Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts
Justice est faite
Recroquevillé dans sa cachette, Sirius grelottait.
Le jour se levait pour la deuxième fois depuis que James et Lily étaient morts. Deux nuits avaient passé depuis que Sirius avait découvert la trahison de Peter, et il n'avait pratiquement pas fermé l'œil, tenu éveillé par les trois mots qui résonnaient en lui sans aucun répit :
James.
Lily.
Morts.
Et avec ces trois mots tournoyaient une multitude de souvenirs, ou plutôt, des fragments de souvenirs.
Le cauchemar avait commencé le soir d'Halloween, le 31 octobre. Pendant toute la journée, Sirius avait eu un mauvais pressentiment. Le soir venu, n'y tenant plus, il s'était rendu chez Peter, afin de s'assurer que son ami était toujours en sécurité, et pour partager avec lui cette inquiétude qui gagnait en intensité.
Mais Peter n'était pas là. Sirius avait trouvé cela étrange : il avait pourtant promis qu'il serait prudent, et qu'il ne sortirait pas inutilement. Depuis le début de la guerre, Peter restait cloîtré chez lui, réticent à sortir ne serait-ce que quelques minutes.
Et puis Sirius avait vu le morceau de papier, posé sur la table. Celui sur lequel James avait inscrit son adresse, et que Peter tenait dans sa main au moment où James et Lily avaient fait de lui leur Gardien du Secret. Ce papier, ensorcelé par le sortilège Fidelitas une semaine plus tôt, aurait dû être vierge. Personne n'était censé pouvoir le lire, à part ceux à qui Peter donnait le papier en main propre.
Et pourtant, lorsque Sirius l'avait déplié, l'écriture de James était parfaitement visible. Le sortilège avait été brisé. James et Lily étaient en danger.
Après avoir mis le papier dans sa poche, Sirius avait immédiatement enfourché sa moto volante, et s'était précipité à Godric's Hollow. C'était là que le fil de ses souvenirs se morcelait. Il avait vu la maison explosée. Hagrid qui sortait des décombres, tenant le petit Harry dans ses bras. La porte de la maison grande ouverte, le loquet cassé.
Et James. Étendu dans l'escalier, recouvert d'une fine couche de poussière produite par l'explosion, ses lunettes brisées en morceaux. Jamais Sirius n'aurait pu imaginer une douleur telle que celle qu'il avait ressenti à ce moment-là. Il avait pourtant déjà imaginé des centaines de fois qu'une telle chose arrivait. Le cadavre de James peuplait chacun de ses cauchemars, mais rien n'aurait pu le préparer à cela.
Sirius n'avait pas émis le moindre son. Il était simplement tombé à genoux dans les décombres, à côté du corps de James, sourd à tout ce que Hagrid disait pour tenter de le réconforter.
Étrangement, ça n'était pas la vision du corps inanimé de James qui le faisait autant souffrir, mais toutes les images heureuses qui ressurgissaient en cascade dans son esprit, sans qu'il puisse les en empêcher.
Sa rencontre avec James dans le Poudlard Express. Leur complicité immédiate. Le rire de James, si joyeux, si contagieux. La première fois que Sirius avait dormi chez les Potter. Le jour où James lui avait proposé d'habiter définitivement chez eux, d'intégrer sa famille pour de bon. La Carte du Maraudeur, les batailles d'oreiller, les sermons rieurs de ses parents... On voudrait que tu sois le parrain. Le parrain de notre enfant. Et cette ultime étreinte, la dernière fois qu'il les avait vus vivants... Merci pour tout, Sirius, avait dit James.
La douleur s'accentuait à chaque image qui s'imposait à lui, grandissante, insoutenable, lancinante, mais Sirius était incapable de contrôler ses pensées. Tous ces souvenirs heureux défilaient devant ses yeux, comme si James voulait lui dire : Souviens-toi de tout cela, Sirius, souviens-toi encore et toujours, car désormais tu es le seul à le pouvoir.
Pendant un instant, Sirius s'était même senti en colère contre James. De quel droit lui avait-il permis d'être aussi heureux, de goûter à un tel bonheur, si c'était pour que tout s'arrête ? Comment pouvait-il l'abandonner ainsi, en pleine course, alors qu'il était la seule famille qu'il possédait ?
Et puis il avait entendu des pleurs déchirants derrière lui, et ces pensées déraisonnables avaient disparu.
Harry.
Vivant.
Il fallait qu'il le console. Qu'il le protège. Qu'il s'en occupe. Il fallait qu'il se ressaisisse. Il était son parrain, Harry n'avait plus que lui.
Il s'était relevé avec détermination, et était revenu vers Hagrid. De grosses larmes roulaient sur les joues de Harry, il avait tendu sa petite main vers Sirius, mais lorsque celui-ci avait voulu le prendre dans ses bras, Hagrid l'avait écarté de lui et avait refusé tout net. Et il l'avait informé qu'Harry irait vivre chez les Dursley, conformément aux instructions de Dumbledore.
Sirius l'avait écouté dire cela, avec l'impression de se trouver dans un cauchemar grotesque. Quelqu'un allait sortir du buisson, lui dire qu'il y avait erreur, que tout ça n'était pas réel. James allait se relever, comme à chaque fois, et lui demanderait pardon pour cette mauvaise plaisanterie.
Mais non, pas cette fois. James n'était plus là. Il n'y avait plus que Sirius, devant cette maison explosée. Et Hagrid qui s'apprêtait à emporter Harry loin de lui, dans une famille détestable, là où il ne pourrait plus le voir.
Prends ma moto, avait alors dit Sirius à Hagrid. Je n'en aurai plus besoin, désormais.
À cet instant, il hésitait encore entre se jeter du haut d'une falaise ou tuer Peter. Ou les deux, tiens. Comme ça, les deux responsables de la mort de James et Lily seraient également punis.
Et depuis cette nuit-là, Sirius n'avait parlé à personne. Il n'avait pas eu la force de raconter ce qu'il avait vu, ce qu'il avait fait, tant la honte et la colère étaient fortes. Il n'avait même pas osé écrire à Remus, qui était toujours en mission, isolé au milieu des loups-garous. Les dernières nouvelles du monde magique mettraient sans doute encore un peu de temps à arriver jusqu'à lui. Et de toute manière, comment Sirius pourrait-il lui expliquer ce qui s'était passé ?
Eh, salut Remus, devine quoi. Tu ne vas pas me croire.
Non, il ne pouvait pas faire ça. Rien que d'imaginer la réaction de son ami, il préférait s'enterrer vivant plutôt que d'être celui qui lui annoncerait la nouvelle. Il avait déjà fait suffisamment souffrir tous ceux qui l'entouraient.
C'était à croire qu'il était maudit. Marlene, James, Lily. Tous fauchés. Peut-être que sa mère avait raison depuis le début, il n'était bon qu'à faire le malheur autour de lui. La meilleure chose qui puisse lui arriver était donc de disparaître.
Mais avant ça, il devait venger ses amis. Et c'est pourquoi il se trouvait là, sous sa forme animale, tapi dans l'ombre d'une haie, dans un quartier de Londres que Peter aimait fréquenter.
Le jour se levait. Il n'avait rien mangé depuis près de trente-six heures, mais il n'avait pas faim. La colère et le désir de vengeance étaient largement suffisants pour le rassasier, pour lui donner des forces, et pour le maintenir éveillé. Et pour être bien certain de ne pas s'endormir, rien n'était plus efficace que de se remémorer les moments où Peter lui avait menti effrontément, et où il n'avait rien vu.
Il y avait eu cette première fois, où il lui avait saisi le bras gauche, et où il avait naïvement cru que Peter avait été blessé dans un combat contre un Mangemort, alors qu'il venait d'en devenir un lui-même. Puis ce même soir, où il était si heureux d'être invité chez James et Lily, non pas parce qu'il se réjouissait de voir Harry, mais simplement parce qu'il allait pouvoir donner son adresse à Voldemort ; et pire encore, cette joie et cette fierté qu'il avait manifestée quand James l'avait désigné comme Gardien du Secret... Encore une fois, Sirius avait naïvement cru qu'il était heureux que James lui accorde sa confiance, mais il n'en était rien. Non, la seule chose à laquelle Peter pensait à ce moment-là, c'est à la manière dont il serait récompensé lorsqu'il livrerait son meilleur ami au mage noir qu'ils combattaient depuis des années... Et dire que c'était Sirius qui avait recommandé à James et Lily de faire cela, qui les avait aiguillés dans la direction qui avait causé leur perte... Comment avait-il pu manquer de vigilance à ce point ?
Son désir de vengeance se renforçait d'heure en heure. Il devenait plus fort que tout, il effaçait en lui toute forme de pensée raisonnable, c'était la seule chose qui était susceptible de le maintenir en vie, de lui donner la force d'attendre ici, dans cette cachette boueuse, dans l'espoir d'attraper Peter et de le tuer.
Il rumina ces pensées pendant que le soleil se levait, puis l'horloge du village sonna dix heures.
Et c'est là qu'il le vit. Il était là, tranquille. Comme un petit homme normal qui se promenait. Légèrement anxieux, peut-être, regardant tout autour de lui pour être sûr que personne ne le suivait.
Lorsqu'il arriva à sa hauteur, Sirius reprit sa forme humaine et sortit de sa cachette. Il voulait voir la peur dans les yeux de Peter, mais il voulait surtout que Peter le voie en personne. Il voulait qu'il se retrouve face à face avec lui, il voulait être la dernière chose que Peter voie avant de mourir.
– Espèce de traître, dit Sirius d'une voix étranglée. Comment oses-tu te montrer en plein jour, après ce que tu as fait ?
Face à lui, Peter eut l'air effrayé, mais bien moins que Sirius ne l'aurait cru.
– Je me doutais que tu serais là, dit-il avec un petit rire.
Et sur ses mots, il se transforma en rat et fila vers le bout de la rue. Sirius lança des sortilèges dans sa direction, mais Peter les esquiva avec agilité et disparut à l'angle de la rue. Voyant cela, Sirius poussa un juron, reprit sa forme de chien et partit à sa poursuite.
Étant plus rapide que Peter, il se rapprocha facilement, mais ils arrivèrent dans une rue piétonne, où une foule dense circulait entre des étals de fruits et légumes, de viandes et de poissons. De nombreux marchands apostrophaient les passants dans un joyeux vacarme, mais Sirius n'y prêta aucune attention. Son regard était fixé sur Peter. Il le vit s'engager dans la rue bondée, faire quelques mètres en longeant les murs, puis reprendre sa forme humaine et tenter de se fondre dans la foule.
Quel idiot, pensa Sirius en voyant réapparaître son corps rondouillet, si malhabile et si lent. Il aurait pu filer par les égouts... Sous sa forme humaine, il sera incapable de m'échapper.
Toujours sous l'apparence d'un chien, Sirius passa sous les étals avec agilité, dépassa discrètement Peter en longeant les murs, puis replongea dans la foule et reprit sa forme humaine juste devant lui. Peter s'arrêta net, et Sirius agita sa baguette pour écarter les Moldus qui se trouvaient autour d'eux, afin que personne ne soit blessé dans le duel qui allait suivre.
– Tu vas payer, Peter, gronda Sirius.
Un silence de plomb s'était abattu sur la rue commerçante, et tous les regards étaient fixés sur eux. De nouveau, Sirius s'attendait à voir Peter effrayé, mais bizarrement, ça n'était pas le cas. Au contraire, il plissa les yeux avec méchanceté, et cacha sa baguette dans son dos ; puis son visage se transforma, il prit un air faussement éploré et il cria d'une voix déchirante :
– Lily et James ! Ils t'avaient fait confiance, Sirius... Comment as-tu pu les trahir ?
Sirius fut tellement stupéfait qu'il resta pétrifié, sa baguette tendue devant lui. Et c'est à ce moment précis que tout explosa.
La détonation fut si forte que Sirius fut propulsé en arrière et tomba sur le dos, sa tête heurtant brutalement la pierre. Pendant quelques minutes, il se crut mort, et en éprouva un certain soulagement ; puis le sifflement qui lui vrillait les oreilles s'arrêta, et dans un brouillard confus, il entendit des cris de souffrance, des gémissements d'agonie.
