Le Dernier Cercle

Chapitre 1 : Claris

11414 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a environ 2 mois

Sebastian traversait les couloirs du majestueux manoir Goetia, où régnait une lumière diffuse, subtilement atténuée par d’épais rideaux de velours sombre. Ce démon au port altier, à l’apparence tranchante et raffinée, évoquait une créature spectrale à mi-chemin entre l’oiseau noble et la silhouette d’un marionnettiste d’outre-monde. Sa tête allongée, masquée de plumes argentées, ne laissait filtrer que deux yeux dorés, perçants et impassibles. Il avançait d’un pas parfaitement mesuré, canne en main, ses mouvements aussi fluides que silencieux, chaque geste empreint d'une élégance presque cérémonielle.


Issu de la plus basse lignée des Goetia, Sebastian occupait le rang de serviteur depuis plusieurs siècles, dans l’ombre des puissants. Une position qu’il n’avait jamais remise en question, trouvant dans la rigueur et l’excellence du service un accomplissement personnel. Là où d'autres auraient nourri rancune ou ambition, lui cultivait la perfection.


Arrivant aux quartiers privés de son maître, Sebastian frappa doucement à la porte avant d’entrer, son regard calme se posant sur son seigneur, majestueux et redoutable.

Il trônait dans un fauteuil massif, enveloppé dans une cape aux reflets pourpres et dorés, constellée de minuscules éclats scintillants. Son masque élégant aux dissimulait la plupart de ses traits, mais ses yeux, rougeoyants et froids, brillaient avec une intensité souveraine. Sa silhouette, grande et fine, semblait flotter dans une noblesse immobile, empreinte d’une autorité aussi fascinante qu’inquiétante.


Paimon redressa légèrement la tête à l’entrée de son fidèle majordome, laissant transparaître dans son regard d’ivoire un agacement mêlé d’épuisement. Sa voix résonna lentement dans la pièce, comme une plainte aristocratique :


SEIGNEUR GOETIA

(d’un ton las)

« Je n’ai aucune envie de sortir ce soir, Sebastian. Ce bal est une perte de temps. »


Sebastian resta immobile un instant, son silence semblant mesurer avec soin les paroles de son maître. Il s’inclina alors avec une élégance sobre, avant de lui répondre d’un ton parfaitement mesuré :


SEBASTIAN

(respectueux mais ferme)

« Mon seigneur, je comprends votre réticence. Mais il est de votre devoir d’honorer l’invitation du seigneur Asmodeus. Refuser l’hospitalité du maître du cercle de la Luxure pourrait compromettre votre influence à la cour infernale. »


Le seigneur de Sebastian soupira bruyamment, portant une main lasse à ses tempes, frottant doucement sa peau pâle comme pour chasser l’agacement qui grandissait en lui. Ses doigts longs et délicats étaient crispés, signe d’une tension inhabituelle.


SEIGNEUR GOETIA

(renfrogné, marmonnant presque pour lui-même)

« Ces mondanités me répugnent, Sebastian… tous ces faux sourires, ces compliments creux. »


Sebastian garda un instant le silence, laissant à son maître le temps nécessaire pour reprendre contenance. Sa voix, lorsqu'elle résonna à nouveau, était posée et rassurante :


SEBASTIAN

(avec douceur mais détermination)

« Je comprends, mon seigneur. Mais vous avez toujours excellé dans l’art délicat de naviguer parmi ces sourires faux. Votre absence serait plus remarquée encore que votre présence. »


Ces mots semblèrent réveiller quelque chose chez le démon aristocrate. Après une courte pause, il hocha finalement la tête, se résignant à l'inévitable.


SEIGNEUR GOETIA

(avec un léger sourire désabusé)

« Tu as toujours les mots justes, Sebastian. Très bien, allons donc satisfaire l’égo d’Asmodeus. »


Sebastian inclina respectueusement la tête.


SEBASTIAN

« Bien, mon seigneur. »


Il fit volte-face avec souplesse, s'apprêtant à quitter la pièce d’un pas assuré, quand la voix du seigneur Goetia claqua derrière lui, pleine d’une irritation renouvelée :


SEIGNEUR GOETIA

(sèchement, étonné)

« Où comptes-tu aller ainsi ? »


Sebastian se retourna avec une politesse parfaite, gardant une expression neutre et digne.


SEBASTIAN

« Je m’en vais faire préparer la calèche, mon seigneur. »


Le regard de son seigneur s'assombrit immédiatement, et il balaya d’un geste hautain l’idée même de cette simplicité :


SEIGNEUR GOETIA

(catégorique, presque méprisant)

« Hors de question ! Génère-nous plutôt un portail. Je n’ai aucune intention d’arriver comme un vulgaire invité anonyme. »


Sebastian resta immobile, son calme habituel ne laissant rien paraître des pensées qui pouvaient l’animer. Après une brève pause, il reprit la parole avec une prudence calculée, chaque mot choisi avec soin :


SEBASTIAN

(avec diplomatie mais fermeté)

« Permettez-moi de vous conseiller la discrétion, mon seigneur. Venir avec simplicité est parfois le meilleur moyen de repartir sans être remarqué. La modestie, lorsqu'elle est maîtrisée, permet d’éviter les regards envieux… ou les intrigues malvenues. »


Le démon aristocrate plissa légèrement les yeux, jaugeant la pertinence des mots de son serviteur avec une moue contrariée. Finalement, il laissa échapper un soupir agacé mais résigné.


SEIGNEUR GOETIA

(mécontent mais vaincu)

« Je suppose que tu as encore raison. Fais donc préparer cette calèche, Sebastian… Mais je n’aime guère devoir jouer la discrétion. »


Sebastian s’inclina profondément, un subtil sourire de victoire masqué par l’élégance de son expression.


SEBASTIAN

« Je vous assure que votre prestige n’en souffrira pas, mon seigneur. »


Paimon se leva lentement de son fauteuil, réajustant ses vêtements avec une dignité retrouvée. Sebastian le suivit aussitôt, comme une ombre protectrice, traversant avec lui les couloirs sombres du manoir avant de disparaître dans la nuit infernale, en direction de la cour luxurieuse du puissant seigneur Asmodeus.


Les grandes portes du palais d’Asmodeus s’ouvrirent dans un déluge de lumière vive, de parfums entêtants et de musique sensuelle. L’air vibrait au rythme d’une symphonie décadente, tandis que les murs, drapés de tentures carmin constellées d’étoiles artificielles, pulsaient comme un cœur en pleine euphorie.


Les invités, issus de tous les cercles de l’Enfer, se pressaient dans la salle : silhouettes masquées, dignitaires parfumés à l’excès, nobles vénéneux et créatures indéfinissables à la peau constellée de symboles mouvants. Rires étouffés, soupirs feutrés, regards fauves.


Et puis il arriva.


Asmodeus.


Il ne marchait pas. Il défilait, comme s’il possédait les lieux, et c’était probablement le cas. Sa silhouette sculpturale, étincelante de rose criard, de bleu électrique et de blanc néon, fendit la foule comme une lame de fête. Chaque couture de son costume hurlait l’excès. Son sourire était une œuvre d’art : jaune vif, dessiné comme une grimace divine, encadré par une crinière bleue enflammée qui se mouvait comme sous l’eau. Il portait un haut-de-forme surdimensionné avec une désinvolture insolente, et ses gestes avaient la précision d’un maître de cérémonie cruel.


Il était la Luxure personnifiée, et la foule s’ouvrit comme la mer devant lui.


À sa gauche, Sebastian observait la scène d’un regard tranquille, presque blasé. Il restait fidèle à lui-même : silencieux, élégant, précis. À sa droite, le seigneur Goetia avançait d’un pas digne, le visage fermé, insensible au carnaval flamboyant qui l’encerclait.


Asmodeus s’approcha, irradiant d’une assurance vorace.


SEIGNEUR ASMODEUS

(d’une voix mielleuse, presque sucrée jusqu’à l’écoeurement)

« Seigneur Goetia… quelle délicieuse surprise que votre présence ici ce soir. J’espère que vous saurez savourer ce petit... chef-d’œuvre de décadence. »


SEIGNEUR GOETIA

(avec froideur, en s’inclinant à peine)

« Votre hospitalité est légendaire, Asmodeus. Il aurait été malvenu d’ignorer une invitation aussi… voyante. »


Asmodeus rit doucement, comme s’il venait d’entendre la plus belle des flatteries.


SEIGNEUR ASMODEUS

(taquin, yeux plissés de malice)

« Oh, toujours aussi charmant, n’est-ce pas ? Mais dites-moi, n’était-ce pas vous qu’on disait... réfractaire aux plaisirs charnels ? Les Goetia sont-ils enfin sortis de leur torpeur antique ? »


Un silence flotta, doré et venimeux. Les yeux de Goetia se firent plus étroits, plus froids. Sebastian, en ombre fidèle, observa chaque réaction, chaque muscle, chaque respiration contenue.


Heureusement pour la tension, un autre convive s’immisça dans la conversation, trop avide de paraître pour saisir la dangerosité de l’instant.


