Le Prix à payer - Highlander Fanfiction
Les jours s’enchaînaient dans un équilibre fragile entre discipline et introspection. Aélis progressait, lentement mais sûrement. L’entraînement quotidien façonnait son corps et affinait ses réflexes, mais chaque avancée venait avec son lot d’échecs. Son impatience restait son pire ennemi. Lorsqu’elle se précipitait dans un combat, elle laissait des ouvertures que ses adversaires plus expérimentés exploitaient sans pitié. Elle chutait souvent, goûtait la poussière du sol du dojo, et son ego en prenait un coup à chaque fois. Mais elle apprenait. À force d’entraînement, elle commença à anticiper les mouvements de ses adversaires, à ralentir ses gestes pour mieux les contrôler. Elle n’était pas la plus douée, ni la plus rapide, mais elle compensait par sa ténacité.
Ce ne fut pas seulement dans le maniement de l’épée qu’elle dut progresser. Sun Tzu exigeait qu’elle maîtrise aussi ses émotions, qu’elle apprenne à se détacher du poids de sa colère. Cela lui semblait bien plus difficile que de manier une lame. Elle en voulait encore à Methos, à Darius, mais surtout à elle-même. Parfois, tard le soir, elle relisait les derniers messages de Noé. Il méritait mieux que l’ignorance. Elle aurait pu faire autrement, mais à l’époque, elle ne voyait pas d’autre issue.
Elle apprit aussi à reconnaître ses propres contradictions. Son ressentiment contre les immortels s’effritait peu à peu. Ils avaient agi à leur manière, avec leurs failles et leurs maladresses. Ils avaient fait des erreurs, tout comme elle. Et peut-être qu’à force de chercher un coupable, elle avait oublié que la seule personne qu’elle devait vraiment affronter, c’était elle-même.
Ce fut à cette période qu’elle reçut la nouvelle. Kronos était mort. Ce fut le Maitre qui vint lui annoncer.
— Tu es libre de partir, ajouta Sun Tzu. Le danger immédiat est passé, mais ton chemin ne fait que commencer.
Aélis hésita. Une part d’elle voulait rentrer à Paris, retrouver une vie plus normale. Mais elle n’était pas prête. Il lui restait encore trop à apprendre, trop à comprendre.
— Je vais rester encore un peu, dit-elle simplement.
Le maître hocha la tête, comme s’il s’attendait à cette réponse.
Quelques mois de plus passèrent. Son entraînement devint plus fluide, ses erreurs moins nombreuses. Elle n’était pas une épéiste exceptionnelle, mais elle avait gagné en contrôle et en discernement. Et surtout, elle commençait à accepter ce qu’elle était devenue.
Un matin, alors que l’hiver recouvrait les toits du monastère d’une fine couche de givre, une nouvelle lettre l’attendait devant sa porte. Cette fois, ce fut le nom inscrit au dos qui la fit hésiter : Adam Pierson. Methos.
Elle resta figée sur le seuil, la gorge nouée. Son regard ne quittait pas l’enveloppe, comme si elle s’attendait à ce qu’elle s’ouvre d’elle-même et lui livre un message qu’elle n’avait pas demandé. Un frisson la parcourut, et elle détourna les yeux. Elle aurait pu l’ignorer. Elle aurait dû l’ignorer. Sans y réfléchir, elle ramassa la lettre et la glissa sous un livre posé sur sa table de chevet, presque machinalement. Comme si en la cachant, elle pouvait effacer son existence. Elle ne voulait pas la lire. Pas maintenant. Pas aujourd’hui.
Toute la journée, elle tenta de l’oublier. Elle suivit l’entraînement avec Sun Tzu, enchaîna les exercices avec les novices, repoussa chaque pensée parasite qui menaçait d’émerger. Mais à chaque pause, son esprit revenait inévitablement à cette enveloppe dissimulée sous un livre, attendant, patiente, silencieuse.
Le soir venu, alors qu’elle se changeait pour se glisser sous ses draps, son regard tomba sur la table de chevet. Son cœur rata un battement. Elle la voyait. Elle sentait sa présence, comme un poids invisible dans la pièce. Avec un soupir, elle s’assit sur le lit et tendit la main, hésitante. Ses doigts effleurèrent le bord de l’enveloppe sans la saisir. Pourquoi hésitait-elle autant ? Il lui avait fallu plusieurs jours pour se décider à lire la lettre de Darius. Mais Methos… ce n’était pas pareil. Il était là quand elle avait souffert. Il avait vu et il n’avait rien fait. Il avait laissé faire.
Elle referma la main sur la lettre, ses doigts crispés sur le papier. Elle pouvait la remettre sous le livre, la cacher à nouveau. Faire comme si elle n’existait pas. Mais quelque chose en elle refusa cette fois. Dans un geste plus brusque qu’elle ne l’aurait voulu, elle rompit l’enveloppe et déplia la feuille.
L’écriture de l’immortel était fluide, posée, comme si chaque mot avait été soigneusement pesé.
"Aélis,
J’ai longuement hésité avant d’écrire cette lettre. J’ignore si tu as envie de la lire, encore moins si tu as envie d’une réponse. Mais il y a des choses que je dois dire, et c’est la seule manière que j’ai trouvée.
Je suis désolé.
Pas pour ce que je suis, mais pour mes erreurs.
Je ne peux pas revenir en arrière, et je ne peux pas prétendre que j’ai fait tout ce qu’il fallait pour t’épargner ce que tu as vécu. Je sais que tu m’en veux. Peut-être même que tu as raison. Mais si je devais tout recommencer, je ne sais pas si j’aurais pu faire autrement. Parce que j’ai fait ce que je pensais nécessaire, et que parfois, ce que l’on croit être la bonne décision laisse des cicatrices plus profondes qu’on ne l’imagine.
Tu es plus forte que tu ne le crois, Aélis. J’ai vu des gens brisés par bien moins que ce que tu as traversé. Et pourtant, tu es toujours là. Tu te relèves.
Je ne te demande pas de me pardonner aujourd’hui, ni même demain. Je veux simplement que tu saches que si un jour tu veux parler, si un jour tu es prête… je serai là.
Prends soin de toi.
Methos."
Elle soupira. Methos n’était pas du genre à s’excuser facilement. Il évitait les confrontations, préférait l’ironie aux discussions profondes. Cette lettre… c’était un effort. Un effort pour se racheter, peut-être. Elle replia doucement le papier et le rangea dans la boîte où elle gardait la lettre de Darius. Puis, elle s’assit sur son lit, observant la lumière de la lune filtrer à travers la fenêtre.
Quelque chose en elle s’était apaisé. Elle n’était pas encore prête à lui pardonner. Mais cette fois, elle se demanda si, un jour, elle le serait.
Paris baignait dans une lumière douce et dorée en cette fin d’après-midi. Les rues étaient animées, les cafés bruissaient des conversations des passants, et pourtant, dans un coin plus tranquille de la ville, une ambiance bien différente régnait.
Amanda s’était installée dans un fauteuil en velours, une coupe de champagne à la main, observant d’un air distrait l’homme assis en face d’elle. Methos, accoudé au comptoir du bar feutré où ils s’étaient donné rendez-vous, tournait lentement son verre entre ses doigts sans vraiment y toucher. Il était là sans vraiment l’être, perdu dans ses pensées. Amanda haussa un sourcil, amusée.
— Alors, tu comptes me parler ou tu vas continuer à faire semblant de t’intéresser à ton whisky ?
Methos leva les yeux vers elle, un léger sourire effleurant ses lèvres avant qu’il ne reprenne son manège.
— Je t’écoute, répondit-il d’un ton faussement détaché.