Étourdi, Sirius voulut se redresser pour porter secours aux Moldus qui souffraient ainsi ; et ce qu'il vit en levant la tête était encore plus épouvantable que la maison explosée de James et Lily. Au milieu de la rue, là où Peter se trouvait il y avait encore quelques instants, il n'y avait plus qu'un cratère béant, si profond qu'il avait éventré les canalisations. Et tout autour, des corps jonchaient le sol, des Moldus mutilés appelaient à l'aide...
– C'EST LUI ! C'est lui qui a fait ça !
Sirius tourna vivement la tête. Une Moldue pointait sur lui un index accusateur, en parlant avec un sorcier, qui, à en juger par la propreté de ses vêtements, venait d'arriver sur les lieux.
– Un autre homme le poursuivait, plus petit, rondouillet... Il a même fait tomber un cageot de fruit en trébuchant, il semblait fou de chagrin, mais il a réussi à le rattraper... Il lui en voulait à propos de quelque chose... Lily et James, oui, je crois avoir entendu ça... Mais cet homme, là, il vient de le tuer !
– Attrapez-le, supplia un Moldu qui semblait terrorisé par Sirius. C'est lui qui a fait exploser tout le monde !
Sirius ne comprenait plus rien. Où était passé Peter ? Il n'avait pourtant jeté aucun sort... Et au fond du cratère, il n'y avait plus qu'une robe de sorcier ensanglantée...
– Expelliarmus !
La baguette de Sirius vola dans les airs, atterrit dans les mains du sorcier, qui fut rapidement rejoint par beaucoup d'autres.
Crac ! Crac ! Crac !
Ils transplanaient de toute part. En quelques instants, Sirius fut encerclé.
– Plus un geste, Black, dit une voix sévère au-dessus de lui. Vous êtes en état d'arrestation.
De nouveau, Sirius resta muet de stupeur. Il y avait maintenant au moins une vingtaine de sorciers autour de lui, et autant de baguettes pointées sur lui.
Il regarda de nouveau vers le cratère, et vit un rat sautiller dans les débris, puis filer dans les égouts, une baguette entre les dents. Et Sirius comprit que ça n'était pas lui qui avait trouvé Peter. C'était Peter qui l'avait trouvé. Tout cela n'était qu'une mise en scène savamment orchestrée. Parce que Peter connaissait trop bien Sirius, parce qu'il savait qu'il voudrait le tuer, parce que ce lâche voulait disparaître aux yeux du monde pour échapper au Ministère et aux Mangemorts encore en liberté. Il s'était donc caché sous sa forme animale et s'était mis en quête de Sirius ; et quand il l'avait vu caché sous cette haie, il était volontairement passé devant lui, afin qu'il le poursuive et que tous ces Moldus le voient exploser. Tout était parfaitement calculé.
Et Sirius avait sauté à pieds joints dans ce piège, qui venait de se refermer sur lui. Une fois de plus, il s'était fait berner par quelqu'un qu'il avait toujours considéré comme bien moins intelligent que lui, et pire encore, par quelqu'un qu'il avait autrefois considéré comme un véritable ami.
Vraiment, c'en était trop. Tout cela n'était qu'une gigantesque farce.
– Relevez-le, dit une voix sévère non loin de lui. Et emmenez-le directement à Azkaban, ordre de Croupton.
Lorsqu'il entendit cela, Sirius ne put s'empêcher d'éclater de rire. Un rire qui devait être effrayant, car un sortilège le réduisit rapidement au silence, et un autre l'immobilisa. Puis il sentit qu'on le soulevait brutalement du sol, et il n'opposa plus aucune résistance.
***
Au même instant, à Sainte-Mangouste, les couloirs résonnaient des cris des Médicomages qui essayaient de retenir Alastor Maugrey.
– Mr Maugrey, vous n'êtes pas prêt à sortir d'ici !
– Votre cicatrisation est plus qu'imparfaite, vous risquez de garder des marques toute votre vie... Votre nez sera déformé...
– LÂCHEZ-MOI IMMÉDIATEMENT ! Vous croyez que cela a une quelconque importance ? Deux Aurors sont en train d'être torturés par les plus redoutables des Mangemorts, à l'heure qu'il est ! Et ne comptez pas sur moi pour rester là les bras croisés !
Les Médicomages reculèrent d'un pas, effrayés par sa véhémence, et l'un d'entre eux jeta un regard noir à la femme qui se trouvait dans un coin de la pièce, et dont la visite était à l'origine de toute cette agitation. Elle portait une longue robe verte, une fourrure de renard et un chapeau orné d'un vautour empaillé ; elle tenait contre elle un très jeune enfant blond, dont les pleurs alimentaient le vacarme ambiant.
– Merci de m'avoir prévenu, Augusta, lui dit Maugrey en remettant ses vêtements de combat, encore maculés de sang. Je vais tout faire pour les sortir de là, je vous le promets... Pendant ce temps, restez avec Neville, et mettez-le en sécurité.
– Merci à vous, Maugrey, répondit Augusta Longdubat en regardant les Médicomages avec défi. Je vous souhaite bonne chance.
Crac !
Lorsque Maugrey transplana dans la rue où vivaient les Lestrange, il comprit qu'il allait avoir grandement besoin de la chance qu'Augusta Longdubat venait de lui souhaiter. Bien qu'ils soient en pleine journée, le ciel était noir comme de l'encre à cause de tout ce qui brûlait autour de lui. Il avait l'impression très désagréable de revivre l'incendie du pensionnat Wimbley ; seule l'immense maison des Lestrange était intacte, et se dressait au milieu de ce spectacle de dévastation. Et le plus glaçant n'était pas ce qu'il voyait, mais ce qu'il entendait : des hurlements de souffrance provenaient de l'intérieur de la maison, tels que Maugrey n'en avait jamais entendu, et d'autant plus épouvantables qu'il connaissait très bien ceux qui criaient ainsi. Et lorsqu'ils se taisaient, Maugrey entendait un rire de femme, qui ne semblait même plus humain tant il était cruel...
Malgré l'émotion qu'il ressentait en entendant les cris de souffrance de ses deux proches amis, Maugrey essaya d'analyser la situation à toute vitesse. Frank était porté disparu depuis la veille, et d'après Augusta, Alice avait disparu depuis quelques heures – en tout cas, c'était le moment où elle était partie à la recherche de son mari, laissant à Augusta la garde de Neville.
Maugrey s'était attendu à voir l'ensemble des Aurors et de la Police Magique attaquer la maison, mais il n'en était rien. Seules quelques personnes s'étaient abritées derrière un petit muret, un peu à l'écart, et semblaient prendre un moment de répit pour réfléchir à un plan d'attaque. Maugrey transplana juste à côté d'eux, et de nouveau, il fut surpris de ne reconnaître qu'une seule Auror, en la personne d'Esther Montrose. Elle était adossée au muret, livide, visiblement blessée ; et autour d'elle, seules trois personnes étaient présentes : un tout jeune homme à la peau noire, et deux femmes beaucoup plus âgées. Maugrey reconnut Kingsley Shacklebolt, le jeune élève de Montrose, qui avait débuté sa formation d'Auror deux ans plus tôt ; le professeur McGonagall ; et enfin Millicent Bagnold, la Ministre de la Magie, reconnaissable à ses yeux violets, sa longue chevelure argentée et son manteau bleu. À la manière dont ils discutaient, Maugrey devina que McGonagall et Bagnold venaient tout juste d'arriver sur place, et essayaient de trouver un moyen de venir au secours des Longdubat sans être capturées à leur tour.
– Maugrey, s'exclama McGonagall en le reconnaissant malgré ses blessures. Vous devriez être à Sainte-Mangouste !
– Et vous, à Poudlard, rétorqua Maugrey en articulant approximativement à cause de ses blessures au visage. Et vous, au Ministère, madame la Ministre.
– Aucun de nous ne devrait être ici, grinça Millicent Bagnold. Mais voyez-vous, Croupton a mobilisé toute la Brigade de la Police Magique pour emmener une seule personne à Azkaban...
– Et les Aurors qui n'ont pas été blessés ont tous pris leurs congés, gémit Kingsley. Ordre de Hawthorne.
– Quoi ?
Kingsley échangea un regard avec l'Auror blessée qui était assise sur le sol, et d'un geste du menton, elle lui fit signe d'expliquer la situation.
– C'est lui qui a pris les commandes, après votre... hospitalisation, dit Kingsley. Il vous a toujours envié votre place de chef des Aurors, alors je crois qu'il a voulu en profiter pour gagner leur sympathie... Il a déclaré que tout le monde avait besoin de repos, que la guerre était terminée... Beaucoup sont partis en voyage après les différentes perquisitions. Nous sommes les seuls à être restés à poste, avec les Longdubat.
Maugrey baissa les yeux vers sa collègue, qui était adossée au petit muret. Elle était bien plus pâle que d'habitude, et avait du mal à respirer, sans doute en raison des blessures qu'elle avait au cou, à l'épaule et à la jambe.
– J'avais peur que les derniers Mangemorts encore en liberté profitent de ce relâchement de vigilance, dit-elle d'une voix faible en désignant la maison des Lestrange. J'ai essayé de raisonner Hawthorne, mais il ne m'a pas écoutée... Et il s'est passé exactement ce que je craignais.
Maugrey regarda dans la même direction et serra rageusement les poings. Les Longdubat étaient en train de payer le prix de cette terrible négligence.
– Vous ne craignez pas une attaque simultanée à Poudlard ? demanda-t-il à McGonagall.
– Dumbledore est là-bas, le rassura McGonagall. Il a été retenu par ceux qui enquêtent sur Sirius Black. Ils tenaient absolument à fouiller Poudlard, et à interroger Dumbledore... Ils ont même refusé de s'interrompre, même lorsqu'ils ont été avertis de ce qui se passait ici. C'est Dumbledore qui m'a ordonné de venir ; sinon, il serait venu en personne.
– Nous avons fait appel à d'autres sorciers, mais pour l'instant, personne n'est venu, ajouta Kingsley.
– Personne n'a envie de mourir ainsi, alors que la guerre vient de se terminer, grogna Millicent Bagnold.
Un nouveau hurlement de femme, provenant de la maison des Lestrange, leur glaça le sang.
– Assez parlé, décida Maugrey en essayant de masquer à quel point il était bouleversé. Nous n'avons pas le luxe de pouvoir attendre des renforts, nous ne pouvons donc compter que sur nous-mêmes... Combien sont-ils, là-dedans ?
– Quatre en tout, répondit le jeune Kingsley. Trois hommes et une femme. Je n'ai vu que les frères Lestrange, ce sont eux qui se chargent de repousser tous ceux qui essaient de s'approcher... Et à l'intérieur, la seule fois où j'ai réussi à m'approcher j'ai entendu ce rire cruel, et la voix d'un autre homme...
– Bien, dit Maugrey. Montrose, vous allez immédiatement à Sainte-Mangouste, et nous, on s'occupe du reste. Compris ?
Sa collègue tenta de protester, mais elle dut admettre qu'elle était hors d'état de combattre ; et au prix de douloureux efforts, elle finit par transplaner vers Sainte-Mangouste. Maugrey regarda rapidement les trois autres : Kingsley Shacklebolt était très jeune, et il n'avait pas terminé sa formation d'Auror, mais en dehors de cette manie étrange qu'il avait de porter une seule boucle d'oreille, Montrose lui avait récemment vanté son courage exceptionnel et de ses grandes qualités de duelliste. McGonagall avait été sa professeure de Métamorphose, et comme tous ses élèves, Maugrey connaissait bien l'importance de sa puissance magique. Quant à Millicent Bagnold, Maugrey avait beaucoup entendu parler d'elle quand il était enfant : et pour cause, elle avait été à la tête du Bureau des Aurors lorsque ses deux parents y travaillaient. Elle avait pris sa retraite avant le début de la guerre, mais avait été rappelée au pouvoir après la démission de Harold Minchum. Maugrey avait longtemps rêvé de pouvoir combattre à ses côtés, mais il n'avait jamais imaginé que cela puisse arriver dans des conditions aussi tragiques.
