa une lettre devant la porte de l’immortelle à l’aube. Son message était simple et clair :

« Je sais qui tu es, Branwen.

Montre-moi ce dont tu es capable. Clairière de Saint-Laurent. À la tombée de la nuit. »

 

La clairière était baignée dans une lumière douce lorsque la guerrière apparut, enveloppée dans un long manteau sombre. Elle s’approcha calmement, sans précipitation, son épée encore rangée dans son fourreau.

Aélis l’attendait, immobile, droite comme un soldat avant la bataille. Le vent faisait danser quelques mèches de ses cheveux autour de son visage figé.

— Alors, c’est toi, lança Branwen en s’arrêtant à une dizaine de pas. Ton message était… direct.

La jeune immortelle ne répondit pas immédiatement, ses yeux fixant la guerrière avec une froide détermination.

— Je ne suis pas là pour discuter. Je suis là pour ta tête.

Branwen resta silencieuse un instant, scrutant son adversaire. Puis, avec un soupir résigné, elle dégaina lentement son épée.

— Très bien. Je ne peux pas dire que tu manques de clarté. Mais sois prévenue : je ne retiens jamais mes coups.

 

Aélis lança la première attaque, un coup vif et direct, mais Branwen l’esquiva avec une aisance frustrante. L’immortelle plus âgée riposta immédiatement, frappant avec une rapidité et une précision qui forcèrent Aélis à reculer.

Les lames s’entrechoquaient dans une symphonie métallique, chaque mouvement de Branwen calculé pour forcer Aélis à rester sur la défensive. Cette dernière peinait à suivre le rythme, incapable de trouver une ouverture dans les assauts implacables de son adversaire.

— Tu es déterminée, je te l’accorde, lança Branwen entre deux attaques. Mais la détermination seule ne suffit pas.

Aélis ne répondit pas. Elle serra les dents, parant tant bien que mal les coups. Branwen accéléra encore, ses frappes devenant plus agressives. Enfin, un coup bien placé atteignit les côtes de la jeune immortelle, déchirant sa peau.

La douleur la fit vaciller, et elle recula en titubant. C’est alors qu’elle sentit cette présence. Une force familière, intense et immuable, qui émanait de son être. Ce n’étaient pas des pensées, mais une impulsion, un instinct qui guidait chacun de ses gestes. Ses mouvements changèrent immédiatement. Elle attaqua avec une précision et une force qui ne lui appartenaient plus.

Branwen, surprise par ce revirement, recula, tentant de regagner le contrôle du combat. Mais Aélis ne lui laissa aucune chance. Chaque coup frappait avec une puissance implacable, repoussant la guerrière de plus en plus loin. Finalement, l’immortelle plus âgée trébucha, son pied se prenant dans une racine invisible. Elle perdit l’équilibre, tombant lourdement au sol.

Sans hésiter, Aélis fondit sur son adversaire, enfonçant son épée dans son ventre. Le corps de cette dernière se contracta sous l’impact, et un râle étouffé s’échappa de ses lèvres. Aélis retira aussitôt sa lame, laissant la guerrière s’effondrer sur le dos, inerte.

Elle resta là, debout, l’épée en main, observant le corps agonisant. Une respiration lourde et irrégulière s’échappait encore de Branwen, mais ses forces l’abandonnaient rapidement. Après quelques secondes de silence, Aélis fit un pas en avant. D’un geste précis, elle leva son épée et abattit la lame, prenant la tête son adversaire.

Le quickening s’abattit sur elle comme une tempête, inondant la clairière de lumière et de vent. Elle serra les poings, les éclairs parcourant son corps, et s’abandonna à cette énergie brute.

 

Lorsque tout redevint calme, elle resta immobile, ses mains encore tremblantes. Elle ouvrit les yeux, un regard froid et résolu illuminant son visage. Elle comprenait maintenant. Pour faire apparaître cette force en elle, elle devait se jeter entièrement dans le danger, accepter de se mettre en péril.

Et cette révélation ne l’effrayait pas. Au contraire, elle l’emplissait d’une nouvelle détermination. Elle ne se poserait pas de questions, ni sur la moralité de ses actes, ni sur les vies qu’elle prendrait. Son esprit était désormais guidé par une seule chose : le vide laissé par Darius et son besoin désespéré de le retrouver.

Sans un regard en arrière, elle quitta la clairière, ses pensées fixées sur sa prochaine cible.




Son petit appartement autrefois chaleureux et bien ordonné, ressemblait désormais à une scène tout droit sortie d’un film noir. Les murs étaient couverts de photos, de notes griffonnées et de cartes marquées de points rouges indiquant les emplacements des immortels qu’elle traquait. Chaque visage affiché semblait faire partie d’une enquête morbide, les noms soigneusement inscrits à côté, barrés pour ceux qui avaient déjà succombé à sa lame.

La rage et le manque qui la dévoraient s’intensifiaient avec chaque combat. Elle ne cherchait plus seulement à retrouver la présence de Darius, mais se noyait dans l’adrénaline, l’euphorie brutale des affrontements. Elle choisissait ses cibles avec soin, augmentant progressivement la difficulté, ignorant les risques croissants qu’elle prenait.

Chaque victoire lui apportait une satisfaction éphémère, toujours suivie d’un vide encore plus oppressant. Comme une droguée en manque, elle se jetait corps et âme dans cette quête désespérée, incapable de s’arrêter.




L’activité d’Aélis ne tarda pas à attirer l’attention des Guetteurs. Quelques vidéos prises furtivement circulaient déjà au sein de l’organisation.

Joe Dawson fut informé dès les premières victimes, mais il hésitait encore à intervenir. Il savait qu’elle était proche de Methos et espérait que ce dernier finirait par remarquer son comportement. L’immortel, cependant, semblait absorbé par ses recherches et son rôle au sein de sa section. Il avait bien remarqué qu’Aélis se montrait plus distante ces derniers temps, mais, la trouvant plus calme et pensant qu’elle se remettait de ses récents traumatismes, il n’avait pas cherché plus loin.

Cependant, lorsque le décompte des victimes atteignit une dizaine en moins d’un mois, Joe comprit qu’il ne pouvait plus attendre.

 

Il se rendit au QG des Guetteurs, sachant que Methos y travaillait. Lorsqu’il le trouva dans une salle d’archives, concentré sur un dossier, il referma la porte derrière lui, l’air sombre. Methos leva les yeux, intrigué par l’expression grave de son ami.

— Joe ? Tu fais une drôle de tête. Quelque chose ne va pas ?

Le Guetteur inspira profondément avant de répondre :

— On a un problème, Methos. Et je crois que tu es le seul à pouvoir faire quelque chose.

L’immortel fronça les sourcils, posant son dossier.

— De quoi tu parles ?

Joe sortit une tablette de son sac et l’alluma avant de la tendre à son ami.

— Regarde ça.

