Le Prix à payer - Highlander Fanfiction

Chapitre 7 : Un instant Suspendu

8183 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 5 mois

Avec la menace d’Alexandre écartée, Aélis retrouva un semblant de routine, entre ses entraînements quotidiens et ses visites régulières chez Darius. Pourtant, quelque chose avait changé. Dans les jours qui suivirent, elle remarqua chez lui une gravité inhabituelle. Son calme coutumier semblait voilé d’une préoccupation silencieuse. Il passait plus de temps plongé dans ses pensées, et bien que leur complicité restât intacte, elle sentait qu’il lui cachait quelque chose. Que quelque chose le troublait profondément.

Il lui avait suggéré, presque en passant, de ne plus venir à l’église avec son épée. Officiellement, il évoquait la surveillance policière renforcée après l’incident avec Alexandre, expliquant qu’elle risquait des ennuis si elle était vue avec une arme. Elle avait accepté sans insister, mais l’excuse sonnait creux.

 

Un après-midi, après son entraînement, elle se rendit à l’église plus tôt que d’habitude. Alors qu’elle approchait du parvis, une double vibration caractéristique lui indiqua que son ami n’était pas seul. En ralentissant, elle distingua une silhouette en pleine conversation avec lui. Un homme à la peau mate, à la barbe soigneusement taillée et aux cheveux sombres attachés en une queue de cheval basse. Il dégageait une intensité qui la frappa immédiatement, un mélange de force contenue et de dureté impassible.

Elle surprit les derniers mots échangés.

— Je n’irai pas contre ta volonté, mais sache que je ne suis pas d’accord, dit l’inconnu d’une voix grave.

— Je sais, répondit Darius dans un soupir.

Lorsqu’elle arriva à leur hauteur, le silence tomba. Darius fit un effort visible pour alléger l’atmosphère et déclara :

— Aélis, je te présente Soleman, un ami de longue date.

Elle lui tendit la main avec un sourire poli.

— Enchantée.

Soleman posa sur elle un regard froid, presque distant. Il resta immobile un instant, puis hocha simplement la tête, ignorant sa main tendue avant de reculer légèrement.

— Je vais y aller, dit-il d’un ton neutre.

Darius le retint brièvement, et les deux immortels s’étreignirent avec une gravité qui ne laissait aucun doute sur l’importance du moment. Aélis resta légèrement en retrait, observant la scène avec une gêne croissante. Quelque chose en elle s’attendait à ce que l’inconnu lui accorde au moins un regard, un mot, mais il l’ignorait presque délibérément. Comme si elle n’avait aucune importance à ses yeux.

Darius murmura quelques mots qu’elle ne perçut pas, sa voix plus rauque qu’à l’ordinaire. Soleman répondit d’un simple hochement de tête avant de s’éloigner. Il ne se retourna pas, mais elle sentit tout de même la tension qu’il laissait derrière lui.

Le prêtre resta immobile quelques instants, comme perdu dans ses pensées. Puis il se tourna vers elle et, avec un ton qu’il espérait plus léger, déclara :

— Rentrons.

Elle hocha la tête et le suivit à l’intérieur, le silence entre eux chargé d’interrogations qu’elle n’osait encore formuler.




Ils s’installèrent autour de la table pour une partie de cartes, une alternative familière lorsque les échecs ne les inspiraient pas. Pourtant, ce soir-là, Darius n’avait pas l’esprit au jeu. Ses gestes étaient lents, mécaniques, et son regard semblait sans cesse attiré par un point invisible, bien au-delà des murs de son église. Il distribuait les cartes sans y prêter attention, et ses réponses aux rares échanges manquaient de sa vivacité habituelle.

Aélis fronça légèrement les sourcils. Darius avait toujours eu ce calme profond, cette façon d’être paisible même au cœur de la tempête. Mais là, c’était différent. Son silence n’avait rien de serein. Il pesait. Elle finit par abandonner sa main et posa les cartes sur la table, l’observant un instant, hésitante. Depuis combien de temps ne l’avait-elle pas vu sourire vraiment ? Depuis combien de temps son regard n’avait-il pas brillé de cette lueur tranquille qui le caractérisait tant ?

Elle se rapprocha légèrement, et posa une main légère sur son bras pour attirer son attention.

— Darius, qu’est-ce qu’il se passe ?

Il releva enfin les yeux vers elle. Une ombre voilait son regard, une tristesse qu’il ne cherchait même plus à dissimuler.

— Rien qui ne mérite de t’importuner, répondit-il avec un sourire fragile.

Il désigna les cartes, tentant maladroitement de détourner la conversation.

— Où en étions-nous ?

Aélis secoua la tête, refusant de se laisser distraire.

— Non… Il y a clairement quelque chose qui te pèse. Ça fait plusieurs jours que tu sembles ailleurs. Je ne t’ai jamais vu comme ça.

Il hésita, cherchant visiblement ses mots.

— Je ne veux pas t’embêter avec ça…

— C’est à cause de ton ami ? Celui qui vient de partir ?

— Non, murmura-t-il après un silence. Il s’inquiète pour moi.

— Moi aussi, je m’inquiète pour toi, Darius, insista-t-elle, plus fermement cette fois.

Le voir ainsi, enfermé dans ses pensées sombres, lui serra le cœur. C’était étrange, ce sentiment. Un pincement, comme une douleur muette. Elle l’avait déjà ressenti, autrefois, mais c’était plus diffus, plus facile à ignorer. Là, c’était différent. Plus proche. Il était toujours celui qui veillait sur les autres. Celui qui écoutait, qui apaisait, qui rassurait. Mais qui prenait soin de lui ?

Sans vraiment y réfléchir, elle prit ses mains dans les siennes. Il ne bougea pas, surpris par ce contact, et elle sentit une légère tension dans ses doigts avant qu’il ne les relâche, comme s’il se laissait faire.

— Je sais que tu es celui qui écoute, celui qui soutient. Mais les rôles peuvent s’inverser parfois. Je suis là, si tu veux parler.

