Le Prix à payer - Highlander Fanfiction
L’appartement de Methos baignait dans une lumière tamisée, l’odeur du thé se mêlant à celle des vieux livres. Aélis était installée sur le canapé, les jambes repliées sous elle, fixant distraitement la surface ambrée de sa tasse. Ses doigts serrés autour de la porcelaine trahissaient une tension qu’elle ne relâchait jamais vraiment, et Methos l’observait, un peu trop longtemps, un peu trop en silence.
Elle allait mieux. Un peu. Ses nuits restaient agitées, ses pensées parfois trop lourdes, mais elle recommençait à respirer, à retrouver un semblant d’équilibre. Pourtant, il voyait les cernes sous ses yeux, la façon dont elle se raidissait par moments, comme si son propre corps lui rappelait qu’il portait encore le deuil. Il aurait pu lui dire de se reposer, de lâcher prise, mais il savait que ce genre de conseils était aussi inutile qu’un coup d’épée dans l’eau.
Assis dans son fauteuil habituel, il porta sa bière à ses lèvres, gardant un œil discret sur elle. Il s’était efforcé de ne pas la brusquer, de lui laisser l’espace dont elle avait besoin, mais il voyait bien que quelque chose la travaillait. Ce fut elle qui rompit le silence, posant enfin la question qu’il savait inévitable.
— Ton tatouage, demanda-t-elle en relevant la tête vers lui. Qu’est-ce qu’il signifie ?
Il ne répondit pas tout de suite, prenant une gorgée de sa bière avant de la poser sur la table basse. Il s’y attendait. Depuis le jour où elle lui avait annoncé avoir vu ce même symbole sur le bras d’un des hommes qui avaient tué Darius, il savait que ce moment viendrait. Il aurait pu éluder, détourner la conversation d’un trait d’ironie bien placé, mais à quoi bon ? Elle avait déjà perdu trop d’illusions. Après tout ce qu’ils avaient traversé, elle méritait la vérité.
— C’est un signe d’appartenance, répondit-il enfin. Celui d’une organisation secrète, composée de mortels.
— Ils s’appellent les Guetteurs, poursuivit-il. Leur mission est simple : observer les immortels. Ils nous suivent, consignent nos histoires, mais ne doivent jamais intervenir.
Un silence s’installa, qu’elle finit par briser d’une voix prudente :
— Tu en fais partie ?
— Je les ai infiltrés, il y a longtemps.
Il n’ajouta rien de plus, et Aélis sentit qu’il n’en dirait pas davantage. Elle laissa passer quelques secondes, puis posa doucement sa tasse sur la table.
— Pourquoi ont-t-ils tué Darius ?
Le regard de Methos se durcit légèrement.
— Je ne sais pas encore, répondit-il honnêtement. Ce que je sais, c’est que ce n’est pas dans leurs principes. Les Guetteurs sont des historiens, pas des assassins.
— Sauf que certains semblent avoir dévié, fit-elle remarquer.
— Oui. Et c’est là que ça devient dangereux.
Il s’appuya sur ses genoux, la fixant avec sérieux.
— Écoute, Aélis. Laisse-moi gérer ça. Je vais découvrir ce qui se passe, mais je veux que tu restes en dehors de tout ça.
Elle ouvrit la bouche pour protester, mais il leva la main pour l’arrêter.
— Je suis sérieux. Tu as déjà assez souffert, et si ces types sont prêts à tuer un immortel comme Darius, ils ne s’arrêteront pas là.
Elle détourna le regard, serrant les mâchoires.
— Et si je ne veux pas rester en dehors de ça ?
— Alors fais-le pour lui, répondit Methos d’une voix plus douce. Il n’aurait jamais voulu que tu prennes des risques insensés.
Les mots étaient sortis trop naturellement, trop vite. Pour la première fois depuis le début de cette conversation, Aélis perçut quelque chose de différent. Son ton n’avait plus cette nonchalance coutumière, ce pragmatisme un peu cynique qu’il arborait si bien. Il y avait autre chose. Un poids plus personnel.
Elle leva lentement les yeux vers lui. Il la regardait toujours, mais cette fois, ce n’était pas seulement avec la prudence du vieil immortel qui protège une amie en détresse. Il y avait dans ses traits une nuance qu’elle ne savait pas encore nommer. Quelque chose d’indicible, d’inattendu. Une inquiétude plus intime. Elle aurait pu insister, exiger des explications. Mais à quoi bon ? Tout était déjà là, dans ce silence, dans cette façon qu’il avait de ne pas détourner le regard.
Elle soupira, passant une main dans ses cheveux, puis acquiesça à contrecœur.
— D’accord…
Methos la scruta encore un instant, s’assurant qu’elle ne mentait pas, puis hocha la tête, son visage retrouvant son masque habituel. Mais il savait que ce n’était pas seulement pour Darius qu’il voulait la tenir à l’écart.
Après le temps du recueillement vint celui de l’action. La mort de Darius ne pouvait rester impunie, et plus encore, les circonstances de sa disparition exigeaient des réponses. Duncan ne cachait pas son désir de vengeance. Methos, quant à lui, était moins emporté, mais empli d’une détermination froide : il fallait éviter que d’autres immortels ne subissent le même sort.
Les mortels représentaient une menace différente et insidieuse. Contrairement aux immortels, on ne pouvait percevoir leur présence à distance. Ils frappaient sans prévenir, et leurs actions échappaient aux règles immuables du Jeu. Methos et Duncan savaient qu’ils devraient avancer prudemment pour éviter de semer une paranoïa déjà rampante parmi leurs pairs.
Dans cette optique, Methos, qui était resté à l’écart des affaires des Guetteurs depuis l’événement, prit contact avec Joe.
La musique jouait doucement dans le bar, mais Joe Dawson n’y prêtait pas attention. Assis derrière le comptoir, il faisait tourner machinalement son verre entre ses doigts, le regard perdu dans le vide. Le Bourbon s’était vidé bien plus vite qu’il ne l’aurait voulu, et il hésitait à se resservir. Ce n’était pas l’alcool qui l’aiderait à mettre de l’ordre dans le chaos qui l’entourait.
Darius était mort. Et maintenant, François.
Joe savait que le métier de Guetteur n’était pas sans risque. Il avait vu des collègues disparaître au fil des années, certains assassinés par des immortels qui n’acceptaient pas leur présence, d’autres victimes de circonstances malheureuses. Mais François était un homme méticuleux, un observateur hors pair, quelqu’un qui savait quand il devait se faire discret.
Et pourtant, il était mort.
Le dossier d’enquête officiel évoquait une "agression isolée". Une formulation vague qui aurait pu suffire à n’importe qui d’autre, mais pas à Joe. Tout sonnait faux. Les délais, les incohérences dans le rapport. Comme si quelqu’un, quelque part, voulait qu’on tourne la page sans trop poser de questions.
Un mouvement attira son attention. Il releva la tête juste à temps pour voir Methos entrer dans le bar, suivi de près par Duncan. L’ancien semblait détendu, mais Joe le connaissait trop bien pour se laisser berner par cette façade. Il y avait une gravité inhabituelle dans son regard, quelque chose de trop contrôlé pour être naturel. Duncan, lui, n’essayait même pas de cacher sa tension. Il était un bloc de colère contenue.
Methos s’installa au comptoir, son regard accrochant aussitôt celui de Joe.
— Il faut qu’on parle.
Joe soupira et posa son verre.
— Je me doute bien.
Il écouta en silence le récit que lui fit l’immortel, et au fil des mots, son expression passa de l’incrédulité à la colère.
— Des Guetteurs qui décapitent un immortel dans une église ? répéta-t-il en se passant une main sur le visage. Tu es sûr de ce que tu avances ?
— Aussi sûr qu’on peut l’être. Aélis était là. Elle les a vus.
— Elle était sous le choc. Tu crois vraiment qu’elle a pu bien observer ?
— Elle est formelle, insista Methos en croisant les bras. Elle a vu un tatouage sur le poignet de l’un des hommes. Le même tatouage que celui que nous portons. Celui des Guetteurs.
Joe secoua la tête, l’air désemparé.
— Ce n’est pas possible. Aucun Guetteur ne ferait une chose pareille. Nous observons, c’est tout. C’est notre code.
— Je le sais aussi bien que toi, répondit Methos avec gravité. Mais nous n’avons pas d’autre piste.
Duncan, jusque-là silencieux, intervint, la voix chargée de tension.
— Alors, on fait quoi ? On attend ? Pendant ce temps, ces types se baladent librement après avoir assassiné Darius !
Joe fixa le Highlander, son expression un mélange de défi et de désespoir.
— Tu crois vraiment que je vais rester là, à ne rien faire ?! Si ce sont des Guetteurs, ils ne représentent pas juste un problème pour vous, mais pour toute notre organisation.
Duncan se pencha en avant, sa voix grondante.
— Et si ce ne sont pas des Guetteurs ?
Joe souffla, l’air las, et baissa les yeux vers son verre. Puis, comme se souvenant soudain d’un détail important, il releva la tête.
— Il y a quelque chose que je n’ai pas mentionné, dit-il d’une voix plus grave. Le Guetteur assigné à Darius… François. Il a été retrouvé mort chez lui.
Le silence tomba lourdement dans la pièce. Methos fronça les sourcils.
— Quand ?
— Le lendemain du meurtre de Darius, répondit Joe. On a tenté de le joindre pour avoir des informations sur ce qui s’était passé. Il ne répondait pas. Alors ses collègues se sont rendus chez lui... et ils l’ont trouvé.
Il marqua une pause, son regard se durcissant.
— L’appartement avait l’air d’avoir été cambriolé. La porte était entrouverte, l’intérieur saccagé. Lui, il était au milieu du salon, tué d’un coup de couteau. On a tout de suite pensé à un cambriolage qui aurait mal tourné… jusqu’à ce qu’on réalise le lien entre les deux affaires.
Duncan serra les poings, son visage exprimant une colère contenue.
— Ils ont éliminé un témoin, grogna-t-il. Ces types ne laissent rien au hasard.
Methos, adossé au bar, sembla réfléchir un instant avant de répondre, d’un ton plus calme mais chargé de gravité.
— Ce n’est pas seulement un témoin qu’ils ont éliminé. Ils ont envoyé un message.
Le Guetteur le fixa, inquiet.
— Quel genre de message ?
— Quiconque s’approche trop de cette affaire finit comme eux. Immortel ou mortel.
Joe se frotta la barbe, visiblement troublé, et hocha la tête avec lenteur.
— Très bien. Je vais tâcher de me renseigner, voir s’il tenait un journal ou avait remarqué quelque chose d’inhabituel avant sa mort. Mais si c’étaient vraiment des Guetteurs, ils opèrent en dehors de tout cadre officiel.
— Merci, Joe, répondit Methos. Ces hommes sont dangereux, et pas seulement pour nous.
— S’il s’agit vraiment de Guetteurs… ça pourrait signer la fin de notre organisation.
— Alors il vaut mieux espérer que tu trouves des preuves du contraire.
Joe Dawson n’aimait pas être dans l’ombre, pas quand il savait que quelque chose clochait. L’organisation des Guetteurs fonctionnait sur une règle fondamentale : observer et ne jamais intervenir. Mais les derniers événements avaient réduit cette règle en miettes. Darius avait été assassiné, et François, son observateur, retrouvé mort le lendemain. Trop de coïncidences pour être ignorées.
Il avait commencé par passer quelques appels, cherchant à savoir qui avait eu le dernier contact avec François avant sa mort. Les réponses avaient été vagues, évasives, mais un nom revenait sans cesse : James Horton, un Guetteur discret mais respecté, qui semblait avoir pris un rôle plus actif ces derniers temps. Selon certaines sources, François l’avait convoqué chez lui peu avant sa mort.
Joe s’arrangea pour croiser Horton dans un petit café. L’homme était déjà assis à une table près de la fenêtre, un café fumant devant lui. Son visage, d’ordinaire impassible, se ferma légèrement en voyant Dawson s’approcher.
— Horton, dit Joe en s’asseyant sans y être invité. Ça fait un bail.
— Dawson, répondit-il avec un mince sourire. Tu travailles encore au bar ou tu t’intéresses aux affaires internes ?
Joe ignora la pique et planta son regard dans celui de son interlocuteur.
— François. Tu étais l’un des derniers à lui parler avant sa mort.
Horton haussa un sourcil, prenant une gorgée de son café.
— Et alors ?
— Et alors, il a convoqué plusieurs personnes chez lui ce soir-là. Mais personne ne veut me dire pourquoi. Je veux comprendre ce qui s’est passé.
Un silence s’installa, pesant. James posa sa tasse avec précaution, observant Joe d’un regard calculateur.
— Pourquoi tu t’intéresses à ça, Dawson ? demanda-t-il finalement.
— François était un collègue, répliqua Joe. Et il a été tué. Je veux savoir pourquoi.
Horton eut un léger sourire, mais ses yeux restèrent froids.
— Tout ce que je sais, c’est qu’il se posait beaucoup de questions, répondit-il en haussant les épaules. Il avait des doutes sur certaines choses, mais honnêtement, Joe… ce n’est pas la première fois qu’un Guetteur voit des complots partout.
— Il t’a convoqué chez lui, toi et d’autres. Pourquoi ?
Horton prit une gorgée de son café, feignant l’indifférence.
— Il voulait parler. De choses qui le tracassaient.
— Comme ?
— Comme le fait que certains d’entre nous se réunissaient en petit comité, à l’écart des autres. Qu’ils échangeaient des idées… différentes.
Joe fronça les sourcils.
— Des idées ?
— Sur notre rôle, notre place dans tout ça. Des discussions, rien de plus.
— Et c’est pour ça qu’il est mort ?
Horton reposa lentement sa tasse, son sourire s’effaçant légèrement.
— Je ne sais pas, Dawson. Et toi non plus.
Joe sentit la frustration monter en lui. Horton restait insaisissable, évitant soigneusement de donner la moindre information compromettante.
— François savait quelque chose, insista-t-il. Et il vous a convoqués parce qu’il voulait des réponses. Mais le lendemain, il était mort. Une simple coïncidence ?
James fit mine de réfléchir, puis haussa les épaules.
— Peut-être qu’il creusait trop profond.
— Et toi ? Tu creusais avec lui ou tu l’en empêchais ?
Horton lui adressa un sourire énigmatique et se leva.
— Fais attention, Joe. Parfois, poser trop de questions, ça peut être dangereux.
Il laissa quelques pièces sur la table et quitta le café sans un mot de plus. Dawson le suivit du regard, son poing se serrant légèrement. Horton n’avait rien avoué. Mais il venait tout de même de lui donner une réponse.
Aélis, peu à peu, tentait de reprendre le fil de sa vie, même si les jours semblaient encore flotter dans une étrange lenteur. Methos, observateur silencieux, remarquait ses progrès. Son regard se faisait moins hanté, ses gestes plus assurés, même si elle restait à fleur de peau. Rassuré mais prudent, il lui laissait l’espace dont elle avait besoin, respectant son besoin de solitude tout en veillant discrètement sur elle. Elle vivait toujours sous son toit, mais s’aventurait à nouveau dehors, renouant avec un semblant de routine, mais jamais sans son épée. Elle la portait désormais comme une extension d’elle-même, discrètement glissée sous un manteau long, une assurance face à cette menace invisible qui pesait sur elle.
Ses pas la menaient régulièrement aux abords de l’église où Darius avait trouvé la mort. Elle n’entrait jamais. Elle restait là, immobile, le regard fixé sur l’édifice imposant, comme si elle attendait un signe, quelque chose qui ne viendrait jamais. Mais chaque fois, elle finissait par tourner les talons, submergée par un poids qu’elle n’était pas prête à affronter.
Ce jour-là, alors qu’elle s’éloignait, son regard accrocha un visage familier. Un homme sortait tranquillement d’une librairie voisine. Un frisson glacé la parcourut. Elle le reconnut instantanément. Il était là, dans l’église, le jour du meurtre.