Sur l’écran défilaient plusieurs vidéos, chacune montrant Aélis engagée dans un duel acharné, avant de triompher de ses adversaires. Methos observa les scènes en silence, ses traits se durcissant à mesure qu’il comprenait l’ampleur de la situation. Lorsqu’il posa enfin la tablette, son expression oscillait entre incrédulité et colère.

— C’est quoi, ça, Joe ?

— C’est ta petite protégée. Elle fait des ravages. Elle a pris la tête de plusieurs immortels ces dernières semaines, et pas n’importe lesquels.

Joe se pencha vers lui, énumérant les noms d’un ton grave :

— Branwen, Ronan Draycott, Emil Verhoven, Alicia Reinarht, Joséphine Lemarque, Akim Solimar… Tu veux toute la liste ?

— Non, merci. Ça suffit.

Il se passa une main sur le visage, tentant de contenir son effroi.

— Comment ai-je pu être aussi aveugle ? Elle me semblait... différente, plus calme. Je pensais qu’elle se reconstruisait.

Joe secoua la tête.

— Elle ne se reconstruit pas. Elle s’autodétruit. Et elle pourrait finir par y laisser sa tête.

Methos resta silencieux un moment, ses doigts tapotant nerveusement sur la table. Puis, levant les yeux vers Joe, il déclara d’un ton ferme :

— Je vais m’en occuper.




Le soir même, Methos se rendit chez Aélis, déterminé à comprendre ce qui se passait. Il la trouva sur le point de sortir, son long manteau sombre dissimulant une épée. Elle semblait pressée, presque agacée par son arrivée, mais accepta de lui accorder quelques minutes.

— Ce n’est vraiment pas le moment, lâcha-t-elle, déjà sur le seuil.

Il lui adressa un regard insistant, posant une main sur le cadre de la porte pour qu’elle ne la referme pas.

— Ce dont je veux te parler est important. Et… il serait préférable qu’on en discute à l’intérieur, dit-il doucement, jetant un coup d'œil vers les appartements voisins.

Elle haussa un sourcil, son expression trahissant une méfiance évidente.

— Pourquoi ? De quoi s’agit-il, Methos ?

— De toi, murmura-t-il en inclinant légèrement la tête, baissant la voix comme pour souligner la gravité du sujet. Tes voisins n’ont pas besoin d’entendre ce que j’ai à dire.

Aélis hésita, ses doigts serrant la poignée. Elle jaugea son regard, cherchant à deviner ses intentions. Finalement, et à contrecœur, elle ouvrit la porte plus largement.

— Fais vite, dit-elle d’un ton sec, avant de le laisser entrer.

 

Methos entra lentement, ses yeux captant immédiatement les photos et notes épinglées sur les murs de son logement. Un tableau chaotique se dévoilait : des visages, des noms, des dates, des emplacements. Tout un plan méthodiquement organisé pour traquer et affronter d’autres immortels.

— Alors, c’est vrai, murmura-t-il en s’approchant des murs, les examinant attentivement. Tu les as tués… onze immortels, en un mois ?

La jeune femme, restée près de la porte, croisa les bras comme pour se protéger de son regard. Elle ne répondit pas.

— Qu’est-ce qu’il se passe, Aélis ? demanda-t-il, sa voix un mélange de douceur et de gravité.

Elle resta silencieuse, le regard fuyant, mais Methos insista, avançant lentement vers elle.

— Écoute, je veux comprendre. Pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce qui te pousse à agir comme ça ?

Après un moment de tension palpable, elle finit par baisser la tête, une lueur de désespoir traversant son regard.

— C’est Darius.

Methos cligna des yeux, pris de court.

— Quoi… Darius ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

Elle inspira profondément, comme si elle devait rassembler son courage pour tout avouer.

— Quand je combats un immortel plus fort que moi… je le ressens, Methos. Il est là. Pas des pensées, pas des souvenirs. Une présence. Il me guide, il m’aide. Et c’est… c’est le seul moment où je peux le retrouver, dit-elle, sa voix tremblant légèrement, oscillant entre le manque dévorant et une détermination presque froide.

Methos resta figé, son regard fixé sur elle, abasourdi.

— Aélis… Tu risques ta vie pour ça ? Pour ressentir un écho de lui ?

Elle releva les yeux, une lueur farouche dans son regard.

— C’est tout ce qu’il me reste, Methos…

Il ouvrit la bouche pour répliquer, mais aucun mot ne vint. Il la voyait déterminée, perdue dans une quête qu’il ne savait comment stopper. Elle attrapa la poignée de la porte, indiquant clairement que la conversation était terminée.

— Je dois y aller, lança-t-elle en sortant.

Methos resta planté là, regardant la porte se refermer derrière elle. Une douleur sourde monta en lui, un mélange de colère, de tristesse, et d’impuissance. Il réalisa avec amertume que Darius, même mort, semblait occuper une place plus importante dans son cœur que lui, vivant. Il rentra chez lui, le poids de cette révélation pesant lourdement sur ses épaules.




Elle revint victorieuse, comme toujours, le cœur empreint de cette même ferveur glacée.

Methos, lui, avait passé la nuit à tenter de digérer leurs échanges, à ressasser ce qu’il avait vu et entendu. Pas une minute de sommeil ne l’avait soulagé. La vérité d’Aélis l’écrasait : il n’était rien face à ce fantôme qu’elle poursuivait, rien face à cette présence qu’elle sacrifiait tout pour retrouver.

 

Le lendemain, il retourna frapper à sa porte, déterminé à ne pas la laisser sombrer sans réagir. Elle ouvrit, l’air fatigué, mais toujours sur le pied de guerre. Son épée était posée à côté de la porte, prête pour un autre duel.

— Tu comptes vraiment y aller encore ce soir ? demanda-t-il, le désespoir serrant sa voix.

Elle haussa les épaules, comme si la question n’avait pas de sens. Elle était convaincue que rien ne pouvait l’arrêter, que ce qu’elle faisait était juste.

— Tu te rends compte de ce que tu fais ? lança-t-il, plus durement. Et si un jour il ne répond pas ?!

Elle fit une moue dédaigneuse, presque enfantine, persuadée que Darius répondrait toujours. Methos ne pouvait tout simplement pas comprendre, pas ce qu’elle vivait.

— Il sera là, murmura-t-elle. Il est toujours là.

— Et si ce n’était pas le cas ? Et si tu te faisais tuer avant même qu’il puisse "te sauver" ? Tu joues avec ta vie !

Son ton monta. Il était perdu, blessé, incapable de reconnaître la femme qu’il connaissait dans cette obsession destructrice.

— Tu vas finir par te détruire, finit-il par lâcher, la voix pleine d’amertume.

Elle avait déjà attrapé son manteau et s’apprêtait à partir quand Methos la retint par le bras.

