Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts
Chapitre 34 : Le dernier ennemi qui sera détruit, c'est la mort
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Dernière mise à jour il y a 18 jours
Le dernier ennemi qui sera détruit,
c'est la mort
– Arrêtez ! Arrêtez, par pitié, laissez-nous !
Depuis que les Détraqueurs les avaient traînés hors de leur cellule, Vera n'avait cessé de protester, de se débattre, mais cela n'avait mené à rien. Elle n'avait réussi à obtenir aucune réaction, aucune réponse de la part de ceux qui les avaient transportés sur des centaines de kilomètres – des Détraqueurs, puis des geôliers qui ne parlaient pas la même langue qu'eux, et qui n'essayaient même pas de les comprendre.
Malgré tout, elle refusait de se résigner, alors même que leur voyage avait duré plusieurs jours, que ni elle ni Fergus n'avaient mangé quoique ce soit depuis leur départ, que le froid glacial aurait dû la vider de ses forces et que six geôliers solidement bâtis les entraînaient de force vers une forteresse lugubre et menaçante qui semblait être leur destination finale.
Ils avaient traversé une mer dans une embarcation de fortune, ils avaient été ballottés à travers plusieurs pays, ils avaient volé au-dessus de montagnes et de falaises escarpées ; et l'endroit où ils se trouvaient était visiblement éloigné de toute autre habitation, de toute possibilité de fuite, car les montagnes enneigées qu'elle voyait à perte de vue étaient au moins aussi inhospitalières que la mer du Nord qui entourait Azkaban. Le bâtiment où on les conduisait était une sorte de forteresse aux murs noirs de jais, profondément incrustée dans la montagne, et dont les plus hautes tours se perdaient dans le blizzard. Vera fut surprise de voir une devise anglaise écrite sur la façade – Pour le plus grand bien – mais elle était trop occupée à se débattre pour en déduire où ils se trouvaient.
Alors que les colosses qui leur servaient de geôliers les poussaient à l'intérieur, Vera jeta un regard inquiet vers Fergus, qui se trouvait juste derrière. Contrairement à elle, il n'avait pas la force de lutter contre ceux qui les poussaient en avant, et c'était à peine s'il tenait debout.
– Aïe ! cria Vera.
Une vive douleur la fit se retourner vers le geôlier. Il avait pointé sa baguette sur son avant-bras, où apparaissaient déjà des symboles bleuâtres et grossiers, comparables aux numéros indélébiles que les prisonniers d'Azkaban portaient dans leur cou.
Depuis le début de leur périple, personne n'avait vérifié leur identité, personne n'y avait accordé la moindre importance. Et d'ailleurs, il était probable que l'ordre que leurs geôliers avaient reçu ne la mentionne même pas. Depuis qu'ils avaient été enfermés à Azkaban, ils n'étaient que deux numéros sur une liste, privés de droits et d'existence.
– Attendez, supplia Vera. Vous faites erreur, je vous assure...
Mais encore une fois, les geôliers n'eurent que faire de ses protestations. À voir leurs visages impassibles, c'était comme s'ils ne l'entendaient même pas crier. Ils imprimèrent un autre matricule sur l'avant-bras de Fergus, puis les entraînèrent dans un escalier escarpé et interminable ; et après une longue ascension, ils les jetèrent sans ménagement dans une cellule, fermèrent à clé la porte métallique, et partirent sans leur décocher un mot.
– Bon sang, pesta Vera.
Après avoir vainement secoué la grille rouillée qui les maintenait prisonniers, elle regarda autour d'elle. Elle n'avait pas vu de Détraqueurs, mais il était évident que le vent glacial qui sifflait autour d'eux, et s'immisçait dans la moindre fissure, avait exactement la même fonction : les vider de toutes leurs forces et de tout leur espoir. Contrairement à Azkaban, où les murs étaient recouverts de mousse, d'algues et de quelques coquillages, la pierre uniformément noire qui les entourait était complètement nue. Aucune forme de vie, même la plus minuscule, ne semblait pouvoir subsister ici : tout était dur, aride et recouvert de givre.
Au fond de la cellule, Fergus s'était déjà recroquevillé contre le mur, tremblant de froid.
– Oh, Fergus, dit Vera en le rejoignant pour le prendre dans ses bras.
Tous deux portaient encore l'uniforme grisâtre aux rayures sombres de la prison d'Azkaban, trempé d'eau de mer et déchiré à plusieurs endroits. Fergus fut saisi d'une quinte de toux ; Vera regarda autour d'elle, mais elle ne vit rien qui soit susceptible de pouvoir réchauffer son mari. Inquiète, elle posa sa main sur sa joue, et constata qu'il était brûlant de fièvre. Bien sûr, il fallait s'y attendre : dans ces températures extrêmes, le feu intérieur qui l'habitait du fait de de son don de Cracheflammes devenait instable et difficilement contrôlable. Il pouvait se réveiller, endommager son cœur et mettre sa vie en danger.
– Je suis... un peu fatigué, admit Fergus, qui tremblait tellement qu'il peinait à articuler convenablement.
– Hé ! Il y a quelqu'un ?
Vera sursauta et fit volte-face, cherchant d'où venait la voix masculine qui venait de s'exprimer – mais elle ne vit que le mur de pierre noire qui les séparait de la cellule voisine.
– Je vous entends, dit encore la voix. Venez près du mur, s'il vous plaît...
Vera obtempéra, et remarqua une faille étroite dans la roche noire, à peine assez grande pour y passer une main. Elle s'agenouilla pour regarder à travers, et sursauta en croisant le regard de leur voisin de cellule. Il s'agissait d'un homme âgé, qui était si squelettique que son visage creusé ressemblait à une tête de mort.
– Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis heureux de vous entendre, et de vous voir, sourit-il. C'est la première fois depuis des années que mes voisins de cellule parlent la même langue que moi.
– Mon mari est très mal en point, dit Vera, qui n'arrivait pas à penser à autre chose. Vous n'auriez pas quelque chose pour le protéger du froid ? Ou bien quelque chose à manger ?
Le visage de l'homme disparut pendant quelques instants. Vera l'entendit ramasser quelque chose, puis elle vit apparaître une couverture et un morceau de pain, que l'homme poussa à travers la fente pour lui donner.
– Tenez, dit-il. Donnez-lui ceci.
La couverture était sale, humide et rapiécée, et le pain était rassis, mais Vera en éprouva un élan de gratitude infinie. Elle alla recouvrir Fergus, lui donna le morceau de pain, et retourna vers la faille pour questionner leur voisin de cellule.
