Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 32 : Les rois du mensonge

10356 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 22 jours

Les rois du mensonge




– Lucius ! LUCIUS !

La porte de la bibliothèque s'ouvrit à la volée, et Narcissa entra en trombe, affolée.

– Narcissa ! dit Lucius en se levant de sa chaise, alarmé par ses cris. Que se passe-t-il ? Où est Drago ?

Narcissa s'appuya contre le mur, et mit quelques instants à reprendre son souffle. Elle était trempée de sueur et tremblait comme une feuille.

– Où est Drago ? répéta Lucius en la prenant par le bras.

– Lucius... Il a été vaincu, murmura Narcissa.

Elle fut étonnée d'entendre sa propre voix, et non celle de Voldemort. Elle devait avoir l'air un peu folle, car l'expression inquiète qui était lisible sur le visage de Lucius s'accentua encore.

– Le Seigneur des Ténèbres... Il a essayé de tuer l'enfant, mais il a disparu ! Le sort s'est retourné contre lui, et il a éclaté en morceaux, il a été dispersé dans les airs... Il n'existe plus, Lucius, je l'ai vu de mes propres yeux !

Lucius fronça les sourcils. D'un geste rapide, il remonta sa manche, et vit que la Marque des Ténèbres s'était considérablement estompée.

– Comment as-tu vu tout cela ? demanda-t-il à Narcissa.

Elle se retourna vers l'endroit d'où elle venait, vers le couloir qui menait vers l'aile Est – et Lucius comprit.

– Tu as vu à travers son journal ?

Narcissa hocha la tête.

– Lucius, il faut que tu me croies...

– Évidemment que je te crois.

Narcissa ressentit une pointe de culpabilité en pensant qu'elle ne méritait pas la confiance aveugle que son mari lui accordait – mais elle n'eut pas le temps de s'attarder sur ce sentiment, car Lucius la prit par la main, et l'entraîna à toute vitesse vers le hall d'entrée, puis vers l'extérieur. Ils s'arrêtèrent sur le perron de marbre noir ; Lucius leva sa baguette, et lança une étincelle qui fusa vers le ciel. Il serra la main de Narcissa un peu plus fort lorsqu'il constata que la plupart des sortilèges qui assuraient la protection de leur manoir avaient disparu. Quelques heures plus tôt, c'était la puissance de Voldemort qui alimentait tous ces sortilèges, mais cette puissance avait été détruite, et tous ces sortilèges maléfiques s'étaient éteints avec elle.

– C'est fini, souffla Narcissa.

Lucius se retourna vers elle, et ils échangèrent un long regard, essayant de mesurer tout ce que cela impliquait.

Voldemort avait disparu. Et sans sa présence, la lutte pour renverser le Ministère prenait une tout autre tournure, devenant bien plus risquée et bien plus incertaine. Sans compter que les Mangemorts risquaient de s'entredéchirer de nouveau, et que les alliés de Dumbledore avaient réussi à abattre le géant Oleg et à détruire sa hache redoutable, faisant ainsi perdre aux Mangemorts la plupart de leurs précieux avantages.

Lucius réfléchit à toute vitesse. Deux choix s'offraient à lui : poursuivre la lutte que Voldemort avait commencée, au risque de devoir prendre la fuite et d'exposer sa femme et son fils à de terribles dangers ; ou bien abandonner dès maintenant et compter sur la clémence et la crédulité du Ministère pour éviter Azkaban.

Il regardait toujours Narcissa, et il voyait bien qu'elle était d'avis de déposer les armes. Et lui-même n'avait aucune envie de prendre des risques inconsidérés pour une victoire qui était loin d'être certaine.

En quelques secondes, il avait pris sa décision.

– À partir de maintenant, il n'y a plus que nous trois, déclara Lucius et serrant la main de Narcissa dans la sienne.

Une bourrasque d'air frais ébouriffa leurs cheveux blonds, et Narcissa acquiesça, soulagée. C'était exactement ce qu'elle ressentait, à cet instant : Voldemort avait disparu, la guerre allait se terminer, leurs alliés allaient être défaits. Il n'y avait plus qu'eux. Elle, Lucius, Drago – eux trois contre le reste du monde.

– Il y a eu une explosion, dit Narcissa, qui tremblait encore un peu. Il y avait des passants dans les rues, les gens vont rapidement accourir, alerter le Ministère... Ils savaient que le Seigneur des Ténèbres poursuivait les Potter, et en voyant Harry, ils ne vont pas tarder à comprendre ce qu'il s'est passé...

