Le journal de Neville Londubat

Chapitre 5 : Expecto Patronum

1537 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a environ 2 mois

2 décembre 1995



Ce soir, j’ai tenté d’invoquer un Patronus.

Je savais que ce serait difficile. Harry nous avait prévenus. Il avait dit que ce sort demandait plus que de la magie, plus que de la technique. Il avait dit qu’il fallait puiser au plus profond de soi. Trouver un souvenir heureux, quelque chose de vraiment fort, d’intense. Et s’y accrocher comme à une bouée dans une mer déchaînée.

J’ai tout de suite su que ce ne serait pas simple pour moi. Rien dans mes souvenirs ne procurait une joie si vive, si lumineuse qu’elle pourrait tenir tête à l’ombre.

Avant même que la séance commence, mes mains tremblaient. J’ai essayé de les dissimuler en serrant ma baguette un peu trop fort. Quand Harry nous a expliqué la théorie, je faisais mine de noter, mais mes pensées étaient ailleurs.

Parce que la vérité, c’est que je savais pertinemment que je n’avais pas ce genre de souvenir.

Pas un souvenir assez fort pour faire rempart aux ténèbres.

Pas comme celui que Harry doit avoir quand il pense à ses parents… ou peut-être à Sirius. À ceux qu’il a perdus, mais dont l’amour reste vivant en lui. Moi, je n’ai que des fragments. Des miettes de moments volés. Une image floue de ma mère, dans un lit d’hôpital. Un bonbon qu’elle m’a glissé dans la main sans même me reconnaître. Et ce regard vide… ce regard qui me suit encore, même les yeux fermés.

Comment bâtir un sort lumineux sur une douleur pareille ?

Ce soir-là, la Salle sur Demande nous avait encore surpris. Elle avait senti, comme à chaque fois, ce dont nous avions besoin mais cette fois, elle avait aussi compris ce que nous allions affronter.

Ce n’était plus une salle d’entraînement avec des mannequins de duel et des coussins éparpillés. C’était autre chose. Quelque chose de plus solennel. De plus intime.

Les murs, lisses et sombres, étaient couverts de grandes glaces sans reflet. Elles semblaient absorber la lumière, comme si elles refusaient de nous renvoyer notre image, préférant garder nos doutes pour elles. Le plafond paraissait plus haut, voûté comme celui d’une vieille chapelle. De lourdes tentures bleu nuit flottaient sans vent aux extrémités de la pièce.

Des torches magiques flottaient en silence tout autour de nous, diffusant une lumière pâle, presque argentée, qui projetait de longues ombres mouvantes sur le sol. L’air était plus frais qu’à l’ordinaire, presque électrique.

L’ambiance elle-même semblait avoir compris la gravité de ce que nous allions tenter.

Nous nous sommes rassemblés en cercle autour de Harry. Personne ne parlait. Même Fred et George, habituellement prompts à faire une blague, étaient silencieux.

Harry s’est avancé au centre. Il tenait sa baguette avec calme. Pas d’arrogance. Juste une maîtrise tranquille. Il nous a regardés un à un, comme pour nous rappeler que c’était possible. Qu’on était capables, même si on doutait.

Puis il a levé sa baguette. Un geste simple.

Expecto Patronum.

Et alors, il est apparu.

Le cerf. Majestueux. Immense. D’une blancheur argentée presque aveuglante dans cette lumière tamisée. Il a bondi hors de la baguette comme une promesse silencieuse. Il a fait le tour de la pièce en trottant doucement, léger comme un souffle, comme s’il glissait sur l’air lui-même. Ses sabots ne touchaient pas le sol, et pourtant, on aurait juré entendre le rythme d’un galop lointain.

Personne n’a parlé. On le regardait tous, hypnotisés. Même ceux qui l’avaient déjà vu semblaient saisis. C’était autre chose de le voir ici, au milieu de nous, dans cette salle si calme qu’on aurait pu entendre battre un cœur.

Et puis le cerf s’est dissipé, lentement, comme un rêve qui s’efface à l’aube.

Harry a pris une grande inspiration, puis il a dit que c’était à nous.

Alors… nous avons essayé.

Certains ont produit un simple filet d’argent, un souffle léger. D’autres rien du tout. Une étincelle, un frémissement. Quelques-uns ont regardé leur baguette comme si elle était cassée. D’autres se sont mordus les lèvres, ont recommencé sans se plaindre.

Moi ? Rien. Pas même une étincelle.