– Alors, vous êtes les deux malheureux qu'ils ont choisis pour être mes voisins, dit l'homme.
– Vous ne semblez pas si redoutable, fit remarquer Vera.
– Je ne le suis plus tellement, depuis qu'on m'a privé de ma baguette, concéda l'homme. Mais suffisamment pour que ces idiots aient toujours peur de moi, et qu'ils me mettent à l'endroit le plus élevé et le plus isolé de la prison.
– Qu'avez-vous fait pour vous retrouver ici ?
Dans ses haillons, l'homme au visage émacié eut un sourire ironique.
– Vous refuseriez sans doute de me parler si vous le saviez, dit-il. Racontez-moi plutôt comment deux sorciers britanniques se sont retrouvés ici, si loin de chez eux...
Heureuse de pouvoir se confier à quelqu'un, Vera s'empressa de lui raconter toute leur histoire. Son interlocuteur semblait de plus en plus intéressé, et surtout lorsqu'elle expliqua qu'ils avaient côtoyé Voldemort de près.
– Vous le connaissez donc, dit l'homme, impressionné. Quelques rumeurs le concernant sont arrivées jusqu'à moi... S'il vous plaît, dites-m'en plus à son sujet.
Vera obtempéra, et expliqua tout ce qu'elle savait sur la vie de Voldemort et sur les pouvoirs qu'il détenait.
– Quel idiot, soupira l'homme lorsque Vera eut terminé. Et quelle tristesse de voir des sorciers si talentueux consacrer leur vie à la destruction... Après toute la violence que mon règne a engendrée, je pensais être le dernier à commettre cette erreur-là.
Vera fronça les sourcils.
– Que voulez-vous dire ?
– Vous n'avez toujours pas compris ? Je vais vous donner un indice : c'est moi-même qui ai fait construire cette terrible forteresse...
Vera frissonna, et ses yeux s'agrandirent de stupeur. Dans son esprit, tout prenait sens, à commencer par la devise qu'elle avait aperçu en entrant dans la prison. Ils se trouvaient à Nurmengard, la forteresse la plus imprenable du monde, dont très peu de gens connaissaient le véritable emplacement. Et c'était à Gellert Grindelwald qu'elle discutait depuis près d'une demi-heure. Le mage noir qui avait mis l'Europe entière à feu et à sang, dont le règne s'était achevé alors qu'elle était très jeune, lorsqu'il avait été vaincu par Albus Dumbledore. Et que Vera croyait mort depuis des années.
– Allez vous reposer, conseilla Grindelwald, voyant à quel point elle était abasourdie. Une fois la nuit tombée, il fait tellement froid qu'il est impossible de fermer l'œil... Ravi d'avoir pu discuter avec vous, madame Vera, et à plus tard, je l'espère...
Sans répondre, Vera alla rejoindre Fergus sur le sol de leur cellule, se glissa sous la couverture et ferma les yeux. Elle grelottait, et la vapeur qui s'échappait de ses lèvres gelait instantanément. Elle n'arrivait pas à croire que la température puisse descendre encore davantage. Et dire qu'ils n'étaient que début novembre...
– Tiens, votre tresse est gelée, constata Fergus en l'effleurant du bout des doigts. Comme si vous étiez une sorte de reine des glaces.
– Une reine en bien mauvaise posture, soupira Vera en effleurant sa chevelure givrée.
Fergus souriait toujours. À proximité de son épouse, il semblait reprendre progressivement des forces.
– Quelle vie étonnante, dit-il en embrassant du regard leur cellule lugubre. Me voilà emmitouflé dans la couverture rapiécée du mage noir le plus redoutable de tous les temps, à une altitude que je ne pensais jamais atteindre, même sur le dos de nos chers dragons... Décidément, je me demande quelles surprises cette existence va encore nous réserver.
Vera sourit pour la première fois depuis un long moment. Elle se tourna sur le côté et prit doucement la main de Fergus, qui tremblait un peu moins grâce à la couverture de Grindelwald.
– En tout cas, ma chère Vera... Je n'ai rien contre les voyages, mais pour notre prochaine destination, je crois qu'il serait plus sage de viser un peu plus au sud. N'êtes-vous pas d'accord ?
– J'en conviens, répondit Vera en se prêtant au jeu. Même si l'idée d'être serrée contre vous pendant toute la durée de notre séjour ne me déplaît pas.
Ils échangèrent un sourire, se blottirent l'un contre l'autre, et le vent glacial qui rugissait tout autour d'eux sembla s'éloigner un peu.
***
À des centaines de kilomètres de Nurmengard, et bien qu'il ne soit pas emprisonné dans une forteresse glaciale, Rogue était encore plus mal en point que Vera et Fergus Goyle. Depuis quelques jours, depuis qu'il avait appris que Lily avait été tuée par Voldemort, il flottait dans une brume de douleur que peu de choses parvenaient à traverser.
Il venait de passer plusieurs jours enfermé à double tour dans la chambre de l'auberge où il s'était arrêté ce jour-là, avant de se décider à aller déverser son chagrin dans le bureau Dumbledore – ce qui n'avait été d'aucun réconfort, évidemment.
– Te voilà, toi ! siffla une voix aigrelette au-dessus de lui.
Au prix d'un effort considérable, Rogue émergea de ses sombres pensées pour revenir à l'instant présent. La première chose qu'il sentit fut la pluie battante qui tombait sur son front, sur son nez, sur ses cheveux. Puis l'odeur rance et familière de l'Impasse du Tisseur, et enfin le froid mordant de cette nuit de novembre.
Il se tenait debout devant la porte close de son ancienne maison, incapable de dire depuis combien de temps il se trouvait là ; et la personne qui venait de s'adresser à lui était la vieille dame qui habitait la maison voisine, et que Rogue avait toujours méprisée, comme tous ses voisins moldus. Elle parlait à Rogue depuis le premier étage de sa maison, penchée par la fenêtre, avec son nez pointu et ses mains noueuses.
– Je me demandais quand tu allais réapparaître... Où étais-tu, pendant tout ce temps ? demanda-t-elle en lorgnant sa robe de sorcier d'un air suspicieux.
– Ce ne sont pas vos affaires, rétorqua Rogue.
La vieille dame plissa les yeux avec méchanceté, puis renonça à insister. Rogue allait se détourner pour frapper à la porte de sa maison, mais sa voisine s'adressa de nouveau à lui.
– Tes parents ne sont plus là depuis longtemps, grinça la vieille dame. Je ne sais pas exactement ce qu'il s'est passé, mais il y a quelques mois, je les ai entendus se disputer plus fort que d'habitude... Ensuite, quelques heures plus tard, il y a eu un remue-ménage pas possible. Les secours sont venus, puis la police... Depuis, personne n'est revenu. Voilà ce que je sais. Je n'ai même pas osé entrer après leur passage. Tiens, prends ça !