Amanda le fixa un instant avant de secouer la tête, faussement exaspérée.
— Tu es d’un ennui mortel quand tu es comme ça. Depuis quand tu es aussi préoccupé, hein ?
— Je réfléchis, c’est tout.
— À quoi ? À quel point Paris est belle en cette saison ?
Il eut un léger rire, mais elle voyait bien que son esprit était ailleurs. Elle s’installa plus confortablement, croisa les jambes et plongea son regard pétillant dans le sien.
— Tu sais, si tu voulais vraiment éviter de parler, tu n’aurais pas accepté mon invitation.
Methos soupira et but une gorgée de son verre avant de répondre.
— Ce n’est rien, Amanda. Juste… des pensées qui tournent en rond.
— Toi ? Ressasser quelque chose ? C’est bien la première fois que je te vois comme ça.
Il ne répondit pas immédiatement. Amanda ne chercha pas à le presser, mais son regard malicieux trahissait son amusement.
— Qu’est-ce que tu veux que je dise ? lança-t-il finalement, las.
— Je ne sais pas… Peut-être que tu te poses trop de questions ?
Elle prit une gorgée de champagne, feignant l’indifférence, avant d’ajouter d’un ton plus léger :
— Ou alors peut-être que pour une fois, tu ressens quelque chose d’un peu trop sincère pour le noyer dans l’alcool.
— Tu me prêtes trop de profondeur, Amanda.
— Oh, s’il y a bien une chose que j’ai apprise à ton sujet, c’est que sous tes airs de cynique blasé, il y a un homme bien plus sentimental que tu ne veux l’admettre.
Methos roula des yeux et Amanda éclata de rire.
— Bon, je te laisse tranquille… pour aujourd’hui. Mais un jour, je finirai par te faire avouer ce qui te travaille.
Elle leva son verre dans un geste de toast, et après une seconde d’hésitation, Methos l’imita avec une moue amusée.
Le bar était presque désert à présent. L’immortel restait assis au fond, son verre à moitié vide devant lui, tandis que les derniers rayons de lumière s’éteignaient à travers les fenêtres poussiéreuses. Amanda était partie depuis plusieurs minutes, laissant derrière elle un silence qui paraissait plus pesant qu’il ne l’aurait cru.
Il s’appuya contre le dossier de sa chaise, fixant le liquide ambré qui dansait dans son verre. L’alcool ne lui avait jamais vraiment permis d’oublier quoi que ce soit, mais il y avait des soirs où l’illusion suffisait. Pas ce soir.
Son esprit le ramenait inexorablement en arrière, aux cavaliers, à Kronos. Aux chaînes qu’il avait brisées en fuyant, et à celles qu’il continuait de porter malgré lui. Il avait passé des siècles à croire que le temps pouvait tout effacer, que changer de nom, de vie, de continent suffirait à se réinventer. Mais Kronos était la preuve vivante que certaines ombres ne disparaissaient jamais. Pourquoi l’avait-il suivi ? La réponse lui semblait évidente, du moins à l’époque : survivre. Dans un monde sans pitié, où les Immortels comme les mortels vivaient ou mouraient au gré de la violence, Methos avait adopté la philosophie la plus simple qui soit : être du côté des prédateurs. Et Kronos était le plus redoutable de tous. Le suivre avait signifié choisir la sécurité, même au prix de sa propre humanité. Mais avec le temps, cette philosophie avait perdu de son éclat. Les cris étouffés des victimes, les villes réduites en cendres, tout cela s’était gravé dans sa mémoire comme des cicatrices qu’il ne pouvait effacer. Il avait fini par fuir Kronos, comme il avait toujours fui les chaînes qu’il s’était forgées lui-même.
Fuir. C’était toujours la même histoire. Chaque époque apportait son lot de dangers qu’il esquivait avec habileté. Qu’il s’agisse de guerres, de traques ou de vengeances sanglantes, Methos avait appris à disparaître avant que le pire ne s’abatte sur lui. Sa survie en dépendait, ou du moins, c’était ce qu’il avait toujours cru. Mais aujourd’hui ?
Il secoua légèrement la tête, un sourire amer étirant ses lèvres. Le problème avec les fantômes du passé, c’est qu’ils finissaient toujours par revenir, sous une forme ou une autre. Kronos était mort, mais son ombre continuait de planer sur son esprit. Sa réapparition avait rouvert des blessures qu’il croyait avoir enfouies à jamais. Il avait été confronté à la partie la plus sombre de lui-même, celle qui avait suivi le cavalier sans poser de questions. Aujourd’hui Kronos n’était plus là, mais les cicatrices émotionnelles qu’il avait laissées étaient toujours vivantes. Methos s’était toujours dit que le temps effaçait tout. Pourtant, le temps n’avait jamais suffi. Il n’avait fait que repousser l’inévitable. Il baissa les yeux sur son verre vide. Aucune quantité d’alcool ne pouvait laver cette culpabilité. Et il le savait mieux que quiconque. Pour se libérer, il n’avait plus qu’un chemin à emprunter : avancer. Cela signifiait aussi affronter ceux qu’il avait blessés sur son chemin.
Le souvenir d’Aélis s’imposa malgré lui. Ce n’était pas son regard de colère ou ses paroles cinglantes qui lui venaient en tête, mais quelque chose de plus subtil. Sa détresse silencieuse. Son refus obstiné de se montrer vulnérable, tout en étant profondément brisée. Methos avait reconnu cette souffrance, peut-être parce qu’il l’avait portée lui-même pendant des siècles. Elle était butée. Trop obstinée, sans doute, pour demander de l’aide, tout comme lui l’avait été dans le passé. C’était peut-être ça qui le dérangeait le plus. Ce miroir involontaire qu’elle lui tendait, lui renvoyant une image qu’il aurait préféré ignorer. Il ne savait pas encore comment il s’y prendrait, ni même si elle accepterait de l’écouter. Mais il devait essayer. Pas seulement pour elle. Pour lui aussi.
Methos baissa les yeux sur son verre vide, un goût amer sur la langue. Il avait voulu croire qu’il était devenu quelqu’un de meilleur. Que les siècles passés à se cacher, à observer, à éviter le conflit, faisaient de lui un être plus sage. Mais au fond, la vérité était bien plus laide : il n’avait pas changé, il avait juste appris à se mentir à lui-même.
Et Darius ?
La pensée lui arracha un léger soupir. Darius l’avait connu à une époque où il n’était plus un cavalier, mais pas encore un homme digne de confiance. Il l’avait accepté tel qu’il était, avec ses fêlures et ses lâchetés. Et pourtant, cette fois, Methos avait l’impression d’avoir franchi une ligne. Darius ne lui avait rien reproché. Il ne lui avait adressé aucun regard déçu, aucune parole accusatrice. Et c’était peut-être ça, le pire. Car Methos savait qu’il avait failli.
Est-ce que Darius lui faisait encore confiance ? La question le hantait. Il n’aurait pas su dire pourquoi cela comptait autant. Peut-être parce que, depuis des siècles, le prêtre était le seul à croire qu’il pouvait être autre chose qu’un homme fuyant son passé. Que la rédemption n’était pas un mythe, même pour quelqu’un comme lui. Et il avait ruiné cela en un claquement de doigts.
Le barman lui jeta un regard interrogateur, mais Methos secoua la tête et se leva lentement. Il n’avait pas envie d’un autre verre. Ce soir, il n’y avait rien à noyer dans l’alcool.
Il enfila son manteau et sortit dans la fraîcheur de la nuit. Le vent portait une odeur de pluie à venir, comme un avertissement silencieux. Il marcha, les mains enfoncées dans ses poches, se demandant ce qu’il gagnerait à affronter ses fantômes plutôt qu’à leur tourner le dos.