INVITÉ 1

(avec un faux rire complice)

« Allons, Asmodeus, cessez donc vos piques. Les Goetia ont leur propre charme… glacial, mais noble. »


INVITÉ 2

(moqueur, coupe en main, voix traînante)

« Le raffinement… ou l’ennui ? »


Un petit éclat de rire cynique traversa la salle, comme un frisson de poison.


Le bal s’étira.


Les heures s’écoulèrent dans une spirale sucrée, enrobée de parfums lourds et de musique trop lascive. Des danses tournaient comme des sortilèges sensuels. Des promesses se glissaient dans des murmures, et des corps se mêlaient dans des alcôves tamisées de lumière violette.


Goetia, lui, restait impassible. Il répondait aux flatteries, aux provocations, aux sourires trop insistants avec une maîtrise glaciale. Sebastian, toujours près de lui, veillait comme une lame rangée dans un fourreau d’argent.


À mesure que les minutes devenaient des heures, l’ennui se changea en exaspération.


Finalement, Sebastian s’approcha d’un pas mesuré. Il se pencha légèrement vers son maître, et sa voix, toujours aussi discrète, s’insinua comme un murmure de raison.


SEBASTIAN

(calme et ferme)

« Mon seigneur. L’heure avance. Peut-être est-il temps de reprendre votre dignité... et de la ramener loin d’ici. »


Goetia, le regard glacé, hocha lentement la tête. Il n’en pouvait plus de ce théâtre de chair et de faux rires.


SEIGNEUR GOETIA

(agacé, voix basse et acide)

« Oui… ces mondanités me donnent la nausée. »


Le claquement sourd des sabots sur le pavé était l’unique rythme qui brisait le silence du retour. Les rues du cercle de la Luxure, habituellement vibrantes de murmures nocturnes et de soupirs parfumés, paraissaient étrangement désertes ce soir-là. Un calme artificiel, presque oppressant, s’était posé comme un voile sur les façades opulentes. Le faste du palais d’Asmodeus semblait déjà lointain, comme une illusion dissipée.


À l’intérieur de la calèche, le seigneur Goetia s’était affaissé contre le coussin de velours, le regard vide, fatigué de cette comédie infernale.


SEIGNEUR GOETIA

(plaintif, la voix lasse)

« Ces débauchés ne cessent de parler, mais ils n’ont aucun intérêt. Ce sont des parasites, rien de plus. »


Sebastian, assis en face, mains croisées sur sa canne, ne répondit pas. Son regard fixait sans ciller le paysage urbain qui défilait au-delà de la vitre. Ses yeux dorés, calmes en surface, fouillaient chaque recoin d’ombre.


SEIGNEUR GOETIA

(continuant, avec mépris)

« Asmodeus et ses sbires... des paons qui dansent entre les miroirs. Aucune dignité. Aucune grandeur. »


La voix du seigneur se perdit dans le grincement des roues. Sebastian ne l’écoutait plus vraiment. Il avait senti... quelque chose. Un léger frisson, comme un battement décalé dans la pulsation du monde.


Son regard accrocha une ruelle. Un angle mort, à peine éclairé. Un battement de cils. Et là, une silhouette. Immobile. Recroquevillée.


Il plissa les yeux.


C’était une jeune démone. Frêle. Sale. Ses vêtements étaient réduits à de simples lambeaux, à peine de quoi affronter le souffle glacé de la nuit infernale. Elle était accroupie contre le mur, tremblante, le visage caché dans ses bras. Elle ne pleurait pas. Elle ne bougeait presque pas. Mais il y avait quelque chose dans sa posture... quelque chose de brisé sans éclat, de muet.


Un silence plus pesant que les plaintes de Goetia s’imposa à Sebastian.


SEIGNEUR GOETIA

(avec un soupir long et exaspéré)

« Que des idiots... Sebastian, que fais-tu ? »


Mais le majordome ne répondit pas. Il avait déjà ouvert la porte de la calèche. Lentement. Délibérément. Il descendit d’un pas souple, sans un mot, attiré par une intuition qu’il ne reconnaissait pas. Une sensation étrange s’était logée dans sa poitrine, entre curiosité froide et écho d’une mémoire qu’il n’avait jamais eue.


Le bruit de ses talons sur les pavés crevait l’immobilité.


SEIGNEUR GOETIA

(fronçant les sourcils, sa voix montant d’un cran)

« Sebastian ? »


Mais le majordome ne répondit toujours pas. Il s’éloignait, comme happé. Ses yeux, fixés sur cette créature abandonnée, étaient devenus deux phares d’or dans l’obscurité.


Sebastian s’approcha lentement, ses pas précis résonnant sur les pavés humides de la ruelle. La calèche s’effaçait derrière lui, avalée par la nuit.


Et puis, il la vit de près.


Une jeune démone, recroquevillée contre un mur, vêtue d’une robe en lambeaux qui n’avait plus rien de protecteur. Sa peau rose était pâle, presque grise sous la saleté, et sa respiration trahissait un épuisement profond.

Ses cheveux, d’un rose doux et poussiéreux, tombaient en cascade sur ses épaules — sauf les mèches qui encadraient son visage, étrangement brunes. Comme si la saleté du monde avait réussi à teinter ce qu’elle était, mais sans l’éteindre tout à fait.


Elle ne pleurait pas. Elle laissait couler les larmes. Silencieusement. Sans tremblement, sans espoir, sans appel à l’aide.


Sebastian l’observa sans bouger. Il n’y avait pas d’ordre à suivre. Pas d’intérêt politique.

Et pourtant, il était là.


Il s’agenouilla lentement, le tissu noir de son pantalon effleurant les pavés crasseux. Son visage masqué, impassible, se pencha légèrement sur elle. Il n’y avait aucune raison à son geste. Aucun calcul. Juste ce regard. Ce visage marqué, entouré de mèches tombantes, qui semblait hurler quelque chose que personne n’avait jamais voulu entendre.


Sebastian approcha doucement de la jeune démone, la regardant avec une bienveillance rare. Ses larmes coulaient silencieusement sur ses joues sales. Elle semblait perdue, seule au milieu de ce monde cruel. Une robe sale et en lambeau, une peau et des cheveux rose son visage entouré de mèches marron.


Sebastian

(avec une douceur rare)

« Quel est ton nom, petite ? »


La jeune fille ne répondit pas tout de suite. Elle leva lentement la tête, comme si chaque mouvement lui coûtait une part de force qu’elle ne possédait plus.


Ses yeux, larges et ternes, croisèrent ceux de Sebastian. Un regard usé, rougi, mais encore vibrant sous les cendres. Elle ne le dévisagea pas. Elle le jaugea, comme on jauge un piège trop bien tendu.


CLARIS

(d’une voix faible, rauque)

« Claris… »


Sebastian s’accroupit lentement à ses côtés, ses gestes d’une précision presque cérémonielle, sans brusquerie, sans pitié apparente, juste cette présence constante, immobile, comme une balise au milieu du naufrage.


Il tira un mouchoir de sa poche, un carré de tissu propre, parfaitement plié et le lui tendit, bras légèrement fléchi, sans forcer le contact.


SEBASTIAN

(voix basse, presque chuchotée)

« Claris... Où sont tes parents ? Pourquoi es-tu ici, seule dans le froid ? »


Elle hésita. Longtemps.

Son regard se posa sur le mouchoir comme s’il s’agissait d’un objet sacré ou d’une illusion cruelle. Puis, avec une lenteur infinie, elle le prit du bout des doigts.

Elle le porta à ses joues, sécha ses larmes maladroitement, comme si elle n’en avait plus l’habitude.


CLARIS

(amère, la voix basse)

« Je sais pas. Ils... Ils doivent être occupés. »


Elle détourna le regard, cherchant un recoin sombre plus rassurant que le monde.


CLARIS

(plus bas encore)

« Ils sont jamais là. Même quand ils sont là... c’est comme si j’existais pas. »


Elle serra ses genoux plus fort, enfouissant son menton dans l’espace entre ses bras.

Un silence pesa. Pas un silence gênant — un silence lourd de vécu, un silence où rien ne se dit parce que tout est déjà trop clair.


Puis, à voix basse, presque comme un aveu honteux :


CLARIS

« Parfois, je préfère dormir ici... C’est... c’est mieux que d’être invisible. »


Les mots de Claris s’étaient ancrés dans l’esprit de Sebastian. Il la regardait, toujours accroupi à ses côtés, et quelque chose en lui résistait à l’évidence. Il n’arrivait pas à mettre de mots sur ce qu’il ressentait. Ce n’était pas une émotion identifiable. Pas de la pitié. Pas de la colère. Rien d’aussi net. Juste une tension, là, dans sa poitrine. Une contraction sourde, étrangère.


Il se redressa lentement, le regard encore fixé sur l’enfant. Cette silhouette sale, tremblante, perdue. Une enfant comme tant d'autres... et pourtant, pour une raison qu’il ne s’expliquait pas, elle ne ressemblait à aucune autre.


Des pas. La présence de son maître approchait, nette et sèche. La voix claqua.