Et sur ces mots, elle lui lança le double des clés qu'elle possédait. Le trousseau tomba dans le caniveau, où Rogue alla les ramasser ; et quand il releva la tête, sa vieille voisine avait déjà refermé la fenêtre.
Rogue resta encore un long moment dans la ruelle, regardant le trousseau de clés au creux de sa main. Puis, au lieu d'entrer dans sa maison, il quitta l'impasse et marcha au hasard dans les rues lugubres de Carbone-les-Mines. Il ne s'arrêta que lorsqu'il vit un cadre de balançoire rouillé, au milieu d'un terrain de jeux à l'abandon.
C'est là qu'il comprit ce qui l'avait amené ici. Ça n'était pas pour retrouver la maison de son enfance, dans laquelle il n'avait connu que la misère, le dégoût et la violence : c'était pour revenir sur les lieux où, l'espace de quelques mois, et pour la seule fois de sa vie, il avait connu quelque chose qui s'approchait d'une forme de bonheur.
Il regarda longuement la balançoire, avec ses cordes usées et son cadre rongé par la rouille, puis le buisson derrière lequel il était caché la première fois qu'il avait aperçu Lily. Et il marcha encore un peu, jusqu'à la rivière qui coulait non loin de là. Il s'arrêta en haut d'une colline, près d'un autre buisson, et eut l'impression que l'herbe était encore creusée à l'endroit où Lily et lui avaient l'habitude de s'asseoir pour discuter. C'était ici, à l'abri de ces quelques branches, qu'ils se retrouvaient au cours des quelques années qui avaient précédé leur entrée à Poudlard. C'était donc ici que Rogue avait connu les plus belles heures de sa vie, même si elles étaient à l'origine de tant de souffrances.
À première vue, il ne restait plus rien de ce bonheur-là. Rien, dans cet endroit sinistre et inhospitalier, ne laissait penser qu'à une époque, deux enfants s'étaient retrouvés ici après chaque jour d'école, s'étaient confiés l'un à l'autre et s'étaient liés d'une amitié aussi précieuse qu'improbable. Le buisson était décharné, la berge était horriblement boueuse, la rivière était remplie de déchets et dégageait une odeur nauséabonde.
Pourtant, malgré tous les changements que ce lieu avait subis, malgré tous les bouleversements que Rogue avait connus, et malgré les années qui n'avaient eu de cesse de les éloigner l'un de l'autre, Rogue sentait encore la présence bienveillante de Lily. Elle lui avait fait cadeau de tous ces moments, elle lui avait montré qu'il existait quelques îlots de tendresse et de gaieté au milieu de l'océan de noirceur et d'injustice dans lequel il évoluait depuis sa naissance.
Lily savait que c'était vous qui la protégiez, Severus, lui avait rappelé Dumbledore quelques heures plus tôt. Et lorsqu'elle l'a deviné, elle m'a généreusement demandé de vous protéger en retour. Si vous acceptez le poste de professeur que je vous propose, nous pourrons respecter les deux souhaits qu'elle a formulé : la protection de son fils Harry, mais aussi la vôtre.
Rogue avait écouté Dumbledore, mais avant de prendre une quelconque décision sur l'orientation qu'il allait donner à sa vie, il devait en avoir le cœur net. Et c'était la raison pour laquelle il se trouvait là, près de ce petit buisson, dans l'espoir vague et idiot d'y trouver un message de Lily, ou un moyen de sentir sa présence, afin qu'elle puisse le guider de nouveau.
En balayant l'endroit du regard, Rogue comprit qu'il s'était trompé. Lily n'était pas ici. Elle n'était ni dans ce buisson à moitié mort, ni dans cette balançoire rouillée, ni dans cette rivière boueuse et pleine de détritus. Non, décidément, elle était ailleurs. Et bien plus proche qu'il ne l'avait pensé.
D'une main un peu tremblante, Rogue serra sa baguette et ferma les yeux, laissant leurs plus beaux souvenirs rejaillir en lui. Les images reparaissaient, refaisaient surface, et avec elles, tout le bonheur qu'il avait ressenti à l'époque : la joie de discuter avec quelqu'un qui l'écoutait et le comprenait, l'euphorie et l'excitation qu'il éprouvait chaque fois qu'il gravissait cette colline pour retrouver Lily, le sentiment nouveau de compter aux yeux de quelqu'un, d'être digne de sa confiance.
Dis, tu ne me trouves pas bizarre ? s'était-il inquiété, un jour où ils discutaient ici, près de ce buisson.
Ils étaient si jeunes. Lily s'était tournée vers lui, l'avait regardé droit dans les yeux. Elle savait déjà tout de ses parents, et de la violence dont il était témoin chaque jour.
Je pense que tu es la personne la plus courageuse que je connaisse, avait-elle répondu avec beaucoup de sérieux.
Les paupières toujours étroitement fermées, Rogue sentit des larmes déborder de ses yeux et couler sur ses joues pâles, se mêlant à la pluie qui ruisselait déjà sur son visage.
– Spero Patronum, murmura-t-il tout bas.
Il sut ce qui allait apparaître avant même d'ouvrir les yeux, mais il fut tout de même surpris par la clarté éblouissante de son Patronus. Et en effet, la biche argentée qui le scrutait depuis la berge opposée éclairait tous les environs, faisait scintiller la pluie et la rivière comme si elles étaient constituées de diamants. La biche se mit en mouvement, décrivit quelques gracieuses foulées au-dessus de la rivière, et monta sur la berge pour s'approcher de Rogue. Elle s'arrêta, toute proche, et le fixa de ses grands yeux doux, comme si elle voulait lui signifier quelque chose.
Pour Rogue, le message était clair : Lily continuait de vivre à travers lui. Il était digne de cet honneur, ce magnifique Patronus en était la preuve : malgré tous les mauvais choix qu'il avait fait au cours des dernières années, il n'avait pas perdu le courage que Lily avait vu en lui. Et il était grand temps d'en faire bon usage.
Fort de cette résolution, Rogue transplana loin de la rivière malodorante, et atterrit dans une rue propre et ordonnée, où il ne pleuvait plus. Il sut qu'il était au bon endroit en lisant la plaque qui indiquait le nom de la rue : Privet Drive.
