Le Prix à payer - Highlander Fanfiction

Chapitre 3 : L’épreuve du silence

12103 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 5 mois

La voiture fendait la nuit silencieuse, le vrombissement du moteur couvrant à peine le chaos dans l’esprit d’Aélis. Au départ, elle était restée figée dans une torpeur étrange, incapable de réellement traiter tout ce qui venait de se produire. Mais à mesure que les kilomètres défilaient sous les phares, le choc laissa place à autre chose. La colère.

Elle serra le volant un peu plus fort. Adam n’avait rien fait. Il avait laissé Kronos l’emmener sans rien dire. Il avait joué son rôle d’exécutant, s’était fondu dans le décor comme s’il ne s’agissait que d’une autre journée dans sa longue vie d’évitement. Et maintenant, quoi ? Il prétendait la ramener ici, comme si tout allait pouvoir être réparé d’un simple échange de mots ?

Sa mâchoire se contracta alors qu’elle dépassait un feu encore vert. Chaque image de ces derniers jours lui revenait en boucle, chaque instant où elle avait attendu une aide qui n’était jamais venue.

Il aurait pu empêcher ça.

Elle jeta un rapide coup d’œil vers l’immortel, assis à côté d’elle, le regard perdu dans l’obscurité. Il n’avait pas dit un mot depuis leur départ. Une part d’elle aurait voulu qu’il parle. Qu’il dise quelque chose, qu’il se justifie, qu’il essaye au moins d’expliquer pourquoi il n’avait rien fait. Mais non. Toujours cette foutue distance. Elle enfonça un peu plus son pied sur l’accélérateur, serrant les dents pour ne pas laisser échapper un commentaire acerbe.

Pas maintenant. Pas encore.

Un panneau indiqua qu’il leur restait trois kilomètres avant d’atteindre leur destination. Trois kilomètres à supporter ce silence pesant, trois kilomètres à prétendre qu’elle n’avait pas une furieuse envie de s’arrêter sur le bas-côté pour lui hurler dessus.

Elle inspira profondément et força ses doigts à desserrer légèrement leur prise sur le volant.




Darius était assis à son bureau, un livre ouvert devant lui. D’un geste lent, il tourna une page, son regard fixant distraitement les mots inscrits à l’encre noire. Soudain, un frisson imperceptible le tira de ses pensées. Il reconnut immédiatement la présence de Methos. Mais cette fois, il y avait autre chose. Une seconde vibration. Il s’immobilisa. Ce n’était plus la présence incertaine qu’il avait perçue ces derniers mois, celle d’une pré-immortelle encore ancrée dans la mortalité. Non. Cette sensation était claire, affirmée. Aélis.

Il referma son livre et se leva.

Il savait que ce jour viendrait, et pourtant, une étrange tension s’installa en lui. Une part de lui aurait voulu se convaincre que ce n’était qu’une impression passagère. Mais il ne pouvait pas ignorer ce qu’il ressentait. Il fit quelques pas vers la sortie, l’esprit toujours agité par cette sensation. C’était irrationnel. Il n’aurait pas dû être troublé. Pourtant, il l’était.

Sans un bruit, il poussa la porte et sortit dans la nuit fraîche. Methos et Aélis étaient là, à quelques mètres seulement. Il effaça instantanément toute trace de trouble sur son visage, retrouvant son calme habituel. Puis, avec un sourire mesuré, il s’avança vers eux.

Sans hésiter, il prit la jeune femme dans ses bras, serrant un peu plus fort qu’elle ne s’y attendait. Elle ne broncha pas, sentant malgré tout un réconfort fugace dans cette étreinte. Puis il la relâcha pour faire de même avec Methos, d’un geste aussi naturel que spontané.

— Venez, dit-il simplement en leur faisant signe d’entrer.

Ils franchirent le seuil en silence. L’odeur familière de pierre et d’encens accueillit Aélis, mais cette fois, elle n’apaisa pas totalement la tension qui la crispait encore.

— Ça fait des jours qu’on était sans nouvelles de vous deux, reprit Darius en refermant la porte derrière eux. J’ai d’abord été inquiet quand je ne t’ai pas vue venir à notre rendez-vous, Aélis. J’ai contacté Duncan, qui m’a dit que tu n’étais pas non plus allée à ses cours. Et quand on a essayé de joindre Methos, rien.

Ce dernier, qui n’avait pas prononcé un mot depuis leur arrivée, baissa légèrement la tête, évitant le regard de Darius à la mention de son vrai nom. La jeune femme, elle, ne réagit pas immédiatement. Elle se sentait à la fois coupable et agacée, mais son épuisement lui ôtait l’envie de répondre.

— Duncan est parti à votre recherche il y a trois jours, continua Darius. Il n’a rien trouvé.

— Vous pourrez passer la nuit ici, reprit-il avec douceur. J’ai une petite chambre que j’utilise parfois pour héberger des sans-abris. Ce n’est pas grand-chose, mais ça suffira pour vous reposer.

Aélis hocha simplement la tête. Elle n’avait qu’une envie : s’éloigner un instant, se retrouver seule. Quant à Methos, il n’avait toujours pas levé les yeux. Darius, lui, ne semblait pas encore comprendre la nature du malaise qui pesait sur eux.

 

Il les conduisit à travers les allées sombres et silencieuses de l’église jusqu’à une pièce modeste située non loin de son propre logement. La chambre était à peine plus grande qu’un débarras, avec deux lits simples disposés contre des murs opposés. Face à la porte, une autre ouverture menait à une salle d’eau sommaire. Les murs nus et le mobilier rudimentaire évoquaient la simplicité monastique dans laquelle vivait le prêtre.

— Reposez-vous. Je vais prévenir Duncan de votre retour, dit-il avant de les laisser seuls.

Aélis s’assit lourdement sur le lit le plus proche de la porte, sentant la fatigue accumulée de ces derniers jours peser sur ses épaules. Son corps était douloureux, marbré des épreuves récentes. Elle retira ses chaussures avec un soupir et se dirigea sans un mot vers la salle d’eau.

Sous l’eau chaude, elle laissa les tensions se dissoudre, bien que le souvenir des événements récents refuse de s’estomper. Son propre reflet dans le miroir la troubla. Elle se revoyait encore, enfermée dans cette cage, le poignard de Kronos transperçant sa poitrine, le regard fou de Caspian… Elle secoua la tête pour chasser ces images et ferma les yeux un instant, laissant l’eau couler sur son visage. Quand elle les rouvrit, son reflet était toujours là. Toujours elle. Pourtant, quelque chose clochait.

Alors voilà. Je suis censée être morte et miraculeusement revenue à la vie… mais tout ce que j’ai gagné, c’est une migraine et des envies de meurtre. Super pouvoir fascinant.

Elle poussa un soupir et attrapa une serviette.

Lorsqu’elle sortit de la salle de bain, les cheveux encore humides, elle trouva Adam assis sur le second lit, la tête enfouie entre ses mains. Lui qui d’ordinaire affichait une certaine désinvolture semblait aujourd’hui vidé, comme si les événements avaient mis à nu une part plus vulnérable de lui. Mais elle ne ressentit aucune compassion. Pas après ce qu’elle avait traversé. Elle s’arrêta au seuil de la salle d’eau, son regard fixé sur lui. Le silence s’étira entre eux. Elle ne lui adressa pas un mot, son visage fermé. Elle n’avait ni la patience ni l’envie de briser cette distance, pas après ce qu’elle venait de traverser.

Ce fut lui qui, finalement, rompit le silence.

— Je suis désolé.

Sa voix était basse, fatiguée. Il releva légèrement la tête, croisant son regard, mais elle ne répondit rien. Elle serra les bras contre elle, le visage impassible.

— Ce n’était pas censé arriver comme ça, ajouta-t-il après un moment.

Elle eut un bref ricanement amer.

— Ah. Et comment c’était censé se passer, alors ?

Il soupira, passant une main lasse sur son visage.

— Je ne sais pas…

— Tu ne sais pas, répéta-t-elle, sa voix vibrante d’ironie. Mais tu as quand même laissé faire.

Il ne répondit rien, et son silence n’eut pour effet que d’attiser la colère qui grondait en elle.

— Tu m’as vue enfermée dans cette cage, entourée de ces tarés, et tu n’as rien dit. Rien fait. Tu t’es contenté de baisser les yeux et de me dire de "tenir bon".

Elle s’approcha d’un pas, la mâchoire crispée.

— Je vais t’apprendre un truc, Adam. Quand quelqu’un est en train de se noyer, on ne lui dit pas "tiens bon". On plonge pour l’aider.