De l’autre côté de Paris, l’ambiance était différente.
Dans l’espace sobre et épuré du dojo, l’odeur du bois ciré et de la sueur emplissait l’air tandis que Duncan et Richie s’entraînaient au sabre. Les lames s’entrechoquaient en un rythme mesuré, un duel plus formateur qu’agressif. Richie, concentré, tentait d’anticiper les mouvements de son mentor, mais Duncan esquivait avec une fluidité maîtrisée, lui rappelant qu’il avait encore du chemin à parcourir.
Après une énième parade, Richie recula, légèrement essoufflé, et baissa son arme avec un sourire fatigué.
— Sérieusement, Mac, tu peux pas me laisser une victoire, juste une ?
— Une victoire offerte ne vaut rien. Quand tu gagneras, tu sauras que c’est parce que tu l’auras mérité.
Richie secoua la tête et alla s’asseoir sur un banc, attrapant une serviette pour essuyer la sueur de son front.
— Ouais, ouais… mais en attendant, c’est toujours moi qui finis sur le banc.
Duncan vint s’asseoir à côté de lui et lui tendit une bouteille d’eau.
— C’est normal. Tu es encore jeune dans ce monde, Richie. Il faut du temps pour s’adapter.
Le jeune homme hocha la tête, pensif.
— Tu crois que c’est toujours aussi compliqué, même après plusieurs siècles ?
— Je crois qu’on passe sa vie à s’adapter. C’est ce qui fait la différence entre survivre et tomber.
— Et toi, t’as toujours su t’adapter ?
Le Highlander haussa les épaules.
— Pas toujours. Mais j’ai eu des gens pour m’aider à comprendre ce que signifiait être immortel.
Richie le fixa un instant avant d’ajouter, plus sérieux :
— C’est marrant… mais j’ai l’impression qu’en ce moment, il y a plus de tension entre nous tous. Comme si chacun marchait sur des œufs.
Duncan se tendit légèrement, mais ne répondit pas tout de suite.
— Il y a des périodes comme ça, admit-il enfin. Parfois, les liens sont mis à l’épreuve. Mais ce qui compte, c’est la manière dont on les répare.
— C’est une métaphore pour un truc en particulier ou… ?
Duncan éclata de rire et lui tapota l’épaule avant de se relever.
— Reprends ton sabre, gamin. On a encore du travail.
Richie grogna mais obéit, un sourire en coin.
L’aube peignait le ciel de nuances pastel alors qu’Aélis refermait son sac. Le monastère s’éveillait doucement autour d’elle, rythmé par les premiers chants matinaux des novices. Le froid mordant de la montagne lui piquait la peau, mais elle n’y prêtait guère attention. Elle se tenait droite, le regard fixé sur les lourdes portes de bois qui marquaient la fin de ce chapitre. Derrière elle, le pas feutré de Sun Tzu se fit entendre avant qu’il ne s’arrête à sa hauteur.
— Tu es prête ?
Sa voix était calme, empreinte de cette sagesse tranquille qu’elle avait appris à respecter. Elle prit une inspiration, observant une dernière fois la cour pavée où elle s’était entraînée, les galeries silencieuses sous lesquelles elle avait médité, l’atmosphère paisible qui l’avait abritée ces derniers mois.
— Je crois, oui.
Sun Tzu hocha légèrement la tête, comme s’il s’attendait à cette réponse.
— Le plus difficile ne sera pas ce que tu laisses derrière toi, mais ce que tu retrouves.
— J’ai changé. Je me sens plus forte.
— Et pourtant, c’est dans cette illusion de force que réside ta plus grande faiblesse, répondit-il sans la quitter des yeux. Ce n’est pas parce que tu es prête à affronter le monde que le monde est prêt à t’accueillir comme tu es devenue.
Les mots résonnèrent en elle avec une justesse qui la troubla. Sun Tzu n’avait jamais été du genre à édulcorer ses conseils, et cette dernière mise en garde ne faisait pas exception. Elle savait qu’il avait raison.
— Et si je n’arrive pas à retrouver ma place ?
Un léger sourire passa sur les lèvres du Maître.
— Alors trouve-en une nouvelle.
Aélis pinça ses lèvres, avant d’acquiescer lentement. Il avait raison, encore une fois. Elle ne pouvait pas s’accrocher à ce qu’elle était avant, pas plus qu’elle ne pouvait effacer tout ce qu’elle avait vécu. Il lui faudrait avancer, et accepter que certains liens s’étaient peut-être déjà défaits.
L’immortel observa le doute qui se peignait brièvement sur son visage avant d’ajouter d’un ton plus doux :
— Tu as appris bien plus que l’art du combat ici. N’oublie pas que la force ne réside pas uniquement dans l’acier d’une lame, mais dans la résilience de celui qui la porte.
Elle inspira profondément, gravant ces paroles dans son esprit avant de hocher la tête avec détermination.
— Merci pour tout, Maître.
Sun Tzu la regarda encore un instant avant de s’incliner légèrement en signe d’adieu.
— Prends garde à ne pas laisser le passé guider chacun de tes pas.
Elle esquissa un sourire fugace avant de se détourner et de franchir enfin les lourdes portes du monastère.
La route s’étendait devant elle, bordée par les cimes enneigées et le silence feutré de l’altitude. Elle serra les sangles de son sac, inspira profondément l’air vif de la montagne et se mit en marche. L’appréhension était bien là, tapie dans un recoin de son esprit, mais elle ne laisserait pas la peur dicter ses choix.
Paris l’attendait, avec toutes les incertitudes qu’elle y avait laissées.
La première chose qu’elle fit en arrivant à la capitale fut de se rendre à l’église de Darius. Elle aurait pu rentrer chez elle, retrouver un semblant de normalité, mais quelque chose en elle refusait de repousser cette rencontre. Elle devait le voir. Pas pour clore ce chapitre, mais pour comprendre si elle pouvait, enfin, avancer.
L’église était plongée dans un silence apaisant. L’odeur familière d’encens flottait dans l’air, un rappel de tout ce qu’elle avait laissé derrière elle avant de partir. Ce lieu lui avait autrefois paru immuable, hors du temps, mais aujourd’hui, elle se demandait si c’était elle qui avait changé au point de ne plus y trouver sa place.
Sa vibration l’annonça d’elle-même. Darius apparut dans l’ombre d’un passage latéral, s’arrêtant dès qu’il posa les yeux sur elle. Aucune surprise dans son regard, ni attente. Juste cette présence calme et ancrée qu’elle lui connaissait si bien. Aélis inspira profondément avant d’avancer vers lui. Son cœur battait un peu trop vite, mais elle ne reculerait pas.
— Tu es revenue, souffla-t-il enfin, avec cette douceur qui désarmait tout.
Elle hocha la tête, le regard fuyant.
— Je devais… remettre certaines choses en ordre.
Un silence flotta entre eux, chargé de tout ce qu’ils ne s’étaient pas dit. Darius l’observa avec cette patience infinie, lui laissant le soin de franchir elle-même la distance qui les séparait encore.
— Je ne suis pas venue pour m’excuser, précisa-t-elle, la voix plus dure qu’elle ne l’aurait voulu.
— Je sais.
Il n’y avait ni reproche ni attente dans sa réponse, et c’était peut-être cela qui la troubla le plus.
— Mais je veux comprendre, ajouta-t-elle après un instant.
Le prêtre inclina légèrement la tête, un fin sourire empreint de gravité effleurant ses lèvres.