À pas feutrés, tout en essuyant son visage trempé de pluie et de larmes, il longea les maisons spacieuses qui s'alignaient le long de la rue et s'approcha de celle qui portait le numéro 4. Malgré l'heure tardive, les fenêtres étaient encore illuminées ; on entendait un homme et une femme se disputer avec véhémence à l'intérieur, et Rogue pouvait également entendre un très jeune enfant pleurer.
Tout en restant aussi silencieux qu'une ombre, Rogue longea le long de la maison pour atteindre le petit jardin qui se trouvait à l'arrière, se glissa vers la porte-fenêtre qui donnait sur le salon, et se contorsionna pour entrer dans la pièce sans faire de bruit ; mais lorsque ses pieds touchèrent le sol, et qu'il fut suffisamment acclimaté à la pénombre pour voir autour de lui, il resta figé de stupeur.
Juste à côté de la porte-fenêtre, cramponné aux barreaux de son berceau, installé contre le mur de manière à ne pas encombrer la pièce, un tout petit enfant le fixait avec un air implorant. Un rai de lumière provenant de la pièce voisine éclairait son front égratigné par une cicatrice en forme d'éclair, faisait étinceler les larmes qui roulaient silencieusement sur ses joues et révélait la couleur verte de ses yeux.
Les yeux de Lily.
Dumbledore l'en avait averti, mais Rogue n'avait pas imaginé qu'ils puissent être semblables à ce point, et il sentit une nouvelle vague de douleur le submerger, avec une violence inattendue. Pour le reste, le petit garçon qui pleurait sous ses yeux tenait déjà essentiellement de James.
Sans faire le moindre geste, Rogue tendit l'oreille : Petunia et Vernon Dursley se trouvaient dans la pièce voisine, et même si Rogue ne pouvait pas les voir, il pouvait les entendre très distinctement.
– Vernon, je ne le répèterai pas, disait Petunia d'une voix tranchante. Harry doit rester ici.
– Enfin, Petunia... Pourquoi veux-tu infliger ce fardeau à notre famille ? Tu n'avais pas parlé à Lily depuis... quoi, au moins un an ? Depuis que tu avais eu la générosité de lui envoyer ce vase... Puis tu as refusé l'invitation qu'elle t'avait envoyé... Et tu disais que tu ne voulais plus jamais entendre parler d'elle !
– J'ignorais que la prochaine fois que j'allais recevoir de ses nouvelles, c'était pour apprendre sa mort, rétorqua Petunia.
Outre la colère qui transparaissait dans sa voix, Rogue y décela une tristesse immense et difficilement contenue.
– Tu m'as dit qu'un... qu'un sorcier avait essayé de le tuer ! reprit Vernon Dursley. Et s'il essayait de nouveau ? Et s'il trouvait le moyen de nous trouver, et qu'il s'en prenait à nous ?
– Cela n'arrivera pas, fais-moi confiance.
– Dans ce cas, pourquoi devrions-nous protéger ce garçon ? C'est un sorcier, comme ta sœur et son imbécile de mari ! Et s'il était dangereux pour notre petit Dudley ?
– Ne discute pas, Vernon ! siffla Petunia. Tu crois que cette situation n'est pas suffisamment difficile pour moi ? Tu veux encore compliquer les choses ?
Vernon bredouilla quelque chose d'inintelligible.
– Allons nous coucher, et je ne veux plus t'entendre contester ma décision, décréta Petunia. Je comprends ta réticence, et je sais que Lily et moi ne nous entendions pas, mais elle reste, et restera à jamais ma petite sœur. Et je refuse que son fils connaisse le même sort qu'elle.
Rogue entendit Vernon marmonner autre chose, puis son pas pesant retentit dans l'escalier qui menait au premier étage de la maison, tandis que les pas nerveux de Petunia s'approchaient du salon. Rogue se dissimula vivement derrière le rideau pour ne pas être vu ; à travers une fente du tissu, il la vit s'arrêter dans l'encadrement de la porte, et observer Harry exactement de la même manière que lui, avec le même mélange de chagrin et de répulsion. Elle pleurait silencieusement, et Rogue voyait dans ces larmes le reflet de sa propre douleur, ce mélange si lourd de culpabilité, de ressentiment et d'amour inexprimé. Il était d'ailleurs étrange de se reconnaître en elle, alors qu'il l'avait tant détestée, lorsqu'ils étaient enfants, à l'époque où elle essayait de dissuader Lily de le fréquenter.
Petunia observa Harry pendant un long moment, puis finit par se détourner et alla rejoindre Vernon à l'étage, insensible au regard implorant du petit garçon. Tout comme Rogue, il était évident que Petunia serait incapable d'aimer Harry. Si petit soit-il, cet enfant ravivait trop de blessures, et incarnait tout ce qui les avait successivement séparés de Lily : la magie qui ne manquerait pas de l'habiter, et sa ressemblance avec cet horrible James. Mais tous deux allaient le protéger malgré tout, malgré leur aversion pour tout ce qu'il représentait.
Après avoir accordé un bref regard à Harry, Rogue transplana de nouveau. Maintenant qu'il était rassuré sur la sécurité de Harry, il avait une dernière chose à faire.
Il atterrit dans le petit cimetière de Godric's Hollow, au milieu de rangées de tombes, et frissonna : il faisait bien plus froid dans cette région du pays, et les pierres tombales étaient saupoudrées d'une fine couche de neige. Emmitouflé dans sa longue cape noire, et en prenant garde à ne pas glisser, il s'approcha de la tombe de James et Lily, aisément reconnaissable aux monceaux de fleurs qui la recouvraient. À cette heure tardive, le cimetière était désert, mais d'après Dumbledore, l'enterrement avait eu lieu quelques jours plus tôt, et le cimetière s'était révélé trop petit pour accueillir la foule de sorciers qui étaient venus leur rendre hommage.
Rogue s'arrêta devant la pierre tombale, faite de marbre blanc. Les noms de James et Lily qui y étaient inscrits brillaient dans la nuit, tout comme leurs dates de naissances et la date de leur mort.
En voyant cela, Rogue fit une petite grimace. Voir la date de leur mort inscrite de manière si brutale, si définitive, ne correspondait pas à ce qu'il ressentait. Car Lily avait été plus forte que cela, elle était bien plus que ces stupides chiffres qui avaient la prétention odieuse de délimiter son existence, de signifier qu'en-dehors de ces dates, elle n'était plus rien.
Ce n'était pas ainsi que Rogue voyait les choses. Car le courage et l'amour de Lily avaient été suffisamment puissants pour lui survivre, et mieux encore, pour être insufflés à d'autres personnes. En plus de Voldemort, Lily avait vaincu un autre ennemi ce soir-là. Et cet ennemi n'était autre que la mort elle-même.