— Aélis, attends ! Tu ne peux pas continuer comme ça.

Elle soupira, agacée.

— Je t’ai déjà expliqué, Methos. Ça ne sert à rien d’en reparler.

— Ça ne sert à rien ?! rugit-il, sa colère éclatant enfin. Tu es en train de jouer avec ta vie, et tu veux que je reste là, à regarder sans rien dire ?

Elle haussa les épaules, l’air résigné.

— Ce que je fais, c’est pour lui. Il est là. Tu ne peux pas comprendre.

— Pour lui ?! répondit-il, incrédule. Et moi, alors ? Je ne compte pas ?

Elle resta silencieuse, évitant son regard.

— C’est Darius, pas moi, qui te hante, continua-t-il avec amertume. Mais ce n’est pas ce qu’il aurait voulu.

Son ton était monté, chargé de frustration et de douleur. Elle releva enfin les yeux, le défiant :

— Et qu’est-ce que tu en sais, Methos ? Tu ne sais pas ce que je ressens.

— Non, je ne le sais pas ! cria-t-il, sa voix trahissant son désarroi. Mais je vois ce que ça te fait, ce que ça te coûte. Et tu veux savoir ce que moi je ressens ? Chaque fois que tu pars, je crains que ce soit la dernière. Que tu ne reviennes pas.

Elle fronça les sourcils, son expression oscillant entre colère et confusion.

— Alors quoi ? Je devrais m’arrêter, juste parce que tu as peur ?

— Oui ! répondit-il, hors de lui.

— Et pourquoi je ferais ça ?!

— Parce que je ne veux pas te perdre ! Parce que je t’aime !

Les mots avaient franchi ses lèvres avant qu’il ne puisse les retenir. Ils résonnèrent dans l’appartement, suspendus dans un silence brutal.

— Parce que je t’aime, répéta-t-il, presque en un murmure. Tu ne vois pas ce que tu fais ? À toi-même, à moi... À nous. Je te regarde te faire du mal, et ça me détruit. Je suis là, moi. Mais tu préfères courir après une ombre, après une sensation. Et à chaque fois que je crois te retrouver, tu m’échappes à nouveau.

Aélis resta figée. L’aveu l’avait percutée comme une lame en plein cœur, brisant ses certitudes. Elle ouvrit la bouche, puis la referma, incapable de formuler une réponse immédiate. Quelque chose en elle voulait tendre la main vers lui, s’accrocher à ce qu’il lui offrait. Mais une autre part refusait. Elle était incapable d’accepter ce qu’il disait, incapable d’échanger un amour tangible contre cette flamme qu’elle poursuivait obsessionnellement. Elle détourna enfin les yeux.

— Ce n’est pas la même chose, souffla-t-elle.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

Elle déglutit difficilement, comme si elle luttait contre ses propres pensées.

— Avec lui… Ce n’est pas pareil. C’est lui, en moi. C’est son amour, c’est ce qu’il était, ce qu’il m’a laissé…

Elle se prit la tête entre les mains, le souffle court. Methos la fixait, ébranlé. Elle était piégée dans quelque chose qui la dépassait, et lui… lui n’était qu’un spectateur impuissant.

— Et moi, Aélis ? demanda-t-il d’une voix plus basse, presque tremblante. Je suis là. Moi. Pas lui.

— Je sais, murmura-t-elle, la gorge nouée. Mais ce n’est pas suffisant.

Il ferma les yeux une fraction de seconde, encaissant le coup. Il aurait voulu se battre, lui prouver que ce qu’il lui offrait était réel. Mais il savait déjà que c’était inutile. Il fit un pas en arrière et secoua doucement la tête, un rire sans joie lui échappant.

— Alors fais ce que tu veux.

Sa voix était lasse, vidée. Il n’y avait plus de colère, seulement une fatigue insondable. Il tourna les talons et s’éloigna, sans un regard en arrière. Aélis le regarda partir, les poings serrés, mais ne fit pas un geste pour le retenir. Lorsqu’il referma la porte derrière lui, le bruit résonna comme une sentence.

Elle était seule. Comme elle l’avait choisi.




La nuit était froide et silencieuse. Methos marchait sans but précis, les mains enfoncées dans les poches, le regard perdu dans l’obscurité de la ville. Chaque muscle de son corps était tendu, comme s’il retenait une rage sourde, un mélange de frustration et de lassitude qui refusait de se dissiper.

Il n’avait pas cherché à comprendre où ses pas le menaient, mais il n’était pas surpris de voir la silhouette massive de Notre-Dame se dessiner devant lui. Il s’arrêta au bord de la Seine, contemplant le reflet tremblant des lumières de la ville sur l’eau noire. L’endroit était calme, en décalage total avec la tempête qui grondait en lui.

Il s’appuya contre le parapet, laissant échapper un rire amer. Qu’est-ce qu’il espérait, au juste ? Que quelques mots suffisent à l’arracher à son obsession ? Que son amour puisse rivaliser avec une illusion née d’un Quickening ? Aélis ne voulait pas être sauvée. Elle n’avait même pas conscience qu’elle se détruisait. Et lui… lui s’accrochait encore, comme un idiot.

Il porta une main à son visage, la passa lentement sur ses traits fatigués. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas ressenti un tel épuisement. Pas physique, non. Il en avait connu d’autres. C’était un poids plus profond, plus insidieux. Celui de l’impuissance. De l’inévitable.

« Elle a fait son choix », murmura-t-il pour lui-même. Il fallait qu’il l’accepte. Il n’était pas là pour sauver qui que ce soit. Ce n’était pas son rôle. Pas cette fois.

Il leva les yeux vers la cathédrale, ses tours imposantes se découpant sur le ciel nuageux. Darius aurait su quoi dire, quoi faire. Lui aurait trouvé les mots, ceux qui auraient pu la ramener avant qu’il ne soit trop tard. Mais Darius était mort, et il avait emporté avec lui cette sagesse que Methos ne possédait pas.

Il ferma les yeux un instant, inspira profondément. Il devait lâcher prise. Il le savait. C’était la seule solution.




Le bureau des Guetteurs était plongé dans le calme habituel. Methos, assis à son poste, feuilletait distraitement un dossier sur un immortel récemment repéré en Scandinavie. Il avait plongé dans la routine, trouvant une certaine paix dans l’ordre et la prévisibilité de son travail. Joe Dawson entra sans frapper, une liasse de documents à la main, le visage fermé. Il leva un sourcil sans bouger.

— Tu comptes toujours entrer comme si tu vivais ici, Dawson ?

— Et toi, tu comptes continuer à faire comme si de rien n’était encore longtemps ? répliqua ce dernier en claquant les dossiers sur le bureau.

L’immortel pencha la tête, intrigué, et tira l’un des rapports vers lui. Son regard parcourut les premières lignes avant qu’il ne referme brusquement le dossier.

— Je ne veux pas savoir.

