Le Prix à payer - Highlander Fanfiction

Chapitre 8 : Une Étoile Qui S’Éteint

14097 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 5 mois

Une fois rentrée chez elle, Aélis s’écroula sur son lit et sombra aussitôt dans le sommeil. Pourtant, il fut agité, ponctué de souvenirs qui s’imposaient à elle avec une netteté troublante. Le murmure d’une voix grave à son oreille, la pression d’une main sur sa peau, la chaleur d’un souffle contre sa nuque… Chaque sensation semblait encore imprimée en elle, trop récente pour être simplement effacée par la fatigue. Quand elle ouvrit les yeux, l’espace d’un instant, elle se demanda si tout cela n’avait été qu’un rêve. Elle repoussa cette pensée et se leva, chassant les réminiscences de la nuit passée d’un soupir. Il valait mieux ne pas trop s’attarder sur ce qu’elle ressentait. Pas maintenant.

Quelques heures plus tard, elle se prépara pour sa soirée avec Methos. Un moment de légèreté ne lui ferait pas de mal. Son compagnon avait cette façon bien à lui d’être un équilibre entre la dérision et la lucidité, une ancre qui lui permettait de ne pas trop se perdre dans les méandres de ses propres pensées.

 

Elle arriva chez lui vers 18h00. Ils avaient décidé de passer un moment ensemble avant d’aller voir un spectacle qui tenait particulièrement à cœur à l’immortel. L’ambiance était détendue, ponctuée de discussions légères et du tintement du vin contre leurs verres. Methos parlait avec cette verve qui le caractérisait, et elle se laissa porter par le flot de ses anecdotes, savourant cette légèreté bienvenue. Mais alors qu’ils parlaient, elle laissa échapper un bâillement, qu’elle tenta maladroitement d’étouffer.

— Désolée, souffla-t-elle, je n’ai pas dormi cette nuit… Mais je te promets de ne pas m’endormir devant le spectacle !

Methos lui lança un regard en coin, un sourire moqueur au bord des lèvres.

— Oh, c’est donc pour ça ? Je me demandais ce qui pouvait bien t’épuiser autant. Tu étais en bonne compagnie ?

La remarque était lancée sur un ton purement taquin, sans attente particulière, mais elle eut l’effet d’une déflagration sur la jeune femme. Elle se figea imperceptiblement, et son compagnon capta aussitôt le changement dans son expression. Amusé et intrigué, il haussa un sourcil.

— Eh ! Tu passes tes nuits avec qui tu veux, fit-il d’un ton léger.

Aélis hésita. Elle n’avait jamais eu l’intention de cacher ce qui s’était passé, mais elle n’avait pas trouvé le bon moment pour l’évoquer. Et maintenant qu’elle y était confrontée, elle n’avait aucune envie de tourner autour du pot. Elle attendit qu’il porte le verre à ses lèvres, puis lâcha d’un trait :

— J’ai passé la nuit avec Darius.

Methos s’étouffa aussitôt et posa précipitamment son verre, toussant pour retrouver son souffle.

— Darius ?!

Aélis hocha légèrement la tête, le laissant digérer l’information.

Notre Darius ?! insista-t-il, encore sous le choc.

Il ouvrit la bouche, puis la referma, incapable de décider s’il devait rire ou rester interdit. Un battement de cœur passa, puis un autre. Lentement, il secoua la tête, comme si ça pouvait l’aider à assimiler l’information.

Darius. Darius.

Pendant un instant, il essaya de se dire que ça n’avait rien d’extraordinaire. Après tout, il en avait vu d’autres. Les Immortels étaient des créatures de paradoxes, des êtres en perpétuelle dualité entre ce qu’ils étaient et ce qu’ils tentaient d’être. Darius ne faisait pas exception à cette règle. Il le savait bien. Il l’avait toujours su. Mais avec elle ?

L’idée l’aurait fait sourire, si elle n’avait pas soulevé en lui une étrange sensation qu’il n’aurait pas su nommer. Une part de lui aurait voulu trouver ça simplement ironique. Une autre, plus lucide, sentait que ce n’était pas aussi anodin que ça en avait l’air. Darius n’était pas un homme qui cédait à ses impulsions. Il pesait chacun de ses choix, comme s’ils étaient destinés à s’inscrire dans quelque chose de plus grand que lui. S’il avait franchi cette ligne, ce n’était pas sur un coup de tête.

Methos laissa échapper un soupir silencieux, passant une main sur son visage. Il avait toujours su que sous les oripeaux du prêtre se cachait un homme, un vrai, avec ses désirs, ses contradictions et ses failles. Ce n’était pas une révélation. Et pourtant, quelque chose le dérangeait. Il n’aurait su dire si c’était l’identité de l’autre protagoniste, la façon dont Aélis lui avait annoncé la nouvelle, ou ce que tout cela impliquait pour Darius lui-même. Il avait perçu la manière dont elle avait parlé de lui, la nuance dans sa voix, comme une note dissonante sur une mélodie qu’il connaissait par cœur. Ce n’était pas une simple histoire. Il connaissait assez Darius pour savoir que rien, chez lui, n’était jamais "juste un moment d’égarement". Et c’était bien ce qui l’inquiétait le plus.

La question lui échappa, malgré lui :

— Mais qu’est-ce qui vous a pris ?

Elle ouvrit la bouche, hésita, puis haussa les épaules.

— Je suis passée le voir parce qu’il avait besoin de parler. Il a essayé de m’embrasser et… Et je ne vais pas te raconter la suite.

Elle s’attendait à une réplique mordante, une plaisanterie un peu caustique, mais contre toute attente, Methos éclata d’un rire bref et sincère. Surprise, elle ne put s’empêcher de sourire à son tour. Il avait ce don de rendre tout plus léger, de ne jamais juger, et c’était exactement ce dont elle avait besoin à cet instant précis.

Mais lorsque son rire s’estompa, son regard se fit plus sérieux.

— Methos… Il va mal.

L’expression de l’immortel changea aussitôt, la lueur de malice dans ses yeux laissant place à quelque chose de plus grave.

— Tu devrais passer le voir, poursuivit-elle. Je pense qu’il a besoin de parler avec toi et Duncan. Vous avez plus de recul que moi, vous saurez peut-être l’aider.

Methos resta pensif un instant, puis acquiesça lentement.

— Très bien. J’irai le voir.

Elle hocha la tête, soulagée. Ils laissèrent planer un court silence, puis, comme un accord tacite, ils choisirent de ne plus parler de Darius pour le reste de la soirée. Le sujet était clos, du moins pour ce soir.




Comme promis, Methos se rendit à l’église le lendemain soir. En entrant dans les appartements du prêtre, il fut surpris d’y trouver Duncan MacLeod, les deux hommes absorbés par un échiquier. Il se maudit intérieurement d’avoir oublié leur habitude dominicale, mais ne fit aucun commentaire.

Darius leva les yeux, légèrement étonné de sa visite, bien qu’il sembla rapidement en deviner la raison. Après les salutations d’usage, il aborda directement le sujet :

— Je suppose que tu es là pour Aélis.

Le vieil immortel haussa un sourcil, son ton faussement détaché.

— Je suis au courant, oui. Mais c’est une grande fille, elle fait ce qu’elle veut. Ce n’est pas vraiment pour ça que je viens te voir, du moins… pas directement.

Le prêtre inclina légèrement la tête, intrigué. Methos observa brièvement Duncan, toujours silencieux mais attentif, avant d’ajouter avec prudence :

— Elle s’inquiète pour toi, Darius.

Ce dernier laissa échapper un léger soupir, baissant les yeux une fraction de seconde. Methos capta ce signe d’hésitation et jeta un regard vers Duncan. Peu désireux de s’épancher devant un autre témoin, il songea à reporter leur conversation.

— J’avais oublié que tu avais de la compagnie. Si tu préfères, je peux revenir un autre soir.

— Non, puisque vous êtes là tous les deux, autant en parler maintenant.

Duncan redressa légèrement la tête, saisissant immédiatement l’occasion.

— Parler de quoi ?

Darius prit une inspiration mesurée, comme s’il s’apprêtait à un aveu qui lui pesait.

— De mes cauchemars. Je me vois mourir. Ce n’est pas la première fois, mais ces derniers temps, c’est plus intense…

Sa voix était posée, mais les deux immortels perçurent le poids qu’il portait sur ses épaules. Son regard s’égara un instant vers la fenêtre, perdu dans ses pensées.

— Aélis l’a remarqué, continua-t-il. Elle s’inquiète, mais la vérité, c’est que personne ne peut vraiment m’aider. Ce sont mes démons. Je dois les affronter seul.

Il choisit délibérément de ne pas mentionner la nuit passée avec elle. Ce moment appartenait à un autre registre, plus intime, et il n’avait pas sa place dans cette confession. Methos hocha lentement la tête, sans chercher à forcer plus loin. Il posa une main légère sur l’épaule de Darius en guise de soutien.

— Tu sais où me trouver si jamais tu as besoin.

Il échangea un dernier regard avec lui avant de se détourner, quittant l’église sans un mot de plus. Dès que la porte se referma derrière lui, Duncan, qui jusque-là s’était contenté d’observer, laissa enfin éclater sa frustration.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé avec Aélis ?

Darius, surpris par la question directe, garda un ton neutre.

— Rien de grave.

— Ça avait pourtant l’air assez important pour que tu t’excuses immédiatement auprès de Methos.

Un silence s’installa. Le prêtre hésita, puis finit par lâcher simplement :

— J’ai passé la nuit avec elle.

Duncan cligna des yeux, comme s’il avait mal entendu.

— Comment ça « passé la nuit » ?!

Darius soutint son regard sans ciller, mais Duncan, lui, semblait sous le choc.

— Darius… non… non…

— Elle était là quand j’avais besoin d’elle. La soirée n’était pas supposée finir comme ça, mais…

Il s’arrêta, haussant légèrement les épaules.

— Ce qui est fait est fait.

Duncan passa une main sur son visage, comme pour s’assurer qu’il ne rêvait pas.