Ses propres mots lui firent mal, mais elle ne chercha pas à les retenir. Methos releva enfin la tête, et pendant une fraction de seconde, elle crut voir une lueur de douleur traverser son regard. Mais il se contenta de serrer la mâchoire et de détourner les yeux. Un bref instant, Aélis sentit son estomac se nouer. Elle aurait pu s’arrêter là. Elle aurait pu ravaler sa rancune et s’en tenir à ce qu’il avait déjà entendu. Mais elle n’en avait pas envie. Elle voulait qu’il se sente aussi mal qu’elle. Elle voulait qu’il ait mal. Alors elle lâcha, d’un ton cinglant :

— Finalement, tu n’es pas si différent de Kronos. Lui aussi, il aime bien regarder les autres souffrir.

Le silence qui s’abattit sur la pièce fut glacial. Methos redressa lentement la tête et planta son regard dans le sien. Cette fois, il y avait quelque chose de brisé dans ses yeux. Le nom de Kronos ramenait avec lui tout un passé qu’il cherchait à enterrer depuis des siècles. Il avait tout fait pour se dissocier de cet homme, pour ne plus jamais être cet être impitoyable qu’il avait été autrefois. Et l’entendre prononcé dans ce contexte rouvrait des blessures qu’il avait cru refermées. Mais au lieu de répliquer, il prit une lente inspiration. Il sentait la colère monter, mais il la repoussa, comme il avait appris à le faire au fil des siècles. Il savait qu’une parole de trop, un mot mal placé, et la fracture serait irréparable.

Aélis, elle, sentit son cœur cogner plus fort dans sa poitrine, comme si son propre corps tentait de l’arrêter trop tard. Elle savait qu’elle était allée trop loin. Qu’elle avait franchi une ligne qu’elle ne pourrait pas effacer. Mais au lieu de s’excuser, elle détourna les yeux et se dirigea vers la porte.

— Aélis…

Elle s’arrêta, mais ne se retourna pas.

— Je te dois des explications, dit-il, la voix plus lasse que jamais.

Methos savait qu’il devait lui parler. Lui expliquer tout ce qu’elle ignorait encore, ce qu’il avait essayé de fuir, et pourquoi il avait agi comme il l’avait fait. Mais pas maintenant. Pas alors qu’elle était encore brûlante de colère et lui au bord de ses limites. Elle ferma brièvement les yeux, ravalant une autre réponse cinglante. Finalement, elle se contenta de dire, d’un ton sec :

— Je suis d’accord. Mais pas ce soir.

Et sans un regard de plus, elle quitta la chambre, le laissant seul avec sa culpabilité.



 

Elle partit toquer à la porte des appartements du prêtre. Darius, encore éveillé, l’invita à entrer d’un geste doux.

— Tu ne dors pas ? demanda-t-il en refermant la porte derrière elle.

Elle haussa les épaules, mal à l’aise.

— J’aurais besoin d’un téléphone.

Darius plissa les yeux, curieux. Il ne la questionna pas davantage et se dirigea vers son bureau où trônait un vieux téléphone fixe. Elle releva les yeux vers l’appareil et réprima un soupir agacé. Encore fallait-il que ce truc fonctionne toujours. Vu l’antiquité, il était fort possible que le dernier appel passé dessus ait été un message pour annoncer la chute de l’Empire romain.

Il le lui tendit, mais Aélis resta figée en l’observant, réalisant qu’elle ne connaissait pas le numéro de Noé. Un profond sentiment de frustration s’empara d’elle. Elle se laissa tomber sur une chaise, passant une main sur son visage.

— Je n’ai même pas son fichu numéro...

Le prêtre s’assit en face d’elle, posant ses mains croisées sur la table.

— Qui comptais-tu appeler ?

— Noé, répondit-elle avec lassitude. Mon copain.

— Et que voulais-tu lui dire ?

Elle inspira bruyamment, sentant une exaspération grandissante monter en elle.

— J’en sais rien.

Elle s’en voulait d’avoir foncé sur cette idée sans réfléchir. Sans doute aurait-elle voulu simplement entendre sa voix, se raccrocher à une vie qui lui échappait désormais. Darius, patient, attendit qu’elle reprenne la parole.

— Je voulais juste qu’il sache que je suis en vie, finit-elle par dire. Il doit s’inquiéter.

— L’appeler en pleine nuit dans cet état ne l’aidera pas. Et toi non plus. Que lui diras-tu ? Que tu es devenue une immortelle et que ta vie ne sera plus jamais la même ?

Aélis serra les dents, mal à l’aise face à la vérité brutale qu’il mettait en lumière. Il n’avait pas tort, mais l’accepter lui semblait insurmontable.

— Repose-toi. Attends demain. Laisse-toi le temps d’accepter ce qu’il t’arrive avant de vouloir rassurer quelqu’un d’autre.

— Accepter quoi, au juste ?

— Ce que tu es devenue.

Elle resta immobile, son cœur se serrant sous le poids des révélations. Une vague de frustration monta en elle, mêlée d’un sentiment de trahison qu’elle peinait à contenir. Elle croisa les bras, cherchant à se donner une contenance face à Darius, dont la sérénité habituelle devenait presque insupportable à cet instant.

— Viens t’asseoir, proposa-t-il calmement en désignant une chaise. Tu veux parler ?

La colère grondante en elle la poussait à rejeter son invitation, mais une part plus vulnérable céda. Sans un mot, elle s’installa face à lui. Darius l’observa un instant, attentif. Il aurait voulu lui dire qu’elle n’avait pas à porter tout cela seule, que certains fardeaux ne se traversaient pas dans le silence. Mais il savait qu’elle n’était pas prête à l’entendre. Alors, sans insister, il se contenta de lui servir une tasse de thé. Ses gestes étaient mesurés, empreints de cette douceur dont il ne se départait jamais. Habituellement, elle trouvait cela apaisant. Ce soir, cela éveillait en elle une forme de méfiance. Comme si cette bienveillance inébranlable ne faisait que souligner à quel point elle était en train de perdre pied.

— Tu veux me raconter ce qu’il s’est passé ? reprit-il avec une patience inébranlable.

Elle baissa les yeux sur la boisson fumante, cherchant ses mots. Une part d’elle voulait tout garder pour elle, mais le besoin de vider son cœur fut plus fort. Alors elle lui raconta tout : son enlèvement, sa « première » mort, ses bourreaux, la sensation étrange de vibrations qui l’envahissait en présence de certains d’entre eux, la brutalité de Kronos et surtout de la trahison implicite d’Adam. Lorsqu’elle parla de Kronos et de Methos, il entendit la douleur cachée derrière ses mots. Ce n’était pas seulement l’enlèvement et les manipulations de Kronos qui l’avaient brisée, mais aussi le rôle qu’avait joué Methos dans cette histoire, un rôle ambigu et douloureux, bien qu’animé par un instinct de protection. Darius la laissa vider son cœur, conscient que son silence était parfois le meilleur soutien.

Son récit terminé, il prit le temps d’assimiler ses paroles, pesant chaque mot avant de répondre.

— Il a fait ce qu’il pouvait dans une situation impossible.

— Tu prends sa défense ? Sa voix monta d’un cran, teintée de rancune.

— Je dis juste qu’il a fait les choix qu’il pensait justes sur le moment. Peut-être qu’il s’est trompé, peut-être qu’il les regrette, mais ce n’était pas une trahison.

Un silence. Elle finit par relever la tête, son regard sombre.

— Toi aussi, pas vrai ? Tu es comme eux.

— Disons plutôt que tu fais partie des nôtres, maintenant.

Ces mots étaient censés être rassurants, mais ils provoquèrent une explosion intérieure chez Aélis. Elle ne le quitta pas des yeux. Il ne cherchait pas à lui mentir, mais à la préparer. Lentement, avec une infinie patience, il entreprit alors de lui expliquer ce qu’il savait des immortels : qui ils étaient, d’où venait leur nature mystérieuse, et le Jeu auquel ils étaient tous contraints de participer.

— Ce que je vais te dire risque de te troubler davantage, mais tu dois savoir. Les immortels, comme toi et moi, sont liés par ce que nous appelons le Jeu.

— Le Jeu ?

Darius hocha lentement la tête et poursuivit avec une lenteur mesurée, choisissant chaque mot avec soin :

— Nous sommes destinés à nous combattre, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul d’entre nous. C’est une loi immuable de notre existence. Lorsqu’un immortel en tue un autre, il s’approprie son quickening, c’est-à-dire son énergie, ses compétences, et sa force.

Aélis sentit une nausée sourde monter en elle.

— Vous vous entre-tuez ? souffla-t-elle, horrifiée.

— Certains le font par nécessité, d’autres par soif de pouvoir. Mais au final, il n’y a pas d’alternative. Ce Jeu existe depuis la nuit des temps.