— Trop tard. Maintenant, tu sais, rétorqua Joe, les bras croisés.

— Elle fait ce qu’elle veut. Ce n’est pas mon problème.

— Tu vas vraiment me sortir ça ? lança le Guetteur en s’asseyant face à lui. Tu crois que je ne te connais pas ?

Methos ne répondit pas, attrapant distraitement un stylo qu’il fit tourner entre ses doigts. Joe reprit, plus calme, mais ferme :

— Elle prend des têtes sans relâche, et pas seulement celles d’immortels qui le méritent. Tu sais comment ça finit, ce genre de dérive.

— Je sais beaucoup de choses, répondit Methos d’un ton neutre. Et parmi elles, je sais que je n’ai aucun contrôle là-dessus.

— Alors c’est ça ? Tu vas juste l’ignorer ?

Il lâcha un rire bref, sans amusement.

— Qu’est-ce que tu attends de moi, Dawson ? Que je coure après elle, que je la supplie d’arrêter ? C’est fini. Elle a choisi son chemin, et moi le mien.

— Tu peux te cacher derrière ton indifférence, mais si ça ne comptait vraiment pas, tu aurais déjà tourné la page.

Methos le regarda un instant, son expression indéchiffrable. Puis, lentement, il repoussa le dossier vers son ami.

— Si tu veux un conseil, ne perds pas ton temps.

Puis il reprit sa lecture comme si de rien n’était. Joe le fixa encore quelques secondes, puis secoua la tête et quitta la pièce sans un mot.




La nuit était tombée depuis longtemps sur Paris lorsque Methos sentit la vibration familière approcher. Il reconnut immédiatement la signature unique de Soleman et, avant même que ce dernier ne frappe, il alla lui ouvrir.

L’immortel se tenait devant lui, l’air fatigué par la route, mais son regard restait aussi perçant qu’à son habitude. Il avait ce calme inébranlable qui le rendait aussi insaisissable qu’implacable.

— Methos, salua-t-il simplement.

— Soleman, répondit l’autre en lui ouvrant la porte. De passage à Paris ?

Ce dernier hocha la tête en entrant.

— J’étais en voyage quand j’ai appris pour Darius. Je viens juste de rentrer.

Il marqua une pause, avant d’ajouter d’une voix plus basse :

— Il laisse un vide immense derrière lui.

Methos referma la porte et resta un instant immobile. Ses doigts se crispèrent brièvement sur la poignée avant qu’il ne se détourne, comme pour balayer l’émotion d’un revers de main.

— À qui le dis-tu…

Soleman l’observa en silence, détaillant ses traits marqués par une lassitude qu’il ne prenait même plus la peine de masquer.

— C’est pour ça que tu sembles si préoccupé ?

— Plus ou moins, répondit le vieil immortel en haussant légèrement les épaules.

Il n’ajouta rien, et Soleman, fidèle à lui-même, ne le pressa pas. Il se contenta d’attendre, offrant ce silence patient qui avait le don d’exaspérer Methos autant qu’il le poussait à parler. Finalement, il soupira et alla chercher une bouteille et deux verres. Il en tendit un à son ami et s’installa en face de lui. Il fit tourner l’alcool entre ses doigts, comme s’il cherchait encore à trier ses pensées avant de les formuler.

— J’ai commencé quelque chose avec une immortelle. Une histoire, disons… qui n’a pas très bien tourné.

Soleman leva un sourcil, attentif. Methos poursuivit sans vraiment chercher à embellir son récit.

— Elle a récupéré le Quickening de Darius… et depuis, elle est en chute libre. Elle cherche quelque chose dans ces combats, une sensation, une présence. Mais elle ne le trouve jamais vraiment. Alors elle continue, encore et encore. Elle se précipite dans des duels qu’elle pourrait perdre, juste pour s’accrocher à un fantôme. C’est pathétique…

Il s’interrompit, serra la mâchoire avant d’ajouter, plus bas :

— Et c’est surtout épuisant.

Soleman hocha lentement la tête. Il comprenait. Il comprenait trop bien. Mais il ne laissa rien transparaître.

— Et toi ? Qu’est-ce que tu fais ?

— Rien. Elle a fait son choix. Moi, j’ai fait le mien.

— Tu ne cherches même pas à l’arrêter ?

Le vieil immortel secoua la tête, sa voix se teintant d’une lassitude froide.

— Pourquoi je le ferais ? Elle sait ce qu’elle fait. Ce n’est pas une enfant. Et moi, je suis fatigué de jouer au sauveur. Elle ne veut pas être sauvée, elle veut se perdre. C’est son problème, pas le mien.

— Tu penses vraiment ce que tu dis ? demanda Soleman, l’observant avec attention.

Methos haussa les épaules, un sourire cynique aux lèvres.

— J’en sais rien. Mais ce dont je suis sûr, c’est que je ne vais pas courir après quelqu’un qui fonce droit dans le mur avec le sourire.

Soleman ne répondit pas tout de suite. Il prit son verre, but une gorgée, puis posa calmement une phrase qui résonna lourdement entre eux :

— Tu ne veux pas t’occuper d’elle ? Très bien. Alors quelqu’un doit le faire.

Methos releva lentement la tête, son regard s’assombrissant. Il resta silencieux un moment, puis un rictus amer tordit ses lèvres.

— Fais comme bon te semble, mais ne viens pas me demander mon avis.

— Je ne te demande pas ton avis, répliqua Soleman en se levant.

Il prit son manteau et se dirigea vers la porte, avant de s’arrêter une dernière fois.

— J’ai besoin de son adresse.

Le vieil immortel resta figé. Un instant, il eut l’air de considérer l’idée de ne pas la donner. De laisser Soleman se débrouiller, d’affirmer une fois pour toutes qu’il n’avait plus rien à voir avec cette histoire. Mais il savait que c’était faux. Dans un soupir agacé, il attrapa un morceau de papier sur la table et griffonna quelques mots avant de le tendre à son ami.

— Fais-en ce que tu veux.

Soleman le prit sans un mot et le glissa dans sa poche.

— Tu peux te convaincre que tu es détaché autant que tu veux, Methos. Mais si elle meurt, tu devras vivre avec ça.

Il n’attendit pas de réponse et quitta l’appartement. Methos resta un moment immobile, le regard perdu. Il porta son verre à ses lèvres, mais l’alcool avait un goût amer. Il savait que son ami avait raison. Mais il n’était pas prêt à l’admettre.




Aélis avançait à pas feutrés, fondue dans l’ombre des immeubles, son regard fixé sur l’homme qui marchait quelques dizaines de mètres devant elle. Elle l’avait repéré depuis plusieurs jours, étudiant ses habitudes, ses itinéraires, ses routines. Chaque soir, il prenait le même chemin, traversant un parc désert avant de rejoindre son appartement. Cet adversaire serait parfait. Il était plus fort qu’elle, il ne lui suffirait que de quelques passes d’armes pour sentir la présence de Darius, pour ressentir à nouveau cette énergie qui la traversait à chaque fois qu’elle s’approchait du danger, cette vague brûlante qui lui donnait l’illusion qu’il était encore là. C’était son unique certitude, ce qui la maintenait en vie.