– Nous devons attaquer simultanément, et le plus rapidement possible, décida Bagnold. Minerva, je vous couvrirai quand vous traverserez la rue ; et Shacklebolt, vous qui êtes encore jeune, restez avec Maugrey, et essayez de détourner l'attention des frères Lestrange pendant que nous entrons. La priorité est de neutraliser ces monstres, avant d'extraire les Longdubat : nous devons à tout prix éviter qu'ils ne fassent d'autres victimes. Compris ?
Ils s'entreregardèrent brièvement. La probabilité pour qu'ils sortent tous les quatre indemnes de ce combat était extrêmement faible, mais aucun d'entre eux ne songea à renoncer.
– Bonne chance à tous, déclara Millicent Bagnold. Tenez-vous prêts, et à mon signal...
D'un même mouvement, ils se tournèrent vers la maison des Lestrange, qui était cernée par les flammes, et se hissèrent sur la pointe des pieds pour voir par-dessus le muret qui les abritait. Aussitôt, deux silhouettes postées aux fenêtres se mirent en mouvement, et les sortilèges se mirent à fuser dans leur direction, avec une violence inouïe. Les Lestrange semblaient galvanisés par les cris de souffrance qui retentissaient derrière eux, à l'intérieur de la maison. Ces cris étaient pourtant de plus en plus faibles, comme si les Longdubat perdaient progressivement espoir que quelqu'un leur vienne en aide.
Tout en réprimant un frisson, Bagnold fit un léger mouvement du poignet, et la fumée noire qui montait des différents cratères qui ponctuaient la rue dévia vers la façade de la maison, obstruant pendant un court instant la vision des frères Lestrange.
– En avant, ordonna Bagnold à ses trois compagnons de combat.
Maugrey se mit à avancer au beau milieu de la rue, avec le jeune Kingsley à ses côtés, jetant des sorts successifs en direction des fenêtres où ils avaient vu apparaître les deux frères Lestrange. Dès que la fumée se dissipa, et que les Lestrange les virent approcher, un double duel s'engagea ; et les Lestrange, trop heureux de pouvoir se mesurer à Alastor Maugrey, ne remarquèrent pas le chat tigré qui se faufilait sur le perron et montait le long de la gouttière, ni la femme aux longs cheveux argentés qui transplanait juste à côté de la porte...
Maugrey eut un léger sourire lorsqu'il entendit un miaulement féroce retentir derrière les Lestrange, suivis du cri de douleur d'un des Mangemorts. Les Lestrange furent distraits pendant un court instant, et Maugrey en profita pour faire irruption à l'intérieur, en même temps que Bagnold ; il s'attaqua à Rodolphus Lestrange, qui semblait plus redoutable que son petit frère, et laissa Rabastan à son jeune coéquipier.
Derrière eux, il vit Millicent combattre un Mangemort dont l'apparence juvénile tranchait avec la férocité, et qui se dressait devant une silhouette recroquevillée dans un coin de la pièce, que Maugrey identifia comme étant Frank Longdubat.
C'était donc à McGonagall que revenait la tâche périlleuse d'affronter Bellatrix Lestrange. Elle se trouvait au centre de l'immense pièce, qui occupait tout l'étage ; Alice Longdubat était étendue à ses pieds, le regard vague, poussant de temps à autre des gémissements incompréhensibles. Malgré ses yeux écarquillés, elle ne bougeait presque pas, et ne semblait même plus consciente de ce qui se passait autour d'elle.
McGonagall essayait de ne pas penser aux deux élèves de Poudlard que ces jeunes femmes avaient été à peine quelques années plus tôt, mais elle était incapable de les voir autrement, même lorsque Bellatrix lui fit face, et éclata d'un rire aigu.
– Je commençais à m'impatienter, ricana-t-elle. Ravie de vous revoir, professeur.
– Assez, Bellatrix, coupa McGonagall avec froideur. Libère-la immédiatement.
Bellatrix rit de plus belle et, du bout du pied, elle repoussa le bras d'Alice Longdubat, qui poussa un gémissement déchirant. Près des fenêtres et au fond de la pièce, les trois autres Mangemorts étaient en difficulté, mais Bellatrix s'en fichait éperdument.
– Elle m'appartient déjà, répliqua Bellatrix. Comme vous tous.
À la lueur cruelle qui flamboyait dans son regard, McGonagall devina que parlementer ne servirait à rien. D'un même mouvement, elles levèrent leurs baguettes et le duel s'engagea.
Ni Bellatrix, ni McGonagall n'avaient besoin de prononcer la moindre formule. Les deux puissances qui s'affrontaient étaient telles que l'air vibrait et miroitait tout autour d'elles, électrique, saturé de magie. Des lames d'ombre fusaient de la baguette de Bellatrix, lacérées par les griffes dorées et scintillantes qui surgissaient de celle de McGonagall.
Un nuage de pétales argentés apparut derrière McGonagall, puis se déplaça vers Bellatrix et tenta de l'emprisonner. Voyant cela, Bellatrix fit un geste souple du poignet, et les pétales argentés se métamorphosèrent en aiguilles effilées qui explosèrent dans toutes les directions, obligeant McGonagall à les faire disparaître.
Sans lui laisser le moindre répit, Bellatrix tendit sa main devant elle, et le sol de la pièce devint sombre et mouvant. Des tentacules obscurs en jaillirent, s'enroulèrent autour de McGonagall et tentèrent de la faire tomber ; mais au moment où Bellatrix crut la voir vaciller, une lionne de flammes se matérialisa juste à côté d'elle, éclaira d'une lumière vive les visages des deux femmes, et poussa un rugissement féroce qui fit éclater tous les tentacules en milliers de particules.
Alors qu'aucune d'entre elles ne parvenait à prendre le dessus, McGonagall entendit vaguement des cris de rage successifs autour d'elle, lui signifiant que le jeune Mangemort et les frères Lestrange étaient en passe d'être vaincus. Elle espéra furtivement que Maugrey, Bagnold et Kingsley puissent lui venir en aide, mais il n'en fut rien.
Lorsque Bellatrix comprit qu'elle était sur le point de devoir se mesurer à quatre adversaires pour l'emporter, sa baguette décrivit un large cercle autour d'elles, et un rideau de flammes les sépara du reste de la pièce.
Il n'y avait plus que McGonagall et Bellatrix, avec Alice Longdubat qui était toujours étendue à ses pieds : autour d'elles, les contours de la pièce avaient disparu, et un dôme de flammes les englobait, les séparait du reste du monde. Successivement, Maugrey et Millicent Bagnold essayèrent de le franchir, mais sans succès. Très rapidement, l'incendie se propagea dans la pièce, et McGonagall entendit les autres battre en retraite. Face à elle, Bellatrix n'était même plus une femme, mais une sorte de flamme inhumaine qui brûlait tout autour d'elle, sans distinction, à tel point qu'elle semblait sur le point de se consumer elle-même.
McGonagall brandit de nouveau sa baguette, et Bellatrix l'imita ; aussitôt, deux serpents de lumière et d'obscurité jaillirent, s'enlacèrent, tournoyèrent dans les airs, puis s'évanouirent dans une pluie de poussière grise.
– Tu ne m'auras pas, vieille chouette ! cria Bellatrix d'une voix aiguë. Comme toi, les Longdubat m'ont résisté, et je les ai détruits ! Et lorsque j'en aurai fini avec toi, j'irai chercher leur fils, et il connaîtra le même sort qu'eux !
Il se produisit alors quelque chose d'inattendu. À l'instant où elle prononçait ces mots, Alice Longdubat tressaillit à ses pieds, et cessa brusquement de pousser des gémissements incompréhensibles. Sans que Bellatrix ne remarque quoique ce soit, McGonagall la vit basculer sur le côté, tendre une main tremblante et agripper la cheville de Bellatrix pour la faire tomber.
Alice était si affaiblie que Bellatrix ne tomba pas, mais ce moment de surprise suffit à McGonagall pour intervenir. Un premier sortilège fit voler la baguette de Bellatrix dans les airs, le deuxième l'atteignit en pleine poitrine ; et McGonagall vit très nettement l'expression de surprise et de fureur qui se figea sur son visage, lorsqu'elle comprit qu'elle était vaincue.
Au moment où elle tombait à terre, stupéfixée, les flammes qu'elle avait faites apparaître se dissipèrent ; et le calme revint dans la pièce, dont les murs et tous les meubles étaient couverts de suie.
Sans attendre, McGonagall se précipita vers Alice Longdubat, et s'agenouilla auprès d'elle. Elle était dans un piteux état ; elle tremblait terriblement, et son regard égaré flottait en direction de Bellatrix, totalement inexpressif.
– Neville, bredouillait Alice, presque inaudible. Neville...
– Votre fils est en sécurité, dit aussitôt McGonagall en la prenant dans ses bras. Il va bien, grâce à vous... Vous l'avez sauvé, Alice.
Alice Longdubat regarda son ancienne professeure dans les yeux, et une larme roula sur sa joue. Cela ne dura qu'une fraction de secondes ; puis son regard se troubla, elle s'affaissa dans ses bras et perdit connaissance.
Bouleversée, McGonagall la serra contre elle, avec le sentiment très net que la jeune femme venait d'utiliser son dernier sursaut de lucidité pour sauver son fils.
Elle regarda autour d'elle, et constata avec soulagement que les trois autres Mangemorts avaient également été vaincus : ils gisaient tous sur le sol, assommés ou stupéfixés. Maugrey et Kingsley Shacklebolt étaient accroupis auprès de Frank Longdubat, qui était recroquevillé dans un coin de la pièce, apeuré, et semblait ne pas les reconnaître. Quant à Millicent Bagnold, elle était debout à quelques mètres de McGonagall, et regardait l'ensemble de la scène avec consternation.
Avant que l'un d'entre eux n'ait eu le temps de prononcer le moindre mot, la Brigade de la Police Magique fit irruption dans la maison. Leur chef, Hugh Ashridge, entra en premier, avec l'air de celui qui allait sauver la situation ; mais lorsqu'il aperçut Millicent Bagnold, avec son manteau bleu couvert de suie, son visage se décomposa.
– Madame la Ministre, dit l'homme en retirant son chapeau. Je ne savais pas que vous étiez ici...
– Félicitations, Ashridge, vous êtes pile à l'heure, commenta Millicent Bagnold sur un ton cassant. Quel courage, cette Brigade... On se demande à quoi vous servent les milliers de gallions que Croupton a alloués à votre financement.
Le chef de la Brigade fronça le nez, visiblement vexé, et s'apprêta à bafouiller une réponse, mais Bagnold ne lui en laissa pas le temps.
– Bouclez-moi ces quatre Mangemorts, et attention à elle, ne laissez pas vos stagiaires s'en occuper... Croyez-moi, elle est bien plus dangereuse que vous ne le pensez. Et quand vous aurez terminé, vous viendrez me remettre votre insigne de Chef de la Brigade de la Police Magique.
Ashridge tressaillit, et la regarda comme si elle avait perdu la raison.
– Je vous demande pardon, madame la Ministre ?
– Vous m'avez bien entendue, Ashridge. Vous auriez dû être ici depuis plusieurs heures, n'en déplaise à Mr Croupton. C'est à cause de fanfarons comme vous et Hawthorne que Frank et Alice Longdubat ont enduré ce martyre. Par conséquent, vous serez tous les deux démis de vos fonctions aujourd'hui même.
Maugrey et Kingsley se sentirent obligés de baisser les yeux, tant leur Ministre avait parlé avec froideur. La tête basse, les membres de la Brigade emmenèrent les quatre Mangemorts, laissant le champ libre aux Médicomages qui attendaient devant la maison. Ces derniers s'occupèrent de Frank et Alice, posèrent quelques questions à ceux qui avaient pu être témoins de quoique ce soit, puis ils repartirent pour Sainte-Mangouste en emmenant les Longdubat.
Après leur départ, Maugrey, Kingsley, McGonagall et Bagnold se retrouvèrent seuls, et pendant un long moment, aucun d'entre eux ne prononça le moindre mot. Rien ne pouvait décrire l'horreur de ce qu'ils venaient de voir.
– Ils... Ils ne s'en remettront jamais, n'est-ce pas ? demanda timidement Kingsley.
McGonagall et Maugrey secouèrent la tête avec gravité.
– Pauvres diables, soupira Maugrey. Pauvre Augusta... Et pauvre Neville.