— Et le gagnant ? demanda-t-elle malgré elle.

— Le dernier immortel recevra le Prix. Toute la connaissance accumulée des siècles, toute la puissance des quickenings… et un pouvoir inimaginable. Suffisant pour dominer le monde, ou le préserver. L’avenir de l’humanité dépendra de celui qui gagnera.

Aélis ne répondit rien. Cette révélation lui paraissait trop absurde pour être vraie, et pourtant, elle ne pouvait ignorer la gravité du ton de Darius. Il inclina légèrement la tête, une ombre de tristesse dans le regard :

— C’est pourquoi il est impératif que celui qui triomphe soit un être pacifique. Sinon, ce monde pourrait sombrer dans une ère de terreur que personne ne pourrait stopper.

Elle se leva brusquement. Donc, résumons. Un club très sélect d’immortels passait l’éternité à s’entretuer à coups d’épées pour gagner un Prix mystique qui leur donnerait un pouvoir absolu. C’était quoi, ce délire ? Un Battle Royale divin ?

— C’est insensé.

Darius la laissa digérer, mais elle sentait son regard posé sur elle avec cette patience qui la rendait folle. Elle fit quelques pas, serrant les bras autour d’elle comme si cela pouvait empêcher sa réalité de s’effondrer davantage.

— Et pour ça, il faut éliminer les autres ? demanda-t-elle enfin, d’une voix plus fragile qu’elle ne l’aurait voulu.

Darius hocha lentement la tête.

— C’est un cycle cruel, avoua-t-il. Un fardeau dont peu d’entre nous se réjouissent.

Les explications dissipaient peu à peu sa confusion, mais laissaient place à un flot de questions.

— Tu as quel âge ? lâcha-t-elle finalement, presque incrédule.

La question semblait presque enfantine face à l’ampleur des révélations, contrastant avec l’expression encore tendue d’Aélis. Un sourire fugace passa sur les lèvres du prêtre.

— Un peu moins de deux mille ans. 1981 ans pour être précis...

Elle le fixa, abasourdie. Et dire qu’elle trouvait déjà son goût pour les antiquités un peu trop poussé… Il s’avérait que Darius n’était pas seulement un collectionneur nostalgique, mais littéralement une relique.

— Mais Methos est bien plus vieux encore, ajouta-t-il.

— Adam ? reprit-elle, un goût amer dans la bouche. Les autres aussi l’appelaient Methos…

— C’est le nom sous lequel il est connu parmi les nôtres. Comme beaucoup d’immortels, il a dû changer d’identité au fil des siècles, mais son vrai nom reste Methos.

Aélis sentit un frisson la parcourir. Tant d’années... Tant de vies traversées. Son regard se perdit un instant dans le vide alors qu’une pensée glaçante s’imposait à elle.

— Kronos savait que j’étais…

Elle laissa sa phrase en suspens, cherchant ses mots, son esprit formant malgré elle une conclusion qu’elle refusait encore d’accepter. Elle releva lentement les yeux vers Darius, cherchant une confirmation. Il hocha doucement la tête, sa voix toujours aussi calme.

— Oui. Moi, Methos, Duncan… Nous savions également.

Elle sentit son ventre se nouer. Une vague de colère monta en elle, brute, incontrôlable. Elle se leva brusquement, faisant racler sa chaise sur le sol.

— Depuis le début, vous saviez ce que j’étais ?

Darius la regarda sans chercher à se défendre, attendant qu’elle expulse toute la fureur qui bouillonnait en elle.

— Quand je t’ai rencontrée ici, j’ai tout de suite su, dit-il d’un ton mesuré. Nous ressentons la présence des immortels en devenir, comme toi. C’est un don que nous avons tous.

Elle croisa les bras, son cœur battant trop vite.

— Et aucun de vous n’a jugé bon de m’en parler ?!

— Certaines vérités ne peuvent se dévoiler que d’elles-mêmes.

Un rire amer lui échappa.

— Quelle belle philosophie… souffla-t-elle, la mâchoire serrée. Mais elle est pour qui, cette sagesse ? Pour toi, qui ne risques plus rien, ou pour moi, qui dois gérer ce foutoir toute seule ?

Le prêtre vacilla sous l’attaque. Une ombre de douleur passa dans son regard, mais il refusa de répondre à la provocation.

— Je suis désolé que tu ressentes ça.

Aélis secoua la tête, sentant la rage grandir à l’intérieur d’elle comme un orage prêt à éclater.

— Non, tu n’es pas désolé. Tu es juste peiné que je ne réagisse pas comme tu l’avais prévu.

Elle planta ses yeux brûlants dans ceux du prêtre.

— J’ai passé des mois à te parler, à te faire confiance. Tu savais qui j’étais avant même que je ne le découvre moi-même, et pourtant, tu n’as rien dit.

Darius soupira, sa voix toujours empreinte de cette patience infinie qui l’agaçait au plus haut point.

— Je voulais te protéger.

— Me protéger ? répéta-t-elle, incrédule. En me mentant ?

Elle recula d’un pas, secouée par une pensée qui la frappa de plein fouet. Noé. Il l’avait sentie s’éloigner, et elle l’avait repoussé, aveuglée par la confiance qu’elle avait placée en Darius et les autres. Elle leur avait donné toute sa loyauté, sans se douter qu’ils lui cachaient l’essentiel. Une brûlure acide se propagea dans sa poitrine. Elle ne savait plus si elle était plus en colère contre eux… ou contre elle-même.

— Je suis désolé, répéta Darius, plus doucement.

Aélis éclata de rire, un rire froid, tranchant comme du verre brisé.

— Tu sais quoi ? Garde ta pitié.

Elle se détourna brusquement et quitta la pièce sans un regard en arrière.

 

De retour dans la chambre, elle referma la porte avec un claquement sec. La lumière sous la porte de la salle de bains lui indiqua que Methos était à l’intérieur. Parfait. Elle n’avait pas la force de l’affronter ce soir.

Elle s’allongea sur le lit, le regard perdu dans l’ombre du plafond. Darius, Methos, Duncan… Ils avaient tous su. Ils avaient été les gardiens silencieux de sa transformation, la laissant sombrer dans l’horreur sans jamais lui tendre la main. Et Noé… Elle l’avait écarté, le pensant trop possessif, trop jaloux. Mais au final, qui était-elle pour juger ? Elle-même avait été incapable de voir la vérité qui se dressait devant elle.

Tout était devenu mensonge et secrets.

Une lassitude infinie l’envahit. Son corps était encore meurtri, sa tête lourde de colère et de douleur. Pourtant, l’épuisement finit par l’emporter. Ses paupières se fermèrent, mais son cœur restait chargé d'une colère sourde et d'une douleur encore plus profonde.




La porte grinça doucement alors que Methos refermait derrière lui, s’assurant de ne pas troubler le sommeil fragile d’Aélis. Elle s’était endormie, son visage encore marqué par la fatigue et la tension des derniers jours. Il l’avait observée une seconde à peine avant de quitter la chambre, incapable de soutenir plus longtemps le poids qui lui écrasait la poitrine.

Il marcha lentement dans les couloirs silencieux de l’église, ses pas résonnant faiblement sur les vieilles pierres. Il s’arrêta devant la porte des appartements de Darius, mais ne frappa pas tout de suite.

Il resta un instant immobile, hésitant. Pourquoi était-il là, au juste ?

Il aurait pu rentrer chez lui, boire un verre et attendre que tout cela passe. Trouver une autre distraction. Éviter, comme il savait si bien le faire. Mais cette fois, c’était différent. Parce qu’il n’avait pas seulement échoué avec Aélis. Il avait échoué avec Darius.

— Entre, répondit la voix calme du prêtre.

Methos poussa la porte et trouva l’immortel assis dans un fauteuil, une tasse de thé entre les mains. L’atmosphère feutrée de la pièce contrastait avec le tumulte qui l’agitait. Darius leva les yeux vers lui, et Methos sut immédiatement qu’il était attendu.

— Tu as l’air soucieux, remarqua le prêtre.

— Moi ? siffla-t-il en refermant la porte derrière lui. Absolument pas.

Darius ne répondit pas, l’observant avec cette patience qui avait toujours eu le don de l’exaspérer. Methos soupira et s’affala sur un banc, les bras croisés.

— Aélis est toujours en colère, je suppose, dit Darius d’un ton neutre.

Methos pinça les lèvres, agacé. Évidemment que Darius savait. Il savait toujours.

— Colère n’est même pas le mot, grogna-t-il. Elle me regarde comme si j’étais la pire chose qui lui soit arrivée.

Le prêtre hocha lentement la tête, mais son regard restait insondable.

— Et cela t’agace.