Le parc se dessinait devant elle, silencieux sous les réverbères blafards. Elle accéléra légèrement le pas, prête à se révéler, à provoquer son adversaire en duel… Mais soudain elle sentit une vibration différente. Un frisson d’alarme lui parcourut l’échine avant même qu’elle ne se retourne. Elle avait déjà ressenti cette présence.

— Ce n’est pas lui que tu dois affronter.

Elle pivota lentement, ses yeux rencontrant la silhouette de l’immortel posté quelques mètres derrière elle. Il se tenait là, impassible, son regard dur ancré dans le sien. L’homme qu’elle traquait, inconscient de ce qui se jouait dans son dos, continua son chemin et disparut au détour d’un sentier.

— Soleman, murmura-t-elle, sa voix plus tendue qu’elle ne l’aurait voulu.

Il la fixait, immobile, les bras croisés, l’observant comme s’il l’évaluait. La lueur des réverbères projetait des ombres austères sur son visage, accentuant l’intensité de son regard.

Elle se souvenait de lui. De cette première rencontre brève, devant l’église de Darius, alors qu’il échangeait quelques mots avec le prêtre. Il avait à peine daigné lui adresser un regard, distant, fermé. Elle savait qu’il était proche de Darius, qu’il comptait pour lui.

— Tu n’as rien à faire ici, ajouta-t-elle, les doigts serrés sur la garde de son épée.

— Toi non plus, répliqua-t-il calmement.

Sa voix était posée, mais il y avait dans son ton une dureté sous-jacente, une autorité qu’elle ne put ignorer.

— Ce n’est pas toi que je cherche à combattre, déclara-t-elle en tentant de masquer son trouble.

— Et pourtant, c’est avec moi que tu vas te battre.

— Pourquoi ? Qu’est-ce que tu veux ?

Soleman ne répondit pas immédiatement. Il la regarda un instant, comme s’il attendait qu’elle comprenne d’elle-même.

— C’est Methos qui t’envoie ? lança-t-elle d’un ton sec.

Un léger rictus étira les lèvres de l’immortel, sans trace d’amusement.

— Non.

Son absence de réaction la déstabilisa. Elle s’attendait à une provocation, à un reproche, mais pas à ce calme inébranlable.

— Alors pourquoi ? Qu’est-ce que tu me veux ?

Soleman s’avança lentement, son regard accroché au sien.

— Je sais ce que tu fais, Aélis.

— Tu ne sais rien, rétorqua-t-elle, la mâchoire crispée.

Il haussa légèrement un sourcil, l’air de quelqu’un qui savait bien plus qu’il ne le disait.

— Alors montre-moi.

Avant même qu’elle ne puisse reculer, il dégaina son épée et fondit sur elle. Elle eut tout juste le temps de parer l’attaque. Le choc du métal résonna dans le silence du parc. Elle recula sous la force de l’impact, surprise par la brutalité du coup. Soleman ne lui laissa aucun répit. Il enchaîna les frappes avec une précision implacable, chaque mouvement calculé, maîtrisé.

Elle riposta avec toute la rage qui l’animait, mais ses attaques étaient trop précipitées, trop désordonnées. Il lisait ses mouvements comme un livre ouvert, esquivant avec une facilité humiliante.

— C’est tout ce que tu as ? lança-t-il, son ton presque neutre, comme s’il constatait un simple fait.

Elle grogna de frustration et accéléra, frappant plus fort, plus vite. Bientôt, elle serait en difficulté, et ce serait le moment. Ce moment où son corps comprendrait qu’il ne pouvait plus gagner, où l’instinct de survie céderait à quelque chose de plus grand. Ce moment où elle le sentirait.

Mais rien ne vint.

Elle tenta encore, attaqua avec plus de hargne. Soleman bloquait, contrait, déviait chaque coup sans effort apparent. Sa respiration s’accéléra. Pourquoi est-ce que ça ne venait pas ? Elle frappa encore, et encore, et encore. Il devait être là. Il devait…

D’un geste sec, son adversaire la désarma. L’épée d’Aélis s’échappa de ses mains et tomba sur le sol, glissant sur l’herbe humide. Elle recula d’un pas, le souffle court, le regard brûlant de frustration. Il ne lui laissa pas le temps de comprendre. Il la poussa violemment en arrière. Déséquilibrée, elle trébucha et s’effondra au sol.

Et toujours rien. Aucun frisson. Aucune chaleur. Aucun murmure invisible de Darius venant l’envelopper. Son cœur se serra brutalement, la panique remontant comme une vague. Ses doigts s’enfoncèrent dans la terre, cherchant un ancrage, quelque chose. Elle leva les yeux et vit Soleman, immobile, dominant la scène comme un juge silencieux.

Il leva son épée. Elle sentit la lame effleurer sa gorge. Le sol sembla s’effondrer sous elle. Ce n’était pas possible. Darius avait toujours été là. Toujours. Quand elle tombait, il la rattrapait. Quand elle plongeait trop loin, il tendait la main. Chaque combat lui avait prouvé qu’elle pouvait le sentir, l’effleurer, ne serait-ce qu’un instant. Il était devenu ce fil invisible qui la retenait lorsqu’elle était au bord du gouffre, ce souffle brûlant dans ses veines quand elle touchait à la limite.

Mais là… rien. Rien qu’un silence froid et cruel. Elle était seule.

Un vertige la prit, une nausée soudaine lui tordit l’estomac. Son souffle devint erratique, saccadé, comme si son propre corps refusait d’accepter la vérité. Ses doigts tremblants cherchèrent son épée sur le sol, en vain. Ses mains se refermèrent sur l’herbe humide, sur du vide, comme si elle pouvait y puiser un ancrage, quelque chose, n’importe quoi.

— Non, souffla-t-elle, sa voix brisée.

Le déni s’accrochait à elle comme un étau. Elle releva les yeux, cherchant une réponse dans ceux de Soleman. Mais il ne lui offrit que du silence. Pourquoi ne disait-il rien ? Pourquoi restait-il là, immobile, à la regarder s’effondrer ? Elle secoua la tête, haletante, la panique la gagnant seconde après seconde.

— Pourquoi ?!…

Tout son corps frissonnait, parcouru de spasmes qu’elle ne contrôlait plus. Ce n’était pas une simple défaite. C’était l’effondrement d’un pilier.

— J’ai besoin de lui ! cracha-t-elle, sa voix brisée par l’urgence.

