Le Chameau

Chapitre 4 : IV

Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 08:36

Le Chameau

 

Disclaimer : Harry Potter, noms et lieux sont la propriété de J. K. Rowling et Warner Bros Corp. en leurs titres respectifs.

 


 

IV

 

Les premières heures de la journée passèrent agréablement. Ron et Harry disputèrent une partie d’échecs que ce dernier perdit comme à l’ordinaire, tandis qu’Hermione lisait un vieux grimoire qu’elle avait trouvé sur le bureau de Harry. Pour un peu, l’on se serait cru quelques années plus tôt, à Poudlard, seuls quelques éléments du décor avaient changé. Hermione, qui connaissait un sort pour accorder les instruments de musique, avait réussi à enchanter le piano, qui leur jouait du Mozart sans fausses notes.

 

Harry fut encore plus mauvais qu’à l’ordinaire aux échecs, et se fit battre à plates coutures par Ron. Il ne parvenait pas à se concentrer sur la partie, car il réfléchissait à la meilleure façon d’aborder le sujet qui lui tenait à cœur, qui l’avait conduit à inviter Ron et Hermione. Au vu de leur réaction de la veille, il commençait à comprendre ce qui se passait : le couple en avait vu assez – cela Harry le concevait aisément –, et n’aspirait qu’à profiter de son bonheur et de sa tranquillité. Tous les événements perturbateurs étaient craints et devaient être bannis. Dans ce contexte, Harry ne savait comment réagir. Etait-ce faire preuve d’égoïsme que de vouloir partager des secrets qu’ils n’avaient pas du tout envie d’entendre ? Avait-il le droit de leur demander de partager son fardeau ? D’un autre côté, n’étaient-ils pas des amis ? Ne pouvait-il pas attendre d’eux qu’ils l’aident ? Et les maintenir dans l’ignorance n’était pas non plus la meilleure preuve d’amitié.

 

Tous les arguments, Harry les avait déjà pesés, comparés et analysés bien avant ce moment là, depuis en fait, la fin de sa quête. Mais maintenant qu’il n’y avait plus de délais, ses belles résolutions semblaient sur le point de s’écrouler, ce qu’il excluait revenait à la surface, et il n’en était que plus confus. Mais tôt ou tard, si ce n’était pas Harry qui prenait l’initiative, ce serait Ron ou Hermione. Il en avait déjà trop dit… et pas assez à la fois.

 

Ce fut finalement ce qui arriva, par la bouche pleine de Ron, en plein repas :

 

« Et ch’était quoi ch’que tu voulais nous dire ? Ch’que tu disais dans ta lettre ? »

 

Son ton était léger, mais Harry savait que Ron soupçonnait que ce devait être important. Hermione dévisagea successivement Ron et Harry. Ce dernier s’éclaircit la gorge et s’efforça d’adopter un ton aussi dégagé que possible :

 

« Bon… Je sais que vous ne voulez pas revenir sur ce qu’il s’est passé voici quelques années, et sur les événements, comme ils disent...

 

- Infâme, ce ragoût, tenta Ron. C’est Kréattur qui…

 

- Je vous comprends tout à fait, poursuivit fermement Harry. Moi aussi, j’aurai aimé tirer un trait définitif sur… sur Voldemort, les horcruxes, sur la bataille…

 

- Harry… tenta Hermione.

 

- Laissez-moi finir, je vous en prie… »

 

La voix de Harry était presque implorante. Voyant qu’ils maintenaient le silence, Harry poursuivit plus calmement :

 

« J’ai toujours été étonné de constater que vous n’ayez pas tellement fait preuve de curiosité… Par rapport à ce qu’il s’est passé, ce jour là… »

 

L’atmosphère se figea instantanément. Cela incita Harry à continuer. Il parla presque à voix basse, mais le silence était si profond qu’on l’entendait distinctement.

 

« J’étais seul, face à Voldemort, sans témoins, et je suis ressorti, apparemment vainqueur. L’Ordre m’a gardé à l’abri de la curiosité des journalistes pendant quelques temps, et j’ai rapidement emménagé au douze, square Grimmaurd, où personne ne me connaît. Mais vous qui êtes mes amis, vous n’avez pas voulu savoir comment. Cela m’a intrigué, dans un premier temps, puis fâché même. Si vous refusiez de m’entendre, à qui irai-je me confier ? Dumbledore et Sirius étaient morts, qui restait-t-il ? Puis, j’ai réfléchi plus sereinement, j’ai cru comprendre que vous ne vouliez plus entendre parler de rien, comme pas mal de gens. Tout le monde était occupé à faire la fête, à se réjouir de la mort d’Ils-Savaient-Qui, et personne, ou presque, ne songeait à se demander ce qui s’était réellement passé. Les plus informés savaient que Voldemort et moi nous étions affrontés, et que j’en étais sorti gagnant. Le Ministère a voulu savoir à un moment, puis, trop vexé d’avoir été inefficace, il a fini par faire semblant que je n’existais pas. Quant à vous, vous étiez là, compatissants, présents, mais muets. Pourquoi ? »

 

Ron et Hermione se regardèrent longuement avant qu’Hermione prenne la parole, visiblement émue :

 

« Harry… Oh, Harry… Tu ne comprends pas… Ce n’est pas ça… Nous étions là… Nous voulions… Ecoute, Harry, rappelle-toi de ce qui s’est passé. Tu es allé l’affronter, seul à seul. Nous craignions tous les deux pour ta vie. Puis nous t’avons vu ressortir indemne, enfin, du moins sans aucune blessure physique grave. Mais moralement, tu étais au plus bas. Tu ne te rappelles pas ? Tu ne parlais à personne, tu partais parfois longtemps seul, sans que personne ne puisse te retenir, ni sans que quiconque sache où tu allais… Nous étions morts d’inquiétude, mais nous n’osions pas te demander. Nous avons discuté, entre nous… Nous avons décidé que si tu voulais en parler, c’était à toi de le décider et à toi seul… Nous attendions un signe. Nous ignorions… nous ne pouvions pas savoir que toi, tu attendais au contraire que l’on vienne te questionner… Je comprends quelle a dû être ta frustration. Et puis, tu es parti si rapidement, d’abord dans un endroit connu de toi seul, puis au Square Grimmaurd. Quand tu nous as annoncé que tu étais installé au Douze depuis une semaine, nous n’avions plus de nouvelles depuis un mois ! Tout cela nous confortait dans notre idée qu’il ne fallait pas te déranger, que tu ne voulais parler à personne… Et voilà que maintenant, tu nous dis que tu attendais que l’on vienne ! Je suis tellement… désolée… Harry ! »

 

Elle ferma la bouche dans un soupir. Des ébauches de larmes perlaient à ses yeux noisette. Ron prit la parole à son tour, la voix étrangement enrouée :

 

« Je ne dis pas qu’on voulait absolument replonger dans cette horreur, Harry. Vold… Voldemort était mort et on en était tous bien contents, plus décidés que jamais à profiter de la vie… Et puis, Hermione et moi, on sortait ensemble alors… Je ne sais pas, Harry. On aurait peut-être pu mieux faire, mais… ce qu’à dit Hermione est vrai : on croyait que tu voulais rester seul… J’ai plusieurs fois hésité à arriver au Douze sans prévenir, pour te forcer à reprendre contact avec des gens mais… Hermione, Remus, Ginny, les autres… Tout le monde pensait que tu ne voulais pas de nous. Et puis, les rares fois où on se voyait, on ne parlait que de choses banales : joyeux Noëls etcetera. Donc, tu vois…

 

- Je vois, fit Harry, ému, lui aussi. Je comprends. Vous n’aviez peut-être pas tout à fait tort, de toute façon. Je ne sais pas. J’ai été seul pendant si longtemps, j’en ai presque oublié la raison. Mais je ne l’ai pas été de gaieté de cœur, croyez-moi. Je n’avais, à vrai dire, pas vraiment le choix. Des… choses… me retiennent au Douze. Des obligations. C’est la principale raison pour laquelle je me suis isolé, pour laquelle j’ai emménagé en cachette au Douze, en fait, c’est plutôt pour m’abriter, moi et…d’autres choses. »

 

Un silence vigilant accueillit ces paroles.