Son souffle se bloqua. Le monde autour d’elle sembla se rétrécir jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que cet homme, cet assassin qui se promenait librement, comme si rien ne s’était passé. Comme si Darius n’avait jamais existé. Puis, brutalement, la douleur se mua en autre chose. Une chaleur soudaine, brûlante. Son sang bouillonna avant même qu’elle n’ait pris une décision consciente. Elle aurait dû prévenir Methos. Ou Duncan. Mais il n’y avait plus de place pour la raison. Juste cette colère. Une rage totale, incontrôlable, dévorante. Elle ne réfléchit pas. Elle le suivit.
L’homme marcha calmement jusqu’au métro. Elle resta en retrait, essayant d’adopter une allure détachée, mais son cœur battait trop vite, ses muscles trop tendus. Il descendit à Sèvres-Babylone et ressortit dans une rue plus calme. Après une dizaine de minutes, il s’engouffra dans un immeuble haussmannien discret, un de ces bâtiments anciens dont les façades élégantes masquaient bien des secrets.
L’immortelle resta en retrait, le souffle court, observant l’entrée. Une heure s’écoula, une éternité. Puis, enfin, il reparut. Accompagné cette fois d’un autre homme. Elle sentit une onde glacée parcourir son dos. Le deuxième individu. Lui aussi était là ce jour-là.
Son corps réagit avant son esprit. Elle traversa la rue d’un pas assuré, s’arrêtant devant eux sans leur laisser le temps de réagir. Son regard vrilla celui du premier homme.
— Tu me remets ? lança-t-elle d’un ton glacial.
Elle n’attendit pas de réponse. Un genou percuta violemment l’entrejambe de sa cible. Un gémissement étranglé. Il s’effondra. Elle enchaîna sans réfléchir, son poing frappant avec une violence qui ne lui ressemblait pas. L’homme s’écrasa au sol dans un bruit sourd. Le deuxième ne chercha pas à riposter. Il tourna les talons et se précipita vers la porte de l’immeuble.
Elle ne réfléchit pas. Elle voulait le suivre. Elle devait le suivre. Mais, alors que ses jambes se lançaient à sa poursuite, un doute fulgurant la frappa. Qu’est-ce qu’elle était en train de faire ? Une voix dans sa tête – celle de Darius, peut-être – murmura qu’elle ne réfléchissait pas. Elle secoua la tête, chassant cette pensée. Ce n’était pas le moment d’hésiter. Elle s’engouffra à l’intérieur juste avant que la porte ne se referme.
Elle savait qu’elle venait de commettre une erreur.
Une fois à l’intérieur, un silence pesant tomba sur elle. Elle s’arrêta, luttant pour reprendre son souffle, mais son cœur battait encore trop vite. Elle avança prudemment dans le couloir faiblement éclairé, ses sens en alerte, son souffle court.
Puis un mouvement derrière elle.
Une main brutale s’abattit sur sa gorge, la tirant en arrière. Par réflexe, elle tenta de se dégager, envoyant son coude dans les côtes de son agresseur. L’homme lâcha un grognement, vacilla légèrement. Elle se retourna, lui décochant un coup qui l’envoya heurter le mur.
Une porte s’ouvrit brusquement. Trois autres hommes surgirent dans le couloir. Aélis recula, le regard alerte, mais une poigne d’acier agrippa son bras et la fit pivoter violemment. Elle lutta, griffa, mordit. Un coup violent lui coupa le souffle et la força à plier les genoux. Ils étaient mieux préparés, organisés, et trop nombreux.
Elle s’était jetée dans un piège.
Elle sentit ses épaules heurter durement la chaise sur laquelle on l’avait forcée à s’asseoir. Ses poignets étaient attachés dans son dos, mais elle garda la tête haute. Autour d’elle, ses ravisseurs s’agitaient, parlant à voix basse, échangeant des regards méfiants.
Sur la table devant eux, son épée brillait sous l’éclairage blafard.
— Ce n’est pas une arme qu’on trouve chez n’importe qui, murmura l’un des hommes.
Un autre hocha la tête, croisant les bras.
— Ce n’est pas une arme qu’on trouve chez un mortel.
Le silence s’abattit sur la pièce. Aélis sentit une sueur glacée lui couler le long de la nuque. Ceux qu’elle avait suivis, ceux qui avaient tué Darius, savaient exactement qui elle était. Ils l’avaient reconnue dès qu’elle était apparue devant eux. Mais les autres, ceux qui n’étaient pas impliqués dans le meurtre, semblaient perdus. Ils l’observaient avec prudence, cherchant à comprendre qui elle était et pourquoi elle se trouvait là.
Le grincement de la porte interrompit leurs réflexions.
— Alors ? demanda une voix calme, presque nonchalante. Vous avez trouvé quelque chose d’intéressant ?
Elle releva brusquement la tête. L’homme qui venait d’entrer affichait une décontraction étudiée, comme s’il n’avait pas sa place dans cette pièce austère. Pourtant, tout dans sa posture trahissait une maîtrise absolue de la situation. Son regard bleu glacial balaya les lieux avant de se poser sur elle, s’attardant une seconde de trop.
Elle sentit un frisson glacé la parcourir alors que son cerveau comprenait enfin ce qu’elle voyait. Elle connaissait ce visage. Ces yeux indifférents, ce calme froid, cette posture calculée. Elle l’avait vu, dans l’église. Il était là, impassible, pendant que tout basculait. Il avait appuyé sur la gâchette. Il avait donné l’ordre de tuer Darius. Son corps entier se tendit, chaque muscle contracté comme si elle était prête à bondir, prête à attaquer, prête à détruire. Ses poignets ligotés lui faisaient mal, elle sentait la brûlure des liens entailler sa peau, mais ce n’était rien face à la douleur plus profonde qui vrillait sa poitrine.
Il n’avait pas seulement tué Darius. Il lui avait pris quelque chose d’essentiel.
Sa mâchoire se serra à s’en faire mal, ses doigts crispés derrière elle tentaient d’ignorer la brûlure de l’impuissance. Elle avait toujours été prompte à la colère, toujours réactive, toujours sur le fil du rasoir, mais cette fois, c’était autre chose. Jamais elle n’avait voulu tuer quelqu’un avec autant de certitude. Ce n’était pas la force de Darius qui parlait en elle. Ce n’était pas lui. Cette rage, cette fureur qui grondait dans sa poitrine, c’était la sienne. Mais elle n’aurait jamais dû être aussi puissante. Aussi oppressante. Elle pouvait presque la sentir se nourrir d’autre chose, quelque chose d’insidieux et d’implacable, un vide qu’elle ne comprenait pas encore mais qui ne demandait qu’à être comblé.
L’homme referma la porte derrière lui et s’approcha de la table, observant l’épée avec un intérêt presque distrait.
— Elle était armée, annonça l’un des Guetteurs.
— Ça, je vois bien, répondit-il en haussant un sourcil.
Il effleura la lame du bout des doigts, appréciant son équilibre, puis son regard revint sur l’immortelle. Il la détailla un instant, une lueur d’intérêt glacé dans les yeux.
— Vous lui avez demandé son nom ?
— Elle n’a pas répondu, fit l’un des hommes d’un ton gêné.
— Sérieusement ?
Il se tourna vers un autre Guetteur, un air faussement exaspéré sur le visage.
— Vous en êtes réduits à l’attacher sur une chaise, mais vous n’êtes pas capables de lui demander comment elle s’appelle ?
Il secoua la tête et s’accroupit face à elle.
— Alors, comment tu t’appelles ?
Aélis resta silencieuse. Il attendit un instant, scrutant son visage, puis haussa les épaules.
— Pas bavarde. Dommage.
Il se redressa, lissa les manches de sa chemise et jeta un regard à son équipe.
— Elle a un dossier chez nous ?
— On est en train de vérifier, répondit un des hommes en consultant une tablette.
L’homme hocha lentement la tête, avant de reporter son attention sur elle.
— Peu importe. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas vraiment ton nom. Ce qui m’intéresse, c’est ce que tu faisais dans cette église, le jour où Darius est mort.
Elle sentit son estomac se contracter. Il laissa planer un silence, observant ses réactions avec soin.
— Tu n’étais pas là par hasard, continua-t-il d’une voix posée. Tu étais proche de lui. Peut-être trop proche.
Ses doigts glissèrent sur l’épée, comme s’il en appréciait la finesse du métal.
— Et pourtant, quelques minutes après que tu sois partie… il était mort.
Les Guetteurs dans la pièce échangèrent des regards troublés.
— Ce n’est qu’une coïncidence, intervint l’un d’eux, mal à l’aise.
L’homme eut un sourire.
— Bien sûr. Ce ne sont que des faits.
Aélis serra les dents. Il n’avait pas besoin de l’accuser directement, il lui suffisait d’orienter subtilement les doutes dans la direction qu’il voulait. Il relâcha enfin la garde de l’épée et fit un pas en arrière.
— Laissez-la moi.
L’un des Guetteurs sursauta.
— Quoi ?
— Je vais m’occuper d’elle personnellement.
Un silence hésitant s’installa.
— C’est une immortelle, souffla l’un des hommes.
— Et alors ? répondit-il d’un ton léger. Vous avez peur d’elle ?
Il laissa passer une seconde, savourant le malaise ambiant, puis ajouta :
— Parce que moi, non.
L’assurance glaciale dans sa voix fit son effet. Les Guetteurs échangèrent un regard, puis s’exécutèrent à contrecœur. L’un d’eux attrapa Aélis par le bras et la força à se lever, ses poignets toujours liés. Elle ne résista pas, mais son regard brûlait de défi.
— Après toi.
Elle hésita une fraction de seconde, avant de se lever lentement. Elle n’avait pas le choix. Alors qu’elle franchissait le seuil, une voix s’éleva derrière eux.
— James.
Elle marqua un temps d’arrêt. L’homme tourna légèrement la tête vers celui qui l’avait interpellé.
— T’es sûr de ton coup ? On n’a encore rien décidé.
Ce dernier sourit, un sourire tranquille, presque amusé.
— Fais-moi confiance.
Puis, sans un regard de plus, il referma la porte derrière eux.
Aélis fut traînée dans un couloir aux murs gris, son bras serré dans l’étau de James qui la maintenait sans ménagement. Elle avait cessé de lutter, consciente que chaque pas l’enfonçait un peu plus dans une situation dont elle ne maîtrisait rien. Lorsqu’ils s’arrêtèrent enfin, son geôlier ouvrit une porte et la poussa à l’intérieur sans douceur.
La pièce était sobre, à peine meublée d’une table et de quelques chaises. Une lampe au plafond diffusait une lumière blafarde, projetant des ombres dures sur les murs nus. James referma la porte derrière lui, la verrouilla, puis s’adossa contre le battant, croisant les bras dans une posture décontractée qui contrastait avec l’atmosphère pesante.
Aélis ressentit une vague de colère monter, brutale et insidieuse. Ce n’était pas la peur. Pas même la frustration d’être ici, à sa merci. C’était autre chose. Quelque chose de plus profond, de plus féroce. Un feu qui la rongeait de l’intérieur. Elle s’efforça de respirer calmement, mais son cœur battait trop fort, trop vite. Son corps entier semblait en révolte, chaque muscle contracté comme s’il se préparait à une attaque qui ne pouvait pas venir.
James lui adressa un sourire en coin, comme s’il percevait son agitation sans pouvoir en deviner la cause.
— Installe-toi, proposa-t-il d’un ton faussement courtois en désignant une chaise.
Elle resta debout.
— Fais comme tu veux, ajouta-t-il avec un sourire en coin. Ça m’est égal.
Horton, lui, s’assit, ajustant nonchalamment ses manches, comme s’ils allaient simplement discuter d’affaires courantes. Il s’accouda contre la table devant lui, la fixant avec ce calme irritant, une lueur d’amusement au fond des yeux.
— Je pense que votre existence est une aberration. Une erreur qu’il aurait fallu corriger depuis longtemps.
Sa voix était posée, presque douce, mais le fond de son regard trahissait un mépris absolu. Aélis ne répondit pas. Il n’attendait pas de débat, juste une occasion de l’emmener exactement là où il voulait.
Il continua, laissant volontairement planer un silence entre chaque phrase, comme s’il voulait que chaque mot s’imprime en elle.
— Vous traversez les siècles en observant l’humanité souffrir, en la regardant s’entre-déchirer, et vous ne faites rien. Vous jouez à être des rois, des érudits, des guerriers, et quand l’histoire vous tourne le dos, vous changez simplement de nom, de ville, et tout recommence.
Il croisa les bras, l’étudiant attentivement.
— Mais ce n’est pas ça qui me dérange le plus. Ce qui me dérange, c’est cette compétition absurde. Ce petit jeu de massacre auquel vous vous adonnez, persuadés que vous êtes les seuls à en comprendre les règles.
Il se pencha légèrement en avant.
— Et à la fin, il n’en restera qu’un.
Un sourire étira ses lèvres.
— Et ça, vois-tu, c’est inacceptable.
Aélis soutint son regard, silencieuse. Elle aurait voulu dire quelque chose, mais elle savait que rien ne l’atteindrait. Il n’était pas là pour écouter. Il n’était pas là pour comprendre.
James pencha la tête, l’observant comme s’il attendait qu’elle brise enfin son mutisme. Lorsqu’elle ne répondit rien, son regard soutenant le sien, il poussa un léger soupir, puis sortit quelque chose de sa sacoche. Un journal.
Le sang de l’immortelle se glaça. Il le fit tourner entre ses mains, l’air faussement songeur.
— Tu sais, je trouve fascinant la manière dont un homme peut se perdre dans ses propres illusions.
Il ouvrit lentement l’ouvrage, faisant défiler les pages avec une délicatesse exagérée.
— Je me suis demandé… quelle place tu pouvais bien occuper dans tout ça.
Il s’arrêta sur une page, baissa les yeux, et commença à lire. Les mots de Darius tombèrent dans la pièce comme des coups.
« Cette nuit, j’ai découvert une facette d’elle que je n’avais jusqu’ici qu’entrevue. Tantôt vulnérable et hésitante lorsqu’elle a partagé ses doutes, tantôt passionnée et audacieuse lorsque nos corps se sont unis. Elle était à la fois familière et mystérieuse, une énigme que j’aurais voulu déchiffrer pour l’éternité. »
Aélis sentit sa gorge se nouer, son souffle devenir erratique. James leva brièvement les yeux vers elle avant de poursuivre, un léger sourire aux lèvres.
« Les draps portent encore son odeur, une présence fugace qui emplit la pièce de chaleur et de douceur. Je sais pourtant que ce parfum finira par s’effacer, bien plus vite que je ne le voudrais, comme s’il craignait de rester témoin d’un instant que l’éternité ne pourra jamais reproduire. Ce moment de félicité, unique et fragile, s’éteindra bientôt, ne laissant derrière lui que la mémoire de ce que nous avons partagé. Mais ces souvenirs… oh, ces souvenirs. Ils resteront gravés, précieux et douloureux, rappelant tout ce que j’ai gagné – et tout ce que j’ai perdu.»
Il referma brusquement le journal et posa un regard curieux sur elle.
— Intéressant, non ?
Elle serra les poings. Elle aurait voulu détourner les yeux, mais elle ne pouvait pas. Elle ne voulait pas. Les mots s’insinuaient sous sa peau, réveillant quelque chose qu’elle s’efforçait de contenir depuis des jours.
James tapota le journal du bout des doigts.
— Il avait une sacrée plume, Darius. Un vrai romantique.
Elle n’entendit plus rien d’autre. Sa vision se troubla, non pas de larmes, mais d’une colère noire, bouillonnante, dévastatrice. Elle voulait arracher ce journal de ses mains. Le brûler. Effacer cette scène. Mais surtout… Elle voulait le reprendre, le serrer contre elle. Pour ne pas perdre ce qu’il restait. Elle sentit ses doigts se contracter derrière son dos, ses poignets crispés jusqu’à ce que la douleur la ramène à la réalité.
Il laissa un instant le silence peser, puis ajouta, d’une voix plus basse :
— Ce que je me demande, c’est jusqu’à quel point tu l’as influencé. Jusqu’à quel point il a été aveuglé.
Il s’approcha, se pencha légèrement vers elle.
— Tu étais proche de lui. Il t’a laissée entrer, peut-être plus que personne. Il te faisait confiance.
Son ton s’adoucit, presque complice.
— Ce serait tellement plus simple, tu ne trouves pas ? Un moment de faiblesse… et puis, l’occasion.