Son souffle se bloqua dans sa gorge, transformé en un sanglot brutal qu’elle ne parvint pas à ravaler. Sa poitrine se soulevait à un rythme frénétique, comme si son corps tentait désespérément de combler un manque insoutenable. Un tremblement la parcourut alors qu’elle posait une main au sol, cherchant un appui. Ses bras étaient faibles, mais elle força son corps à obéir, se redressant lentement, vacillante.

— Dis-moi comment le retrouver ! implora-t-elle, sa voix brisée par l’urgence. Aide-moi… Je veux le retrouver…

Sa voix se brisa tandis qu’elle s’accrochait à lui, son front venant heurter son torse. Soleman ne bougea pas immédiatement. Son regard restait froid, détaché en apparence. Pourtant, quelque chose en lui se crispa. Il la regarda s’effondrer contre lui, une créature brisée, ravagée par une douleur qu’elle ne comprenait même pas. Lentement, il leva une main et la posa sur sa nuque. Un geste presque mécanique, sans tendresse apparente, mais qui avait le poids d’un ancrage.

— Ça suffit, Aélis.

Sa voix était calme, ferme, implacable. Elle ferma les yeux, incapable de répondre. Son corps frémissait encore sous l’impact du vide, sous cette absence qui lui broyait le cœur. Elle se laissa aller contre lui, submergée par la douleur.




Elle ne protesta pas lorsqu’il la ramena chez elle. Elle n’en avait plus la force. Son corps était vidé, épuisé par la crise qui venait de la terrasser. Ses jambes se mouvaient par automatisme, son esprit flottait encore dans un brouillard dense, oppressant. Elle ne savait même pas pourquoi elle le suivait. Peut-être parce qu’il n’y avait plus d’autre choix.

Soleman resta silencieux tout le long du trajet. Il la guidait sans brutalité, mais sans douceur non plus, son emprise ferme sur son bras empêchant toute velléité de fuite. Lorsqu’ils atteignirent enfin son appartement, il ouvrit la porte et la poussa doucement à l’intérieur.

 

Les murs de son logement étaient recouverts de notes griffonnées à la hâte, de coupures de journaux, de cartes annotées, de portraits d’immortels marqués de cercles rouges. Des itinéraires, des dates, des indices compulsivement collectés, alignés dans un chaos méthodique. C’était son sanctuaire, son œuvre. Son délire.

Soleman balaya du regard cet amas de folie étalé devant lui. Il n’avait pas besoin de tout lire pour comprendre. Son visage resta impassible, mais une ombre traversa son regard. Il s’avança lentement, analysant chaque morceau de papier, chaque fil rouge tendu entre deux points. Il prit une grande inspiration, puis tendit la main. Il arracha une première note. Le bruit sec du papier déchiré brisa le silence. Aélis sursauta, son corps parcouru d’une décharge brutale.

— Non ! hurla-t-elle en bondissant en avant.

Mais elle était encore faible, désorientée. Soleman l’écarta sans effort et continua. Une à une, les feuilles volèrent, déchirées, broyées sous ses doigts.

— Arrête ! cria-t-elle, la panique montant en elle comme une vague suffocante.

Elle se jeta sur lui, les poings s’abattant sur son torse. Il ne broncha pas. Il arracha une grande carte marquée de cercles noirs, la déchira en deux et la jeta au sol. Aélis hurla, hors d’elle.

— Tu n’as pas le droit !

Elle frappa encore, tentant de l’écarter, mais il finit par la saisir violemment par les épaules et la projeter contre le mur.

— Ça suffit ! gronda-t-il.

Elle se débattit, mais il la bloqua sans mal, maintenant son poignet au-dessus de sa tête d’une seule main.

— C’est ça, ta vie maintenant ?! cracha-t-il en désignant le mur en miettes.

Son souffle était court, ses yeux brûlants.

— Tu crois que c’est ce que Darius aurait voulu pour toi ?

Aélis trembla sous l’impact de ses mots, mais la colère dominait encore sa douleur.

— Tu ne comprends pas ! hurla-t-elle, sa voix brisée par la frustration. Tu ne sais pas ce que c’est !

Il serra la mâchoire, sa prise sur son poignet se raffermissant un instant, puis il relâcha brutalement son emprise.

— Je comprends mieux que tu ne le crois, répondit-il, sa voix glaciale.

Elle glissa lentement contre le mur, son corps secoué de tremblements. Le chaos autour d’elle était insoutenable. Ses repères détruits, son échappatoire réduite en poussière. Elle se recroquevilla sur elle-même, son front contre ses genoux, incapable de parler, incapable de respirer correctement.

 

Elle ne savait pas combien de temps s’écoula avant qu’elle ne sente une couverture lourde recouvrir ses épaules. Elle était trop vidée pour réagir.

— Dors, ordonna-t-il simplement. Et contre toute attente, elle le fit.

Le lendemain, lorsqu’elle ouvrit les yeux, le mur était nu. Soleman était toujours là, assis sur une chaise près de la fenêtre, les bras croisés.

— Je ne te laisserai pas replonger, déclara-t-il d’un ton sans appel.

Aélis ne répondit pas. Il resta.

Les jours qui suivirent furent une torture. L’immortel l’empêchait de sortir, surveillait chacun de ses mouvements. Lorsqu’elle refusait de manger, il la forçait à s’asseoir à table. Lorsqu’elle voulait partir, il bloquait la porte.

— Tu crois que c’est différent d’une drogue ? lui lança-t-il un soir alors qu’elle tentait encore de lui échapper. Ça ne l’est pas. Tu es en manque. Mais tu vas t’en sortir.

Elle voulait le haïr, voulait qu’il parte. Mais il était là, implacable, ancré dans sa décision. Et elle était trop fatiguée pour lutter.




Methos était installé dans un bar discret, un verre de bière posé devant lui, à moitié vide. Il n’avait pas cherché de compagnie, et pourtant, celle-ci finit par le trouver.

La vibration de Soleman le fit tressaillir avant même qu’il ne voie sa silhouette apparaître à l’entrée. Le vieil immortel ne bougea pas, mais son regard se fit plus dur alors que l’autre s’avançait vers lui avec la même assurance tranquille qui le caractérisait. Le visiteur ne perdit pas de temps en salutations. Il tira la chaise en face de Methos et s’installa, le fixant d’un air grave.

— Tu me cherches ou tu passais juste dans le coin ? demanda ce dernier d’un ton neutre.

Soleman ne répondit pas immédiatement. Il observa son ami, analysa sa posture décontractée, ce masque d’indifférence qu’il connaissait trop bien. Puis il se pencha légèrement en avant et lâcha d’une voix grave :

— Je viens te parler d’Aélis.

Methos expira lentement, saisit son verre et en but une gorgée avant de le reposer avec une lenteur étudiée.

— Épargne-moi ça, Soleman. Je sais déjà ce qu’elle fait.

— Non, tu ne sais pas, répliqua l’autre, son ton tranchant.