La première fois, j’ai essayé de me souvenir du jour où j’avais réussi à faire pousser une plante rare dans la serre de grand-mère. C’était une Mimbulus Mimbletonia. Elle n’était pas très belle, ni utile, ni impressionnante, mais c’était la mienne. Je l’avais fait pousser seul, sans l’aide de personne, en suivant mes intuitions plutôt que les instructions du manuel. J’étais fier, ce jour-là. Grand-mère m’avait même félicité, brièvement, mais sincèrement. Ce genre de choses arrivait rarement. J’avais senti, pour une fois, que j’étais bon à quelque chose.

Mais le souvenir s’est éteint trop vite, comme si quelqu’un soufflait dessus. Comme une flamme qu’on veut raviver et qui refuse de prendre. Il n’était pas assez fort. Pas assez lumineux.

La deuxième fois, j’ai pensé à mon onzième anniversaire. Le jour où Grand-mère m’avait laissé choisir ma propre baguette, chez Ollivander. C’était un moment important. Jusqu’ici, on m’avait toujours dit ce que je devais faire, ce que je devais être. Mais là, pour une fois, c’était à moi de choisir. Enfin… presque. C’est la baguette qui m’a choisi, évidemment. Mais ce sentiment-là, ce frisson quand je l’ai prise en main, je ne l’ai jamais oublié.

Mais là encore… c’était trop faible. Trop lointain.

Et pendant que je tentais de me raccrocher à ces fragments, autour de moi les autres avançaient.

J’ai entendu un éclat de rire. Seamus. Il venait de produire une brume argentée qui avait vaguement pris la forme d’un oiseau peut-être un corbeau, ou un faucon. Il s’en est tiré avec une plaisanterie. Tout le monde a ri. Même moi, un peu. Mais ensuite… j’ai senti une boule se former dans ma gorge.

Pourquoi eux, et pas moi ?

Pourquoi moi, je restais là, figé, incapable de faire briller la moindre étincelle ? Pourquoi est-ce que je suis toujours celui qui reste en arrière, celui qu’on encourage avec des sourires un peu tristes ?

J’étais sur le point de renoncer. Je sentais mes épaules se voûter, mon souffle se raccourcir, comme chaque fois que la honte me gagne. Et puis… j’ai senti une main se poser sur mon épaule.

C’était Harry.

Il ne m’a pas regardé avec pitié. Juste avec calme. Avec attention. Comme quelqu’un qui comprend. Il m’a dit doucement :

« Tu ne peux pas forcer un souvenir. Mais tu peux le choisir. Pense à ce que tu ressens quand tu fais quelque chose qui compte. »

Quelque chose qui compte.

Alors j’ai fermé les yeux.

Et j’ai pensé.

Pas à des souvenirs heureux au sens traditionnel, mais à ce que j’avais ressenti ce soir-là, il y a quelques semaines, quand j’ai réussi à désarmer Justin lors de notre première séance. Ce n’était pas spectaculaire. Pas glorieux. Mais c’était la première fois que je m’étais senti capable.

J’ai pensé à la façon dont Harry m’avait regardé après. Avec respect. Pas avec condescendance. Pas avec étonnement. Juste… comme un égal.

J’ai pensé à l’AD. À ces soirées où, pour la première fois, je ne suis plus invisible. Où on ne me regarde pas comme un incapable, un accident permanent, un héritier raté. Ici, on apprend ensemble. On échoue ensemble. Et surtout… on recommence ensemble.

Et j’ai pensé à mes parents. À ce qu’ils m’auraient dit, s’ils avaient pu me voir aujourd’hui. À ce que j’aurais voulu leur montrer.

Alors j’ai ouvert les yeux. J’ai levé ma baguette.

Expecto Patronum.

Une lumière est sortie. Faible, hésitante. Un filet argenté, tremblant, comme une brume qui aurait voulu devenir autre chose. Mais elle était là. Bien là.

Je l’ai vue. J’ai senti sa chaleur m’effleurer.

J’ai entendu une exclamation de Ginny à côté de moi. Pas moqueuse. Surprise, peut-être. Encouragée.

Et quand j’ai tourné la tête, Harry souriait. Pas un grand sourire. Juste un petit signe. Mais il était fier.

Je ne sais pas encore quelle forme prendra mon Patronus. Ce n’était pas un animal. Ce n’était même pas une silhouette. Mais ce filet argenté, c’était déjà une victoire.

Une immense victoire.

Ce soir, j’ai touché quelque chose.

Une force en moi que je ne croyais pas avoir. Pas celle de lancer un sort puissant. Mais celle de croire que je le peux.

Et parfois, c’est déjà beaucoup.






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