— Tu réalises ce que ça implique ? Pour elle ? Pour toi ? Pour Methos ?

Darius ne répondit pas tout de suite. Il n’avait pas besoin qu’on lui rappelle l’évidence.

— Je ne regrette pas cette nuit, finit-il par dire, sa voix posée mais lourde de sens. Mais je regrette ce qu’elle a réveillé en moi… des choses que je pensais avoir enterrées depuis longtemps.

Le Highlander croisa les bras, oscillant entre incompréhension et agacement.

— Vous ne pouviez pas y réfléchir avant ?!

— Ne t’est-il jamais arrivé de te laisser emporter par tes instincts, Duncan ?

La remarque eut l’effet d’un couperet. Duncan se tendit légèrement, pris au dépourvu par cette vérité implacable. Pourtant, il ne se désarma pas.

— Ce n’est pas pour elle que je m’inquiète, Darius. C’est pour toi. La dernière fois… Je ne connais même pas son nom, mais je sais ce qu’elle t’a coûté. Tu étais anéanti, et je n’ai aucune envie de te voir revivre ça.

Darius baissa les yeux un instant, le poids du passé refaisant surface. Il ne répondit rien. Duncan soupira, frustré, puis quitta les appartements sans un mot de plus.

 

Sur le chemin du retour, le Highlander céda à son impulsion et appela Methos. La voix de ce dernier était empreinte d’agacement lorsqu’il décrocha.

— Quoi ?

— Darius m’a parlé. À propos d’Aélis, déclara Duncan.

— Je n’ai pas grand-chose à voir dans cette histoire, répliqua Methos sèchement.

– Sérieusement ? Ça ne te gêne pas ?

Un silence s’installa brièvement, mais Duncan perçut l’agacement monter chez son interlocuteur. Methos reprit, d’un ton qu’il voulait détaché :

– Je ne vois pas en quoi ça me concerne. Elle est libre, je suis libre. On ne s’est pas juré fidélité, que je sache.

Le Highlander fronça les sourcils. Ce manque apparent d’émotion le hérissait, tout autant que l’attitude désinvolte de son vieil ami.

– Mais il s’agit de Darius, bon sang !

– Et alors ?! rétorqua Methos, le ton acéré. Darius ou n’importe qui d’autre, personne n’est parfait. Et franchement, Mac, toi non plus. Alors pourquoi tu montes sur tes grands chevaux ?

Duncan sentit la pique, et elle le mit en colère.

– Tu sais quoi ? Ce n’est pas parce que ta vie entière est un exercice de cynisme et de désinvolture que tout le monde doit fonctionner comme toi.

– Oh, mais quel discours ! Combien de fois as-tu toi-même fait des erreurs, MacLeod ? Combien de fois t’es-tu laissé guider par tes propres émotions, au détriment de ta si précieuse morale ?

La remarque atteignit Duncan, mais il refusa de céder.

– Ce n’est pas de moi qu’on parle.

– Exactement, coupa Methos sèchement. Alors mêle-toi de tes affaires. Je crois que Darius et Aélis sont assez grands pour gérer leurs propres vies sans ta supervision.

Duncan resta interdit un instant, cherchant à formuler une réponse. Mais avant qu’il ne puisse répliquer, son ami conclut d’un ton sec :

– Maintenant, souffle un peu et laisse-les tranquilles. Bonne nuit, Mac.

Sans attendre de réponse, Methos raccrocha, agacé. Malgré ses efforts pour rester détaché, une pointe d’irritation sourdait en lui. Il détestait être confronté à des reproches qu’il estimait infondés, encore plus lorsqu’ils remuaient des émotions qu’il n’était pas prêt à explorer. Pourtant, l’incartade de Aélis et Darius lui laissait un goût amer, plus qu’il ne voulait l’admettre.




Le lendemain, alors que l’agitation de la veille s’était apaisée, Methos se décida à retourner voir Darius. Il avait attendu un moment où il savait qu’ils seraient seuls, sans interruption.

Il entra sans hésitation dans l’église, son pas résonnant doucement sur les dalles de pierre. Ses traits étaient marqués par une gravité inhabituelle. Ses yeux se posèrent sur le prêtre, assis sur un banc, droit comme un pilier, mais dont la posture trahissait une fatigue intérieure. Ses mains jointes sur ses genoux semblaient prisonnières d’un poids invisible.

Darius releva lentement la tête à son approche, et leurs regards se croisèrent. Il y avait dans les yeux de ce dernier une tempête silencieuse, un mélange de sérénité feinte et de tourments mal dissimulés.

— Methos, dit-il simplement, d’une voix empreinte de fatigue.

— Darius, répondit-il en inclinant légèrement la tête. J’ai pensé qu’il serait bon que nous parlions… sans autre distraction.

Le vieil immortel s’assit sur le banc voisin, à une distance mesurée. Il croisa les bras, fixant un point indéfini devant lui. Pendant un instant, un silence pesant s’installa, qui portait la charge des amitiés anciennes.

— Je ne suis pas venu pour te juger, dit-il calmement. Mais je ne peux pas faire semblant que cela ne me touche pas.

Darius détourna légèrement le regard, ses épaules s’affaissant sous un poids que même un immortel ne pouvait totalement porter.

— Je ne comprends pas, reprit-il d’un ton calme, mais chargé de sous-entendus. Tu l’as poussée vers moi, tu m’as presque encouragé… et maintenant, tu fais ça ? Quel était ton but, au juste ? Éclaire-moi.

Le prêtre ferma brièvement les yeux, comme s’il encaissait la question. Lorsqu’il les rouvrit, une ombre de regret assombrissait son regard.

— Ce n’était pas prémédité, souffla-t-il.

— Ça ne répond pas à ma question, répliqua Methos, son ton plus dur qu’il ne l’aurait voulu.

— Ce qui s’est passé… entre Aélis et moi… c’était un moment de faiblesse, admit-il d’une voix faible. Mais aussi un moment de vérité. Je ne peux pas prétendre que je le regrette, même si je sais que j’aurais dû m’en abstenir.

Methos s’était attendu à beaucoup de choses en venant ici. Une dénégation. Une pirouette rhétorique. Peut-être même un regard lourd de sens qui lui ferait comprendre, sans un mot, que cette conversation n’avait pas lieu d’être. Mais pas ça.

Un moment de faiblesse ? Vraiment ?

Il savait reconnaître un mensonge poli lorsqu’il en entendait un, et surtout, il connaissait Darius. Ce n’était pas un homme qui agissait sous le coup d’un élan irréfléchi. Pas lui. Chaque geste, chaque mot était pesé, réfléchi, ajusté avec cette précision qui le rendait si difficile à percer à jour. Et pourtant, il osait parler de faiblesse ?

Il retint un soupir. Il comprenait ce qu’il essayait de faire. Se protéger. Se convaincre que tout cela n’avait été qu’un instant d’égarement, une défaillance passagère qu’il pourrait enterrer sous des années de discipline et de silence. Mais Methos n’était pas dupe. Il savait que Darius portait un fardeau plus lourd que ce qu’il voulait bien admettre. Il l’avait vu dans son regard, dans la manière dont il parlait d’elle, non pas avec détachement, mais avec une douceur qui trahissait bien plus qu’il ne le voulait. Darius ne regrettait pas. Pas vraiment. Et c’était bien là tout le problème.

Le vieil immortel expira lentement. Il aurait voulu plaisanter, désamorcer tout cela avec une remarque légère, comme il savait si bien le faire. Mais il y avait une gravité dans l’air qui l’en empêchait. Il jeta un regard en coin à son ami. Un moment de faiblesse, hein ? Il aurait presque pu y croire. Presque.

Il resta un instant silencieux, observant Darius comme s’il tentait de percer à jour ce qu’il taisait encore. Puis, il laissa échapper un soupir, croisant les bras avant de poser enfin la question qui s’imposait :

— Tu dis que tu ne regrettes pas. Mais penses-tu aux conséquences ? Elle te regarde comme un guide, comme quelqu’un qu’elle respecte. Tu réalises ce que ça signifie pour elle ?

— Oui, je le sais. Mais ce moment n’était pas prémédité. Il était… pur. Et c’est précisément ce qui le rend si difficile à porter.

— Tu te tortures inutilement, Darius. La culpabilité n’est pas une vertu, et elle ne change rien.

— Ce n’est pas de la culpabilité, Methos. C’est la conscience des choix que nous faisons, et du poids qu’ils laissent derrière eux.

Le vieil immortel l’observa un instant, son regard se faisant plus doux. Il pouvait comprendre. Il pouvait même respecter ce combat intérieur. Mais il ne voulait pas que Darius prenne la fuite sous prétexte d’un poids moral qu’il s’imposait à lui-même.

— Aélis tient à toi, plus que tu ne l’imagines. Si elle a besoin de toi… sois là pour elle. Ne la repousse pas sous prétexte de préserver une distance morale.

Il aurait pu dire « Elle compte pour moi », mais ce n’était pas nécessaire. Darius le savait déjà. Il n’avait jamais eu besoin de mots pour comprendre ce qui se cachait derrière les silences. Aélis occupait une place qu’il n’avait pas anticipée, et il ne pouvait nier qu’une part de lui craignait ce que tout cela allait déclencher. Mais il n’avait jamais été question de possession. Elle était libre de faire ses choix, de suivre son propre chemin, et s’il y avait bien une personne en qui Methos pouvait avoir confiance pour ne pas la blesser volontairement, c’était Darius.

— Je serai là, promit-il doucement.

Methos inclina légèrement la tête, satisfait de cette assurance, mais son regard se fit plus perçant.

— Et toi, Darius ? Tu portes quelque chose d’autre, quelque chose qui ne vient pas seulement d’elle. Cela se voit.

Le prêtre détourna les yeux, ses traits se durcissant légèrement. Après un long silence, il répondit, sa voix empreinte d’une lassitude palpable :

— Mes nuits sont hantées par des visages que je voudrais oublier. Les fantômes ne me laissent pas de répit.

— Les fantômes… Ils viennent quand on relâche notre garde. Mais ce ne sont que des ombres, Darius, pas des chaînes.

