Le Corbeau. Saison 1

Chapitre 68 : I 1978

2692 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 22:42

 

 

LE

CORBEAU

 

LIVRE V

 

Les Gardiens de l’Epée

 

           CHAPITRE I : 1978

 

                       France été 1978

 

           Charles Maldieu arriva au Ministère français de la Magie comme chaque matin depuis maintenant vingt ans. Depuis qu’il a été nommé à la tête du Département des Chasseurs, l’unité anti-mages noirs du Ministère. Il venait presque tous les jours travailler. Il ne s’était jamais marié. Mais il ne regrettait rien. Il avait eu une vie bien rempli jusqu’à maintenant. Une vie faite de joies et de peines, de combats et de complots. Cette vie avait marqué son corps, il était couvert de cicatrices et avait même perdu un bras -coupé au niveau du coude- une dizaine d’années plus tôt. Mais surtout, elle avait marqué son âme au fer rouge. Il connaissait trop les faces cachées et ténébreuses de ce monde pour pouvoir en apprécier pleinement les joies simples. La moindre scène qui s’offrait à ses yeux, même les plus simples, lui révélait ses côtés sombres et malhonnêtes. Il connaissait le moindre penchant vicieux de l’Homme. Malgré tout, il n’en était pas devenu misanthrope pour autant. Il continuait à sourire lorsqu’il croisait ses subordonnés, les Chasseurs, des hommes ayant fait, comme lui plus de quarante ans plus tôt, le vœu de consacrer leur vie à combattre pour que d’autres puissent vivre en paix. Des hommes rudes mais noble par le sacrifice de leur quiétude pour protéger celle d’inconnus.

           Ce matin là, il commença comme à son habitude par étudier la presse. Même si, en théorie, le Ministère connaissait les informations avant les journalistes, il arrivait qu’ils aient des informations intéressantes avant eux. Malheureusement, une fois livrée aux yeux du public, l’information perdait toute utilité. Si au moins les journalistes avaient le moindre sens logique et donnaient d’abord leurs informations aux principaux concernés.

           Les notes de services voletaient déjà au dessus du bureau de sa secrétaire. Elle n’arriverait que dans une demi-heure. Une des notes de service se détacha de l’essaim de papier et vint se mettre juste devant son nez. Maldieu fronça les sourcils. Pour qu’une note vienne ainsi directement à lui sans passer par la secrétaire, cela signifiait que l’urgence du message était élevée ou alors que seul lui était autorisé à en prendre connaissance dans un premier temps. Il attrapa l’avion de papier d’un geste précis. Sitôt attrapée, la feuille se déplia pour paraître parfaitement plate et lisible. Les yeux de Maldieu parcoururent le texte de long en large. La note venait du bureau du Ministre Erwan Riliam en personne. A mesure de la lecture, le regard de Maldieu se fit de plus en plus sérieux. La nouvelle n’était pas encore dans la presse.

           Maldieu agita sa baguette, faisant apparaître un chien d’argent qui traversa le mur. Il servit deux tasses de café noir. Quelques minutes après, quelqu’un frappa à la porte.

« Entre, invita Maldieu. »

L’homme qui entra devait avoir la cinquantaine passé bien qu’il était difficile de donner son âge exacte à la vue de sa collection de balafres. Il arborait une quantité de cicatrice plus impressionnante encore que Maldieu car son visage était tout aussi marqué que le reste de son corps. A l’instar de Charles Maldieu, il lui manquait le bras gauche mais à partir de l’épaule dans son cas. Il l’avait remplacé par une prothèse en métal pouvant se changer en lame ou en bouclier suivant le cas. Georges Nide était le chef de la section Action Intervention des Chasseurs. Il a passé toute sa vie à combattre les mages noirs et en particulier les mangemorts. Et encore aujourd’hui, alors que sa fonction l’autoriserait à rester à l’arrière, il continuait à mener ses hommes en s’exposant plus que n’importe qui. Un véritable guerrier dans l’âme.

           Au regard de Maldieu, Nide savait que quelque chose de grave s’était passé. Il accepta la tasse de café que lui tendait le directeur du département et attendit qu’il lui dise pourquoi il l’avait appelé.

« J’ai reçu une note urgente du Ministre, expliqua Maldieu. Une note prioritaire. La situation diplomatique entre Sorciers et Moldus s’est encore envenimée en Chine. Et cette fois-ci, le gouvernement moldu a décidé d’agir.

-Qu’ont-ils fait ?

-Ils ont massacré leur communauté magique.

-Quoi ?

-Certains ont réussi à s’enfuir dans les pays frontaliers mais on peut penser qu’une majorité ait été surprise. Seulement voila, il n’y a pas que des chinois là-bas, il y a des occidentaux. Nous-mêmes y avons des représentants. Le Ministre va envoyer une équipe aujourd’hui pour tenter de retrouver nos ressortissants et les rapatrier.