— J’ai fait un choix, Aélis. Pas par malveillance, ni par indifférence. Mais parce que certaines vérités ne peuvent être imposées. Elles doivent être découvertes.
Elle serra les bras autour d’elle, détournant les yeux.
— C’était ma vie, Darius. Vous m’avez tous regardée avancer en sachant ce qui allait arriver, et vous n’avez rien dit.
— Tu aurais préféré le savoir ? demanda-t-il avec douceur. Savoir que chaque instant compté te menait inévitablement à ce moment ?
Elle ouvrit la bouche pour répliquer, puis se ravisa. Aurait-elle seulement pu comprendre, avant ? Aurait-elle voulu croire que tout ce qu’elle était était déjà écrit dans une fatalité qu’elle ne contrôlait pas ?
— Je ne sais pas, murmura-t-elle.
Darius s’approcha légèrement, mais resta à une distance qui lui laissait la liberté de reculer.
— Alors je suis désolé. Pas de t’avoir caché la vérité, mais de t’avoir laissée te sentir trahie.
Aélis déglutit, incapable de soutenir son regard plus longtemps.
— J’ai beaucoup réfléchi, là-bas, dit-elle après un silence. À tout ce que j’ai dit, à tout ce que j’ai fait.
L’immortel l’écouta avec cette attention pleine qui donnait toujours l’impression qu’il entendait au-delà des mots.
— Et qu’as-tu compris ?
Elle hésita, le poids de ses propres pensées encore trop vif.
— Que je t’en ai voulu parce que tu étais le seul en qui j’avais vraiment confiance.
Un éclat de tristesse passa dans les yeux du prêtre, fugace mais sincère.
— C’était réciproque.
Elle releva enfin la tête vers lui, sentant pour la première fois depuis longtemps une barrière s’effriter entre eux. Il ne cherchait pas à se justifier, ni à la convaincre. Il était simplement là, comme il l’avait toujours été.
Darius esquissa un léger mouvement et lui fit signe de le suivre.
— Viens.
Elle le suivit jusqu’à ses appartements, plus par instinct que par réelle volonté. Il ouvrit une armoire, fouilla un instant parmi des objets soigneusement rangés avant d’en sortir une petite boîte en bois. Il la lui tendit, accompagné d’une clé qu’il déposa dans sa paume.
— Ouvre, lui dit-il avec une lueur d’impatience presque amusée.
Aélis haussa un sourcil, mais tourna la clé dans la serrure et souleva lentement le couvercle. À l’intérieur, un bracelet de cuir tressé, vieilli mais intact. Elle le prit délicatement entre ses doigts.
— C’est pour moi ?
Il acquiesça avec un sourire énigmatique. Elle le regarda, perplexe. Sans un mot, il prit doucement le bracelet de ses mains et se pencha légèrement pour le nouer autour de son poignet.
Le contact de ses doigts contre sa peau fut plus long que nécessaire. Un instant suspendu, imperceptible, mais réel. Elle sentit la chaleur de sa paume effleurer l’intérieur de son poignet, le geste à la fois maîtrisé et hésitant, comme s’il se rendait compte trop tard de la proximité entre eux. Son expression ne trahit rien, ou presque. Un léger tressaillement de ses doigts, une infime retenue, avant qu’il ne serre le nœud et recule d’un pas.
Elle baissa aussitôt les yeux sur le bracelet pour masquer l’étrange sensation qui l’avait traversée. Son esprit chercha immédiatement à rationaliser. Darius était prêtre. C’était sans doute juste une impression, une absurdité née de la fatigue et de l’intensité de ces derniers jours.
— C’est un symbole. Pas un fardeau, ni une dette. Juste un rappel que tu as une place ici, si tu la veux toujours, lui dit-il.
Elle fit tourner légèrement son poignet, sentant la souplesse du cuir contre sa peau. Une chaleur étrange l’envahit, un mélange de nostalgie et d’apaisement.
— Merci, souffla-t-elle.
Darius sourit, un sourire doux, presque imperceptible.
— Ce n’est pas un pardon, ajouta-t-elle en relevant les yeux vers lui.
— Je sais, Aélis.
Elle inspira profondément. Ce n’était pas encore terminé. Mais c’était un début.
La jeune immortelle s’arrêta devant la porte de l’appartement de Methos, le cœur plus lourd qu’elle ne l’aurait cru. Elle n’avait pas prévu de venir le voir si tôt, mais après sa conversation avec Darius, une étrange nécessité s’était imposée. Elle voulait en finir avec cette rancœur persistante, comprendre si elle pouvait encore lui faire confiance. Elle leva la main pour frapper, mais avant même que ses phalanges ne touchent le bois, la porte s’ouvrit lentement. Il savait qu’elle était là. Il l’avait ressentie, tout comme elle avait appris à reconnaître sa présence avant même de le voir. Il se tenait dans l’encadrement, son regard posé sur elle avec une lueur de retenue. Pas de sourire narquois, pas de remarque légère. Juste un silence chargé d’un poids qu’ils n’avaient pas encore osé affronter.
— Je peux entrer ? demanda-t-elle, sa voix plus posée qu’elle ne l’aurait imaginé.
Il s’effaça pour la laisser passer, refermant la porte derrière elle. L’atmosphère entre eux était étrange, suspendue entre l’inconfort et une familiarité qu’elle ne savait plus si elle pouvait retrouver. Methos, d’ordinaire si désinvolte, semblait hésitant. Il passa une main dans ses cheveux, un tic nerveux qu’elle lui connaissait, et se laissa tomber sur le canapé.
— Je ne savais pas si tu viendrais, admit-il enfin, sa voix plus rauque que d’habitude.
Elle resta debout, croisant les bras sur sa poitrine comme une armure invisible.
— Moi non plus.
Elle n’était pas venue pour des excuses, pas vraiment. Mais elle avait besoin d’entendre quelque chose, de comprendre ce qu’il ressentait après tout ce qui s’était passé.
— Je suis désolé, finit-il par dire, brisant enfin la tension.
Elle aurait voulu que ces mots suffisent, mais ce n’était pas aussi simple.
— Pour quoi, exactement ?
Il releva les yeux vers elle, fatigué, mais sans chercher à fuir.
— Pour Kronos. Pour la manière dont tout s’est déroulé. Pour ce que j’ai dû faire… et pour ce que je n’ai pas fait.
Aélis serra les dents. Elle se souvenait encore de la sensation d’impuissance, de trahison, lorsqu’elle l’avait vu à ses côtés.
— J’ai compris que tu essayais de me protéger, dit-elle enfin. Mais ça n’efface pas le fait que tu lui as donné exactement ce qu’il voulait.
— Tu crois que je ne le sais pas ? Je revois cette foutue scène en boucle. Je me dis que j’aurais pu faire autrement, que j’aurais dû… Mais Kronos ne laisse jamais d’échappatoire. J’ai fait ce que j’ai cru être le seul choix possible à ce moment-là.
Il passa une main sur son visage, comme pour chasser une fatigue qui n’avait rien de physique.
— Et ça ne veut pas dire que je ne le regrette pas.
Aélis l’observa, cherchant à déceler un mensonge, une esquive, mais il n’y en avait pas. Il ne plaisantait pas, ne détournait pas la conversation. Il se montrait tel qu’il était, vulnérable, sans faux-semblants. Elle inspira profondément.
— Je ne suis pas encore prête à oublier, murmura-t-elle.
Un bref silence. Puis Methos hocha lentement la tête.
— Je ne t’en demande pas tant.
Un frisson imperceptible la traversa. Elle savait qu’elle pouvait s’accrocher à sa colère, l’utiliser comme une barrière entre eux, mais à cet instant, elle se sentit fatiguée de se battre.