Ils échangèrent tous les quatre des regards affligés, et observèrent de nouveau un long moment de silence. Puis ce fut Maugrey qui, en regardant par terre, trouva un moyen de leur donner un semblant de réconfort.
– Tenez... Venez là, Shacklebolt, grogna-t-il.
Il se baissa pour ramasser un petit objet métallique, se redressa difficilement, et marcha en boitillant vers Kingsley.
– C'est pour vous, dit Maugrey de sa voix bourrue. Frank n'en verra sans doute pas l'utilité avant un long moment, et il ne voudrait pas qu'il prenne la poussière.
Kingsley reconnut l'insigne d'Auror de Frank Longdubat, et écarquilla les yeux. Sans lui laisser le temps de réagir, Maugrey l'épingla sur sa veste, et lui donna une tape sur l'épaule.
– Prenez ça, et allez retrouver Montrose à Sainte-Mangouste : cette tête de mule serait capable de revenir pour se battre avant d'être soignée convenablement. Dites-lui que c'est moi qui vous ai donné cet insigne, et qu'à partir d'aujourd'hui, vous êtes un Auror au même titre que nous.
Kingsley ne sut que répondre. Il n'en croyait pas ses yeux, ni ses oreilles. Un peu plus loin, Millicent Bagnold opina du chef.
– Je sais reconnaître un véritable Auror quand j'en vois un, approuva-t-elle. Vous l'avez bien mérité, jeune homme.
Kingsley baissa les yeux, et regarda l'insigne épinglé sur sa poitrine, qui venait de lui être remis par l'Auror qu'il admirait le plus au monde. L'insigne était cabossé, fêlé et noirci à plusieurs endroits, mais il avait été porté par Frank Longdubat, un Auror qui s'était toujours montré bienveillant avec lui, et à cet instant, aucun morceau de métal n'aurait pu être plus beau que celui-ci.
– Je donnerai celui d'Alice à Augusta, déclara Maugrey. Il sera pour Neville, quand il sera en âge de comprendre pourquoi.
McGonagall et Millicent Bagnold acquiescèrent, et tous les quatre se firent silencieusement la promesse de ne jamais oublier tout ce qu'ils venaient de vivre.
***
L'effervescence de cette journée ne s'arrêta pas là. En fin de journée, Remus arriva à Londres, anéanti par tout ce qu'il avait appris au cours des dernières heures.
La veille, déjà, Remus avait aperçu les nombreux hiboux qui volaient dans le ciel ; puis les rumeurs concernant la fin de la guerre avaient atteint l'endroit reculé où il vivait depuis plusieurs semaines avec un groupe de loups-garous. En entendant tout cela, Remus avait décidé de rejoindre le village le plus proche, plein d'espoir, afin d'en avoir le cœur net.
Il avait atteint un petit village le matin même, et était allé se renseigner auprès d'une sorcière qui lui avait donné la Gazette des Sorciers de la veille. Le cœur de Remus s'était arrêté en lisant le gros titre à la une : Harry Potter, orphelin et vainqueur contre Vous-Savez-Qui.
Les mains tremblantes, Remus avait lu le reste de l'article, qui expliquait que Voldemort avait disparu, que la guerre était terminée, mais aussi que James et Lily étaient morts, et que Sirius était activement recherché, accusé de les avoir livrés à Voldemort. La Gazette demandait même à ses lecteurs de prévenir les autorités magiques s'ils savaient où il se trouvait.
Sidéré, Remus s'était aussitôt rendu à Godric's Hollow, où il avait trouvé une foule de sorciers en train de rendre hommage à James et Lily ; puis il était allé chez Sirius, et enfin chez Peter, en quête d'explications ; mais à chaque fois, il n'avait trouvé personne. Il s'était donc décidé à venir jusqu'à Londres, dans l'espoir de trouver quelqu'un qui l'aide à tirer au clair cette situation invraisemblable.
En arrivant sur le Chemin de Traverse, Remus fut désarçonné par l'atmosphère festive qui y régnait. La rue commerçante, qui était pratiquement à l'abandon depuis des années, avait retrouvé toute sa superbe. L'endroit était bondé ; une musique joyeuse s'échappait du Chaudron Baveur, qui avait installé des tables dans toute la rue ; partout, des sorciers buvaient, dansaient, riaient, comme cela n'était pas arrivé depuis de nombreuses années.
– À la santé de Harry Potter ! cria l'un des sorciers attablés en levant sa chope.
– Le Survivant ! acclamèrent les autres en écho.
Évidemment, Remus était bien incapable de partager l'état d'euphorie qui régnait. Plusieurs sorciers qu'il ne connaissait pas l'apostrophèrent avec joie, lui tapèrent sur l'épaule, mais Remus n'avait pas le cœur à se réjouir. Il voulait seulement savoir ce qui s'était réellement passé, car pour l'instant, il ne comprenait strictement rien.
– Achetez le numéro du jour de la Gazette du Sorcier ! criait un jeune homme devant lui en brandissant une pile d'exemplaires. Encore quatre Mangemorts capturés aujourd'hui, deux Aurors dans un état critique... Et surtout, le traître Sirius Black a enfin été attrapé, après avoir été poursuivi pendant plus de vingt-quatre heures par la Brigade de Police Magique !
Abasourdi, Remus en acheta un exemplaire et l'ouvrit aussitôt pour le lire, indifférent aux sorciers qui le bousculaient en passant près de lui.
Bien qu'il ait côtoyé les Longdubat au sein de l'Ordre du Phénix, Remus n'accorda aucune importance à l'article qui relatait la manière dont ils avaient été odieusement capturés et torturés. Il n'avait d'yeux que pour l'article qui parlait de l'arrestation de Sirius, et en le lisant, il eut l'impression de se liquéfier.
Sirius Black, qui était recherché depuis hier par le Ministère, a finalement été arrêté en milieu de matinée. Après avoir réalisé qu'il était un espion au service de Vous-Savez-Qui, Croupton a lancé toute la Brigade de la Police Magique à ses trousses, mais malheureusement, cela n'a pas suffi à éviter un autre drame. En effet, alors qu'il était en cavale, Sirius Black a été rattrapé par un de ses anciens camarades, Peter Pettigrow, qui était également un ami proche des Potter. Pettigrow a tenté de l'attraper pour venger la mort de ses deux amis, mais Black l'a froidement abattu, avec une sauvagerie que nous n'oserions décrire dans cet article, causant également la mort de douze Moldus dans ce terrible affrontement.
Heureusement, la Brigade de la Police Magique a réussi à capturer Black avant qu'il ne fasse d'autres victimes, et il a immédiatement été envoyé à Azkaban, où il devrait croupir pour le restant de ses jours. En effet, devant une telle dangerosité, Croupton a décrété qu'il serait irresponsable de lui laisser la moindre chance de s'échapper, et nous ne pouvons qu'être d'accord avec lui...
D'un coup sec, Remus referma la Gazette, le cœur battant à tout rompre. Il se trouvait dans un cauchemar, il n'y avait pas d'autre explication possible. Incapable de tenir pour vrai ce qu'il venait de lire, il décida de se rendre au Ministère par la voie des cheminettes, afin de trouver quelqu'un d'honnête qui puisse enfin lui dire la vérité sur toute cette histoire.
Avec l'impression de plus en plus tenace de se trouver sous l'emprise d'un sortilège de Confusion, Remus traversa le hall du Ministère, qui, comme le Chemin de Traverse, était rempli d'une joyeuse allégresse, à laquelle il ne prêta pas plus d'attention. Il prit un ascenseur au hasard, et parvint à trouver le bureau de Croupton ; lorsqu'il arriva devant la porte, il faillit se heurter à une femme de grande taille qui sortait de la pièce, tout habillée de noir et visiblement furieuse.
– Vous commettez une grossière erreur, Mr Croupton, dit-elle d'une voix glaciale en regardant en arrière. Et vous le regretterez !
– Très bien ! ALLEZ AU DIABLE ! hurla la voix de Croupton depuis l'intérieur du bureau.
La femme habillée de noir s'en alla sans accorder le moindre regard à Remus, faisant voler sa longue cape derrière elle. Remus était tellement sonné qu'il ne reconnut même pas la mère de Sirius, malgré leur ressemblance frappante. Dans la pièce où il entra, Croupton était avachi derrière son bureau. Son teint était grisâtre, son front était luisant de sueur et sa moustache frémissait de colère. À côté de lui, Dumbledore essayait de le calmer, tandis que Maugrey pansait ses blessures en silence, assis sur un autre fauteuil. Dans un coin de la pièce, la secrétaire de Croupton observait ce dernier avec appréhension.
– Satané Black, marmonnait Croupton, en nage. Quand je pense que les Potter lui ont confié leurs propres vies les yeux fermés...
– James et Lily n'avaient que vingt et un ans, soupira Dumbledore. Et ils avaient aveuglément confiance en leur ami. Leur mort est d'autant plus tragique que c'est leur propre bonté qui a causé leur perte...
– Professeur, dit Remus, essoufflé.
Il était incapable de dire autre chose. Il fallait que quelqu'un lui explique ce qui se passait réellement, et lui confirme que tout le monde se trompait à propos de ses quatre amis – mais hélas, le regard accablé de Dumbledore n'exprimait pas cette intention.
– Ah, Remus, soupira Dumbledore. Tu es enfin là. J'ai voulu te joindre plus tôt, mais tu étais...
– Vous faites erreur, coupa Remus. Vous vous trompez !
D'une main tremblante, il désigna la une de la Gazette qui célébrait la capture de Sirius.
– Encore un ! s'énerva Croupton, visiblement excédé. D'abord sa cousine, ensuite sa mère, maintenant un ami... Et ensuite ? Auprès de combien de sorciers vais-je encore devoir me justifier ?
– Ce n'est pas lui, affirma encore Remus. Ce n'est pas lui, je vous le jure...
– Ah, vraiment ? Alors, qui a révélé à Vous-Savez-Qui où se trouvaient les Potter ?
– Je n'en sais rien, admit Remus. Mais...
– Réfléchissez un peu, mon pauvre ami, répliqua Croupton. Qui donc les Mangemorts ont-ils tué à leur domicile, ces derniers mois ? QUI ?
Croupton pointa du doigt cinq portraits qui étaient épinglés au mur derrière lui.
– Adam Claring, dit-il, écumant de rage. Marlene McKinnon ! Edgar Bones ! Et enfin, James et Lily Potter ! Vous ne voyez pas ce qui relie tous ces pauvres gens ?
Il empoigna le journal que tenait Remus, et colla sous son nez la photographie de Sirius.
– Black, asséna-t-il. Avoir fait confiance à Sirius Black, voilà ce qu'ils ont en commun ! Ils se sont fiés à lui, et c'est ce qui les a perdus !
Remus secoua la tête.
– Non, non... Il ne peut pas avoir trahi James, dit Remus en secouant la tête. Professeur Dumbledore, dites-lui... Dites-lui que c'est impossible...
Mais Dumbledore se contentait de le regarder, l'air profondément navré.
– Après la mort d'Adam Claring, Maugrey m'a fait part de ses réserves concernant Sirius, dit doucement Dumbledore.
– Quoi ? Maugrey, mais pourquoi...
– Il était le seul à savoir où habitait Adam, grogna Maugrey. Le seul. Et l'attaque a eu lieu juste à côté de chez lui... Il est impossible qu'il n'ait rien entendu. Pareil pour les Bones et les McKinnon : au sein de l'Ordre, Sirius était le seul à connaître leurs adresses.
– Mais...
– Dans le doute, j'avais donc fermement déconseillé à James de choisir Sirius comme Gardien du Secret, poursuivit Dumbledore. Je n'étais sûr de rien, bien sûr, mais au vu de la situation, j'estimais qu'il fallait être prudent. Et malgré mon insistance, c'est lui que James et Lily ont choisi. Comme pour Adam Claring, Sirius était donc la seule personne à pouvoir révéler l'endroit où se cachaient James, Lily et Harry.
Remus se surprit à ressentir une haine violente pour le vieil homme qu'il avait en face de lui. Il se surprit à haïr son calme à tout épreuve, ses yeux bleus qui le fixaient avec aplomb, et plus encore les paroles qu'ils prononçaient, et qui gravaient dans la réalité ce que Remus refusait d'entendre...