 

« C’est pour ça que… reprit-il d’une voix hésitante. Que je voulais vous voir. Enfin, en partie. Mais j’hésite. J’ai longtemps gambergé entre le oui et le non, je ne savais pas dans quelles dispositions vous étiez, je ne voulais pas vous déranger. C’est pour ça que je veux maintenant que vous me donniez votre accord.

 

- Un accord pour quoi ? demanda Ron.

 

- Je… Je voudrais simplement pour commencer… que vous acceptiez de m’écouter.

 

- Ce n’est pas ce que nous faisons déjà maintenant ? s’indigna Hermione. Mais bien sûr qu’on est d’accord, n’est-ce pas, Ron ?

 

- Ce n’est pas tout, dit Harry sans laisser à Ron le temps d’approuver. C’est vrai que vous m’écoutez maintenant, et j’en suis très heureux, mais, ce qu’il me reste à vous dire sera autrement plus important et plus… pénible, pour moi comme pour vous. Ce n’est pas une simple confidence entre amis. Ce n’est pas facile à entendre, croyez-le bien.

 

- Nous sommes prêts, fit Ron, solennellement.

 

- Ce n’est pas encore fini, poursuivit Harry avec un fin sourire. Vous devez également me promettre de ne rien dire de cela à personne. Et quand je dis personne, cela veut dire absolument personne : pas même Ginny, ou Fred et George.

 

- Eh bien, hasarda Hermione sans grande conviction. Je crois que… dans la mesure où ce ne serait pas contraire à la…

 

- Hermione ! se récria Harry. Il n’est pas question de conditions. Il s’agit d’un serment : je suis navré, mais je veux un oui ou un non.

 

- Pour moi c’est oui, Harry, déclara Ron. »

 

Hermione se fit prier avant d’accepter elle aussi de mauvaise grâce. Puis Harry prit une longue inspiration et eut un léger sourire heureux. Enfin allait cesser ce temps du secret et de la dissimulation. Vis-à-vis de ses autres anciens camarades d’école, de l’Ordre du Phénix, du Ministère de la magie, du monde entier même, cela ne le gênait pas outre mesure de conserver le silence sur le fait qu’il abritait au Douze un passager clandestin génocidaire et de terribles secrets. En revanche, le cacher à Ron et à Hermione, qui n’avaient jamais eu pour lui aucun secret, cela avait été une douleur moins physique, mais aussi persistante que celle qui prenait place sur son front quand son hôte et lui étaient face à face. Ses doutes et ses craintes venaient de s’envoler : enfin, il ne serait plus seul face aux résidus toxiques de son passé ; et peut-être serait-il prêt à réenvisager l’avenir.

 

« Venez ! s’exclama-t-il, heureux comme un gamin impatient de montrer ses trésors.

 

- Mais… on n’a pas fini de manger, protesta Ron.

 

- Tu tiens réellement à manger ça ? questionna Hermione, que l’enthousiasme de Harry rendait joyeuse elle aussi.

 

- Hermione, tu n’as pas honte de critiquer la cuisine de Kréattur ? fit sournoisement Harry.

 

- C’est vrai ça, renchérit Ron en se levant. Que diraient les nombreux membres de la SALE s’ils apprenaient que leur présidente crache sur la cuisine elfique ? »

 

Hermione estima préférable de ne pas réagir. Elle et Ron suivirent Harry dans les couloirs du Douze. Ce dernier les emmena dans les environs de la pièce souterraine où il dissimulait…

 

La bonne humeur de ce dernier disparut aussi rapidement qu’elle lui était venue. Il en avait presque oublié ce qu’il avait à leur montrer, et il ne concevait pas que cela puisse se faire dans la joie, tant le sujet ne prêtait pas au rire. Bien au contraire, ce que Harry recelait dans cette salle blindée des sortilèges les plus puissants qu’il connût – et probablement qu’il existât dans le monde – consistait à la fois son destin, son drame et son sacrifice. L’expression de sa plus profonde et plus sincère loyauté au souvenir de ce qu’avait été Albus Dumbledore, la preuve qu’il était bel et bien « l’homme de Dumbledore », jusqu’au bout – et bien au-delà.

 

Il descendit les marches de l’escalier qui menait au sous-sol, et chacun de ses pas était plus lent que le précédent. Ron et Hermione ne disaient rien, même s’il était clair qu’ils avaient remarqué le trouble du propriétaire des lieux.

 

« Harry… fit Hermione. Si tu n’es pas encore prêt… tu n’es pas obligé de nous parler… ou de nous montrer…

 

- Si, ragea Harry en serrant les dents. Il le faut. Vous devez… »

 

Il ne termina pas sa phrase. Ils étaient parvenus là où ils devaient arriver : la grande porte de métal qui donnait accès à la salle interdite.

 

« Ca a l’air vachement solide, dit Ron. C’est quoi comme matière ? De l’acier ? »

 

Il tendit la main vers le métal, mais Harry ne lui laissa pas achever son geste : à l’instant où Ron allait toucher la porte, ce dernier fut propulsé en arrière contre Hermione. Harry n’avait même pas élevé la main.

 

« Ne touche pas, précisa-t-il, bien inutilement.

 

- Harry, reprocha Hermione avec lassitude. Pourquoi faut-il toujours que tu…

 

- C’est dangereux ! rétorqua l’intéressé en faisant apparaître dans sa main le trousseau de lourdes clés en fonte. Il y a des sortilèges là-dessous, et ça ne pardonne pas, crois-moi, à moins que tu ne veuilles passer le restant de tes jours avec un éclopé diminué… »

 

Il les laissa méditer sur ces paroles en psalmodiant les incantations nécessaires. Il passa à nouveau sa main dans la gueule de la gargouille et prononça le mot de passe. Enfin il fit jouer le loquet de la serrure et poussa la porte. Cette fois, le temps des délais était définitivement révolu. Il les laissa entrer dans la salle plongée dans la pénombre.

 

Il agita sa baguette sans la retirer de sa poche, et une lumière diffuse se répandit sur un carrelage noir, brillant comme un miroir. Aucune impureté ni saleté ne devait persister en cet endroit. La pièce était presque parfaitement circulaire, et les murs étaient ornés de belles fresques colorées représentant des scènes mythologiques. Cinq présentoirs de bois d’ébène étaient disposés à égale distance du centre de la pièce, formant un pentagone parfait. En dehors de cela, la pièce était tout à fait vide.

 

« Mais…

 

- Ce sont les…

 

- Horcruxes ! acheva Ron d’une voix éteinte. »

 

Sur les présentoirs cylindriques étaient posés des objets sous des cloches de cristal. Il y avait un vieux livre, une lourde chaîne à laquelle pendait un médaillon doré, une coupe ouvragée, une chevalière sertie d’une pierre noire, et un bel anneau d’argent soudé à un aigle aux ailes de diamant. Presque tous ces objets étaient abîmés ou brisés : le livre était éventré par le milieu, la coupe était largement ébréchée, la pierre noire de la chevalière était brisée et les ailes de l’aigle sur l’anneau d’argent étaient détachées du reste du corps. Seul le médaillon semblait ne pas avoir subi d’altérations. Harry se plaça au centre de la pièce, l’estomac noué par l’émotion. Il prit la parole d’une voix d’outre-tombe :

 

« Ron Weasley, Hermione Granger, vous êtes mes meilleurs amis, et je bénis ce jour de septembre où je fis votre rencontre dans le Poudlard Express. Je ne veux avoir pour vous aucun secret. Je vais tout vous expliquer, mais je vous en prie, ne m’interrompez pas. Vous pourrez me poser vos questions après si vous y tenez, mais en attendant, laissez-moi parler jusqu’au bout. »

 

Hermione et Ron approuvèrent dans un engagement muet. La première regardait la pièce d’un air abasourdi et le second se penchait sur le médaillon doré.