-Notre représentant en Chine, c’est Gilles Chaldo, n’est-ce pas ?

-Oui. Il s’est installé là-bas avec sa femme Françoise et son fils Pierrick il y a dix ans maintenant.

-Qui dirige cette expédition ?

-Dakus.

-Cette vermine ! »

           Yves Dakus était le chef de la Police Magique, nommé récemment par le Ministre Erwan Riliam après que les Chasseurs se soient ligués pour qu’il ne devienne pas directeur du Département des Chasseurs. Depuis, les policiers voyaient leurs pouvoirs légaux augmenter, marchand sur les plates-bandes des Chasseurs.

« Je vais essayer de voir avec Riliam si je peux remplacer Dakus, dit Maldieu. Si les Chaldo ont été tués, je dois m’en rendre compte par moi-même. Après tout, ils étaient des notre, et c’est moi qui est pistonné Gilles pour qu’il ait ce poste.

-Le Sanglier n’a pas l’habitude de changer d’avis. »

La remarque de Georges Nide était juste. Le Ministre Erwan Riliam, surnommé « le Sanglier », n’était pas du genre à revenir sur une décision. Il était réputé pour son intransigeance. En cette période de trouble où les adeptes de la Magie Noire n’ont jamais été aussi nombreux, il a su utilisé les peurs de l’opinion publique pour se hisser au poste suprême de l’administration magique française. La seule fois où il dut battre en retraite fut lorsque les Chasseurs menacèrent de démissionner en masse si Dakus prenait leur tête. Riliam appelait à ne pas avoir de pitié envers les mangemorts, les fidèles du mage noir britannique Voldemort, celui que certains appellent le Seigneur des Ténèbres. Alors que les Chasseurs préféraient les capturer vivants pour les interroger et qu’ils soient jugés de manière légale, le Ministre souhaitait qu’ils soient tous tués au combat. Estimant que ce n’était que « Justice ».

           « On peut l’y obliger par contre, ajouta Nide.

-Que veux-tu dire ?

-Dakus pourrait être indisponible. Etre malade par exemple. Ainsi, tu serais le mieux placé pour y aller.

-C’est vrai, ça se pourrait. »

Maldieu sourit légèrement à Nide. Ce dernier se leva.

« Je dois justement aller voir Dakus pour une affaire de juridiction avec l’Unité d’Intervention de la Police Magique, fit remarquer Nide. A plus tard. »

Georges Nide était sorti. Moins de deux heures plus tard, une nouvelle note de service venant du Ministre arriva au bureau de Maldieu, l’invitant à se rendre immédiatement dans le bureau ministériel. Quelques heures plus tard, il partait pour la Chine.

 

           Des cadavres partout. C’était un vrai massacre. Les cadavres des Sorciers et Moldus vivant avec eux et s’étant retrouvés dans la ligne de mire des soldats chinois étaient tous horriblement charcuté, effet des balles de métal tiré par les fusils AK-74. Pourquoi les Moldus avaient-ils inventé de telles armes pour s’entretuer ? Des armes qui déchirent la chair, qui brisent les os, qui rendent méconnaissable les corps. Les viscères étalés, le sang répandu, la cervelle souvent arrachée par les impacts. L’odeur était acre et insupportable. Une odeur cuivrée de sang et une puanteur de viande avariée. Qui était sorcier ? Qui était moldu ? Impossible de le savoir si le cadavre ne tenait pas une baguette entre ses doigts rigides. Et puis, peu importe. Quand la Mort frappe, elle ne choisit pas. De même que la folie des Hommes. Parmi ses corps habillés pour une soirée de fête ou de vêtements paysans, les cadavres en uniformes de soldats chinois gisaient. Ils avaient l’air propre à côté des restes déchiquetés de leurs victimes. S’ils étaient rougis de sang ou rosis de cervelle, ce n’était pas de leur sang ou de leur cervelle. Sauf quelques rares exceptions ayant chutés durement et percutés violement quelque chose de dur ou de contendant.

           Avec l’équipe qui lui avait été alloué, Charles Maldieu se rendit au plus vite vers la maison de fonction du représentant français auprès du gouvernement magique chinois. La maison était intacte. Aucune trace de combat. Par contre, quand il arriva au jardin, il découvrit une scène d’horreur. Comparé au village voisin, le décor semblait propre. Les cadavres des soldats moldus gisaient sans lâcher de sang sur la pelouse d’émeraude, ou très peu. Ils devaient bien être une trentaine, tous morts. Certains avaient manifestement pris des coups. Des membres avaient été brisés avant que la mort ne soit donnée. D’autres morts se présentaient à ses yeux. Un couple de chinois habillé assez richement. Sûrement des amis de Gilles et Françoise Chaldo. Non loin, se trouvait ceux de deux occidentaux. Malgré la distance, Maldieu les reconnut : Gilles et Françoise Chaldo. Leur pâleur ne laissait aucun doute sur leur mort.