– Et c'est ici que les Aurors viendront en premier, compléta Lucius. Dumbledore, Croupton et tous ces abrutis savaient que notre manoir était le point de ralliement des Mangemorts... Ils ont essayé plusieurs fois de le prendre d'assaut.

– Alors il faut leur faire croire que nous n'étions pas d'accord, dit aussitôt Narcissa. Qu'ils ont pris notre manoir par la force, que nous étions comme... pris en otage, ou bien, soumis à l'Imperium...

Lucius hocha la tête.

– Exactement. Et pour qu'ils le croient... Il faudrait qu'ils le voient.

D'un même mouvement, ils retournèrent en courant dans le manoir, et montèrent dans l'aile Ouest, où se trouvaient leur chambre et celle de Drago.

– Prends Drago, et allons tout en haut, ordonna Lucius.

Narcissa obtempéra. Elle entra dans la petite chambre, prit délicatement son fils assoupi dans ses bras et ils montèrent jusque sous les combles, dans un grenier poussiéreux où Narcissa n'était jamais venue.

– Donne-moi tes bijoux, dit Lucius en tendant la main. Et ta baguette.

C'est ce qu'elle fit, sans hésiter. Lucius mit le tout dans sa poche, puis agita sa baguette dans leur direction. En quelques secondes, Narcissa et Drago changèrent d'allure du tout au tout : leurs vêtements luxueux devinrent sales et rapiécés, leurs cheveux ternes et emmêlés.

– Parfait, c'est parfait, murmura Lucius. Et maintenant, écoute-moi attentivement : les Aurors vont sûrement arriver dans très peu de temps. Je vais leur raconter qu'au début de la guerre, j'ai voulu aller parlementer avec Tu-Sais-Qui pour tenter de l'adoucir, et que j'ai été piégé... Je leur dirai que mon père est mort par leur faute, qu'ils nous ont pris en otage, qu'ils m'ont soumis à l'Imperium, et qu'ils ont pris possession du manoir, d'accord ? Tu n'auras qu'à confirmer que tu es enfermée ici depuis des années, et qu'ils ne m'autorisaient à te rendre visite que très rarement... Ça ira, tu arriveras à leur mentir ?

S'il savait, pensa furtivement Narcissa. Mais elle se contenta de hocher la tête avec aplomb.

– Bien sûr, dit-elle. Il n'y a rien que je ne puisse pas faire pour protéger notre famille.

Lucius lui sourit avec tendresse.

– Surtout, ne t'inquiète pas, dit-il en la serrant dans ses bras. Je vais tout faire pour les embobiner... Et même s'ils arrivent à me coincer, par des preuves ou des dénonciations, je dirai que tu n'y es pour rien. Si cela est nécessaire, je dirai que je t'ai menti sur tout, que c'est toi qui étais soumise à l'Imperium, et je te promets que je te couvrirai jusqu'au bout. Tu n'as rien à craindre, d'accord ? Je ferai tout pour qu'il ne vous arrive rien. Quoiqu'il arrive, Drago et toi, vous serez libres.

Narcissa voyait bien qu'il était sincère, et elle acquiesça avec émotion. Ils s'étreignirent avec force, s'embrassèrent longuement, puis Lucius baissa les yeux vers Drago qui dormait dans les bras de Narcissa, et se décida à l'embrasser sur le front.

– Dors tranquille, mon fils, murmura-t-il en lui effleurant timidement la joue. Tout ira bien.

Narcissa vit qu'il était ému, et qu'il craignait de ne pas les revoir avant un long moment ; puis Lucius quitta la pièce, et verrouilla la porte derrière lui.

– Prunnas ! Lidelys ! appela-t-il en descendant les escaliers, le cœur battant.

Lorsque les deux elfes accoururent au pied de l'escalier, il leur expliqua la situation à toute vitesse, et les informa de son plan :

– Lorsque les hommes du Ministère arriveront ici, vous les accueillerez en libérateurs, dit-il. Vous leur direz que nous avons toujours refusé de servir Voldemort... Que j'ai parfois été soumis au sortilège de l'Imperium pour accomplir certaines missions, et enfermé ici par précaution, car ils craignaient que je ne me délivre de l'emprise du sortilège...