Elle sentit son pouls s’accélérer. James esquissa un sourire en coin.
— Tu étais là, Aélis.
Le son de son prénom, souillé par la voix de cet homme, la traversa comme une décharge électrique. Elle serra les poings si fort qu’elle sentit ses ongles entailler sa peau. Elle l’aurait tué à cet instant précis, si ses poignets n’avaient pas été entravés. Il le remarqua. Son sourire s’élargit imperceptiblement.
— Ah… c’est bien ton nom, alors.
Il lui laissa quelques secondes de silence, savourant le moment.
— Merci de me l’avoir confirmé.
Elle resta figée, le cœur battant violemment contre sa cage thoracique. Chaque mot résonnait en elle avec une brutalité insoutenable. James l’observait attentivement, cherchant à capter la moindre faille, la moindre réaction incontrôlée.
— Alors dis-moi, Aélis… combien de temps avant que tu décides qu’il n’était plus utile à ta cause ?
James croisa les mains devant lui, son expression se fit plus froide, plus tranchante.
— Un homme comme lui, aussi influent, aussi respecté… Tu devais bien te douter que certains chercheraient à l’abattre. Mais toi… toi, tu es la dernière personne à l’avoir vu vivant. Tu étais avec lui cette nuit-là. Puis, quelques jours après, il était mort.
Un frisson parcourut son échine, immédiatement suivi d’un mouvement brutal en elle. Une vague de rage viscérale, presque suffocante. Elle la ravala avec peine, tentant de ne rien laisser transparaître. Mais c’était là, sous sa peau, comme un incendie prêt à éclater. Elle avait déjà ressenti de la colère, elle connaissait sa propre impulsivité. Mais jamais elle n’avait eu autant de mal à la contenir. Son regard, pourtant brûlant, resta ancré dans celui de James. Il attendait. Un faux pas. Une réaction. Elle ne lui donnerait pas ce plaisir.
— Qu’est-ce que tu attends de moi ? demanda-t-elle d’une voix tendue.
James sourit lentement, savourant la question. Il s’accouda à la table, posant son menton sur une main comme s’il réfléchissait.
— Ce que j’attends de toi, Aélis, c’est la vérité.
Son ton était presque amical, comme s’il lui proposait une issue raisonnable.
— Que tu avoues avoir tué le prêtre.
— Jamais.
— Non ? Pourtant, quand je suis arrivé à l’église, tu étais en train de fuir. Comme si tu avais quelque chose à cacher.
Elle ouvrit la bouche pour protester, mais il leva la main dans un geste de faux apaisement, savourant son emprise sur la situation.
— Et puis, il y a ce détail troublant… Un Immortel ne peut pas tuer un autre Immortel dans un lieu saint. C’est ce qu’on dit, pas vrai ? Pourtant, tu étais là. Et il est mort.
Il marqua une pause, observant attentivement son visage, guettant la moindre fissure dans son masque.
— Peut-être que cette fameuse règle n’est pas si absolue. Ou peut-être as-tu trouvé un moyen de la contourner.
Elle comprit alors qu’il cherchait une histoire qui le disculperait aux yeux des autres. Il la voulait coupable pour mieux cacher son propre crime. James se leva lentement, contournant la table avec une aisance calculée.
— Je vais te dire ce que je pense, murmura-t-il en s’arrêtant juste derrière elle. Je pense que tu l’as séduit. Que tu l’as manipulé. Il était un obstacle, et tu as fait ce que vous, Immortels, savez faire de mieux : éliminer ceux qui se mettent en travers de votre route.
Aélis sentit ses poings se serrer malgré elle. Son cœur battait trop vite, sa respiration devenait difficile à maîtriser. Il voulait l’enfermer dans ce rôle, la pousser à bout jusqu’à ce qu’elle cède, jusqu’à ce qu’elle se trahisse elle-même.
— Tu es pathétique, lâcha-t-elle d’une voix tremblante de rage.
James sourit. Il recula d’un pas, satisfait.
— Nous verrons bien ce qu’en pensent les autres.
Il ramassa le journal et ouvrit la porte, mais avant de sortir, il se tourna une dernière fois vers elle.
— À vrai dire, je suis curieux. As-tu seulement un jour regardé Darius avec les mêmes yeux que lui te regardait ?
Elle sentit le coup la frapper en plein cœur. Mais elle ne céda pas. Pas devant lui. James haussa légèrement un sourcil, comme s’il savourait l’instant. Puis il quitta la pièce en refermant la porte derrière lui. Le silence s’abattit.
Elle resta figée sur sa chaise, fixant un point invisible sur la table. Sa gorge se serra, son souffle devint erratique. La douleur, la colère, le doute. Tout se mélangeait dans un chaos insoutenable. Elle ferma les yeux, s’efforçant de repousser la tempête qui menaçait de l’engloutir. Maintenant, il allait utiliser ses propres mots contre elle. Elle se força à inspirer profondément, à calmer les tremblements qui menaçaient de la trahir. Elle ne leur donnerait pas cette satisfaction.
De l’autre côté de la porte, elle entendit des pas s’éloigner. Puis, une voix murmurée, un échange bref entre James et un autre homme. La serrure claqua. Elle était enfermée.
Joe poussa les portes du QG des Guetteurs avec une nervosité contenue, son pas plus rapide qu’à l’accoutumée. L’endroit lui était familier, il en connaissait chaque recoin, chaque murmure qui s’échangeait entre les murs. Pourtant, en cet instant, une tension sourde flottait dans l’air. Un regard échangé entre deux collègues, un silence trop appuyé à son arrivée. Quelque chose clochait.
Il s’arrêta devant l’un des Guetteurs postés à l’entrée, un type qu’il connaissait vaguement, plus habitué à gérer l’administratif qu’aux affaires de terrain.
— Il se passe quoi, ici ?
L’homme haussa les épaules, l’air vaguement mal à l’aise.
— Une Immortelle a été arrêtée.
— Quelle Immortelle ?
— Je crois que c’est celle qui a tué Darius.
Joe sentit son estomac se nouer. Il n’attendit pas d’en entendre plus et s’engouffra dans le couloir, son pas résonnant sèchement sur le sol. Il bouscula presque un autre Guetteur en tournant un angle, mais il ne ralentit pas.
Lorsqu’il atteignit la salle principale, plusieurs têtes se tournèrent vers lui. Des visages connus, des hommes et des femmes qu’il côtoyait depuis des années. Mais aujourd’hui, il y avait quelque chose de différent. Certains baissèrent les yeux, d’autres échangèrent un regard furtif avant de détourner l’attention.
Joe serra la mâchoire.
— Où est-elle ?
Personne ne répondit immédiatement. Il balaya la pièce du regard, le ton plus appuyé.
— Où est-elle ?!
Enfin, une voix s’éleva dans son dos.
— Dans l’aile Est.
Il se retourna et reconnut immédiatement l’homme qui venait de parler. Rémi, l’un des responsables du QG. Un type mesuré, du genre à peser chaque mot avant de parler.
— Qu’est-ce qu’elle fout là-bas ?
Rémi soutint son regard, son ton volontairement posé.
— James l’interroge.
— Et qui lui a donné cette autorisation ?
Rémi ne répondit pas. Joe avança d’un pas, plantant ses yeux dans les siens.
— Je veux la voir. Maintenant.
Une hésitation. Puis Rémi hocha la tête et fit signe à un Guetteur de l’accompagner. Joe ne perdit pas une seconde et s’engouffra dans le couloir. Derrière lui, il entendit un murmure échangé entre deux hommes.
— Tu trouves pas que ça va un peu loin ?
— C’est pas à nous de juger.
Il ne se retourna pas, mais ses doigts se crispèrent. Quelque chose lui disait que la situation lui échappait complètement.
Aélis entendit des voix étouffées derrière la porte. Un échange bref, une négociation feutrée. Elle distingua celle du Guetteur en faction, sèche, peu encline à céder, puis une autre, plus grave, plus maîtrisée. Un instant plus tard, la porte s’ouvrit.
Joe Dawson pénétra dans la pièce, refermant derrière lui avec précaution. Elle le fixa, surprise, tentant de comprendre ce qu’il faisait là.
— Qu’est-ce que tu fais là, Aélis ? demanda-t-il doucement.
Elle resta silencieuse une seconde, son regard accroché au sien comme si elle peinait à assembler les pièces du puzzle. Puis, sa voix rauque fendit l’air, plus fragile qu’elle ne l’aurait voulu.
— Qu’est-ce que toi, tu fais là ?
Joe se figea brièvement. Il capta l’incompréhension dans ses yeux. Elle ne savait pas.
— Tu… tu ne savais pas que j’étais un Guetteur, n’est-ce pas ?
Le silence qui suivit fut plus parlant que n’importe quelle réponse.
L’immortelle détourna lentement le regard, et les souvenirs s’imbriquèrent brutalement dans son esprit. La base de données de Joe, cette soirée dans son bar où elle avait surpris des indices qu’elle n’avait pas su relier sur le moment. L’information qu’il détenait sur les Immortels dépassait de loin celle d’un simple barman. Elle ferma brièvement les yeux, comme pour contenir l’amertume qui montait en elle. Quand elle les rouvrit, c’était avec une méfiance plus marquée.
— Adam m’a parlé des Guetteurs, souffla-t-elle enfin.
Elle observa attentivement la moindre réaction sur le visage de Dawson. Il ne sembla pas surpris.
— Il a évité les détails, ajouta-t-elle. Mais il a mentionné une organisation qui surveillait les Immortels.
Joe soupira, tirant une chaise pour s’asseoir face à elle.
— Ce n’est pas aussi simple que ça.
— Rien ne l’est jamais, apparemment.
Il perçut une pointe de reproche dans sa voix et ne chercha pas à s’en défendre. Elle avait toutes les raisons d’être sur ses gardes.
— Écoute, Aélis, si je suis là, ce n’est pas pour t’enfoncer. J’ai appris que tu étais retenue ici il y a à peine quelques minutes.
Elle ne répondit pas tout de suite, mais il vit son expression se fermer légèrement, comme si elle évaluait jusqu’où elle pouvait lui faire confiance.
— Et tu crois à ce qu’ils disent ? À ce que James raconte ?
— Je ne sais pas encore tout ce qu’il raconte. Mais je sais que si c’est lui qui mène l’accusation, il y a anguille sous roche.
— Ce type est complètement malade.
Joe laissa passer un silence.
— Ils t’accusent d’avoir tué Darius.
— Je sais.
— Et qu’est-ce qui s’est vraiment passé ?
Aélis leva lentement les yeux vers lui.
— James. Lui et ses hommes. Ce sont eux qui l’ont tué. Je les ai vus.
— Qu’est-ce que tu veux dire, exactement ?
Elle serra la mâchoire, ses traits durcis par la colère et la douleur mêlées.
— Je veux dire que j’étais là. Que j’ai vu Darius à genoux, forcé à baisser la tête. J’ai vu la lame s’abattre. Et j’ai vu leurs visages.
Joe retint un juron, détournant un instant le regard pour garder son calme. Il savait que James était dangereux, il l’avait toujours su. Mais ça… c’était une toute autre dimension.
— Est-ce que quelqu’un d’autre sait ça ?
— Oh, James le sait très bien. Il joue simplement à faire semblant, pour mieux manipuler les autres.
Le Guetteur prit une profonde inspiration, se forçant à réfléchir rapidement.
— Écoute-moi. Je ne sais pas encore comment, mais je vais trouver un moyen de te sortir de là. En attendant, ne leur donne rien.
Elle le fixa un instant, cherchant une faille dans sa promesse. Il n’y en avait pas.
— Je ne dirai rien.
Joe hocha la tête et se leva.
— Tiens bon.
Puis il marqua un temps, jaugeant sa réaction avant d’ajouter d’un ton plus bas :
— Je vais prévenir Methos.
Aélis tressaillit imperceptiblement. Elle ouvrit la bouche, prête à lui demander comment il pouvait être sûr qu’elle savait, mais elle se ravisa. L’évidence était là. Il n’avait pas dit "Adam". Joe vit l’ombre d’un doute passer dans ses yeux. Il se pencha légèrement vers elle.
— Fais attention, Aélis, murmura-t-il. Ici, ils ne savent pas.
Elle comprit immédiatement ce qu’il voulait dire. Il lui lança un dernier regard, puis quitta la pièce en refermant la porte derrière lui.
L’horloge sur le mur affichait une heure avancée dans l’après-midi, et l’appartement baignait dans une lumière diffuse. Assis dans un fauteuil, un verre à la main, Methos fixait un point invisible devant lui. Aélis n’était toujours pas rentrée.
Il n’avait pas cherché à la retenir lorsqu’elle avait recommencé à sortir seule. Il savait qu’elle avait besoin d’espace, de retrouver un semblant de contrôle sur sa vie après la mort de Darius. Mais d’habitude, elle rentrait au bout de quelques heures. Là, le temps s’étirait, et une sensation diffuse d’inquiétude commençait à s’installer, impossible à ignorer.
Il posa son verre sur la table basse et attrapa son téléphone. Quelques sonneries résonnèrent avant que la voix de Duncan ne se fasse entendre.
— Une raison particulière pour m’appeler ?
— Tu as eu des nouvelles d’Aélis ?
Un bref silence, suivi d’un soupir.
— Non. Je pensais qu’elle était avec toi.
— Elle est sortie ce matin, mais elle aurait dû être rentrée depuis un moment. Et elle ne répond pas à mes appels.
Duncan ne répondit pas tout de suite. Methos savait que, malgré son impulsivité, il possédait une intuition aiguisée.
— Tu penses qu’il lui est arrivé quelque chose ?
— Je n’aime pas ne pas savoir.
Duncan n’insista pas, ce qui en disait long sur l’inquiétude qui commençait à poindre chez lui aussi.
— Je vais voir ce que je peux trouver. Si elle est partie quelque part, elle a peut-être laissé un indice.
— Tiens-moi au courant.
Methos raccrocha, mais le poids sur sa poitrine ne se dissipa pas. Il passa une main sur son visage, tentant de refouler cette tension qui s’accrochait à ses nerfs. Puis le téléphone vibra de nouveau. L’intuition froide qu’il n’aimerait pas ce qu’il allait entendre s’insinua en lui. Lorsqu’il décrocha, la voix grave de Joe résonna immédiatement.
— Methos, il faut qu’on parle.
L’inquiétude dans le ton de Joe fit instantanément grimper la tension dans le corps de l’Immortel. Il se redressa dans son fauteuil, le téléphone pressé contre son oreille.
— Qu’est-ce qu’il se passe ?
— Aélis est au QG des Guetteurs.
— Quoi ?
— James l’accuse du meurtre de Darius.
Le silence s’abattit, lourd, oppressant. Il ferma les yeux un instant, ravalant une vague d’exaspération teintée d’inquiétude.
— C’est du grand n’importe quoi.
— Je sais, mais il a réussi à convaincre pas mal de monde qu’elle était impliquée. Il ne l’accuse pas frontalement, il insinue, il laisse planer des doutes.
Methos pinça l’arête de son nez, tentant de contenir la colère qui montait en lui.
— Elle va bien ?
— Autant que possible dans ce genre de situation. Elle est sous pression, mais elle tient bon.
Elle tient bon. Évidemment qu’elle tenait bon. Mais pour combien de temps ?
Il la revoyait, blême et tremblante après la mort de Darius, le regard hanté par une douleur trop grande pour elle. Il la revoyait lutter pour garder la tête hors de l’eau, chaque jour un peu plus, chaque nuit marquée par des cauchemars qu’elle ne disait pas. Et maintenant, elle était là-bas, enfermée, isolée, avec un ennemi qui jouait avec elle comme un chat avec une proie.
La simple pensée de ce qu’ils pouvaient lui faire fit remonter en lui une fureur sourde. Il inspira lentement, cherchant ses options.
— Je suppose que James ne compte pas la garder éternellement en vie.
— S’il avait pu l’éliminer sans témoin, ce serait déjà fait, répondit Joe. Mais il joue la prudence. Il veut qu’elle craque, qu’elle donne aux autres une raison d’agir.
— Tu peux la faire sortir ?
— Pas sans me griller définitivement.