— Bien sûr que ça m’agace ! lâcha-t-il en se redressant brusquement. Je n’ai rien demandé ! Je n’ai jamais voulu qu’elle se retrouve au milieu de tout ça. Mais maintenant, quoi que je fasse, je suis le salaud de l’histoire.

— Tu culpabilises.

— Je l’ai laissée tomber, finit-il par lâcher dans un soupir.

Ce n’était pas un aveu destiné à Aélis. C’était pour Darius. Il le savait. Son ami l’avait senti venir, et il attendait simplement que Methos arrive à l’admettre lui-même.

— J’ai joué le rôle que Kronos attendait de moi. J’ai fait semblant d’être celui que j’étais autrefois… et je l’ai entraînée dans ce cauchemar, poursuivit-il d’une voix plus rauque.

Il ferma les yeux un instant, revoyant le visage terrorisé d’Aélis, le sourire cruel de Kronos, le poids du regard de Silas lorsqu’il avait tranché sa tête. Il revoyait aussi Caspian et sa folie, sa lame, le sang qui avait coulé… Mais il revoyait aussi Darius. Son ami, qui lui avait confié cette responsabilité sans un mot, comme si c’était une évidence. Parce qu’il croyait en lui. Parce qu’il pensait que, malgré tout, Methos était encore capable de protéger quelqu’un. Et il avait échoué.

— Tout ça pour la sauver, murmura-t-il.

Le prêtre l’observa un instant, son regard empli de compassion.

— Ce fardeau t’appartient, mais tu ne peux pas lui en faire porter le poids, répondit-il doucement.

— Ce n’est pas que ça, gronda-t-il, sa frustration remontant d’un coup. Ce n’est pas juste elle. C’est toi.

— Moi ?

— Je t’ai laissé le soin d’être celui qui croit encore que l’on peut être meilleur, et toi, tu m’as confié… quoi, exactement ? Cette fille ?

— Tu aurais préféré que je te le demande explicitement ?

— J’aurais préféré ne pas te décevoir.

Il y eut un silence. Un vrai, cette fois. Pas un de ces silences où Methos évitait le regard de son interlocuteur, ni un de ceux où Darius se contentait d’attendre une confession. Un silence brut, chargé de tout ce qui n’était pas dit. Finalement, Darius posa sa tasse avec lenteur.

— Je ne suis pas déçu, Methos.

— Tu devrais, rétorqua-t-il dans un souffle.

Il reprit :

— Qu’est-ce que je suis censé faire maintenant ? Attendre qu’elle me pardonne ? Elle ne me regarde même plus.

Darius sourit légèrement, son expression paisible contrastant avec la détresse de son ami.

— Le pardon ne se demande pas. Il se mérite.

Methos serra la mâchoire. Il aurait préféré qu’il s’énerve. Qu’il le réprimande. Il aurait préféré qu’il lui dise qu’il l’avait déçu. Parce qu’au fond, c’était ce qu’il redoutait. Mais ce n’était pas le genre de son ami.

— Écoute, j’ai fait ce que j’ai pu, d’accord ? J’ai essayé de la prévenir, de la calmer. Elle ne veut rien entendre. Pourquoi je devrais faire un effort pour quelqu’un qui ne veut même pas me voir ?

Le prêtre resta silencieux un moment avant de poser calmement la question qui frappa le vieil immortel en plein cœur.

— Alors pourquoi es-tu ici ?

Methos s’immobilisa. Il détestait la manière dont Darius pouvait réduire ses pensées en miettes avec une simple phrase.

— Parce que je ne sais pas comment réparer ça. Parce que je me suis planté, et qu’elle me le fait payer à chaque regard. Et peut-être qu’elle a raison.

Darius hocha lentement la tête, sans le quitter des yeux. Mais Methos vit autre chose dans ce regard. Ce n’était pas du jugement. Ce n’était pas de la déception. C’était pire. C’était cette confiance inébranlable, celle qui lui donnait envie de frapper du poing contre un mur. Parce que malgré tout ce qui venait de se passer, Darius croyait encore en lui. Et ça, il ne savait pas comment le supporter.

— Alors peut-être que ton agacement n’est qu’une façon d’éviter d’admettre que tu tiens à elle.

Methos le regarda d’un air étrange, une légère ride creusant son front. Pourquoi Darius disait-il ça ? Il n’éprouvait rien de particulier pour Aélis. De l’agacement, oui. De la culpabilité, sans doute. Mais "tenir à elle" ? C’était absurde. Il connaissait cette sensation, il l’avait connue trop souvent au fil des siècles, et ce n’était pas ce qu’il ressentait.

Il ouvrit la bouche pour répliquer, mais rien ne vint. Il aurait voulu lui dire qu’il se fichait d’Aélis. Qu’elle n’était qu’un dommage collatéral dans une histoire qui avait failli mal tourner. Mais ce n’était pas vrai non plus. Quelque chose dans le regard de Darius lui indiquait qu’il n’obtiendrait rien en niant. Ce fichu prêtre avait une façon exaspérante de semer des doutes dans son esprit. Il éluda la réflexion avec un sourire cynique et secoua la tête.

— Je ne sais pas quoi faire avec elle. Je suis censé faire quoi ? Je veux m’excuser, mais je sais que ça ne suffira pas. Je ne peux pas remonter le temps.

— Alors, peut-être, commence par arrêter de voir cela comme un combat. La douleur rend les gens injustes. Donne-lui du temps.

Methos ne répondit pas. Il détestait cette situation, il détestait ce qu’elle réveillait en lui. Mais Darius n’avait pas tort. Ce qui, en soi, était encore plus agaçant.




Quelques heures plus tard, Aélis se réveilla en sursaut, troublée par une vibration singulière qui commençait à lui devenir familière. La nuit enveloppait toujours la pièce, et lorsqu’elle tourna la tête vers le lit voisin, elle constata qu’il était toujours impeccablement fait. Methos n’était pas revenu.

Après plusieurs minutes à fixer le plafond, incapable de retrouver le sommeil, elle se leva et se dirigea vers la salle de bain. L’eau froide sur son visage lui procura un bref répit, mais le poids des révélations de Darius pesait encore sur son esprit. Instinctivement, elle scruta son reflet dans le miroir, cherchant une quelconque trace visible de ce qu’elle était devenue. Rien n’avait changé.

Une impulsion soudaine la traversa. Sans réfléchir, elle attrapa une paire de ciseaux posée près du lavabo et entailla sa paume d’un geste sec. Une fine ligne rouge apparut aussitôt, mais avant même qu’elle n’ait pu ressentir la douleur, la plaie se referma sous ses yeux, ne laissant qu’une peau intacte. Elle ferma la main, la refermant plusieurs fois comme pour s’assurer qu’elle était bien réelle. Un frisson remonta le long de son échine.

Incertaine, elle enfila son gilet et quitta la pièce sans bruit. Guidée par un instinct qu’elle ne comprenait pas totalement, elle se dirigea vers les appartements de Darius.

 

Une lueur filtrait sous la porte entrouverte, accompagnée du murmure de voix graves. Aélis s’arrêta sur le seuil. À l’intérieur, Darius, Duncan et Methos étaient assis autour d’une petite table. Leur posture était tendue, les ombres de la pièce accentuant les traits préoccupés de leurs visages.

— Kronos est méthodique, persistant… et il ne pardonne pas, lâcha Methos en croisant les bras. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il me retrouve. Et lorsqu’il le fera, il s’en prendra à nous tous.

Son ton était plus froid qu’à l’accoutumée, mais une tension sourde trahissait ce qu’il s’efforçait de contenir. Duncan hocha la tête, son expression se durcissant.

— Alors retrouvons-le avant. Et terminons cette histoire une bonne fois pour toutes.

Darius, jusque-là silencieux, posa calmement une main sur la table, comme pour apaiser l’énergie qui émanait des deux autres hommes.

— Nous devons agir, mais avec prudence. Kronos ne recule devant rien et il sait jouer avec nos faiblesses.

— Il n’attendra pas qu’on vienne à lui. Il a perdu Silas et Caspian. Il voudra se venger, répondit Methos d’un air sombre.

Duncan passa une main dans ses cheveux, son ton plus mesuré.

— Il doit déjà être en train de recruter de nouveaux alliés. On ne peut pas le laisser reprendre des forces.

Un silence. Methos se redressa, le regard dur.

— Aélis ne peut pas rester à Paris. Tant que Kronos est en vie, elle ne sera en sécurité nulle part.

Dans le couloir, la jeune femme sentit son estomac se contracter à la mention de son nom. Elle resserra son gilet autour d’elle, indécise. Devait-elle entrer ? Leur dire qu’elle les avait entendus ? Mais alors que sa main hésitait devant la porte, la voix de Methos lui parvint de nouveau, plus vibrante d’émotion que jamais.