SEIGNEUR GOETIA

(exaspéré)

« Laisse cette enfant, Sebastian. Nous avons autre chose à faire. »


Claris sursauta. Son corps se recroquevilla brusquement, et son regard, large et affolé, se posa sur Goetia. Elle avait reculé contre le mur, les bras ramenés devant elle, comme si elle s’attendait à être frappée. Aucun son ne sortit de sa bouche. Sa peur parlait pour elle.


Sebastian observa cette réaction. Et resta figé.


Il aurait dû obéir. Se relever. Rejoindre la calèche. Mais il ne bougeait pas. Il ne comprenait pas pourquoi. Il n’arrivait pas à détourner les yeux.


Finalement, lentement, il se mit à genoux. Le geste était maîtrisé, précis, mais portait en lui une forme de gravité inhabituelle. Il leva les yeux vers son maître, puis les baissa.


SEBASTIAN

(avec hésitation)

« Mon seigneur… je vous en prie. Accordez-moi une faveur. Laissez-moi prendre cette enfant sous ma responsabilité. »


Claris releva la tête d’un coup. Elle ouvrit légèrement la bouche, les yeux écarquillés. Pas de mot, pas de question, juste un souffle coupé. Une surprise brute, presque animale. Son corps s'était figé, tendu d’un espoir qu’elle n’osait même pas formuler. Elle ne comprenait pas pourquoi il disait ça, ni ce que ça voulait dire vraiment. Mais elle l’avait entendu. Et c’était comme une lumière dans un tunnel sans fin.


SEIGNEUR GOETIA

(surpris, sarcastique)

« Pourquoi devrais-je accepter cela, Sebastian ? Qu’est-ce qu’elle a de spécial ? »


SEBASTIAN

(voix basse, sincère)

« Je vous ai servi fidèlement pendant des siècles, sans jamais rien demander. Cette enfant… elle n’a rien. Personne. Même pas une illusion de sécurité. Je ne sais pas pourquoi… mais je ne peux pas la laisser ici. »


Il marqua une pause. Sa voix resta posée.


SEBASTIAN

« Si vous acceptez, considérez cela comme une récompense pour mes années de service. »


Le seigneur Goetia resta un moment silencieux. Son regard passa lentement de Claris à Sebastian. Il semblait peser quelque chose qu’il ne comprenait pas. Puis il soupira, agacé.


SEIGNEUR GOETIA

(avec froideur)

« Très bien. Mais elle est à toi, Sebastian. Entièrement. Si elle devient un problème, c’est toi qui en porteras la charge. »


SEBASTIAN

(posé)

« Merci, mon seigneur. »


Il se tourna vers Claris. Elle restait figée, son regard perdu dans l’incompréhension. Quand Sebastian lui tendit la main, elle hésita. Son regard glissa vers Goetia, puis revint à Sebastian. Elle finit par tendre timidement la sienne.


Sebastian

(d’une voix douce)

« Viens, Claris. Tu n’as plus à te cacher ici. »


Sebastian la releva avec douceur. Ils marchèrent côte à côte jusqu’à la calèche. Sebastian ouvrit la porte pour Goetia, qui monta d’un geste sec, sans un mot.


Elle hésita un instant devant la porte de la calèche. Son cœur battait à tout rompre à l’idée de monter à bord avec un seigneur aussi imposant que le maître de Sebastian. Elle baissa les yeux, indécise, sa main figée sur le rebord. Mais un signe de Sebastian, un simple regard accompagné d’un léger sourire, la convainquit. Prenant une grande inspiration, elle monta timidement et se glissa dans un coin, le plus loin possible du seigneur, essayant de rendre sa présence invisible.


Sebastian prit place à côté d’elle, tandis que le seigneur Goetia s’asseyait en face, son regard posé sur la jeune démone avec une fixité glaciale. Il ne disait rien. Il observait. Comme on jauge un objet qu’on n’a pas encore décidé de conserver ou de jeter. Sebastian fit un signe discret au cocher, et la calèche s’ébranla, quittant les rues vides du cercle de la Luxure.


Les roues cognaient doucement les pavés, rythmant un silence épais. Le seigneur ne quittait pas Claris des yeux. Son regard semblait l’épingler, la disséquer. Elle jeta un coup d'œil rapide, nerveux. Leurs regards se croisèrent, et aussitôt elle détourna les yeux, effrayée, les joues rougies par la panique.


Le silence dura encore. Long. Inconfortable.


SEIGNEUR GOETIA

(observant Claris d’un air impassible)

« As-tu peur de moi, petite ? »


Claris baissa la tête, ses mains crispées sur le tissu déchiré de sa robe. Elle hésita. Les mots lui restaient coincés dans la gorge. À sa droite, Sebastian la devina paralysée. Il parla d’une voix douce, sans brusquer.


SEBASTIAN

(calmement)

« Tu n’as rien à craindre, Claris. Tu peux répondre. »


Elle prit une inspiration tremblante, serra les dents, et murmura presque sans voix :


CLARIS

(presque inaudible)

« Non... monsieur. »


Sebastian fronça légèrement les sourcils, avant de reprendre doucement.


SEBASTIAN

(pédagogique)

« Ce n’est pas “monsieur”, Claris. C’est “seigneur”. Tu dois toujours appeler un membre de la famille Goetia par son titre. »


Claris hocha la tête sans comprendre entièrement, mais obéissante.


CLARIS

(hésitante)

« Seigneur ? »


Le seigneur esquissa un sourire. Léger. Amusé peut-être, mais plus probablement condescendant.


SEIGNEUR GOETIA

(froid, mais explicatif)

« Seigneur Paimon Goetia. Seigneur de cette grande maison et de cette lignée. Tu ferais bien de t’en souvenir. »


Sebastian inclina la tête, solennel.


SEBASTIAN

(assurant son seigneur)

« Ne vous inquiétez pas, mon seigneur. Elle apprendra. »


Le silence retomba dans la calèche. Un silence lourd, pesant, presque oppressant. Claris n’osait plus bouger. Elle fixait ses genoux, immobile, tentant de disparaître dans le tissu usé de sa robe. Chaque minute semblait étirer le temps. Elle retenait son souffle. Sa présence lui semblait de trop.


Mais soudain, un bruit inattendu déchira le silence.


Un gargouillement. Brutal. Affamé.


Claris sursauta, les yeux écarquillés. Ses joues devinrent instantanément rouges. Elle plaqua ses mains sur son ventre dans un geste maladroit, comme si elle pouvait retenir ou nier le bruit qu’il venait de produire. Elle aurait voulu fondre à travers le plancher.


Sebastian, lui, esquissa un sourire. Discret, mais sincère.


SEBASTIAN

(avec amusement)

« On dirait bien que quelqu’un est affamé. »


Claris ne répondit pas. Elle baissa la tête encore plus bas, ses oreilles brûlantes de honte.


En face d’eux, le seigneur Goetia roula ostensiblement des yeux, son expression figée dans un mépris tranquille. Un soupir presque imperceptible s’échappa de son bec, comme s’il avait oublié un instant à quel point les besoins des êtres inférieurs étaient bruyants.


La calèche s’immobilisa dans un léger grincement devant les grandes grilles du domaine. Claris, encore engourdie par la fatigue et les émotions, descendit prudemment. Ses pieds effleurèrent le sol comme s’ils craignaient de ne pas être les bienvenus.


Elle leva les yeux. Et resta figée.


Devant elle, le manoir Goetia se dressait comme une cathédrale d’ombres et de pierre. Immense, gothique, intimidant. Les tours disparaissaient dans les nuages, et les vitraux reflétaient une lumière froide. Les grandes portes semblaient prêtes à avaler ceux qui les franchissaient.


Un monde de grandeur. Un monde d’ordre. Un monde qui n’avait jamais laissé de place aux petites filles perdues.


Sebastian, à ses côtés, lui tendit la main. Il n’y avait aucune urgence dans son geste. Juste une constance rassurante.


SEBASTIAN

(d’une voix calme)

« Ne reste pas plantée là, Claris. Le manoir est encore plus beau vu de l’intérieur. »


Elle hocha timidement la tête. Sa petite main se referma sur celle du majordome comme sur une ancre dans la tempête. Ils avancèrent ensemble vers les portes de fer ouvragé, qui s’ouvrirent lentement dans un grincement noble.


À l’intérieur, la lumière des chandeliers baignait les couloirs d’un éclat doux et feutré, caressant les murs couverts de tapisseries, de portraits anciens et de marbre sombre.


Des domestiques en uniforme traversaient les couloirs, quelques nobles glissaient entre les ombres. Mais tous s’arrêtèrent. Leurs regards s’étaient tournés vers elle. Curieux. Froids. Intrusifs.


Des murmures naquirent à mi-voix, mais les mots, eux, frappèrent net.


DOMESTIQUE 1

(chuchotant, un rictus aux lèvres)

« Regarde ça... Sebastian a ramené un vrai chien errant. »


DOMESTIQUE 2

(d’un ton sec)

« Elle n’a pas sa place ici. Pas chez les Goetia. »


Claris sentit la chaleur quitter son visage. Elle baissa immédiatement les yeux, écrasée par le poids de ce lieu, de ces regards, de ces mots qui piquaient comme des aiguilles.