— Je n’ai pas besoin de détails.

— Moi, j’ai besoin que tu écoutes.

Il marqua une pause.

— J’ai passé les dernières semaines à la surveiller. À l’empêcher de se détruire, reprit-il d’un ton neutre.

Le vieil immortel fit lentement tourner sa bière dans son verre, le regard fixé sur le liquide ambré.

— Félicitations, répondit-il, son ton dénué d’émotion. Je suppose que tu veux une médaille ?

— Je veux que tu comprennes, répliqua Soleman, impassible.

Puis il reprit, plus posé :

— Ce qu’elle a traversé… ce n’était pas juste une obsession, ni une simple folie passagère. Ce que Darius lui a laissé, elle n’était pas prête à le recevoir.

Methos se tendit légèrement, mais ne leva toujours pas les yeux.

—Il lui a transmis quelque chose de plus profond que de simples connaissances.

— Vas-y, éclaire-moi, fini-t-il par lâcher d’un ton sec.

Son ami s’adossa à sa chaise, croisant les bras.

— Ce qu’elle ressent, ce manque constant, ça vient de lui. Et elle ne savait pas comment le gérer. Elle pensait que se battre lui permettrait de le retrouver. Mais ce qu’elle cherchait, ce n’était pas Darius. C’était juste une façon d’apaiser quelque chose qu’elle ne comprenait pas.

— Et maintenant ?

— Maintenant, elle va mieux.

Il marqua une pause.

— Parce que je l’ai forcée à affronter la vérité.

Son ton était dur, sans fierté ni remords. Methos savait exactement ce que cela signifiait.

— Et tu es venu m’en informer par simple politesse ? ironisa-t-il.

Son ami le fixa un instant avant de lâcher, plus bas :

— Elle a besoin de quelqu’un d’autre, maintenant.

Le vieil immortel sentit une tension naître en lui, mais il la réprima aussitôt.

— Oh, je vois, fit-il d’un ton sarcastique. C’est là que je suis censé entrer en scène, c’est ça ?

— Tu fais ce que tu veux. Mais si tu t’accroches encore à ta rancune, demande-toi ce que ça dit de toi.

Soleman se leva sans ajouter un mot de plus et quitta le bar.




Methos marchait d’un pas lent, mains enfoncées dans les poches. Il avançait presque machinalement, suivant un itinéraire qu’il n’avait pas prévu, mais qu’il connaissait trop bien. Il soupira en réalisant où le menaient ses pas. Chez elle.

Il s’arrêta un instant au bord d’un trottoir, observant distraitement la circulation clairsemée. Il n’avait pas décidé de venir. Pas consciemment. Son corps l’avait devancé, comme s’il savait ce qu’il devait faire alors que son esprit refusait encore de l’admettre.

Il releva les yeux vers le ciel sombre, tiraillé. Il n’aurait pas dû être là. Il s’était promis de ne pas replonger dans cette histoire. Il s’était juré qu’il en avait fini, que c’était mieux ainsi. Mais les mots de Soleman l’avaient suivi, s’infiltrant dans son esprit, creusant une brèche là où il pensait avoir érigé un mur infranchissable. "Elle n’était plus elle-même." "Elle a besoin de quelqu’un d’autre maintenant."

Il s’était moqué de cette phrase sur le moment, cynique, piqué dans sa fierté blessée. Il n’était pas ce genre d’homme, celui qui accourait au moindre signe de faiblesse. Et pourtant…

Il ferma brièvement les yeux, exaspéré par lui-même. Il aurait pu choisir de ne pas venir. Il aurait dû. Mais il était là, dans cette rue qui menait chez elle, et il continuait d’avancer. Il ne savait pas exactement pourquoi. Peut-être pour constater par lui-même qu’elle allait mieux, pour s’assurer qu’elle ne rechutait pas. Peut-être simplement pour entendre sa voix, voir son regard, comprendre s’il y avait encore quelque chose à sauver. Ou peut-être était-ce pire que tout cela. Peut-être qu’il voulait juste la revoir. Il secoua la tête, agacé par cette réalisation. Il n’avait pas envie d’analyser ses propres faiblesses. Pas ce soir. Après tout, il n’avait rien à lui dire. Rien… sauf ce que son cœur refusait encore de formuler.

Sans s’arrêter, il poursuivit sa route, jusqu’à ce que la façade familière apparaisse enfin devant lui. Il s’immobilisa, observant les fenêtres éclairées, devinant sa présence derrière les rideaux tirés. Elle était là. Une vibration infime dans l’air, cette reconnaissance instinctive entre immortels. Il sentit un mouvement derrière la fenêtre. Elle hésitait. Tout comme lui.

Il resta immobile un instant, puis leva enfin la main et composa le code d’entrée.

 

Aélis sentit la vibration bien avant de l’entendre toquer. C’était infime, un frisson familier parcourant son être, une reconnaissance instinctive gravée dans sa chair. Son cœur manqua un battement, et elle se figea, la main suspendue au-dessus du livre qu’elle lisait sans vraiment y prêter attention. Il était là.

Elle se redressa lentement, le regard fixé sur la porte comme si elle allait lui parler. Devait-elle ouvrir ? Devait-elle l’ignorer ?

Elle serra les poings, troublée. Elle n’avait pas cherché à le revoir. Pas encore. Pas après tout ce qu’elle lui avait fait subir. Soleman lui avait dit que Methos ne voulait plus entendre parler d’elle, qu’il était passé à autre chose. Alors pourquoi était-il là ?

Un espoir fugace naquit en elle, aussitôt écrasé par la peur. S’il venait lui dire qu’il ne voulait plus jamais la voir ? S’il venait pour s’assurer qu’elle allait bien, par simple politesse, et repartir sans se retourner ? Elle mordit sa lèvre, sa respiration légèrement tremblante. Elle avait tant de choses à lui dire. Mais voudrait-il seulement l’écouter ?

Les secondes s’égrenaient, étouffantes. Puis, enfin, trois coups légers contre le bois. Bon. Elle pouvait soit ouvrir cette porte avec un semblant de dignité, soit rester plantée là jusqu’à ce qu’il parte et vivre avec ça pour le restant de ses jours. Elle inspira profondément, rassembla son courage et avança. Ses doigts effleurèrent la poignée. Elle ouvrit.

Methos était là, debout sur le seuil, mains dans les poches, son regard ancré au sien. Elle ne sut quoi dire. Il semblait à la fois étranger et familier. Il était là, pourtant une distance invisible s’était installée entre eux. Elle remarqua le bref mouvement de ses yeux qui glissèrent derrière elle, analysant l’intérieur de son appartement.