Ses mains étaient chaudes sous les siennes, et elle se rendit compte qu’elle les caressait du bout des doigts, presque machinalement. Il ne bougeait pas, la fixant d’un regard indéchiffrable. Elle ne savait pas pourquoi, mais son cœur battait plus fort. Il y avait dans cette proximité quelque chose d’étrange, de différent. Quelque chose qu’elle ne s’expliquait pas. Pourtant, elle ne recula pas tout de suite.

— Je tiens à toi, Darius, reprit-elle d’une voix plus douce. Duncan et Methos aussi. Peut-être préfères-tu parler à l’un d’eux ? Je comprendrais. Après tout, nous ne nous connaissons pas depuis si longtemps…

Elle marqua une pause, guettant une réaction, mais il restait impassible, figé dans un mutisme qu’elle ne lui connaissait pas.

— Mais si tu veux te confier, je suis là.

Son regard passa furtivement sur ses lèvres avant de revenir se fixer sur ses yeux. Un battement plus fort résonna dans sa poitrine. Pourquoi cette impression étrange, cette sensation qu’un fil invisible s’était tendu entre eux ? Elle se recula brusquement, rompant le contact, comme si son propre corps avait réagi avant même qu’elle ne prenne conscience de ce qu’elle ressentait.

— Tu n’as clairement pas la tête à jouer ce soir, dit-elle, cherchant à retrouver une certaine légèreté. Je laisse mon jeu ici, on reprendra une autre fois.

Elle lui adressa un sourire, un peu forcé, mais empli de bienveillance.

— Si jamais tu veux parler, à n’importe quelle heure, appelle-moi. Et si tu veux juste un peu de compagnie, même au milieu de la nuit, je viendrai.

Darius lui rendit un sourire faible, mais sincère, et acquiesça d’un léger mouvement de tête.

Alors qu’elle se dirigeait vers la sortie, elle lui souffla un baiser sur le bout de ses doigts avant de refermer la porte derrière elle.

Darius resta immobile un instant, puis laissa échapper un long soupir, passant une main sur son visage. Il aurait aimé qu’elle insiste. Il aurait aimé qu’elle reste. Mais il ne pouvait pas lui imposer ce poids. Pas à elle. Pas maintenant.




Le lendemain matin, alors qu’elle s’apprêtait à sortir, le téléphone d’Aélis vibra dans sa poche. Elle haussa un sourcil en reconnaissant le numéro de Darius. Un bref instant, elle hésita avant de décrocher. C’était la première fois qu’il utilisait l’appareil qu’elle lui avait offert. Il s’en était amusé, un peu moqué, mais il l’avait gardé. Et aujourd’hui, il l’appelait.

— Bonjour Darius. Alors, tu t’es enfin réconcilié avec ton téléphone ?

Elle l’entendit souffler un léger rire, discret, comme s’il n’y avait pas pensé.

— Disons que je lui ai trouvé une utilité.

Un silence s’étira, léger, avant qu’il ne reprenne :

— J’ai réfléchi à ta proposition d’hier soir. Et je crois que tu as raison. J’aimerais te parler.

Elle redressa légèrement la tête. Il lui avait fallu une nuit pour se décider, ce qui signifiait que quelque chose le retenait encore. Darius ne se confiait pas facilement. Il portait les autres, mais rarement se laissait porter.

— Est-ce que tu pourrais passer ce soir, après la messe ?

Ce n’était pas une simple demande. Elle le sentit dans sa voix, dans cette pointe de vulnérabilité qui affleurait sous son ton mesuré.

— Bien sûr, répondit-elle sans hésiter.

Elle marqua une pause, adoucissant sa voix.

— Je suis contente que tu veuilles partager ce qui te tracasse. J’espère pouvoir t’aider.

Elle crut l’entendre sourire, un soupir presque imperceptible à l’autre bout du fil.

— À ce soir, Aélis.

Il raccrocha.

Elle resta un instant immobile, le téléphone toujours en main. Elle connaissait Darius. Ou du moins, elle croyait le connaître. Mais quelque chose, dans cet appel, dans la manière dont il avait pesé ses mots, lui laissait penser qu’elle n’avait pas encore tout compris.




Le soir venu, Aélis arriva à l’église alors que la messe touchait à sa fin. Elle préféra rester en retrait, choisissant une place au fond, observant Darius officier avec attention. Il était d’ordinaire si serein dans son rôle, mais ce soir, quelque chose était différent. Il y avait une gravité inhabituelle dans sa posture, une ombre dans son regard lorsqu’il levait les yeux vers la nef.

Lorsqu’il rejoignit enfin l’autel pour saluer les derniers fidèles, elle s’approcha lentement. À sa grande surprise, il la prit dans ses bras. Un geste rare, presque incongru venant de lui. Il n’avait jamais été avare d’affection, mais cette étreinte-là était différente. Plus appuyée. Plus nécessaire. Elle sentit la tension dans ses épaules et lui rendit son étreinte avec douceur. Ce n’était pas seulement un geste de réconfort, c’était un ancrage. Elle se demanda s’il était conscient de la manière dont ses doigts s’attardaient un peu trop longtemps sur son dos avant de se détacher.

Après avoir aidé à ranger quelques objets liturgiques, elle le suivit jusqu’à ses appartements. Darius prépara du thé en silence, un rituel apaisant, un geste qu’il avait accompli mille fois. Mais ce soir, ses gestes manquaient de fluidité, comme si son esprit était ailleurs. Il lui tendit une tasse sans un mot et s’assit à côté d’elle sur le canapé. Aélis l’observa en biais. Il essayait de masquer son trouble, mais elle le connaissait assez désormais pour savoir qu’il luttait. Il était tendu, son regard s’attardait sur elle plus qu’il ne l’aurait dû, et chaque mouvement semblait plus mesuré que d’ordinaire. Elle attendit qu’il parle, sans le presser.