– J'étais là, Remus, asséna Dumbledore. Comme je l'ai expliqué à Andromeda tout à l'heure, c'est moi qui ai prononcé le sortilège Fidelitas. C'est moi qui ai fait de Sirius leur Gardien du Secret, et Sirius avait encore l'adresse de James et Lily sur lui au moment où il a été arrêté. Il n'a d'ailleurs fait aucun effort pour nier sa culpabilité, lors de son arrestation. Alors, j'ignore comment, j'ignore pourquoi, mais une chose est sûre : Sirius les a bel et bien trahis. C'est lui qui a donné leur adresse à Voldemort, et il l'a fait en personne, sinon cela n'aurait pas pu fonctionner.
Remus essaya de comprendre ce que Dumbledore venait de lui dire, mais il en fut incapable. Son esprit était assailli d'informations impossibles à croire et à accepter, à commencer par la mort de James, de Lily et de Peter, que Remus n'avait même pas commencé à intégrer.
– Quand avez-vous vu Black, pour la dernière fois ? lui demanda Croupton avec agressivité.
Il y a bien trop longtemps, songea Remus. C'était à cette réunion de l'Ordre du Phénix où lui et James avaient fait en sorte que Sirius et Peter se réconcilient. Après cela, ils avaient passé un long moment chez James et Lily, et Remus avait même pu voir le petit Harry... S'il avait su que c'était la dernière fois qu'il voyait ses amis, qu'ils avaient l'occasion de rire ensemble...
– C'était... il y a des mois, répondit Remus d'une voix faible. Sirius était fatigué... Il...
– Oui, ce doit être fatigant de jouer ce double jeu, se moqua Croupton.
Remus repensa à quelque chose que Sirius lui avait dit, ce soir-là, avant l'arrivée de James et Peter.
Tu n'as pas envie de jeter l'éponge ? D'avoir la paix, une bonne fois pour toute ?
Et si Sirius avait essayé de lui dire quelque chose, à ce moment-là ? Remus ne savait plus quoi penser.
– On ne peut faire confiance à personne, décréta Croupton en se levant d'un coup, l'air un peu fou. PERSONNE ! Pas même à notre propre famille ! Pas même à ceux qui vivent sous le même toit que vous ! Vous comprenez ? Alors arrêtez avec vos pleurnicheries, et FICHEZ LE CAMP !
Ce qui se passa ensuite fut assez chaotique. Remus se jeta sur Croupton pour le faire taire, mais Maugrey s'interposa. Remus voulut se débattre, il eut vaguement la sensation qu'on le soulevait du sol, qu'on le faisait sortir de la pièce, puis, sans trop réaliser comment il était arrivé là, il se retrouva dans une autre pièce, effondré sur une chaise, avec Dumbledore assis à côté de lui.
– Je suis désolé, Remus, disait Dumbledore avec sincérité.
Mais Remus avait trop mal pour être touché par cette sollicitude. Autour de lui, le monde n'avait plus aucun sens. Tout ce qui avait donné un ordre, une direction à sa vie, depuis des années, venait de s'effondrer comme un château de cartes.
– Je sais ce que tu ressens, dit doucement Dumbledore.
– Bien sûr que non, gémit Remus en prenant sa tête entre ses mains.
Dumbledore ne pouvait pas savoir. Il ne pouvait pas imaginer ce que c'était. Et d'ailleurs, personne ne le pouvait. De toute sa vie, ses amis avaient été les seuls à ne pas le regarder comme un monstre, et à le considérer comme l'un de leurs semblables ; et voilà que trois d'entre eux étaient morts, tués par le quatrième dans des conditions abjectes... D'un coup, c'était comme si toute leur histoire d'amitié n'avait été qu'une simple illusion, destinée à lui masquer la cruelle réalité de sa solitude.
– Je dois parler à Sirius, murmura Remus, la voix brisée. Je dois le voir... Il faut qu'il me dise ce qu'il s'est passé... Ce qu'il a fait...
– Je ne pense pas que cela soit possible, répondit Dumbledore. J'ai moi-même essayé d'obtenir l'autorisation d'aller lui rendre visite, mais Croupton me l'a catégoriquement refusé. J'ai également essayé de convaincre Croupton de lui accorder un procès, afin que nous puissions tous les deux comprendre un peu mieux ce qu'il s'est passé, mais il s'est montré intraitable. Et malheureusement, cela ne change rien à la réalité de la situation.
– Sirius... Sirius ne peut pas avoir pactisé avec Voldemort, balbutia Remus en secouant la tête. Jamais... Jamais il n'aurait fait cela...
– Je suis d'accord avec toi, cette idée est difficile à admettre, dit Dumbledore. Mais, Remus, je crois que tu seras d'accord avec moi si je dis que Sirius avait une part d'ombre très secrète, à laquelle aucun de nous n'avait accès...
Remus dut se plier en deux, tant son cœur lui faisait mal. Bien sûr, Dumbledore avait raison, il y avait des sujets qu'il était impossible d'aborder avec Sirius... Son petit frère, par exemple, et sa réaction indifférente lorsqu'il avait appris sa mort avait certes été étrange, mais Remus n'avait pas trouvé cela suspect, à l'époque...
Remus essaya de réfléchir à un autre moyen d'obtenir des informations sur les derniers évènements, mais il n'en trouva aucun. Toutes les personnes vers qui il avait l'habitude de se tourner lorsqu'il se trouvait en détresse avaient subitement disparu, et il avait maintenant l'impression de tomber dans le vide, sans personne pour le retenir.
– Écoute-moi, Remus, dit doucement Dumbledore après lui avoir laissé un moment de réflexion. Ce qui s'est passé est affreux, absolument tragique, et j'en suis d'autant plus attristé que j'ai, moi aussi, ma part de responsabilité dans la mort de James et de Lily. J'aurais dû me montrer plus catégorique concernant leur choix de Gardien du Secret, et cela me hantera jusqu'à la fin de mes jours. Mais en ce qui te concerne, Remus, tu es encore en vie, et tu es libre.
Quelle importance ? répondit intérieurement Remus. Assurément, il aurait préféré être mort, et emporter avec lui l'illusion que lui et ses amis étaient restés unis jusqu'à la fin, plutôt que d'avoir à affronter ces horreurs... James, Lily, Peter, tous morts, à cause de Sirius...
– Lorsque tu auras accepté tout cela, il sera temps de te tourner vers l'avenir, poursuivit Dumbledore. Et, tout comme le monde magique qui va se rebâtir petit à petit, je suis convaincu que tu trouveras un moyen de te reconstruire. Aussi, avant de te laisser partir... je tenais à te dire que les portes de Poudlard te sont toujours ouvertes, si jamais tu souhaitais venir y enseigner. Et de même, Maugrey souhaitait te faire savoir que le Bureau des Aurors recrute à nouveau, si cela peut te permettre de...
– Laissez-moi tranquille, coupa Remus en se levant brutalement. Je ne veux plus vous voir. Je ne veux plus voir personne.
– S'il te plaît, Remus...
Mais Remus ne l'écoutait plus. Sans ses amis, et en admettant que toutes ces années de bonheur n'avaient été que mensonges, il ne pouvait envisager aucun projet, aucun futur, aucune vie qui vaille la peine d'être vécue.
– Remus !
Il était déjà sorti de la pièce. Dumbledore le vit s'éloigner à grands pas dans le couloir du Ministère, et pendant de longues années, personne ne le revit.
***
Dans le bureau de Croupton, le calme était revenu après le départ de Remus. Croupton était toujours avachi dans son siège, les yeux dans le vague, et ne pensait plus du tout à Sirius Black, mais aux quelques mots que Maugrey avait prononcé en entrant dans son bureau, plus tôt dans la journée, avant les passages successifs d'Andromeda Tonks, de Walburga Black et de Remus Lupin.
Mr Croupton, votre fils a été arrêté tout à l'heure, avait dit l'Auror de but en blanc. Il se trouvait avec les Lestrange en train de torturer Frank et Alice Longdubat, sans montrer aucun signe de regret, ni de soumission à l'Imperium. J'ai pensé que vous aimeriez le savoir avant que son identité ne soit dévoilée dans la Gazette...
Les mains de Croupton tremblaient légèrement, et son visage livide était agité de tics nerveux. Son fils était donc un Mangemort, et pas des moindres. Et non seulement il avait été suffisamment idiot pour continuer à pourchasser des Aurors après la chute de Voldemort, mais pire encore, il s'était fait attraper comme le dernier des imbéciles.
Croupton réfléchissait intensément – non pas à sa part de responsabilité dans cette situation, mais plutôt à la manière dont il allait devoir l'annoncer à sa femme, et surtout à ce qu'il pouvait faire pour limiter les conséquences de ce désastre sur sa propre réputation.
En ce qui concernait ce dernier problème, il avait déjà mis un plan à exécution – et justement, quelques petits coups sur la porte lui signalaient l'arrivée de la personne qu'il attendait...
Sa secrétaire, Mrs Hollings, passa la tête dans l'encadrement de la porte. Elle le regardait avec un air suspicieux, mais Croupton n'y accorda aucune importance.
– Votre... rendez-vous est là, Mr Croupton, dit-elle d'un air pincé.
– Faites-la entrer, ordonna Croupton.
Tout en l'observant à la dérobée, Mrs Hollings obtempéra, et reparut accompagnée d'une autre femme, qui entra la tête haute, enveloppée dans un manteau vert avec un col de fourrure. Ses cheveux blonds formaient des boucles soignées, et ses yeux brillaient derrière ses lunettes ornées de fausses perles : il était clair qu'elle jubilait intensément.
– Mr Croupton, le salua Rita Skeeter avec un sourire insolent. Merci de m'accueillir, j'avais justement quelques petites questions à vous poser sur les derniers évènements...
– Taisez-vous, coupa Croupton sur un ton glacial. Laissez votre Plume à Papote dans votre sac, et écoutez-moi.
– Soyez bref, répliqua Rita Skeeter, dont le sourire radieux ne voulait pas disparaître. J'ai un article passionnant à écrire sur l'arrestation d'un jeune Mangemort qui porte le même nom que vous.
La mâchoire de Croupton se crispa, et sa secrétaire le regarda avec appréhension, mais après plusieurs respirations, il parvint à se maîtriser.
– Je devrais vous faire emprisonner pour outrage à un homme de loi, mais cela ne changerait rien, grommela-t-il en la fusillant du regard. Asseyez-vous... Laissez-nous, Hollings.
Avec un petit rire, Rita Skeeter obtempéra, et croisa les jambes devant elle, tandis que la secrétaire de Croupton quittait la pièce à reculons.
– Je sais déjà ce que vous allez me demander, Mr Croupton, exulta Rita Skeeter. Et je pourrais vous laisser me supplier un peu, rien que pour le plaisir de vous voir ramper devant moi, mais je préfère être honnête : le nom de votre fils sera à la une de la Gazette du Sorcier dès demain, et vous n'y pouvez plus rien.
– Vous ne ferez rien de tout cela, dit froidement Croupton.
Rita Skeeter se pencha en avant, et le regarda par-dessus ses épaisses lunettes en strass.
– Donnez-moi une seule bonne raison de ne pas le faire, alors que tous mes lecteurs ne rêvent que de ça, minauda-t-elle.
– Parce que j'ai quelque chose de bien mieux à vous offrir que le bon plaisir de vos lecteurs, dit Croupton avec aplomb.
Rita Skeeter haussa un sourcil, dubitative ; mais lorsque Croupton posa devant elle deux portraits de journalistes qu'elle avait autrefois détestés, son intérêt parut se raviver.
– Tiens tiens, dit-elle, intriguée. Marius Berrycloth et Elior Talinski... Je les avais presque oubliés, ces deux-là.
– Comme tout le monde, répondit Croupton. Beaucoup les croient morts, et pourtant, leur peine d'emprisonnement va arriver à son terme. Sans aucune action de ma part, ils retrouveront leur liberté, et ne manqueront pas de rouvrir leur journal répugnant, Le Hibou Jacasseur... Ils mettraient donc fin à l'exclusivité de la Gazette du Sorcier, exclusivité qui vous a bien profité, si j'en crois l'explosion du nombre d'abonnements à votre journal depuis l'enfermement de ces deux canailles... Je ne pense pas que ces deux journalistes vous manquent beaucoup, n'est-ce pas ? Tout comme la concurrence que vous faisait leur journal, ou encore leurs caricatures insultantes à votre égard...