De nouveau, Rogue prit sa baguette, cette fois-ci pour la pointer sur la pierre tombale. De nouvelles inscriptions apparurent aussitôt en-dessous des dates, comme une précision utile :
Le dernier ennemi qui sera dÉtruit, c'est la mort
Satisfait du résultat, Rogue hocha la tête et s'éloigna dans l'obscurité. Il avait choisi l'emploi du futur, afin de donner à cette phrase la valeur d'une promesse : la mort n'aurait pas le dernier mot. Même disparue, Lily serait sa boussole, à partir de maintenant et jusqu'à son dernier souffle.
À jamais.
***
Le lendemain, Arthur Weasley eut lui aussi l'impression très nette de faire triompher quelqu'un de la mort. Et en effet, la Ministre de la Magie, Millicent Bagnold, le convoqua dans son bureau pour lui confier l'héritage le plus précieux qu'il aurait pu imaginer.
Le soir venu, lorsqu'il rentra chez lui, il brûlait de tout raconter immédiatement à Molly ; mais à l'instant où il poussait la porte du Terrier, il fut assailli par une demi-douzaine de petits garçons de tailles différentes, aux cheveux aussi flamboyants que les siens.
– PAPA ! crièrent-ils tous en chœur en se battant pour l'embrasser en premier.
– Eh bien, quel accueil, mes chers enfants, dit Arthur en les embrassant tous un par un, et en prenant bien soin de n'en oublier aucun. Non, Fred, ne me grimpe pas dessus, tu vas te faire mal ! George, attention, tu bouscules ton petit frère, il ne sait pas encore très bien marcher... Voilà, Bill, aide-le à se relever...
– Je venais tout juste de réussir à les asseoir pour dîner, soupira Molly en secouant la tête, avec un mélange de tendresse et d'exaspération.
– Vous entendez ça, les enfants ? dit Arthur en essayant vainement de paraître sévère. Allez, venez tous à table, un bon repas vous attend ! Bill, assieds-toi près de Ronald pour l'aider... Charlie et Percy, mettez-vous entre Fred et George, il ne faut surtout pas qu'ils soient à côté...
Il leur fallut une bonne quinzaine de minutes pour les rasseoir, et tout le repas se déroula dans une joyeuse pagaille.
– Ta journée n'a pas été trop dure, mon chéri ? demanda Molly en donnant une deuxième assiette de soupe à Fred, qui avait renversé la sienne sur les genoux de Percy.
– Sûrement pas autant que la tienne, dit Arthur en contemplant la ribambelle d'enfants qui se trouvait sous ses yeux. Et où se trouve notre dernière petite merveille ?
– Là-bas, mais ne la réveille pas, dit Molly en désignant un couffin posé dans le salon. Ses frères ont joué avec elle toutes l'après-midi, elle était ravie mais épuisée.
Arthur alla tout de même jeter un œil à Ginny, âgée de trois mois, qui dormait à poings fermés ; il sourit en constatant que son crâne était déjà recouvert de cheveux roux, puis il revint rapidement vers la cuisine, afin d'aider sa femme à surveiller Bill, Charlie, Percy, Fred, George et Ronald, qui avaient déjà tous changé de place pendant qu'il avait le dos tourné.
– Maman, est-ce que je pourrai nourrir Croûtard après le dîner ? demanda Charlie, en essayant de couvrir les rires sonores de Fred et George.
– Croûtard ? interrogea Arthur, surpris.
– Ah, oui, c'était la grande aventure de la journée, lui expliqua Molly. Percy a trouvé un rat blessé près du ruisseau... Nous l'avons nourri, puis nous l'avons mis là-bas, dans le carton. Il est encore un peu étourdi, je crois, Fred et George l'ont utilisé comme projectile pendant que je regardais ailleurs... Mais j'ai l'impression qu'il reprend des forces. Non, pas tous en même temps, les enfants, vous allez lui faire peur !
Leurs fils se pressaient déjà autour du rat pour lui donner à manger, sauf Ron, qui essayait péniblement de descendre de sa chaise.
– 'outa' ! 'outa' ! piaillait-il en tendant le bras vers ses frères.
– Viens là, mon chéri, dit Molly en le prenant dans ses bras. Comme ça, tu peux le voir aussi... Alors, les enfants, comment va-t-il ?
– Un peu mieux, j'ai l'impression, dit Charlie en le tenant précautionneusement contre lui.
– Notre Charlie est déjà féru d'animaux, constata Arthur avec joie.
– Tant qu'il s'agit de petits animaux, ça ne me dérange pas, décida Molly. N'est-ce pas, Charlie chéri ?
– Il veut devenir dresseur de dragons, grogna Percy.
– Oui, pour te punir à chaque fois que tu nous dénonces aux parents, dit Charlie en lui tirant la langue.
– Ce n'est pas ma faute si vous faites des bêtises ! chouina Percy.
– Quel lèche-bottes, celui-là, marmonna Bill.
– Lèche-bottes ! répétèrent Fred et George, hilares.
– Soyez gentils, les enfants, coupa Molly. Bon, ce soir, c'est Charlie qui le nourrit, et demain matin, ce sera toi, Percy. Non, non, ne discutez pas ! Allez, et faites vite, il est bientôt l'heure d'aller se coucher...
Il fallut encore une bonne heure à Arthur et Molly pour faire monter leurs enfants dans leurs chambres, leur lire une histoire et faire en sorte qu'ils s'endorment dans le calme ; puis ils se retrouvèrent tous les deux dans leur chambre, et se laissèrent tomber sur leur lit, éreintés.
– Quelle journée ! soupira Molly. C'est à la fois merveilleux et épuisant.
– Je ne te dirai jamais assez à quel point je suis admiratif de tout ce que tu fais pour eux, dit Arthur avec sincérité.
Molly eut un bref sourire, mais son regard se perdit rapidement dans le vague, et elle parut soudain terriblement triste.
– Qu'y a-t-il ? demanda prudemment Arthur.
Elle ne répondit rien, mais une larme roula sur sa joue ; et Arthur sut qu'elle pensait à ses deux frères, Fabian et Gideon, qui avaient été tués par des Mangemorts juste après la naissance de Ginny.
– Oh, Molly chérie, dit Arthur en se rapprochant pour la prendre dans ses bras.
Elle pleura un peu contre son épaule, et Arthur décida de rester silencieux.
– C'est... C'est étrange, renifla Molly au bout d'un long moment. Avec la fin de cette guerre, je devrais me sentir soulagée, et heureuse, mais c'est tout l'inverse qui se produit...