— Mais je veux essayer de ne plus t’en vouloir.
— Alors c’est un début.
Elle hocha la tête et se dirigea vers la porte. Il ne la retint pas, ne chercha pas à allonger la conversation.
— Aélis, l’appela-t-il au moment où elle posait la main sur la poignée.
Elle se retourna.
— Je suis content que tu sois rentrée.
Elle ne répondit pas, mais son regard s’adoucit légèrement avant qu’elle ne disparaisse dans le couloir.
L'acier résonnait contre l’acier dans l’enceinte feutrée du dojo, chaque coup porté créant un écho vibrant dans l’espace. Aélis bloqua une attaque de Duncan, les bras tendus, les muscles contractés sous l’effort. Son souffle était court, mais son regard restait fixé sur lui, déterminé. Depuis son retour à Paris, elle s’était remise à l’entraînement avec une assiduité nouvelle, concentrée sur le combat à l’épée.
Elle ne voulait plus être spectatrice. Elle voulait être prête.
Duncan la testait, cherchant à évaluer ses progrès. Elle avait gagné en discipline, en précision, mais il voyait encore des hésitations dans ses mouvements.
Elle fit tournoyer son épée entre ses doigts, testant son équilibre. Face à elle, Duncan restait impassible, sa lame levée dans une posture défensive, comme s’il n’avait même pas besoin d’attaquer. Elle le savait, il était plus expérimenté. Il analysait, anticipait, attendait le moment parfait pour frapper. Elle, en revanche, avait toujours préféré l’action à l’attente.
Elle attaqua la première, avec l’intention de le forcer à bouger. Duncan para aisément, se contentant d’un pas fluide sur le côté. Aélis enchaîna, accélérant le rythme, tentant de le surprendre par sa vitesse. Mais il continuait d’esquiver, absorbant ses coups sans jamais vraiment riposter.
— Tu ne fais que reculer, grogna-t-elle en bloquant un contre trop léger pour être sérieux.
— C’est toi qui t’épuises, répondit-il calmement.
Elle serra les dents. Il avait raison. Elle sentait déjà la brûlure dans ses muscles, alors que lui paraissait à peine essoufflé. Elle feinta une ouverture à gauche, puis pivota brusquement pour attaquer de l’autre côté. Un mouvement rapide, efficace… sauf que Duncan ne mordit pas à l’hameçon. D’un geste maîtrisé, il dévia son épée, la déstabilisant juste assez pour qu’elle perde l’équilibre.
Elle vacilla, rattrapa son appui au dernier moment. Son irritation monta en flèche. Sans réfléchir, elle attaqua à nouveau, avec plus de force. Trop de force. Duncan esquiva d’un pas fluide et, d’un mouvement précis, lui balaya les jambes. Avant même qu’elle ne comprenne comment, elle se retrouva au sol, sa propre lame échappée de ses mains.
Duncan pointa la sienne juste sous sa gorge. Un instant de silence s’étira. Aélis jura intérieurement, levant les mains en signe de reddition. Elle était allée trop vite, une fois de plus. Elle serra la mâchoire, un éclat d’agacement brûlant dans son ventre. Duncan baissa lentement son arme et tendit une main vers elle.
— Tu laisses encore tes émotions dicter tes mouvements, fit-il remarquer, sans trace de moquerie dans la voix.
Elle fixa un instant sa main tendue, les poings crispés contre le sol. Son premier réflexe fut de repousser l’aide, de se relever seule par fierté. Mais une part d’elle savait qu’il avait raison. Elle inspira profondément, essaya d’apaiser la tension dans sa poitrine, puis accepta finalement sa main pour se relever.
— Je déteste quand tu as raison, marmonna-t-elle en époussetant son pantalon.
Duncan eut un léger sourire.
— Alors tu risques de me détester encore un moment.
Elle souffla, à mi-chemin entre l’exaspération et l’amusement. Mais, au fond, elle savait que c’était une leçon dont elle avait besoin. Elle essuya une mèche de cheveux qui collait à son front et recula d’un pas, le laissant baisser son épée.
— J’imagine que ça viendra avec le temps.
— Ça viendra avec l’expérience, corrigea-t-il.
Elle serra brièvement les dents. Une autre leçon qu’elle n’avait pas envie d’entendre, même si elle savait qu’il avait raison.
Duncan lui adressa un signe de tête avant de se détourner vers l’entrée du dojo, où un inconnu venait de faire son apparition, précédé de la vibration caractéristique de la présence annonçant l’un des leurs. Aélis suivit son regard et vit un jeune homme d’une vingtaine d’années s’approcher avec un sourire naturel, sa veste en cuir négligemment jetée sur l’épaule.
— Richie, je te présente Aélis. Aélis, voici Richie Ryan.
Le nouveau venu s’appuya sur le mur en croisant les bras, l’observant avec curiosité.
— Alors c’est toi, la nouvelle ?
Elle haussa un sourcil, légèrement piquée par le terme.
— Si on veut.
Il éclata de rire.
— T’en fais pas, c’est juste que d’habitude, c’est moi le petit dernier.
Duncan les laissa à leur conversation, et Aélis récupéra une bouteille d’eau avant de s’asseoir sur le banc, Richie prenant place à côté d’elle.
— Ça fait combien de temps que t’es… comme nous ? demanda-t-elle.
— Une bonne vingtaine d’années. J’ai encore du mal à me faire à l’idée, mais ça devient plus naturel avec le temps.
Elle hocha la tête, son regard se perdant un instant.
— J’ai encore l’impression que tout ça est irréel, avoua-t-elle.
— Ça l’est un peu. Au début, j’étais paumé. J’ai perdu des gens, j’ai dû mentir à d’autres… et surtout, j’ai dû apprendre à me battre. Mais heureusement, j’ai eu Mac.
— Tu veux dire Duncan ?
— Ouais. Il a été là dès le début. Si je devais affronter ça seul, je sais pas où j’en serais aujourd’hui.
Elle l’observa en silence, sentant une vérité plus profonde derrière ses mots.
— C’est important, d’avoir quelqu’un pour nous guider, reprit-il. Un mentor, un modèle… Appelle ça comme tu veux, mais sans ça, c’est facile de se perdre.
Elle serra les doigts autour de sa bouteille d’eau, réfléchissant à ses paroles. Elle avait Darius. Et elle avait Duncan. Pourtant, elle n’arrivait pas encore à savoir où les placer dans sa vie.
Richie se releva et lui donna une tape sur l’épaule.
— Allez, je te laisse souffler. Mais la prochaine fois, c’est moi qui t’entraîne.
Elle le regarda partir en riant, mais une pensée persistante lui resta en tête. Peut-être qu’il était temps qu’elle cesse de tout affronter seule.
Aélis ajusta l’attache de son manteau en sortant du dojo, savourant l’air plus frais qui contrastait avec la chaleur de l’entraînement. La conversation avec Richie tournait encore dans sa tête, lui laissant un arrière-goût d’incertitude. Elle n’était pas sûre d’être prête à admettre qu’elle avait besoin d’un guide, même si, au fond, elle savait que les paroles du jeune immortel touchaient juste. Elle inspira profondément, cherchant à clarifier ses pensées, lorsqu’une voix espiègle retentit derrière elle.
— Alors, c’est toi, la nouvelle étoile montante du circuit ?
Elle se retourna et croisa le regard pétillant d’Amanda, adossée à un lampadaire avec cette nonchalance qui lui semblait innée. Cette dernière portait une veste en cuir ajustée et une écharpe en soie qui, même négligemment nouée, ajoutait à son charme certain. Aélis haussa un sourcil, méfiante.
— Je suppose que ça dépend de qui parle.