Il leur ordonna ensuite de brûler dans le manoir tous les objets qui pouvaient le compromettre, comme les parchemins qui portaient son nom et son écriture ; de répandre du désordre dans le manoir, comme s'il avait été saccagé et pillé par endroits ; mais aussi de mettre à l'abri tout ce qui avait de la valeur, et toutes les richesses qu'il avait raflées ou collectées auprès des Mangemorts pendant la guerre, afin que le Ministère ne fasse pas main basse dessus.

Ensuite, il retourna sa propre baguette contre lui, et ses vêtements luxueux subirent la même transformation que ceux de Narcissa et Drago, devenant sales et miséreux ; et il fit de même pour la pièce dans laquelle il se trouvait. Il hésita un instant, puis agita de nouveau sa baguette, et il grimaça de douleur lorsque plusieurs blessures diverses apparurent sur son corps et sur son visage – des plaies, des ecchymoses, et toutes sortes d'autres stigmates pouvant laisser penser qu'il avait été sévèrement maltraité. Il n'aurait jamais infligé cela à Narcissa ou à Drago, bien sûr, mais puisqu'il s'agissait de lui-même, il était prêt à tout pour mettre autant de chances que possible de leur côté.

Enfin, il ferma et verrouilla la porte, s'agenouilla sur le sol pour faire passer sa baguette à l'elfe qui attendait juste derrière, lui ordonna de la cacher quelque part avec celle de Narcissa ; puis il se recroquevilla dans un coin et attendit que les Aurors arrivent.

Cette attente dura un peu moins d'une heure, pendant lesquelles Lucius entendit le remue-ménage que faisaient les elfes dans le manoir ; puis un bruit de verre brisé parvint jusqu'à lui, suivi de couinements d'elfes affolés et d'éclats de voix ; et il en déduisit que les Aurors étaient arrivés. Il ne put s'empêcher de sourire dans la pénombre en entendant les elfes approcher :

– Venez par ici, couinait Prunnas de sa voix nasillarde. Venez libérer notre maître !

– Méfions-nous, dit une femme à voix basse. Tout cela est très louche, et ces elfes sont peut-être aux ordres des Mangemorts... Cela pourrait être un piège.

– J'aurais aimé que Maugrey vienne avec nous, plutôt qu'il aille diriger l'assaut de la Colline d'Émeraude, marmonna l'un d'eux. Ces maudits Mangemorts ont sans doute ensorcelé chaque parcelle de ce manoir ! Vous ne trouvez pas qu'il fait de plus en plus froid ?

– Peut-être qu'ils ont pris la fuite en réalisant ce qui se passait...

– C'est là ! dit l'elfe Prunnas. Vite, vite ! Notre maître est peut-être mort, à l'heure qu'il est...

Lucius entendit des pas s'approcher, puis s'arrêter devant la porte.

– Je n'aime pas ça, dit une voix féminine. Je mettrais ma main à couper que c'est une mise en scène.

– Ouvrons la porte, et nous en aurons le cœur net, décida sa collègue.

– Attends une seconde, j'essaie de détecter les maléfices qui pourraient se trouver derrière la porte... Non, il n'y a rien... Allons-y. Alohomora !

Lucius mobilisa toutes ses forces intérieures pour ne pas rire lorsqu'il se retrouva face aux deux Aurors et aux trois membres de la Police Magique qui ouvrirent la porte. Visiblement, ils s'attendaient à les surprendre en pleine réunion de Mangemorts, ou en train de dormir paisiblement dans leur lit – pas enfermé dans un cachot et couvert de sang. Ils étaient tous les cinq désarçonnés, d'autant plus que Prunnas continuait de simuler la détresse à la perfection.

– Maître ! glapit Prunnas en se précipitant vers lui. Oh, mon pauvre maître... Les Mangemorts l'ont torturé... Lorsqu'ils se sont aperçus que notre maîtresse était enceinte, ils étaient furieux... Ils les ont séparés et l'ont enfermé ici...

– Que se passe-t-il ? demanda Lucius d'une voix faible, en essayant d'avoir l'air apeuré. Qui êtes-vous ?

Il sentit un malaise passer entre les cinq agents du Ministère.

– Le Seigneur... Je veux dire, Vous-Savez-Qui a été vaincu, Maître ! couina Prunnas avec un enthousiasme admirablement feint. Vous aviez raison d'espérer !