— Alors je suppose que je vais devoir m’en charger.
— Fais attention, Methos. Si James découvre qui tu es vraiment…
— Je sais, coupa-t-il d’une voix plus dure qu’il ne l’aurait voulu.
Il inspira profondément, tentant de garder la tête froide.
— Je vais voir ce que je peux faire.
— Tiens-moi au courant.
Il raccrocha et resta un instant immobile, le téléphone toujours dans la main. Elle était en danger, une fois de plus. Et cette fois, il ne pouvait pas juste prétendre que c’était une mission de plus, une vie à protéger parmi tant d’autres. Cette fois ce n’était pas seulement pour Darius. Il se l’avoua à demi-mot, dans un souffle intérieur qu’il ne voulait pas nommer.
D’un geste précis, il composa un autre numéro. Duncan décrocha après deux sonneries.
— Alors tu l’as retrouvée ?
— Non. On a un problème.
Le ton de l’Immortel ne laissait place à aucun doute. De l’autre côté de la ligne, Duncan se redressa immédiatement.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Elle est au QG des Guetteurs. L’un d’eux, James, l’accuse du meurtre de Darius.
Un silence pesant s’installa.
— … Pardon ?
— Joe vient de m’appeler. Elle est là-bas, retenue, et un Guetteur la fait passer pour coupable. Il ne l’accuse pas directement, mais il joue sur les apparences.
Duncan jura entre ses dents.
— Ce fils de…
— Il veut la briser, Duncan. Il attend qu’elle craque pour enfoncer le clou.
— Alors on va la sortir de là.
— Doucement. Si on fonce tête baissée, on ne fera que signer son arrêt de mort.
Duncan inspira profondément, tentant de contenir la rage qui menaçait de le submerger.
— On ne peut pas la laisser là.
— Je sais, répondit Methos d’une voix plus posée. Ramène-toi chez moi, on en discute.
— J’arrive.
Il raccrocha et laissa retomber son téléphone sur la table basse. Son regard erra un instant sur la pièce silencieuse, puis dériva vers la bouteille entamée posée à côté de lui. Il ne toucha pas au verre.
Un quart d’heure plus tard, Duncan franchit la porte de l’appartement. Ses traits étaient fermés, sa colère contenue mais palpable. Il n’avait pas besoin de parler pour que Methos devine ce qu’il pensait : il fallait agir, et vite.
— Qu’est-ce que tu comptes faire ?
Le vieil immortel resta silencieux un instant. Il s’éloigna du fauteuil où il était resté assis et alla vers la fenêtre, observant distraitement la rue en contrebas. Il inspira profondément avant de répondre, sans se retourner.
— Peser mes options, dit-il enfin, d’une voix plus posée qu’il ne le ressentait réellement.
Duncan croisa les bras.
— Ne me sors pas cette excuse.
Son ton était tranchant, sans appel. Methos détourna légèrement la tête, mais ne répondit pas tout de suite. Il savait que Duncan voyait clair en lui. Il savait aussi que ce dernier ne partirait pas tant qu’il n’aurait pas une réponse qui lui convenait.
— Ce n’est pas aussi simple, finit-il par murmurer.
— Non, ça ne l’est pas. Mais ce que tu fais en ce moment, c’est chercher une raison de ne pas agir.
Methos laissa échapper un rire bref, sans joie, avant de passer une main sur sa nuque. Il sentait ce poids invisible lui écraser les épaules, ce vieux réflexe qui hurlait en lui de ne pas s’impliquer.
— Si j’y vais, je risque plus que ma couverture, Duncan.
Le Highlander ne cilla pas.
— Et si tu n’y vas pas, c’est Aélis qui va tout perdre.
Methos ferma brièvement les yeux. Ce n’était pas une menace, ce n’était même pas une supposition. C’était un fait.
Aélis. Il revoyait son regard lorsqu’il l’avait trouvée au bord du gouffre après la mort de Darius. Il revoyait sa colère, sa douleur. La façon dont elle s’était accrochée, malgré tout. Il savait qu’elle n’avouerait jamais un crime qu’elle n’avait pas commis. Il savait aussi que James Horton n’aurait aucun scrupule à l’abattre si elle devenait trop gênante.
Il avait vu tant de visages disparaître au fil des siècles. Il avait appris, encore et encore, que s’attacher revenait à souffrir. Pourtant, cette fois, quelque chose en lui refusait d’accepter cette fin.
— Ils ne savent pas qui tu es, reprit Duncan d’une voix plus calme. Pas encore. Tu peux entrer dans leur jeu et voir ce qu’ils mijotent.
Methos poussa un soupir, passant une main dans ses cheveux avant de la laisser retomber dans un geste las.
— Si je vais là-bas en tant qu’Adam Pierson, je peux peut-être comprendre ce qu’ils comptent faire. Mais si je pousse trop, si je les force à douter…
— Alors ne les pousse pas.
Il lui lança un regard en biais.
— Tu rends ça terriblement simple.
— Je n’ai pas le luxe de faire autrement.
Le silence se fit plus lourd encore. Methos s’approcha lentement de la table basse, ses doigts glissant pensivement sur le verre abandonné plus tôt. L’option la plus sûre aurait été de ne rien faire. De laisser les événements suivre leur cours et de disparaître avant que la tempête ne l’atteigne. C’est ce qu’il aurait fait, il y a longtemps. Mais il n’y arrivait pas.
Il n’arrivait pas à chasser cette image d’Aélis, seule face aux accusations de James. Il n’arrivait pas à ignorer cette sensation oppressante dans sa poitrine. Il releva les yeux vers Duncan.
— Je vais au QG, finit-il par dire d’un ton neutre.
Duncan hocha la tête.
— Et moi ?
— Toi, tu restes loin.
— Tu sais que ce n’est pas une option.
Le vieil immortel ferma brièvement les yeux avant de les rouvrir sur Duncan, qui n’avait pas bougé d’un pouce.
— J’imagine que c’était trop demander.
Un léger sourire passa sur les lèvres du Highlander.
— Beaucoup trop.
L’air était oppressant dans la salle principale du QG. L’éclairage blafard jetait des ombres dures sur les visages des Guetteurs rassemblés, certains curieux, d’autres méfiants. Tous avaient été convoqués par James, qui se tenait au centre de la pièce, dominant la scène avec une assurance glacée. Aélis, quant à elle, était debout, entourée, exposée aux regards. Ses poignets étaient attachés devant elle, mais elle refusait d’afficher la moindre faiblesse. Sa mâchoire était crispée, ses épaules droites, mais son cœur battait à tout rompre.
Elle inspira lentement, maîtrisant chaque frisson qui menaçait de trahir sa tension. L’adrénaline maintenait son esprit alerte, mais la douleur sourde dans ses muscles et la brûlure des cordes contre sa peau lui rappelaient à quel point elle était vulnérable. Une fatigue implacable pesait sur elle, et pourtant, son esprit, lui, refusait de céder.
Elle ferma un instant les yeux. Juste une seconde. Un souvenir émergea, inattendu, contrastant brutalement avec la froideur de sa situation. Elle revit l’appartement de Methos, baigné dans une lumière douce, une soirée où ils avaient discuté de tout et de rien, où il lui avait tendu un vieux manuscrit avec un sourire en coin.
— Tiens, lis ça. Tu devrais aimer.
Elle avait haussé un sourcil en parcourant les premières lignes, son regard butant sur une syntaxe étrange et des mots qu’elle ne connaissait pas.
— C’est du vieux français, avait-elle constaté en fronçant les sourcils.
— Très vieux français, avait-il corrigé avec amusement.
Il l’avait observée lutter quelques minutes avant d’éclater de rire et de s’installer plus près d’elle pour lui souffler la signification de certains passages. Elle l’avait maudit sur le moment, persuadée qu’il avait fait exprès de lui donner un texte presque illisible juste pour voir sa réaction.
Maintenant, dans cette pièce glaciale, avec les regards des Guetteurs pesant sur elle, elle se surprit à vouloir revivre cette simplicité, cet équilibre ténu qu’ils avaient trouvé l’un auprès de l’autre. Methos aurait su quoi faire. Il n’aurait pas paniqué, pas cherché à la rassurer avec des mots creux. Mais il aurait été là. Et elle aurait voulu qu’il le soit, cette fois encore. Pas seulement pour la tirer de ce piège. Pas seulement parce qu’elle était en danger. Elle voulait qu’il vienne parce que sa présence changeait tout. Parce que, malgré l’urgence, malgré la peur, il était le seul qui pouvait lui rappeler qu’elle existait encore.
Ses doigts se contractèrent autour des cordes. Il viendra. Elle se força à relever la tête, ancrant cette pensée en elle comme un serment silencieux. Elle n’était pas seule.
Elle rouvrit les yeux. James fit un pas en avant, tenant dans ses mains un objet bien en évidence : un journal en cuir sombre, usé par le temps. Il le posa avec soin sur la table, laissant le silence s’installer.
— Nous avons devant nous une immortelle, annonça-t-il, sa voix mesurée résonnant dans la pièce.
Un murmure parcourut les Guetteurs présents. Tous ne savaient pas encore ce qu’elle était, mais cette simple déclaration suffit à attiser leur curiosité, et pour certains, leur inquiétude.
— Une immortelle, répéta-t-il lentement, qui se trouvait sur les lieux au moment du meurtre de Darius.
Aélis sentit une pression grandissante sur ses épaules, comme si l’atmosphère elle-même cherchait à l’écraser.
— Moi et plusieurs des hommes ici présents l’avons vue, ajouta-t-il en désignant d’un geste subtil quelques Guetteurs à ses côtés.
Certains hochèrent la tête en signe d’approbation. Ils faisaient partie des renégats, de ceux qui avaient suivi James dans sa croisade.
— Nous étions près de l’église lorsque Darius a été retrouvé mort, poursuivit-il. Et cette femme… cette immortelle… s’enfuyait précipitamment.
Les regards se tournèrent vers elle, inquisiteurs. Elle sentit ses muscles se tendre, sa respiration devenir plus difficile à maîtriser. Elle savait où il voulait en venir.
— Une immortelle qui a passé sa dernière nuit avec lui, ajouta James en tirant le journal de son sac.
Les murmures s’intensifièrent. Aélis sentit son estomac se nouer.
— Le journal de Darius, annonça-t-il.
Un second murmure parcourut les rangs. Beaucoup des Guetteurs présents connaissaient son existence, mais peu avaient eu l’occasion de le lire.
— Il a été retrouvé chez François par ses collègues, expliqua James. Ceux qui ont découvert son corps.
Il laissa planer un silence.
— C’est un témoignage précieux, qui nous éclaire sur ses pensées dans ses derniers jours.
Son regard glissa lentement vers la captive, un éclat mauvais dans les yeux.
— Notamment sur sa relation avec elle.
Aélis sentit la tension s’accroître en elle. Elle savait ce qui allait suivre. Elle savait qu’il allait l’exposer. Son cœur battait à un rythme affolant, mais elle se força à rester impassible.
— Darius était un homme respecté, poursuivit-il, un homme de foi, un guide pour beaucoup. Mais même les plus sages ont leurs failles.
Il ouvrit le journal, feuilleta lentement les pages, puis s’arrêta sur un passage précis. Il leva brièvement les yeux vers la jeune femme avant de commencer à lire d’un ton posé, presque solennel :
— « Duncan, mon cher ami, je regrette que tu aies mal interprété mes paroles. Non, je ne regrette rien de cette nuit. »
Elle sentit une vague de chaleur lui monter aux joues, mais ce n’était pas de la gêne. C’était un mélange de colère et de douleur.
— « Ces mots qu’elle croit avoir entendus n’étaient pas un aveu de remords, mais l’expression d’un autre regret, bien plus profond, que voici »
James marqua une pause, l’observant attentivement, cherchant la moindre réaction.
— Je dois avouer, poursuivit-il avec un sourire en coin, que ce passage m’a intrigué. À qui, exactement, Darius adressait-il ces mots ?
Les murmures s’amplifièrent. Aélis restait silencieuse, le regard rivé sur lui, mais son cœur battait à un rythme affolant. James reprit sa lecture, sa voix résonnant avec une fausse douceur dans la pièce silencieuse.
«Aélis,
Je ne regrette pas la douceur de ta peau, ni la tendresse de tes baisers.
Je ne regrette pas les regards que nous avons échangés, emplis de promesses et de confidences tacites.
Je ne regrette pas nos conversations passionnées, ces heures où, blottis l’un contre l’autre, nous avons refait le monde à la lumière vacillante des flammes.
Je ne regrette pas d’avoir sacrifié la préparation de l’office pour savourer un peu plus longtemps la chaleur de ton étreinte, la sérénité de ton souffle contre ma peau.
Et pourtant, il y a une chose que je regrette. Pas cette nuit, ni ce que nous avons partagé, mais ce qu’elle signifie : une première et une dernière fois tout à la fois. Je regrette de ne pas avoir été préparé à la bataille intérieure que je dois désormais livrer contre mon cœur, pour accepter que cet instant reste figé dans le passé.
Je chéris même la douleur qui accompagne ces souvenirs, car elle me rappelle qu’ils sont réels, qu’ils m’appartiennent et que rien ni personne ne pourra les effacer.
Alors non, je ne regrette pas cette nuit. Je regrette seulement que le temps ne puisse me la rendre, encore et encore. Voilà ce que mon cœur cherchait à te dire, et ce que tu ne dois jamais entendre. »
Le silence tomba comme une chape de plomb sur la pièce. Aélis resta figée, incapable de détourner les yeux du journal. Elle avait imaginé ces mots, parfois, dans ses moments de solitude, s’accrochant aux souvenirs. Mais les entendre ainsi, lus à voix haute, exposés devant une assemblée indifférente, les rendait insupportablement réels. Darius. Il était là, encore, en elle, brûlant comme une marque invisible. Un battement sourd remplit ses tempes. Elle devait respirer. Mais il n’y avait plus d’air.
James referma lentement le journal et le posa sur la table, prenant soin de faire durer le silence. Puis il leva les yeux vers elle.
— C’est beau, non ? Un amour impossible. Une tragédie.
Elle releva les yeux vers lui, et cette fois, elle ne put cacher la lueur de rage qui brûlait au fond de ses prunelles. Le Guetteur sourit légèrement.
— Darius, l’homme de foi, le guide spirituel, avait ouvert son cœur à une immortelle. Et quelques heures plus tard, il était mort.
Les murmures reprirent, plus forts cette fois. Elle sentit une boule douloureuse se former dans sa gorge. Tout s’accumulait : la pression, la douleur de la perte, la colère sourde qui menaçait d’exploser. Il jouait avec ses nerfs, retournant contre elle ce qui aurait dû rester un souvenir intime. Son corps lui criait de réagir, de hurler, de balayer ces accusations d’un revers violent. Mais elle savait que c’était exactement ce qu’il attendait. Elle ne devait pas craquer.
Horton reprit la parole avec une fausse douceur, effleurant le journal du bout des doigts comme s’il en savourait encore le poids des mots.
— Je me pose simplement une question, dit-il en relevant la tête vers elle. Darius t’aimait, n’est-ce pas ? Il t’aimait… et il est mort.
Sa voix s’était faite plus tranchante, plus insidieuse. Il n’attendait pas de réponse, il voulait voir sa réaction, sentir l’impact de chaque syllabe. Aélis sentit sa mâchoire se contracter. Elle ne voulait pas lui donner ce qu’il cherchait, mais ces mots… ils s’enfonçaient en elle comme des lames acérées. James fit lentement quelques pas, contournant la table où reposait encore le journal.
— Tu l’as séduit, continua-t-il, jouant avec le silence entre chaque phrase. Tu t’es immiscée dans sa vie, dans ses pensées. Il t’a laissée entrer, il t’a fait confiance…
Il se tourna vers l’assemblée, balayant les Guetteurs du regard comme pour chercher du soutien.
— Et regardez où ça l’a mené.
— Tu es malade, lâcha-t-elle finalement, la voix vibrante de colère.
Le Guetteur esquissa un sourire satisfait et revint vers elle d’un pas mesuré. Il était tout près, maintenant.
— Et pourtant, tu ne peux pas nier un fait, Aélis.
Il s’arrêta juste devant elle, penchant légèrement la tête sur le côté.