— Il ne lâchera jamais. Il finira par nous retrouver… et elle avec.

Duncan répondit d’un ton ferme :

— Alors, nous devons agir avant lui. C’est la seule solution.

Elle ferma brièvement les yeux. Ils avaient raison. Kronos ne s’arrêterait pas. Et elle non plus.

 

Elle poussa doucement la porte et pénétra dans la pièce faiblement éclairée. Les trois hommes interrompirent immédiatement leur discussion et tournèrent leurs regards vers elle. Duncan, le premier, se leva et s’approcha d’elle avec un soupir de soulagement.

— Tu nous as fait peur, lança-t-il, sa voix mêlant reproche et sincère inquiétude.

— Moi aussi, ça me fait plaisir de te revoir, Maître, répondit-elle, d’un ton sec laissant transparaitre une pointe de cynisme.

Duncan esquissa un sourire, mais Aélis ne chercha pas à détendre l’atmosphère. Darius, plus mesuré, prit la parole à son tour.

— Maintenant que tu es là, nous pouvons organiser ton départ.

Elle fronça les sourcils.

— Mon départ ?

Methos, qui jusque-là était resté silencieux, se redressa légèrement et planta son regard dans le sien. Il adopta un ton mesuré, évitant soigneusement toute provocation.

— Aucun de nous n’est en sécurité tant que Kronos est en vie. Mais toi… tu es encore vulnérable. S’il venait à te retrouver, tu ne pourrais pas te défendre.

Il marqua une pause, comme pour s’assurer qu’elle comprenait l’importance de ses mots, avant de poursuivre :

— Nous allons t’envoyer en lieu sûr, le temps pour nous de le retrouver et d’en finir. Un ami immortel, Sun Tzu, tient un sanctuaire en Suisse. C’est une terre sacrée où aucun combat n’est autorisé. Là-bas, tu seras protégée.

Elle le fixa un instant avant de secouer lentement la tête, la mâchoire crispée.

— Donc c’est décidé ? Encore une fois, tout est décidé à ma place, n’est-ce pas ?

Methos serra les dents mais ne répondit pas immédiatement. Darius intervint avec douceur :

— Ce n’est pas une obligation, Aélis. Mais c’est la meilleure solution.

— La meilleure solution pour qui ? Pour moi ou pour vous ?

Un silence pesant s’installa.

— J’ai un travail, finit-elle par dire, sa voix plus froide. Un appartement. Une vie. Je suis censée faire quoi, tout abandonner du jour au lendemain ?

— Nous allons trouver une solution, dit finalement Methos. Amanda va s’occuper de ton absence auprès de ton employeur. Elle peut justifier ton absence pour raisons médicales.

— Et mon appartement ?

— On s’en occupe aussi. Ton loyer sera payé. Rien ne sera perdu.

Elle inspira profondément, cherchant à contenir l’agacement qui montait en elle.

— Génial. Alors quoi ? Tout est déjà réglé, c’est ça ? Je suis censée juste dire merci et obéir ?

Duncan s’approcha légèrement, son regard plus sérieux.

— Tu n’es pas obligée d’accepter. Mais réfléchis-y. Tu as été enlevée, Tu as été capturée, laissée à la merci de Kronos pendant des jours, sans savoir ce qu’il comptait faire de toi… Ce n’est pas fini.

Le silence qui suivit alourdit l’atmosphère. Elle détourna les yeux, serrant les poings.

— J’ai laissé mon téléphone chez moi, lâcha-t-elle soudainement. Et mes vêtements sont toujours ceux que je portais quand…

Elle s’arrêta, incapable de finir sa phrase.

— Je peux aller les récupérer demain, proposa Methos. Mais toi, tu restes ici. Ce lieu est sacré, il te protège. Tant que tu es sous sa protection, Kronos ne pourra pas t’atteindre.

Elle ne répondit pas immédiatement, puis haussa vaguement les épaules.

— Fais ce que tu veux.

Methos pinça les lèvres, encaissant sa froideur sans relever.

— J’ai perdu mes clés, ajouta-t-elle après un moment. Elles étaient avec mon téléphone…

— Amanda viendra avec moi, répondit Methos. Elle peut ouvrir toutes les serrures.

Aélis n’ajouta rien. Duncan échangea un regard avec Darius avant de poser la question qui brûlait toutes les lèvres :

— Et Noé ?

Elle releva vivement la tête, les sourcils froncés.

— Quoi, Noé ?

Duncan hésita un instant, cherchant ses mots. Finalement, ce fut Darius qui reprit, son ton toujours aussi mesuré.

— Ta relation avec lui est récente. Est-ce que tu te sens capable de lui annoncer ce que tu es devenue et tout ce que cela implique ? demanda-t-il avec douceur. Est-ce que tu lui fais assez confiance pour partager un secret aussi lourd ? Et si tu ne peux pas… penses-tu que votre relation pourra tenir avec ce mensonge entre vous ?

Un frisson désagréable la parcourut.

— Vous êtes en train de me demander de rompre avec lui ?

— Nous te demandons d’y réfléchir, corrigea doucement Darius.

Elle sentit son estomac se nouer.

— Ce que vous m’obligez à faire, ça me dégoûte… Je n’ai pas demandé tout ça. Je n’ai pas choisi d’être… comme vous. Et maintenant, je dois tout abandonner ?

— Ce n’est pas un abandon, souffla Darius. C’est un choix difficile, mais nécessaire.

Methos prit la parole, sa voix plus basse que celle des autres.

— On en a déjà parlé, toi et moi. Est-ce que tu crois vraiment que cette relation peut survivre avec un secret aussi pesant ? Tu pourrais lui cacher ce que tu es, mais à quel prix ? Et s’il venait à le découvrir autrement ?

Il marqua une pause, puis ajouta d’un ton plus posé :

— Si tu veux lui parler, je peux t’y emmener demain.

— Tu es bien la dernière personne qui devrait m’amener à lui, lâcha-t-elle, un sourire sans joie étirant ses lèvres.

Methos ne répondit pas. Il se contenta de la fixer, encaissant sans broncher. Elle détourna les yeux, une boule dans la gorge. Elle voulait hurler, tout envoyer valser. Mais elle savait qu’ils avaient raison. Elle inspira lentement, puis expira, ses épaules s’affaissant légèrement.

— Je vais y réfléchir. Mais je ne lui briserai pas le cœur juste parce que vous avez décidé que c’était plus simple.

Elle se leva brusquement, prête à quitter la pièce, mais Methos bougea légèrement, comme pour esquisser un geste vers elle. Il hésita. Finalement, il lâcha, plus bas :

— Ce n’est pas ce qu’on veut, Aélis.

Sa voix était posée, presque trop calme, mais elle y perçut une retenue, une tension sous-jacente qu’il tentait de masquer.

— Et qu’est-ce que tu veux, toi ? demanda-t-elle d’un ton sec.

— Que tu sois en sécurité.

— En sécurité ? C’est ironique, venant de toi.

Il ferma brièvement les yeux, exhalant un soupir agacé. Duncan, qui jusque-là était resté en retrait, croisa les bras et lâcha d’un ton neutre :

— Tu pourrais au moins reconnaître qu’il fait des efforts.

— Des efforts ? souffla-t-elle, la voix tremblante d’amertume. Et ça efface tout, c’est ça ?

Methos releva la tête, un éclair de frustration traversant son regard.

— J’ai essayé de m’excuser, mais tu refuses d’entendre quoi que ce soit, lâcha-t-il, son ton trahissant un mélange d’agacement et de lassitude.

— Tu crois vraiment que des excuses suffisent ? Que ça annule tout le reste ? lança-t-elle, sa voix vibrante de colère contenue. Ce n’est pas en disant "désolé" que tu répares ce qu’il s’est passé.

Elle avançait d’un pas à chaque phrase, comme si l’affrontement physique était la suite logique de cette dispute. Methos ne recula pas.

— Je ne suis pas ton ennemi.

— Non, mais tu n’es pas mon ami non plus.

Ses mots claquèrent comme un coup de fouet dans l’air. Duncan pinça les lèvres mais n’intervint pas. Methos eut un rire bref, sec, sans chaleur.

— Je ne vais pas m’excuser éternellement, Aélis. À un moment, c’est toi qui décides si tu veux rester bloquée là-dessus.

— Tu crois que ça change quoi ? Que ça te décharge de ce qui s’est passé ? répliqua-t-elle, la voix vibrante d’amertume. Ce n’est pas une question d’excuses. C’est une question de confiance.

Il s’arrêta net, ses traits se durcissant. Un silence s’installa. Quand il parla enfin, sa voix était basse, tranchante comme une lame bien aiguisée :

— Et toi, tu crois que ta colère te rend plus forte ?