 

« Vous avez devant vous l’ensemble des horcruxes, ceux-là même que Tom Elvis Jedusor créa dans l’espoir de triompher de la mort. Dès la fin de sa scolarité, celui qui allait devenir Lord Voldemort scinda successivement son âme en portions toujours plus petites, et les inséra dans le plus grand secret, en quelques années et l’une après l’autre, dans ces objets symboliques ou de grande valeur. Son ambition avouée était de triompher de la mort, objectif qu’il ne pouvait atteindre qu’en enfermant des parcelles de son âme dans ces horcruxes. Vous le savez, ce procédé de magie noire nécessite à chaque fois la mort d’un individu pour être accompli, et il déracina peu à peu ce qu’on pouvait trouver d’humanité en Jedusor.

 

« Après force conjectures et vérifications d’hypothèses, Albus Dumbledore, directeur de Poudlard de l’époque, perça le secret de celui qui avait été son élève. Vous savez qu’avant de mourir, ce dernier me donna pour mission de les détruire, car il savait qu’il me serait impossible de triompher de Jedusor avant qu’ils ne soient tous rendus inoffensifs. Je vous ai déjà raconté une première fois l’histoire de certains de ces objets, du moins ce que j’en savais à l’époque d’après les récits de Dumbledore, et vous vous êtes porté volontaires pour participer à la quête qui m’avait été dévolue par lui. Nous nous y sommes attelés tous les trois pendant la durée de ce qui aurait dû être notre dernière année à Poudlard. Ce que j’ambitionne de faire maintenant, c’est de vous présenter l’histoire complète des ces objets. Je serai obligé de revenir sur certains points que vous connaissez déjà, mais c’est indispensable pour votre compréhension de ce qui suivra, et cela fait tellement longtemps que nous ne sommes pas revenus sur le sujet que vous avez peut-être oublié certains détails. J’en ajouterai d’autres que vous ignorez. J’ai positionné les horcruxes dans l’ordre probable de leur création par Voldemort. Ce ne sont que des conjectures, il n’est pas possible de savoir avec certitudes toutes les dates, bien que je me sois longtemps et avec assiduité penché sur le problème. Commençons par le plus facile, la bague des Gaunt. »

 

Harry se déplaça vers le présentoir qui portait la bague. Il s’agissait d’une grande chevalière, sertie d’une pierre noire brisée, et gravée de l’écusson des Peverell. Il commença son récit d’une voix sombre et grave :

 

« Vous connaissez l’histoire de cette bague. Elle appartenait à Salazar Serpentard lui-même, et est restée, transmise de génération en génération, chez ses descendants directs, la famille Gaunt, les ancêtres de Voldemort du côté maternel. Le vieil Elvis Gaunt légua la bague à son fils Morfin, qui n’était autre que l’oncle de Voldemort. La nuit où il assassinait son père et ses grands-parents paternels, Voldemort déroba la bague des Gaunt avant de modifier la mémoire de son oncle Morfin pour le convaincre qu’il était responsable du triple meurtre. Je n’ai pas réussi à déterminer précisément la date à laquelle Voldemort catapulta un septième de son âme dans la chevalière, mais ce fut probablement le premier horcruxe qu’il fabriqua. Il le cacha dans les ruines de ce qui avait été la maison des Gaunt, non loin du manoir de Little Hangleton, dans les environs des lieux où avaient vécu aussi bien ses ancêtres du côté paternel que du côté maternel. Dumbledore la repéra après bien des recherches, et il parvint, en y laissant une main tout de même, à s’emparer de la bague, et, plus extraordinaire encore, à en extraire le premier Septième d’âme, en la fendant du même coup. Tout cela, sans que Voldemort ne s’en aperçoive. Je m’étonne encore de l’extraordinaire génie de Dumbledore… Combien d’années de recherches et de fouilles furent-elles nécessaires pour déterminer l’emplacement de ce horcruxe ? Quel esprit génial ne réclamait pas la déduction de tant d’hypothèses, fondées sur le seul et mince élément qu’il avait – le souvenir tronqué du professeur Slughorn qui avait enseigné à Voldemort – ? Dumbledore, fort logiquement, rapatria la chevalière dans son école, et la porta même un moment. Après son… assassinat, la bague resta dans le bureau de Dumbledore, dans une armoire, entre deux grimoires. Le testament de Dumbledore exigeait qu’elle me soit transmise, et sa volonté fut respectée. »

 

Harry fit la pause nécessaire au déplacement vers le vieux livre éventré juste à côté, et reprit sur le même ton, qu’il essayait sans beaucoup de succès de rendre froid et détaché :

 

« Vous ne connaissez qu’une partie de l’histoire du journal intime de Jedusor. Il s’agit également d’un des premiers Horcruxes. Il ne s’agit pas cette fois d’un objet précieux, mais il l’était aux yeux de Voldemort, qui y voyait le compagnon de sa jeunesse perdue et surtout la preuve de sa noble ascendance. Voldemort, dans son souci de les éloigner de lui de manière à minimiser les risques, choisit, bien des années après la transformation du livre en horcruxe, de le confier à Lucius Malefoy, son plus fidèle lieutenant, en évitant de lui expliquer exactement de quoi il en retournait. Il lui a cependant confié qu’il s’agissait également d’une arme capable d’imposer sa volonté, mais lui a interdit d’en faire usage tant qu’il ne lui donnerait pas son feu vert.

 

« Son maître anéanti, Lucius ne craignait plus autant de faire usage du livre dont Voldemort lui avait dit qu’il provoquerait la réouverture de la Chambre des Secrets. Il espérait tout à la fois se débarrasser de cet objet compromettant et faire renvoyer Dumbledore de son poste de directeur. Il a glissé le livre dans les affaires de Ginny. Vous savez également que Ginny, sous l’influence de ce que lui dictait le journal, a ouvert la Chambre des Secrets et à libéré le basilic qui s’y trouvait. C’est finalement moi qui ait, après le combat contre le basilic, détruit le livre au moyen d’un crochet du serpent. C’est donc à treize ans que, sans le savoir, j’ai anéanti mon premier horcruxe. J’ai rendu le livre à Malefoy père pour libérer Dobby.

 

« Ce n’est que plusieurs années après que je suis allé récupérer la dépouille du livre dans le manoir Malefoy, vide et sur le point de tomber en ruine. Après l’épisode de la Chambre des Secrets, Lucius a légitimement craint de se trouver impliqué dans l’affaire. Il avait bien entendu peur qu’on vienne lui demander des comptes, mais il n’osait pas détruire ce que son ancien maître lui avait présenté comme extrêmement précieux et à garder en totale sécurité, même s’il avait été troué par la dent d’un basilic. Il décida alors de dissimuler le livre au fin fond de sa cave secrète sous le parquet du grand salon dans un coffre bardé de sortilèges. Il y a eu plusieurs enquêtes menées par le Ministère au sujet de certaines possessions douteuses de la famille Malefoy, et faites par les sorciers les plus compétents, dont ton père Ron, mais jamais ils ne parvinrent à ouvrir ce coffre, et ils finirent par abandonner. Le jour où je m’y suis moi-même attelé, j’ai beaucoup appris en matière de sortilèges d’inviolabilité. J’ai eu beaucoup de mal à ouvrir ce coffre, mais j’y suis finalement parvenu, et j’ai repris certaines méthodes de ce bon vieux Lucius pour la protection de cette pièce-ci. 

 

« Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce simple journal acheté chez les Moldus aura connu une vie mouvementée, passant des mains de Voldemort, à celles de Lucius, puis de Ginny, puis les miennes, puis à nouveau celles de Lucius, pour en revenir finalement aux miennes, tout en se faisant au passage transpercer par les crochets d’un basilic… Lorsque Voldemort a réapparu à la fin de notre quatrième année à Poudlard, je ne crois pas que Lucius ait osé immédiatement lui avouer que par sa faute, l’objet que son maître lui avait confié bien des années auparavant avait été détruit, mais Voldemort sait délier les langues quand il le veut, et – je tiens l’information de Dumbledore – il a été extrêmement en colère. Passons au suivant. »

 

Harry se tourna vers la coupe d’or aux anses finement ciselées, qui était la suivante dans le lent tour de la pièce qu’il était en train d’effectuer dans la salle, suivi par Ron et Hermione pendus à ses lèvres. La coupe arborait un blason en forme de blaireau, l’emblème de Poufsouffle, et il manquait une bonne partie de sa paroi d’or, qui était disposée juste à côté.