— Je ne sais pas trop par où commencer…

Il marqua une pause, ses doigts se resserrant imperceptiblement autour de sa tasse. Il semblait chercher un équilibre, une ligne à ne pas franchir, mais qu’il sentait glisser sous ses pieds.

— Ce que je vais te dire va te sembler étrange, mais il y a plusieurs années, j’ai eu une vision. J’ai vu ma propre mort. Tout était d’une clarté absolue. Je l’ai ressentie, vécue… et depuis quelques mois, cette vision revient sans cesse me hanter. J’ai peur que mon temps ne soit bientôt révolu.

Aélis resta figée, surprise par la brutalité de cette confession.

— Tu veux m’en parler plus en détail ? demanda-t-elle doucement.

— Non…

La réponse était presque sèche. Il détourna légèrement le regard, comme si en parler davantage risquait de rendre l’inévitable plus tangible.

— Mais… tu es en sécurité ici, non ? En lieu saint, aucun immortel ne peut te faire de mal. C’est à cause d’Alexandre ?

Il secoua la tête, évacuant cette hypothèse sans un mot.

— Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ?

— Ta présence est déjà un grand réconfort…

Il posa enfin les yeux sur elle. Son regard était intense, trop intense. Il y avait quelque chose d’indéchiffrable dans cette manière de la fixer, comme s’il pesait une vérité qu’il ne pouvait formuler. Elle soutint son regard, cherchant à comprendre ce qu’il ne disait pas. Ce n’était pas simplement du réconfort qu’il cherchait. Il y avait autre chose. Quelque chose qu’il s’interdisait.

Elle ouvrit les bras, un geste spontané, une invitation silencieuse. Darius ne bougea pas immédiatement. Elle vit ses doigts trembler légèrement autour de sa tasse, une hésitation infime, mais révélatrice. Puis, lentement, il se laissa aller contre elle.

Aélis sentit son souffle chaud contre sa peau, et un frisson la parcourut. Il posa la tête dans le creux de son cou, et elle referma ses bras autour de lui, ses doigts glissant doucement dans son dos, cherchant à apaiser cette tension qu’elle sentait vibrer en lui. Il se laissait aller contre elle d’une manière qu’il n’avait jamais osé faire auparavant.

Lorsqu’ils se séparèrent, elle plongea son regard dans le sien, cherchant à déceler ce qui se jouait derrière cette tension silencieuse. Il n’avait pas l’air plus serein. Au contraire.

— Tu veux que je reste dormir ici ?

Il sembla pris de court, comme s’il ne s’attendait pas à cette proposition.

— Si tu as besoin d’une présence amicale, précisa-t-elle pour dissiper tout malentendu.

Mais Darius ne répondait pas. Il se contentait de la fixer, et cette fois, elle ne pouvait ignorer ce qu’elle voyait dans ses yeux. Un frisson imperceptible la parcourut. Elle connaissait ce regard.

Lentement, il leva une main et la posa sous son menton, un geste infiniment mesuré, presque hésitant. Comme s’il se battait contre lui-même jusqu’au dernier instant. Aélis sentit son cœur battre plus fort. Son souffle lui parut plus court, ses pensées plus confuses. Puis il approcha son visage du sien, un battement de cœur d’incertitude entre eux. Elle eut un mouvement de recul instinctif. Darius s’arrêta aussitôt et se redressa précipitamment, comme s’il venait de commettre une erreur irréparable.

— Je suis désolé…

Il fit un pas vers la porte, mais elle l’attrapa par la main avant qu’il ne s’éloigne.

— Darius, attends. Ce n’est rien, souffla-t-elle, cherchant à capter son regard.

Mais il ne s’arrêta pas. Son hésitation la toucha plus qu’elle ne l’aurait cru. Ce n’était pas l’homme qu’elle connaissait, sûr de lui, toujours maître de ses émotions. Ce soir, il était différent, vulnérable, presque fragile.

Alors, d’un geste instinctif, elle se plaça devant lui, posant ses mains sur son torse pour l’arrêter. Sous ses doigts, elle sentit son cœur battre fort. Trop fort.

— Tu m’as juste surprise, murmura-t-elle avec sincérité.

Il ferma les yeux une fraction de seconde, comme pour reprendre le contrôle, mais lorsqu’il les rouvrit, elle y lut un mélange de désir et d’hésitation. Quelque chose en lui luttait, un conflit silencieux entre ce qu’il avait toujours cru être juste et ce qu’il ressentait à cet instant.

— Je n’aurais pas dû… Je ne sais pas ce qui m’a pris, murmura-t-il.

Elle encadra son visage entre ses mains, forçant le regard fuyant de Darius à croiser le sien. Et à cet instant, quelque chose bascula en elle.

Tous ces derniers mois… Sa main qui s’attardait légèrement sur la sienne lorsqu’il lui avait offert ce bracelet. Son trouble imperceptible quand elle venait le voir sans raison particulière. Cette tendresse douce, mais contenue. Tout était là, sous ses yeux, depuis le début. Et elle n’avait pas voulu le voir. Ou peut-être avait-elle refusé d’y croire. Parce qu’il était prêtre. Parce qu’elle s’était persuadée que tout cela n’était qu’un respect profond, une amitié sincère… et rien d’autre. Mais alors pourquoi son propre cœur battait-il aussi fort ? Pourquoi ressentait-elle ce vertige, cette sensation d’être suspendue à un fil trop fin ?

Sans réfléchir, elle combla la distance entre eux.

Le baiser fut bref, mais il suffit à ébranler toutes leurs certitudes. Elle sentit Darius tressaillir légèrement sous le contact, sa respiration suspendue. Comme s’il n’avait jamais osé imaginer que cet instant puisse exister.

Lorsqu’elle recula, leurs regards restèrent accrochés, et Aélis sentit une chaleur diffuse se propager dans tout son corps. Mais l’instant d’après, la panique la frappa. Qu’avait-elle fait ? Son esprit s’emballa. Son habit, son rôle, tout ce qu’il représentait… Elle avait conscience qu’il ne croyait pas en Dieu, mais cela ne changeait rien au poids symbolique de son engagement. Elle venait d’embrasser un prêtre.