Lucius se tourna vers les cinq personnes qui lui faisaient face. Deux d'entre elles étaient méfiantes, et les trois autres ne savaient plus quoi dire.

– Est-ce que... Est-ce qu'il dit vrai ? demanda Lucius en essayant de faire trembler sa voix. Vous-Savez-Qui a disparu ? Mais... Comment ?

L'un des membres de la Brigade de la Police Magique ouvrit la bouche pour lui répondre, mais sa voisine lui fit signe de se taire.

– On ne dit rien, décréta-t-elle. Mr Malefoy, vous êtes en état d'arrestation pour usage de magie noire, association avec un mage noir, crimes à l'encontre de Moldus...

Sa litanie fut interrompue par un grand vacarme à l'autre bout du couloir ; et Lucius faillit éclater de rire pour de bon lorsqu'il entendit la voix faussement désespérée de Narcissa retentir au bout du couloir.

– Calmez-vous, Mrs Malefoy, disait une voix bourrue qui venait du même endroit. Calmez-vous, restez ici...

– Laissez-moi ! Laissez-moi passer, je dois le voir... LUCIUS ! Par pitié, dites-moi qu'il est vivant...

Elle écarta sans ménagement les cinq personnes qui se tenaient devant la porte et entra dans la pièce, tenant Drago dans ses bras. Il avait été réveillé par le remue-ménage, et regardait autour de lui avec perplexité, un peu effrayé par la détresse de sa mère, par les blessures de son père et par tous les inconnus qui les observaient.

– Oh, Lucius, gémit Narcissa en s'agenouillant auprès de lui.

– Enfin, je vous retrouve, sourit Lucius en serrant Narcissa dans ses bras. Et ces braves gens sont venus nous sauver... Notre calvaire est enfin terminé.

– Regarde ! dit Narcissa en montrant Drago. Regarde-le, c'est notre fils ! Regarde comme il te ressemble...

Drago continuait de les observer avec inquiétude, et à la porte, la petite dizaine d'Aurors et de membres de la Police Magique qui s'étaient introduits chez eux discutaient à voix basse de la marche à suivre.

– Les elfes disaient vrai, dit la femme qui avait délivré Narcissa. Elle était là-haut avec l'enfant, dans un piteux état...

– Tout le monde était persuadé que les Malefoy étaient les plus fervents serviteurs de Vous-Savez-Qui, dit son voisin. Mais s'ils disent vrai, s'ils ont vraiment été pris en otage depuis le début, alors il s'agirait d'une terrible erreur...

– Enfin, vous ne voyez pas que ces pauvres gens ont été malmenés par Vous-Savez-Qui et ses sbires ? s'indigna un troisième. Il faut les emmener à Sainte-Mangouste, et immédiatement !

– Il a raison, déclara un Auror. Pour l'heure, emmenons-les rapidement à Sainte-Mangouste, faisons-les examiner par les Médicomages, et nous les amènerons au Ministère pour les interroger ensuite. Ils resteront sous surveillance rapprochée, et feront sûrement l'objet d'une enquête approfondie. Vous trois, restez là, surveillez le manoir au cas où des Mangemorts voudraient se réfugier ici... Et profitez-en pour fouiller les lieux. Allez, en route !

***

Lorsque Narcissa et Lucius arrivèrent à Sainte-Mangouste, escortés par trois Aurors, personne ne fit attention à eux. En effet, tous ceux qui étaient encore présents à cette heure avancée de la nuit étaient occupés autour d'un homme blessé, étendu sur le sol du hall d'entrée, au milieu des chaises renversées.

– Emmenons-le par ici ! ordonnait celle qui semblait la plus expérimentée. Tenez, mettez-le sur ce chariot, nous le ferons léviter... Healstone, faites quelque chose pour sa jambe, ou bien son cœur va lâcher ! Et empêchez-le de remuer !

Narcissa frissonna en voyant la quantité de sang qui était répandue sur le sol, et tourna Drago vers le mur, afin qu'il ne puisse pas voir ce qui se passait. En regardant dans la direction de l'attroupement, entre les guérisseurs et Médicomages qui s'affairaient, Narcissa aperçut une jambe lacérée, un visage à moitié défiguré, des cheveux châtains imbibés de sang ; mais ce qui était encore plus impressionnant, c'est que la personne qui était si gravement blessée continuait à remuer, et à essayer de parler, comme si elle luttait pour se relever...