 

« Voici la coupe de cette chère Hepzibah Smith. Elle a appartenu à la lointaine aïeule de cette dernière, Helga Poufsouffle elle-même. Je n’ai pas expérimenté tous ses pouvoirs, parce qu’on ne trouve aucun texte ou presque mentionnant cette coupe, mais quelques expériences ont prouvé qu’Helga Poufsouffle n’a pas usurpé les talents d’exceptionnelle botaniste que lui prêtent les historiens, puisque la moindre goutte d’eau versée depuis cette coupe fait pousser un séquoia en moins de trente secondes, et serait capable de tuer un régiment de Trolls par excès de croissance. C’est à ce jour la seule propriété de taille que j’ai pu lui trouver, mais les pouvoirs de cette coupe ne m’intéressent guère, revenons à l’histoire.

 

« Vous savez que Voldemort venait chez Smith, richissime collectionneuse d’objets d’art, parce qu’il savait qu’elle possédait le médaillon de Serpentard. Hepzibah ne fit pas trop de difficultés à se laisser séduire par Voldemort, qui, jeune homme engageant, venait souvent parler affaire devant elle et négocier l’achat ou la vente d’objets précieux. Il y parvint tant et si bien qu’elle eut la sottise de lui montrer également la coupe de Poufsouffle. Lorsque cette idiote d’Hepzibah lui montra la coupe, il comprit l’intérêt qu’il pouvait en retirer, et n’hésita pas à l’assassiner. Il s’empara de la coupe et du collier de Serpentard, et fit accuser l’elfe de maison de sa victime, reprenant la même technique qui avait si bien fonctionné avec Morfin.

 

« Vous étiez auprès de moi lorsque nous avons trouvé la coupe, sans l’aide de personne. Il a fallu toute l’intelligence d’Hermione, et beaucoup de chance également, pour trouver sa cachette. Nous avons découvert comment Beurk, qui était à l’époque l’employeur du jeune Jedusor, a surpris son retour au magasin, l’objet de son forfait entre les mains. Il réussit à dissimuler le médaillon. Beurk connaissait Hepzibah et savait bien qu’elle n’aurait pour rien au monde vendu l’objet qui avait appartenu à son ancêtre, mais Jedusor, ne voulant pas indisposer son patron qui lui était bien utile, prétendit qu’elle la lui avait donnée gratuitement par preuve d’affection, et ajouta qu’il la cédait bien entendu à l’établissement, puisque c’était dans le cadre d’une mission pour cet établissement qu’il prétendait avoir reçu ce cadeau. Peut-être Jedusor a-t-il modifié sa mémoire, mais tout porte à croire au contraire que Beurk, trop content d’acquérir un bien d’une si grande valeur gratuitement, fit semblant de le croire. Il ne broncha même pas lorsqu’il apprit par la suite qu’Hepzibah était morte d’un prétendu empoisonnement accidentel par son elfe de maison.

 

« Voldemort fit de la coupe le récipient du troisième Septième d’âme, dans l’ordre chronologique. Il travailla encore pendant un très court moment chez Barjow et Beurk, semblant s’accommoder de la situation. Il gardait un œil vigilant sur la coupe, déployant toute sorte de stratagèmes pour éviter qu’on ne la vende. Son prix n’était bien sûr pas à la portée du premier venu, mais c’eût été prendre un risque inconsidéré de la laisser partir avec n’importe quel milliardaire. Au lieu de cela, Jedusor tenta une subtile série de manipulations sur son employeur, usant de son influence et du respect qu’il avait rapidement su acquérir auprès de lui, et il parvint à le convaincre de ne pas vendre la coupe, dont il révéla certains des pouvoirs à Barjow pour achever de le persuader de la garder par devers lui. Barjow devint un pantin dans les mains de Voldemort, qui lui ordonna de prendre les mesures de sécurité les plus sévères vis-à-vis de l’objet. Jedusor finit par estimer que la coupe ne serait pas plus en sécurité chez Barjow et Beurk qu’ailleurs, d’autant qu’il lui importait de veiller à ce que les horcruxes restent perpétuellement loin de lui. Il prit le parti de laisser Barjow s’occuper de la sécurité de la coupe. Ce dernier ne se fit pas prier, et vous êtes bien placés pour connaître les difficultés que nous avons eues à forcer l’entrée. »

 

Ron fit un signe d’acquiescement entendu, et Hermione hocha la tête affirmativement. Les souvenirs épiques de leur intrusion chez Barjow, lorsqu’ils avaient entendu des rumeurs de la présence de la coupe, revinrent dans l’esprit de Harry, presque nostalgique. C’était encore au temps où rien n’était décidé, songea-t-il avec amertume. Ron et Hermione s’étaient tous les deux adossés au mur et écoutaient attentivement et sérieusement

 

« Nous avons demandé à Slughorn – qui était le seul avec nous et Voldemort à savoir qu’il existait des horcruxes – de détruire la coupe, qu’il m’a ensuite renvoyée, ébréchée, mais débarrassée du morceau d’âme.

 

« Je ne vous ai pas appris grand-chose pour l’instant, si ce n’est certains détails que vous ignoriez – les pouvoirs de la coupe, la façon dont j’ai récupéré le journal intime, etc. –, mais rassurez-vous, vous allez en apprendre suffisamment aujourd’hui pour avoir un sujet de conversation pour les deux ans à venir. Je continue mon petit tour de la pièce. »

 

Il fit une longue pause et prit une douloureuse inspiration. Il avait commencé par le plus facile, car Ron et Hermione étaient partiellement au courant, mais il avait maintenant à leur expliquer des choses qu’ils ignoraient, qu’il avait gardé sur le cœur pendant tant de mois de solitude qu’il avait du mal à concevoir qu’il était sur le point de tout révéler.

 

« Ce que vous avez devant vous n’est pas la réplique du médaillon des Gaunt, avança-t-il résolument, provoquant la stupéfaction de Ron et d’Hermione. Il s’agit de l’original. L’unique collier de Serpentard, vieux de mille ans. Il atterrit également dans la famille Gaunt, en la personne de Mérope, la mère de Voldemort. Lors de sa grossesse, Mérope, abandonnée des siens, désespérée, aux abois, privée volontairement ou involontairement de l’usage de la magie, trouva comme unique solution pour satisfaire ses besoins de femme enceinte la vente de l’unique bien de valeur qu’elle possédait. La seule adresse était Barjow et Beurk, dont le tenancier de l’époque ne se priva pas, comme à son habitude, d’escroquer Mérope. Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’Hepzibah Smith acheta l’objet, et qu’il fut ensuite dérobé en même temps que la coupe par Voldemort, qui y catapulta un nouveau septième d’âme.

 

« Bien des années plus tard Dumbledore repéra l’emplacement du supposé horcruxe dans une grotte au bord de la mer. Vous savez que je lui ai demandé de l’accompagner lorsqu’il jugerait que le moment serait venu de s’en emparer. Nous parvînmes, au prix d’un grand affaiblissement pour Dumbledore, à le dérober et à quitter les lieux saufs. Dumbledore était très diminué, et il ne manifesta presque aucune résistance quand… enfin… vous savez ce qu’il s’est passé… »

 

Harry eut du mal à déglutir, il regarda son reflet dans le carrelage de la salle aux pieds de Ron et d’Hermione. Pourquoi était-ce si difficile de parler de cela ? N’était-ce pourtant pas une vieille histoire, censée assimilée ? D’amertume, Il sourit intérieurement à cette pensée : la mort sous ses yeux du directeur de Poudlard resterait encore longtemps le sujet de bien de ses cauchemars. Harry se força à poursuivre, ignorant les signaux d’aide d’Hermione et l’ébauche d’une phrase de Ron. Sa voix était dure, mais c’était pour mieux s’assurer qu’elle ne se briserait pas en cours de route :

 

« Drago Malefoy n’eut aucun mal à immobiliser Dumbledore, mais vous savez comme moi qu’il est plus doué dans la parole que dans les actes. Il échoua dans sa tentative de rassembler suffisamment de volonté pour achever sa mission : assassiner Dumbledore. Ce fut donc… – La voix de Harry parût un instant sur le point de dérailler – ce fut donc Severus Rogue qui se chargea lui-même de la mission de son protégé. Ne m’en veuillez pas de ne pas m’appesantir sur cette trahison, mais je peux pas, je n’en suis pas capable… Je crois qu’il est finalement heureux que Dumbledore n’en ait connu la douleur que les quelques instants qui précédèrent sa mort. Mais revenons au médaillon. Je l’ai récupéré sur le corps inerte de Dumbledore, et je n’ai eu aucune difficultés à l’ouvrir, trouvant ce petit mot laconique énigmatiquement signé R.A.B., dont nous n’avons jamais pu déceler l’identité. Nous avons fondé toutes sortes d’hypothèses, mais toutes ces suppositions ne nous permirent pas d’approcher la vérité. Lorsque nous sommes parvenu à la conclusion que nous ne parviendrions probablement jamais à découvrir l’identité de ce mystérieux R.A.B., nous avons choisi de nous concentrer sur la recherche des horcruxes pour lesquels nous avions des hypothèses plus sérieuses, à commencer par la coupe de Poufsouffle, que nous avons trouvée chez Barjow et Beurk dans les circonstances que j’ai rappelées.