Darius lut l’incertitude dans ses yeux, et soudain sa conscience le rattrapa. Qu’avait-il initié ? Il pouvait encore tout stopper, la renvoyer chez elle, ou… accepter l’inéluctable.

Mais il avait pris sa décision.

 

Lentement, il leva une main pour encadrer son visage, effleurant sa peau du bout des doigts, comme s’il hésitait encore à franchir cette ligne invisible. Elle sentit son souffle se suspendre. C’était comme se tenir au bord d’un précipice, à un battement de cœur du point de non-retour. Puis, dans un mouvement mesuré, contrôlé mais chargé d’une intensité troublante, il l’embrassa à son tour.

Cette fois, le baiser dura plus longtemps. Il n’y avait ni précipitation ni incertitude apparente, seulement une chaleur douce qui les enveloppait, un équilibre précaire entre leur désir naissant et le poids de tout ce que cela impliquait. Mais ils savaient que cet instant changeait tout.

Darius glissa lentement une main dans le creux de son dos, la ramenant un peu plus contre lui, comme s’il cherchait à ancrer cette réalité dans sa chair. Aélis s’accrocha à lui instinctivement, ses doigts serrant légèrement l’étoffe de son vêtement. Elle n’avait jamais ressenti cela avec lui auparavant – cette attirance puissante, teintée d’une douceur qu’elle ne savait pas encore nommer.

Il embrassa ses lèvres, puis laissa ses doigts explorer lentement la ligne de ses épaules. Lorsqu’il atteignit l’ouverture de sa chemise, il s’arrêta brusquement, fermant les yeux une fraction de seconde pour reprendre le contrôle. Mais il tremblait légèrement. Aélis le sentit. Il voulait ce moment, elle le voyait dans la façon dont son regard effleurait le sien, dans la manière dont sa main hésitait sur le tissu entre eux. Mais il luttait encore. Et peut-être que c’était elle qui devait l’aider à lâcher prise.

Elle posa ses mains sur les siennes, arrêtant doucement son geste.

— Darius… Tu es sûr ?

Sa voix était un murmure, mais elle portait tout le poids de l’instant. Il hocha légèrement la tête, mais pas avec certitude. C’était un mouvement hésitant, presque fragile, comme un homme qui s’aventure en terrain inconnu, mais qui refuse de reculer. Alors il lui retourna la question, dans un souffle.

— Et toi ?

Elle chercha ses mots, mais rien de clair ne lui vint. Elle ne savait pas. Elle ne savait pas comment ils en étaient arrivés là, comment ils avaient franchi cette limite qui, pourtant, avait toujours été là, tapie dans l’ombre de leurs silences partagés. Mais elle savait qu’elle ne voulait pas le repousser.

— Je… je ne sais pas, finit-elle par souffler avec une sincérité désarmante.

Ils restèrent ainsi, suspendus entre le désir et l’incertitude, comme si le moindre mouvement pouvait tout faire basculer.

Darius, lentement, saisit sa main gauche et la posa contre sa poitrine. Son cœur battait fort, incontrôlable sous sa paume. Puis, il guida sa main droite jusqu’au sien. Leurs regards se croisèrent à nouveau tandis qu’elle fermait les yeux, attentive aux battements qui, peu à peu, trouvaient un même rythme. À l’unisson.

Elle rouvrit lentement les yeux et vit qu’il l’observait toujours, une lueur brûlante et indéchiffrable dans le regard. Son ventre se serra. Elle comprit à cet instant qu’elle avait déjà pris sa décision. Elle laissa tomber les barrières et hocha doucement la tête, murmurant un "oui" sincère, un aveu plus qu’une autorisation. Puis, doucement, elle guida la main de Darius pour la poser sur sa poitrine.

Il reprit son geste interrompu et défit avec soin les boutons de sa chemise, comme s’il voulait graver chaque mouvement dans sa mémoire. Aélis sentit son souffle s’accélérer alors que le tissu glissait lentement de ses épaules, révélant sa peau frissonnante sous la lumière tamisée. Elle ne s’était jamais sentie aussi consciente d’un moment, de la manière dont l’air lui paraissait plus épais, chargé d’une électricité subtile. Chaque effleurement, chaque frisson, semblait plus intense que tout ce qu’elle avait connu auparavant.

Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ?

Darius était une constante dans sa vie depuis son retour. Un repère, une présence apaisante… Une figure qu’elle n’aurait jamais imaginé voir sous cet angle. Mais en cet instant, alors qu’il traçait du bout des doigts la courbe de son bras avant de capturer ses doigts dans un baiser presque révérencieux, elle comprit. Ce n’était pas juste le prêtre. Ni l’ami. C’était l’homme. Et il la désirait.

Un frisson la parcourut lorsque ses lèvres s’attardèrent dans le creux de son cou, réveillant une vague de chaleur à laquelle elle ne savait pas si elle voulait résister ou céder entièrement. Et lui ? Darius n’était pas un homme impulsif. Tout en lui était fait de maîtrise, de contrôle, de patience. Mais ce soir, il était différent. Elle pouvait le voir dans sa respiration plus saccadée, dans la tension de ses doigts qui hésitaient un instant avant de glisser le long de sa peau. Luttait-il encore ? Il voulait donner un sens à chaque mouvement, mais elle le sentait sur le fil du rasoir, comme s’il redoutait qu’un geste trop brusque brise cette parenthèse fragile entre eux.