Amanda rit, s’approchant avec un sourire amusé.
— Ne t’inquiète pas, je ne suis pas là pour juger ta technique. Juste pour discuter un peu avec celle qui a réussi à rendre Methos aussi pensif.
La jeune immortelle arqua un sourcil, une pointe d’ironie dans la voix.
— Il pense ?
— De temps en temps, admit Amanda avec un clin d’œil.
Elles commencèrent à marcher côte à côte sans vraiment y réfléchir. Aélis observait du coin de l’œil cette femme qui semblait si sûre d’elle, si libre, un contraste frappant avec les doutes qui l’assaillaient en permanence.
— Alors, comment tu vis ta nouvelle existence ? demanda Amanda, plus sérieuse.
— Par moments, j’oublie presque ce que j’ai perdu. Et d’autres fois…
Elle laissa sa phrase en suspens. Amanda hocha lentement la tête.
— C’est normal. Tu es encore dans cette phase où tu regardes en arrière en essayant de comprendre ce qui a changé.
— Et toi ? demanda Aélis après une courte hésitation. Tu l’as vécue comment, cette transition ?
Un sourire énigmatique passa sur les lèvres d’Amanda.
— Différemment, j’imagine. J’étais jeune, seule et, disons… très peu portée sur l’introspection.
Aélis l’observa avec curiosité.
— Tu as eu un mentor, toi aussi ?
— Rebecca. Elle m’a prise sous son aile. Elle était forte, sage… et d’une patience infinie, ce qui n’était pas du luxe avec moi.
Elle marqua une pause, son regard se perdant un instant, adouci par un brin de nostalgie.
— Mais avant elle, je me suis débrouillée seule. Enfin, plus ou moins. À mes débuts, j’ai surtout appris à survivre. Voler, fuir, manipuler… C’était un jeu dangereux, mais j’étais douée. Rebecca, elle, m’a appris qu’il y avait autre chose. Qu’être immortelle, ce n’était pas seulement survivre, mais choisir qui on voulait devenir.
La jeune immortelle resta silencieuse, absorbant ses paroles.
— Tu crois que tu en es où, toi, dans tout ça ? continua Amanda, avec une douceur qu’elle n’avait pas montrée jusque-là.
— J’en sais rien, admit-elle à voix basse.
Amanda laissa un silence s’installer avant de poser une main légère sur son bras.
— Tu n’es pas obligée de savoir tout de suite. Mais il ne faut pas laisser les autres décider pour toi. Ni Methos, ni Darius, ni Duncan, et surtout pas les fantômes de ton passé.
Aélis releva la tête vers elle, touchée par cette sincérité inattendue.
— Merci.
— Ne me remercie pas trop vite. J’ai l’intention de t’embarquer pour une soirée où tu pourras te rappeler ce que ça fait de simplement vivre.
— Ça sent le piège.
— Uniquement si tu refuses.
Amanda s’arrêta un instant, croisant les bras avec une fausse gravité.
— Tu sais, ma chère, être une immortelle, ce n’est pas seulement une question de force brute. C’est aussi une question d’intelligence… et parfois de charme. Les hommes, qu’ils soient immortels ou non, peuvent être si prévisibles.
Aélis plissa les yeux, peu convaincue.
— Tu es en train de me dire qu’un sourire bien placé vaut mieux qu’une épée ?
— Disons qu’un sourire bien placé peut parfois éviter d’avoir à dégainer une épée. Et cela ne veut pas dire que tu dois renoncer à être toi-même. Mais parfois, un mot charmant ou une fausse vulnérabilité peuvent désamorcer une situation bien plus efficacement qu’une lame bien aiguisée.
— J’imagine que ça dépend de qui on a en face de soi.
— Exactement, confirma Amanda avec un clin d’œil. La clé, c’est de toujours avoir une longueur d’avance.
Elle lui tendit la main d’un geste théâtral.
— Alors, tu viens ou tu préfères continuer à méditer sur les mystères de l’immortalité ?
La jeune femme hésita une seconde, puis attrapa la main tendue.
— Très bien, mais si je me retrouve à fuir une copine jalouse ce soir, je t’en tiens pour responsable.
Amanda éclata de rire.
— Deal.
Et ensemble, elles s’éloignèrent dans la nuit.
L’air frais de la nuit était une bénédiction après l’intensité de l’entraînement. Aélis referma la porte du dojo derrière elle, tirant légèrement sur l’élastique retenant ses cheveux avant de les relâcher en un mouvement sec. Ses muscles endoloris lui rappelaient que Duncan ne la ménageait pas, mais quelque part, elle appréciait cette rigueur. Cela lui vidait l’esprit.
Elle hésita un instant, observant les rues éclairées par les réverbères. Elle n’avait pas envie de rentrer tout de suite. Trop de choses tournaient encore dans sa tête. Noé. Darius. Et puis… Methos. Elle secoua la tête, agacée par l’espace mental qu’il occupait encore malgré elle.
Un bruit de pas derrière elle la tira de ses pensées. Elle n’eut pas besoin de se retourner pour savoir de qui il s’agissait.
— Tu me suis, maintenant ? lança-t-elle sans se presser.
— Si ça peut flatter ton ego, dis-toi que c’est une coïncidence, répliqua Methos en se plaçant à sa hauteur.
— Une coïncidence, vraiment ?
— J’avais envie de marcher, répondit-il avec un haussement d’épaules. Et comme tu as eu la même idée…
Elle ne répondit pas tout de suite. Il n’y avait rien d’hostile dans sa présence, mais elle était encore incapable de déterminer ce qui la dérangeait le plus : le fait qu’il soit là, ou le fait qu’elle ne soit pas certaine de vouloir qu’il parte. Ils avancèrent en silence pendant quelques minutes, leurs pas résonnant sur les pavés humides. Loin du tumulte de la journée, Paris avait une autre saveur à cette heure-là.
— Tu encaisses mieux les coups qu’avant, fit remarquer Methos avec un sourire en coin.
— Un compliment, venant de toi ? Je suis presque touchée.
— Faut pas t’y habituer. C’était purement factuel.
— Évidemment.
Elle secoua la tête, un sourire effleurant ses lèvres.
— Mais je dois admettre que je t’ai sous-estimée, reprit-il d’un ton léger. Quand Duncan m’a dit que tu voulais apprendre, je pensais que tu abandonnerais au bout de quelques semaines.
— Charmant.
— Ce n’est pas une critique, juste une observation. La plupart des gens qui s’entraînent avec lui finissent par jeter l’éponge.
— Et toi, tu l’as fait ?
Methos eut un léger ricanement.
— Moi ? J’ai appris à me battre bien avant que Duncan ne naisse.
— Évidemment. Tu fais partie de ceux qui aiment se vanter de leur grand âge.
— Oh non, moi j’évite de compter. Ça devient déprimant passé un certain stade.
Elle eut un sourire en coin malgré elle. C’était étrange, presque familier. Avant que tout ne bascule, elle avait déjà aperçu cette facette de lui, plus légère, presque insouciante. Et ces derniers temps, elle avait l’impression qu’il redevenait cet homme-là, petit à petit. Comme si, malgré tout, ils retrouvaient un terrain d’entente.
— Tu es toujours comme ça ?
— Comme quoi ?
— Insaisissable.
Il réfléchit un instant, puis haussa les épaules.
— Ça dépend des époques.
— Et en ce moment ?
Un silence. Methos ne répondit pas tout de suite. Il baissa légèrement la tête, un sourire indéchiffrable flottant sur ses lèvres.
— En ce moment, je fais ce que je peux.
Aélis ne savait pas si c’était une réponse honnête ou une façon d’esquiver, mais elle n’insista pas.