 

« Après la découverte et la destruction du cinquième horcruxe, l’anneau de Serdaigle, dont je parlerai après, nous nous sommes retrouvés confrontés à un aléa terrible et déterminant : nous savions que R.A.B. s’était emparé du vrai médaillon, qu’il avait remplacé par une grossière réplique agrémentée de son petit mot ironique, mais nous n’avions aucun moyen de déterminer avec certitude si le dénommé R.A.B. avait mis la menace dont il parlait dans la lettre à exécution. Nous ne pouvions pas savoir s’il avait effectivement détruit le horcruxe comme il le prétendait. Lorsque j’ai affronté Voldemort, je savais que je prenais le risque énorme d’être dans l’impossibilité de vaincre réellement, dans le cas où R.A.B. n’avait pas pu, ou n’étais pas parvenu à détruire le médaillon. »

 

Harry fit une courte pause, le temps de prendre son inspiration, et poursuivit son récit :

 

« J’entre maintenant dans une partie de l’histoire que vous ne connaissez pas et qui risque de vous intéresser au plus haut point. L’action se passe bien après mon combat contre Voldemort, ici même, au Square Grimmaurd. C’était il y a environ trois ans. J’étais désœuvré ce jour là, sans grande envie de travailler la magie, et j’avais décidé de rendre habitable quelques pièces du Douze que je n’utilisais jamais, au cas où elles devraient s’avérer utiles un jour. J’ai désinfecté quelques pièces avec l’aide aimable de Kréattur, et je suis retombé sur l’arbre généalogique de la famille Black. Je connaissais déjà les ancêtres de Sirius, les accointances de sa famille avec les Malefoy, sa cousine Lupin née Tonks, etc., mais je suis retombé sur une personne dont j’avais complètement oublié l’existence : Regulus Black, le jeune frère de Sirius. Vous vous souvenez comme nous avons épluché des quantités de bouquins dans l’espoir de trouver une référence à quelqu’un dont les initiales seraient R.A.B., sans succès. C’a été un réflexe. Le « r » et le « b » y étaient, j’ai eu une sorte d’électrochoc, et je me suis mis à la recherche du « a ».

 

« Vous savez qu’il est d’usage dans les vieilles familles de sorciers de donner comme second prénom celui d’un ancêtre : mon second prénom est James, comme mon père, celui de Ron, Bilius, comme son oncle, etc. Dans une famille ancienne comme celle des Black, il n’y avait aucune raison pour que cela ne soit pas le cas, et on compte effectivement parmi les ancêtres de Regulus un dénommé Alphart. Je tenais mon « a », le tour était joué ! En même temps, l’hypothèse que je venais d’échafauder me paraissait extrêmement incroyable, et j’ai rapidement déchanté lorsque je me suis souvenu que Sirius m’avait dit que son frère avait été un Mangemort avant de se faire assassiner par les sbires de Voldemort. Le mobile du meurtre m’était inconnu, mais ce n’était certainement pas pour le punir d’avoir dérobé le horcruxe, puisque nous avons la preuve que Voldemort ignorait que le médaillon authentique avait disparu de sa cachette. Si Voldemort l’avait su, il aurait réagi, il aurait tenté de le retrouver et de le cacher dans un endroit encore plus sûr. En tous cas, nous pouvons être certains que Voldemort n’aurait pas replacé le faux médaillon dans sa cachette, avec le mot insultant qu’il contenait, après avoir découvert la substitution.

 

« La thèse R.A.B. égale Regulus Alphart Black m’apparaissait donc bien fragile. Je n’ai cependant pas abandonné l’hypothèse pour autant. Même s’il apparaissait a priori improbable qu’un Mangemort – que Sirius décrit comme couard et faible –, ait d’abord eu connaissance de l’existence du horcruxe, puis qu’il ait consciemment voulu détruire l’instrument de l’immortalité de son maître, et même si je pensais impossible qu’il y soit parvenu seul et sans dommage, alors que vous connaissez les difficultés que Dumbledore et moi-même avons essuyées dans la même tentative ; il fallait que je vérifie toute éventualité. Vous savez que je déteste cela : j’ai été contraint de recourir à la réputation que j’ai acquise pour obtenir de plus amples informations sur Regulus. J’ai dû parler au ministre pour obtenir l’autorisation de consulter les actes de naissance et de décès du Ministère sans avoir à donner de justification. Il était trop content de me voir – ou plutôt trop heureux d’être vu en ma présence – pour avoir le cœur de refuser ma demande. Je ne lui ai pas donné le temps de m’inviter à une énième cérémonie de remise de décoration de je ne sais quel ordre du mérite : je suis immédiatement descendu au service des archives avec l’autorisation. Les archives ne m’ont apporté qu’une confirmation à la fois de taille et un peu décevante. Le second prénom de Regulus était bien Alphart. J’avais enfin mon R.A.B.

 

« La combinaison de ces trois initiales est assez peu fréquente, mais cela ne constituait pas une preuve qu’il s’agissait bien de lui. Il n’y avait dans le dossier aucune précision au sujet de l’identité de son assassin. Les Aurors et les services de la police magique n’ont pas fait de difficultés à accepter que Harry Potter jette un œil sur le dossier qui concernait l’assassinat de Regulus Black, d’autant que le délai de prescription était presque atteint. Le dossier était maigre et les feuilles de parchemins jaunies par le temps. Dans les grandes lignes, le dossier indiquait qu’on avait retrouvé un beau matin le corps sans vie de Regulus Black, non loin du Square Grimmaurd. A l’époque, vous le savez, c’était la débâcle dans les services de police et chez les Aurors. On avait d’autres kneazles à fouetter que de spéculer sur l’assassin d’un ancien Mangemort. Un témoin moldu a affirmé avoir vu des hommes cagoulés dans les parages du meurtre, et on en a déduit que cela devait être un règlement de compte entre Mangemorts. C’est tout aussi bien, pensèrent les enquêteurs, puissent les loups continuer de se manger entre eux, c’est toujours cela de pris.

 

« Après l’enquête bâclée, on enterra Regulus dans la fosse familiale des Black, dans le cimetière de Londres.

 

« Je me suis mis en quête de personnes susceptibles de me parler de Regulus, de m’en apprendre un peu plus sur lui. McGonnagal m’a transmis sans broncher une copie de son dossier scolaire, où il n’y avait rien d’intéressant. J’ai eu également recours à sa mémoire infaillible pour obtenir des informations sur ses amis, mais il m’est apparu qu’il s’agissait exclusivement de Mangemorts qui étaient soit morts, soit portés disparus depuis longtemps. McGonnagal m’a appris notamment que Regulus Black et Severus Rogue, malgré les quelques années de différence d’âge qui les séparaient, avaient des relations plus ou moins amicales. Malheureusement, vous vous doutez bien que ce n’est pas à Rogue que j’allais demander des explications.

 

« C’est alors que j’ai eu l’idée lumineuse de comparer l’écriture du billet que nous avions trouvé dans le faux médaillon avec celle des devoirs de Regulus pendant sa scolarité. McGonnagal fit des difficultés à ressortir quelques devoirs jaunis des archives de Poudlard, d’autant que je refusais toujours de lui en expliquer la raison. Mais que refuse-t-on à quelqu’un qui a sauvé deux fois le monde ? Elle a fini par accepter, et j’ai eu la confirmation ce jour là, sans aucun doute possible, que R.A.B. était bien Regulus Alphart Black : les écritures étaient absolument identiques.