Lorsqu’il atteignit les fines bretelles de son sous-vêtement, il les abaissa lentement, toujours aussi mesuré, comme si elle pouvait se dérober d’un instant à l’autre. Mais elle ne voulait pas s’échapper. Chaque baiser qu’il déposait sur sa peau était une promesse et une prière, un serment silencieux qu’il lui faisait dans la langue universelle du désir. Ses doigts glissèrent jusqu’à l’attache dans son dos, puis s’immobilisèrent. Aélis sentit sa retenue, perçut le léger trouble dans son regard lorsqu’il chercha à comprendre le mécanisme. L’idée qu’il n’ait jamais eu à dénouer une telle lingerie auparavant lui arracha un sourire tendre, amusé. Elle captura son regard, guida ses mains avec douceur et, ensemble, ils défirent l’agrafe. Le tissu glissa au sol dans un frisson léger.

Darius n’eut pas le temps de réagir qu’elle attrapait déjà le col de son habit, cherchant à le libérer avec la même ardeur. Mais elle se figea, perplexe devant l’enchevêtrement infernal du vêtement. Elle leva les yeux vers lui, l’éclat espiègle dans son regard contrastant avec la solennité du moment.

— Là, c’est moi qui suis perdue.

Darius rit doucement, le trouble toujours niché dans ses traits, mais allégé par l’instant. Ils en avaient besoin. De cette légèreté, de cette respiration entre l’émotion et la fièvre. Avec des gestes plus assurés, il défit les attaches de son habit, plus conscient que jamais du moment qu’ils partageaient.

Lorsque l’étoffe glissa à terre, Aélis découvrit avec une pointe de surprise un simple t-shirt gris et un pantalon de lin noir. Il était toujours lui-même, sans artifices, sans le poids du rôle qu’il portait au quotidien. Ses doigts glissèrent sur ses côtes, explorant la texture de sa peau à travers le tissu avant de le soulever, révélant un torse finement sculpté, marqué par les cicatrices du temps. Elle effleura ces stigmates silencieux, retraçant leur histoire d’un toucher léger.

— Tu es marqué par le monde entier… murmura-t-elle, fascinée.

— Certaines époques laissent une empreinte, répondit-il simplement.

Son regard la brûlait. Elle l’attira à elle, parce qu’il n’y avait plus d’hésitation à avoir. Leurs lèvres se retrouvèrent, mais cette fois, il y avait plus d’intensité, plus de faim. Elle l’embrassa sur le front, sur les joues, sur la mâchoire, descendant dans son cou où elle s’attarda, savourant la tension sous sa peau, la chaleur qu’il dégageait.

Les mains d’Aélis glissèrent lentement sur le torse de Darius, descendant le long de ses flancs jusqu’à la ceinture de son pantalon. Elle sentit son souffle devenir plus court sous son toucher. Elle s’arrêta un instant, laissant le silence vibrer entre eux. Puis, d’un geste mesuré, elle dénoua la corde, relevant les yeux vers lui, une tendresse teintée d’une connivence silencieuse. Le tissu glissa lentement sur ses hanches et tomba à ses pieds. Avec une grâce tranquille, il s’en débarrassa d’un coup de talon, révélant un peu plus de son corps à la lumière tamisée. À son tour, il posa ses mains autour de sa taille et, avec la même précaution, fit glisser ses doigts jusqu’au bouton de son jean. Il s’arrêta un instant, comme pour lui laisser la possibilité de reculer, puis défit la fermeture éclair, abaissant lentement le tissu sur ses hanches.

Elle lui adressa un sourire complice avant de retirer elle-même ses baskets et son jean, s’assurant que rien ne vienne troubler l’harmonie de l’instant. Leurs regards se cherchèrent encore une fois, comme s’ils se demandaient comment ils avaient pu ignorer tout ça si longtemps. Mais il n’y avait plus de place pour le doute. Alors, sans plus attendre, il l’attira contre lui, leurs corps se cherchant dans une étreinte brûlante. Ses lèvres retrouvèrent les siennes, puis s’égarèrent sur sa peau, traçant un chemin de baisers sur son cou, ses épaules, et plus bas encore, chaque contact réveillant une chaleur intime, un désir croissant qui les consumait lentement.

Darius, l’homme de foi et de retenue, révélait une autre facette de lui-même, un homme passionné, attentif, guidé par une tendresse qui transcendaient les interdits. Il n’y avait plus de doutes, plus d’incertitudes, seulement cette électricité qui circulait entre eux, ce mélange d’émotions à la fois douces et brûlantes. Elle se surprit à penser qu’elle n’avait jamais connu un moment si parfait, où tout semblait fusionner : les cœurs, les corps, et les âmes.

Il la souleva sans effort, déclenchant un rire surpris qui s’échappa de ses lèvres alors qu’elle s’accrochait instinctivement à lui, enroulant ses jambes autour de sa taille pour ne pas perdre l’équilibre.

— Je ne te soupçonnais pas une telle force, murmura-t-elle, amusée.

Darius pivota vers le lit, un sourire en coin, plus léger que tout ce qu’elle avait vu de lui jusqu’ici.

— C’est normal, j’ai retiré le plus lourd : tes vêtements.

Aélis éclata de rire, un éclat malicieux dans le regard.

— Pourtant, il en reste encore un peu...

Il la déposa doucement sur le bord du lit et l’observa un instant. Un instant de trop. Ses yeux parcouraient son corps, pas seulement avec désir, mais avec quelque chose de plus complexe, plus profond, plus intime. Elle déglutit discrètement, sentant un nouveau trouble s’installer en elle. Était-ce une erreur ? Était-elle prête à affronter ce que cela signifiait ? Darius, lui, ne semblait pas encore prêt à bouger, comme s’il s’accordait un instant pour capturer cette image, pour la mémoriser. Puis, il brisa le silence d’une voix murmurée, presque joueuse :

— Voyons voir…

Ses mains glissèrent sur ses hanches, caressant la peau nue avec une douceur calculée, effleurant les derniers morceaux de tissu qui la couvraient encore. Il s’attarda un instant sur le nœud délicat qui retenait sa lingerie, comme s’il savourait chaque seconde, chaque détail de cet instant.