Tout avait changé. Les murs autrefois couverts de notes, de photos et de plans étaient désormais nus. Il ne restait rien de son obsession, rien des délires frénétiques qui l’avaient animée. Son appartement était redevenu un simple espace de vie, épuré, rangé. Elle-même… elle était différente. Enfin, elle osa briser le silence.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Elle regrettait presque la sécheresse involontaire de sa voix. Methos haussa à peine un sourcil, mais il ne s’en formalisa pas. Il sembla hésiter, cherchant ses mots, avant de répondre d’un ton calme.

— Voir comment tu vas.

Elle l’observa, méfiante. Il tenait à elle, elle le sentait, mais quelque chose en lui restait en retrait, sur la défensive. Il était là… mais il se protégeait encore. Et elle ne savait pas si elle avait encore le droit de briser cette barrière.

 

Aélis referma la porte derrière Methos, le cœur battant. Il avançait lentement dans la pièce, observant l’espace vidé de toute trace de son obsession passée. L’endroit n’avait jamais été aussi dépouillé, aussi silencieux. Pourtant, la tension était toujours là, suspendue entre eux, invisible mais oppressante. Elle sentait sa présence comme une brûlure sous sa peau, un poids qui l’écrasait autant qu’il l’attirait.

Il était venu. Il lui avait donné une chance de parler. Elle ne devait pas la laisser filer.

Elle prit une inspiration tremblante, cherchant ses mots, mais rien ne lui semblait suffisant. Finalement, elle lâcha d’une voix basse :

— Je suis désolée.

Methos ne réagit pas immédiatement. Il tourna légèrement la tête vers elle, attendant la suite, sans offrir le moindre signe d’apaisement. Elle baissa les yeux, les poings serrés contre ses cuisses.

— Je me suis perdue, murmura-t-elle.

Sa propre voix lui parut lointaine, brisée.

— La mort de Darius… ça m’a détruite d’une façon que je ne comprends toujours pas. Ce que j’ai ressenti ce jour-là… ce que j’ai reçu de lui…

Elle releva lentement la tête, cherchant son regard, mais Methos restait impassible.

— Ce n’était pas juste une force, c’était une part de lui. Je l’ai senti en moi comme une brûlure, comme une certitude… et j’ai voulu m’accrocher à ça.

Elle ferma brièvement les yeux, cherchant à contenir le tremblement dans sa voix.

— Chaque fois que je combattais, je pouvais le retrouver, ne serait-ce qu’un instant. C’était comme une drogue. Chaque duel était un moyen de le ressentir encore une fois. Je me suis enfoncée là-dedans sans même m’en rendre compte. Je croyais que c’était un choix, que j’avais le contrôle. Mais ce n’était qu’une illusion. Et le pire, c’est que…

Elle hésita, sa gorge se serrant douloureusement.

— … c’est que j’étais tellement aveuglée par cette obsession que je n’ai rien vu d’autre.

Elle leva enfin les yeux vers lui.

— Je ne t’ai pas vu, toi.

Elle se mordit la lèvre, puis, dans un souffle, elle lâcha ce qu’elle n’avait jamais osé formuler à voix haute :

— Et dans tout ça… je t’ai blessé.

Methos releva enfin la tête. Elle enchaina.

— J’étais tellement obsédée par Darius que je n’ai rien vu. Je n’ai pas vu ce que toi, tu vivais. Je ne me suis pas rendue compte à quel point je t’avais repoussé, à quel point j’avais piétiné ce qu’il y avait entre nous.

Elle marqua une pause, se sentant vaciller sous le poids de ses propres aveux.

— Mais je le vois maintenant. Et je suis désolée.

Elle chercha une réaction dans son regard, mais Methos restait figé, comme s’il s’efforçait de ne pas laisser paraître ce qu’il ressentait.

— Ce jour-là… quand tu m’as dit que tu m’aimais…

Sa voix se brisa sur les derniers mots. Elle lutta contre l’émotion qui menaçait de l’engloutir.

— Je t’ai entendu, Methos. Je t’ai entendu, mais je n’ai pas su quoi faire. J’étais incapable d’accepter ce que tu disais, incapable d’échanger une obsession contre quelque chose de réel. Parce que c’était plus facile de poursuivre un fantôme que d’affronter ce que je ressentais pour toi.

Un silence tomba entre eux, épais, presque étouffant. Elle inspira profondément et fit un pas en avant.

— Je sais que je t’ai blessé. Et je ne te demande pas d’oublier, ni de me pardonner tout de suite. Mais je veux essayer…

Elle marqua une pause, son souffle tremblant.

— … si tu veux encore de moi.

Methos resta silencieux un instant. Puis il releva enfin les yeux vers elle. C’était un regard long, intense, où il pesait tout ce qu’elle venait de dire, tout ce qu’elle lui demandait. Il y avait encore de la douleur en lui, encore des blessures qui ne disparaîtraient pas en une nuit. Mais il voyait aussi la vérité dans ses yeux.

Il fit un pas vers elle. Puis un autre. Lentement, il tendit une main et l’attira contre lui. Aélis se laissa faire, s’abandonnant contre son torse, serrant instinctivement ses doigts autour de son manteau. Methos referma ses bras autour d’elle, la tenant avec une force qui trahissait tout ce qu’il avait voulu contenir.

Elle enfouit son visage contre son épaule, laissant enfin son corps se relâcher. Un long moment passa, bercé par le silence et la chaleur de leur étreinte. Puis, d’une voix basse, Methos murmura :

— J’aurais dû essayer plus. J’aurais dû être là autrement, ne pas juste attendre que tu sortes de cette spirale toute seule.

La jeune immortelle ferma les yeux, le souffle tremblant.

— Je t’ai repoussée aussi, ajouta-t-il après un instant. J’ai laissé ma rancune l’emporter quand j’aurais dû comprendre ce que tu traversais.

— Je suis désolé, conclut-il, sa voix rauque, usée.

Elle hocha la tête contre lui, incapable de parler. Un silence s’étira, profond, fragile, comme s’ils redoutaient de le briser. Puis, tout bas, Aélis murmura contre son épaule :

— Je t’aime, Methos.

Il sentit son corps se tendre légèrement contre le sien, surpris. Il baissa lentement les yeux vers elle, cherchant à s’assurer qu’il avait bien entendu. Elle releva enfin la tête, son regard plongé dans le sien, vulnérable mais certain.

— Je t’aime, répéta-t-elle, plus fermement cette fois, comme si le dire à voix haute donnait enfin un sens à tout ce qu’elle avait traversé.

Methos inspira profondément, sa main glissant lentement contre sa joue. Il effleura sa peau du bout des doigts, comme s’il redécouvrait une vérité qu’il avait cessé d’espérer.

— Moi aussi, souffla-t-il enfin.

Aélis ferma les yeux, laissant son front se poser doucement contre le sien. Ils restèrent ainsi, enlacés, leurs respirations s’accordant dans l’intimité du moment, comme deux âmes épuisées qui, après s’être perdues, se retrouvaient enfin.

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