– Bon sang, dit un Auror en blêmissant à côté d'elle. C'est Maugrey !

– On dirait que l'assaut de la Colline d'Émeraude a mal tourné, souffla sa voisine. Finalement, nous avons été bien plus chanceux que nos collègues... Restez là pour surveiller les Malefoy, je vais leur prêter main-forte.

Grâce à l'aide de l'Auror, les guérisseurs et les Médicomages parvinrent rapidement à emmener Alastor Maugrey vers les étages, et l'un d'eux revint pour s'occuper des Malefoy. Lucius, qui était de plus en plus pâle à cause de ses blessures auto-infligées, fut emmené dans une chambre, et Narcissa dans une autre, avec Drago.

Narcissa s'assit sur le lit, et elle eut à peine le temps de repenser à sa première venue dans cet établissement, aux côtés de sa mère malade, qu'un guérisseur entra et l'examina rapidement. Il passa à Drago, puis sortit dans le couloir. Il dut décréter que leur état de santé ne nécessitait pas de soins, car deux Aurors entrèrent quelques minutes plus tard. Ce n'étaient pas les mêmes que ceux qui étaient venus au manoir, et ils semblaient bien plus hostiles.

– Mrs Malefoy, on vous emmène au Ministère, décréta le premier. Nos collègues sont en train de mener l'enquête dans votre manoir, et vous allez être interrogés, vous et votre mari.

Narcissa hocha la tête et se leva docilement, mais les deux Aurors continuaient de lui barrer le passage.

– En revanche, le petit reste avec nous, dit le deuxième Auror en désignant Drago. Les salles d'interrogatoire ne sont pas faites pour les enfants.

Narcissa tressaillit et raffermit son étreinte autour de Drago.

– C'est hors de question, s'offusqua-t-elle. Je dois absolument rester avec lui, je...

– C'est la procédure, coupa l'Auror. On en prendra soin, ne vous en faites pas.

Narcissa secoua vigoureusement la tête et eut un mouvement de recul. Dans ses bras, Drago s'agrippait à son cou et s'était mis à geindre, effrayé.

– Ne nous obligez pas à employer la force, dit l'Auror, dont le regard s'était assombri d'une manière inquiétante. Allez, posez-le sur le lit, et plus vite que ça.

Voyant que Narcissa refusait d'obéir, il avança d'un pas, sa baguette magique bien en évidence dans sa main ; et son collègue, qui semblait le plus brutal des deux, s'avança également pour attraper Drago.

– Ne le touchez pas ! ordonna froidement Narcissa.

– Alors posez-le là ! rétorqua l'Auror qui était le plus proche en désignant le lit.

Drago se mit à pleurer. Narcissa considéra un instant les deux hommes qui lui faisaient face, et estima qu'ils n'étaient certainement pas du genre à se laisser attendrir. Si seulement Lucius était là, pensa-t-elle, il aurait sûrement trouvé quelque chose pour les protéger, pour embobiner les Aurors et empêcher ce qui se passait...

– Où est mon mari ? demanda-t-elle en désespoir de cause.

– Les guérisseurs s'occupent de lui, répondit avec impatience l'Auror qui était proche de la porte. Et ensuite, il sera emmené au Ministère, où il sera interrogé de son côté. Vous ne le verrez pas avant demain matin.

Narcissa dut se résigner à obéir et posa Drago sur le lit, le plus lentement possible.

– Même les Mangemorts n'avaient pas eu la cruauté de nous séparer, siffla-t-elle à l'intention des deux Aurors. Ne t'en fais pas, mon chéri, Maman doit juste discuter avec ces deux messieurs... Maman revient très vite, d'accord ?

Drago devait sentir qu'elle avait peur, car il pleurait de plus en plus fort et s'agrippait à elle de toutes ses forces. Tout en se haïssant de le faire, Narcissa l'écarta d'elle avec fermeté ; ensuite, elle eut l'impression d'être déchirée en d'eux lorsqu'elle s'éloigna de Drago pour quitter la pièce, et qu'elle vit deux grosses larmes rouler sur les joues de son fils, tandis que ses cris redoublaient de force.