Son souffle se coupa une seconde. Il n’avait pas crié, il n’avait pas explosé. Mais il avait touché juste. Elle lui jeta un regard noir. Quelque chose en elle vacilla, un mélange de rage et de honte qu’elle ne voulait pas nommer. Elle aurait voulu répliquer, l’écraser sous une phrase assassine, lui prouver qu’il ne savait rien, qu’il se trompait. Mais aucun mot ne vint. Parce qu’une part d’elle savait qu’il avait raison. Son cœur battait trop vite, sa gorge se serrait. Elle ne voulait pas être là, à se sentir mise à nu devant lui, devant eux tous. Alors elle fit ce qu’elle savait faire de mieux. Fuir.

— Je vais me recoucher, lâcha-t-elle d’une voix qu’elle voulait tranchante, mais qui sonna plus tremblante qu’elle ne l’aurait voulu.

Sans attendre de réponse, elle pivota sur ses talons et quitta la pièce d’un pas raide, presque précipité, comme si elle pouvait ainsi échapper à ce qu’il venait de réveiller en elle. Methos fixa un instant la porte close, les poings serrés. Il tourna finalement la tête vers Duncan, dont le regard oscillait entre l’agacement et une vague pitié.

— Vraiment ? Tu pensais que ça allait aider ? lança-t-il, cinglant.

Le Highlander haussa légèrement les épaules.

— Elle devait l’entendre.

— Ouais, ben la prochaine fois, garde tes leçons de morale pour toi.

Darius, resté silencieux jusqu’ici, soupira doucement.

— Vous vous faites plus de mal que de bien, tous les deux.

Methos détourna son regard de la porte close, sa colère se muant lentement en une lassitude pesante. Tout avait déjà été dit, et Aélis avait choisi de ne rien entendre. Duncan, adossé à la table, esquissa un sourire en secouant la tête.

— Eh bien… Je ne savais pas qu’elle pouvait être aussi coriace

Le vieil immortel releva lentement la tête et lui lança un regard sans amusement.

— Parce que tu croyais quoi ? Que tout ça se passerait sans accroc et qu’elle nous remercierait d’avoir réduit sa vie en miettes ?

— Je voulais juste détendre un peu l’atmosphère…

— Ouais, ben pas ce soir, MacLeod.

Un silence s’installa, plus pesant encore que le précédent. Duncan abandonna l’idée de plaisanter davantage et changea de sujet.

— Darius, tu pourras contacter Maître Sun Tzu dès le matin ?

Le prêtre hocha la tête, son ton mesuré reprenant le dessus.

— Bien sûr. Il vous attendra à bras ouverts.

— Parfait. Je partirai avec Aélis dès ce soir. Elle doit commencer son entraînement le plus tôt possible.

Methos leva un sourcil, l’air peu convaincu.

— Et tu crois qu’elle va gentiment te suivre ?

— Elle viendra, affirma Duncan. Elle a trop de questions pour refuser.

Le plus vieux des immortels n’ajouta rien, mais son expression demeurait sceptique. Il savait qu’Aélis n’était pas du genre à se plier aux décisions des autres, encore moins après ce qu’elle venait de vivre. Duncan, lui, semblait déjà tourner son esprit vers une autre préoccupation. Il posa les mains sur la table et fixa ses amis d’un air plus grave.

— Il faut aussi qu’on s’occupe de Kronos.

Methos roula des yeux et laissa retomber sa tête contre le dossier de sa chaise.

— Et voilà… Je savais que ça allait venir.

— Je vais retourner à l’entrepôt, annonça Duncan. Avec un peu de chance, il y sera encore.

Methos se redressa brusquement, son regard s’illuminant d’une lueur d’alerte.

— N’y pense même pas ! Hors de question que je remette les pieds là-bas, et encore moins pour te servir d’appât. Kronos doit déjà être en train d’imaginer mille et une façons de me faire souffrir avant de me prendre la tête, marmonna-t-il. Ce n’est pas moi qui vais courir vers lui, c’est clair ?

Duncan soutint son regard un instant, puis finit par soupirer, résigné.

— D’accord. J’irai avec Richie.

Il s’avança vers Methos et planta son regard dans le sien.

— Mais s’il est encore là-bas, il n’en sortira pas vivant.

Ce dernier ne répondit rien. Duncan attrapa sa veste et se dirigea vers la sortie de la pièce.

— L’adresse ?

Methos hésita un instant, avant de la lui donner.

— Fais attention à toi, MacLeod.

— Toujours, répliqua Duncan avant de quitter précipitamment l’église, sa silhouette disparaissant dans la nuit.

 

Les deux immortels restèrent un moment silencieux, chacun perdu dans ses pensées. Puis Methos soupira à nouveau et se passa une main dans les cheveux.

— Une belle journée qui s’annonce…

Darius esquissa un sourire en coin, sans répondre.



 

Lorsque Kronos rentra au hangar cette nuit-là, il remarqua immédiatement que la voiture empruntée par Methos et Silas manquait à l’appel. Ce détail, pourtant inhabituel, n’éveilla pas sa méfiance. Il avançait d’un pas assuré, s’attendant à ressentir à tout moment le buzz caractéristique de la présence de ses frères. Mais l’absence de cette sensation le fit ralentir.

Quelque chose clochait.

Il monta sur la plateforme supérieure, jetant un regard autour de lui, jusqu’à ce que son regard tombe sur la cage où sa prisonnière avait été retenue. Elle était vide, la porte grande ouverte.

 

Une colère froide monta en lui, qu’il dirigea d’abord contre lui-même. Il connaissait Caspian et sa folie imprévisible ; quelle idée d’avoir laissé ce maniaque seul pour surveiller la captive ! Kronos serra les poings, un frisson de rage parcourant son échine.

Descendant les escaliers en direction de la cage désertée, il aperçut un pistolet abandonné près du bord de la plateforme. Méfiant, il s’approcha lentement. L’angoisse instinctive qu’il n’osait pas nommer grandissait à mesure qu’il découvrait ce qui se trouvait en contrebas.

Quand il posa enfin les yeux sur la scène en dessous, un hurlement de rage éclata de sa gorge. Deux corps gisaient là, décapités et baignant dans leur sang. Il reconnut immédiatement Caspian et Silas. Le carnage confirma ce qu’il redoutait. Un scénario s’ébauchait dans son esprit : sa prisonnière s’était échappée, et Methos l’avait trahi.

 

Tremblant de fureur, il se dirigea vers la salle de contrôle, espérant que les caméras de surveillance aient capté la fuite. Il devait comprendre chaque détail. Devant les écrans, il vit défiler les moments qui l’emplirent de rage : Caspian succombant à ses propres excès, Silas incapable de reprendre le contrôle, et Methos... Methos qui s’échappait avec la captive.

Sa colère explosa.

— Caspian, incapable de te contenir cinq minutes ! Silas, imbécile, même pas fichu de vérifier que la cage était sécurisée ! Et toi, Methos... Sa voix se brisa presque. Je savais que tu me trahirais ! J’aurais dû te tuer dès que j’en ai eu l’occasion !

Fermant les yeux un instant, Kronos sentit monter une haine mêlée d’un amer sentiment d’échec. Il avait toujours senti que Methos finirait par le trahir. Ce n’était qu’une question de temps. La véritable erreur, pensa-t-il, avait été d’imaginer que son ancien compagnon pouvait changer. Un ricanement sombre échappa à ses lèvres.

"Tu n’as pas changé, Methos. Pas plus qu’eux. Toujours prêts à sauver ta peau, même si cela signifie tourner le dos à tout ce qu’on a bâti ensemble."

Cette rage tournée contre les autres ne tarda pas à se retourner contre lui-même. Quelle folie avait-il eu de croire qu’il pouvait compter sur ce trio ? Ces hommes l’avaient déjà abandonné une fois, il y a des siècles. Il s’était promis de ne jamais leur pardonner, mais il avait pourtant laissé sa méfiance s’émousser.

Mais Kronos n’était pas homme à se laisser submerger par l’émotion. Il se redressa, froid et méthodique, et commença à planifier.

 

Reprenant le contrôle, il se rendit au rez-de-chaussée. Il récupéra une mallette sous son bureau. À l’intérieur, des cartes, des notes, et son plan Pandora, fruit de mois de travail et d’ambition. Ces plans, il les avait imaginés pour changer le monde, pour y imposer sa domination. Maintenant, ils n’étaient plus que des preuves compromettantes.

Sans perdre un instant, il déchira les documents et les jeta dans un bidon vide, avant d’y verser un filet d’essence. Les flammes dévorèrent le papier, effaçant toute trace de ses ambitions. Il traîna ensuite les corps de Silas et Caspian, les entassa dans un coin, et répéta le processus. Le hangar entier fut arrosé d’essence, transformé en un autel de flammes pour ses frères déchus.