Un éclat de gratitude traversa brièvement le regard du prêtre.

— Peut-être. Mais certaines ombres s’attardent plus que d’autres.

Methos posa une main sur son épaule, un geste simple mais chargé d’une profondeur sincère.

— Tu n’es pas seul. Et si ce poids devient trop lourd, partage-le. Avec moi, ou avec elle.

Darius hocha la tête, son expression marquant une acceptation silencieuse. Ils restèrent ainsi, dans un échange muet où l’amitié ancienne transcendait les mots. Finalement, le vieil immortel se releva, sa silhouette se découpant dans la lumière des vitraux.

— Ne te ferme pas, Darius. Ni à elle, ni à moi.

Il n’avait pas besoin d’en dire plus. Il savait que Darius l’entendait, même s’il ne répondait pas tout de suite.

— Je ne le ferai pas.

Methos inclina légèrement la tête, satisfait. Puis il tourna les talons et quitta l’église, laissant son ami seul avec ses pensées.




Le soir même, Aélis se rendit à son entraînement habituel au dojo de Duncan. Dès son arrivée, elle remarqua son expression fermée, bien plus austère que d'ordinaire. Il l’attendait au centre de la salle, les bras croisés, visiblement prêt à l’affronter – mais cette fois pas avec un katana.

Elle n’eut pas le temps de poser une question. Le Highlander, droit comme un piquet, la dévisagea avec une froideur inhabituelle.

– Je n’arrive pas à croire ce que vous avez fait, lâcha-t-il sans préambule.

Duncan la foudroyait du regard avec toute la sévérité d’un homme convaincu d’être du bon côté de l’histoire. La jeune immortelle l’observa une seconde, exaspérée.

Il y avait quelque chose de presque caricatural dans sa posture, cette manière de se tenir toujours parfaitement droit, comme si la moindre nuance dans la morale risquait de le faire vaciller. À croire que l’Écosse produisait ses Highlanders en série, tous forgés dans la rudesse des montagnes et la certitude inébranlable d’avoir raison. Était-ce le climat qui les rendait aussi rigides, ou bien une règle tacite transmise avec le kilt ?

Elle réprima un soupir. Duncan fonctionnait en absolus. Blanc ou noir, juste ou injuste, honneur ou trahison. Une logique implacable, à l’image des falaises battues par les vents de son pays natal. Mais la vie, elle, n’était pas un champ de bataille médiéval où l’on pouvait trancher net entre le bien et le mal. Et ça, visiblement, Duncan n’avait pas encore reçu le mémo.

– Je suppose que tu parles de Darius ?

– A ton avis ! Tu te rends compte de ce que ça signifie ?! Il est bouleversé.

Aélis sentit déjà la joute verbale à venir. Oh oui, elle se rendait compte. Mais ce qu’elle voyait surtout, c’est que Duncan venait encore de choisir son camp sans même envisager qu’il puisse y avoir un entre-deux. Comme toujours.

– Écoute, il allait déjà mal avant, rétorqua-t-elle en croisant les bras. Et pour ta gouverne, je ne l’ai pas forcé. C’était... mutuel.

Cette tentative d’explication n’eut pour effet que d’accentuer la consternation de Duncan.

– Mutuel ? siffla-t-il. Tu plaisantes ? Jamais je ne l’ai vu dans cet état. Il est totalement perdu !

Aélis serra les dents, agacée par la condescendance du Highlander.

– Peut-être qu’il ne t’a pas tout raconté, lança-t-elle avec un regard défiant. Peut-être qu’il n’est pas le saint que tu crois.

Il réagit au quart de tour, son visage se durcissant encore davantage.

– Tu ne sais rien de ce que je crois. Je le connais depuis des siècles. Jamais il ne se serait laissé aller de cette manière.

– Parce qu’il n’est qu’un homme, Duncan, comme toi, comme moi ! Peut-être que tu devrais arrêter de le mettre sur un piédestal, ça lui ferait du bien, répliqua-t-elle, le ton cinglant.

La tension entre eux était palpable, un combat de mots aussi tranchant que n’importe quel duel à l’épée. Mais c’est la réplique suivante de Duncan qui brisa l’équilibre fragile.

– Il m’a dit qu’il regrettait, lâcha-t-il, les yeux flamboyant d’un mélange de colère et de déception.

Les mots frappèrent Aélis comme une lame. Elle sentit son cœur se contracter brutalement, une douleur sourde irradiant sa poitrine. Il regrettait. Son souffle se bloqua. Elle avait toujours su que ce qui s’était passé entre eux n’était pas anodin. Mais l’entendre formulé ainsi, avec une certitude implacable… C’était une gifle. Une trahison qu’elle n’avait pas vue venir. Pourquoi ces mots l’atteignaient-ils autant ? Elle aurait dû s’en moquer. Elle aurait dû hausser les épaules, prétendre que ça ne comptait pas, que ça n’avait jamais compté. Mais au lieu de ça, une douleur acide lui brûlait la gorge.

Elle ouvrit la bouche, cherchant une réplique, un moyen de se défendre. Mais il n’y avait rien à dire. Darius regrettait. Et elle, qu’est-ce qu’elle ressentait ? Une vague de colère lui monta à la tête. Une rage qu’elle ne savait même pas où diriger. Contre Duncan ? Contre Darius ? Contre elle-même ?

Alors, plutôt que de laisser son mentor voir qu’il l’avait atteinte, elle tourna les talons brutalement.

– Je reviendrai quand tu seras moins rigide et un peu plus humain, lança-t-elle par-dessus son épaule avant de quitter le dojo en claquant la porte.

Elle marcha droit devant elle, le cœur battant trop vite, les pensées en vrac. Elle ne voulait pas penser à ce que Duncan venait de dire. Elle ne voulait pas se demander pourquoi son corps tremblait légèrement, pourquoi son estomac était noué, pourquoi son esprit refusait d’accepter cette réalité. Elle ne voulait pas comprendre pourquoi ces mots l’avaient brisée plus qu’elle ne l’admettrait jamais.

 

Duncan serra les poings alors que la porte du dojo claquait derrière la jeune immortelle. Son regard restait rivé sur l’entrée, son corps tendu sous l’effet de la colère. Il savait qu’il s’était emporté, mais il n’arrivait pas à chasser l’amertume qui lui nouait la gorge.

Un bruit de pas sur l’escalier en bois le fit sursauter. Il n’eut pas besoin de se retourner pour savoir de qui il s’agissait.

— Tu sais, si tu voulais vraiment qu’elle revienne, lui hurler dessus n’était peut-être pas la meilleure stratégie.

Amanda descendit tranquillement les dernières marches et s’avança dans la salle, les bras croisés. Elle était là depuis un moment déjà, installée à l’étage du dojo. Mais après avoir entendu l’échange houleux entre Duncan et Aélis, elle avait jugé bon d’intervenir.

— Ce n’est pas une stratégie, grogna Duncan en tournant les talons, bien décidé à évacuer sa frustration dans un entraînement.

Il attrapa son katana et frappa sèchement dans le vide, exécutant une série de mouvements précis, cherchant dans la discipline du geste un exutoire à son agitation intérieure. Amanda s’adossa nonchalamment à un mur et l’observa un instant avant de reprendre, son ton plus posé :

— Alors, c’était quoi ?

Il continua son enchaînement sans répondre immédiatement, mais la tension dans ses épaules parlait pour lui.

— Darius est mon ami. Je ne veux pas le voir souffrir.

Amanda leva les yeux au ciel.

— Oh, Mac…

— Je suis sérieux, Amanda !

Il s’arrêta enfin, posant son katana avec plus de force que nécessaire sur le râtelier.

— Je l’ai déjà vu comme ça, une fois. Et je ne savais pas comment l’aider. Il s’est refermé sur lui-même, et même moi, je ne pouvais plus l’atteindre. Il a mis du temps à s’en remettre.

L’immortelle fronça légèrement les sourcils, captant la gravité dans sa voix.

— Et tu penses que ça va recommencer ?

— Je ne sais pas. Je ne l’espère pas. Mais il n’a jamais laissé quelqu’un le troubler comme ça depuis.

Elle le regarda un instant, puis s’approcha, plus douce.

— Peut-être qu’il a changé plus que tu ne le crois. Ce n’était pas hier, et il a continué à avancer, comme nous tous. Et surtout, cette fois, il n’est pas seul.

— Peut-être…

Amanda haussa les épaules, un sourire en coin.

— Et puis, franchement, qu’est-ce que tu voulais faire, Mac ? L’empêcher de ressentir quoi que ce soit ?

Il la fusilla du regard, mais elle continua, imperturbable.

— Tu sais, tu as tendance à oublier que les autres ne sont pas toi. Que ce qui t’a touché ne l’affectera pas forcément de la même manière.

Duncan ouvrit la bouche, prêt à répliquer, mais elle le devança :

— Il a fait un choix. Peut-être un mauvais, peut-être pas. Mais ce n’est pas à toi d’en décider.

Il resta silencieux un moment, la mâchoire contractée, puis baissa légèrement les épaules, comme s’il abandonnait enfin un combat intérieur.

— Tu n’as peut-être pas tort…

— Je sais.

Elle recula légèrement, puis ajouta, plus taquine :

— Et maintenant, peut-être que tu pourrais arrêter d’être insupportable et m’inviter à dîner.

Un léger sourire étira les lèvres de Duncan malgré lui.

— Ça dépend… Tu comptes payer ton repas, pour une fois ?

Amanda haussa un sourcil, feignant l’innocence.

— Mais enfin, MacLeod, depuis quand demande-t-on à une dame de payer ?

Il secoua la tête avec un soupir amusé, et elle lui prit le bras, le guidant vers la sortie.

— Allez, viens, avant que tu ne décides de te cloîtrer ici pour ruminer toute la nuit.

Duncan la laissa faire, sentant enfin la tension en lui s’atténuer.