Dès qu'elle fut sortie de la pièce, Narcissa se sentit assaillie par d'innombrables peurs. Et si Drago tombait du lit ? Et si cet Auror brutal le malmenait ? Et si elle était finalement envoyée à Azkaban, et que c'était la dernière fois qu'elle voyait son fils ? Soudain paniquée, elle s'arrêta dans le couloir et voulut revenir en arrière, mais l'Auror qui l'accompagnait la tirait fermement vers l'avant. Elle le supplia plusieurs fois de faire demi-tour, mais il resta sourd à ses supplications, et aux cris de Drago qui s'échappaient de la chambre et retentissaient dans le couloir.

Lorsqu'ils arrivèrent au Ministère par la voie des cheminettes, une atmosphère étrange régnait. La grande horloge qui se trouvait dans le grand hall indiquait une heure du matin. Le Ministère aurait dû être désert, et pourtant quelques familles de sorciers s'étaient réunies là, en tenue de nuit, alertées par la rumeur qui enflait déjà, en quête d'informations plus précises.

En voyant arriver un Auror, plusieurs d'entre eux s'approchèrent de lui pour lui demander des détails sur ce qui s'était passé.

– Alors ? demanda un premier sorcier, qui était en robe de chambre. Ce qu'on raconte est vrai ?

– Notre cousin habite à Godric's Hollow, et il nous a dit que Vous-Savez-Qui avait été vaincu, dit une sorcière âgée qui portait un affreux pyjama rayé.

– Je ne peux rien vous dire, grommela l'Auror en continuant d'avancer. Pour l'instant, rien n'est sûr. Le Ministère fera une annonce une fois que la situation sera éclaircie.

D'autres sorciers remarquèrent Narcissa, intrigués, et se penchèrent pour murmurer à voix basse des suppositions qu'elle ne voulait pas entendre. Elle fut légèrement soulagée lorsque l'Auror l'entraîna loin du hall et des regards curieux, mais elle était toujours terriblement angoissée. Et en effet, c'était la première fois depuis des années qu'elle se retrouvait loin de chez elle, sans aucune protection, à la merci de ces maudits Aurors ; et surtout, c'était la première fois depuis la naissance de Drago qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de s'occuper de lui, et elle avait affreusement peur qu'il lui arrive quelque chose. Elle essayait de penser aux paroles rassurantes que Lucius lui avait dites avant l'arrivée des Aurors, mais lorsque l'Auror la conduisit au dernier sous-sol du Ministère, la panique qu'elle ressentait se raviva d'un coup. En effet, elle comprit rapidement qu'elle se trouvait à l'endroit où étaient gardés les sorciers qui avaient été arrêtés par le Ministère, en attendant de décider s'il fallait les libérer ou les envoyer à Azkaban. Plus loin dans le couloir, elle entendait des cris, des bruits de lutte, et pire encore, des râles de Détraqueurs – et elle comprit pourquoi il faisait aussi froid.

Heureusement pour Narcissa, avant qu'ils ne s'approchent, une Auror au visage rond et sympathique vint à leur rencontre. Ses cheveux courts étaient en bataille, son visage était égratigné à plusieurs endroits, et son épaule saignait un peu, ce qui ne l'empêchait pas de sourire.

– Tout va bien, Longdubat ? lui demanda l'Auror qui accompagnait Narcissa. On dirait qu'il y a eu du remue-ménage...

– On en a attrapé plusieurs, répondit Alice Longdubat avec fierté. Après que Maugrey ait tué Rosier, Parkinson a pris la fuite, et les autres se sont rendus sans protester. Certains nous ont même dit où trouver leurs alliés, et on est allés les débusquer... Ça fait pas mal de monde. Et de votre côté ? Il paraît qu'il y a eu moins de grabuge chez les Malefoy ?

– Ils n'étaient que tous les deux, et nous ont suivis sans faire d'histoire, confirma l'Auror en se tournant vers Narcissa. Ils racontent qu'ils ont été pris en otage par les Mangemorts depuis le début de la guerre... Reste à savoir si c'est vrai ou pas.

Alice Longdubat haussa un sourcil, visiblement circonspecte, et regarda enfin Narcissa.

– S'il vous plaît... Je dois partir d'ici, supplia Narcissa. Mon fils Drago... Il n'a qu'un an, il est si petit, je dois le retrouver au plus vite...

Son désarroi et son allure misérable parurent troubler Alice Longdubat. Elle réfléchit un instant, puis elle dut avoir pitié d'elle, car elle fit un signe à son collègue.