 

« Malgré cette certitude, la première partie de mon enquête s’était soldée par un échec : je n’avais toujours pas d’informations intéressantes au sujet de Regulus. Toutefois, il me restait un atout dans la manche : je vivais dans la maison même ou Regulus avait passé une partie de sa vie, c’aurait été le diable que je ne trouve rien qui puisse me renseigner sur lui. J’ai commencé par interroger le portrait de Phinéas Nigellus, le lointain ancêtre des Black. Il s’est avéré être une mine d’informations, même s’il n’a pas manifesté un grand enthousiasme à subir l’interrogatoire. J’ai eu également un autre informateur particulièrement concerné par les événements, dont je vous parlerai après. Je vous passe les considérations sur l’enfance de Regulus, et le progressif éloignement affectif par rapport à son frère aîné, qui se catalysa à Poudlard. Il devint Mangemort de son plein gré, réjouissant les aspirations de ses parents et s’éloignant encore davantage de son frère qui s’engageait activement dans la lutte contre Voldemort.

 

« Je ne sais à ce sujet que ce qu’à bien voulu me confier Phinéas, mais je crois que le spectaculaire revirement de Regulus date de ses premiers services ordonnés par Voldemort. Tout ce que je m’apprête à vous dire maintenant ne sont que des hypothèses, car il m’a été impossible de rassembler des informations complètes sur la période qui s’étend de la fin de la scolarité de Regulus jusqu’à sa mort. Voici néanmoins mes suppositions.

 

« Il y a tout lieu de croire qu’il s’est un jour rendu compte de l’horreur des exactions que son maître lui ordonnait d’accomplir, et de plus, il n’y avait plus personne pour être fier de lui et l’encourager dans cette voie car ses parents venaient de mourir. Il s’est retrouvé seul face aux meurtres qu’il avait commis, et a décidé assez courageusement – peut-être le courage était-il finalement une caractéristique de la famille Black – de retourner sa veste. J’imagine que Regulus a été suffisamment intelligent pour ne pas se déclarer immédiatement et ouvertement contre le Seigneur des Ténèbres, ce qui lui aurait valu d’un côté la colère de Voldemort, et de l’autre la vengeance de ceux qui, par sa faute, avaient perdu un parent ou un ami. Il est resté dans l’ombre pendant un certain laps de temps, mais il est certain qu’à un moment, il a dû surprendre une conversation particulièrement importante que tenaient son ancien maître et Lucius Malefoy.

 

« Cette conversation portait sur un objet que Voldemort voulait confier à Lucius, un vieux livre noir qui ressemblait à un journal intime. Il entendit son ancien maître ordonner à Lucius d’en prendre bien soin, de le garder à l’abri des voleurs et de le cacher dans un endroit où personne ne le trouverait. Regulus a dû s’interroger longtemps sur ce qu’était ce journal, et sur la raison qui poussait Voldemort à prendre tant de précautions au sujet d’un objet qui paraissait banal et sans valeur. Il a dû faire beaucoup de conjectures hasardeuses, mais il pressentait peut-être détenir une information qui lui permettrait de payer le prix de son rachat dans le camp des opposants à Voldemort, rachat qui lui aurait valu d’être gracié pour les méfaits datant du temps où il œuvrait pour le Seigneur des Ténèbres. Je pense que Regulus n’a pas pu déterminer la nature profonde du journal avec si peu d’informations. Pour moi, il a nécessairement reçu une autre nouvelle, et l’hypothèse la plus probable est une vantardise de sa parente Bellatrix Black. Phinéas m’a affirmé que Regulus et sa tante étaient assez proches, ce qui rend l’hypothèse encore plus séduisante. On sait que cette dernière, à moitié folle, ne vivait que dans l’espoir d’être reconnue comme la plus fervente et la plus fidèle servante de Voldemort, il est donc tout à fait envisageable qu’elle n’ait pas résisté à la tentation de montrer à son jeune neveu l’objet que son vénéré maître lui avait confié comme il avait confié le journal à Lucius, c’est-à-dire la bague de Serdaigle. Pour quelqu’un ayant obtenu un optimal dans ses ASPIC en histoire de la magie, il n’était pas difficile de reconnaître la bague de Rowéna Serdaigle puisque le bijou arbore ostensiblement l’aigle qui symbolise cette maison.

 

« Avec ces deux éléments, Regulus a probablement dû commencer à se douter de quelque chose. Il a vraisemblablement commencé ses recherches sans être certain de ce qu’il cherchait et, comme Dumbledore bien plus tôt, il a entrepris de fouiller le passé de Voldemort. Il n’est pas à exclure que ses parents, qui avaient développés très tôt chez le petit Regulus son attrait pour la magie noire, lui aient touché un mot au sujet des horcruxes. Et comme il lui était impossible, ou au moins suicidaire, de tenter de dérober ceux que possédaient respectivement Lucius Malefoy et Bellatrix Lestrange, il choisit de se concentrer sur les autres. Connaissant le penchant pour la mégalomanie propre à son maître, Regulus n’avait pas douté qu’il y en avait plus que deux. Le jeune frère Black fit le même cheminement de pensée que Dumbledore, mais il ne parvint pas à localiser plus d’un horcruxe, en dehors du journal et de la bague. Il opposa un jour un ferme refus à un ordre d’assassinat provenant de son maître. A partir de ce moment, Regulus savait que ses jours étaient comptés. Il tenta le tout pour le tout. Il transplana vers la grotte. Il ignorait probablement quel horcruxe il allait trouver lorsqu’il se rendit sur place, et je ne sais toujours pas à l’heure actuelle comment il fit pour s’emparer du médaillon et pour le remplacer par cette grossière réplique qui n’était probablement qu’un caillou trouvé sur place, maladroitement métamorphosé. Je n’ai toujours pas élucidé ce mystère, et je vous avoue que j’aimerais bien savoir comment il accomplit cet exploit seul et sans aide.

 

« L’erreur de Regulus fut de tenter de rentrer chez lui pour récupérer quelques effets personnels et un peu d’argent avant de fuir vers les abris aménagés par les opposants de Voldemort. Il projetait sans doute de demander l’asile de Dumbledore dans la forteresse de Poudlard, avec, en gage de bonne foi, le horcruxe qu’il venait de dérober. L’erreur lui fut fatale. Selon toute vraisemblance, des Mangemorts l’attendaient embusqués ici même, au Douze. Il réussit à se tirer du guet-apens mais fut abattu par un avada en tentant de fuir. Ainsi s’achève l’histoire de Regulus, qui n’aura finalement pas connu un sort tellement préférable à celui de son frère aîné. »

 

Harry s’interrompit pour laisser souffler Ron et Hermione. Il fit apparaître dans sa main droite un verre d’eau fraîche qu’il vida d’un trait avant de reprendre la parole :

 

« Le récit de Regulus est fini, mais pas celui du médaillon de Salazar Serpentard, dont je ne savais pas ce qu’il était advenu. Des événements dont je viens de vous parler, je n’ai aujourd’hui encore que quelques certitudes : tout d’abord que Regulus Black se constitua Mangemort à la fin de sa scolarité à Poudlard, ensuite qu’il eut connaissance par des moyens incertains de l’existence d’au moins un horcruxe dont il trouva l’emplacement. Je sais également de source sûre qu’à un moment précis à une date déterminée, Regulus refusa formellement d’accomplir un ordre provenant de son maître. Quelques heures après ce refus, il dérobait le collier de Serpentard en laissant un petit mot dans le faux médaillon qu’il avait mis à sa place, un petit mot signé R.A.B., les initiales de son nom complet : Regulus Alphart Black. Enfin, les archives du Ministère actent le décès au lendemain du refus de Regulus. Il est à noter que les quelques mots laissés par Regulus montrent clairement que ce dernier ne se faisait pas beaucoup d’illusion sur le sort qui lui était destiné. Il est clair qu’il avait peu d’espoir de survivre. Ce mot apparaît comme un ultime pied de nez au Seigneur des Ténèbres, la seule vengeance, aussi dérisoire fut-elle, qu’il parvint à exécuter.