– Ça ne m'étonne pas vraiment, remarqua doucement Arthur. Tu as été tellement forte, lorsque tes frères ont été tués... Je pense que tu t'es sentie obligée de tenir pour nos enfants, pour les protéger... Et maintenant que la guerre est terminée, peut-être que tu t'autorises enfin à ressentir la tristesse de leur disparition.
Molly acquiesça, et d'autres larmes roulèrent sur ses joues.
– Exactement, murmura-t-elle. Ils seraient tous les deux tellement heureux de voir tout ça... Bill ressemble tellement à Fabian... Et Ronald, à Gideon... Quand je les ai regardés jouer avec Ginny, tout à l'heure, j'ai eu l'impression de les revoir en train de s'occuper de moi... Ils étaient si attentionnés, et si courageux...
Sa voix chevrotait un peu, et Arthur resserra son étreinte.
– Nous parlerons d'eux à nos enfants, promit-il. Nous ferons en sorte que leur courage et leur bonté continuent de vivre à travers eux. Et dès qu'ils seront en âge de comprendre pourquoi, ils seront fiers d'être les neveux et nièce de Fabian et Gideon Prewett.
Molly acquiesça, un peu rassérénée, et se tamponna le coin des yeux.
– C'est une période étrange pour tout le monde, poursuivit Arthur. La guerre est terminée, le monde sorcier est en liesse, mais ceux qui se sont battus avec le plus de bravoure ne sont pas là pour le célébrer...
– Oui, et il n'y a pas que ça, ajouta Molly. Je n'arrête pas de penser à ce pauvre Harry... À ce pauvre petit Neville... Ils ont l'âge de notre Ronald, tous les deux. Comment vont-ils grandir, sans leurs parents pour s'occuper d'eux ?
– Tu as raison, c'est terrible, admit Arthur.
– C'est tellement injuste, dit Molly en secouant la tête. Et quand je pense que de nombreux Mangemorts sont encore en liberté, alors que James et Lily sont morts, qu'Alice et Frank ont perdu la raison...
– Ne m'en parle pas, soupira Arthur. Et à propos de Mangemorts, tu ne devineras jamais qui s'est proposé pour financer la reconstruction du pays ?
– Oh, Arthur... Tu ne parles pas de Malefoy, j'espère ?
– Il n'a pas perdu de temps, grommela Arthur avec colère. Si j'en crois toutes ses généreuses promesses de financement, sa fortune doit avoir triplé pendant la guerre ! Et il continue à prétendre qu'il a été pris en otage, et soumis à l'Imperium ! Vraiment, quelle ordure... Dire que son fils a le même âge que le nôtre, et qu'ils devront se côtoyer en classe...
– Espérons au moins qu'ils ne soient pas dans la même maison, renchérit Molly.
Arthur approuva, et soudain, son entrevue avec Millicent Bagnold lui revint en mémoire.
– J'allais oublier, dit-il avec un grand sourire. Tu sais que la Ministre de la Magie m'a convoqué dans son bureau, aujourd'hui ? Tu ne devineras jamais ce qu'elle m'a confié. Je pense que ça devrait te remonter le moral.
Arthur se leva, et extirpa de son sac un grimoire abîmé, dont la couverture portait la marque d'une morsure de chien.
– La nuit où il est mort, Adam Claring a réussi à sauver cet ouvrage, et à nous le faire parvenir, expliqua Arthur en caressant la couverture avec enthousiasme. C'est lui qui l'a rédigé, et c'est un trésor inestimable. Pendant toutes ces années, il a examiné les lois et le fonctionnement du monde magique, et en a déduit tout ce qu'il fallait faire pour améliorer la protection des Moldus et des Nés-Moldus. C'est un véritable mode d'emploi, complet, pragmatique, avec toutes les étapes soigneusement expliquées et les bénéfices que nous pouvons en attendre... Il n'y a plus qu'à défendre ses propositions devant le Magenmagot, en évitant les pièges que Malefoy ne manquera pas de me tendre... Moi qui avais peur que l'œuvre de ce pauvre Claring soit réduite à néant, je vais pouvoir la poursuivre ! Et regarde, ce n'est pas tout...
Il ouvrit le grimoire au tout début, et Molly poussa une exclamation admirative. Un superbe phénix était dessiné sur toute la double page, avec une telle finesse que ses deux ailes déployées semblaient pouvoir embraser le papier à tout moment. Et en-dessous du superbe dessin, Adam Claring avait inscrit en lettres soignées :
Tel le phénix
L'espoir renaît de ses cendres
Arthur et Molly échangèrent un sourire, et s'enlacèrent tendrement, avec le sentiment que cette phrase leur était personnellement adressée.
***
À l'heure où Molly et Arthur Weasley s'endormaient l'un contre l'autre, un peu rassérénés, les détenus de la prison d'Azkaban n'avaient pas cette chance.
Entre les murs glacés de la forteresse, les gémissements désespérés et les hurlements terrifiés des prisonniers se mêlaient aux râles macabres des Détraqueurs. Après la défaite de Voldemort, ces derniers avaient tous battu en retraite vers Azkaban, atteignant ainsi un nombre considérable.
Le quartier le mieux gardé de la prison était aussi le plus agité. Dans le cachot du fond, le jeune Bartemius Croupton appelait à l'aide, terrorisé ; et dans la cellule voisine, Bellatrix le réprimandait pour son manque de courage. Elle était pratiquement la seule à ne pas être affaiblie, il lui arrivait même de rire au nez des Détraqueurs, car ni le froid mordant, ni aucune créature ne pouvait atténuer la rage et la haine qui continuaient de bouillonner en elle.
Un peu plus loin, dans une cellule encore plus exigüe, un autre prisonnier résistait à l'emprise des Détraqueurs. Il ne pleurait pas, il ne gémissait pas, il ne dormait pas non plus. Il tremblait un peu à cause du froid, mais pour le reste, il était parfaitement immobile, assis au fond de sa cellule.
Sirius était lui-même étonné d'être encore en vie ; car en arrivant dans ce cachot, presque deux semaines plus tôt, il était décidé à abandonner. Il voulait qu’on le laisse mourir. Il comptait en finir au plus vite, et rejoindre James et Lily.
Ce jour-là, après s’être laissé enchaîner sans rien dire, Sirius s’était allongé sur le sol et avait attendu que la mort vienne le prendre. Il avait attendu longtemps, sans boire ni manger ; puis, alors qu’il sentait la mort approcher, il avait fermé les yeux, soulagé, en pensant ne plus jamais se réveiller.
Et puis il avait fait ce rêve étrange. Il avait rêvé que James était là, penché sur lui.