— Ose me dire que tu n’as pas pris son quickening.
Les mots résonnèrent dans son esprit comme un coup de tonnerre. Elle sentit la rage bouillonner en elle, incontrôlable. Sa vision se brouilla sous le poids de la douleur et de la fureur. James la fixait, impassible, mais dans ses yeux brillait une lueur de victoire.
— Tu n’y arrives pas, souffla-t-il. Parce que c’est la vérité.
Son sang pulsa dans ses tempes. C’était trop. D’un mouvement brusque, elle fit un pas en avant et lui asséna un coup de tête violent. Un craquement sourd retentit. James bascula en arrière sous l’impact, un gémissement étranglé s’échappant de sa gorge alors qu’un flot de sang coulait de son nez brisé.
L’assemblée eut un sursaut collectif. Plusieurs Guetteurs se levèrent d’un bond, et l’un des hommes fidèles à James réagit immédiatement. Le froid du métal s’enfonça brutalement sous ses côtes. Aélis écarquilla les yeux, sentant une brûlure déchirante irradier sa cage thoracique. Son souffle se coupa, sa tête bascula en arrière sous la violence du choc.
Un murmure horrifié parcourut la salle. Elle chancela, tituba d’un pas avant que ses jambes ne se dérobent sous elle.
— Ça suffit ! intervint Joe d’une voix forte.
Il tenta de s’avancer, mais un Guetteur le saisit fermement par le bras, le forçant à rester en arrière. L’immortelle sentit le sol froid sous ses genoux. Un goût métallique emplit sa bouche, sa vision se brouilla. James, un mouchoir pressé contre son nez en sang, reprenait déjà contenance. Il s’essuya rapidement, avant de se redresser, son regard froid posé sur le corps effondré d’Aélis.
— Une preuve de plus, déclara-t-il d’une voix légèrement enrouée.
Il inspira profondément, calmant sa douleur, puis tourna la tête vers un de ses hommes.
— Attachez-la à une chaise et surveillez-la.
Joe se débattit sous la poigne de son gardien.
— Vous en avez assez fait !
James lui lança un regard amusé, avant d’arracher son mouchoir pour observer l’ampleur des dégâts sur son visage.
— Rassure-toi, Dawson. Elle s’en remettra.
Puis il tourna les talons et quitta la salle, se dirigeant vers l’infirmerie. Derrière lui, Aélis gisait inerte. Mais pas pour longtemps.
Le QG des Guetteurs était en effervescence. Les récents événements avaient fissuré le calme feutré qui régnait d’ordinaire en ces murs, et une tension sourde flottait dans l’air. Les discussions étaient plus discrètes, les échanges plus brefs, comme si chacun hésitait à se positionner face aux bouleversements en cours.
Methos pénétra dans le bâtiment avec la nonchalance habituelle d’Adam Pierson, ce chercheur effacé que l’on voyait rarement s’intéresser à autre chose qu’aux archives. Un dossier sous le bras, l’air absorbé, il salua distraitement quelques visages connus, notant au passage ceux qui semblaient préoccupés. Il n’eut pas à chercher longtemps pour repérer James Horton. Ce dernier sortait de l’infirmerie, un mouchoir ensanglanté toujours pressé contre son nez brisé. Malgré l’expression impassible qu’il arborait, Methos remarqua la crispation dans sa mâchoire, la tension dans ses gestes, signe que l’épisode qu’il venait de vivre n’avait pas été prévu dans son plan. Il s’approcha d’un pas tranquille, ajustant son masque d’indifférence calculée.
— On dirait que la journée a été mouvementée, commenta-t-il d’un ton léger en désignant d’un geste subtil le sang séché sur le visage de James.
Ce dernier lui jeta un regard perçant avant d’afficher un sourire froid.
— Une immortelle impulsive. Rien de bien surprenant.
Methos haussa un sourcil faussement curieux.
— Ah, c’est donc elle qui t’a arrangé le portrait ?
James plissa légèrement les yeux, comme s’il pesait la question, cherchant à déceler ce qui pouvait se cacher derrière l’apparente désinvolture de son interlocuteur.
— Disons qu’elle commence à montrer son vrai visage.
Il s’arrêta un instant, jaugeant Methos.
— D’ailleurs, Pierson, qu’est-ce qui t’amène ici aujourd’hui ?
Ce dernier haussa les épaules, posant son dossier sur une table proche avec une désinvolture étudiée.
— Un immortel assassiné dans une église, un Guetteur retrouvé mort, et maintenant une captive entre nos murs… Avoue que ça change de l’ordinaire. J’étais curieux de voir comment les choses allaient évoluer.
James ne répondit pas tout de suite. Il inclina légèrement la tête, un sourire en coin.
— Curieux ? Toi ?
— Je suis archiviste, James. La curiosité est mon fond de commerce.
Le Guetteur l’observa encore un instant, puis se redressa, comme s’il arrivait à une décision.
— Dans ce cas, suis-moi. Tu veux voir à quoi ressemble un spécimen immortel de près ?
Methos sentit une alerte intérieure s’allumer, mais il n’en laissa rien paraître. Il hocha simplement la tête, gardant son air détaché.
— Pourquoi pas.
Sans un mot de plus, James se détourna et prit la direction de la pièce où était retenue Aélis. Methos lui emboîta le pas, parfaitement conscient que chaque mot, chaque geste, allait désormais peser dans la balance.
Le couloir menant à la pièce où était retenue Aélis semblait plus long qu’il ne l’aurait dû. Methos avançait d’un pas mesuré, veillant à ne rien laisser paraître d’inhabituel, mais une alerte sourde lui comprimait la poitrine. Alors qu’il approchait de la porte, quelque chose le heurta de plein fouet. Ou plutôt, quelque chose manqua de le heurter. Il ne ressentait rien. Pas la moindre vibration. Un frisson parcourut tout son être. Il aurait dû percevoir la présence d’Aélis, cette signature familière, cette énergie unique qui liait chaque immortel les uns aux autres. Mais là… le vide.
Il accéléra légèrement le pas, se forçant à garder son masque de nonchalance. Pourtant, en franchissant le seuil de la pièce, son regard fut immédiatement attiré par la silhouette posée sur une chaise, le sang qui maculait le carrelage sous elle. Un instant, la panique monta, incontrôlable. Puis son regard balaya les détails. Son corps était intact, aucune trace de décapitation. Juste une blessure mortelle qui finirait par guérir. Il expira lentement, maîtrisant le soulagement qui menaçait de trahir son contrôle : elle était inconsciente, techniquement morte.
James marchait juste devant lui, ralentissant légèrement en atteignant la porte. Methos, sur ses talons, capta le bref regard en coin que l’autre lui lança avant de pousser le battant. Un pansement barrait toujours son nez, sa mâchoire tendue trahissant la douleur qu’il tentait d’ignorer. Mais ce n’était pas la douleur qui occupait son esprit à cet instant. C’était lui. James l’observait attentivement, scrutant la moindre réaction, analysant chaque détail avec une acuité presque clinique.
Methos connaissait ce jeu. Il l’avait pratiqué des centaines de fois, sur des siècles et des siècles. Lire les signes. Deviner l’intention cachée sous les paroles anodines. Évaluer les risques en permanence. C’était ce qui lui avait permis de survivre là où tant d’autres étaient tombés. Il était un maître dans l’art de disparaître, d’être ce que l’on attendait de lui, un homme sans aspérités, sans attache, un observateur parmi les observateurs. Et pourtant, il y avait quelque chose, cette fois, qui lui échappait.
L’atmosphère était différente, chargée d’une tension qu’il peinait à dissiper. Il aurait dû rester en retrait, jouer son rôle d’archiviste effacé et indifférent. Mais il était venu. Il s’était impliqué. Et maintenant, il sentait l’étau se refermer.
James le jaugeait, et lui, pour la première fois depuis bien longtemps, se surprenait à douter. Il tenta de se convaincre que ce n’était qu’une impression. Qu’il contrôlait encore la partie. Il avait déjà navigué dans des eaux bien plus troubles, menti à des hommes bien plus dangereux. Mais un infime détail s’accrochait à son esprit comme une écharde. Il savait ce qu’il risquait. S’il se trompait, s’il faisait le moindre faux pas, ce n’était pas seulement sa couverture qui tomberait. Ce n’était pas seulement son propre sort qui était en jeu. C’était elle aussi. La pensée le heurta avec une brutalité inattendue. Il avait fait une promesse à Darius. Mais ce n’était plus seulement une question de dette envers un ami disparu.
Il n’eut pas le temps de pousser plus loin sa réflexion.
— Je te trouve bien nerveux, Pierson, lança James avec un sourire en coin.
Il se força à hausser un sourcil, ajustant rapidement son masque.
— C’est l’effet de voir du sang sur le sol. Pas mon environnement de travail habituel.
James ricana légèrement avant de jeter un regard vers l’immortelle.
— Tu t’y habitueras.
Methos ne mordit pas à la provocation et s’avança lentement, comme pour mieux observer la situation. Il s’arrêta à une distance raisonnable, croisant les bras avec une apparente décontraction. James marqua une pause, jaugeant son interlocuteur.
— Toi qui passes ton temps à éplucher nos archives, tu dois bien avoir une théorie sur tout ça. Une immortelle qui tue l’un des siens dans une église… Plutôt fascinant, non ?
Methos garda le silence une fraction de seconde de trop. Il aurait dû répondre immédiatement, avec ce ton blasé qu’il savait si bien imiter. Mais il y avait quelque chose dans la façon dont James posait la question, une insistance calculée qui le força à choisir ses mots avec soin.
— C’est une théorie comme une autre, répondit-il finalement en refermant son dossier. Mais si tu veux mon avis, il y a plus de chances que cette affaire soit un règlement de comptes. Rien à voir avec une trahison d’ordre spirituel.
— Intéressant. Tu sembles bien informé pour quelqu’un qui, officiellement, ne s’occupe que de paperasse.
— Disons que j’ai l’habitude de lire entre les lignes.
James sourit, mais son regard s’était durci. Soudain, derrière eux, un mouvement. Un frisson invisible traversa la pièce.
Aélis.
Methos sentit immédiatement la vibration. Il ne bougea pas, mais il vit James tourner la tête vers elle. Elle cligna lentement des yeux, luttant contre la torpeur, son esprit encore engourdi par la mort passagère. Son regard chercha autour d’elle, sa respiration s’accélérant légèrement alors qu’elle tentait de rassembler ses souvenirs.
Puis elle sentit l’autre présence. Elle tourna la tête, et son regard rencontra celui de son compagnon. Un éclair de soulagement passa brièvement dans ses yeux. Il est venu. Juste une seconde. Une seconde de trop. Elle se souvint alors de l’avertissement de Joe. Ne pas trahir Methos. Ne pas réagir. Elle détourna précipitamment le regard, tentant de reprendre contenance, mais le mal était fait.
James, qui n’avait pas raté l’échange, esquissa un sourire lent, presque carnassier.
— Ah…
Le murmure lui échappa avec une satisfaction contenue.
Methos n’eut pas le temps de rectifier quoi que ce soit. James avait déjà repris son observation, un éclat pernicieux dans les yeux. Il s’avança légèrement, reprenant son ton léger, presque amical.
— Tu sais, Adam, il y a une chose qui me fascine chez les Immortels. Leur capacité à survivre contre toute logique.
Il ne répondit pas. James se redressa lentement, plantant son regard glacial dans celui de l’archiviste.
— Darius était un cas à part, bien sûr. Un pacifiste. Mais la plupart d’entre eux… sont des survivants. Et pour survivre aussi longtemps, il faut être prêt à mentir, à manipuler, à tuer.
— Où veux-tu en venir ?
James sourit, mais cette fois, il n’y avait plus aucune trace d’amabilité dans son expression.
— Je veux dire que certains sont meilleurs que d’autres pour se fondre dans la masse.
— C’est fascinant, vraiment, reprit James en attrapant l’épée posée sur la table. D’ailleurs, tu sais manier ce genre d’arme, Adam ?
Methos fit mine de hausser les épaules.
— J’ai lu quelques traités sur le sujet.
— Oh, mais rien ne vaut une démonstration, non ?
Avant que quiconque ne puisse réagir, James pivota brusquement et lui asséna un coup net avec la pointe de la lame, entaillant son bras gauche. Methos grimaça, reculant sous l’impact, portant immédiatement sa main à la plaie.
Un silence tendu s’abattit sur la pièce. Puis, sous les yeux de tous, le sang cessa de couler. La peau, d’abord déchirée, se referma lentement, jusqu’à ne plus laisser la moindre trace.
Tous savaient ce que cela signifiait. Un frémissement parcourut l’assemblée, un mélange de stupeur, d’incrédulité et de malaise grandissant. Certains Guetteurs s’étaient figés, leurs regards oscillant entre Methos et James, cherchant un repère, une explication qui donnerait un sens à ce qu’ils venaient de voir.
Le Guetteur, lui, n’avait pas bougé. Il laissait l’information s’installer, s’étendre, s’infiltrer dans chaque esprit. Puis il esquissa un sourire lent, satisfait.
— Eh bien… Voilà qui est instructif, murmura-t-il.
Il posa l’épée avec une lenteur étudiée, balaya la salle du regard avant de revenir sur l’immortel.
— Je me demande, Adam… ou devrais-je t’appeler autrement ? poursuivit-il d’un ton faussement amical. Qui es-tu vraiment ?
Methos savait que la moindre hésitation pouvait être exploitée contre lui. Il ne bougea pas, ses traits impassibles masquant l’adrénaline qui pulsait dans ses veines. Mais autour de lui, les réactions ne se firent pas attendre.
— C’est impossible… murmura un Guetteur.
— Il nous a menti, lâcha un autre, plus jeune, livide.
— Tu étais l’un des nôtres, ajouta un troisième, sa voix oscillant entre colère et incompréhension.
James se tourna lentement vers l’assemblée, savourant la tension qui s’épaississait.
— Non, corrigea-t-il d’un ton cinglant. Il n’a jamais été l’un des nôtres.
Il laissa planer un silence, s’assurant que chacun pesait ses paroles. Puis il fit un pas en avant, son regard perçant chaque visage.
— Vous voyez ? Voilà où nous en sommes. On nous dit d’observer, de ne pas intervenir… Et regardez ce qui arrive. Un Immortel infiltré dans nos rangs. Gagnant notre confiance. Nous surveillant. Qui sait combien d’autres sont comme lui ?
Les murmures s’intensifièrent. Certains reculaient légèrement, comme si Methos était devenu un étranger, une menace potentielle. Ce dernier serra imperceptiblement les poings. C’était ce que James voulait. Il exploitait la peur, exacerbait les tensions, leur offrait un ennemi tangible. Il ne pouvait pas le laisser faire.
— Tu veux savoir ce qui est ironique, James ?
La voix de Methos était calme, posée, mais son regard était acéré.
— Je n’ai jamais eu besoin de mentir. Je n’ai jamais levé la main sur aucun d’entre vous. Je n’ai jamais conspiré contre cette organisation. Et pourtant, c’est toi qui as du sang sur les mains.
James ne cilla pas, mais l’immortel vit la lueur de tension qui traversa son regard.
— Darius n’était pas une menace, continua-t-il en avançant légèrement. Et pourtant, tu l’as tué.
James soutint son regard, mais cette fois, la tension dans ses traits était plus marquée. L’accusation était là, suspendue dans l’air, résonnant dans l’esprit de chaque Guetteur présent. Il savait que s’il laissait ce doute s’installer, il perdrait le contrôle de la situation. Alors il frappa en retour.
— Darius était un immortel, lança-t-il d’une voix tranchante. Et un immortel reste un immortel, peu importe ses belles paroles.
Son regard glissa vers l’assemblée, cherchant du soutien.
— Mais je ne l’ai pas tué.
Son ton était posé, mesuré, comme s’il énonçait une évidence. Il laissa planer un court silence avant de se tourner lentement vers Aélis.
— Elle, en revanche…
La jeune femme sentit son souffle se bloquer un instant, avant que la colère ne la submerge d’un coup, brûlante, incontrôlable.
— Tu mens ! éclata-t-elle en quittant la chaise.