Ils marchèrent encore un moment, le silence entre eux plus naturel qu’elle ne l’aurait cru. Il y avait quelques semaines à peine, elle n’aurait jamais imaginé pouvoir tenir une conversation sans tension avec lui. Mais ce soir, dans l’obscurité paisible des rues désertes, elle se surprit à penser que Methos, quand il ne portait pas son masque d’ironie ou de détachement, était peut-être quelqu’un qu’elle pourrait apprendre à connaître.
Amanda sirotait un cocktail en faisant tourner lentement la paille entre ses doigts, le regard fixé sur Methos qui, pour une fois, n’avait rien de l’homme détendu et insaisissable qu’elle connaissait si bien. Il s’était affalé sur la banquette en face d’elle, bras croisés, un verre intact posé devant lui, perdu dans ses pensées. C’était une scène suffisamment rare pour qu’elle ne puisse s’empêcher d’en jouer.
— Tu sais, je t’ai vu dans des états pas possibles au fil des siècles, lança-t-elle d’un ton faussement désinvolte. Epuisé, traqué, en plein milieu d’une énième mascarade pour fuir un créancier ou un mari jaloux. Mais préoccupé ? Ça, c’est nouveau.
Methos leva les yeux vers elle, l’air blasé, mais ne mordit pas à l’hameçon.
— Je vais bien, Amanda.
Elle haussa un sourcil moqueur avant d’étirer un sourire satisfait.
— Oh, je n’ai jamais dit que tu allais mal. Mais tu n’es pas toi-même. Tu es trop silencieux, trop sérieux… et pire encore, tu n’as même pas râlé quand j’ai commandé la bouteille la plus chère.
Il esquissa un sourire, mais elle vit bien qu’il n’avait pas la force de jouer avec elle ce soir-là. Il soupira, décroisant enfin les bras pour attraper son verre et en boire une gorgée.
— Ce n’est rien. Juste… l’épuisement de ces dernières semaines.
Amanda posa son coude sur la table et appuya son menton contre sa main, l’observant avec un amusement teinté de curiosité.
— C’est drôle, Methos. Parce que moi, j’aurais dit qu’il s’agissait d’autre chose.
Il haussa un sourcil, sur la défensive.
— Ah oui ? Et de quoi donc ?
Elle se pencha légèrement en avant, un éclat malicieux dans le regard.
— Oh, peut-être du fait que tu n’arrêtes pas de penser à Aélis.
Il s’immobilisa un instant, et ce fut suffisant pour qu’elle sache qu’elle avait visé juste. Il roula des yeux et reprit une gorgée de son verre, mais Amanda ne comptait pas le laisser s’en tirer si facilement.
— Allons, Methos. On sait tous les deux que ce n’est pas juste de la culpabilité.
— Et qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? répliqua-t-il, plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu.
— Tu tiens à elle.
— Bien sûr que je tiens à elle. Je ne voulais pas qu’elle finisse entre les mains de Kronos, je ne voulais pas qu’elle souffre.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, murmura Amanda.
Methos planta son regard dans le sien, et pour la première fois depuis longtemps, Amanda vit une hésitation réelle dans ses traits. Il ne cherchait pas à nier, mais il n’était pas non plus prêt à l’admettre.
— Ce que tu ressens est un problème, c’est ça ? continua-t-elle, plus sérieuse.
Il se passa une main sur le visage, évitant de répondre immédiatement.
— Ce n’est pas un problème, Amanda. C’est juste…
— Compliqué, compléta-t-elle à sa place.
Il soupira, haussa légèrement les épaules.
— Elle m’en veut encore, je crois.
Amanda prit un air faussement dramatique en posant une main sur son cœur.
— Pauvre Methos. Pour une fois qu’une femme ne succombe pas instantanément à ton charme.
Il lui lança un regard exaspéré, mais elle se contenta de rire.
— Laisse-lui du temps, finit-elle par dire, plus sérieuse. Mais sois honnête avec toi-même. Parce que si tu continues à jouer au type détaché, tu vas finir par le regretter.
Il ne répondit rien, se contentant de fixer son verre comme si la réponse s’y trouvait. Amanda sourit de nouveau, mais cette fois avec une sincérité plus profonde.
— Tu sais, c’est peut-être la première fois que je te vois réellement inquiet pour quelqu’un d’autre que toi-même. Depuis Alexa du moins…
Methos releva les yeux vers elle, et malgré lui, un léger sourire s’esquissa sur ses lèvres.
— Il fallait bien que ça arrive un jour.
Amanda haussa son verre dans un geste de célébration.
— À ta révélation tardive, alors.
Il soupira, leva son verre à son tour, et but enfin une vraie gorgée.
Elle s’arrêta devant les portes de l’église, observant un instant l’ombre paisible qui régnait à l’intérieur. Depuis son retour, elle revenait régulièrement ici, voir Darius sans toujours de raison particulière. Ce soir, pourtant, elle savait pourquoi elle était là. Elle poussa la porte et avança lentement, son regard balayant l’espace jusqu’à trouver la silhouette familière du prêtre. Darius était assis près de l’autel, une bible ouverte sur ses genoux. Il leva immédiatement les yeux vers elle, et un silence presque imperceptible s’installa dans son regard. Il aurait voulu croire qu’il s’agissait d’une impression passagère, mais il savait que ce n’était pas le cas. Depuis qu’elle était revenue, quelque chose en lui vacillait, une sensation qu’il n’avait pas éprouvée depuis longtemps. Il se redressa, s’efforçant d’enfouir ce qui le traversait sous le calme habituel qu’il affichait.
— Aélis.
Elle s’arrêta à quelques pas de lui, jouant machinalement avec le bracelet à son poignet. Il y avait moins de tension entre eux, moins de colère aussi, mais elle ne savait pas encore comment nommer ce qu’il restait. Elle inspira profondément avant de s’asseoir en face de lui.
— Je crois que j’ai besoin de tes conseils.
Darius referma doucement la bible et la posa sur le banc à côté de lui. Son regard s’attarda une fraction de seconde de trop sur elle, sans qu’il ne s’en rende compte immédiatement. Il maîtrisait chaque émotion, chaque pensée, et pourtant, il y avait quelque chose qu’il ne parvenait pas à chasser.
— Je t’écoute.
— J’ai décidé d’aller voir Noé.
Il ne parut pas surpris, se contentant d’un léger hochement de tête.
— Tu es sûre de toi ?
— Autant que possible, souffla-t-elle.
Il laissa un silence, respectant son rythme.
— Tu veux lui dire quoi ?
— Je n’en sais rien. Que je suis désolée, je suppose. Que je n’ai pas su gérer les choses autrement.
Darius croisa les doigts sur ses genoux, réfléchissant un instant avant de parler.
— Et attends-tu quelque chose de lui en retour ?
Aélis releva les yeux vers lui, prise au dépourvu par la question.
— Non… enfin, je ne crois pas. Je ne cherche pas à ce qu’il me pardonne. Je veux juste… fermer cette porte correctement.
— Et s’il refuse de t’écouter ?
Elle prit une inspiration plus longue, sentant une pointe d’anxiété poindre dans sa poitrine.
— Alors au moins j’aurai essayé.
Le prêtre inclina légèrement la tête, un fin sourire empreint d’une tendresse discrète effleurant ses lèvres.
— C’est une raison juste. Mais tu sais que tu ne peux pas tout réparer, n’est-ce pas ?
Elle détourna le regard, le cœur plus lourd qu’elle ne voulait l’admettre.
— Oui.