Furieuse, Aélis se dirigea instinctivement vers l’église Saint-Julien-le-Pauvre. Elle avait besoin de réponses, et Darius était le seul à pouvoir les lui fournir. Lorsqu’elle franchit le seuil, la vibration caractéristique signala sa présence. Le prêtre, occupé à préparer la messe à venir, leva la tête, surpris de la voir arriver à une heure pareille. Quelques fidèles étaient déjà assis, attendant le début de l’office du soir.

— Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-il en se rapprochant, un mélange de curiosité et de préoccupation dans la voix. Tu ne devrais pas être au dojo ?

La jeune immortelle soupira, baissant les yeux un instant avant de répondre.

— Si, mais Duncan et moi… on a eu un petit différend.

— J’imagine pourquoi, murmura Darius avec un soupir en lui faisant signe de s’éloigner de l’autel.

Ils se dirigèrent vers un coin plus tranquille, à l’abri des oreilles indiscrètes. Aélis planta son regard dans le sien, cherchant à y lire ce qu’il ne disait pas.

— Il m’a dit que tu regrettais… ce qu’il s’est passé entre nous, confia-t-elle, la voix plus hésitante qu’elle ne l’aurait voulu.

Darius secoua la tête, son regard empreint d’une douleur contenue.

— Ce n’est pas ce que je lui ai dit.

Aélis resta silencieuse, attendant qu’il développe.

— Je lui ai dit que je regrettais de ne pas avoir réfléchi aux conséquences. Que je regrette la douleur que cela a pu raviver… Mais je ne regrette pas cette nuit.

Il plongea ses yeux dans les siens, une sincérité désarmante dans la voix. Ces mots frappèrent la jeune femme en plein cœur, laissant derrière eux un vertige étrange. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux, submergée par un mélange de soulagement et d’incertitude.

— Darius… qu’est-ce que tu cherches à me dire ? murmura-t-elle.

Il la fixa un long moment, et un sourire doux, mais empreint de tristesse, se dessina sur ses lèvres.

— Que je m’en remettrai, finit-il par déclarer avec une mélancolie résignée.

Il jeta un regard aux fidèles qui continuaient d’arriver, puis son ton se fit plus posé, plus distant.

— Ce n’est ni le lieu ni le moment pour parler de ça. Repasse demain matin, après l’office. On aura tout le temps qu’il faudra.

Elle acquiesça en silence. Alors qu’elle quittait l’église, une marée d’émotions contradictoires l’envahit. Un soulagement diffus, une tristesse latente, et une pointe de confusion qui refusait de s’effacer.




Incapable de rester seule avec ses pensées, elle prit instinctivement le chemin de chez Methos. Il saurait l’écouter, sans jugement, avec cette désinvolture qui lui faisait tant de bien quand tout lui semblait trop lourd.

Lorsqu’elle arriva, il lui ouvrit avec son calme habituel, l’observant passer le seuil avec un œil aiguisé.

— Ton cours s’est terminé plus tôt que prévu ?

— Je me suis un peu accrochée avec Duncan, répondit-elle en soupirant.

Il haussa un sourcil, son expression indéchiffrable.

— À propos de Darius ?

Elle hocha la tête avant de se laisser tomber dans un fauteuil, bras croisés.

— Il ne comprend pas que son ami n’est peut-être pas aussi parfait qu’il aime le croire. Et maintenant, il me tient pour responsable de tout.

Elle leva les yeux vers lui, un pli soucieux barrant son front.

— Comment ça se fait qu’il soit déjà au courant, d’ailleurs ?

Methos soupira avant de répondre :

— C’est peut-être un peu ma faute. Il m’a appelé hier soir. Je pense que Darius lui a parlé après mon départ.

— Ce n’est pas ta faute si Duncan refuse d’écouter.

— C’est typique de Mac. Donne-lui un peu de temps. Il peut être très borné parfois. Enfin… souvent.

Un sourire fugace passa sur les lèvres d’Aélis, bien qu’un brin mélancolique.

— Peut-être que je devrais quand même m’excuser…

Elle attrapa son téléphone et rédigea un message à l’intention de Duncan :

« Je suis désolée pour tout à l’heure. Je me suis un peu emportée… Je sais à quel point tu tiens à lui, mais moi aussi. J’espère que tu pourras l’aider. »

Elle posa son téléphone sur la table et poussa un long soupir, le regard perdu dans le vide. Ses pensées la ramenaient inlassablement à Darius. Et à cette frontière floue, ce point d’équilibre fragile où elle avait choisi de se tenir. Elle ne voulait pas l’aimer. Pas comme ça. Mais l’idée refusait de s’effacer, nichée quelque part sous sa peau, insidieuse.

Elle se mordilla l’intérieur de la joue, agacée contre elle-même. Ce n’était pas une question d’amour. Pas comme on l’entendait. Ce qu’elle ressentait pour Darius, c’était... Elle fronça les sourcils. Pourquoi n’arrivait-elle pas à le définir ? Une chaleur diffuse lui monta aux joues, et elle détourna les yeux. Ridicule. Elle était ridicule.

Methos, toujours aussi perspicace, perçut l’agitation en elle. Mais fidèle à lui-même, il ne la pressa pas de questions inutiles. Au lieu de ça, il s’approcha doucement et caressa sa joue d’un geste léger.

— Vous avez joué à un jeu dangereux, dit-il, sa voix étrangement douce. Les conséquences sont parfois difficiles à assumer, mais ça passera. Avec le temps, tout finit par passer.

Elle ouvrit la bouche pour répondre, mais rien ne vint. Son compagnon esquissa un sourire en coin, teinté de cette ironie désabusée qui lui était propre.

— On ne choisit pas toujours qui nous marque le plus, Aélis.

Un frisson la parcourut. Quelque chose dans cette phrase la heurta plus qu’elle ne voulait l’admettre. Elle se redressa légèrement, son instinct lui soufflant de détourner la conversation, d’échapper à ce qu’elle ne voulait pas affronter.

— Je ne sais pas si c’est vraiment un sujet que je devrais aborder avec toi…

— Non, admit-il en se penchant légèrement vers elle. Alors, changeons de sujet. Je te propose plutôt de te changer les idées. Ce soir, je t’emmène découvrir un trésor oublié de l’humanité.

Elle leva un sourcil, intriguée.

— Un trésor oublié ? Tu veux aller piller une tombe antique ?

— Une option tentante, mais non, répliqua-t-il avec un sourire. Figure-toi que j’ai récemment découvert l’existence d’un club de jazz clandestin dans une cave des années 30, quelque part dans le Marais. Des musiciens y jouent encore comme si le temps s’était arrêté, sans téléphone, sans réseaux sociaux, juste du whisky, des cuivres et des voix rauques qui murmurent des histoires perdues.

Aélis le regarda avec une lueur d’intérêt.

— Et tu comptes m’y traîner pour me noyer dans du whisky et des complaintes de vieux chanteurs oubliés ?

— Exactement, confirma-t-il en trinquant dans le vide.

Elle hésita une seconde, puis haussa les épaules avec un sourire sincère.

— Allez, pourquoi pas.

Methos afficha un sourire satisfait, comme s’il savait déjà qu’elle dirait oui.

 

La soirée fut plus paisible qu’elle ne l’aurait cru, mais la nuit, en revanche, lui refusa le repos. Allongée dans le silence, ses pensées tournaient en boucle. Devait-elle parler à Darius ? Se tenir à distance ? Feindre que rien n’avait changé ? Aucune réponse ne lui parut satisfaisante.

De son côté, Darius non plus ne dormit pas. Toute la nuit, il demeura à son bureau, plongé dans un océan de souvenirs épars. Avec une lenteur presque cérémonielle, il feuilleta des pages jaunies de journaux intimes, des lettres, des cartes postales et des fragments d'écrits qu'il avait conservés au fil des siècles. Chaque document semblait porter une part de son histoire, et, après un instant de réflexion, il les déposait un à un dans l’âtre. Les flammes les consumaient avec une danse hypnotique, projetant sur son visage des éclats de lumière qui révélaient tour à tour un sourire empreint de nostalgie ou des larmes silencieuses.

Finalement, alors que la nuit touchait à sa fin, il tira un lourd cahier à la reliure marquée par le temps. Ouvrant ses pages déjà partiellement remplies, il prit un stylo et se mit à écrire. Chaque mot, soigneusement tracé, semblait porter le poids de ses pensées et de ses émotions, comme s’il tentait de fixer sur le papier une part de son âme.




Comme promis, Aélis revint à l’église le lendemain dans la matinée pour discuter avec Darius. Fébrile, elle n’avait pas réussi à apaiser les émotions confuses qui l’avaient agitée toute la nuit.

Dès qu’elle mit les pieds dans l’église, elle sentit que quelque chose n’allait pas. La vibration familière confirma la présence du prêtre, mais ce fut une scène inhabituelle qui attira son attention. Un petit groupe de quatre ou cinq personnes se tenait à moitié dissimulé derrière les larges colonnes. Aucun mot ne venait de l’immortel, pourtant présent. Intriguée et de plus en plus inquiète, elle s’avança dans l’allée centrale en appelant son ami.

Elle n’eut pas le temps d’atteindre le groupe qu’un bruit de pas derrière elle la fit se retourner. Deux hommes venaient de se poster devant la porte de l’église, bloquant ainsi toute sortie. Le sentiment d’être prise au piège la poussa à se hâter vers le centre de l’allée, espérant mieux comprendre ce qui se tramait.

 

Le groupe dissimulé derrière les colonnes se détacha peu à peu, révélant Darius entouré de trois hommes qui le maintenaient fermement. L’un d’eux appuyait une main sur sa bouche pour l’empêcher de parler. Une silhouette s’avança lentement, se détachant des ombres. Un homme blond aux yeux bleus, au visage sévère, dont l’assurance glaciale suintait dans chacun de ses gestes. Il n’était pas imposant, mais il dégageait une autorité tranchante, méthodique, comme s’il avait l’habitude d’orchestrer ce genre de scène. Puis un dernier individu apparut à son tour. Une lame effilée scintillait entre ses doigts.

L’angoisse noua le ventre d’Aélis.