 

"Si je dois tout recommencer, ce sera sur des cendres."

 

D’un geste déterminé, il alluma une torche improvisée et la lança au milieu de la pièce. Le feu se propagea rapidement, des langues de flammes léchant les murs et engloutissant les souvenirs des Cavaliers. Sans un regard en arrière, Kronos quitta les lieux, laissant derrière lui un brasier infernal.




Quelques heures plus tard, Duncan MacLeod arriva sur les lieux, accompagné de Richie, son jeune disciple. Richie, d’un tempérament impulsif et fougueux, contrastait souvent avec la sagesse et la maîtrise de Duncan. Ses cheveux châtains en bataille et ses yeux clairs reflétaient une jeunesse et une insouciance apparentes, mais ceux qui le connaissaient savaient qu’il portait déjà en lui le poids de cette immortalité, un fardeau qu’il apprenait à apprivoiser.

 

Alors qu’ils s’approchaient, les pompiers s’affairaient autour du hangar, tentant de maîtriser l’incendie qui ravageait les lieux. Les débris fumaient encore, et l’odeur de bois et de plastique brûlé saturait l’air, suffocante et oppressante.

Duncan resta en retrait, son regard sombre observant la scène. À travers les flammes, il devinait ce qui s’était passé. Kronos avait manifestement détruit les preuves, et probablement bien plus. Une amertume familière monta en lui, comme une vieille amie qu’il aurait préféré oublier.

— Encore une fois, toujours une longueur d’avance, murmura-t-il pour lui-même, la mâchoire serrée.

Richie, debout à ses côtés, laissa échapper un sifflement en contemplant le chaos devant eux.

— Eh bien, il ne plaisante pas…

Duncan lui jeta un regard bref mais appuyé. Il capta son regard et, comprenant qu'il valait mieux se taire, enfouit ses mains dans ses poches.

Un pompier s’approcha pour leur demander de reculer. Duncan obéit sans un mot, son regard restant fixé sur les ruines. Kronos était toujours en fuite. Ce n’était pas fini. Il inspira profondément avant de s’éloigner, suivis de près par Richie, dont la posture trahissait un mélange de nervosité et d’impatience.

 

Il devait revoir ses plans. Si Kronos avait effacé les traces de son plan ici, il chercherait forcément un autre point de départ. Le cavalier pouvait courir, mais il ne pourrait pas se cacher éternellement. Une confrontation était inévitable.

Et Duncan comptait bien être celui qui y mettrait un terme.




Methos poussa un profond soupir en entrant dans le hall de l’immeuble d’Aélis. Il n’était pas ici par choix, et encore moins par envie. Mais il fallait bien que quelqu’un récupère ses affaires, et Amanda s’était portée volontaire pour l’accompagner.

Lorsqu’ils arrivèrent devant la porte, ils échangèrent un regard, attentifs au moindre frisson d’énergie signalant la présence d’un immortel. Rien. Methos soupira, soulagé, tandis qu’Amanda observait la serrure avec une moue critique.

— Une serrure standard… vraiment ? Franchement, Methos, tu la laisses vivre ici avec si peu de sécurité ? Il faudra changer ça rapidement.

Elle plissa légèrement les yeux, une lueur taquine dans le regard.

— Ou est-ce parce que tu comptes la surveiller personnellement ?

— On prend ce dont elle a besoin et on s’en va, dit-il d’un ton sec, préférant ne pas entrer dans son jeu.

— Oh, tu es d’une humeur exquise aujourd’hui. Quelque chose te tracasse, mon cher ?

— Rien qui te concerne, dit-il en la fusillant du regard.

Amanda haussa les épaules et ouvrit la porte. Ils pénétrèrent dans l’appartement, constatant rapidement que les ravisseurs n’avaient rien dérangé. À part le sac de sport laissé près de l’entrée, tout était intact.

Methos balaya la pièce du regard et remarqua un objet sur le sol, près du tapis de l’entrée. Il se baissa et ramassa le téléphone d’Aélis, qui avait dû lui échapper lors de son enlèvement. L’écran était fendu dans un coin, mais il semblait encore fonctionnel. Il le glissa dans sa poche avant de se diriger vers la salle de bain pour prendre des affaires de toilette.

Amanda, fidèle à elle-même, flânait dans la chambre avec une curiosité non dissimulée. Ses doigts effleurèrent la surface d’une commode avant qu’elle ne cède à la tentation d’ouvrir un tiroir. Son sourire s’élargit lorsqu’elle tomba sur des sous-vêtements en dentelle finement travaillés. Amusée, elle en sortit un tanga noir aux fines lanières, l’examinant avec un air faussement songeur. Lorsqu’elle entendit Methos revenir, elle se tourna vers lui et agita le sous-vêtement sous son nez, le sourire espiègle.

— Dis-moi, Methos… tu crois que ce genre de tenue est adaptée pour s’entraîner au katana ?

Il se figea un instant, avant de détourner le regard, visiblement pris au dépourvu.

— Amanda, sérieux…

Son ton n’était ni agacé ni vexé, simplement las face à ses éternelles provocations.

— Oh, monsieur est susceptible aujourd’hui…

— Tu sais très bien ce que tu fais, répliqua-t-il en lui lançant un regard exaspéré.

Amanda rit doucement avant de reposer le sous-vêtement dans le tiroir.

— Bon, bon, je te laisse te débrouiller, vieux grincheux.

Methos secoua la tête, marmonnant dans sa barbe tout en continuant à rassembler quelques vêtements. Il passa ensuite près de la table de nuit et avisa un chargeur. Il l’attrapa machinalement, le glissant dans son sac avec le téléphone.

— Elle m’a juste demandé de prendre l’essentiel, et c’est ce que je fais…



 

Quelques heures plus tard, Methos revint vers Aélis, tendant un sac contenant des vêtements propres et son téléphone. Elle le prit sans un mot, murmurant un simple "merci" avant de s’éloigner. Elle se réfugia dans la petite chambre qu’on lui avait attribuée dans l’église, refermant la porte derrière elle comme pour se couper du monde.

Elle posa le sac sur le lit, puis sortit son téléphone, constatant qu’il était complètement déchargé. Elle fouilla dans le sac et trouva son chargeur. Une part d’elle en fut soulagée, une autre, plus angoissée, savait qu’elle allait devoir affronter les messages qui l’attendaient.

Le téléphone s’alluma lentement, affichant une avalanche de notifications. Des dizaines de messages, la majorité de Noé. Son estomac se noua en voyant son nom apparaître encore et encore.

Au début, il semblait inquiet.

"T’es où ? Je t’ai appelée, t’as pas répondu. J’espère que tout va bien."

Puis, rapidement, l’inquiétude avait laissé place à l’agacement.

"OK, donc tu m’ignores maintenant ? Vraiment, Aélis ? Je savais que t’étais en colère, mais là c’est ridicule."

Les messages suivants étaient plus amers.

"C’est ça, hein ? T’as même pas eu le cran de me dire que c’était fini ?"

"Putain, t’aurais pu au moins m’envoyer un message au lieu de me ghoster comme une lâche."

Aélis sentit son souffle se bloquer. Son cœur tambourinait dans sa poitrine tandis qu’elle faisait défiler les messages. Noé n’avait pas compris. Pour lui, elle l’avait simplement rayé de sa vie après leur dispute. Il pensait qu’elle l’avait puni en l’ignorant, puis qu’elle avait pris la fuite plutôt que de lui dire en face que c’était fini.

Puis, après quelques jours, les messages s’étaient espacés. Il y avait eu un dernier, plus court, plus froid.

"J’ai compris. Tu n’as même pas eu le courage de me le dire. T’es qu’une gamine."

Puis plus rien.

Aélis laissa tomber son téléphone sur le lit et passa une main tremblante sur son visage. Une vague de culpabilité l’écrasa. Ce n’était pas juste. Il n’avait aucune idée de ce qu’elle vivait, et pourtant, elle savait qu’il souffrait. Il avait cru qu’elle l’avait méprisé, abandonné volontairement. Elle aurait dû l’appeler. Lui expliquer.

Mais les mots restaient bloqués dans sa gorge.

Elle enfonça ses doigts dans ses cheveux, se mordant la lèvre. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien lui dire ? "Désolée, j’ai été enlevée et transformée en immortelle, et maintenant je dois partir me cacher dans un monastère" ? Il ne comprendrait pas. Il ne pourrait pas comprendre.