 

« Restait une question cruciale : où se trouvait le médaillon, et surtout, Regulus avait-il eu le temps de le détruire avant d’être tué ? L’hypothèse la plus probable était que Regulus, voyant ses anciens congénères l’attaquer, avait fui en emportant le horcruxe. Dans ce cas, il n’y avait que deux solutions. Soit les Mangemorts avaient fouillé le cadavre après leur forfait, auquel cas ils auraient immanquablement trouvé le médaillon. Dans cette option, le plus vraisemblable aurait été qu’ils ramènent leur trouvaille à Voldemort, mais on sait que ce ne fut pas le cas. Il aurait également été possible que l’un des Mangemorts s’approprie le médaillon, mais cette solution me paraissait peu plausible et de toute façon impossible à vérifier puisque je ne connaissais pas les assassins. Soit – deuxième possibilité –, il aurait aussi été possible que les Mangemorts se contentent de disparaître sans fouiller le corps. Cette proposition m’a semblé d’emblée plus probable, parce que j’avais du mal à imaginer même des Mangemorts détroussant le cadavre d’un ancien compagnon. Dans ce cas, il me fallait chercher au cimetière de Londres. La procédure pour les bijoux que le défunt porte sur lui au moment de sa mort est de les enterrer avec lui, sauf si un héritier les réclame. Tout le monde ignorait que Regulus avait ce médaillon en sa possession, donc personne ne se présenta. Cela n’a pas été une partie de plaisir, croyez-moi, mais j’ai dû exhumer le cadavre de Regulus Black pour m’assurer de la véracité de ma théorie. Il m’était impossible de demander une autorisation pour une exhumation sans en donner la raison, j’ai donc dû procéder à l’insu de tous, la nuit. Ce fut éprouvant, et décevant, puisqu’il n’y avait, sur le cadavre presque à l’état de squelette de Regulus Black, aucun bijou rappelant de près ou de loin le collier de Serpentard. »

 

Lorsqu’il avait évoqué ses investigations nécrologiques, Ron avait retenu avec peine une grimace de dégoût, et Hermione s’était mordue la lèvre inférieure. Ils encouragèrent Harry à poursuivre son récit.

 

« Pendant une longue période, je suis resté inactif, ayant presque abandonné tout espoir de retrouver le médaillon de Serpentard. La dernière solution que j’avais envisagée était que Regulus avait trouvé le temps de s’en débarrasser avant de se tirer du guet-apens, ce qui aurait été sage dans la mesure où de cette manière, il évitait les risques que les Mangemorts s’en emparent s’il se faisait tuer. Mais j’ai fouillé toute la maison et ses alentours, je n’ai pas trouvé le médaillon. Un peu abattu, je dois l’avouer, j’ai interrompu mes investigations. Et un jour, j’ai eu une sorte d’éclair de génie : je me suis brusquement souvenu d’un médaillon que j’avais entr’aperçu il y bien longtemps dans une des pièces du Douze, lorsque nous nous efforcions pendant les vacances qui ont précédé notre cinquième année à Poudlard de rendre la maison habitable. Je me rappelais de son aspect très précisément, je me souvenais de tout, je savais qu’il était à côté d’une boîte à musique ensorcelée, dans une des vitrines. Vous vous en souvenez ? »

 

Ron haussa les épaules en signe d’ignorance, mais Hermione eut l’air de réfléchir un instant avant de marmonner un « c’est possible » à peine articulé.

 

« Ce n’est pas grave, reprit Harry. Toujours est-il que je ne l’ai pas trouvé. J’ai fouillé à nouveau la pièce, mais je ne trouvais pas la boîte à musique, ni le médaillon. Etait-il possible que je me sois trompé ? J’étais certain du contraire. Mais comment expliquer leur absence alors ? A votre avis ?

 

- Mondingus Fletcher ! s’exclamèrent Ron et Hermione à l’unisson.

 

- Dans le mille !

 

- Mais quel sale escroc, ce fourbe de Ding ! rugit Ron. Si nous avions su cela, tu n’aurais pas été obligé de te décarcasser pour ramener le médaillon…

 

- … et Dumbledore ne serait peut-être pas mort, acheva Harry d’une voix triste. Je sais. Mais il est inutile de revenir sur le passé et de chercher des scénarios alternatifs. Et puis, comment en vouloir à Mondingus ? C’est un simple escroc un peu niais qui a vécu sur la paille toute sa vie… Difficile de lui reprocher d’avoir voulu se faire un peu d’argent de poche… En tout cas, Mondingus a beau être un niais, il n’en a pas moins l’œil pour repérer les objets de valeur. Il en a tiré un très bon prix auprès de… Barjow et Beurk !

 

- Barjow et Beurk ! s’écria Ron.

 

- Beau retour à l’envoyeur, commenta Hermione.

 

- C’est le moins que l’on puisse dire, confirma Harry. Le vieux Barjow a dû être pour le moins étonné de revoir cet objet, plusieurs décennies après son achat à Mérope Jedusor-Gaunt par son associé, pour la modique somme de 10 Galions. Mondingus n’a pas fait trop de difficultés à me dire où il l’avait vendu, même si je crois lui avoir fait un peu peur. Je suis allé voir Barjow et, par chance, l’objet n’avait pas trouvé acquéreur, ce qui peut se comprendre compte tenu du prix proposé. Il trônait depuis des lustres dans la vitrine, sans avoir été reconnu par personne. Je l’ai acheté à un prix exorbitant à Barjow. Il m’en demandait le triple, mais il m’a suffit de lui rappeler certains éléments peu glorieux de son passé pour voir le montant baisser de manière significative.

 

- De quoi l’as-tu menacé ?

 

- Oh, simplement de faire retirer le dossier qui concernait la mort d’Hepzibah Smith du tiroir où il était consigné au Ministère. Je l’ai menacé de révéler au monde qu’il avait su dès le début qui était le meurtrier de Smith sans en avoir jamais rien dit aux autorités. Même s’il y avait depuis longtemps prescription pour une éventuelle action en justice, ce manquement aurait pu lui valoir des ennuis. Le principal est que j’ai finalement obtenu l’authentique médaillon de Serpentard. »

 

Harry se déplaça enfin vers le cinquième objet, entraînant à sa suite Ron et Hermione.

 

« Voici enfin le cinquième Septième d’âme. Je vous en ai déjà parlé et vous le connaissez, il s’agit de l’anneau qui appartint à Rowéna Serdaigle. Nous ne savons pas comment Voldemort est entré en possession de cet anneau, mais nous savons qu’il l’a transmis à Bellatrix Black, la belle-sœur de Lucius. Souvenez-vous, nous avons eu finalement assez peu de difficultés à la récupérer. Bellatrix l’avait consignée dans un coffre de haute sécurité à la banque Gringotts. C’aurait été une excellente idée, si les Weasley n’avaient pas compté parmi les membres de leur famille un employé de cette banque, qui accepta, sous notre requête insistante, de risquer sa place et beaucoup d’ennuis. Bill Weasley subtilisa pour moi la bague de Rowéna Serdaigle et je l’ai gardée par devers moi depuis ce jour. Je dois une fière chandelle à Bill pour ce coup-là, d’autant qu’il accepta notre requête sans insister pour savoir pourquoi il devait jouer les cambrioleurs. Hermione a mis en pratique certains sortilèges enseignés par Slughorn pour le détruire. »

 

Harry retourna se placer au centre de la pièce, ses chaussures claquant sur le carrelage froid.

 

« Voilà, dit-il. Je vous ai raconté l’histoire des cinq premiers Septièmes d’âme de Voldemort. Il en manque encore deux. L’un des deux, bien sûr, était conservé dans l’enveloppe corporelle de Voldemort, mais la question que vous vous posez certainement est : où est le septième ? »

 

Ron et Hermione hochèrent la tête de concert.