Un des hommes près de la porte bondit sur elle. Elle tenta de l’éviter, se débattit, mais ils étaient trop nombreux. Deux autres lui saisirent les bras, l’immobilisant sans effort. Elle tira, lutta, mais leurs mains étaient des étaux, et chaque mouvement ne faisait qu’accentuer la pression sur ses poignets.

— Va fermer cette putain de porte ! ordonna l’homme blond aux yeux perçants.

L’un des hommes s’exécuta, claquant la lourde porte derrière lui. Le leader se tourna ensuite vers l’immortelle :

— Ton ami est une abomination qui doit être détruite. Et je suis sincèrement désolé que tu fasses partie des dommages collatéraux. Certains ici ne savent pas surveiller une simple porte…

Il lança un regard glacial à ses hommes avant de reporter son attention sur Darius.

— Qu’est-ce que vous lui voulez ? Laissez-le tranquille ! s’écria Aélis, la voix tremblante.

Elle tira une dernière fois sur ses bras, sans succès. L’homme blond ne daigna même pas répondre. Il fit un signe de tête. Les hommes retenant Darius agirent aussitôt. L’un lui poussa brutalement la tête en avant, exposant son cou, tandis que les autres forçaient ses épaules à s’abaisser.

Elle cria, leur intimant de le relâcher, mais un coup violent la fit taire.

— Aélis, pardonne-moi ! lança Darius d’une voix tremblante.

— Te pardonner pour quoi ? répondit-elle, la voix emprunte de confusion.

Mais elle n’eut pas le temps d’obtenir une réponse. Un coup de poing brutal s’abattit dans les côtes du prêtre. L’air s’échappa de ses poumons dans un râle douloureux.

Elle vit les trois hommes maintenir Darius au sol alors qu’elle se débattait en hurlant.

Il lui adressa un dernier regard, empreint de tristesse et d’adieu. L’instant d’après, il fut contraint de poser les yeux au sol. Elle hurla et se débattit avec l’énergie du désespoir, mais une détonation retentit. Une brûlure foudroyante lui transperça la poitrine. Le choc lui coupa le souffle, une chaleur poisseuse s’étalant sous ses doigts tremblants.

Elle leva les yeux vers le leader, qui tenait un pistolet. Un tatouage dépassant de sa manche attira brièvement son attention avant qu’il ne fasse signe au bourreau.

Celui-ci, sans hésitation, abattit sa lame sur Darius.

 

Le monde sembla s’arrêter.

 

Aélis, anéantie, voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. La douleur de la balle, pourtant vive, s’effaça face à l’horreur déchirante de la scène devant elle.

Soudain, une chaleur étrange enveloppa l’air autour d’elle, comme une brise qui portait quelque chose de vivant. Une lumière blanche s’échappa du corps immobile de Darius, se déployant en volutes éthérées qui dansaient dans l’espace sacré. Cette lumière l’entoura, douce mais écrasante, une force immuable qui sembla fusionner avec chaque fibre de son être.

La douleur disparut instantanément, remplacée par une vague de sensations qui la submergea tout entière. Les hommes autour d’elle reculèrent, paniqués, leurs voix confuses noyées par le rugissement silencieux du quickening. L’un d’eux hurla, d’un ton empreint d’incrédulité :

— Ce n’est pas possible ! Elle n’est même pas dans nos fichiers !

Puis ils prirent la fuite, emportés par le chaos grandissant.

La jeune immortelle se sentit soulevée, comme si son corps n’avait plus de poids. Une tempête d’émotions se déversa en elle, un flot immense et incontrôlable. Ce n’était pas seulement une force nouvelle, c’était une essence, une présence qui fusionnait avec elle, imprégnant chaque parcelle de son être.

Une sérénité profonde l’enveloppa, un amour sans limites, immense et brûlant. Une chaleur douce, rassurante, presque enivrante. Mais avec cette paix, vinrent aussi les ombres. Les regrets insondables. La tristesse écrasante d’un homme qui avait tant donné sans jamais pouvoir tout réparer. Et à travers tout cela, une certitude absolue, bouleversante : Darius avait aimé l’humanité d’une façon qu’elle n’avait jamais cru possible. Il l’avait aimée, elle aussi. Son souffle se bloqua sous l’intensité de cette révélation, mais elle n’eut pas le temps d’y réfléchir. Les éclairs jaillirent, frappant l’église avec une puissance terrifiante. Une énergie nouvelle et écrasante emplit son corps.

Puis, doucement, tout s’apaisa. Le silence retomba sur les ruines de ce qui avait été un sanctuaire. Aélis chancela. Son propre corps lui semblait étranger, habité par quelque chose de trop vaste pour elle. Ses jambes cédèrent et elle s’effondra à genoux. Elle haletait, les muscles tremblants, son esprit incapable de traiter tout ce qui venait de se produire.

Elle devait bouger. Fuir.

Elle rampa jusqu’aux appartements de Darius, ses mains écorchées glissant sur la pierre froide, et poussa la porte d’un geste tremblant.

Dès qu’elle entra, une odeur familière l’assaillit. Un mélange subtil d’encre, de cire fondue et de bois ancien. Tout était intact. Sa chaise, ses livres soigneusement empilés sur le bureau. Ses vêtements, encore suspendus à un portemanteau dans un coin de la pièce. Son absence, pourtant, était absolue. Un frisson lui remonta l’échine. Elle était seule. Non. Pas seule. Elle porta une main à sa poitrine, son souffle saccadé. Quelque chose était toujours là. Elle ne savait pas comment le décrire, ni ce que cela signifiait. Mais elle le sentait. Darius n’avait pas disparu totalement. Une chaleur diffuse, une présence, une empreinte, un murmure silencieux sous sa peau.

Elle porta une main tremblante à son téléphone, ignorant la façon dont son corps frissonnait par vagues incontrôlables. Elle tenta d’appeler Duncan. Pas de réponse. Elle réprima un sanglot, un sentiment de panique grimpant en elle. Elle n’était pas prête à être seule avec ça.

Ses doigts glissèrent sur l’écran, presque mécaniquement, et elle composa le numéro de Methos. Après deux sonneries, il décrocha.

— Methos…

Sa propre voix lui sembla brisée, étranglée.

— Je suis à l’église… Darius est mort…

Les mots lui écorchèrent la gorge. Comme si les dire rendait tout irrévocable. Elle se mordit l’intérieur de la joue pour étouffer un sanglot.

— Il faut que tu viennes…

J’ai besoin que tu viennes.

Un silence s’installa. Elle entendit le souffle coupé de Methos à l’autre bout du fil. Lui aussi devait encaisser la nouvelle. Puis, d’une voix inhabituellement grave :

— Je… j’arrive.

Un clic. L’appel s’acheva. Mais le vide en elle ne s’effaça pas. Elle baissa lentement son téléphone, fixant le vide, perdue dans un tourbillon d’émotions qu’elle n’arrivait pas à démêler. Elle ne bougea plus, son corps toujours parcouru de frissons involontaires, et attendit.




Duncan, installé dans sa barge à quelques rues de l’église, ressentit un frisson glacé le traverser. Un écho lointain, une sensation indistincte mais brutale, comme un vide qui venait de s’ouvrir en lui.

Darius.

Il se redressa brusquement, les muscles tendus, son cœur battant un peu trop vite. Une urgence viscérale s’empara de lui, un pressentiment qui ne laissait aucune place au doute. Sans réfléchir, il enfila son manteau et quitta la barge en trombe, ignorant les vibrations insistantes de son téléphone dans sa poche. Ses pas s’accélérèrent sur les quais humides, puis il se mit à courir.

Lorsque l’église apparut enfin, une autre sensation l’envahit. Il ne ressentait pas la présence de Darius. C’était impossible. Son cœur battait à tout rompre lorsqu’il poussa les lourdes portes.

 

Le sol était un champ de ruines. Des débris de bois et de pierre jonchaient la nef, des bancs renversés, brisés, éparpillés comme des fragments d’un monde qui venait de voler en éclats. L’air était encore chargé d’électricité, une odeur métallique flottant dans le sanctuaire d’ordinaire si paisible.

Ce fut ce silence pesant qui l’alerta d’abord. Puis, il sentit une présence.

Aélis.

Elle titubait hors de la chambre de Darius, son souffle erratique, ses mains et son buste couverts de sang. Chaque pas semblait être un effort immense. Duncan bondit vers elle, l’attrapant par les épaules pour l’empêcher de tomber.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?!

Sa voix, d’ordinaire si maîtrisée, vibrait sous le choc. Elle leva vers lui des yeux égarés, comme si elle avait du mal à assembler ses pensées.

— Ils ont… tué Darius…

Son murmure s’éteignit dans un souffle. Ses jambes cédèrent, et elle s’effondra contre lui. Duncan l’accompagna doucement au sol, la stabilisant contre une colonne. Le souffle court, il se redressa et se dirigea lentement vers le fond de l’église. Son corps tout entier hurlait de refuser ce qu’il allait voir, mais ses pas le portèrent malgré lui jusqu’au corps inerte de son ami. Il gisait au sol, immobile. Un peu plus loin, sa tête reposait dans une mare de sang qui s’étendait sur les dalles froides. Duncan sentit son souffle se bloquer, une douleur sourde lui vrillant la poitrine. Son ami, celui qu’il respectait plus que quiconque, celui qui prêchait la paix et refusait de se battre depuis des siècles, venait d’être exécuté comme un vulgaire criminel.

Quelqu’un avait osé le tuer ici. Ici, dans son église.

Un hurlement de rage et de douleur lui échappa, résonnant sous les voûtes brisées du sanctuaire. Il tomba à genoux près du corps de Darius, incapable de détacher son regard de l’horreur devant lui. Ses mains tremblaient lorsqu’il effleura les vêtements ensanglantés du prêtre. Ses pensées tourbillonnaient dans un chaos désordonné. Pourquoi n’avait-il pas été là ? Pourquoi n’avait-il pas su prévenir ce désastre ?

Il aurait dû le protéger. N’était-ce pas toujours ce qu’il faisait ? Protéger les siens, ceux qu’il aimait. Mais cette fois, il avait échoué.