Mais elle ne lâcha pas la main de Sebastian.


Elle la serra plus fort.


Et lui ne broncha pas.


Il avançait. Droit. Inébranlable. Comme s’il n’entendait rien. Comme s’il suffisait de marcher pour faire taire le poison.


Le seigneur Paimon, qui avançait devant eux avec sa prestance habituelle, s’arrêta un instant pour observer la scène.


PAIMON

(d’une voix indifférente)

« J’espère que tu trouveras une place convenable à cette enfant, Sebastian. Elle n’a aucun rôle ici. »


Sebastian, toujours imperturbable, inclina légèrement la tête en signe de respect.


SEBASTIAN

(répondant calmement)

« Je pense en faire une domestique, mon seigneur. Le manoir est vaste, et on n’a jamais assez de paires de mains pour l’entretenir. »


Claris, bien que dépassée par tout ce qui l’entourait, gardait les yeux baissés. À chaque regard croisé, elle se faisait encore plus petite. Le manoir lui semblait trop grand, trop propre, trop noble pour qu’elle y ait un jour sa place.


Le seigneur Goetia soupira longuement, s’étirant avec une nonchalance lasse.


PAIMON

(s’étirant avec lassitude)

« Très bien. Je vais me coucher. Trouve-lui une tenue appropriée et une chambre. »


Sebastian inclina de nouveau la tête avec calme.


SEBASTIAN

(observant Claris avec une certaine tendresse)

« Cette enfant aura sans doute besoin d’un bon bain avant tout. »


Paimon tourna alors légèrement la tête, sans même regarder Claris.


PAIMON

(se détournant, d’un ton sec)

« Fais ce que tu veux, du moment que je n’en entende plus parler. »


Sans attendre, Sebastian guida Claris à travers les couloirs du manoir. Il ignorait les regards pesants, les murmures acides, les chuchotements qui se multipliaient à mesure qu’ils avançaient. Claris, elle, gardait les yeux fixés sur les pas de Sebastian, comme si elle risquait de se perdre au moindre détour.


Ils s’arrêtèrent devant une porte en bois massif. Sebastian l’ouvrit avec soin.


La pièce derrière contrastait brutalement avec tout ce que Claris avait connu. Une vaste salle de bain, en marbre clair veiné d’or, avec un grand bain encastré au centre. L’eau chaude, déjà en train de monter, diffusait une vapeur douce qui emplissait lentement l’air.


SEBASTIAN

(d’un ton bienveillant)

« Voilà. Je vais te laisser prendre un bon bain, Claris. Prends tout le temps qu’il te faut, je t’attendrai dehors. »


Claris hocha la tête. Ses yeux, grands et ronds, balayaient la pièce avec une fascination muette. Elle entra sans un mot. Sebastian referma la porte derrière elle et se tourna vers une domestique qui passait non loin.


SEBASTIAN

(avec une amabilité rare)

« Pourrais-tu trouver des vêtements pour la petite ? Quelque chose de simple mais convenable. »


La domestique s’immobilisa, surprise, mais elle inclina la tête.


DOMESTIQUE

(d’un ton respectueux)

« Bien sûr, maître Sebastian. Je m’en charge. »


Elle revint quelques minutes plus tard, portant une petite robe bleu foncé, un chemisier blanc soigneusement plié, et des chaussettes sobres. Sebastian inspecta brièvement la tenue.


SEBASTIAN

(satisfait)

« Parfait. Apporte-les-lui. »


La domestique frappa doucement à la porte, attendit, puis entra. Claris ressortit un peu plus tard, hésitante, vêtue de ses nouveaux habits. La robe lui tombait un peu grand, le col du chemisier trop net contrastait avec la douceur de son visage encore marqué par la fatigue. Mais elle était propre. Et debout.


Sebastian l’observa un instant. Il ne fit aucun commentaire sur sa posture, son air perdu, ses bras croisés sur sa poitrine comme pour se protéger.


Il se contenta d’un sourire.


SEBASTIAN

(avec douceur)

« Voilà une véritable servante des Goetia. »


Claris leva les yeux vers lui, encore intimidée par tout ce luxe, tout ce silence, tout ce qu’elle ne comprenait pas. Mais elle lui rendit un sourire timide, léger, presque tremblant. Sebastian avança de quelques pas dans le couloir et ouvrit une autre porte, observant attentivement l'intérieur de la pièce avant de se prononcer.



SEBASTIAN

(examinant la chambre)

« Cela fera l’affaire. »


La chambre était modeste, à l’échelle du manoir. Mais pour Claris, c’était une salle de bal. Le lit était large, moelleux, parfaitement dressé. Les meubles, sobres mais élégants. Et un petit bureau, tout en bois sombre, faisait face à une fenêtre donnant sur les jardins.


Sebastian posa une main légère dans son dos, l’encourageant à avancer.


Claris entra lentement. Elle n’osait pas parler. Chaque détail semblait irréel. Elle n’avait jamais eu de chambre. Encore moins de lit. Encore moins un lieu où personne ne criait.


SEBASTIAN

(affectueux, mais discret)

« Si tu as besoin de quoi que ce soit, ma chambre est au bout du couloir. »


Il fit un pas pour s’éloigner, prêt à la laisser se reposer. Mais une pression minuscule l’arrêta. Claris venait d’attraper la manche de son manteau. Une prise hésitante, presque fragile.


Il se retourna, intrigué.


SEBASTIAN

(curieux)

« Qu’y a-t-il, Claris ? »


Elle ouvrit la bouche, puis la referma. Elle avait gardé cette question trop longtemps. Et maintenant qu’elle était là, dans ce lieu trop calme, trop grand, elle ne pouvait plus la retenir.


CLARIS

(d’une voix tremblante)

« Pourquoi... Pourquoi tu fais tout ça pour moi ? »


Sebastian resta immobile. La question le prit de court. Ce n’était pas l’émotion qui l’arrêtait. C’était l’absence de logique. Il n’avait pas réfléchi à son geste. Il n’avait pas calculé. Il avait juste... agi.


Il baissa légèrement les yeux, comme s’il cherchait une réponse dans le silence. Puis il se pencha doucement, posant une main sur la joue de Claris.


SEBASTIAN

(d’une voix calme, mais pleine de compassion)

« Parce qu’aucun enfant ne devrait vivre dehors. Ni seule. Ni dans le froid. Ni dans l’indifférence. »


Claris ne répondit pas. Elle resta immobile. Mais ses yeux s’étaient humidifiés. Elle fouilla doucement dans la poche de sa robe et en sortit le mouchoir qu’il lui avait donné plus tôt. Elle le lui tendit, les doigts tremblants.


Sebastian sourit, très légèrement, et repoussa le geste d’un simple mouvement de la main.


SEBASTIAN

(avec une lueur d’affection)

« Garde-le. Il est à toi maintenant. Il n’y a pas de honte à pleurer… mais il faut toujours avoir un mouchoir sur soi. »


Claris baissa la tête, serrant le tissu contre son cœur. Ce n’était qu’un mouchoir. Et pourtant, à cet instant précis, c’était comme une relique.


Elle esquissa un sourire, minuscule mais sincère. Pour la première fois, elle se sentait vue. Ici, dans ce manoir immense, au milieu des ombres et des dorures… quelqu’un l’avait choisie.


Sebastian se tourna de nouveau, prêt à repartir. Cependant, au moment où il posa la main sur la poignée de la porte, un éclair de souvenir traversa l’esprit de Sebastian. Il se retourna doucement, les yeux brillants d’une lueur malicieuse. Claris, assise sur son lit, tourna la tête vers lui, intriguée.


SEBASTIAN

(avec un sourire chaleureux)

« Ah, j’allais presque oublier… »


Il leva élégamment la main, et dans un souffle de magie discrète, fit apparaître une boîte finement décorée. Elle flotta doucement dans l’air avant de se poser avec délicatesse sur le bureau de Claris. Les yeux de la petite fille s’écarquillèrent.


SEBASTIAN

(avec bienveillance)

« Voilà qui devrait calmer ta faim pour ce soir. »


Claris se leva d’un bond, sa fatigue oubliée face à la surprise. Elle s’approcha du bureau, le souffle court, et ouvrit lentement la boîte. Une odeur chaleureuse et réconfortante s’en échappa aussitôt. À l’intérieur : un plat fumant, composé de viande tendre, de légumes savamment cuisinés… et, nichés au centre, un petit assortiment de macarons aux couleurs vives, qui semblaient capturer la lumière.


CLARIS

(les yeux brillants, émerveillée)

« C’est... pour moi ? »


SEBASTIAN

(avec un sourire complice)

« Bien sûr. Mange et repose toi. Demain, ton apprentissage commence. »


Claris le fixa, la bouche entrouverte. Puis elle hocha lentement la tête, retenant un sourire timide. Pour la première fois depuis des années, elle avait l’impression d’exister aux yeux de quelqu’un.