– Il y a beaucoup d'agitation, là-bas, dit-elle à voix basse. Et nous aurons peut-être besoin des autres cellules, si d'autres Mangemorts un peu récalcitrants arrivent... Si elle s'est tenue tranquille, je ne suis pas sûre qu'il soit nécessaire de la faire garder par les Détraqueurs, si ?

Narcissa regarda l'autre Auror avec appréhension. Celui-ci lui lança un regard méfiant, comme s'il rechignait à la laisser s'en tirer à si bon compte, mais il finit par faire un discret mouvement de tête pour acquiescer.

– Je vais l'accompagner un peu plus loin, décida Alice Longdubat. Venez avec moi, Mrs Malefoy...

Narcissa ne se fit pas prier et emboîta le pas d'Alice Longdubat vers une autre direction. Elles empruntèrent un autre couloir, et l'air se réchauffa progressivement, mais Narcissa ne parvenait pas à se défaire de l'angoisse qui lui tenaillait le ventre.

– Entrez là, ordonna Alice Longdubat en ouvrant une porte.

Voyant la petite pièce qui s'apprêtait à l'accueillir, Narcissa s'arrêta net et se tourna vers l'Auror.

– Combien de temps devrais-je rester ici ?

– Désolée, mais vous et votre mari êtes suspectés de crimes très graves, expliqua Alice Longdubat. Nous devons prendre le temps d'éclaircir la situation avant de vous remettre en liberté.

– Nous sommes tous les deux innocents, promit Narcissa, les larmes aux yeux. Nous n'avons rien à voir avec ces horribles Mangemorts, je vous le promets !

– Ce ne sera pas à moi d'en juger, mais à Croupton, répondit Alice Longdubat. Un conseil : tenez-vous tranquille, et n'essayez pas de vous échapper, ça le mettrait de mauvaise humeur. Je vais faire en sorte qu'il s'occupe de votre cas rapidement, afin que vous puissiez retrouver votre fils... Mais c'est tout ce que je peux faire.

Narcissa vit qu'elle était sincère, et consentit à franchir la petite porte qu'elle venait de lui ouvrir. Alice Longdubat verrouilla la porte, et Narcissa se retrouva seule. Un peu hébétée, elle alla s'asseoir sur la petite banquette qui se trouvait au fond de la pièce, et elle attendit.

Elle perdit rapidement la notion du temps. Ses pensées tournaient en boucle autour de Drago, et elle n'entendait absolument rien de ce qui se passait dans le couloir. Au bout d'un long moment, que Narcissa aurait été incapable de mesurer, deux membres de la Brigade de la Police Magique vinrent l'interroger. Avec autant de précision et d'assurance que possible, Narcissa leur raconta tout ce dont ils avaient convenu avec Lucius : ils avaient été odieusement piégés par les Mangemorts, séquestrés et malmenés, pendant que ces monstres avaient pris leurs aises dans le château et s'étaient servis des objets magiques de Lucius pour leurs propres intérêts. Les brigadiers de la Police Magique eurent quelques objections, mais elle eut réponse à tout. Si Lucius avait été aperçu à plusieurs reprises dans l'Allée des Embrumes, c'est parce qu'il était soumis à l'Imperium, même s'il luttait courageusement contre l'emprise de cet horrible sortilège ; si plusieurs Mangemorts l'avaient dénoncé comme étant leur chef de file, c'est parce qu'ils voulaient détourner la responsabilité des véritables coupables ; s'ils n'avaient pas tué Lucius pendant leur captivité, c'était pour mieux se servir de lui et de son savoir ; et s'ils ne l'avaient pas tué elle, c'était pour faire chanter Lucius, bien sûr...

Son air implorant, ses vêtements misérables et sa détresse authentique eurent raison de la méfiance de deux hommes qui l'interrogeaient. Ils lui demandèrent ensuite qui étaient les Mangemorts qu'elle avait vus, et qui l'avaient soi-disant maltraitée, mais Narcissa répondit que c'étaient les elfes qui lui donnaient à manger, que les Mangemorts qu'elle avait aperçus étaient toujours masqués, et qu'ils prenaient soin de déformer leur voix pour ne pas être reconnaissables.

Lorsqu'ils eurent terminé, Narcissa les supplia de lui rendre son fils, mais ils l'informèrent que Croupton souhaitait la garder ici le temps qu'ils puissent interroger Lucius ; et, désespérée, Narcissa dut attendre encore, de plus en plus épuisée et de plus en plus angoissée.