— Darius… murmura-t-il, la gorge nouée.

Les souvenirs affluèrent. Leur première rencontre, Darius prêchant la paix alors que Duncan vivait encore par la lame. Les conseils avisés, les discussions tardives dans l’église, la sagesse silencieuse qui émanait de cet homme hors du commun. Toutes ces années de complicité et de respect mutuel venaient de s’éteindre dans une mare de sang.

Un poids immense s’abattit sur ses épaules. Il s’était toujours efforcé de suivre le chemin de Darius, de croire en cette paix qui semblait si inaccessible. Mais maintenant, il ne ressentait plus que du vide et une fureur brûlante.

Puis, il sentit une autre vibration. Une présence familière, accompagnée d’un bruit de pas précipités.

Methos.

Duncan n’eut pas besoin de se retourner pour savoir que son ami venait d’entrer. Methos s’arrêta net en découvrant la scène. Son regard balaya le carnage, s’attarda sur Aélis effondrée contre une colonne, puis se posa enfin sur le corps de Darius.

Un long silence s’installa. Lentement, il s’approcha de la jeune immortelle et s’agenouilla près d’elle.

— Aélis, parle-moi. Que s’est-il passé ?

Sa voix était plus douce qu’il ne l’aurait cru possible. Elle ouvrit les yeux avec peine, cherchant son souffle.

— Ce… ce n’étaient pas des immortels…

D’une main tremblante, elle attrapa le poignet gauche de son compagnon, indiquant le tatouage rond.

— L’un d’eux avait ça… un tatouage…

Methos fronça les sourcils, secoua la tête. Des Guetteurs ? Impossible… Un frisson le parcourut, mais il n’eut pas le temps de pousser plus loin ses interrogations. Lentement, il se redressa et marcha jusqu’à Duncan. Le Highlander n’avait pas bougé. Il était toujours agenouillé auprès du corps de Darius, les poings serrés, les traits figés dans une douleur contenue. Methos s’arrêta à ses côtés. Il déglutit, puis souffla, plus pour lui-même que pour quiconque :

— Ici… dans une église…

Sa voix n’était qu’un souffle, brisée par l’incompréhension. Pourquoi Darius ? Pourquoi lui, qui avait renoncé au combat depuis si longtemps ? Qui prêchait la paix même à leurs ennemis ? Qui, plus que quiconque, ne méritait pas une telle fin ? Il n’y avait aucune logique, aucun sens. Juste une froide exécution.


La scène était insoutenable.

Le corps de Darius gisait au pied de l’autel, son sang imprégnant les dalles de pierre dans une souillure irréversible. Ce lieu, sanctuaire de paix, résonnait encore du silence pesant laissé par le quickening, comme si même les murs refusaient d’accepter l’horreur qui venait de s’y dérouler. Aélis restait en retrait, incapable de s’approcher davantage. Chaque fibre de son être hurlait de douleur, mais elle refusait de graver cette image dans sa mémoire. Elle voulait se souvenir de lui debout, serein, la lumière filtrant à travers les vitraux illuminant son sourire doux et rassurant. Pas… ça.

Duncan, lui, n’avait pas bougé. Figé comme une statue, il fixait le corps sans vie de son ami, sa respiration saccadée trahissant un combat intérieur qu’il ne parvenait pas à maîtriser. Il était suspendu à un fil, prêt à basculer dans une rage incontrôlable ou un désespoir sans fond.

À côté de lui, Methos observait la scène avec une douleur intense, mais contenue. Des siècles d’expérience lui avaient appris à dissimuler sa souffrance derrière une façade impassible. Pourtant, cette perte pesait lourd. Après quelques instants de silence pesant, il prit la parole, sa voix grave tranchant l’air :

— Nous ne pouvons pas rester ici.

Aélis releva la tête, comme si ces mots venaient de la gifler.

— Non ! On ne peut pas le laisser !

Elle se redressa d’un bond, les larmes coulant librement sur ses joues. Son regard fouillait celui de Methos, cherchant une autre issue, une explication, une échappatoire qui n’existait pas. Duncan ne réagit pas. Il restait figé, comme pétrifié dans un deuil qu’il n’était pas encore prêt à affronter.

Methos posa une main ferme, mais non dénuée de douceur, sur l’épaule d’Aélis.

— Écoute-moi, dit-il avec une patience teintée d’une autorité indiscutable. La police ne va pas tarder. Il y a un corps, un meurtre… et une décapitation. S’ils nous trouvent ici, ils chercheront des coupables. Ce n’est pas ce que Darius aurait voulu.

Le souffle court, elle secoua la tête, son regard suppliant, incapable d’accepter ce qu’il lui demandait. Methos détourna les yeux vers le corps de son vieil ami, une ombre fugace traversant son visage.

— Ce n’est plus lui, Aélis… murmura-t-il. Ce qu’il était, ce qu’il représentait, c’est en nous qu’il vit désormais.

Elle vacilla, ébranlée par ces mots qu’elle refusait d’entendre. Methos tourna alors la tête vers Duncan.

— Mac, nous devons partir.

Le Highlander ne bougea pas tout de suite. Puis, lentement, il se redressa, sa mâchoire crispée trahissant l’immensité de sa douleur contenue. Il ferma les yeux une fraction de seconde avant de murmurer d’une voix brisée :

— Va en paix, mon ami… Nous reviendrons pour toi.

Un dernier regard vers Darius, puis il se détourna.

Methos passa un bras autour d’Aélis pour la soutenir. Elle était tremblante, ses jambes prêtes à céder sous son propre poids. Ils quittèrent l’église par une porte dérobée, disparaissant comme des ombres hantées par l’absence d’un être qui avait, jusqu’ici, semblé éternel.




Amanda était encore au dojo lorsqu’elle avait vu Duncan partir en trombe, sans un mot, le visage fermé comme rarement. Elle l’avait observé depuis l’étage, incertaine de ce qui se passait, mais son instinct lui soufflait que ce n’était rien de bon. Elle avait attendu un moment, espérant qu’il revienne vite, mais plus le temps passait, plus son inquiétude grandissait. Alors, quand elle entendit enfin ses pas dans l’escalier, elle se leva aussitôt.

Duncan entra sans un regard, refermant la porte derrière lui d’un geste brusque. Ses épaules étaient raides, son expression sombre, et il semblait porter un poids invisible qui l’écrasait. Amanda s’approcha prudemment.

— Mac ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

Il ne répondit pas immédiatement. Il passa une main sur son visage, comme s’il tentait de se recentrer, de trouver les mots. Lorsqu’il parla enfin, sa voix était rauque, brisée par une fatigue bien plus profonde que celle du corps.

— Darius est mort.

Un silence tomba, lourd, oppressant. Amanda cligna des yeux, comme si elle n’avait pas bien entendu.

— Quoi… ?

Duncan hocha la tête, incapable de répéter les mots. Il fit quelques pas dans la pièce, cherchant à contenir la rage sourde qui grondait en lui.

— Ils l’ont tué. Des mortels. Dans son église.

Amanda inspira lentement, son regard scrutant son visage tendu. Elle le connaissait trop bien pour ne pas voir la tempête derrière ses traits figés. Elle s’approcha et posa une main sur son bras, une pression douce, ancrée.

— Je suis désolée, Mac…

Il détourna le regard, la mâchoire serrée.

— Ça n’aurait pas dû arriver. Pas à lui.

Elle ne répondit pas. À la place, elle passa ses bras autour de lui et le serra contre elle. Il ne résista pas, mais il resta figé un instant avant d’enfin relâcher un soupir tremblant.

 

Le silence aurait pu durer, mais une vibration familière les interrompit. Une seconde plus tard, la porte s’ouvrit brusquement, et Richie entra, un sourire aux lèvres.

— Hé, Mac ! Désolé de débarquer sans prévenir, mais je me suis dit qu’après ma brillante performance d’aujourd’hui, tu voudrais peut-être me payer un verre.

Il s’arrêta net en voyant leurs expressions. Son regard passa de Duncan à Amanda, puis de nouveau à Duncan. Il fronça les sourcils et lâcha, avec un demi-sourire incertain :

— Vous faites des têtes d’enterrement…

Personne ne répondit immédiatement, et son sourire s’effaça peu à peu.

— Attendez… quelqu’un est mort ?

Duncan leva les yeux vers lui, son regard assombri par le deuil.

— Darius.

Richie resta figé, comme s’il n’avait pas bien compris. Puis son expression changea, son insouciance habituelle s’évaporant.

— Darius… ?

Il cligna des yeux, cherchant à assimiler l’information.

— Comment ?

Duncan détourna le regard, incapable de répondre une nouvelle fois. Amanda prit le relais.

— Des mortels l’ont tué.

— Putain…

Son ton n’était pas vulgaire, juste incrédule. Il inspira profondément, croisant enfin le regard de Duncan.

— Et… on sait qui a fait ça ?

Le Highlander serra les poings, mais Amanda intervint avant qu’il ne laisse éclater sa rage.

— Pas encore.

Richie hocha la tête lentement, puis s’assit sur un des bancs du dojo, comme si son corps lui-même avait besoin de digérer la nouvelle.

— Merde…

Le silence retomba. Il n’y avait rien d’autre à ajouter. Juste l’écho d’une absence qu’ils allaient tous devoir apprendre à porter.




Aélis, anéantie, trouva refuge chez Methos. Lui-même accablé par la perte, il s’efforçait de masquer sa propre douleur pour s’occuper d’elle. Elle était trop fragile pour être seule, trop vulnérable face à la menace qui planait encore dans l’ombre. Alors, il fit ce qu’il savait faire de mieux : prendre sur lui, verrouiller tout ce qui menaçait de l’ébranler, et avancer.

Les premières nuits furent insupportables. Elle s’endormait en larmes sur le canapé, ses sanglots se tarissant d’épuisement, et Methos restait là, veillant sur elle. Parfois, elle se réveillait en sursaut, hurlante, revivant encore et encore la scène dans l’église. Chaque cri lui transperçait le cœur, ravivant en lui une douleur qu’il aurait préféré garder à distance. Mais il ne disait rien, ne cherchait pas à l’apaiser par des paroles vaines. Il se contentait d’être là, silencieux, un bras passé autour de ses épaules, lui offrant la seule chose qui lui restait à donner : sa présence.