Les mots lui arrachèrent la gorge. Son regard, incandescent de rage, s’ancrant dans celui de James, refusant d’être détourné.
— Je vous ai vus ! Vous étiez là, tous autant que vous êtes, à le forcer à s’agenouiller ! À l’exécuter comme des lâches !
Elle avança d’un pas, ses poignets toujours liés, tremblant de rage.
— Et si vous aviez su qui j’étais à ce moment-là, vous m’auriez tuée aussi !
Certains Guetteurs échangeaient des regards troublés, hésitants. L’onde de choc causée par ses paroles s’était répandue comme un poison insidieux dans la salle. James, pourtant, ne broncha pas. Il se contenta d’incliner légèrement la tête, son sourire toujours figé sur ses lèvres.
— Des accusations bien pratiques venant de quelqu’un qui a absorbé son quickening.
Aélis ouvrit la bouche, prête à répliquer, mais Methos intervint avant qu’elle ne se laisse emporter davantage.
— Un quickening ne prouve rien, trancha-t-il d’une voix froide. Nous savons tous que les immortels n’ont pas le choix quand il s’agit de le recevoir.
Il balaya la salle du regard, cherchant à capter l’attention des Guetteurs qui hésitaient encore.
— La seule chose dont nous avons la preuve, c’est que Darius est mort. Et que ceux qui étaient là ce jour-là ont tout intérêt à voir Aélis disparaître avant qu’elle ne puisse raconter ce qu’elle a vu.
James croisa les bras, son sourire s’effaçant légèrement.
— Tu parles beaucoup, Adam.
— J’analyse, corrigea ce dernier avec un calme apparent. Un trait de mon métier, il me semble.
Le Guetteur soutint son regard, le duel silencieux s’intensifiant entre eux. La salle était suspendue à leurs échanges, la tension si épaisse qu’elle en devenait presque palpable. La porte s’ouvrit lentement. Puis, une voix s’éleva, posée mais empreinte d’une autorité incontestable.
— Assez.
Le silence tomba comme une lame. Marc venait d’entrer. Le chef des Guetteurs en France était un homme de stature moyenne, mais il dégageait une présence qui imposait naturellement le respect. Son regard sombre passa lentement sur la scène, balayant chaque visage d’une analyse froide et méthodique. Il s’arrêta d’abord sur James, puis sur Methos, avant d’observer les Guetteurs qui les entouraient. Certains évitaient son regard, d’autres semblaient soulagés de le voir ici.
Methos ne bougea pas. Il comprit immédiatement ce que cela signifiait. L’arrivée de Marc prouvait qu’un signal d’alarme avait été lancé. Quelqu’un, quelque part, avait jugé que la situation échappait au contrôle de James et avait alerté la hiérarchie. Ce n’était pas Horton qui l’avait convoqué, ni ses hommes. Non, c’était un coup venu de l’intérieur. Un ou plusieurs Guetteurs modérés, mal à l’aise devant la tournure des événements, avaient dû faire remonter l’affaire. Et il allait pouvoir en tirer parti.
Marc s’avança au centre de la pièce, croisant les bras, sa voix calme mais ferme résonnant dans l’atmosphère chargée de tension.
— On m’a rapporté des choses troublantes. Une immortelle enfermée ici… Vous avez intérêt à m’expliquer ce qui se passe.
James, qui n’avait toujours pas bougé, esquissa un sourire satisfait, comme s’il accueillait Marc en allié naturel. Il se redressa légèrement et, d’un geste mesuré, désigna Aélis toujours attachée au centre de la pièce.
— Elle est dangereuse, déclara-t-il d’un ton posé. Nous avons des raisons de penser qu’elle est responsable de la mort de Darius.
— Des raisons de penser… répéta-t-il lentement. Ce n’est pas la même chose qu’une preuve, James.
— Elle était avec lui avant sa mort. Elle a absorbé son quickening.
Marc haussa un sourcil, manifestement perplexe devant la tournure des événements. Il observa Aélis quelques instants, puis son regard se durcit légèrement en voyant ses poignets entravés.
— Détachez-la.
James se crispa.
— C’est une erreur. Elle est une menace, Marc. Tu ne peux pas lui faire confiance.
— Je n’ai pas dit que je lui faisais confiance, répondit calmement le chef des Guetteurs. Je dis que nous allions régler cette affaire de manière appropriée.
Il fit un signe à l’un des Guetteurs présents. Un homme s’avança pour obéir, mais James ne comptait pas lâcher prise aussi facilement.
— Attends. Avant que tu ne prennes une décision irréfléchie, tu devrais savoir que ce n’est pas le seul problème ici.
Il pivota légèrement et planta son regard dans celui de Methos.
— Adam Pierson est un immortel.
Marc cligna des yeux, comme s’il avait mal entendu.
— Quoi ?
— Il est comme elle, répéta James, savourant l’effet de ses paroles. Il nous a menti pendant des années.
Le chef des Guetteurs passa une main sur son visage, accusant le coup des révélations successives. L’exaspération transparaissait dans ses traits.
— Bien. Alors avant que cette situation ne dégénère davantage, je veux des explications.
Il désigna Aélis du menton.
— Et vous allez commencer par me dire pourquoi elle est accusée.
James eut un sourire satisfait.
— Parce qu’elle a tué Darius.
Cette fois, Aélis éclata de colère.
— Espèce de lâche !
Les mots claquèrent dans l’air, portés par une rage brute et incontrôlable. Son corps entier vibrait sous la tension, ses poings se crispant malgré les entraves. Tous les regards se braquèrent sur elle, suspendus à cet éclat de fureur qu’elle ne pouvait plus contenir.
— Tu étais là ! Toi et tes hommes.
Un silence chargé d’électricité s’installa.
— Ce sont tes hommes qui ont tué Darius. Je vous ai vus. Vous l’avez plaqué au sol, vous l’avez empêché de parler et ensuite…
Sa voix se brisa un instant sous l’émotion, mais elle refusa de vaciller.
— Ensuite, vous l’avez exécuté comme un animal.
James soutint son regard, toujours impassible.
— Tu cherches à détourner l’attention, répliqua-t-il avec une fausse douceur. Mais les faits restent inchangés. Tu as pris son quickening.
— Un quickening ne fait pas d’elle une meurtrière, coupa Methos avant qu’Aélis ne s’emporte davantage.
Il s’avança légèrement, croisant le regard de Marc avant de balayer l’assemblée des Guetteurs.
— Nous savons tous comment cela fonctionne. Lorsqu’un immortel tombe, son quickening passe à celui qui se trouve là. Aélis n’a pas eu le choix.
Marc fronça les sourcils, son regard oscillant entre James et Methos.
— Ce que je veux savoir, c’est ce qui s’est réellement passé dans cette église.
— Ce qui s’est passé, intervint James en ignorant Methos, c’est qu’elle était la dernière personne avec lui. Et maintenant, il est mort.
— J’étais là ! hurla Aélis, sa voix vibrante de fureur. Mais vous aussi !
Joe, qui observait la scène depuis le début, sentit que la situation était en train de leur échapper. Il s’interposa légèrement.
— Ça suffit. Si on veut connaître la vérité, il va falloir se calmer.
James le fusilla du regard, mais Marc leva la main, mettant fin aux échanges.
— Il a raison.
Il attendit que le silence s’installe, scrutant tour à tour les protagonistes de cette confrontation explosive.
— Chacun va donner sa version des faits. Et ensuite, nous aviserons.
Marc reporta son attention sur James, le fixant d’un regard impassible.
— James. Je t’en prie.
Ce dernier hocha la tête, adoptant un ton mesuré, presque détaché. Il se tourna légèrement vers l’assemblée, incluant dans son regard les Guetteurs qui lui étaient encore fidèles.
— Ce jour-là, nous étions cinq à nous trouver près de l’église de Darius, dit-il en désignant d’un geste discret les hommes en question. Nous étions à la librairie Sherlock et Compagnie, à quelques rues de là. Certains d’entre vous savent que nous y avons une annexe pour gérer certaines affaires internes. Ce jour-là, nous faisions simplement notre travail.
Il marqua une courte pause avant de poursuivre d’un ton parfaitement contrôlé.
— En repartant, nous avons aperçu une femme quitter l’église précipitamment. Ce n’était qu’un détail, rien qui mérite notre attention sur l’instant. Mais quelques heures plus tard, nous avons appris que Darius avait été assassiné.
Il croisa les bras, son regard se durcissant légèrement.
— C’est François qui a découvert son corps, pas nous.
James parlait avec une assurance maîtrisée, offrant une version crédible et difficile à contredire sans preuve tangible. Il ne mentionna pas son implication directe, ne donna rien qui puisse l’accuser. Juste un récit factuel, plausible, teinté d’un soupçon de suspicion bien calculé envers Aélis.
Marc écouta en silence, jaugeant James d’un œil perçant. Puis il se tourna vers la jeune immortelle.
— À toi, maintenant.
Elle était restée silencieuse tout au long du récit de James, luttant pour ne pas exploser devant le calme inflexible avec lequel il mentait. Ses poings étaient serrés, sa mâchoire crispée. Mais maintenant que Marc lui donnait la parole, elle inspira lentement, cherchant à contrôler la colère et la douleur qui l’assaillaient.
— Le matin de sa mort, je suis allée voir Darius, commença-t-elle d’une voix mesurée. Nous avions besoin de mettre certaines choses au clair. Ce n’était pas mon horaire habituel pour lui rendre visite. Nous avions convenu de nous revoir après l’office du matin, pour pouvoir discuter au calme.
Elle prit une profonde inspiration, cherchant à ordonner ses pensées malgré le chaos dans sa tête.
— Quand je suis arrivée, ils étaient déjà là. Ils l’encerclaient, le forçaient à s’agenouiller. Il ne pouvait pas se défendre. Il ne pouvait même pas parler.
Elle marqua une pause, croisant le regard de James, sentant la rage monter en elle.
— Ils ne savaient pas que je viendrais. Ils étaient là pour lui. Et moi… moi, j’ai surgi au mauvais moment.
Son regard glissa sur les hommes que James avait désignés plus tôt.
— J’ai essayé d’intervenir, mais ils m’ont plaquée au sol. James…
Elle se tourna vers lui, ses yeux brûlants de colère.
— …tu m’as tiré dessus.
— Tu pensais que j’étais une mortelle, que je n’étais qu’un dommage collatéral.
Un murmure parcourut la salle.
— Puis vous avez abattu Darius. Vous n’avez pas hésité une seconde. Vous l’avez exécuté comme un criminel, alors qu’il ne représentait aucune menace.
Sa voix trembla, mais elle ne s’arrêta pas.
— Et c’est là que j’ai reçu son quickening. Parce que j’étais là, parce que je n’étais pas encore morte. Mais vous n’étiez pas préparés à ça.
Elle marqua un temps, observant James avec intensité.
— Le quickening les a forcés à fuir, reprit-elle en s’adressant aux autres guetteurs.
Marc observait Horton avec attention, jaugeant ses réactions. Mais avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, Methos prit la parole pour soutenir Aélis.
— Je voudrais ajouter quelque chose que vous semblez ignorer. Et toi aussi, je pense, dit-il en s’adressant à la jeune immortelle.
Elle tourna la tête vers lui, surprise.
— Il nous est physiquement impossible de nous en prendre à l’un des nôtres dans un lieu sacré.
Methos balaya les visages devant lui, s’assurant que tous l’écoutaient.
— Pour la plupart d’entre nous, il s’agit de respect et de règles. Mais il y a plus que cela. De puissantes forces à l’œuvre, que je ne saurais expliquer, nous empêchent d’attaquer un autre Immortel dans ces lieux.
Il laissa planer un instant de silence avant d’ajouter :
— J’ai, à plusieurs reprises, été témoin de tentatives qui se sont toutes soldées par des échecs.
Son regard se posa un instant sur James, dont l’expression s’était imperceptiblement tendue.
— Je ne peux pas expliquer pourquoi, mais je peux confirmer une chose : si Aélis a bien reçu le quickening de Darius en lieu saint, alors elle n’est pas celle qui lui a tranché la tête.
Les murmures se propagèrent parmi les Guetteurs. L’information avait frappé fort. James n’avait rien prévu pour contrer un tel argument. Il restait impassible, mais le malaise était là. Tous les regards s’étaient tournés vers lui et ses alliés.
Marc soupira, puis d’un geste bref, ordonna :
— Détachez-la.
Un Guetteur s’approcha et coupa les liens. Elle sentit la pression sur ses poignets s’atténuer, mais l’oppression dans sa poitrine, elle, restait intacte. Son corps était tendu, épuisé, mais son esprit refusait de céder. Elle prit une lente inspiration, puis chercha instinctivement du regard la seule personne qui comptait encore dans cette pièce.
Methos.
Il était là, droit, impassible en apparence. Pourtant, elle vit la façon dont ses doigts s’étaient légèrement crispés. Il ne bougea pas immédiatement, comme s’il s’imposait une distance, comme si le moindre mouvement risquait de fissurer la façade qu’il s’efforçait de maintenir. Alors elle fit un pas vers lui. Puis un autre. Il ne lui fallut pas plus d’une seconde pour comprendre. Il l’accueillit sans un mot. Ses bras se refermèrent autour d’elle avec une fermeté mesurée, un équilibre étrange entre maîtrise et relâchement. Un instant, elle sentit ses muscles se tendre comme s’il se retenait de la serrer trop fort, puis il abandonna. Juste un peu. Juste assez pour qu’elle sente la chaleur rassurante de sa présence. Elle inspira profondément contre son épaule, retrouvant cette odeur familière, presque apaisante.
— Tu es arrivé trop tard, j’avais déjà tout sous contrôle, murmura-t-elle, sa voix légèrement rauque.
Elle avait tenté un trait d’humour, une façon de ramener un semblant de normalité après ces heures d’incertitude. C’était un réflexe, une manière d’alléger la tension.
Methos, lui, ne savait pas trop comment réagir. Il aurait pu en rire, sous d’autres circonstances. Il aurait pu lui lancer une réplique mordante en retour, comme ils en avaient l’habitude. Mais là, les mots restèrent bloqués quelque part entre sa gorge et sa conscience.
— Ce n’est pas drôle, Aélis, souffla-t-il, son ton plus bas, plus grave qu’il ne l’aurait voulu.
Il sentit son corps se détendre légèrement contre le sien, mais lui, restait tendu. Il se surprit à resserrer brièvement son étreinte, comme pour s’assurer qu’elle était bien là, que ce n’était pas une illusion fugace. Il avait eu peur. Pas seulement pour elle. Pour lui aussi.
Elle ouvrit la bouche, peut-être pour répondre, mais se ravisa en percevant la tension dans son corps. Il n’avait pas besoin d’un échange de plaisanteries, pas cette fois. Elle se contenta de rester là, ses doigts accrochés au tissu de sa veste, ancrée à lui comme à une réalité plus tangible que tout ce qu’elle avait traversé ces dernières heures.
Le silence s’éternisa dans la pièce. Aélis, toujours blottie contre Methos, sentait son souffle lent et maîtrisé, un ancrage nécessaire après l’ouragan qu’elle venait de traverser.
Marc, de son côté, observait la scène sans un mot, ses bras croisés et son regard perdu dans ses pensées. Il ne semblait pas pressé de briser le calme qui s’était installé. Lorsqu’il reprit enfin la parole, sa voix était posée, mais ferme.
— Il y a une chose que j’aimerais clarifier.
Aélis redressa légèrement la tête, se détachant lentement de son compagnon, bien que sa proximité reste un réconfort tacite. Elle se tourna vers Marc, sentant la tension revenir dans son dos.
— Darius avait récupéré un… "quickening blanc", poursuivit Marc en choisissant ses mots avec soin. Comment se fait-il que…
Il marqua une pause, son regard oscillant entre les deux immortels, puis reprit avec plus d’assurance :
— Si elle en a hérité, pourquoi n’est-elle pas devenue comme lui ?
Les Guetteurs présents se raidirent imperceptiblement. Tous comprenaient ce que Marc insinuait. Darius, après avoir reçu le quickening d’Emrys, s’était transformé en un homme de paix, abandonnant la violence et les ambitions de conquête qui l’avaient défini jusque-là. Aélis, en revanche, n’avait montré aucun signe d’un tel changement. Un mince sourire passa sur les lèvres de l’Immortelle à cette évocation. Elle devait admettre qu’après son court séjour parmi eux, elle avait davantage donné l’impression d’être consumée par la rage que par la sagesse d’un prêtre.