En observant le visage de Rita Skeeter, il devina qu'il avait visé juste.
– Soyez clair, dit Rita Skeeter, plus calme. Qu'attendez-vous de moi, et que me proposez-vous en échange ?
– C'est très simple. Dans quelques heures, la rumeur concernant mon fils et les atrocités qu'il a commises se sera sans nul doute répandue comme une traînée de poudre dans la communauté sorcière. Je ne me fais pas d'illusions, je serai incapable d'empêcher cela. Cependant, je connais bien vos articles, et je sais à quel point ils peuvent être destructeurs : aussi, je vous demande de ne pas alimenter le scandale, et de ne publier aucun article sur mon fils dans votre Gazette, ni sur ma famille, ni sur la manière dont j'ai réagi à la nouvelle... Rien de tout cela.
– Et de quoi parlerai-je, si je ne parle pas de lui ? Tout le monde va se demander...
– Vous parlerez de Sirius Black, coupa Croupton en poussant un énorme dossier devant lui. Voici le dossier de l'enquête : il est pour vous. Cela devrait vous fournir de quoi écrire dans les prochaines semaines... Et n'hésitez pas à inventer ce que vous voulez, des détails sordides, je ne ferai rien pour vous contredire. Je veux que tout le monde se focalise sur lui, à tel point que l'emprisonnement de mon fils passe inaperçu. Je sais que vous en êtes parfaitement capable.
– Sans nul doute, dit crânement Rita Skeeter. Mais pour l'instant, je ne vois pas ce que j'ai à y gagner.
– Nous y voilà, dit Croupton. Eh bien, c'est à vous de me dire... Est-ce que la disparition soudaine, tragique et définitive de vos deux rivaux vous conviendrait ?
Rita Skeeter haussa les sourcils. Elle était à la fois choquée et admirative devant la froideur de Croupton et son absence totale de scrupules.
– Qu'allez-vous faire d'eux ? Les tuer ?
– Voyons, je ne suis pas un criminel, répondit Croupton, vexé. Je vais seulement faire en sorte qu'ils disparaissent aux yeux du monde... et qu'ils ne reparaissent plus jamais. Pour le bien commun.
– Vous y trouverez votre compte aussi, fit remarquer Rita Skeeter. Berrycloth et Talinski n'étaient pas du genre à marchander avec des hommes comme vous, et ils ne vous pardonneront pas de les avoir emprisonnés... Si le Hibou Jacasseur se remet en route, vous et votre fils feront certainement la première page dès le premier numéro.
– En effet, admit Croupton.
Rita Skeeter et Croupton échangèrent un long regard. Puis Rita Skeeter lui tendit sa main aux doigts épais, et Croupton la serra avec fermeté.
– Pas un mot sur mon fils dans la Gazette, c'est compris ? résuma Croupton en se levant.
– Tout ce que vous voudrez, Mr Croupton, promit Rita Skeeter avec un grand sourire. Mes amitiés au Hibou Jacasseur...
Elle lui fit un clin d'œil en mettant le dossier de Sirius dans son sac de crocodile, puis se releva gracieusement et quitta la pièce, laissant la porte ouverte derrière elle.
– Une bonne chose de faite, murmura Croupton en jetant les deux portraits de Berrycloth et Talinski dans le feu de cheminée qui brûlait derrière lui. HOLLINGS ! Apportez-moi le plan des cellules d'Azkaban, avec la liste de ceux qui y sont détenus ! VITE !
Sa secrétaire, Catriona Hollings, lui apporta le document demandé avec appréhension.
– Mr Croupton, pourquoi...
– Ne posez pas de questions, grogna Croupton en lui arrachant le document des mains pour l'étaler sur le bureau. Et maintenant, aidez-moi à retrouver où sont Marius Berrycloth et Elior Talinski....
Il passa ses doigts sur l'immense parchemin, qui représentait les trois versants de la tour d'Azkaban, avec le plan des cellules et les noms des prisonniers qui s'y trouvaient.
– Quel casse-tête, grogna-t-il pour lui-même. Si seulement les Détraqueurs pouvaient identifier les prisonniers directement... Au lieu de ça, il faut leur indiquer l'emplacement exact de leur cellule, sinon, ils ne comprennent plus rien... Et je ne dois pas faire d'erreur, car ces créatures aveugles seraient bien capables d'emmener les mauvais prisonniers sans le remarquer... Ils ne savent même pas distinguer un homme d'une femme, vous vous rendez compte ?
Catriona Hollings jeta un coup d'œil vers la cheminée, et vit les deux portraits de Berrycloth et Talinski qui étaient en train d'y brûler.
– Mr Croupton, murmura-t-elle, choquée. Que faites-vous ?
– Ne vous mêlez pas de ça, Hollings, s'agaça Croupton en se replongeant dans le plan d'Azkaban. Ce que je fais, je le fais pour le bien de notre pays. Nous avons besoin de nous reconstruire dans la paix et dans la sérénité, et par conséquent, sans ces deux agitateurs et leur maudit journal... Voyons cela... Berrycloth, Talinski... Ils sont dans l'un des secteurs les moins sécurisés, de mémoire, dans les premiers étages... Ah, voilà ! Ils sont toujours dans la même cellule, d'après ce plan. Bien, je vais prévenir les Détraqueurs, et ils se chargeront de les expédier dans un endroit reculé... Nous avons encore quelques accords avec des pays alliés, pour leur envoyer certains de nos prisonniers embarrassants...
– Mais vous êtes IGNOBLE ! explosa sa secrétaire.
Croupton sursauta, et la regarda comme si elle venait de mettre le feu à son bureau.
– Enfin, Hollings, s'indigna-t-il. Reprenez-vous !
– Comment osez-vous détruire la vie de tous ces gens ? s'écria Catriona Hollings, hors d'elle. De quel droit faites-vous tout cela ? Ces deux journalistes, que vous allez enfermer abusivement ! Ce jeune Black qui n'a même pas droit à un procès, tout ça parce que vous voulez tout lui mettre sur le dos, et faire oublier votre fils ! Et n'oublions pas cette pauvre femme qui est morte à Azkaban, et ses deux nourrissons...
– Des criminels, cracha Croupton. Si je veux garantir la stabilité du pays, je dois en passer par là.
– FOUTAISES ! Ce que vous voulez, c'est le pouvoir ! Et à côté de ce que vous faites pour le conserver, les agissements de votre fils sont bien peu de choses !
Croupton tressaillit, et se redressa de toute sa hauteur, sa moustache frémissante de fureur.
– Faites attention, Hollings, gronda-t-il. Retirez immédiatement ce que vous venez de dire, ou bien...
– Vous ne me faites pas peur, dit Hollings avec hargne. Vous pouvez me faire enfermer moi aussi, vous ne me ferez pas changer d'avis : vous ne valez pas mieux que Vous-Savez-Qui, voilà ! Et j'espère que vous ne deviendrez jamais Ministre de la Magie !
– Ça suffit, vous dépassez les bornes ! tonna Croupton en tapant du poing sur la table. Je pourrais vous faire renvoyer pour cela !
– C'est inutile, répliqua-t-elle. Je démissionne. Vous ne me verrez plus jamais couvrir toutes les horreurs que vous manigancez.
– Ne soyez pas ridicule, Hollings, ricana Croupton. Vous ne pouvez pas démissionner : si vous le faites, je ferai en sorte que plus personne ne veuille vous embaucher. Je vous l'ai déjà dit, j'ai les moyens de détruire votre carrière...
– Faites donc, Mr Croupton. Je préfère mourir plutôt que de servir un jour de plus le monstre que vous êtes.
Elle laissa tomber sur le sol le tas de parchemins qu'elle avait dans les bras, et les éparpilla en marchant avec détermination vers la porte de sortie.
– Vous ne pourrez rien révéler de ce que vous avez vu ici, rugit Croupton. Vous ne pourrez pas vous mettre en travers de ma route, et vous ne pourrez rien dire qui puisse me compromettre ! Vous en avez fait le Serment Inviolable, en entrant à mon service !
– Et je le regretterai jusqu'à mon dernier souffle, dit Catriona Hollings en quittant la pièce à grands pas.
***
Dans le salon du 12, square Grimmaurd, Walburga Black tremblait encore de fureur après son passage remarqué dans le bureau de Croupton. Elle était assise sur l'une des chaises en bois, et contemplait le sol, où était éparpillé l'exemplaire du jour de la Gazette du Sorcier, qu'elle venait de déchirer en lambeaux sans que cela ne lui procure le moindre soulagement. Son frère Cygnus avait vainement essayé de la calmer, mais elle ne pouvait se résoudre à accepter la situation, et même après avoir taillé en pièce l'article ignoble qu'elle venait de lire, les phrases qui accablaient son fils aîné continuaient de résonner dans sa tête.
Sirius était innocent, Walburga en était persuadée, elle le sentait au plus profond de son être, son fils n'était pas le criminel dont la Gazette du Sorcier parlait. Et ce qu'elle savait aussi, c'était que cette condamnation injuste venait d'enterrer à jamais tout espoir de le revoir un jour...
Toc ! Toc ! Toc !
Un bruit à la fenêtre la détourna un instant de ses ruminations, et elle aperçut un hibou posé sur le rebord, tenant entre ses pattes une lettre et un petit paquet rectangulaire. Walburga fronça les sourcils, intriguée : leur maison était Incartable, et seuls ceux à qui elle avait remis son adresse en main propre pouvaient lui envoyer du courrier...
Dans un état second, elle ouvrit la fenêtre, prit la lettre et le paquet entre les serres du hibou, et celui-ci s'envola sans demander son reste. Puis elle posa le paquet sur la table et ouvrit la lettre d'un coup sec.
Chère Mrs Black,
Je suis presque certain que vous n'avez aucun souvenir de notre rencontre furtive, et pourtant je puis vous assurer que j'en garde moi-même un souvenir cuisant. Pour vous rafraîchir un peu la mémoire, vous m'avez commandé il y a des années de ça un portrait de vous-même, afin de le faire afficher dans votre hall d'entrée ; mais lorsque j'ai voulu vous rendre visite pour la première fois, vous m'avez congédié avec une extrême brutalité et avez détruit l'ensemble de mes pigments, obtenus grâce à l'héritage que je tenais de ma défunte mère et auxquels je tenais particulièrement.
Heureusement, l'argent que m'a donné votre amie aux vêtements colorés m'a permis de racheter progressivement quelques couleurs magiques, et puisque vous m'aviez payé ce portrait, j'ai mis un point d'honneur à vous le faire parvenir. Chose promise, chose due : vous avez votre portrait, et je crois, sans me vanter, que c'est là l'un de mes chefs-d’œuvre, sans doute grâce à la manière si authentique dont nous avons pu interagir. Et je l'apprécie d'autant plus qu'il me rendra sans doute un peu justice, suite à notre léger différend.
Bonne découverte, Mrs Black, et avec tout mon humble respect,
Mr Draycott, peintre magique
Walburga replia la lettre, perplexe. Un souvenir imprécis lui revint en mémoire : plusieurs années auparavant, à une époque où ses deux fils vivaient encore auprès d'elle, elle avait commandé un portrait d'elle, afin de le faire accrocher dans l'entrée, avec ceux de ses ancêtres. Elle ne se souvenait que vaguement de ce malotru de peintre, qui lui avait fait l'outrage de se présenter chez elle le jour précis où elle avait appris que Sirius ne reviendrait plus jamais au square Grimmaurd. Avec un léger effort, Walburga se souvint vaguement de l'avoir vigoureusement congédié, mais elle ne se souvenait pas avoir détruit ses pots de peinture. De toute manière, tous les souvenirs qu'elle gardait de ce jour maudit étaient assez flous...
Un léger bruit l'extirpa de ses pensées : sur la table, le petit paquet qui accompagnait la lettre était en train de grossir à vue d'œil, déchirant progressivement le papier kraft qui l'enveloppait. Walburga essaya de s'en saisir, mais le paquet lui échappa des mains, et s'envola de la table pour rejoindre le couloir. Avec un mauvais pressentiment, Walburga suivit le paquet, et descendit les escaliers à sa suite jusqu'au hall d'entrée.