— Je dois d’abord étudier l’ennemi avant d’élaborer une stratégie, souffla-t-il, amusé, tout en effleurant le tissu du bout des doigts.

Aélis sourit en le regardant faire, laissant le jeu s’installer entre eux. Lentement, il fit glisser le dernier voile qui la séparait de lui, ses gestes empreints d’une retenue presque révérencieuse. Leurs regards se croisèrent, et elle comprit. Ce n’était pas juste du désir. C’était lui et elle, ici et maintenant, dans toute leur complexité.

Lorsqu’il s’agenouilla devant elle, posant un baiser léger sur sa cheville, un frisson intense la parcourut. Ses lèvres remontèrent lentement le long de sa jambe, chaque contact entrecoupé de caresses subtiles, de gestes d’une infinie tendresse. Il n’y avait aucune précipitation dans sa manière de l’approcher, seulement une découverte attentive, une exploration mesurée où chaque frôlement semblait éveiller un peu plus son désir… Mais aussi son appréhension.

Lorsqu’il atteignit le creux de son ventre, une chaleur douce et diffuse l’envahit, mais au fond d’elle, quelque chose se contracta. Elle ne savait pas exactement pourquoi. Elle se mordit discrètement la lèvre, luttant contre cette hésitation sourde. Mais Darius le sentit aussitôt. Il releva la tête vers elle, perceptif à la moindre de ses réactions, un regard tendre et questionnant.

— Qu’y a-t-il ? demanda-t-il doucement, la sincérité vibrant dans sa voix.

Elle ouvrit la bouche, hésita, puis baissa légèrement les yeux avant d’avouer dans un souffle :

— J’ai peur…

Darius fronça légèrement les sourcils, intrigué.

— Ne me dis pas que tu n’as jamais…

Elle secoua vivement la tête, coupant court à l’idée.

— Non ! Enfin, si, mais ce n’est pas ça…

Il ne la pressa pas. Il attendit. Parce que c’était ce qu’il faisait toujours. Lui laisser l’espace. Lui laisser le choix. Alors elle inspira profondément.

— C’est juste que… je n’ai pas l’habitude de partager ça avec un ami…

Elle regretta presque ses mots à peine les avait-elle prononcés, mais il ne sembla pas s’en offusquer. Au contraire. Il eut un sourire tendre, amusé, un éclat léger dans les yeux.

— Moi non plus…

Sa réponse lui arracha un rire discret, dissipant une partie de la tension. Elle passa ses mains autour de son visage, effleurant sa peau, cherchant dans ses traits quelque chose qu’elle n’avait pas encore compris elle-même. Puis elle murmura contre sa bouche, contre son souffle :

— Mais j’en ai envie…

Darius ferma brièvement les yeux, comme si ces mots le libéraient autant qu’ils le condamnaient. Il savait qu’il franchissait un point de non-retour, mais il ne voulait plus reculer. Il avait passé sa vie à refouler ce qu’il désirait, à enfouir sous la foi ce qui faisait de lui un homme autant qu’un prêtre. Mais là, dans cette nuit qui les enveloppait, dans ce regard qui le dévorait, il ne pouvait plus nier ce que son cœur criait en silence depuis trop longtemps. Alors cette fois, il n’y eut plus d’hésitation. Ses bras se refermèrent autour d’elle, la ramenant contre lui avec une douceur maîtrisée, une urgence qu’il avait rarement connue auparavant.

Leurs baisers reprirent. Plus profonds. Plus vrais. Aélis sentit une chaleur diffuse l’envahir, un mélange de désir et de certitude qui éclipsait tout le reste. Il n’y avait plus de doutes. Elle le voulait. Elle les voulait, eux. Et pourtant… Pourquoi avait-elle l’impression que quelque chose en elle basculait irrémédiablement ? Elle ignora la question, choisissant simplement d’être là, avec lui, entièrement, sans réserve.

Darius la guida lentement jusqu’à ce qu’elle s’allonge sous lui, leurs souffles s’entremêlant, leurs gestes se cherchant, se trouvant, jusqu’à ce qu’ils comprennent ensemble ce langage qu’ils n’avaient encore jamais parlé.

 

Leur union fut empreinte de douceur et d’intensité, une danse silencieuse, où chaque mouvement était une réponse à l’autre. Il n’y avait aucune hâte, aucun précipice vers lequel ils se jetaient à l’aveugle. Seulement eux, cette harmonie fragile et parfaite, cette alchimie brûlante qui prenait enfin tout son sens.

Aélis s’abandonna à lui, ses mains traçant des chemins invisibles sur sa peau, découvrant chaque ligne de son corps avec une lenteur savoureuse. Darius, lui, laissait ses doigts graver leur propre mémoire, comme s’il voulait capturer cet instant hors du temps, l’ancrer en lui à jamais.

Puis, dans un élan spontané, elle le fit basculer, inversant leurs positions dans une sensualité délicate mais assumée. Darius la laissa faire, déconcerté par sa propre absence de résistance. Il observa la façon dont elle le regardait, les ombres et la lumière qui dansait sur sa peau, et une pensée traversa son esprit : Elle était belle. Mais pas seulement physiquement. Elle était belle d’être là. D’exister. D’être cette présence qu’il n’avait pas osé espérer. Elle épousa son rythme, explorant ce lien naissant avec une confiance nouvelle. Il n’y avait plus de prêtre. Il n’y avait plus d’interdits. Juste eux, leurs âmes et leurs corps s’accordant comme s’ils avaient été faits pour se reconnaître.

Quand ils atteignirent ensemble ce sommet de sensations, ce fut comme si le monde entier s’effaçait autour d’eux. Plus rien n’existait en dehors de cet instant suspendu. Juste cette connexion brute, cette vérité indéniable qui vibrait entre eux. Et dans le silence qui suivit, Aélis sentit son cœur battre différemment, comme s’il portait désormais autre chose que du sang à travers ses veines.

Quelque chose de neuf. Quelque chose de terrifiant. Quelque chose qu’elle n’était peut-être pas encore prête à nommer.