 

« Lorsque nous avons évoqué les horcruxes, Dumbledore n’en connaissait que quatre avérés. Le premier était constitué par Voldemort lui-même, puis venaient la chevalière des Gaunt, le journal intime de Jedusor, la coupe de Poufsouffle et le médaillon de Serpentard. Nous avons découvert nous-mêmes l’existence de la bague de Serdaigle. Lorsque nous nous sommes retrouvés confrontés au problème du dernier horcruxe, j’ai rappelé les suppositions que Dumbledore lui-même avait formulées à ce sujet. Selon lui, Voldemort n’avait jamais eu le temps de créer le dernier horcruxe dans son chemin vers l’immortalité. Il supposait que Voldemort avait utilisé le meurtre de Frank Bryce, le vieux garde moldu du manoir des Jedusor, pour faire de Nagini, son serpent domestique, le dernier horcruxe. C’est l’hypothèse que nous avons décidé d’emprunter à Dumbledore, faute de mieux. Nous avions planifié d’éradiquer le serpent avant toute tentative de combat contre Voldemort. Inutile que je rappelle à Ron que nous lui avions choisi le rôle de grand tueur de serpent. Non seulement nous partions avec une incertitude quant au sort du médaillon, dont nous ne savions toujours pas s’il avait été rendu inoffensif, mais en plus, avant toute tentative, Ron devait tuer Nagini. Ron s’est acquitté de sa mission avec les honneurs. C’est sous sa baguette que le monstrueux serpent a trouvé la mort. Vous devez donc vous étonner de ne pas voir sur ces présentoirs la dépouille de Nagini.

 

« Quelques temps après la dernière bataille, je suis retourné sur les lieux. C’était lugubre. Le Ministère avait à peine nettoyé les lieux des cadavres. Il restait des traces de sang sur les murs, et des impacts de sortilège un peu partout, sans parler de l’état post-apocalyptique du lieu qui avait eu la malchance d’être le théâtre du dernier duel entre Voldemort et moi. J’ai un peu fouillé parmi les décombres avant de tomber sur la dépouille mortelle du serpent Nagini. Je l’ai emmené au Douze, et je l’ai longuement analysé. Mes conclusions sont catégoriques : Nagini n’était pas un horcruxe.

 

- Quoi ? s’exclama Ron. Mais… Alors… Ca veut dire que je n’ai pas détruit de horcruxe, finalement !

 

- J’en ai bien peur, certifia Harry, un peu amusé. Mais rassure-toi Ron, cela ne diminue pas ton mérite pour autant : éliminer ce serpent était une œuvre de nécessité publique.

 

- Mouais… fit Ron, peu convaincu.

 

- Quand j’ai constaté, sans aucun doute possible, que Nagini n’était pas un horcruxe, une question cruciale s’ouvrait : quel était alors le septième Septième, le dernier des horcruxe, le dernier maillon de la chaîne qui était censée garantir à Voldemort l’immortalité ?

 

- Harry… formula Hermione, coupant net l’élan du jeune homme.

 

- Oui, Hermione ?

 

- Hum, excuse-moi de te dire cela comme ça mais… Je ne comprends pas vraiment l’intérêt de tout cela. Je comprends bien que ces histoires de horcruxes ont été terribles pour toi… qu’ils ont une valeur symbolique importante, mais, finalement… est-ce bien utile de savoir tout cela ? »

 

Harry ne répondit pas immédiatement, mais Hermione reprit la parole au moment où il allait ouvrir la bouche :

 

« Tous ces objets ont bien sûr une valeur historique extraordinaire ! C’est fascinant de rassembler dans la même pièce des effets ayant appartenu à trois des fondateurs de Poudlard il y a mille ans… La seule maison qui n’est pas représentée est Gryffondor ! Mais… – son ton devint moins enthousiaste – en fin de compte… quelle importance si tous les horcruxes ne sont pas dans cette pièce ? Pourquoi se soucier du sort des horcruxes ? Le plus important n’est-il pas que tu aies vaincu Voldemort ?

 

- Tu as raison, Hermione, j’ai vaincu Voldemort.

 

- Ah ! s’exclama Ron, triomphant. Tu vois, Hermione, je t’avais bien dit que Harry plaisantait ! »

 

Il éclata de rire. Harry eut un sourire un peu triste en guise de réponse. Il soupira et tourna la tête vers Hermione.

 

 « Tu as raison, lui dit-il d’un ton sombre. Mais tu as commis sans le savoir deux méprises dans ta phrase. D’une part, toutes les maisons de Poudlard sont bel et bien représentées dans cette pièce, et d’autre part, tous les horcruxes crées par Voldemort y sont également.

 

- Tu veux dire que Vous-Savez-Qui n’a créé que cinq horcruxe ? fit Ron.

 

- Gryffondor ? s’étonna Hermione. A part nous, je ne vois rien ici qui représente la maison Gryffondor. Qu’est-ce que tu veux dire ? »

 

Une effrayante pensée traversa à ce moment l’esprit de Harry : le moment était venu. Il n’avait plus d’autre choix que d’avancer.

 

« Ron, Hermione, dit-il – et les intéressés s’étonnèrent de voir Harry presque en pleurs –, je dois vous dire la vérité. Oui, tous les horcruxes sont bien dans cette pièce, et oui, Gryffondor est également représenté ! »

 

Ron et Hermione le regardèrent avec effarement, semblant se demander ce qui avait bien pu produire ce changement chez leur ami.

 

« Vous ne comprenez pas ? s’écria-t-il, véritablement en pleurs cette fois. Le dernier horcruxe, c’est moi ! C’est moi ! C’est moi ! »

 

Et il s’effondra sur le sol, pleurant à larmes chaudes, en se recroquevillant sur lui-même. Sa plainte se répercuta en échos dans la pièce, qui sembla rapetisser et se refermer sur le corps en larmes de Harry. La douce lumière qui inondait la pièce augmenta d’intensité au point de devenir presque éblouissante. Harry continuait à hoqueter des « c’est moi » entre deux afflux de larmes. Ron et Hermione restèrent un instant hébétés, puis ils se précipitèrent vers leur ami. Ron resta accroupi dans le dos de Harry, lui tapant maladroitement l’épaule en guise de consolation, tandis que Hermione essayait sans grand succès d’essuyer les flots de larmes trop longtemps retenues qui coulaient son visage, en murmurant des « allons, allons » qu’elle voulait réconfortants.

 

Ron et Hermione se regardèrent et échangèrent un signe d’impuissance. Harry pleura pendant un long moment puis la source sembla se tarir. Il se calma, les lumières reprirent leur intensité normale, et il se leva, manquant de faire trébucher Ron.

 

« Venez, dit-il d’une voix fracassée qu’ils n’avaient jamais entendue. Nous n’avons plus rien à faire dans cette pièce. »

 

Avant de sortir, il souleva la cloche de cristal qui contenait le médaillon de Serpentard et s’empara du collier qu’il passa autour du coup. Les lumières s’éteignirent doucement d’elles-mêmes lorsqu’ils quittèrent la salle, et les sortilèges de protection se réenclenchèrent automatiquement.

 

Note de l’auteur : Quatrième partie du Chameau extrêmement longue en comparaison avec les autres chapitres. Rendez-vous compte : plus de 10 000 mots s’étalant sur 17 pages de texte ! Dire que j’avais pris comme résolution de faire des chapitres de longueur plus ou moins équivalente… Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est raté ! Vous me direz si vous le trouvez trop intense ou trop dense en matière de révélations. La plupart de ces révélations sont issues de mon imagination, mais je crois qu’il serait injuste de m’attribuer la primeur de toutes les théories. Je citerai uniquement l’excellente Encyclopédie d’Harry Potter, guide hors pairs et pratiquement exhaustif de tout ce qu’il y a à savoir sur le monde de Harry Potter. Certaines théories – je ne vous dirai pas lesquelles au cas où vous ne voudriez rien savoir sur le tome sept avant sa parution – proviennent d’une récente interview de Rowling. Au surplus, n’hésitez pas à me communiquer vos impressions sur ce chapitre dont la longueur, je l’espère, ne découragera personne. Sans trop m’avancer, je crois pouvoir dire que le délai d’attente pour la parution de la cinquième partie sera plus court que celui que vous avez dû subir pour ce chapitre-ci. Ce retard est dû non seulement à la longueur du chapitre, mais encore et surtout au fait que je suis actuellement en période d’examens.

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