Le paquet rectangulaire faisait maintenant la taille d'un grand tableau, et était allé se fixer sur le mur, à l'endroit qui avait jadis été destiné à accueillir le portrait. Au moment où Walburga s'approchait, le papier kraft qui enrobait le tableau se déchira complètement, et le dévoila au grand jour.
En le voyant, Walburga Black fut saisie d'horreur. Elle eut un mouvement de recul, manquant de se prendre les pieds dans les pans de sa robe noire, et heurta le porte-parapluie, qui se renversa sur le sol avec un grand bruit.
Le peintre s'était surpassé : le portrait grandeur nature était saisissant de ressemblance. Le teint pâle, les yeux gris comme de l'acier, le chignon couleur charbon, la robe de dentelle noire au col serré, le port de tête dédaigneux, et ce demi-sourire grimaçant... Tout y était, avec une précision implacable. C'était bien elle, ou du moins, cela l'avait été. Et c'était un spectacle insupportable.
– Eh bien, eh bien, dit le portrait, qui toisait la véritable Walburga avec amusement. Te voilà.
Walburga frissonna, horrifiée. C'était sa propre voix qui venait de s'exprimer, parfaitement reconnaissable à sa froideur terrifiante. Même les autres portraits du hall d'entrée en étaient intimidés.
– Alors, qu'est-ce que tu attends pour ramasser tout ce désordre ? siffla le portrait en désignant les parapluies et les morceaux d'emballage qui s'étaient répandus sur le sol. As-tu l'intention de laisser la demeure de nos aïeux dans cet état calamiteux ?
Walburga sortit enfin de sa torpeur, et s'agrippa au cadre sculpté pour l'arracher du mur ; mais hélas, il ne faisait déjà plus qu'un avec la maison. Et Walburga se maudit en se souvenant du sortilège de Glu Éternelle qu'elle avait jeté sur cet emplacement, plusieurs années auparavant, au moment où elle avait commandé le portrait.
– Tu croyais que tu allais pouvoir te débarrasser de moi aussi facilement ? ricana le portrait. Enfin, ma pauvre Walburga, il fallait y penser avant de martyriser cruellement tous ceux qui se trouvaient sur ton passage... Après tout, c'est à partir de l'image que tu lui as donnée de toi que cet ingénieux peintre m'a réalisée ! Et maintenant, cesse donc de t'agiter, tu as des comptes à me rendre : où est ma descendance ? J'ai vu que l'abomination qui me servait de fils aîné avait été emprisonné, et que la pâle copie qu'était son frère a été assassiné... Tu dois être fière de toi, maintenant que tu as causé la perte de notre noble lignée...
– Kreattur ! appela la véritable Walburga.
L'elfe de maison monta aussitôt de la cuisine, alarmé par le ton désespéré de sa maîtresse.
– Maîtresse ?
– Kreattur, aide-moi à le retirer, dit Walburga d'une voix tremblante.
Mais à l'instant où elle disait cela, le portrait se tourna vers Kreattur et se mit à hurler des ordres contradictoires, avec une telle force que Kreattur resta pétrifié, sans savoir s'il devait écouter les ordres de sa maîtresse ou de son sosie peint. Et Walburga finit par s'enfuir dans l'escalier, accablée par ses propres injures.
***
À des kilomètres de là, au manoir des Malefoy, Narcissa marchait à travers son jardin, enveloppée dans un confortable manteau de fourrure. Devant elle, dans l'obscurité, deux hommes la conduisaient en direction du lac : il s'agissait de Marius Berrycloth et Elior Talinski.
– Elle vous attend près du saule, dit timidement Talinski en se retournant vers Narcissa.
Pour une raison que Narcissa ignorait, le petit homme était trempé jusqu'aux os et était frigorifié. La nuit était tombée ; une moitié de lune brillait au-dessus de leurs têtes et éclairait le domaine des Malefoy d'une lueur fantomatique. En ce début de mois de novembre, la température baissait rapidement, et un petit nuage de vapeur se formait devant eux à chaque respiration.
Narcissa jeta un regard en arrière, vers son manoir : Cornelius Fudge était toujours là, dans le salon, en train de discuter avec Lucius. Il était arrivé en début de soirée, afin de s'assurer qu'ils se remettaient de leur longue captivité, et pour leur poser quelques questions sur Sirius, que Lucius avait éludées en racontant qu'ils ne savaient strictement rien à propos de toute cette histoire. Lucius lui avait offert l'hospitalité pour le dîner, ce que le petit homme au chapeau melon avait immédiatement accepté ; et après plusieurs rasades de Whisky Pur-Feu, il était clair que Lucius avait déjà gagné toute sa sympathie.
Narcissa s'était éclipsée à la fin du repas, pendant que Lucius offrait son aide et sa fortune à Fudge pour financer la reconstruction du pays : elle avait remarqué les deux pies qui l'observaient sur le rebord de la fenêtre depuis le début de la soirée, et avait immédiatement fait le lien avec les deux Animagi dont Daisy et Edgar lui avaient parlé. Elle les avait donc rejoints dans le jardin, où les deux hommes l'avaient informée que Daisy l'attendait au bord du lac ; et c'était vers elle que Narcissa se dirigeait donc, avec un mélange d'impatience et d'appréhension.
Elle passa devant le Flavirier Argenté, et remarqua que quelques feuilles brillantes étaient tombées sur le sol. Elle en fut étonnée, car cela n'arrivait jamais – cet arbre semblait tout simplement immortel – mais elle ne s'y attarda pas, trop absorbée par toutes les pensées qui se bousculaient dans sa tête.
Sans s'en rendre compte, Narcissa accéléra le pas à l'approche du lac, et arriva presque en trottinant sur la berge, près du saule pleureur que lui avait indiqué Talinski. Daisy était là, assise sur les racines noueuses, tournée vers la surface du lac qui scintillait sous la lune.
– Cissy, dit-elle en se levant à l'arrivée de Narcissa.
Elle était vêtue d'une longue cape de voyage, d'une robe simple avec une solide ceinture en cuir, et ses gestes étaient de nouveau pleins d'énergie et de vitalité. Et même si Narcissa se doutait que la conversation qui allait suivre allait être inconfortable, elle ne put s'empêcher d'être transportée de joie en la voyant, et se précipita dans les bras que Daisy lui tendait.
– Tu es rayonnante, se réjouit Narcissa en la serrant contre elle.
– La liberté m'a redonné des forces, répondit Daisy en lui rendant son étreinte. Grâce à toi.
Talinski et Berrycloth, eux, s'éclipsèrent discrètement pour les laisser discuter.
– Alors, où es-tu allée ? demanda Narcissa en s'écartant un peu. J'ai eu si peur quand Crabbe s'est lancé à ta poursuite... Et j'étais si heureuse quand j'ai appris que tu l'avais semé... Et ton Patronus ! Même la Gazette en a parlé, quelques sorciers l'ont aperçu non loin de Londres pendant ta fuite ! Ils se demandent tous à qui il appartient...
– Oui, j'ai lu ça, sourit Daisy. J'aurais aimé que tu le voies aussi... Je crois que la baguette d'Eleanor m'a bien aidée à le faire apparaître. Au moment où j'ai prononcé la formule, j'ai senti qu'elle se liait à moi, et qu'elle me choisissait pour être sa nouvelle propriétaire.
Daisy lui raconta qu'après cette fuite en balai, elle était allée s'abriter à l'endroit où elle et ses parents avaient initialement prévu de s'exiler, dans les montagnes du nord du pays. Elle y avait retrouvé les animaux que sa mère avait progressivement transférés là-bas : les Dopsidons et leurs œufs d'or, Attila le cerbère nain, leur Autruche Rétractable, quelques Sombrals et leur colonie de ravluks. Elle y avait même fait la connaissance d'une géante, la seule de son clan qui ait refusé de servir les Mangemorts – et donc la seule du pays qui était encore en vie, les autres ayant été abattus par les Aurors et l'Ordre du Phénix.
Après avoir écouté Daisy décrire sa nouvelle vie avec enthousiasme, Narcissa osa demander si elle avait réussi à avoir des nouvelles de ses parents ; mais Daisy s'assombrit aussitôt, et Narcissa sentit son cœur accélérer la cadence.
– Justement, il s'est passé quelque chose tout à l'heure, dit-elle avec gravité. Et c'est cela qui m'a fait venir ici. Ces dernières semaines, nous avons communiqué grâce à Berrycloth et Talinski, qui peuvent aller et venir à Azkaban sous leur forme animale... Maman et Papa étaient très mal en point, tous les deux, même après avoir appris que je m'étais échappée. Le fait de côtoyer tous ces Détraqueurs est très difficile à supporter, surtout pour Papa, avec sa santé fragile. Et tout à l'heure... Talinski était à Azkaban, il faisait le tour de la prison pour essayer d'imaginer un plan d'évasion... Et...
Daisy s'interrompit, les yeux brillants, et Narcissa dut lui serrer le bras pour l'aider à poursuivre.
– Les Détraqueurs les ont emmenés, murmura-t-elle. Tous les deux. Ils les ont fait sortir de leur cellule, et lorsque Talinski a entendu leurs cris, ils étaient déjà dans une barque qui partait vers le large à toute vitesse... Talinski a essayé de les rattraper pour les libérer, ou au moins les suivre à la trace, mais il y avait du brouillard, des énormes vagues... Il n'a pas réussi à les suivre... Et nous les avons perdus. Ils se sont volatilisés au large.
– Où... Où sont-ils allés, d'après toi ?
Daisy haussa les épaules.
– Je ne sais pas. Les Détraqueurs les ont sûrement confondus avec Berrycloth et Talinski, car ils étaient dans leur cellule, et ils se sont fait passer pour eux depuis leur entrée à Azkaban, afin d'éviter le Baiser du Détraqueur. Je suppose que Croupton a voulu se débarrasser d'eux, d'une manière ou d'une autre... Berrycloth et Talinski m'ont dit qu'ils avaient déjà rencontré à Azkaban deux ou trois prisonniers de pays étrangers, souvent des journalistes, qui étaient enfermés là de manière totalement officieuse. Mon seul espoir, c'est que Croupton les ait envoyés dans une autre prison à l'étranger. Si ce n'est pas le cas... Eh bien, ils sont peut-être déjà morts.
Narcissa frissonna, et serra le bras de Daisy encore plus fort.
– Et si... Si Berrycloth et Talinski se signalaient ? S'ils allaient dire à Croupton qu'il s'était trompé de prisonniers ? Et si vous révéliez ça à la Gazette du Sorcier, cela pourrait faire pression sur lui...
– J'y ai pensé, évidemment, dit Daisy avec amertume. Mais je ne crois plus en ce pays, ni en sa justice corrompue. Même s'il réalise son erreur, Croupton s'arrangera pour faire disparaître tous ceux qui seraient au courant de ce scandale... Donc mes parents, mais aussi Berrycloth, Talinski et moi. Quant à la Gazette, on voit bien qu'elle est à la botte de Croupton... Tu as vu ce qu'ils ont fait à Sirius ? Ils seraient bien capables de faire la même chose avec nous trois ! Après tout, je suis la femme d'un Mangemort, je suis dans la liste des personnes recherchées, et le jugement de Croupton est tellement aléatoire...
– Et... Edgar ? Il ne peut pas vous aider ?
Daisy eut un petit rire sans joie.
– Je l'ai revu, peu après mon évasion. Il était considérablement affaibli. Lorsqu'il a voulu empêcher Crabbe de me poursuivre, le soir où tu m'as libérée, ce monstre lui a donné un coup de poignard à l'épaule, et la lame était imbibée de poison. Heureusement, Rosier a limité les dégâts, mais cela l'a beaucoup affaibli, il peut à peine se lever de son lit... C'est tout juste s'il arrive à s'occuper un peu de son fils, et de celui de Crabbe. Il a besoin de Carla pour tout faire, alors, me venir en aide... Je suis déjà soulagée qu'il soit encore en vie, et qu'il ait échappé à Azkaban en prétextant qu'il avait été soumis à l'Imperium. Mais en ce qui concerne mes parents, mon seul espoir, c'est de continuer à vivre clandestinement. Je dois partir à leur recherche, pour les retrouver et les libérer par mes propres moyens.
– Alors... Tu vas quitter le pays, comprit Narcissa.