Elle l'observait, fascinée, dans le calme qui avait suivi leur étreinte. Débarrassé de ses habits sacerdotaux, qui le drapaient d'une aura d'intouchabilité, il lui semblait plus humain, plus accessible, et terriblement séduisant. Sa respiration était encore légèrement troublée, son torse se soulevant dans un rythme apaisé, et pourtant, elle devinait dans son regard une lueur qu’elle n’y avait jamais vue auparavant. Une pensée fugace lui traversa l’esprit, un éclat de curiosité teinté de mélancolie : qu’auraient-ils été s’ils s’étaient rencontrés dans une autre vie, sous d’autres circonstances ? Elle laissa ses doigts effleurer son bras dans une caresse distraite avant de murmurer, presque timidement :

— Puis-je rester ici cette nuit ? Avec toi ?

Elle s’attendait à une hésitation, une de ces pauses silencieuses dont il avait le secret. Et elle ne se trompa pas. Darius garda le silence une seconde de plus qu’il ne l’aurait dû, comme s’il pesait les conséquences de sa réponse. Puis, lentement, un sourire rassurant se dessina sur ses lèvres alors qu’il glissa une main dans ses cheveux.

— Bien sûr. Mais j’ai un office à préparer pour demain matin, à six heures.

Elle esquissa un sourire, amusée par son sérieux.

— Je serai partie avant, promis.

Pourtant, malgré sa légèreté apparente, une pointe d’appréhension s’immisça dans son esprit. Ce n’était pas la peur de ce qu’ils avaient fait. Non, c’était autre chose. Elle prit soudain conscience de ce que signifiait être ici, dans son lit, dans son espace, là où aucune femme n’avait partagé ses nuits depuis si longtemps. Et demain matin, elle partirait discrètement, avant que les premiers fidèles ne franchissent les portes de l’église, comme si rien ne s’était passé. Comme si cette nuit n’avait jamais existé. La pensée lui serra légèrement la poitrine, mais elle la chassa d’un souffle, préférant se concentrer sur l’instant présent.

Un frisson soudain parcourut son corps, trahi par la fraîcheur de la pièce. Darius s’en aperçut aussitôt et se redressa.

— Je vais allumer un feu, dit-il simplement, avec une douceur qui ne l’avait jamais quittée.

Alors qu’il s’affairait devant le poêle, elle saisit l’une des couvertures qui reposaient sur le lit et s’en enveloppa, avant de le rejoindre. Elle s’assit près du feu naissant, son dos appuyé contre le large fauteuil qui trônait devant le poêle. D’un geste, elle déploya la couverture autour d’elle et l’invita à la rejoindre.

Quand il s’installa à ses côtés, elle se blottit contre lui, cherchant sa chaleur, et tira la couverture pour couvrir leurs deux corps nus. Elle aurait pu rester ainsi des heures, bercée par la quiétude de l’instant. Pourtant, une question lui brûlait les lèvres depuis qu’ils s’étaient retrouvés, une curiosité presque amusée qu’elle ne pouvait retenir plus longtemps.

— Ôte-moi d’un doute… Je ne suis pas la première entorse à tes vœux, j’espère ?

Elle sentit plus qu’elle ne vit son léger sourire, une ombre de malice adoucie par la fatigue.

— Non, souffla-t-il après une courte hésitation. La dernière… Tu n’étais pas encore née.

Elle arqua un sourcil, laissant un sourire effleurer ses lèvres.

— J’ai pratiqué un peu plus que toi ces derniers temps, on dirait.

Il rit, d’un rire, doux et léger qui fit naître en elle une vague de tendresse. Elle se pressa un peu plus contre lui, savourant la chaleur de son corps et la simplicité de ce moment. Ils savaient tous deux qu’il était unique, une parenthèse fragile et précieuse dans le tumulte de leurs vies.

 

Le reste de la nuit s’étiola dans des confidences. Elle lui parla de ses aventures récentes, tandis qu’il évoquait une vie passée qu’il appelait lui-même « sa vie précédente ».

Il confia, presque à mi-voix, les ombres de son passé. Des actes qu’il jugeait impardonnables, bien qu’ils ne le tourmentent plus. Ce passé, affirma-t-il, appartenait à une autre époque, à un autre homme. Il était en paix désormais.

Ses paroles lui rappelaient étrangement Methos. Tous deux avaient su accepter leurs ténèbres sans renier celui qu’ils avaient été. Mais là où Methos portait une ironie mordante, Darius irradiait d’une sérénité désarmante.

Elle ferma les yeux un instant, bercée par le son de sa voix. Une partie d’elle aurait voulu que cette nuit ne s’achève jamais, qu’elle puisse suspendre cette bulle de chaleur et d’intimité pour la graver en elle. Mais elle savait que, comme tout ce qui était précieux, cet instant ne durerait qu’un temps. Et c’était peut-être cela qui le rendait si rare, si beau.

 

L’heure de se séparer approchait, et la vieille pendule en bois semblait les narguer avec ses tic-toc feutrés. Darius jeta un œil au cadran avant de murmurer, presque à regret :

— Il va falloir que je prépare l’office…

Il ne bougea pourtant pas. Aélis le fixa un instant avant de hocher la tête, résignée. Elle aurait dû se lever immédiatement, rassembler ses affaires, quitter cette chambre avant que le jour ne trahisse leur secret. Mais elle n’en fit rien. Elle se redressa lentement, repoussant avec une retenue qu’elle ne s’expliquait pas la chaleur du corps de Darius. Un frisson la parcourut. Est-ce que c’était le froid de la pièce, ou le poids d’un adieu imminent ?