C’était plus simple ainsi. S’occuper d’elle lui donnait une raison de ne pas penser à ce qu’il ressentait lui-même. À ce qu’il refusait de ressentir. Après tout, ce n’était pas la première fois. J’en ai vu mourir des amis. J’en ai enterré des centaines. Il l’avait déjà fait. Il savait comment faire. Du moins, c’est ce qu’il voulait croire. Mais celui-ci…

Celui-ci, il ne savait pas comment faire.

L’image de Darius lui revenait sans cesse. Pas celle de son corps sans vie, effondré dans son propre sang sous les voûtes de son église, mais celle d’un autre temps. Un autre lieu. Un monastère en Slovaquie, au XIIIe siècle. Methos s’y était réfugié après une longue fuite, traqué par un immortel qu’il avait croisé au mauvais moment. Entre ça et les armées mongoles qui ravageaient l’Europe centrale, il avait jugé plus prudent de disparaître derrière les murs épais d’un sanctuaire. C’était un vieux réflexe. C’était là qu’il l’avait rencontré.

Darius.

Un prêtre qui portait sur son visage la marque d’une bataille silencieuse, d’un homme qui portait encore le poids des vies qu’il avait prises. Il l’avait écouté parler, sans le juger, sans chercher à le réformer. C’était sans doute ce qui avait fait la différence. Methos, à l’époque, oscillait encore entre ses vieux démons et un semblant de conscience. Il n’était pas prêt à changer, pas encore. Mais ces jours-là, au cœur du monastère, ils avaient parlé de rédemption. Darius s’était confié, lui avait raconté ce qu’il avait été, ce qu’il avait fait, et comment il avait choisi un autre chemin. Pas par honte, ni par peur. Mais parce qu’il avait compris qu’il y avait une autre voie. C’était la première fois que Methos s’autorisait à entrevoir cette possibilité.

Ils s’étaient retrouvés plusieurs fois au fil des siècles, toujours dans cette même dynamique. Darius parlait d’espoir, et Methos l’écoutait avec son éternel scepticisme. Mais il revenait toujours. Parce qu’une part de lui en avait besoin.

Et maintenant, il était mort.

Il chassa ce souvenir avec une amertume silencieuse.




Quelques jours plus tard, ils purent enfin récupérer le corps de Darius, après que la police eut achevé ses premières investigations. La scène de crime avait provoqué une onde de choc dans la ville, alimentant les tensions déjà existantes autour des menaces reçues par le prêtre de la part d’Alexandre. Sa mort, brutale, dans un lieu saint, avait immédiatement déclenché des hypothèses sur un mobile terroriste, détournant ainsi toute suspicion de la véritable nature du crime. Methos et Duncan se rendirent à la morgue, laissant Aélis à l’appartement de Methos. Il savait qu’elle n’était pas encore en état de faire face, et qu’elle ne supporterait pas de voir Darius ainsi.

 

La pièce était glaciale, impersonnelle, à mille lieues de l’homme qu’avait été leur ami. Il n’y avait ici ni chaleur, ni sérénité, ni trace du sage qui les avait guidés tant d’années. Juste un corps, recouvert d’un drap blanc, posé sur une table d’acier.

Duncan resta figé un instant, incapable d’avancer. Il inspira profondément, puis s’approcha lentement. Lorsque son regard tomba sur le visage de Darius, paisible malgré l’horreur de sa fin, une colère sourde se mêla à sa douleur.

— Il savait ce qui allait arriver, souffla-t-il.

Sa voix n’était qu’un murmure, mais elle vibrait d’amertume. Methos, resté légèrement en retrait, ferma brièvement les yeux. Il serra les mâchoires, sa respiration un peu plus lourde qu’à l’ordinaire.

— Il a essayé de nous prévenir, dit-il d’une voix rauque. Il nous a parlé de ses rêves, de ses craintes… Mais on n’a pas voulu l’entendre.

Duncan se tourna vers lui, une lueur d’incompréhension et de colère dans le regard.

— Ce n’étaient que des cauchemars, Methos. Comment aurions-nous pu savoir ?

Ce dernier laissa échapper un rire bref, amer.

— Justement. Lui savait. Et nous… on n’a rien fait.

Il secoua la tête, fixant le sol comme s’il s’en voulait d’être encore debout.

— Il n’aurait pas dû mourir. Pas lui. Il était…

Sa voix se brisa. Il inspira profondément, tentant de retrouver son calme, mais le tremblement imperceptible dans ses doigts trahissait son trouble.

— Il était le meilleur d’entre nous, murmura-t-il enfin.

Duncan détourna les yeux, la douleur imprimée sur ses traits.

— Et pourtant, ce sont des mortels qui l’ont tué.

Il serra les poings, luttant contre l’envie viscérale de frapper quelque chose, de canaliser cette rage qui lui brûlait les veines.

— Des humains, Methos. Pas un combat, pas un duel. Juste des hommes qui ont décidé qu’il devait mourir.

Le vieil immortel ne répondit pas immédiatement. Il fixait toujours le sol, le regard vide, absent. Puis, lentement, il passa une main sur son visage, et Duncan remarqua l’infime tremblement dans son geste.

— Il aurait ri de ça, tu sais, souffla Methos dans un murmure tremblant.

Duncan fronça les sourcils, mais Methos ne semblait même plus parler pour lui.

— Il nous aurait dit que c’était ironique, que c’était la preuve que l’humanité était pleine de surprises…

Il laissa échapper un léger rire étranglé, qui se mua en quelque chose de plus douloureux.

— Et moi, je l’aurais traité d’imbécile idéaliste.

Sa voix s’éteignit dans un souffle. Il inspira, une fois, deux fois, mais cela ne suffit pas à retenir ce qui montait en lui. Il passa une main sur sa nuque, comme s’il voulait se donner une contenance, mais ses épaules s’affaissèrent.

— Bon sang, Darius…

Sa voix se brisa sur le nom. Il secoua la tête, comme s’il refusait d’accepter la réalité, mais c’était trop tard. Ses épaules tremblèrent, et il porta une main à son visage, comme pour se cacher.

Duncan sentit une boule se former dans sa gorge. Voir Methos, toujours si détaché, si maître de lui-même, s’effondrer ainsi lui fit réaliser l’ampleur du vide qu’ils venaient de perdre. Il hésita, un instant, puis posa une main sur son épaule.

Methos ne bougea pas.

Duncan serra légèrement sa prise, un geste maladroit, hésitant, puis finit par l’attirer contre lui. Son ami ne résista pas. Il resta immobile, respirant profondément, comme s’il luttait pour retrouver son masque d’indifférence. Un long silence s’étira entre eux, pesant mais nécessaire. Ils restèrent ainsi, deux silhouettes figées dans la douleur, soutenant l’absence d’un troisième. Peu à peu, la respiration du vieil immortel se calma, et il ferma brièvement les yeux avant de se redresser, retrouvant une contenance.

— Ce n’est pas le moment de chercher un coupable, murmura-t-il, sa voix encore chargée d’émotion. Ce n’est pas le moment de laisser la colère prendre le dessus. Ce qui compte, c’est ce qu’on fait maintenant.

Duncan hocha lentement la tête.

— On va lui offrir des funérailles dignes de lui, répondit-il, sa voix plus ferme malgré la douleur.

Methos se redressa légèrement, reprenant contenance.

— Oui.

Un silence s’installa entre eux, mais cette fois, il était moins lourd.

Puis Methos tendit la main et effleura le bord du drap blanc, comme s’il hésitait à le rabattre sur le visage de son ami. Finalement, dans un geste infiniment doux, il le fit glisser jusqu’à recouvrir le corps de Darius.

— Repose en paix, mon ami…

Et sans un mot de plus, ils quittèrent la morgue, deux silhouettes hantées par le poids d’une absence irréparable.




Ils transportèrent le corps de Darius dans un petit crématorium, où une cérémonie discrète avait été organisée, dans un respect profond pour celui qui avait toujours prôné la simplicité et la paix.

Alors que les autres attendaient à l’extérieur, Methos demanda à rester seul un instant. Personne ne posa de question. Duncan lui adressa un simple regard, une compréhension muette, puis s’éloigna sans un mot.

Il entra dans la pièce où reposait le cercueil, un espace sobre et silencieux, éclairé seulement par la lumière tamisée des appliques murales. Il s’approcha lentement, ses pas résonnant sur le carrelage froid. Devant lui, Darius reposait, figé dans un dernier silence, un contraste cruel avec l’homme qu’il avait été.

Methos laissa échapper un soupir tremblant et posa une main sur le bois du cercueil.

— J’imagine que c’est le moment où je suis censé trouver les mots justes, murmura-t-il.

Il esquissa un sourire bref, sans joie.

— Mais tu savais déjà tout ça, pas vrai ?

Il inspira profondément, cherchant à contenir cette vague d’émotion qu’il refoulait depuis des jours.

— Tu étais le meilleur d’entre nous. Je n’ai jamais eu à te le dire, parce que tu le savais, pas d’un savoir orgueilleux, mais d’une certitude humble. Ce n’était pas tes combats qui faisaient de toi un grand homme, mais ce que tu as choisi d’en faire.

Ses doigts glissèrent lentement sur le bois.

— Tu disais souvent que le temps n’appartenait à personne, que nous ne faisions que l’emprunter. Mais Darius… je crois que le monde te devait un peu plus que ça.

Sa gorge se serra. Il se tut un instant, baissant les yeux, puis reprit plus doucement :

— Je sais que tu étais prêt. Que tu avais trouvé ta paix bien avant ce jour. Mais moi, je ne l’étais pas.

Il ferma les yeux, puis souffla, dans un murmure à peine audible :

— Tu vas me manquer, mon ami.