Un silence s’installa, et elle sentit le regard de Darius sur elle, patient, comme s’il cherchait à lire entre les lignes de ce qu’elle ne disait pas.
— Qu’est-ce qui te fait le plus peur ?
Elle soupira, le regard fixé sur un point invisible.
— Je ne veux pas lui mentir, mais je ne peux pas lui dire la vérité.
— Alors dis-lui ce qui est vrai, sans dire ce qui doit rester caché.
Aélis laissa ces mots résonner en elle.
— J’ai l’impression qu’il n’y a pas de bonne façon de faire, avoua-t-elle.
— Il n’y en a peut-être pas. Mais il y a ta façon de faire.
Elle releva les yeux vers lui, troublée par la simplicité de sa réponse.
— Et si je me trompe ?
— Alors tu apprendras de cette erreur.
— Tu rends toujours les choses plus simples qu’elles ne le sont.
— Prendre du recul aide à voir plus clair, sourit-il.
Elle roula des yeux, amusée malgré elle.
— Ça t’arrive de ne pas avoir réponse à tout ?
Darius rit doucement.
— Plus souvent que tu ne le crois.
Elle baissa les yeux sur son bracelet, effleurant du bout des doigts le cuir usé.
— Et si, au fond, je cherche à me racheter plus qu’à lui parler ?
Il prit un instant avant de répondre, posant son regard sur elle avec une attention sincère.
— Cherches-tu à être pardonnée, ou à te pardonner toi-même ?
Elle resta silencieuse, troublée.
— Parce qu’au fond, Aélis, c’est peut-être ça le plus dur. Ce n’est pas tant ce que Noé pense de toi qui te hante… mais ce que toi, tu penses de ce que tu as fait.
— Je n’avais pas le choix, murmura-t-elle.
— Non. Mais cela n’empêche pas de regretter.
Elle releva enfin la tête vers lui, et elle sentit qu’il comprenait exactement ce qu’elle voulait dire. Il ne cherchait pas à la rassurer avec de faux espoirs, ni à minimiser ce qu’elle ressentait. Il l’acceptait, simplement.
— Merci, Darius.
Il posa une main brève mais sincère sur la sienne.
— Quoi qu’il arrive, tu n’es pas seule, Aélis.
Elle releva les yeux vers lui, et cette fois, elle le crut vraiment.
L’air froid de la rue portait encore l’humidité de la dernière averse lorsqu’elle poussa la porte du café. L’odeur du café brûlant et des viennoiseries satura l’espace, mais Aélis n’y prêta pas attention. Son regard balaya la salle jusqu’à apercevoir Noé, assis dans un coin, une tasse devant lui. Il était arrivé avant elle, comme s’il voulait garder l’avantage. Son visage était fermé, ses traits tirés par une lassitude qu’elle lui connaissait mal. Il leva à peine les yeux quand elle s’approcha et s’installa en face de lui.
— Merci d’être venu, souffla-t-elle.
— J’ai failli ne pas le faire.
Il porta sa tasse à ses lèvres et laissa un silence s’installer, pesant.
— Pourquoi maintenant, Aélis ? Pourquoi après tout ce temps ?
Elle entrelaça ses doigts sur la table, tentant de trouver les mots justes.
— Parce que j’ai fui assez longtemps.
Un rire bref et sans joie lui échappa.
— Tu as fui. C’est bien, au moins tu l’admets. Mais tu es partie sans un mot, sans une putain d’explication. Tu m’as laissé comme un con à me demander ce que j’avais fait de mal.
Elle ferma les yeux une fraction de seconde, encaissant sans broncher.
— Ce n’était pas toi, Noé.
— Ah non ? Alors c’était quoi ? Un coup de tête ? Un caprice ?
Sa voix se fit plus dure, plus tranchante.
— Tu sais ce qui est le pire, Aélis ? Ce n’est même pas que tu sois partie. C’est que tu m’as fait croire que je comptais pour toi. Que j’avais une place dans ta vie.
Elle déglutit, sentant la colère contenue sous ses mots.
— Tu comptais.
Il éclata d’un rire amer et posa brutalement sa tasse sur la table.
— Arrête ça. Arrête de me balancer des phrases creuses pour te donner bonne conscience. Si j’avais compté, tu ne serais pas partie comme tu l’as fait.
Elle baissa les yeux. Elle n’avait pas d’excuses valables à lui offrir. Elle le savait. Lui aussi.
— Je n’ai pas d’excuses, admit-elle.
— C’est bien, au moins tu es lucide.
Il la fixa longuement, son regard oscillant entre rancune et quelque chose de plus profond, plus douloureux.
— J’ai passé des semaines à me demander ce que j’avais raté. Ce que j’avais mal fait. Et toi, tu étais où ?
Elle inspira lentement.
— J’étais perdue.
— Et tu t’es retrouvée dans les bras d’Adam, c’est ça ?
Son ton n’était pas seulement accusateur. Il y avait autre chose dessous. Quelque chose qui ressemblait à de la douleur. Un frisson d’agacement remonta l’échine de la jeune femme. Évidemment, il ramenait tout à ça. Comme si Methos était la seule explication possible à son départ, comme si tout ce qu’elle avait vécu se résumait à une histoire de jalousie mal placée.
Elle sentit l’impulsion monter, une réplique cinglante prête à jaillir. Les mots brûlaient sur sa langue, impatients, comme un réflexe ancré dans ses veines. Elle aurait pu lui cracher au visage qu’il ne savait rien, qu’il ne comprendrait jamais ce qui s’était réellement passé. Mais à quoi bon ?
Elle se mordit l’intérieur de la joue, juste assez fort pour se forcer à ravaler sa colère. Lui balancer la vérité en pleine figure n’arrangerait rien. Il ne pouvait pas comprendre. Et elle n’allait pas s’excuser pour quelque chose qu’il imaginait à tort. Elle releva la tête, posant sur lui un regard plus posé qu’elle ne le ressentait vraiment.
— Ce n’est pas ce que tu crois.
— Ah oui ? Alors explique-moi. Parce que moi, j’ai juste vu un mec débarquer de nulle part et foutre en l’air ce qu’on avait.
— Ce n’est pas lui, Noé. C’est moi.
Il se tut un instant, la mâchoire serrée.
— Tu aurais pu me laisser une chance.
— J’aurais dû, admit-elle.
Elle le pensait sincèrement. Mais il était trop tard pour ça. Un silence tendu s’installa entre eux. Le bruit des conversations autour d’eux paraissait lointain, étouffé par l’intensité du moment. Noé finit par détourner le regard, exhalant un soupir las.
— Et maintenant ?
— Maintenant, je voulais juste te dire que je suis désolée. Que j’ai eu tort et que j’aurais dû m’expliquer. Plus tôt…
Il serra les poings sur la table, comme s’il luttait contre quelque chose.
— Ça ne change rien.
— Je sais.
Elle se leva, sentant que tout avait été dit. Mais Noé ne bougea pas. Il la regarda se lever, ses doigts crispés sur sa tasse, et pendant un bref instant, il sembla sur le point de dire quelque chose. Une part de lui attendait. Une autre chance, un mot de plus. Mais Aélis n’ajouta rien. Elle hocha simplement la tête.
— Prends soin de toi, Noé.
Il ne répondit pas tout de suite. Juste avant qu’elle ne s’éloigne, il murmura, presque à contrecœur :
— Toi aussi.
Elle quitta le café sans se retourner. Une part d’elle aurait voulu que les choses se terminent autrement, mais une autre savait que c’était inévitable. Noé ne lui pardonnerait pas. Peut-être jamais. Mais au moins, elle avait affronté ce qu’elle avait fui. Et ce poids-là, enfin, cessait de peser sur elle.