Avant qu’elle ne puisse s’éloigner, il encadra son visage entre ses mains, son toucher empreint d’une infinie douceur, et scella leurs lèvres dans un baiser lent, profond, et terriblement tendre. Un baiser d’au revoir. Pas d’urgence, pas de désespoir, juste cette sensation qu’ils s’échappaient déjà l’un à l’autre. Elle répondit à son étreinte, retrouvant l’ombre de son goût contre sa langue, et aussitôt, quelque chose renaquit en elle, irrépressible, incontrôlable. Ce n’était pas seulement du désir. C’était une attirance insidieuse, plus intime que ce qu’elle était prête à admettre. Ses mains glissèrent derrière sa nuque, ses doigts s’enfonçant dans ses cheveux, comme pour retenir ce qui lui échappait déjà.

Le baiser s’intensifia, leurs corps cherchant à se retrouver alors même qu’ils tentaient encore de se dire adieu. Un soupir s’échappa d’elle lorsqu’elle sentit ses mains quitter son visage, descendre le long de son cou, de sa poitrine, de ses hanches. Puis, en un mouvement fluide, il la fit basculer sur lui, la maintenant contre son torse, leurs souffles se mêlant dans l’intimité fragile de l’aube naissante.

— Darius… On ne devrait pas…

Elle voulait prononcer ces mots avec plus de fermeté, mais son propre désir trahissait cette conviction vacillante. Il plongea son regard dans le sien, cherchant une véritable objection, mais il n’y en avait aucune. Juste cette barrière invisible qu’ils tentaient encore de préserver.

— Pourquoi ? murmura-t-il entre deux baisers.

Elle ferma les yeux un instant, cherchant à retrouver un semblant de lucidité.

— Une fois… c’était un écart, un moment d’égarement. Là, c’est différent… c’est un choix.

Elle attendait qu’il la contredise, qu’il lui dise que non, ça ne changeait rien. Mais il ne dit rien. Il se contenta de l’observer, et elle vit dans ses yeux ce qu’elle refusait d’admettre : Ce n’était pas une erreur. Ils en avaient envie. Tous les deux.

Un sourire effleura les lèvres de Darius, empreint d’une douceur teintée de mélancolie :

— Alors, faisons de cette nuit un simple moment d’égarement.

Elle détourna le regard, troublée.

— Je ne sais pas… Je ne veux pas que tout change. J’aime ce qu’on partage… cette complicité.

Elle baissa légèrement la tête, cherchant à formuler ce qu’elle ressentait réellement.

— Je ne veux pas te désirer à chaque fois que je te vois.

Il s’arrêta, et un instant, elle crut qu’il allait se reculer, rompre le charme avant qu’il ne soit trop tard. Mais quand elle osa relever les yeux vers lui, elle vit cette ombre dans son regard, cette tristesse qu’il portait avec une dignité silencieuse.

— C’est déjà trop tard…

Elle retint son souffle. Il avait raison. Ils avaient basculé dès la veille, au moment même où elle s’était abandonnée à lui. Ce qu’ils avaient partagé n’était pas un simple accident. Rien ne pourrait effacer cette nuit, pas même leur amitié. Pourtant, elle refusa d’accepter cette fatalité, secouant doucement la tête, le regard voilé d’une résolution fébrile.

— Non… Ce n’est pas trop tard. C’est la dernière fois.

Darius ne répondit pas tout de suite. Elle sentit la tension dans son corps, l’hésitation qui le traversa comme un dernier sursaut de raison. Mais il hocha la tête, dans un acquiescement presque imperceptible.

— La dernière fois, répéta-t-il dans un souffle.

Ses mains, pourtant, ne quittèrent pas son corps. Elles pressèrent doucement ses hanches, et Aélis, résistant une ultime seconde, se laissa finalement glisser contre lui, rendant les armes à une bataille déjà perdue.

 

Le temps s’écoula, indifférent à leur étreinte. Lorsque la pendule sonna cinq heures et demie, leurs regards se posèrent un instant sur l’aiguille, comme pour savourer la fugacité de l’instant. Elle brisa le silence, amusée malgré elle :

— C’est comme ça que tu prépares ton office ?

Un sourire éclaira son visage alors qu’il reprenait son souffle.

— Parfaitement. D’ailleurs, tu viens de m’inspirer le thème du jour.

Il s’arrêta un instant, récitant doucement :

— « Que le matin me fasse connaître ton amour indéfectible, car j’ai mis en toi ma confiance. Montre-moi le chemin que je dois suivre, car je te confie ma vie. »

Elle sourit, touchée par la poésie de ses mots, et se laissa emporter par un plaisir d’une intensité douce-amère.

 

Lorsque la tension retomba enfin, laissant place à une sérénité fragile, Darius l’enveloppa d’un baiser sur le front avant de se retirer discrètement. Elle resta un moment immobile, savourant le calme après la tempête. Mais une ombre de doute s’insinua dans cette quiétude. Et maintenant ?

Elle inspira lentement, fixant un point invisible dans la pièce. Une part d’elle aurait voulu figer cet instant, le garder tel quel, intact, hors du temps. Mais une autre savait déjà que ce ne serait pas si simple. Avait-elle seulement mesuré ce que cela signifiait ? Elle chassa la pensée avant qu’elle ne prenne trop d’ampleur. Elle ne voulait pas se poser ces questions. Pas maintenant.

Se laissant glisser hors de la chaleur du vieux poêle, elle rassembla ses affaires avec une lenteur calculée, comme si retarder l’instant où elle quitterait cette pièce pouvait effacer l’étrange mélange de satisfaction et d’incertitude qui l’habitait.

 

Alors qu’il s’affairait déjà devant l’autel, dans la solennité d’un prêtre retrouvant son rôle, elle s’approcha doucement de lui, hésitante. Il était retourné à sa place. À la sienne. Et elle ? Où était-elle censée se tenir, maintenant ?

Un battement de cœur trop long. Puis, sans un mot, elle passa ses bras autour de lui dans une étreinte silencieuse, un adieu voilé sous le poids de tout ce qu’ils ne pouvaient pas se dire. Puis elle s’éloigna, quittant l’église avec sur les lèvres ce goût d’inachevé qui accompagnerait chacun de ses souvenirs.

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