           Charles Maldieu ne se rendit pas immédiatement auprès des corps de ses anciens subordonnés. Il venait de repérer un mouvement. Par réflexe, il tira sa baguette, imité par les hommes qui l’accompagnaient. Il la baissa quand il eut identifié le mouvement. Agenouillé sur le sol dans une mare de sang noirci, un survivant n’avait même pas bronché en entendant les sorciers français arriver. Maldieu s’approcha. Une baguette semblait flotter à la surface du sang près de l’agenouillé. C’était un jeune homme qui devait avoir à peine dix-sept ans. Non, il avait dix-sept ans. Il ne le savait que trop. Il reconnut immédiatement son visage malgré les dix années qui s’étaient écoulés depuis la dernière fois où ils s’étaient vus. Il ne devait pas s’en souvenir. Normal. Ils avaient fait ce qu’il faut en ce sens. Pierrick.

           Le jeune homme serrait contre lui le corps sanguinolent d’une jeune fille chinoise habillé d’une magnifique robe de satin blanc ornementée de fleurs brodées. Le trou rougeoyant de la balle perçait la peau de son dos qui avait été sûrement aussi douce que sa robe. Du sang avait sécher autour des quelques blessures bénignes qu’avaient provoqué des balles moldues. Mais les blessures étaient déjà refermées, ou se refermaient. Maldieu regarda plus attentivement le visage du jeune homme, des traces noires démontraient qu’il avait pleuré il y a des heures. Mais les larmes ne coulaient plus. Du sang séché marquait sa joue. Mais ce qui frappa le plus Maldieu, c’était ses yeux, sombres, dénués de toutes émotions humaines, de toute vie. Les yeux d’un mort-vivant. Maldieu ressentit alors toute la peine qui habitait l’âme du jeune homme. Cette peine avait éveillé en lui une partie endormie depuis dix ans maintenant. Pas totalement. Ils avaient pris leur précaution à l’époque. Mais le temps était maintenant compté avant qu’il ne se réveille totalement. Le mieux serait de le tuer ici et maintenant. Non. Il n’en avait pas le droit. Il lui avait déjà fait trop de mal. Il vivrait. Même si cela signifiait la mort pour Maldieu et tous ceux impliqué par le passé.

           Pierrick se laissa emmener sans même émettre une seule parole. Il n’avait fait qu’une chose : récupéré les baguettes de ses parents et de la jeune fille, ainsi qu’une épée chinoise à double tranchant. Maldieu ignorait ce que l’arme représentait pour lui, mais cela devait être une résurgence de celui qu’il était devenu en dix ans avec les Chaldo comme parents. Il devait sûrement être un jeune homme comme les autres, avec des amis et cette jeune fille, il en était sûrement très amoureux.

           Maldieu devina la scène qui devait s’être déroulée ici. Les soldats moldus sont arrivés et ont tué le couple chinois, les Chaldo et la jeune fille. Pierrick laissa la peine et la rage s’emparer de son âme et d’une puissance incommensurable, il tua tous les soldats. Et depuis, malgré les heures écoulées, il était resté là. Oui. Cette théorie était la plus logique. Mais en examinant les corps des Chaldo, Maldieu se rendit compte que c’était faux. Si c’était les moldus qui avaient tué le couple Chaldo et le couple chinois, les corps en porteraient des marques. Hors, pas de sang, pas de traces. Ils étaient morts. Tout simplement. D’un coup de baguette, Maldieu approfondit son examen. Aucune trace de poison dans leurs organismes. Pas d’erreur, ils avaient été tués par le sortilège impardonnable Avada Kedavra. Ils avaient été assassinés par des sorciers. Qui avait bien pu faire ça ? Etait-ce ces deux chinois gisant non loin ? Non, sûrement pas. La femme ressemblait beaucoup à la jeune fille. Ce devaient être les parents de l’adolescente. Alors qui ? Il n’aurait peut-être jamais la réponse. Mais il se doutait que cette réponse avait un rapport avec ce qu’il avait fait par le passé.

           Maldieu se tourna une dernière fois vers les corps du couple Chaldo. Il se souvenait de leur arrivée aux Département des Chasseurs il y a vingt-huit ans pour lui et vingt-six pour elle. Tous les deux à la section Investigation Recherche Interrogatoire Analyse. Des éléments brillants. Il les avait choisis personnellement pour participer au projet secret qui avait scellé leur destin. Intérieurement, il leur demanda pardon. Une dernière fois.

           Lui aussi payera un jour…

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