SEBASTIAN

(calme, mais légèrement taquin)

« Mon emploi du temps est quelque peu chargé… alors demain, ce sera la domestique en cheffe qui t’apprendra les ficelles du métier. »


Claris acquiesça à nouveau, bien que les mots “métier” et “apprentissage” lui paraissaient encore flous. Elle n’en comprenait pas tout le sens. Mais la voix de Sebastian lui donnait une forme d’assurance qu’elle n’avait jamais ressentie.


SEBASTIAN

(avec sérieux, mais bienveillance)

« Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit… n’hésite jamais à venir me voir. D’accord ? »


Elle répondit par un hochement de tête doux, le mouchoir toujours serré contre elle. Elle se sentait encore minuscule dans ce monde démesuré… mais un peu moins seule.


Sebastian lui adressa un dernier regard, puis ouvrit la porte et sortit de la chambre. Il referma derrière lui avec lenteur, comme s’il voulait enfermer avec soin le calme qu’il venait d’y déposer.


Dans les couloirs du manoir Goetia, le silence était roi. Chaque pas de Sebastian résonnait doucement entre les murs.


Il avait longtemps cru qu’il était immunisé à l’attachement. À l’émotion. À la fragilité des autres.


Mais ce soir, quelque chose avait changé.



Il poussa la porte de sa chambre, se laissa tomber dans son fauteuil avec une grâce fatiguée, et passa une main sur son visage avant de pousser un léger ricanement.


SEBASTIAN

(avec un sourire en coin, se parlant à lui-même)

« Par Lucifer… quelle soirée. »


Il savait que les prochains jours seraient déterminants, tant pour Claris que pour lui. Et dans un coin de son esprit, qu’il refusait de nommer, il espérait simplement que l’avenir leur offrirait d’autres instants aussi étrangement beaux que celui qu’ils venaient de traverser.


Les jours s’étaient enchaînés au manoir Goetia, et Claris s’était fondue dans son nouveau rôle de servante. Chaque matin, elle se levait tôt pour exécuter ses tâches avec application. La domestique en cheffe, stricte mais équitable, reconnaissait déjà son zèle. Claris apprenait à s’effacer, à parler peu, à lire les humeurs des nobles d’un regard. Le soir, Sebastian lui dispensait des leçons en privé : langage, étiquette, logique, histoire… Claris écoutait, assidue. Mais parfois, son esprit semblait ailleurs. Comme si son regard traversait les murs.


Sebastian, observateur comme toujours, ne tarda pas à remarquer un détail étrange.


Chaque nuit, après le couvre-feu, Claris quittait discrètement sa chambre. Elle ne réveillait personne. Elle avançait à pas feutrés, une chandelle à la main. Elle savait éviter les patrouilles, les domestiques de garde, les zones bruyantes.


Au début, Sebastian n’avait rien dit. Il l’avait vue. Il avait noté. Mais il n’avait rien dit.

Parce qu’il estimait qu’un peu de liberté ne pouvait que lui faire du bien.

Parce qu’il se souvenait, peut-être, de ce que c’est que d’étouffer dans une cage trop dorée.


Mais plus les nuits passaient, plus la curiosité le gagnait.


Ce soir-là, il décida de la suivre.


Claris marchait dans les couloirs comme une ombre habituée aux ténèbres. Elle avançait vite, avec assurance. Sebastian resta à distance, silencieux, parfaitement dissimulé dans les recoins du manoir.


Jusqu’à ce qu’elle s’arrête devant la bibliothèque Goetia.


Un lieu fermé, strictement interdit aux domestiques en dehors des heures de nettoyage. Réservé aux érudits. Aux membres de la famille.


Elle ouvrit la grande porte avec précaution. Un léger grincement brisa le silence. Elle entra.

Et Sebastian la suivit à pas de fantôme, se glissant entre les étagères, invisible.


Claris avançait dans la bibliothèque comme dans un lieu sacré. L’odeur des vieux parchemins, le bois ciré des étagères, la pénombre rythmée par sa chandelle : tout semblait suspendu. Elle glissa ses doigts sur les reliures, à la recherche de quelque chose. Ou peut-être guidée par une intuition. Elle s’arrêta sur un volume aux armoiries effacées, usé par le temps. Elle le sortit lentement, souffla la poussière, et l’apporta à une table de lecture.


Assise, droite, concentrée, elle ouvrit le grimoire. Les pages craquèrent doucement. L’encre, encore vive malgré les siècles, dansait sous la lumière tremblotante de la chandelle. Claris commença à lire. Lentement. Ses yeux parcouraient les lignes avec un mélange de crainte et d’excitation. Des diagrammes occultes. Des concepts anciens. Des fragments de magie pure.


Sebastian, tapi derrière une colonne, la voyait plongée dans sa lecture. Elle était immobile, mais son visage bouillonnait d’émotions. Fascination. Compréhension. Faim. Puis elle s’arrêta. Une page, au milieu du livre. Différente. Plus dense. Plus chargée. Claris fronça les sourcils, pencha la tête. Elle déchiffrait. Ligne après ligne. Sa respiration changea. Elle ne clignait plus des yeux. Quelque chose, dans ce passage, l’avait happée.


Et puis, doucement, elle posa ses mains à plat sur la table. Elle ferma les yeux. Et elle se concentra.


Il n’y eut ni mot, ni geste. Juste le silence. Et sa volonté.


Alors, tout changea.


La bibliothèque se déforma. Le plafond sembla disparaître. Autour d’elle, des étoiles se mirent à scintiller. Un ciel nocturne apparut, vaste et infini, déployé au-dessus des rayonnages. Une lumière lunaire, blanche et douce, descendit lentement, enveloppant la table et Claris elle-même.


C’était un miracle silencieux. Une vision. Un sort sans incantation. Une mémoire de l’univers projetée dans une pièce oubliée.


Sebastian, figé dans l’ombre, sentait sa gorge se serrer. Ce n’était pas un accident. Ce n’était pas une enfant curieuse. C’était autre chose. Il avança d’un pas, sans bruit, fasciné.


SEBASTIAN

(abasourdi, émerveillé)

« Incroyable… »


Claris, prise de panique, se retourna précipitamment. Son cœur battait à tout rompre. Elle avait été surprise en pleine infraction, et par Sebastian en personne. Elle s’attendait à de sévères remontrances. Ses yeux s'emplirent d'appréhension, et elle chercha à se justifier maladroitement.


Claris

(balbutiant, terrifiée)

« Je... je suis désolée, Sebastian... Je sais que je n’ai pas le droit mais... »


Sebastian leva une main pour l’interrompre, son expression toujours surprise.


Sebastian

(souriant)

« Non, Claris. Ce que tu viens de faire était tout simplement magnifique. »


Claris, surprise, releva la tête. Elle s’attendait à tout sauf à cela. Sebastian continuait de l'observer avec admiration.


Claris

(incrédule)

« Tu… tu n’es pas en colère ? »


Sebastian

(riant doucement)

« En colère ? Comment pourrai-je être en colère devant une telle démonstration ? Claris, tu as un talent indéniable pour la magie. »


Il s’avança et se pencha pour examiner le grimoire que Claris avait choisi. Sebastian fronça légèrement les sourcils en réalisant de quel livre il s’agissait.


Sebastian

(curieux)

« Pourquoi avoir choisi ce livre en particulier ? »


Claris, encore légèrement sous le choc, haussa timidement les épaules.


Claris

(hésitante)

« Je ne sais pas… Je suppose qu’il fallait bien commencer quelque part. »


Sebastian, amusé, ria avant de relever les yeux vers elle.


Sebastian

(avec un sourire mystérieux)

« C’est drôle que tu aies choisi celui-ci. Vois-tu, c’est moi qui l’ai écrit, il y a bien des siècles. »


Claris écarquilla les yeux, stupéfaite par cette révélation. Elle regarda Sebastian, qui continuait de sourire doucement. Il lui confia alors quelque chose d'encore plus important.


Sebastian

(avec fierté)

« J’ai étudié la magie durant de très nombreuses années pour servir au mieux la famille Goetia, et j’ai enseigné à bien des membres de cette famille. Mais je n’ai jamais vu quelqu’un qui, comme toi, en perçoit toute la beauté. »


Un long silence s’installa entre eux. Claris restait figée, troublée par les mots de Sebastian. Elle cherchait une réponse, mais rien ne venait. Son cœur battait vite, trop vite. Elle ne savait pas si elle devait s’excuser encore, ou simplement fuir.


Sebastian, sentant son hésitation, posa une main sur son épaule. Pas un geste mécanique, mais un appui sincère. Rassurant.


SEBASTIAN

(avec détermination)

« Claris, j’ai une proposition à te faire. Que dirais-tu d’apprendre la magie à mes côtés ? »


Elle leva les yeux vers lui, clignant des paupières. Surprise. Incrédule. Est-ce qu’il était sérieux ? Est-ce qu’il plaisantait ? Mais son regard ne laissait aucun doute. Il parlait avec sincérité.