Methos secoua lentement la tête.
— Je ne sais pas, répondit-il, pensif. Peut-être que le fait qu’elle ait reçu ce quickening en lieu saint y est pour quelque chose ? Ou bien les "couleurs" des quickenings n’affectent-elles que ceux qui se trouvent à l’autre extrémité du spectre ? Nous n’avons pas encore de réponse à cette question...
Il se tourna légèrement vers Aélis, cherchant son regard, mais elle semblait ailleurs, plongée dans une réflexion intense. Puis elle parla.
— C’est une question de volonté.
Son compagnon la fixa, surpris, tandis qu’elle relevait la tête pour affronter les regards posés sur elle.
— Emrys, le sage que Darius a tué aux portes de Paris il y a mille cinq cents ans, a donné sa vie pour protéger la ville…
Sa voix était calme, maîtrisée, mais elle portait une intensité nouvelle.
— Darius planifiait de lever une armée d’immortels imbattables pour asseoir sa domination. Il aurait réussi. Emrys le savait, c’est pourquoi il a mis toute sa volonté dans son quickening pour changer celle de son successeur. Une volonté de paix et d’amour pour remplacer celle de conquête et de guerre.
Marc ne bougea pas. Il écoutait, attentif. La jeune immortelle marqua une pause avant de conclure, croisant son regard.
— Darius n’a pas souhaité me transmettre cela. Il m’a légué cette certitude, gravée au fond de moi. Il a préféré respecter ce que je suis aujourd’hui et a confiance en ce que je deviendrai.
Un silence suivit, plus pesant encore que les précédents. Aélis inspira profondément et ajouta, sa voix plus basse, mais non moins affirmée :
— Je ne suis pas un danger pour vous.
Marc hocha lentement la tête, digérant les informations qui s’étaient accumulées en si peu de temps. Son regard passa de James à Methos, puis revint sur Aélis.
— Récapitulons, déclara-t-il d’une voix mesurée.
Il énuméra lentement :
— Darius a été assassiné. Son quickening a été reçu par Aélis, mais elle ne pouvait pas être celle qui a porté le coup fatal puisqu’elle était dans un lieu sacré. Vous, James et tes hommes, vous dites que vous étiez simplement dans les environs, et que vous avez vu Aélis quitter les lieux en hâte après la mort de Darius. Il marqua une pause, sondant le regard du Guetteur impliqué.
— Mais Aélis affirme que vous étiez là bien avant elle, que vous l’avez attaquée et que vous avez fui quand le quickening a frappé.
Son regard perçant s’attarda sur James un instant de plus, comme pour observer chaque micro-réaction. Ce dernier, impassible, soutint son regard sans broncher.
— Exact, répondit-il avec aplomb. Mais ma version est la seule qui repose sur des faits vérifiables.
Marc ne répondit rien, mais l’ombre d’un doute traversa son expression. Joe, en retrait depuis plusieurs minutes, observait la scène avec une attention accrue. Puis il posa les yeux sur James. Il le connaissait depuis longtemps, savait lire son langage corporel. Et ce qu’il vit à cet instant fit naître un mauvais pressentiment. L’homme était tendu, mais ce n’était pas uniquement dû à la pression de l’interrogatoire. Non, c’était autre chose. Une préparation.
Joe comprit en une fraction de seconde : il allait essayer de fuir. Sans un mot, il recula lentement vers la sortie. Puis, d’un pas fluide et mesuré, il sortit discrètement de la pièce. Une fois dans le couloir, il s’éloigna rapidement, attrapant son téléphone dans la poche de sa veste.
La pluie fine tombait en un rideau silencieux sur les pavés, brouillant légèrement les contours des réverbères. Duncan était appuyé contre sa voiture, les bras croisés, son regard fixé sur l’imposante façade du QG des Guetteurs. Il détestait attendre, surtout quand ses amis étaient à l’intérieur, pris au cœur d’un affrontement qui pourrait mal tourner d’un instant à l’autre. Pourtant, il savait qu’entrer serait une erreur. Il était trop reconnaissable. Sa présence seule risquait d’aggraver la situation. Le téléphone vibra dans sa poche. Il décrocha aussitôt.
— Joe ?
— C’est moi, répondit la voix grave de son ami.
Il y avait une tension inhabituelle dans son ton, ce qui fit immédiatement se redresser Duncan.
— Dis-moi que ce n’est pas en train de mal tourner…
Un bref silence, puis Joe souffla :
— Marc commence à voir clair dans le jeu de James, mais il n’a pas encore officiellement pris de décision.
— James sait qu’il est foutu, alors ?
— Il commence à le comprendre, oui. Et je te garantis qu’il ne va pas attendre bien sagement qu’on décide de son sort.
Duncan balaya les environs du regard.
— Tu veux que je fasse quoi ?
— Je veux que tu sois prêt.
Le ton de Joe était grave, sans équivoque.
— Prêt à quoi ?
— À l’intercepter s’il essaie de fuir.
Duncan pinça l’arête de son nez, expirant lentement.
— Il ne partira pas seul.
— Non. Il a encore des alliés, et certains doivent déjà être en train de lui préparer une porte de sortie.
— Par où pourrait-il passer ?
— Il y a un accès par l’arrière du bâtiment, une sortie de service utilisée pour le transfert des archives et du matériel. En théorie, il est sous surveillance.
Duncan esquissa un sourire sans joie.
— En théorie seulement.
— Exactement, grogna Joe. Si James a encore des soutiens, l’un d’eux pourrait lui ouvrir une voie dégagée.
— Je vais surveiller cette issue.
— Fais ça. Moi, je vais voir si je peux savoir qui, à l’intérieur, pourrait être tenté de l’aider.
— Compris.
Duncan raccrocha et glissa son téléphone dans sa poche. Il sentit l’adrénaline monter, son instinct affûté par l’attente. Il avait l’impression d’être un prédateur en chasse, patient, tapi dans l’ombre.
Si James essayait de s’échapper, il ne lui laisserait aucune chance.
Horton comprenait que la situation lui échappait. Chaque mot de Marc, chaque silence appuyé, chaque regard parmi les Guetteurs confirmait ce qu’il redoutait : il était en train de perdre. Peu importait la peur qu’il avait semée, l’influence qu’il avait patiemment construite, tout était en train de lui glisser entre les doigts. Mais il n’avait pas l’intention de rester là à attendre son jugement.
Alors qu’il répondait à Marc avec aplomb, soutenant que sa version était la seule reposant sur des faits vérifiables, il jeta un regard rapide à ses hommes. Le signal était subtil. Un échange de regards, une tension imperceptible dans ses traits, mais suffisant pour être compris par ceux qui lui étaient restés fidèles. Il lui fallait une diversion, un instant d’agitation qui détournerait l’attention de Marc et des autres Guetteurs.
Il abaissa lentement son regard vers la table où reposaient encore les affaires d’Aélis. Parmi elles, son épée.
— Si vous voulez des faits, reprit-il, alors regardons-les de plus près.
Il tendit la main et saisit l’arme avec une aisance troublante, la soulevant pour l’examiner sous la lumière blafarde de la pièce.
— Une arme parfaitement équilibrée, commenta-t-il, la faisant tourner légèrement dans sa paume. Conçue pour tuer en un éclair.
Les Guetteurs se tendirent imperceptiblement. Certains échangèrent des regards inquiets. Aélis, toujours proche de Methos, se redressa légèrement, méfiante.
— James, pose cette arme, ordonna calmement Marc.
Ce dernier ne bougea pas.
— Pourquoi ? Je veux simplement comprendre…
D’un geste vif et brutal, il pivota et planta la lame dans l’épaule d’un Guetteur se tenant à sa gauche. L’homme poussa un cri de douleur et s’effondra sur un genou, tandis que la salle explosait en un chaos soudain.
Dans la confusion immédiate, ses hommes entrèrent en action. L’un d’eux bouscula violemment un collègue, tandis qu’un autre renversa une table, projetant des documents au sol. Plusieurs Guetteurs se précipitèrent pour maîtriser James, mais il esquiva et se glissa vers la sortie.
Marc réagit immédiatement.
— Attrapez-les !
Mais le chaos était déjà trop grand. Profitant de l’agitation, Horton et trois de ses fidèles filèrent vers la porte. Aélis tenta de se dégager pour lui barrer la route, mais Methos la retint juste à temps.
— Pas maintenant, murmura-t-il.
James s’engouffra dans le couloir, disparaissant avant que quiconque ne puisse l’intercepter. Marc jura entre ses dents, puis se tourna vers les Guetteurs présents.
— Que quelqu’un prévienne la sécurité ! Verrouillez les issues !
Mais c’était déjà trop tard. James était en fuite.
La nuit parisienne était lourde et humide, la fine bruine rendant les pavés glissants sous les pas précipités des fuyards. James, suivi de Luc et Bastien, venait tout juste de s’extraire du QG des Guetteurs après avoir semé le chaos à l’intérieur. Ils avaient réussi à se faufiler à travers l’issue secondaire, évitant pour l’instant les hommes de Marc. Mais ils savaient que le répit serait bref.
Ils avancèrent d’un pas rapide, longeant la façade du bâtiment pour se fondre dans l’ombre des ruelles adjacentes. Horton jetait des regards nerveux autour de lui, analysant les sorties possibles.
— On doit s’éloigner avant qu’ils ne verrouillent tout le quartier, souffla Bastien en accélérant le pas.
— Ne traînons pas, répliqua James d’un ton sec.
Mais à peine avaient-ils franchi quelques mètres hors du bâtiment qu’une silhouette apparut devant eux. Duncan MacLeod. Immobile, il se tenait au centre de leur chemin, jambes légèrement écartées, le regard sombre et déterminé. Il n’y avait aucun doute dans son attitude : il était là pour les stopper. James s’arrêta net, ses deux hommes freinant juste derrière lui.
— Merde…, souffla Luc, sentant l’affrontement inévitable.
Horton leva les mains en un geste faussement apaisant, un sourire crispé sur les lèvres.
— MacLeod, toujours au bon endroit au bon moment, hein ?
Le Highlander ne bougea pas d’un pouce.
— Vous n’irez pas plus loin.
— Tu es seul, MacLeod, intervint James, sa voix retrouvant un semblant d’assurance. Trois contre un… Es-tu sûr de vouloir tenter ta chance ?
Duncan haussa un sourcil.
— Ce ne serait pas la première fois.
Il n’en fallut pas plus pour que Luc tente une attaque. Il se précipita sur lui, mais l’immortel esquiva d’un pas fluide et lui asséna un coup de coude en pleine mâchoire, suivi d’un crochet précis à l’estomac. Luc s’effondra sous l’impact, à demi sonné. Bastien se lança à son tour, mais Duncan anticipa son mouvement et lui faucha les jambes d’un balayage rapide. L’homme tomba lourdement sur les pavés. James, voyant ses hommes à terre en l’espace de quelques secondes, recula instinctivement.
— Tu crois vraiment que tu peux…
Il n’eut pas le temps de finir. Duncan s’avança d’un pas vif, lui décochant un coup puissant en plein thorax. James vacilla, tentant de récupérer son souffle, mais l’immortel ne lui laissa aucun répit. Il l’attrapa par le col et le plaqua brutalement contre le mur le plus proche.
— C’est terminé, gronda-t-il, son regard d’acier planté dans celui de James.
Ce dernier serra les dents, son corps tendu, incapable de se libérer de la prise du Highlander.
— Ça ne l’est jamais, cracha-t-il malgré tout.
Un bruit de pas précipités résonna derrière eux. Duncan tourna brièvement la tête pour voir Joe apparaître à l’angle de la rue, son arme en main. Il prit une seconde pour analyser la scène, puis s’approcha.
— T’as fait tout le boulot, on dirait, lança-t-il en jetant un regard aux Guetteurs à terre.
— Ils n’ont pas été très convaincants, répondit Duncan en desserrant légèrement sa prise sur James.
Joe hocha la tête, puis rangea son arme avant d’attraper Luc par le bras pour le forcer à se relever.
— Allez, debout, vous rentrez avec nous.
James tenta une dernière résistance, se débattant légèrement sous la poigne de Duncan, mais l’Immortel raffermit sa prise et le poussa en avant.
— Marchez.
Les trois hommes n’avaient plus d’issue. Encadrés par Duncan et Joe, ils furent ramenés au QG, leurs chances d’évasion définitivement anéanties.
La tension dans le QG des Guetteurs était presque palpable lorsque la porte s’ouvrit brusquement, laissant apparaître Joe et Duncan, escortant James et ses deux hommes sous les regards ébahis des Guetteurs présents.
Un silence s’abattit immédiatement sur la salle. Tous connaissaient Duncan MacLeod. Son nom figurait dans des centaines de rapports, ses exploits, ses alliances et ses combats détaillés par des générations de Guetteurs. Un Immortel célèbre, un guerrier légendaire. Et pourtant, là, il se tenait parmi eux, encadrant leurs collègues d’une poigne ferme, comme s’il faisait partie de leur monde.
Aélis et Methos réagirent avant tout le monde. L’énergie distincte du Highlander, cette vibration propre aux Immortels, les fit instinctivement tourner la tête vers l’entrée avant même qu’il ne soit visible. Leur mouvement attira l’attention des autres Guetteurs, et une vague de murmures parcourut la salle lorsque Duncan franchit le seuil, les vêtements encore humides de la pluie extérieure.
Marc, qui s’était tenu légèrement en retrait, croisa les bras, détaillant la scène d’un regard perçant. Son attention se posa d’abord sur James, puis sur Joe, et enfin sur Duncan.
— MacLeod, souffla un Guetteur à voix basse.
Duncan sentit les regards braqués sur lui, mais il ne leur prêta pas attention. Il poussa James en avant sans ménagement, l’obligeant à avancer. Joe fit de même avec Luc et Bastien, qui baissèrent la tête sous le poids des regards. Marc rompit le silence en s’adressant à Joe, sa voix calme masquant une curiosité mêlée d’exaspération.
— Merci pour votre aide, Joe… et Duncan MacLeod.
Il laissa planer un silence avant d’ajouter, son regard se durcissant légèrement :
— Mais j’aimerais comprendre pourquoi un Immortel aide un Guetteur à capturer ses propres hommes.
Duncan échangea un bref regard avec Joe, mais ce fut ce dernier qui répondit.
— James allait s’enfuir, et tu sais aussi bien que moi que s’il y arrivait, il deviendrait ingérable.
Marc ne sembla pas totalement convaincu, mais il hocha la tête.
— Soit. Mais ce n’est pas la seule chose que je veux éclaircir.
Son regard se fixa sur Joe, plus insistant.
— Depuis combien de temps es-tu en contact avec MacLeod ?
Joe inspira profondément avant de répondre, sachant qu’il n’y avait plus de raison de jouer la carte du silence.
— Depuis longtemps.
— Tu es censé l’observer, pas collaborer avec lui.
Joe baissa brièvement les yeux, acceptant la réprimande en silence.
— Nous reparlerons de tout ça plus tard, soupira finalement Marc, avant de reporter son attention sur ceux qu’il devait gérer en priorité.
Il balaya la pièce du regard.
— Vous êtes libres de partir, déclara-t-il enfin en direction d’Aélis et Duncan.
Puis, après un temps d’arrêt, il se tourna vers Methos.
— Quant à toi, Adam, tu restes ici. Nous avons encore des choses à régler.
Un silence suivit. Aélis, pourtant, ne bougea pas. Son attention s’était fixée sur le journal de Darius, toujours posé sur la table.
— Je veux le lire.
Le chef des guetteurs hocha simplement la tête, sans poser de question. Elle s’approcha et attrapa le journal avec précaution avant de s’éloigner légèrement, s’installant dans un coin de la pièce pour le feuilleter. Duncan suivit son mouvement du regard, curieux, mais Joe posa une main sur son bras.
— Laisse-lui un moment.
Le Highlander se contenta d’un hochement de tête, reportant son attention sur James, toujours entravé.
