Le journal de Neville Londubat
25 décembre 1995
Je suis rentré chez Grand-mère pour les vacances. La maison sent la cire, le sapin et le feu de cheminée. Tout est à sa place, comme chaque année. Les décorations en verre accrochées avec soin, les hiboux de bois sculptés sur la rampe d’escalier — un pour chaque Noël depuis ma naissance — les mêmes cartes de vœux qui flottent paresseusement au-dessus de la cheminée grâce à un vieux sort de lévitation que Grand-mère n’a jamais changé.
Rien n’a changé.
Et pourtant, cette année, tout semble différent.
Il y a quelques jours, encore à Poudlard, je me suis réveillé dans notre dortoir baigné par une lumière grise. Un matin d’hiver comme les autres. Sauf que… il y avait un silence. Un de ces silences trop pleins, lourds de sens. Ce n’était pas normal, pas avec Harry et Ron. Pas de ronflements. Pas de grognements endormis. Pas de draps chiffonnés.
Je me suis redressé et j’ai vu leurs lits. Parfaits. Lisses. Vides.
Comme s’ils n’étaient jamais rentrés.
Personne ne savait où ils étaient passés. Pas même Hermione, du moins au début. Elle était là, tendue, les yeux un peu brillants, feignant la concentration sur un livre qu’elle ne lisait pas vraiment. Et puis elle a disparu à son tour. Ginny aussi maintenant que j’y pense.
Je n’ai rien dit. Je n’ai posé aucune question. J’ai appris à garder mes inquiétudes pour moi. Je les plie comme des lettres que je ne poste jamais.
Ce n’est que ce matin que j’ai compris ce qui s’était passé.
Comme chaque année, Grand-mère m’a emmené à l’hôpital Sainte Mangouste. Une tradition. Pas joyeuse, mais nécessaire. Une de celles qu’on respecte sans jamais la remettre en question. À Noël, je vais voir mes parents.
Le trajet est toujours le même. L’entrée cachée derrière la vitrine du vieux magasin d’antiquités. Le plancher grinçant. L’odeur d’herbes médicinales mêlée à celle du désinfectant. Les guérisseurs en robe verte qui passent sans un regard. Les visiteurs qui parlent à voix basse, comme s’ils avaient peur de réveiller la souffrance.
Nous avons pris l’ascenseur magique jusqu’à l’aile psychiatrique. Et là, dans le couloir…
Ils étaient là.
Harry. Ron. Ginny. Et Hermione. Assis sur un banc contre le mur, les visages tendus, les mains posées sur leurs genoux comme s’ils ne savaient pas quoi en faire. Même Hermione paraissait perdue, et ça, c’est toujours un peu inquiétant.
Je les ai salués, un peu maladroitement. Ils m’ont répondu d’un signe de tête, d’un sourire pâle. On n’a pas échangé un mot. Mais on s’est compris. Pas besoin de mots, parfois.
Ils étaient venus rendre visite à M. Weasley. Il a été attaqué, paraît-il, par un serpent. J’ai surpris quelques bribes de conversation. Un couloir désert, une morsure, beaucoup de sang. Je n’ai pas insisté. Ce n’était pas à moi de poser des questions. Mais j’ai vu les regards qu’ils échangeaient. Quelque chose de grave s’est passé.
Et Harry… il avait l’air vidé. Comme s’il portait quelque chose de trop lourd, trop sombre pour ses quinze ans.
Je ne suis pas resté avec eux. Grand-mère m’a entraîné jusqu’à la chambre du fond. Celle de mes parents. Elle ne change jamais, elle non plus.
Mon père était assis sur son lit, en train de faire tourner une cuillère entre ses doigts, encore et encore, comme s’il cherchait à y lire un avenir invisible. Ma mère regardait le mur. Ses yeux étaient grands ouverts, mais je ne sais pas ce qu’elle y voyait. Peut-être rien. Peut-être des choses que moi, je ne peux pas comprendre.
Je leur ai parlé. D’une voix calme. Je leur ai raconté mes progrès en botanique. Les réunions de l’AD — sans trop entrer dans les détails, bien sûr. Je leur ai dit que j’apprenais à me défendre. Que je m’entraîne. Que je ne suis plus aussi maladroit qu’avant.
Je ne sais pas s’ils entendent. Je ne sais pas ce qui reste d’eux, derrière ce silence. Mais je parle quand même. Parce que c’est tout ce que je peux faire.
Et puis, comme chaque année, maman s’est levée. Lentement. Très lentement. Elle a traversé la pièce avec cette démarche hésitante, comme si chaque pas était un effort immense. Elle a fouillé dans la poche de sa robe, et elle m’a tendu un vieux papier de bonbon, tout froissé.
Je l’ai pris. J’ai souri.
C’est notre moment. Le seul qu’on partage encore.
En sortant, j’ai croisé un autre visage familier. Le professeur Lockhart. Toujours coiffé à la perfection, toujours aussi souriant. Il m’a tendu une plume invisible, a tenté de me la faire signer. Il m’a demandé si j’étais un admirateur.
Je n’ai pas répondu.
Il ne se souvient plus de moi, évidemment. Ni de Poudlard. Ni de rien. Je ne sais pas exactement ce qu’il s’est passé avec lui, cette année-là. Harry et Ron ne veulent pas vraiment en parler. Tout ce que je sais, c’est que le pauvre homme n’est plus que l’ombre de lui-même.
Je me suis dit que c’était triste.
Mais pas autant que ce que j’avais laissé derrière la porte.
Ce Noël n’a rien eu de magique. Il n’y a pas eu de rires. Pas de chansons. Pas de cadeaux sous le sapin. Juste des regards, des silences, et un papier de bonbon.
Mais, quelque part, il m’a rappelé pourquoi je me bats.
Pourquoi j’apprends à lancer un Patronus. Pourquoi je tiens ce journal.
Parce que le monde est fragile. Parce que ceux que j’aime ne peuvent plus se battre.
Alors je dois le faire à leur place.