SEBASTIAN

(insistant, avec un sourire bienveillant)

« Ce serait du gâchis de laisser ton talent sans travail. Ce que tu as fait ce soir prouve que tu as un don des plus rares. Et je serais honoré de t’enseigner tout ce que je sais. »


Les mots frappèrent Claris de plein fouet. Elle sentit sa gorge se serrer, son ventre se tordre, non pas de peur, mais de joie. D’une joie immense. Inattendue. Elle n’avait pas de réponse préparée. Alors elle ne parla pas.


Elle se précipita vers lui et le serra contre elle. Spontanément. Avec la force d’une enfant qui s’autorise enfin à espérer.


CLARIS

(avec sincérité, émue)

« Merci, Sebastian ! »


Sebastian resta un instant figé, pris de court. Puis un sourire se dessina lentement sur son bec. Il referma les bras autour d’elle dans une étreinte douce, naturelle, et laissa échapper un léger rire.


SEBASTIAN

(amusé)

« Eh bien, je suppose que c’est un “oui”. Alors, nous commencerons demain. »


Ils restèrent ainsi un moment. Loin du tumulte du manoir, dans une bulle fragile, faite de silence et de chaleur discrète. Claris ne comprenait pas encore ce que tout cela signifiait, ni ce que demain exigerait d’elle. Mais pour l’instant, ce qu’elle avait, c’était assez. Bien plus qu'elle n'a jamais ne serait-ce qu'osé espérer.



Les jours passaient au manoir Goetia, et Claris s'était taillée une place à sa manière. Là où, autrefois, elle n'était qu'une ombre méprisée, un simple "chien errant" aux yeux des domestiques et des courtisans, elle devenait peu à peu une figure familière. Attachante. Respectée. Chaque tâche accomplie avec soin, chaque sourire timide qu’elle offrait finissait par grignoter l'indifférence glacée des couloirs. Même les cœurs les plus endurcis finissaient par s'adoucir un peu sur son passage.



Depuis cette nuit étrange dans la bibliothèque, Sebastian lui donnait des leçons de magie. Discrètement. Rigoureusement. Avec patience et exigence.

Claris apprenait vite. Très vite. Chaque exercice, chaque sorts, chaque concentration poussée semblait réveiller en elle quelque chose de plus ancien, de plus profond. Sebastian n'avait plus aucun doute. Cette enfant n'était pas faite pour ramper dans les cuisines ou pour lustrer des couloirs. Elle était née pour comprendre la magie, pour l'habiter. Et il en avait fait sa petite élève secrète.


Un après-midi, alors que Claris s'affairait à nettoyer l'entrée des quartiers privés du Seigneur Paimon, Sebastian surgit à toute vitesse, son regard balayant les alentours avec urgence. Lorsqu’il aperçut Claris, son visage se détendit aussitôt.


SEBASTIAN

(souriant, agréablement surpris)

« Ah, Claris ! »


Elle sursauta, lâchant presque son chiffon, puis se redressa précipitamment.


CLARIS

(timidement)

« Oui, Sebastian ? Que puis-je faire pour vous ? »


Sebastian s’approcha, sa voix adoucie par la bienveillance.


SEBASTIAN

(encourageant)

« Je vais devoir m’absenter un moment. Et j’aimerais que tu serves le Seigneur en mon absence. »


Claris écarquilla les yeux, la panique montant en elle comme une marée brutale. Servir directement le Seigneur Goetia ? Le seigneur froid, insondable, dont elle osait à peine croiser le regard ?


CLARIS

(hésitante)

« Moi ? Mais… je… »


SEBASTIAN

(d'une voix rassurante)

« Ne t’inquiète pas. Il ne te demandera rien d’impossible. Tiens lui simplement compagnie, obéis à ses demandes, sois discrète. Je sais qu’il t’intimide… mais tu as toute ma confiance, Claris. »


Rassurée par les paroles de Sebastian, Claris prit une profonde inspiration et poussa la lourde porte des quartiers du Seigneur Paimon. À l’intérieur, tout baignait dans une lumière tamisée. Le Seigneur était installé dans son fauteuil, un livre à la main, absorbé dans sa lecture. Il ne releva même pas la tête à son entrée.


Sans se laisser démonter, Claris se mit au travail avec l'application qui la caractérisait. Elle rangea soigneusement les objets éparpillés, réaligna les piles de livres, dépoussiéra les étagères. Paimon continuait de lire, impassible, son visage comme sculpté dans le marbre.


Après un long moment, et une fois son labeurs terminé, Claris s’approcha avec précaution, une tasse de thé entre ses mains. Elle s’arrêta à une distance respectueuse et, d’une voix douce, proposa :


CLARIS

(avec un sourire doux)

« Mon Seigneur, désirez-vous du thé ? »


Le Seigneur releva lentement les yeux de son livre. Ses prunelles froides croisèrent le sourire sincère de la jeune démone. Pendant un instant, imperceptible mais réel, quelque chose vacilla dans son regard. Il tendit la main, prit la tasse avec une lenteur étudiée, et esquissa un sourire, subtil, mais existant.


PAIMON

(prenant la tasse, sourire à peine esquissé)

« Merci. »


Claris, surprise mais heureuse de ce bref échange, baissa respectueusement la tête.


CLARIS

(humblement)

« Avez-vous besoin d’autre chose, mon Seigneur ? »


Paimon referma son livre d’un geste précis, le posa sur l'accoudoir, et répondit d'un ton calme :


PAIMON

(d'un ton neutre)

« Non. Tu peux disposer. »


Elle s’inclina légèrement, puis se retira sans un bruit, un petit sourire flottant encore sur ses lèvres. Alors qu’elle disparaissait derrière la porte, Paimon suivit sa silhouette du regard, son expression redevenue opaque. Il resta un moment immobile, songeur, quelque peu intrigué par cette jeune domestique qui semblait faire naître une chaleur inattendue dans les froids couloirs du manoir.


Quelques semaines plus tard, alors qu’elle étudiait sur son temps libre, Claris entendit frapper doucement à la porte de sa chambre. Elle releva la tête, légèrement inquiète. À cette heure-là, une visite n’annonçait jamais rien d’anodin.


La porte s’ouvrit doucement, laissant apparaître Sebastian, un sourire léger aux lèvres.


SEBASTIAN

(souriant légèrement)

« Claris, le Seigneur Paimon souhaiterait te voir. »


Claris sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Elle se leva d’un coup, paniquée.


CLARIS

(avec une pointe d'inquiétude)

« Ai-je... ai-je fait quelque chose de mal, Sebastian ? »


Sebastian secoua doucement la tête, sa voix posée.


SEBASTIAN

(calmement)

« Non, bien au contraire. »


Ils traversèrent ensemble les longs couloirs du manoir, jusqu’aux quartiers privés du Seigneur. Sebastian s’inclina respectueusement devant la grande porte, puis l’ouvrit d’un geste cérémonieux. Claris, le ventre noué, s'avança timidement dans la pièce.


Le Seigneur Goetia était là, assis dans son fauteuil, l’air aussi insondable qu’à son habitude. Il ne parla pas immédiatement. Il se contenta de fixer Claris de ses yeux pâles et froids.


Après un silence pesant, il ordonna d'une voix calme :


PAIMON

(calme)

« Relève la tête, Claris. »


Elle obéit, bien que ses jambes tremblaient légèrement. Sebastian s'avança pour se tenir à la droite de son maître, silencieux mais présent. La jeune démone comprenait que ce genre d'audience n’était jamais accordée à la légère.


Paimon, sans la quitter des yeux, demanda :


PAIMON

(observant Claris avec une curiosité froide)

« Dis-moi, Claris. Crois-tu avoir trouvé ta place ici ? »


Le cœur de Claris s’emballa. Ce n'était pas une question anodine. Elle se redressa un peu plus, la gorge sèche, pesant chaque mot comme si sa vie en dépendait.


CLARIS

(avec émotion retenue, mais une sincérité farouche)

« Oui, mon Seigneur. Je fais tout pour la mériter. »


Paimon l'observa longuement, comme s'il pesait chaque fragment d'émotion dans ses yeux avant de parler.


PAIMON

(d'un ton mesuré, presque détaché)

« Nombreux sont ceux dans ce manoir à avoir remarqué ta présence, Claris. »


Il fit une pause, laissant le silence peser.


PAIMON

(lentement)

« Ils parlent de ton efficacité. De ta docilité. De cette... lumière que tu laisses derrière toi. »


Claris déglutit discrètement, incapable de savoir si c'était un reproche ou un éloge. Paimon esquissa un sourire, presque imperceptible.


PAIMON

(moqueur, mais pas cruel)

« Certains disent même que ton sourire est contagieux. »


Il redressa légèrement son dos dans le fauteuil, un éclat froid dans le regard.