De son côté, Aélis parcourait les pages, son cœur battant plus fort à chaque ligne. Les mots de Darius résonnaient en elle comme un écho lointain, emplis d’une tendresse et d’une sagesse qu’elle avait cruellement perdues. Puis elle s’arrêta sur la dernière page. Ses doigts tremblèrent légèrement en la parcourant, et elle referma doucement le journal. Elle revint vers Marc, le tenant toujours serré contre elle.
— Je veux garder la dernière page.
Le chef des Guetteurs la fixa, surpris.
— Ce journal appartient aux Guetteurs, Aélis.
— Il appartenait à Darius…
Un silence, puis elle reprit :
— Cette page m’est destinée. Il y a laissé quelque chose que je ne peux pas abandonner ici.
Marc pesa ses mots, jaugeant la détermination dans ses yeux. Puis il hocha lentement la tête. Avec précaution, elle détacha la page, la plia et la glissa contre son cœur avant de refermer le journal. Elle se tourna ensuite vers Duncan et le lui tendit.
— Il parlait beaucoup de toi.
Il hésita, puis s’en saisit. Cette fois, il l’ouvrit, feuilletant les pages avec une lenteur mesurée, s’attardant sur certains passages, lisant quelques mots en silence. L’émotion se peignit brièvement sur ses traits, avant qu’il ne prenne une inspiration profonde et ne repose le journal sur la table.
— On y va, dit-il simplement.
Aélis acquiesça. Avant de quitter la pièce, elle s’approcha discrètement de Methos et le serra brièvement dans ses bras. Il ne dit rien, mais sa main effleura son dos, comme une promesse silencieuse. Duncan, lui, se contenta d’une tape sur l’épaule avant de suivre la jeune femme hors du QG.
La salle était plongée dans le silence. Marc, le chef des guetteurs, se tenait debout au centre, observant chaque visage dans l’assemblée. Ses yeux passèrent lentement sur chacun des accusés, comme pour sonder les cœurs de ses collègues. Methos, bras croisés, se tenait légèrement en retrait contre le mur, son expression indéchiffrable, suivant silencieusement l’échange.
James, raide et défensif, était entouré de ses acolytes, certains regardant le sol, mais tous visiblement mal à l’aise. Marc brisa le silence, sa voix résonnant calmement dans la pièce, avec une gravité qui ne laissait place à aucune équivoque.
— De ce que j’ai pu comprendre aujourd’hui, suite à l’évènement inopiné qui vient de se produire en nos murs…
Il marqua une pause, jetant un coup d’œil vers Methos avant de poursuivre.
— …il semble que vous soyez coupables, dit-il en désignant James et ses hommes d’un geste lent et accusateur, du meurtre de Darius.
— Intervenir est tout à fait contraire à nos règles et à notre éthique, reprit-il après un instant de silence. Alors expliquez-moi. Pourquoi ?
Un silence lourd s’installa. James, mâchoire serrée, fixait le sol devant lui. Ses doigts se crispaient sur les accoudoirs de sa chaise. Les autres n’osaient même pas lever les yeux.
Marc soupira et fit quelques pas dans la pièce.
— Je ne comprends pas, reprit-il, sa voix teintée d’une colère contenue. Vous étiez de bons éléments. Ce que vous avez fait… ça n’a aucun sens.
Un moment passa avant que James ne relève les yeux, ses traits fermés.
— Darius était une abomination, finit-il par lâcher, sa voix rauque brisant le silence. Tous les immortels le sont.
Le chef des Guetteurs haussa un sourcil, clairement abasourdi.
— Une abomination ? Darius était un homme de paix, James.
L’accusé redressa les épaules, comme s’il se nourrissait de sa propre colère.
— Ça n’a pas d’importance, cracha-t-il. Qu’ils soient bons ou mauvais, peu importe. Un jour, il n’en restera qu’un. Et ce dernier immortel, quel qu’il soit, aura un pouvoir que personne ne devrait détenir.
— Alors tu t’es érigé en juge et bourreau, c’est ça ? Pour sauver l’humanité ?
James garda le silence, son visage se refermant à nouveau.
— Tu n’as rien à ajouter ? insista Marc, mais James resta mutique.
Un mouvement à gauche attira l’attention. Luc semblait sur le point de parler. Ses mains tremblaient légèrement, et il évitait de croiser le regard de James.
— C’est François, murmura-t-il finalement.
Marc pivota vers lui, soudain attentif.
— Quoi, François ?
Luc leva les yeux, visiblement rongé par le poids de sa confession.
— On l’a tué, avoua-t-il, sa voix brisée.
James lui jeta un regard noir alors qu’un murmure de stupéfaction parcourut la salle.
— Pourquoi ? demanda Marc, l’air atterré.
Luc hésita avant de répondre, mais il finit par tout déballer, comme si cela pouvait alléger sa conscience.
— François nous a reconnus, dit-il en désignant ses compagnons. Il nous a vus quitter l’église après… après qu’on ait tué Darius.
Il s’interrompit, cherchant ses mots sous le regard perçant de Marc.
— Il est entré peu de temps après notre départ, continua-t-il. Il a vu le corps de Darius...
Le chef des Guetteurs fronça les sourcils, tentant de comprendre.
— Et alors ?
— Il nous a convoqués chez lui, avoua Luc. Il voulait des réponses. Il nous a dit qu’il avait des doutes. Qu’il pensait qu’on était impliqués.
— Et vous l’avez tué ?
Luc hocha lentement la tête, les larmes aux yeux.
— James… James a dit qu’on n’avait pas le choix.
Marc tourna son regard vers James, dont le visage était fermé, impassible.
— Nous allons délibérer, dit-il d’une voix ferme.
Il désigna d’un signe de tête quelques Guetteurs de confiance, et ensemble, ils quittèrent la salle, laissant derrière eux un silence pesant.
Après une trentaine de minutes, Marc et ses conseillers revinrent. Leur démarche était lourde, solennelle, et l’air grave qui marquait leurs visages fit comprendre à tous que le verdict allait tomber. Il reprit sa place au centre de la salle et fixa James et ses hommes.
— Ce que vous avez fait est une trahison de tout ce que représente notre Ordre, dit-il d’un ton glacial, chaque mot martelé avec une intensité implacable. Vous n’avez pas seulement violé nos règles ; vous avez souillé notre mission, notre raison d’être.
Il balaya la salle du regard, comme pour s’assurer que chacun mesurait la gravité de ses paroles.
— Nous sommes là pour observer, pas pour intervenir, reprit-il, sa voix prenant une profondeur presque prophétique. Nous avons juré de ne jamais devenir les juges ou les bourreaux des immortels. Ce serment, vous l’avez foulé aux pieds.
James serra les poings, mais resta silencieux, son regard toujours défiant.
— En assassinant Darius, un homme de paix et de foi, vous n’avez pas seulement tué un immortel. Vous avez trahi notre Ordre, nos valeurs, et la confiance que vos frères et sœurs plaçaient en vous.
— Mais votre crime ne s’arrête pas là, reprit-il, d’un ton plus grave encore. Vous avez également tué François, l’un des nôtres. Un homme qui avait consacré sa vie à notre mission. Ce meurtre est une trahison inexcusable, un acte contraire à tout ce que nous représentons.
Un murmure traversa l’assemblée, mais Marc leva une main pour rétablir le silence.
— Vous êtes exclus de l’Ordre, à vie, déclara-t-il d’une voix implacable. Vos noms seront rayés de nos registres, et vous serez identifiés comme des traîtres.
Il laissa ses paroles s’installer, le poids de la sentence retentissant dans chaque coin de la salle.
— Vous n’êtes plus des nôtres, continua-t-il, son ton prenant une nuance encore plus sombre. Et que cela soit clair : si vous tentez à nouveau de traquer des immortels, nous le saurons. Et vous serez considérés comme des ennemis, traqués et punis en conséquence.
James, incapable de rester assis plus longtemps, se leva lentement. Son regard, chargé de défi, croisa celui de Marc.
— Vous croyez vraiment que votre éthique suffira à protéger ce monde ? railla-t-il, sa voix basse mais mordante.
Ce dernier ne cilla pas.
— Ce n’est pas à nous de protéger le monde de cette manière, James, répondit-il avec une sérénité glaciale. Et ce n’est certainement pas à toi.
Horton serra les dents, mais avant qu’il ne puisse répondre, Marc conclut.
— Maintenant, partez. Et priez pour que nous ne croisions plus jamais vos chemins.
Un silence lourd s’abattit alors que James et ses hommes quittaient la pièce, leur présence semblant aspirer la tension avec eux. Quand la porte se referma derrière eux, Marc resta un moment immobile, ses épaules légèrement affaissées par le poids de cette décision.
Il tourna alors la tête vers Methos, qui le fixait avec une intensité discrète mais perçante.
— Passons à ton cas maintenant… Adam…
Profitant de l’absence de Methos, retenu au QG des Guetteurs, Aélis était assise sur le canapé, la feuille pliée serrée entre ses mains. Pendant un long moment, elle resta immobile, fixant le papier comme s’il s’agissait d’un trésor fragile, unique. Puis, avec une lenteur presque solennelle, elle le déplia et laissa ses yeux parcourir les mots écrits par Darius.
Chaque ligne vibrait d’une force qu’elle ne pouvait ignorer. Les phrases résonnaient en elle comme une prière, une mélodie empreinte de sagesse et d’amour. Les lettres élégantes semblaient encore imprégnées de l’énergie de celui qui les avait tracées. En les relisant, les mots prirent vie dans son esprit. Sa voix, grave et douce, empreinte de cette sagesse et de cette chaleur qui avaient toujours su l’apaiser chantait dans sa tête alors qu’elle avançait de mot en mot. Chaque phrase résonnait comme un écho vibrant de sa présence.
Les larmes commencèrent à couler, d’abord discrètes, puis en torrent incontrôlable. Elle porta une main à sa bouche pour étouffer un sanglot, mais ne chercha pas à maîtriser sa peine. Cela faisait terriblement mal, mais au cœur de cette douleur, une chaleur étrange et réconfortante l’envahissait, comme si Darius, d’une manière ou d’une autre, lui tendait la main à travers l’éternité.
Elle relut encore et encore, absorbant chaque mot jusqu’à ce qu’ils s’imprègnent profondément en elle. À chaque passage, ils se gravaient un peu plus dans son cœur, comme si elle cherchait à préserver à jamais leur pureté et leur force. Elle voulait qu’ils restent intacts, qu’ils continuent à la guider.
Quand enfin elle sentit qu’elle connaissait chaque mot par cœur, elle se leva lentement. Elle récupéra une petite coupelle posée sur une étagère, y déposa la feuille, et, sans aucune hésitation mais d’un geste solennel, alluma une allumette. Elle regarda la flamme lécher le papier, les mots de Darius se dissipant en volutes de fumée.
Les cendres noircies tombèrent dans la coupelle. Aélis souffla doucement dessus, dispersant les restes avec précaution. Elle resta là un moment, immobile, ses pensées vagabondant entre le passé et l’avenir, les cendres s’éparpillant comme les fragments d’une étoile disparue.
Lorsque Methos rentra ce soir-là, il trouva Aélis encore éveillée, assise devant une petite coupelle contenant des cendres. Elle semblait plongée dans une profonde introspection. Son regard se posa brièvement sur la coupelle, et il comprit immédiatement ce qu’elle avait brûlé. Sans un mot, il s’assit à côté d’elle et posa doucement une main sur sa cuisse, lui offrant un réconfort silencieux. Il attendit qu’elle rompe elle-même le silence.
— Alors ? demanda-t-elle finalement, sa voix basse, mais chargée de sous-entendus.
— C’est réglé, répondit-il calmement.
Elle leva les yeux vers lui, cherchant une réponse plus précise dans son regard insondable. Après quelques secondes d’hésitation, elle demanda :
— Ils sont morts ?
— Ils ne nous dérangeront plus, répondit-il, sans s’attarder davantage. Il voulait y croire, mais son expérience lui murmurait le contraire.
Son ton était volontairement évasif, mais le regard interrogateur d’Aélis resta accroché au sien, cherchant à percer l’ambiguïté de ses mots. Pourtant, elle choisit de ne pas insister.
— Et pour toi ? Qu’ont-ils décidé ? demanda-t-elle finalement, son ton empreint d’un mélange de curiosité et de préoccupation.
Methos lui expliqua alors, d’une voix mesurée, la décision prise par Marc. Conscient qu’une partie de l’Ordre échappait à son contrôle, ce dernier avait décidé d’initier un nouveau projet : la création d’une annexe historique, dédiée à la documentation du vécu des immortels. Ce travail ambitieux chercherait à rassembler leurs récits, leurs émotions et leurs perspectives sur l’histoire humaine.
L’objectif de cette initiative était double. D’un côté, elle visait à éclairer l’histoire des mortels sous un jour nouveau, en y intégrant les témoignages uniques de ceux qui l’avaient traversée depuis des siècles. De l’autre, elle espérait sensibiliser les guetteurs aux réalités et aux complexités des vies immortelles, et, à terme, favoriser une coexistence plus harmonieuse entre mortels et immortels.
Bien que le projet en soit encore à ses balbutiements, Methos y discernait un potentiel prometteur. Il percevait, derrière cette entreprise, une opportunité rare de rapprocher deux mondes souvent opposés par la peur et l’incompréhension.
Aélis l’écouta attentivement, et un sourire léger vint éclairer son visage. Ce n’était pas un sourire de joie, ni même de soulagement, mais un sourire fragile, teinté d’un apaisement qu’elle n’avait plus ressenti depuis des semaines. Une esquisse de sérénité au milieu du chaos. Methos le remarqua immédiatement. Il connaissait ces sourires-là. Ceux qui n’effaçaient rien, mais qui signifiaient que, malgré tout, quelque chose en elle résistait encore. Qu’elle était toujours debout. Encouragé par cette lueur fugace, il se pencha doucement vers elle et déposa un baiser précautionneux sur ses lèvres, hésitant comme s’il craignait de la brusquer. Elle l’accueillit avec douceur, fermant les yeux pour savourer pleinement cette intimité retrouvée. Lentement, elle posa une main sur sa nuque, se rapprochant de lui dans un élan instinctif. Mais alors qu’elle sentait son souffle contre sa peau, une hésitation la traversa.
Elle recula légèrement, son regard glissant vers la coupelle de cendres devant elle, ses pensées dérivant vers tout ce qui avait été perdu. Vers Darius. Vers ce qu’ils avaient partagé, ce qu’elle n’avait pas su comprendre à temps.
Et maintenant… maintenant, il y avait Methos.
Une chaleur subtile s’insinua en elle à cette seule pensée, immédiatement suivie d’une vague de culpabilité. Avait-elle le droit d’éprouver ça ? Cette envie, cette nécessité d’être proche de lui, de sentir sa présence comme un ancrage ?
Elle releva la tête et croisa son regard. Methos la regardait différemment ce soir. Il avait compris. Il ne bougea pas, lui laissant l’espace de sa réflexion. Il ne voulait ni la persuader, ni la rassurer à demi-mot. Il voulait qu’elle choisisse. Elle hésita un instant de plus, puis, dans un souffle :
— Pourquoi es-tu resté avec moi après tout ça ?
Elle s’attendait à une pirouette, à une moquerie destinée à alléger l’instant. Mais au lieu de sourire, il laissa le silence s’installer.
— Parce que je ne voulais pas être ailleurs, répondit-il simplement.
Elle sentit un frisson la parcourir. Il ne disait pas ça pour elle. Pas pour alléger sa conscience, pas pour la convaincre. Pas par devoir, ni pour honorer une promesse. Il disait juste la vérité.
Quelque chose céda en elle, un dernier rempart qu’elle n’avait plus la force de maintenir. Elle posa sa main sur sa joue, son pouce effleurant sa peau avec douceur, comme pour s’assurer qu’il était bien réel. Il l’attira doucement contre lui, et cette fois, ce fut elle qui chercha ses lèvres. Un baiser plus assuré, plus entier. Leurs gestes étaient mesurés, lents, comme s’ils redécouvraient quelque chose qu’ils n’avaient jamais totalement exploré. Cette nuit-là, ils firent l’amour avec une infinie délicatesse, comme pour apaiser les plaies invisibles qui marquaient encore leurs âmes.