Daisy acquiesça avec gravité, et Narcissa en déduisit que son amie d'enfance était venue lui faire ses adieux.
– C'est sans doute la dernière fois que nous nous voyons avant un long moment, dit Daisy en serrant à son tour le bras de Narcissa. Et pour une fois, je voudrais que tu écoutes ce que j'ai à te dire, sans t'enfuir avant la fin de cette conversation.
Narcissa regarda furtivement en arrière, vers son manoir. Évidemment, elle savait pertinemment que Daisy voulait parler de Lucius, et elle n'avait aucune envie de l'écouter, mais elle se força à acquiescer, espérant que Daisy soit aussi brève que possible.
– Nous avons déjà parlé de ce qu'il avait fait pendant cette guerre, dit Daisy. Et tu sais très bien ce que j'en pense. Mais ce soir, je voulais surtout te dire, en tant qu'amie, que je m'inquiète sincèrement pour toi. Pour ton bonheur. Parce que je crois que Lucius te rend malheureuse.
Narcissa sentit aussitôt les larmes lui monter aux yeux, et secoua la tête.
– C'est faux, murmura-t-elle. Il m'aime, et je l'aime aussi, et...
– Oui, sans doute, dit Daisy en haussant les épaules. Et après ? Cela ne t'a pas empêchée d'être malheureuse pendant toutes ces années. Lucius t'a séparée de tous ceux qui te soutenaient, qui tenaient à toi. Ça n'était pas toujours ce qu'il souhaitait, certes, mais quand Voldemort a donné des ordres à Carla pour nous séquestrer, ou encore pour tuer Regulus, Lucius n'a pas protesté. Et tout cela t'a fait souffrir, Cissy, bien plus que tu ne veux l'admettre. Il t'a peut-être protégée du danger, mais il ne t'a protégée ni de la tristesse, ni de la solitude. Et en dépit de toutes ses bonnes intentions envers toi, le résultat a été le même.
– Ce n'est pas à cause de lui que j'ai souffert, protesta Narcissa. C'est parce que ma mère me manquait, et personne n'aurait pu me la rendre... Certes, tu as raison, ces années de guerre ont été horriblement difficiles pour moi ; mais sans Lucius, tout aurait été bien pire. Et maintenant, la guerre est terminée, Drago est là, et il m'apporte tellement de joie... Et après avoir traversé toutes ces épreuves... Je veux seulement me reposer. Et ce que je veux, c'est être ici, avec eux. Avec Drago, et avec Lucius.
Daisy la regarda avec une grande tristesse.
– Et tu crois vraiment que Lucius est capable d'être un bon père ?
Comme à chaque fois que la réponse était inconfortable, Narcissa détourna soigneusement le regard.
– Il... Il veut le meilleur pour Drago, balbutia-t-elle.
– Ça, je n'en doute pas. Mais est-ce que le meilleur selon lui, c'est aussi ce que tu souhaites ? Lucius a tout de même une idée particulière de ce qu'est la réussite... Tu n'as pas peur qu'il brutalise ton fils ? Et qu'en prétendant vouloir le meilleur pour lui, il fasse de Drago un garçon méprisant et incapable d'empathie, qui prend le même plaisir que son père a écraser les autres ?
Je l'aimerais quand même, répondit intérieurement Narcissa, mais elle préféra répondre autre chose à voix haute :
– Non, dit-elle en secouant la tête. Non, Lucius ne fera pas ça. Je m'en assurerai.
Daisy poussa un long soupir. Elle n'était pas dupe, évidemment, mais elle ne pouvait pas forcer Narcissa à voir ce qu'elle refusait d'admettre. Cette dernière tentative de lui ouvrir les yeux était un échec, comme toutes les précédentes.
– Bon, très bien, dans ce cas... Je vais te laisser tranquille. Après tout, tu as raison, tu as tout ce dont on peut rêver, soupira Daisy en désignant le grand manoir illuminé. Un mari, un fils en bonne santé, un grand domaine et de beaux vêtements... Finalement, il ne te manque que l'essentiel : être aimée pour ce que tu es vraiment. Mais ça, c'est hors de portée, n'est-ce pas ?
Narcissa tressaillit, et ses yeux bleus se mirent à briller. Encore une fois, Daisy avait visé juste. Car malgré toutes les preuves d'amour que Lucius lui donnait, elle continuait de lui cacher certaines pensées, certaines craintes, certains désirs – de peur de le décevoir, et de détruire l'image de perfection qu'elle s'efforçait de donner depuis qu'elle était toute petite. Et évidemment, Daisy voulait aussi parler de son père – de son véritable père, et de cette blessure profonde dont elle ne pourrait jamais parler à Lucius, de peur qu'il ne la rejette.
– Peut-être que celle que je suis vraiment ne mérite pas d'être aimée, souffla Narcissa.
– Bien sûr que si, affirma Daisy, révoltée. Tout ça, c'est ton éducation qui te fait croire que c'est honteux, mais ça ne l'est pas. Ce que tu es, ton identité et celle de tes parents... Ils s'aimaient profondément, Cissy, au-delà de leurs différences... Et c'est une histoire triste, mais aussi très belle.
– Non, c'est répugnant, décréta Narcissa en secouant la tête.
– Arrête de dire des bêtises, dit Daisy en l'attirant contre elle.
Narcissa se résigna à se réfugier dans ses bras, enfouit son visage dans le cou de son amie et ferma les yeux.
– Je t'aime, Cissy. De tout mon cœur. Et tu sais que c'est vrai.
Narcissa avait de plus en plus de mal à retenir ses larmes. Elle aimait Daisy aussi, terriblement fort, tout comme elle aimait Andromeda, et Bellatrix, et comme elle aimait Lucius et Drago – et c'était justement tous ces liens puissants et irréconciliables qui la déchiraient.
– Promets-moi de partir s'il te fait du mal, à toi ou à Drago, insista Daisy. Promets-moi d'aller te réfugier chez Andromeda. Elle t'accueillera à bras ouverts, et elle prendra soin de vous, je le sais.
– Cela n'arrivera pas, mais je te le promets quand même, dit Narcissa du bout des lèvres.
Daisy raffermit son étreinte, et elles restèrent enlacées pendant un long moment.
– Je reviendrai te voir, promit Daisy. Lorsque Papa et Maman seront de nouveau libres.
– Je penserai chaque jour à vous trois, promit à son tour Narcissa. Et si je peux faire quoique ce soit pour t'aider...
– Prends soin de toi, Cissy. Pense à tout ce que je t'ai dit.
Narcissa acquiesça, embrassa Daisy une dernière fois, puis s'éloigna en direction de son manoir. Tout en la suivant du regard avec ses jumelles magiques, Daisy la regarda marcher à travers le jardin, passer à côté du Flavirier Argenté et remonter la pente douce jusqu'au manoir. Par les fenêtres, elle vit Narcissa retrouver Lucius dans le salon. Ils s'embrassèrent tendrement, Lucius la serra dans ses bras, lui caressa la joue. Ils discutèrent un peu, Lucius fit rire Narcissa en imitant la gestuelle empressée de Fudge, et ils quittèrent la pièce main dans la main.
Daisy soupira. Bien sûr que Lucius l'aimait. L'inverse aurait été tellement plus simple. Daisy aurait aimé qu'il soit un monstre, pour lui arracher Narcissa sans regrets et sans hésitation. Mais il ne l'était pas. Il n'était qu'un homme, et il était abject sous bien des aspects, mais personne ne pouvait le nier : il aimait Narcissa, de tout son cœur et de tout son être.
Daisy imaginait très bien ce que Narcissa ressentait vis-à-vis de Lucius, car elle éprouvait quelque chose de comparable vis-à-vis de son amie. En effet, à certains moments, elle aurait préféré la détester, et se débarrasser de leur amitié si encombrante, qui l'avait entraînée dans des abîmes de noirceur – mais elle en était tout simplement incapable. Malgré son orgueil, son égoïsme et sa lâcheté, qui étaient pourtant à l'origine de tant de malheurs, Daisy continuait d'aimer profondément Narcissa, et elle ne pouvait pas s'empêcher de lui trouver sans cesse des excuses.
– Alors ?
Derrière elle, Talinski et Berrycloth s'étaient timidement approchés.
– Elle reste avec lui, soupira Daisy. Je m'y attendais, mais je suis tout de même déçue... Et surtout, je suis triste pour elle. Elle ouvrira peut-être les yeux un jour, mais j'en doute. Après tout, on lui a tellement inculqué l'idée qu'il ne fallait pas faire de vagues, en tant que bonne épouse...
– C'est étonnant, fit remarquer Berrycloth. C'est pourtant elle qui vous a sauvée, et vous nous disiez qu'elle était très courageuse...
– Elle peut l'être, admit tristement Daisy. Parfois. Mais elle peut aussi être lâche et terriblement égoïste. C'est curieux, vous voyez... C'est sans doute la personne la plus forte que je connaisse, après tout ce qu'elle a traversé, mais en un sens, c'est aussi la plus faible.
Elle se détourna enfin du manoir et fit face à Berrycloth et Talinski, qui semblaient sincèrement navrés pour elle.
– Qu'allons-nous faire ? demanda prudemment Talinski.
– Pour ma part, je vais tout faire pour retrouver mes parents, déclara Daisy. En ce qui vous concerne, vous êtes libres de faire ce qu'il vous chante. Je ne peux pas vous forcer à venir avec moi... Il s'agit d'une quête semée d'embûches, qui peut durer des années. Je ne veux l'imposer à quiconque.
Berrycloth et Talinski échangèrent un bref regard, et Berrycloth éclata d'un rire sonore.
– Vous ne vous débarrasserez pas de nous aussi facilement, ma petite Daisy, s'esclaffa-t-il. Comment pouvez-vous croire que nous allions abandonner Vera et Fergus à leur triste sort ?
– Eh bien, vous... Vous pourriez avoir envie de profiter de votre liberté, dit timidement Daisy.
– Cette suggestion nous déshonore, s'indigna Berrycloth. Comment pourrions-nous profiter de quoique ce soit, en sachant que deux innocents sont enfermés à notre place ?
– Certains s'en accommodent très bien, marmonna Daisy en pensant à Lucius.
Berrycloth se tourna vers Talinski.
– Nous vous suivrons jusqu'au bout du monde, déclara sobrement Talinski, pour montrer qu'il était du même avis que son ami. Si vous acceptez notre aide, bien entendu.
Daisy les regarda tous les deux. Les deux journalistes avaient à peu près l'âge de ses parents, même si leur long séjour à Azkaban les faisait paraître plus âgés. Avec sa pipe toujours en bouche, Berrycloth était un homme de forte carrure, avec une voix chaude et rocailleuse qui faisait trembler le sol quand il riait ; à l'inverse, Talinski était de petite taille, beaucoup plus chétif, avec des cheveux gris épars et des yeux noisette très doux, agrandis par ses énormes lunettes en cul-de-bouteille. Ils étaient tous les deux déterminés à l'aider, Daisy le voyait dans leurs regards. Et elle ne pouvait pas rêver de meilleurs compagnons de voyage.
– Très bien, déclara-t-elle. Par où commençons-nous ?
– Procédons méthodiquement, proposa Talinski de sa voix fluette. En partant du plus proche... L'Irlande, donc. Puis, s'ils n'y sont pas, ce sera la France...
– Nous allons au-devant de grandes aventures, s'extasia Berrycloth. Et avec la meilleure compagnie du monde ! Allons, en route ! Ah, mes amis, quelle joie !
Le cœur un peu plus léger, Daisy alla reprendre son balai sur la berge ; Talinski et Berrycloth se transformèrent en oiseaux, ils s'envolèrent au-dessus du lac scintillant, et leurs trois silhouettes disparurent, avalées par le clair de lune.
Note d'auteur :
Vous l'avez sans doute compris, c'est bientôt la fin de ce troisième tome (snif) et j'espère vraiment qu'il vous a plu. Il reste un dernier chapitre, qui sera publié à mon retour de voyage le 23 ou le 24 juin, ainsi qu'un petit épilogue, et je sais déjà que ces publications hebdomadaires vont me manquer, ainsi que vos gentils commentaires ❤️
Merci d'avoir suivi cette trilogie jusqu'ici et à très vite pour la suite et fin !!