Sirius, réveille-toi, lui avait dit James. Il est trop tôt.
Sirius l’avait prié de le laisser tranquille.
Si tu disparais, Harry ne saura jamais ce qu’il s’est passé, avait insisté James. Que pensera-t-il de moi, si on lui raconte que mon meilleur ami était un criminel ?
De nouveau, Sirius lui avait demandé de se taire, mais James n’en faisait qu’à sa tête.
Tu ne vois pas ? Tu es le gardien de tous nos souvenirs. Je suis mort, Lily est morte, Marlene est morte, Peter nous a trahi et Remus pense que c’est toi qui es coupable. Ce que nous avons été de meilleur, tu es le seul à en avoir encore conscience. Et si tu meurs aussi, tout cela disparaîtra.
Sirius avait commencé à douter, mais il n’avait plus la force de bouger. Les Détraqueurs aspiraient toute son énergie, toute sa force vitale, et il s'enfonçait dans l'inconscience, de plus en plus faible.
C’est là que Sirius avait rêvé de son frère.
Cela n’avait duré qu'une fraction de secondes. Sirius avait vu sa silhouette à quelques mètres de lui, au fond de la cellule, son visage pâle éclairé par un rayon de lune.
Je ne pensais pas que tu te laisserais abattre aussi facilement, avait dit Regulus avec un sourire. Et moi qui te croyais courageux.
C’était exactement ce qu’il fallait dire pour piquer l’orgueil de Sirius. Pour le faire réagir.
Au prix d'un effort surhumain, Sirius avait rouvert les yeux. Il s’était redressé, étourdi ; puis il avait bu un peu d'eau, mangé un morceau de pain rassis.
Et maintenant, il attendait, assis contre le mur du cachot. Il écoutait. Il survivait.
Les Détraqueurs ne pouvaient rien contre cette volonté inflexible. Cet instinct de survie n’avait rien de rationnel, il n’avait rien à voir avec de l’espoir, ni avec de la joie.
Sirius devait vivre. Il était incapable d'expliquer précisément pourquoi, mais il le sentait au plus profond de lui-même. Il devait vivre, aussi longtemps qu’il le pourrait, et à n’importe quel prix.
***
Contrairement à Sirius, Narcissa et Lucius n'avaient pas froid du tout, et dormaient déjà profondément. Malgré l'immensité de leur lit conjugal, ils étaient étroitement enlacés, leurs jambes s'entremêlaient, leurs cheveux blonds s'étalaient sur les draps.
Dans la chambre impeccablement rangée, rien ne laissait présager à quel point les derniers jours avaient été tumultueux. En effet, dans la nuit qui avait suivi les visites de Fudge et de Daisy, Millicent Bagnold était venue leur rendre visite pour informer Narcissa des faits atroces qu'avait commis Bellatrix, et de son emprisonnement immédiat avant son jugement, qui devait avoir lieu un peu plus tard. Par la même occasion, elle leur avait légué un tout jeune elfe de maison prénommé Dobby, que Rodolphus et Bellatrix avaient acquéri juste avant d'être arrêtés, et qui revenait de droit à ceux que Rodolphus et Bellatrix avaient désignés – Lucius et Narcissa.
Quelques jours plus tard, après avoir longuement pleuré sur le sort de sa sœur aînée, et après s'être mise inutilement en colère contre Dobby pour ne pas avoir protégé Bellatrix, Narcissa avait reçu une lettre hâtivement griffonnée par Walburga. Cette lettre disait ceci :
Narcissa,
Toi et ton fils êtes désormais les derniers héritiers de la famille Black. Les derniers à être encore en vie, en liberté, et à ne pas avoir renié notre nom de famille. Aussi, après tout ce que j'ai accompli en vain pour garder cette famille intacte, je me sens obligée de te mettre en garde. Je sais que tu me détestes profondément, sans doute à raison, mais j'espère que tu sauras surmonter ton aversion pour lire cette dernière lettre.
Depuis quelques jours, j'ai beaucoup réfléchi sur les différents choix que j'ai pu faire au cours de ma vie, et j'en suis venue à la conclusion suivante : j'aurais dû faire ce que j'ai hésité à faire à deux reprises, il y a des années de cela – d'abord après la naissance de Sirius, puis après celle de Regulus.
J'aurais dû partir. J'aurais dû protéger mes deux fils. J'aurais dû les élever moi-même, seule, au lieu de leur inculquer ces valeurs qui nous enferment, qui nous ont fait tant de mal et qui m'ont séparée de tous ceux que j'aimais.
À l'époque, je m'en croyais incapable. Je pensais que si je me séparais de cette famille et de ses idées, je disparaîtrais, je ne serais plus rien. Et si j'ai tant détesté Andromeda et Sirius, c'est parce qu'ils m'ont prouvé que j'avais eu tort de penser cela, et parce qu'ils ont réussi à être heureux en faisant ce que je n'ai jamais osé faire.
Fais-toi confiance, Narcissa, et écoute ton instinct. Lui seul peut te sauver. Pas Lucius, pas sa fortune, pas son nom de famille ni ses belles promesses : toi. Je sais que Lucius t'aime, je l'ai vu de mes propres yeux, mais s'il embrasse toujours ce désir de dominer le monde, il faut que tu fuies, car cette quête insensée le brisera, et elle te brisera aussi si tu restes liée à lui, tout comme elle brisera votre fils, impitoyablement. Elle vous brisera tous, comme l'avidité d'Orion a brisé notre famille ; et je ne me pardonnerai jamais de l'avoir laissé faire.
Adieu, Narcissa. J'espère que tu feras le bon choix pour toi, et pour Drago.
Walburga
Et c'était tout. Walburga ne disait rien d'autre. Elle ne demandait rien, ne parlait pas de son avenir à elle. Plusieurs années avant sa mort, elle s'était déjà résignée.
Walburga avait tout de même placé autre chose dans l'enveloppe, quelque chose qui ressemblait à une demande de pardon qu'elle ne parvenait pas à formuler autrement. Il s'agissait d'un dessin d'enfant que Narcissa croyait disparu depuis des années : c'était Regulus qui l'avait soigneusement réalisé, alors qu'il n'avait que six ans, juste après le week-end qu'ils avaient passé tous ensemble dans la Chaumière aux Coquillages. C'était en voyant ce dessin que Walburga avait pris connaissance de leur excursion clandestine, et les avait sévèrement punis.