Elle prit son téléphone, ouvrit l’écran de composition d’un message. Tapa un début d’explication. L’effaça. Recommença. Puis abandonna complètement, laissant l’appareil retomber sur les draps. Elle n’y arriverait pas. Elle aurait dû le faire. Mais elle n’avait pas le courage. Fuir lui semblait plus simple. Cette prise de conscience la dégoûta d’elle-même. Elle se leva brusquement, enfila la veste que Methos avait rapportée et quitta la chambre pour prendre l’air.

 

Le jardin de l’église était calme, baigné dans une lumière douce de fin de matinée. L’air frais lui fit du bien, mais pas assez pour dissiper la boule dans sa gorge. Elle marcha un moment entre les arbustes, avant de remarquer une silhouette immobile à quelques pas.

Darius.

Il hésita un instant, comme s’il craignait de s’imposer, puis finit par s’approcher.

— Comment vas-tu ? demanda-t-il d’un ton mesuré.

Aélis se tourna vers lui, un éclat amer dans les yeux.

— À ton avis ? Comment veux-tu que ça aille ?

Darius ne répondit pas immédiatement, l’observant attentivement.

— C’est à cause de Noé ?

— Il pense que je l’ai largué en l’ignorant. Il me prend pour une lâche qui n’a même pas eu le cran de lui dire en face que c’était fini.

Aélis serra les bras autour d’elle, son regard fixé sur le sol. Sa voix tremblait légèrement sous le poids de la frustration, et plus elle parlait, plus elle sentait la colère monter en elle.

— Et le pire, c’est que je n’ai même pas osé répondre, souffla-t-elle. J’ai eu son message sous les yeux, j’aurais pu… Je ne sais pas, lui dire quelque chose. Mais rien. Rien n’est venu.

Elle releva les yeux vers Darius, cherchant une forme de compréhension, mais il se contentait de l’écouter avec cette patience impassible qui l’agaçait presque autant que sa propre impuissance.

— Je ne sais pas comment lui expliquer, reprit-elle d’un ton plus vif. Comment tu veux que je lui dise la vérité ? C’est impossible ! Alors quoi, je lui mens ? Je lui invente une excuse bidon ? Et maintenant… maintenant c’est moi qui vais passer pour la méchante.

Elle passa une main dans ses cheveux, exaspérée.

— C’est injuste. Il ne sait rien de ce qui m’est arrivé, et il croit que je l’ai juste laissé tomber. Alors que c’est moi qui me suis fait trahir. Moi qui ai tout perdu. Et en plus, je dois gérer ça ?

Darius l’observa en silence, un instant. Puis il posa calmement sa question, presque comme une évidence.

— Et c’est ça qui te dérange ? Passer pour la méchante ? Ou c’est le mal que ça peut lui faire ?

Elle releva brusquement la tête, le fusillant du regard, mais il ne baissa pas les yeux.

— Parce que si c’est juste une question d’image, si tout ce qui t’importe, c’est de ne pas être vue comme une personne insensible, demande-toi si tu tiens vraiment à lui.

Elle ouvrit la bouche pour répliquer, mais aucun mot ne vint. Est-ce que c’était vraiment ça ? Était-elle juste blessée d’être mal perçue… ou bien était-ce la douleur qu’elle lui infligeait qui la rongeait ? Elle s’était sentie coupable, oui. Mais pourquoi ? Pour lui ? Ou pour l’image qu’il allait garder d’elle ?

Darius reprit, d’une voix douce mais implacable.

— Tu n’as pas voulu lui répondre. Peut-être parce qu’au fond, cette relation était déjà en train de s’éteindre. Peut-être que tu fuis parce que tu sais que ce n’était pas fait pour durer.

Elle détourna le regard, la mâchoire serrée.

— C’est pas si simple, murmura-t-elle.

— Non, admit Darius. Ça ne l’est jamais.

Un silence s’installa entre eux. Tendu, chargé d’un poids qu’elle n’avait pas envie d’affronter. Puis, une vibration familière. Une présence qui brisait l’instant.

— L’ambiance est toujours aussi joyeuse, à ce que je vois.

Aélis tourna la tête. Duncan s’approchait, mains dans les poches, son sourire en coin contrastant avec la gravité du moment. Methos le suivait de près, plus silencieux, plus sérieux.

— Il est temps d’y aller, annonça Duncan, son regard se posant sur elle.

L’espace d’un instant, elle se sentit figée. Partir. Quitter cet endroit, ces gens. Se retrouver seule avec ses pensées, enfermée dans un monastère loin du monde.

Elle inspira profondément, puis hocha la tête. Elle retourna à l’intérieur, vers sa petite chambre. L’endroit lui semblait déjà différent, plus froid, plus impersonnel. Elle prit son sac, vérifia machinalement qu’elle avait tout, sans réellement s’en soucier. Puis elle sortit, marchant vers la voiture où Duncan l’attendait.

Darius et Methos étaient là, immobiles. Aucun des deux ne bougeait pour s’approcher d’elle, comme s’ils hésitaient à briser la distance invisible qui s’était installée entre eux. Finalement, Methos parla le premier, sa voix posée, mais avec une pointe de retenue.

— Fais attention à toi.

Elle ne répondit pas, mais son regard croisa le sien, et elle vit dans ses yeux quelque chose qu’elle ne savait pas nommer. Darius, lui, ne lui dit qu’un simple :

— Que ce séjour t’apporte ce dont tu as besoin.

Aélis ne trouva rien à répondre. Elle se contenta d’un hochement de tête, avant d’ouvrir la portière et de monter dans la voiture.

Duncan démarra sans un mot.

 

 Les deux immortels restèrent là, immobiles, à regarder la voiture s’éloigner sur la route. Un long silence s’étira entre eux, avant que Methos ne souffle, bras croisés :

— Elle ne va pas bien.

Darius hocha lentement la tête, observant l’horizon.

— Non. Mais peut-être que ce départ l’aidera à comprendre ce qu’elle veut vraiment.

— Ou peut-être qu’elle reviendra encore plus perdue qu’avant.

Darius ne répondit pas. Il savait que rien n’était jamais certain. Ni pour elle, ni pour eux. Mais pour l’instant, il n’y avait plus rien à faire. Alors, en silence, ils tournèrent les talons et regagnèrent l’église.




La route s’étirait devant eux, une ligne droite bordée de paysages qui défilaient trop vite pour qu’Aélis y prête vraiment attention. Elle fixait l’extérieur sans vraiment le voir, le menton appuyé contre sa main, les pensées embrouillées. Le silence dans l’habitacle était presque pesant, mais Duncan ne semblait pas pressé de le briser. Il la laissait respirer, digérer tout ce qui venait de se passer. Finalement, c’est elle qui lâcha, d’un ton las :

— Je suis fatiguée.

Duncan hocha simplement la tête, gardant les yeux sur la route.

— Je sais.

— J’ai l’impression que tout est allé trop vite. J’ai perdu mes repères, mes amis… et Noé… Noé me déteste.

Elle laissa sa tête retomber contre l’appuie-tête et ferma les yeux.

— Je me demande si je suis en train de faire la bonne chose.

Duncan prit le temps de répondre, sa voix posée, presque apaisante.

— Ce qui est bien avec le recul, c’est qu’il finit toujours par arriver.

— C’est censé me rassurer ?

Un léger sourire effleura les lèvres du Highlander.

— Oui. Parce que ça veut dire que même si tu ne vois pas les choses clairement maintenant, tu finiras par comprendre. Peut-être que ce séjour t’apportera des réponses, ou peut-être qu’il te permettra simplement de souffler. Dans tous les cas, ce n’est pas du temps perdu.

Elle laissa le silence s’installer, réfléchissant à ce qu’il venait de dire.

— Et Noé ? demanda-t-elle finalement, d’une voix plus fragile.

Duncan inspira doucement.

— Je ne vais pas te dire quoi faire, Aélis. Mais je sais une chose : les regrets ont plus de poids que la peur. Si tu ne peux pas lui parler maintenant, ce n’est pas grave. Mais un jour, tu devras affronter ça. Pour lui, mais surtout pour toi.

Elle pinça les lèvres, baissant les yeux sur ses mains jointes.

— Tu as déjà fui quelqu’un, toi ?

Il garda le silence un instant, puis répondit, d’un ton plus grave :

— Plus souvent que je ne voudrais l’admettre.

— Et ça t’a aidé ?

Il eut un léger rire, mais son regard était chargé d’un poids ancien.

— Non. Mais parfois, s’éloigner, c’est ce qui permet de trouver la force de revenir.

Aélis ne répondit rien, mais quelque chose en elle se détendit légèrement. Peut-être que Duncan avait raison. Peut-être qu’elle finirait par comprendre. Elle laissa son regard se perdre à nouveau par la fenêtre. Pour la première fois depuis le début du voyage, le silence ne lui sembla pas aussi oppressant.

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