Un long silence s’installa. Methos resta là encore un moment, figé devant le cercueil, comme s’il espérait capter une dernière fois la présence de son ami, entendre un de ses rires discrets, ou un de ses conseils énigmatiques. Mais seul le vide lui répondit.




Le soir même, ils se réunirent au bord d’un cours d’eau isolé, loin des regards indiscrets, pour disperser ses cendres.

La nuit tombait, enveloppant les lieux d’un voile de sérénité. Une brume légère s’élevait au-dessus de l’eau, donnant à l’endroit une atmosphère presque irréelle, comme si la nature elle-même participait au recueillement. Le petit groupe d’immortels se tenait en cercle autour de l’urne en terre cuite, le silence chargé de peine et de souvenirs.

 

Duncan s’avança le premier, la tête basse, les épaules alourdies par le deuil. Il posa une main sur l’urne, prenant un moment pour rassembler ses pensées. Lorsqu’il leva les yeux, sa voix était empreinte d’une émotion rare.

— Darius, mon ami… Deux siècles. Deux siècles depuis que nos chemins se sont croisés pour la première fois. Deux siècles tissés d’amitié, de débats passionnés, de rires partagés, et de leçons inestimables. Tu n’étais pas seulement un compagnon de route, tu étais une ancre, un phare dans la tempête.

Tu n’étais peut-être pas le plus vieux d’entre nous, mais ta sagesse dépassait les âges. Chaque mot que tu prononçais portait un poids, une vérité que peu pouvaient saisir pleinement. Ton regard sur le monde, empli de compassion et de sérénité, était une rareté, un trésor qui illuminait ceux qui avaient la chance de te connaître.

Le vide que tu laisses, mon ami, est insondable. Pas seulement dans ce monde que tu as cherché à rendre meilleur, mais aussi dans mon cœur, dans mon âme. Tu étais plus qu’un ami. Tu étais mon frère, mon guide, et parfois, ma conscience quand je perdais mon chemin. Sans toi, je ne serais pas l’homme que je suis aujourd’hui.

Va, mon ami, vers cette paix que tu as tant chérie et que tu méritais plus que quiconque. Ton absence me pèsera chaque jour, dans chaque silence, dans chaque instant où j’aurai besoin de ta sagesse. Mais je porterai ton héritage en moi. Je te promets de marcher avec cette lumière que tu as allumée en moi.

Tu me manqueras… tous les jours. Et chaque jour, je te célébrerai.

Duncan ferma les yeux un instant, puis, lentement, il prit une poignée de cendres qu’il laissa glisser dans le courant. Une larme coula sur sa joue, qu’il ne chercha pas à dissimuler.

 

Amanda suivit, s’avançant doucement. Ses mots étaient simples, mais portés par une profonde tendresse :

— Tu étais une lumière, Darius. Une âme rare, douce et apaisante. Merci pour tout ce que tu as donné, non seulement à nous, mais à ce monde. Tu as toujours été un havre de paix.

Elle lança à son tour une poignée de cendres, avant de reculer.

Richie prit la parole avec sa sincérité habituelle, exprimant sa gratitude pour les leçons et le respect qu’il avait reçus de Darius.

Puis ce fut au tour de Methos. Il resta immobile un instant, fixant la rivière comme s’il cherchait ses mots dans le courant. Lorsque sa voix s’éleva, elle était plus douce, plus vulnérable que jamais.

— Tu étais tout ce que je n’ai jamais réussi à être. Une âme emplie d’une foi inébranlable en la bonté, même lorsque le monde s’acharnait à te démontrer le contraire. Tu m’as appris que la rédemption n’est pas qu’un concept, mais un chemin difficile, que tu parcourais avec une force et une humilité incroyables. Tu n’as jamais prétendu être parfait, mais c’est précisément cette humanité qui te rendait exceptionnel. Tu vas nous manquer, mon ami. Ce monde était un peu meilleur grâce à toi. Merci… pour ton amitié et ton pardon.

Sa main trembla légèrement lorsqu’il dispersa une poignée de cendres. Puis il recula, laissant la place à Aélis.

Elle ne bougea pas.

Trop d’émotions se mélangeaient en elle, un chaos si profond qu’aucun mot ne pouvait le contenir. Elle se contenta de fixer les cendres s’élevant dans la brise, se fondant à la rivière. Les autres n’insistèrent pas. Ils comprenaient.

 

Quand enfin le reste des cendres fut dispersé, les immortels quittèrent lentement les lieux, laissant Aélis seule au bord de l’eau. Methos s’attarda en retrait, veillant sur elle sans briser l’intimité qu’elle réclamait. S’avançant jusqu’à la rive, elle fixa le courant paisible, cherchant un ancrage dans la fluidité du mouvement, dans cette certitude que l’eau, elle, continuerait de couler, quoi qu’il arrive.

Et si, lui aussi, avait su qu’il partirait ?

La question la frappa avec une brutalité inattendue.

Elle revit la tristesse dans son regard, la nuit où tout avait basculé. L’hésitation au moment où il avait posé ses lèvres sur les siennes. L’ombre fugace qui avait traversé ses yeux, comme s’il se débattait avec quelque chose qu’elle n’avait pas su voir. Ou qu’elle avait refusé de voir. Et s’il avait pressenti sa propre fin ? Et s’il s’était permis cet écart, non pas par désir, mais par nécessité ?

Un frisson la parcourut. Darius n’était pas un homme impulsif. Elle aurait voulu croire que cette nuit n’était que le fruit du hasard, une réponse instinctive à l’attirance grandissante entre eux. Mais maintenant, en observant les cendres se dissoudre dans la rivière, elle ne pouvait s’empêcher de se demander… L’avait-il choisie en sachant qu’il n’y aurait pas d’après ? Un dernier instant de lumière, avant l’obscurité.

La douleur l’étrangla, et elle dut fermer les yeux un instant, tentant de maîtriser le tumulte en elle. Elle n’était pas responsable. Elle le savait. Mais cette nuit… cette dernière nuit, elle ne pourrait jamais l’oublier.

Prenant une inspiration tremblante, elle laissa enfin sa voix s’élever, à peine plus qu’un murmure :

— Darius… Tu étais ma lumière dans un monde si souvent plongé dans l’obscurité. Une force tranquille, un ancrage, celui vers qui je pouvais me tourner quand tout semblait s’effondrer. Et maintenant… tu fais partie de moi d’une manière à laquelle je ne m’étais pas préparée. Avec toi, je pouvais être entière, sans avoir à me justifier, sans craindre d’être de trop. Mais aujourd’hui, tout est silence. Tout est vide. Et je ne sais pas comment avancer sans toi.

Elle ferma les yeux un instant, cherchant à calmer cette brûlure dans sa gorge, ce poids qui écrasait sa poitrine. Mais les mots continuaient de s’imposer, irrépressibles.

— J’aurais dû comprendre. Quand tu parlais de tes cauchemars, quand ton regard s’égarait ailleurs… Tu essayais de me dire quelque chose, n’est-ce pas ? Mais je n’ai pas écouté. Pas assez. J’étais là, tout près, et pourtant je n’ai rien vu.

Tu m’as toujours poussée à voir au-delà de mes peurs, à accepter ce que je suis. Mais toi, Darius… qui t’a aidé, toi ? Qui t’a offert ces mots que tu donnais si facilement aux autres ? Peut-être que j’aurais pu te retenir. J’aurais voulu te dire que rien n’était figé, que tout restait à écrire. Que tu n’étais pas seul. Est-ce que tu le savais, au moins ? Est-ce que tu l’as senti, cette nuit-là, quand nous étions ensemble ? Ou était-ce déjà un adieu pour toi ?

Elle inspira profondément, les yeux fixés sur l’eau, comme si elle pouvait encore l’y apercevoir.

— Tu seras dans chacun de mes choix, dans chaque doute, dans chaque instant où je chercherai une réponse. Parce que c’est ce que tu faisais. Parce que, d’une façon que je ne peux même pas expliquer, tu fais partie de moi. Et je refuse de te laisser disparaître.

Je ne peux pas te dire adieu. Pas encore. Pas comme ça. Mais ce que je peux te dire, c’est que je t’aime, Darius.

C’était la première fois qu’elle le formulait. Et même si c’était trop tard, même si les mots ne trouveraient jamais leurs échos, elle avait besoin de les dire.

Les larmes ruisselaient sur ses joues, se mêlant au chant discret de la rivière. Alors qu’un souffle de vent caressait son visage, elle ressentit une étrange chaleur, presque une présence. C’était comme si Darius lui adressait un dernier adieu, un dernier message d’apaisement.

Mais le vide qu’il laissait derrière lui, lui, ne disparaîtrait jamais.

 

Methos, resté à l’écart, observa la scène en silence. Ses bras croisés sur sa poitrine, il fixait l’eau qui emportait les cendres de son ami. L’homme qu’il avait toujours été aurait ignoré ces émotions naissantes, les aurait noyées sous des couches de cynisme et d’indifférence feinte. Mais aujourd’hui, les émotions étaient trop présentes, trop lourdes pour être niées.

Darius représentait bien plus qu’un simple ami. Il était une figure de pardon silencieux, quelqu’un qui ne l’avait jamais jugé pour ses choix passés mais qui, d’une manière ou d’une autre, lui avait toujours montré qu’il pouvait être meilleur.

— Tu avais raison, Darius, murmura-t-il à voix basse. Fuir n’a jamais suffi.

Il inspira longuement. Aélis, cette jeune immortelle qui portait un poids si lourd, avait surtout besoin d’aide pour surmonter ce deuil écrasant. Elle n’était pas du genre à demander du soutien, tout comme lui l’avait souvent été dans son passé. Il ne savait pas encore comment l’aider, ni s’il en était capable. Mais il se surprit à vouloir essayer.

 

Après un long moment, elle se redressa et rejoignit Methos. Ses yeux, encore rouges de chagrin, brillaient d’une détermination nouvelle. Sans un mot, ils quittèrent ensemble le bord de l’eau, laissant le fleuve emporter les cendres de leur ami vers l’immensité de l’océan.

Laisser un commentaire ?