PAIMON

(d'un ton plus bas)

« Et, pour une fois, je dois bien admettre que je partage leur avis. »


Paimon l'observa quelques secondes de plus, comme s’il pesait encore sa prochaine phrase, puis ajouta :


PAIMON

(avec un sourire en coin, faussement désinvolte)

« Même Sebastian ne tarit pas d’éloges à ton sujet. Il m’a révélé... à demi-mot... qu’il t’avait enseigné bien plus que ce qu’il n’aurait dû. »


Son regard, perçant, glissa brièvement vers Sebastian, avant de revenir se poser sur Claris. Le message était clair. Il savait. Il n’avait pas besoin qu’on lui avoue quoi que ce soit.


Claris se mordilla la lèvre, incertaine. Devait-elle s'excuser ? Se justifier ? Mais avant même qu’elle puisse ouvrir la bouche, Paimon reprit, sa voix plus froide encore que son regard.


PAIMON

(d'un ton tranchant)

« Une chose est certaine : tu n’es pas faite pour cirer des sols. »


Il marqua un temps, croisant lentement les jambes, pesant ses mots comme des lames.


PAIMON

(réfléchi)

« Sebastian m’a soufflé une idée. Et j'en suis venu à la partager. »


Son regard se fit plus appuyé, plus lourd.


PAIMON

(d'un ton ferme, sans détour)

« Ce manoir n’a pas besoin d’une domestique de plus. Il a besoin d’un héritage. D’un nouveau bras droit. De quelqu’un capable de marcher dans les pas de Sebastian, et de guider à son tour, comme il l’a fait durant de nombreux siècles. »


Il marqua une courte pause, avant de planter son regard sévère dans celui de Claris.


PAIMON

(d'un ton solennel)

« C’est pourquoi je vais t’offrir une véritable éducation d’aristocrate. Tu apprendras l'art de la politique, du protocole, de la magie supérieure. Pas pour recevoir des honneurs, ou des titres, mais pour devenir indispensable aux yeux de ceux qui te croiseront, et de celui que tu serviras. »


Claris releva légèrement la tête, stupéfaite. Une myriade d'émotions s'entrechoquaient en elle : la fierté, la peur, l'incrédulité. Elle ouvrit la bouche, hésita un instant, puis trouva la force de poser la question qui la brûlait.


CLARIS

(timidement, presque murmurant)

« Je... Je vous remercie, mon Seigneur... Mais pourquoi... pourquoi me faire un tel honneur ? »


Il la dévisagea un instant en silence, comme pour jauger sa capacité à supporter ce poids, avant de répondre d'un ton plus posé.


PAIMON

(d'une voix plus basse, presque calculatrice)

« J’ai besoin d’une main ferme, de quelqu'un de confiance pour accompagner l'un de mes fils. Quelqu’un qui saura le servir, le guider et le protéger. Quelqu’un de la même trempe que ce cher Sebastian. »


Il frotta distraitement son menton, l'air pensif.


PAIMON

(murmurant)

« Sto... Stoli... »


Sebastian rectifia, dans un murmure respectueux :


SEBASTIAN

(posé)

« Stolas, mon Seigneur. »


Paimon hocha légèrement la tête.


PAIMON

(autoritaire)

« Oui. Stolas. »


Il se redressa légèrement, son ton n’admettant aucune discussion.


PAIMON

(froid et clair)

« Si tu acceptes, Claris, ta vie ne sera plus celle d'une servante. Elle sera celle d'un futur bras droit. D'une servante discrète et loyale, au service d'un noble de la Goetie. »


Claris sentit ses jambes céder sous elle. Elle tomba à genoux sans réfléchir, la tête baissée, écrasée par l'ampleur de ce que cela représentait.


CLARIS

(avec humilité et ferveur)

« Ce sera un immense honneur pour moi, Seigneur Paimon. »


Claris resta agenouillée, le souffle court, consciente que plus rien ne serait jamais comme avant. À cet instant précis, elle n'était plus une simple domestique. Elle devenait une pièce maîtresse, façonnée dans l'ombre, pour servir un destin qui la dépassait encore.


Les années avaient filé comme un souffle. La nuit enveloppait le manoir Goetia d’un voile tranquille, et dans sa chambre, Claris contemplait le jardin baigné de lumière lunaire. Elle se tenait droite, élégante, drapée dans une grâce silencieuse forgée par des années de discipline et d’apprentissage, et elle s’était transformée en une femme belle, cultivée et puissante… mais ce soir, malgré tout ce qu’elle avait accompli, une anxiété sourde pesait sur son cœur.


Un léger frappement à la porte la tira de ses pensées.

Avant même qu’elle ne réponde, la porte s'entrouvrit, laissant apparaître Sebastian, impeccable comme toujours, un sourire chaleureux flottant sur ses lèvres.


SEBASTIAN

(avec enthousiasme)

« Ah, Claris ! Demain, c’est le grand jour. Prête à servir le jeune Stolas Goetia ? »


Claris se tourna lentement vers lui, son visage cherchant à dissimuler ses tourments sous une façade maîtrisée.


CLARIS

(avec un sourire forcé)

« Oui... je suis prête. »


Sebastian la scruta avec attention. Son sourire disparut peu à peu, remplacé par une inquiétude sincère.


SEBASTIAN

(plus doucement)

« Quelque chose ne va pas, Claris ? Tu sembles… troublée. »


Claris tressaillit légèrement, surprise par sa perspicacité. Instinctivement, elle balbutia :


CLARIS

(pressée, sur la défensive)

« Rien ! Tout va bien ! »


Sebastian s'approcha d’elle, calmement, et posa une main légère sur son épaule.


SEBASTIAN

(avec une fermeté bienveillante)

« Claris … Je te connais comme si je t’avais faite. Dis-moi ce qui te tracasse. »


Le masque de Claris se fissura. Elle baissa les yeux, luttant intérieurement contre l'envie de tout garder pour elle.

Le silence s'étira, avant qu'elle ne laisse échapper d’une voix tremblante :


CLARIS

(d’une voix brisée)

« Je ne sais pas, Sebastian. Quand tu m’as trouvée… j’étais une ombre. Une petite fille perdue. »


Elle releva doucement les yeux, noyés d’émotion.


CLARIS

(avec émotion)

« Tu m’as offert tout ce dont je n’osais même pas rêver : un foyer, une éducation… une famille. »


Elle serra ses poings contre sa robe, le souffle court.


CLARIS

(avec une amertume sourde)

« Alors pourquoi ? Pourquoi je ne suis pas heureuse ? Pourquoi je me sens… vide, comme si quelque chose me manquait encore ? »


Sebastian la fixa, touché par ses mots. Il resta silencieux un instant, avant de lui demander avec douceur :


SEBASTIAN

(d'une voix calme)

« Claris, essaye de mettre des mots sur ce que tu ressens. Qu’est-ce qui te tracasse vraiment ? »


Claris chercha ses mots, son esprit en tumulte. Finalement, elle s’assit sur le bord de son lit, le regard perdu dans le vide.


CLARIS

(avec frustration et confusion mêlées)

« Quand j’étais une simple domestique… tout était plus simple. Je n'avais pas à penser. Juste à obéir, jour après jour. »


Elle marqua une pause, serrant le tissu de sa robe entre ses doigts.


CLARIS

(la voix plus sourde)

« Mais maintenant… »


Elle inspira profondément, comme si avouer ce qui suivait coûtait plus cher que tout.


CLARIS

(avec amertume contenue)

« On m'a appris que l'Enfer est immense. Chaque fois qu'on m’en parlait, je brûlais d’envie de le découvrir… Mais aujourd'hui, on m'impose un destin. Celui de servir pour l’éternité. Un destin que je croyais vouloir… mais ce n’est pas ce que je veux, Sebastian. »


Le silence retomba lourdement dans la pièce, ponctué seulement par le tic-tac lointain d'une horloge. Claris soupira, baissant la tête, écrasée par la culpabilité.


Claris

(avec regret)

« Je sais que je devrais être reconnaissante… On m’a tout donné alors que je ne méritais rien. Mais je ne peux pas m’empêcher de ressentir ce vide, cette soif de… quelque chose d’autre. C’est ingrat, je le sais, je me sens horrible de dire ça, mais ça me ronge, jour après jour. »


Sebastian, profondément touché par son trouble, s’assit à côté d’elle. Il posa une main rassurante sur son épaule.


SEBASTIAN

(avec compassion)

« Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé plus tôt, Claris ? »


Elle baissa les yeux, honteuse.


CLARIS

(avec hésitation)

« Je suppose… que je ne voulais pas te décevoir. Après tout ce que tu as fait pour moi… »


Sebastian hocha lentement la tête, réfléchissant à ses mots avant de prendre une grande inspiration.


Sebastian

(avec sincérité)

« Claris… Je sers la famille Goetia depuis des siècles. J’ai étudié la magie toute ma vie pour être à leur service. Et bien que je n’aie jamais remis en question mon rôle, je dois l’avouer… »

(avec une lueur de nostalgie dans les yeux)

« … parfois, j’aurais aimé goûter à cette liberté dont tu parles. »


Claris le regarda, surprise par cette confession inattendue. Elle resta silencieuse, mais ses yeux étaient fixés sur lui, cherchant une réponse à ses tourments.


