Harry Potter (II) : La Prophétie et les Ombres du Passé
Le soleil commençait à disparaître derrière les collines, projetant une lumière dorée et vacillante à travers les vitres de la maison. Les ombres s’allongeaient sur le parquet, dessinant des arabesques mouvantes sur les murs. Dans un coin du salon, à l’écart du tumulte familial, Elizabeth jouait seule. Ses poupées formaient un cercle autour d’elle, patiemment installées selon un rituel bien à elle. Mais ses mains ne jouaient plus vraiment. Les gestes étaient absents, mécaniques. Son regard s'était figé, perdu dans un point invisible, comme si elle cherchait des réponses dans les rayons du crépuscule.
Depuis quelques jours, quelque chose avait changé.
Elle le sentait. Dans les silences. Dans les regards échangés au-dessus de sa tête. Dans les caresses un peu trop longues de Grand-Mère Ginny. Dans la voix d’Oncle Albus, qui tremblait parfois sans raison apparente. Les adultes faisaient semblant, mais Elizabeth, malgré ses six ans, percevait ce qu’on ne lui disait pas. Elle était comme une éponge à émotions. Une petite veilleuse au cœur des non-dits.
Ce soir-là, elle les avait vus dans le couloir. Ginny s'était approchée d'Albus et avait posé sa main sur son épaule. Son visage était grave, fatigué par des souvenirs qu'Elizabeth ne connaissait pas encore. Elle chuchota quelque chose, mais la fillette entendit quand même, ou peut-être devina-t-elle.
« Tu ne peux pas la protéger de tout, Albus. Pas éternellement. »
Puis Ginny s’était éloignée. Albus était resté seul dans le couloir, le regard perdu vers une porte fermée.
Elizabeth les observait depuis l’embrasure de la pièce. Elle n’avait rien dit. Mais elle n’oublierait pas ce moment.
Elle savait. Elle ne savait pas quoi, mais elle savait que quelque chose pesait au-dessus d’elle, comme un ciel qui gronde avant l’orage.
Plus tard dans la soirée, alors que les ombres dansaient au plafond de sa chambre, formant des créatures silencieuses, Albus entra sans bruit. Il s’assit doucement au bord du lit, et son regard s’attarda un instant sur elle. Comme s’il hésitait.
« Lizzie… viens. J’ai quelque chose à te montrer. »
Il lui tendit la main. C’était rare. Il n’avait pas souvent ce genre de gestes. C’était sérieux. Alors elle le suivit sans un mot, les pieds nus sur les dalles froides, le cœur battant doucement.
Ils descendirent un escalier étroit qu’elle n’avait jamais remarqué. Il serpentait comme un passage secret, caché derrière une grande horloge. Puis ils passèrent une porte dissimulée derrière une bibliothèque. Une pièce oubliée, loin des pièces vivantes.
Quand ils entrèrent, Elizabeth cligna des yeux. La pièce était ronde, presque silencieuse, comme si elle retenait son souffle. Des coffres empilés, des portraits anciens aux visages effacés par le temps, des piles de vieux grimoires, des chaises bancales... Et au centre, une petite table. Dessus, un cadre argenté.
Elizabeth s’approcha à pas lents.
Un homme. Une femme. Jeunes. Souriants. Le genre de sourire qu’on ne fait qu’à ceux qu’on aime vraiment.
Elle s’arrêta.
Il y avait dans leurs yeux une tendresse étrange, qui ressemblait à quelque chose qu’elle avait déjà vu. Peut-être dans le regard d’Albus, parfois. Ou dans les gestes doux de Grand-Mère. Quelque chose de chaud. De perdu.
« C’est eux ? » murmura-t-elle.
Albus hocha la tête, incapable de parler tout de suite.
« Ton papa, James… et ta maman, Savannah. »
Elle resta figée. Elle avait déjà vu leur visage. Dans un album. Sur une cheminée. Mais jamais comme ça. Jamais dans un endroit qui sentait aussi fort leur absence. Ici, c’était comme s’ils respiraient encore. Comme si leur rire avait été capturé entre les murs.
Elle tendit la main, hésitante, puis la retira. Comme si toucher ce cadre risquait de briser quelque chose de sacré.
« Pourquoi… ils sont pas là ? » souffla-t-elle.
Albus s’agenouilla lentement, pour se mettre à sa hauteur. Il posa une main sur son épaule.
« Parce qu’ils t’aimaient. Plus que tout au monde. »
Elizabeth sentit ses yeux lui piquer, mais elle ne pleura pas. Elle savait. Pas avec des mots, mais elle savait. Ils étaient partis. Et ils ne reviendraient pas.
« C’est à cause du méchant que Grand-Mère a dit ? Vaseras ? »
Le visage d’Albus se crispa. Un frisson presque imperceptible le parcourut, comme si le nom seul avait réveillé un souvenir trop lourd.
« Oui… mais ce n’est pas quelque chose que tu dois porter maintenant, Lizzie. Pas toute l’histoire. Pas encore. »
Elle fronça les sourcils, le menton tremblant.
« Mais je veux savoir. Ils sont morts… pour moi, pas vrai ? »
Il la regarda longtemps. Longtemps. Dans ce silence, il semblait sonder son âme. Il voulait la préserver. Mais il savait aussi qu’elle n’était plus tout à fait une enfant comme les autres.
« Ils sont morts pour t’aimer. Pour te protéger. C’est tout ce que tu dois retenir ce soir. »
Il ouvrit une vieille boîte en bois sombre et la posa devant elle. À l’intérieur : un ruban de soie bleue, une lettre pliée aux coins usés, et une broche en argent en forme de croissant de lune.
« Ce sont des choses à eux. À ton papa. À ta maman. Des souvenirs. Des promesses. »
Il prit une pause. Puis ajouta, la voix plus douce :
« Ton père et moi… on avait fait une promesse, tu sais ? »
Elizabeth hocha la tête sans vraiment comprendre.
« Quelle promesse ? »
« Que je veillerais sur toi. Que je serais là, quoi qu’il arrive. Même si je fais des erreurs. Même si j’ai peur, parfois. »
Elle prit la broche entre ses doigts. Elle était froide, mais légère. Elle la serra contre son cœur.
« Tu sais pourquoi le méchant les a attaqués, hein ? » souffla-t-elle.
Albus se figea, le regard soudain lointain. Puis, après un moment de silence :
« Oui, je sais. Mais ce sont des réponses qui demandent du courage… et du temps. Et tu en auras. Tu comprendras. Quand tu seras prête. »
Elizabeth leva les yeux vers lui. Ses grands yeux sombres brillaient dans la pénombre.
« Tu me le diras un jour ? Tout ? »
Il prit sa main, la serra doucement.
« Je te le promets, Lizzie. Je ne te mentirai pas. Mais parfois… dire toute la vérité trop tôt, c’est comme donner une carte à quelqu’un qui ne sait pas encore lire. Tu risquerais de te perdre. »
Elle réfléchit. Puis, tout doucement :
« Alors… tu m’apprendras à lire la carte ? »
Un sourire fragile s’épanouit sur les lèvres d’Albus. Il vacillait, mais il était vrai.
« Oui. Un pas après l’autre. »
Ils restèrent là, dans cette pièce pleine d’ombres et de mémoire. Et même si la vérité restait tapie dans le silence, Elizabeth sut une chose essentielle ce soir-là : elle n’était pas seule. Et quand viendrait le temps des réponses, elle ne marcherait pas sans guide.