Narcissa pensait que le dessin avait été perdu ou détruit, mais Walburga l'avait manifestement conservé. Avec application, Regulus y avait dessiné la petite maison en haut de la falaise, Druella en arrière-plan, et sur la plage, cinq enfants alignés, deux petits garçons et trois filles un peu plus grandes. Bella, Andy, Cissy, Sirius et moi, avait soigneusement écrit Regulus au bas du parchemin. Sur le dessin, par maladresse ou par choix, il s'était dessiné tout proche de Sirius, leurs mains en bâtons se touchaient presque, leurs visages se souriaient.
Des souvenirs heureux de ces quelques jours au bord de la mer, tout était là : le soleil jaune, la mer bleue, les sourires sur leurs visages. Et grâce à la magie qui habitait déjà Regulus à cette époque, tout était en mouvement continu : les vagues bleues roulaient, le soleil scintillait, leurs bras s'agitaient dans une perpétuelle manifestation de joie, et les traits maladroits qui représentaient leurs cinq chevelures ondulaient dans le vent.
Narcissa avait lu la lettre de Walburga avec mépris, en se demandant comment sa tante osait comparer leurs deux situations, comment elle pouvait penser que Lucius était semblable à Orion. Elle avait même failli jeter la lettre et le dessin au feu, mais elle s'était arrêtée de justesse et les avait discrètement conservés. Le dessin, pour se souvenir ; et la lettre, juste au cas où.
Le reste de la journée avait été encore plus désagréable que la réception de cette lettre. En effet, le même peintre qui avait réalisé le portrait de Walburga avait expédié un autre colis au manoir, un tableau bien plus flatteur et bien plus dangereux – celui d'Abraxas Malefoy, commandé par le vieil homme plusieurs années avant sa mort.
Heureusement, ce portrait ne prenait pas en compte les dernières années de vie d'Abraxas, et ne savait rien de plus à propos de Narcissa que le peintre qui l'avait réalisé ; mais en revanche, la personnalité du vieil homme avait été admirablement transmise au portrait, avec toute sa froideur et sa méchanceté.
Après l'avoir accroché dans la galerie de ses ancêtres, Lucius avait tenu à lui présenter Drago, et évidemment, Abraxas avait trouvé leur enfant trop mince, trop pâle, trop délicat, de toute évidence trop chéri et trop gâté. Il avait sommé Lucius de prendre son éducation en main, et d'avertir immédiatement l'école de Durmstrang de sa naissance, afin de lui garantir une place et d'éviter l'échec cuisant qu'avait été l'apprentissage de Lucius.
De retour dans leur chambre après cette entrevue extrêmement désagréable, Narcissa avait explosé d'indignation. Elle avait pleuré, crié, elle avait demandé à Lucius de promettre que Drago n'irait jamais à Durmstrang, de promettre aussi qu'il n'écouterait jamais le portrait de son père lorsqu'il s'agirait de Drago, elle l'avait même menacé de partir s'il faisait une telle chose.
Après une longue discussion houleuse, Lucius avait promis. Et une fois de plus, malgré les avertissements qui affluaient de toute part, Narcissa avait vu dans cette promesse la preuve de sa bonne foi, et elle avait choisi de rester.
Le lendemain, elle avait complété les dernières pages restantes de son vieux journal, et y avait écrit une sorte de conclusion.
Cher journal,
Dans les premières pages que j'ai écrites, je me réjouissais de faire partie de la noble famille Black. Je te parlais de mes cousins et de mes deux sœurs, et plus particulièrement d'Andromeda, puisque c'est elle qui t'avait acheté pour moi, en guise de cadeau d'anniversaire.
Aujourd'hui, ma famille a été décimée, j'ai découvert que j'étais née d'un mensonge, et cette sœur que j'aimais tant m'a trahie ; mais je fais maintenant partie d'une autre famille, bien plus sûre, bien plus fortunée et encore plus noble.
J'ai un fils, Drago, qui est un enfant merveilleux et qui fait mon bonheur à chaque instant. L'homme avec qui je partage ma vie est tel que je l'avais rêvé autrefois, et je sais qu'il ne me fera jamais aucun mal. Au cours des dernières années, j'ai dû lui cacher certaines choses, mais aujourd'hui commence une nouvelle ère de notre vie où je me fais la promesse d'être plus sincère. De son côté, il a aussi quelques défauts, et semble éprouver des difficultés à se montrer affectueux avec notre fils, mais je l'aiderai à changer cela ; et même s'il reste distant, je saurai aimer Drago pour nous deux.
Il n'arrivera rien à mon fils, je m'en assurerai. Il sera heureux, et je ne laisserai personne lui faire du mal.
Narcissa avait même souri en relisant ce dernier mensonge, cette promesse qu'elle serait incapable de tenir ; et elle avait refermé son journal. Parmi toutes ses préoccupations, à aucun moment il n'avait été question de la guerre, de ses victimes, de tous ceux qui étaient injustement enfermés à la place de son mari.
Et ce soir-là, le journal de Narcissa reposait tranquillement sous la dalle de la salle de bains, avec la lettre de Walburga et le dessin de la Chaumière aux Coquillages. Sur le petit bureau de leur chambre, on pouvait voir un numéro spécial de la Gazette du Sorcier qui rendait hommage aux innombrables personnes disparues ; Lucius l'avait parcouru du regard avec une pointe de culpabilité, puis l'avait aussitôt oublié. Quant à Narcissa, elle ne s'en était pas approchée.
La soirée était fraîche pour un début de mois de novembre. Autour d'eux, le domaine était paisible et silencieux, le manoir était parfaitement propre et ordonné, leur fils Drago dormait dans la chambre voisine.
Au milieu du lit, Lucius remua un peu. Dans un demi-sommeil, il caressa le dos nu de Narcissa, ses cheveux blonds, puis raffermit son étreinte et se rendormit complètement. Narcissa, à son tour, leva légèrement la tête ; en voyant Lucius dormir si paisiblement, elle l'embrassa sur la joue, Lucius émit un petit soupir d'aise qui la fit sourire, puis elle reposa sa tête sur sa poitrine et se rendormit à son tour.
Ni la culpabilité, ni la peur d'être un jour rattrapés par leurs crimes ne les avaient effleurés. Ils s'étaient sauvés mutuellement à plusieurs reprises, leur couple avait résisté à tous les assauts, et ils étaient persuadés que cela durerait toujours.
Un jour, peut-être, ils repenseraient à tout cela, à tous les choix qui les avaient liés et qui avaient causé leur perte, à toutes ces petites lâchetés et ces grandes trahisons, à tous ces mensonges et ces basculements qui avaient scellé leur destin ; mais pour l'heure, ils n'y pensaient pas.
Non, ce soir-là, et pour quelques années encore, Lucius et Narcissa dormaient paisiblement, un léger sourire aux lèvres.