Sebastian

(avec gravité)

« Ne t’encombre pas de ce que les autres attendent de toi, Claris. Suis tes rêves. Tu es bien plus que ce que quiconque ici peut imaginer. »


Claris resta silencieuse un moment, ses émotions tourbillonnant dans son esprit. Finalement, elle leva la tête, rencontrant le regard bienveillant de Sebastian.


Claris

(avec un murmure)

« Alors… qu’est-ce que je devrais faire ? »


Sebastian lui sourit doucement, tapotant gentiment son épaule.


Sebastian

(avec une tendresse sincère)

« Ça c’est à toi de le découvrir, Claris. Personne d'autre ne peut te dire ce qui te rendra heureuse. »


Un long silence s’installa entre eux, mais cette fois-ci, il était empli de compréhension mutuelle. Claris se sentit soudain plus légère, comme si un poids venait de s’envoler de ses épaules.


Claris

(déterminée)

« Tu as raison, Sebastian. Il est temps que je trouve ma propre voie… peu importe où elle me mènera. »


Sebastian sourit à nouveau, cette fois avec une certaine fierté.


Claris se tenait debout dans les somptueux quartiers du Seigneur Paimon, les mains jointes, posées délicatement sur sa robe. La lumière douce filtrant à travers les rideaux dorés baignait la pièce dans une atmosphère solennelle. Le Seigneur Paimon l’observait depuis son fauteuil, son regard empli de fierté, mais aussi de curiosité.


PAIMON

(d'une voix grave)

« Quand tu es arrivée ici, tu ressemblais à une mendiante… Une pauvre enfant recueillie par la grâce de mon fidèle Sebastian. »


Il marqua une pause, comme pour évaluer la portée de ses mots.


PAIMON

(plus pesant)

« Aujourd'hui, tu as l’allure d’une véritable noble. »


Son regard se fit plus perçant.


PAIMON

(avec gravité)

« Es-tu prête à embrasser ton existence de serviteur pour mon fils ? »


Claris plongea ses yeux dans ceux du Seigneur. Elle sentit ses mains trembler légèrement, mais elle ne baissa pas le regard.

Après un long silence, elle inspira profondément.


CLARIS

(calme, mais avec conviction)

« Non, mon Seigneur. »


Le Seigneur Paimon arqua un sourcil, visiblement surpris par cette réponse inattendue.


PAIMON

(surpris, presque amusé)

« Pardon ? Ai-je bien entendu ? »


Claris s'inclina respectueusement, les paumes serrées, mais sa voix demeura claire et ferme.


CLARIS

(humble, mais décidée)

« Mon Seigneur… Je vous remercie sincèrement pour tout ce que vous m'avez donné. Vous m'avez offert bien plus que je n'aurais jamais osé espérer. »


Elle fit une courte pause, avalant difficilement sa salive.


CLARIS

(plus grave)

« Mais… je ressens au fond de moi que ma place n'est pas ici, auprès de votre fils. »


Son regard se durcit légèrement, comme si elle se forgeait sur place.


CLARIS

(plus assurée)

« Et pour être honnête, je ne sais pas encore où est ma place. Mais je sais que je ne veux pas passer l'éternité à me poser cette question… sans jamais avoir eu le courage de partir la chercher. »


Un silence dense tomba sur la pièce.

Paimon, immobile, fixait Claris d’un regard insondable.


Elle redressa les épaules, plantant ses pieds dans le sol comme on plante ses racines.


CLARIS

(déterminée)

« Je souhaite parcourir l’Enfer. Explorer ses recoins. Parfaire ma maîtrise de la magie. Et surtout… trouver ma véritable place. »


Elle s'inclina profondément.


CLARIS

(avec sincérité)

« Je n’oublierai jamais ce que vous, Sebastian, et la famille Goetia avez fait pour moi. Vous m'avez transformée et pour ça, je vous serais éternellement reconnaissante. Je suis votre éternelle débitrice. »


Paimon resta silencieux encore quelques instants. Puis, lentement, un éclat presque imperceptible traversa son regard. Il hocha la tête, avec une lenteur lourde de sens.

Son regard pesait sur Claris comme une chape de plomb. Elle sentit son cœur cogner contre sa poitrine, ses jambes faiblir. Puis il prit la parole, d'une voix grave :


PAIMON

(froid, presque neutre)

« Je vois que ta décision est prise. »


Claris ferma instinctivement les yeux, se préparant à des reproches, voire à une punition. Mais le coup ne vint pas. Après un battement lourd, la voix de Paimon reprit, plus douce qu’elle ne l’aurait jamais imaginé :


PAIMON

(souriant légèrement)

« Eh bien… va, Claris. Va chercher ce qu’il te manque. Et si, un jour, tu changes d’avis, sache que ma porte te sera toujours ouverte. »


Claris rouvrit les yeux, d'abord incrédule. Pendant un instant, elle resta figée, incapable de croire ce qu’elle venait d’entendre. Son cœur, qu’elle croyait prêt à exploser sous la peur, manqua un battement. Lentement, la réalité s’imposa à elle. Paimon ne comptait ni la punir, ni la réprimander. Il lui offrait au contraire quelque chose d'encore plus précieux : sa bénédiction. Un vertige de soulagement l'envahit, si puissant qu’elle dut faire un effort pour ne pas chanceler. Ses jambes tremblaient légèrement, mais elle parvint à s’incliner profondément, les yeux brillants d'une émotion trop grande pour être contenue.


CLARIS

(émue)

« Merci… merci du fond du cœur, mon Seigneur. »


Elle se redressa et se tourna pour quitter la pièce, prête à affronter l’avenir incertain qui l’attendait. Juste avant qu’elle n’atteigne la porte, la voix de Paimon résonna de nouveau, plus douce encore :


PAIMON

(avec une sincérité inhabituelle)

« Ce fut un véritable plaisir de te voir devenir une femme aussi forte, Claris. Tu n'as plus rien à voir avec l'enfant apeuré qui est montée dans ma calèche. »


Claris marqua un arrêt. Les mots du Seigneur résonnèrent profondément en elle. Elle se retourna brièvement, hochant simplement la tête, incapable de répondre sans trahir l'émotion qui l'envahissait, puis elle franchit la porte, déterminée à tracer enfin son propre chemin.


À l’extérieur des appartements, Sebastian attendait patiemment. Il semblait savoir exactement comment cette conversation allait se terminer. En voyant Claris sortir, une lueur de fierté traversa son regard.


SEBASTIAN

(avec un sourire satisfait)

« Tu as très bien fait. »


Claris, toujours légèrement déconcertée, s’inclina devant lui avec la grâce d’une véritable aristocrate.


CLARIS

(avec une révérence respectueuse)

« J’imagine que c’est ici que nos chemins se séparent… »


Sebastian haussa un sourcil, une étincelle d’amusement dans les yeux.


SEBASTIAN

(amusé)

« De quoi parles-tu ? »


Claris, confuse, releva la tête, le cœur battant.


CLARIS

(surprise)

« Pardon ? »


Sebastian s’approcha lentement d’elle, posant sur elle un regard aussi bienveillant que déterminé.


SEBASTIAN

(avec douceur)

« Claris, tu es loin d’être une sorcière accomplie. Il va encore te falloir un mentor à la hauteur de ton talent. »


Un sourire malicieux éclaira son visage.


SEBASTIAN

(avec malice)

« Enfin… si tu veux bien de moi, évidemment. »


À peine avait-il fini sa phrase que Claris, submergée par l’émotion, s’élança et se jeta dans ses bras.

Sebastian, légèrement pris de court, referma doucement ses bras autour d’elle, la serrant avec une infinie tendresse, un sourire sincère au bec.


CLARIS

(émue, la voix tremblante mais douce)

« Merci… pour tout, Sebastian. »


Ils restèrent quelques secondes dans cette étreinte silencieuse, lourde de respect et de souvenirs. Puis Claris recula légèrement, essuyant du bout des doigts une larme de joie.


CLARIS

(avec une curiosité joyeuse)

« Alors… où allons-nous maintenant ? »


Sebastian, fidèle à lui-même, esquissa un sourire mystérieux et fit un léger geste de la main, comme s’il désignait l’infini.


SEBASTIAN

(d'un ton tranquille et énigmatique)

« Nous avons encore quelques affaires à régler à Pentagram City. Après cela… hé bien nous verrons. l’Enfer est vaste, et tu n'en a encore rien vu. »


Claris releva la tête, les yeux brillants d’enthousiasme. Elle n’était plus l’enfant fragile qu’il avait trouvée dans une ruelle sombre. Elle était devenue une jeune femme au cœur brûlant de rêves, prête à affronter l’immensité qui s’ouvrait devant elle.


CLARIS

(souriante, avec un éclat de défi)

« Très bien. Alors allons-y. »


Sebastian inclina la tête avec élégance, et ensemble, ils franchirent les grandes portes du manoir Goetia. Dans la nuit lourde et infinie, leurs pas s’effacèrent peu à peu, emportés par les vents d’un enfer encore à découvrir. Un monde sans cartes les attendait. Et Claris était enfin prête à s’y perdre.

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