Aussi, lorsque la porte s'ouvrit de nouveau, elle se leva d'un bond, prête à utiliser la force pour sortir de cette maudite pièce ; mais en reconnaissant la personne qui venait d'entrer, Narcissa se figea, comme pétrifiée, et une tornade d'émotions balaya toute la peur et toute l'angoisse qu'elle avait ressenti au cours des dernières heures. Et visiblement, il en était de même pour sa sœur Andromeda, qui se tenait face à elle, les yeux embués de larmes.

– Cissy, murmura Andromeda.

Elles ne s'étaient pas adressé la parole depuis près de neuf ans, et Narcissa en avait presque oublié à quel point sa sœur était belle. Andromeda avait un peu changé, bien sûr, mais la douceur et la délicatesse de ses traits étaient restées parfaitement intactes, et la faisaient ressembler à leur mère de manière saisissante – presque davantage qu'à leur sœur Bellatrix, malgré sa superbe chevelure noire et ses yeux argentés.

Pendant un long moment, aucune d'entre elles ne sut quoi dire, ni quoi faire. Narcissa restait immobile, traversée par une foule d'émotions contradictoires.

Depuis la nuit maudite où Andromeda l'avait quittée, il n'y avait rien que Narcissa ait tant désiré que de la retrouver enfin, de se réfugier dans ses bras, de s'asseoir avec elle sur un banc, un divan, un lit ou qu'importe, un lieu qui les accueille pour un temps infini, celui qu'il faudrait pour raconter tout ce que Narcissa retenait en elle et que seule Andromeda pouvait entendre.

Et pourtant, en même temps que ses jambes tressaillaient pour s'approcher d'elle, que ses bras voulaient s'ouvrir pour l'étreindre enfin, ses poings se serraient de colère ; car si personne ne lui avait autant manqué qu'Andromeda, il n'y avait personne non plus que Narcissa ait détesté avec autant de force. Elle resta donc figée et muette, et tous les mots qu'elle brûlait de lui dire depuis si longtemps restèrent résolument bloqués dans sa gorge.

Andromeda s'approcha timidement, à petits pas. Elle ne souriait pas, mais il était clair qu'elle n'avait qu'une envie : prendre sa petite sœur dans ses bras.

Avec une infinie douceur, elle approcha ses mains de celles de Narcissa, et les prit délicatement.

– Tu es gelée, murmura-t-elle.

Face à elle, Narcissa n'en pouvait plus. Elle n'avait pas dormi de la nuit, elle avait faim et froid, elle avait besoin de réconfort, et elle n'avait pas la force de dire quoi que ce soit. Lorsqu'elle sentit des larmes brûlantes rouler sur ses joues, et que son menton se mit à trembler, elle décida donc de renoncer à sa colère pour se jeter dans les bras d'Andromeda, où elle laissa enfin libre cours à ses larmes. Elles s'enlacèrent étroitement, s'agenouillèrent toutes les deux sur le sol, et pendant de longues minutes, Narcissa ne fit que pleurer, blottie contre Andromeda.

– Oh, Cissy, dit Andromeda en lui caressant les cheveux.

Narcissa ne disait rien. Elle tremblait de froid et ses sanglots l'empêchaient d'articuler le moindre mot. Elle avait l'impression d'être revenue des années en arrière, d'être redevenue cette toute petite fille aux deux tresses blondes, consolée par sa grande sœur dans leur jardin de la Colline d'Émeraude.

Après un long moment, elles s'écartèrent l'une de l'autre et échangèrent un léger sourire.

– Tu m'as manqué, soupira Andromeda.

De nouveau, une part de Narcissa eut envie de se mettre en colère, de lui demander pourquoi elle l'avait si cruellement abandonné – mais elle n'en avait tout simplement pas la force.

– Tu m'as manqué aussi, renifla-t-elle. J'ai eu... J'ai eu tellement peur pour toi...

– Moi aussi, Cissy. J'étais terriblement inquiète.

Narcissa reprit progressivement ses esprits. Elle regarda autour d'elle, et essuya ses joues inondées de larmes.

– Il faut que je sorte de là, hoqueta-t-elle. Il faut que je retrouve Drago.

Andromeda acquiesça avec douceur, et se tourna vers la porte.

– Ça ne devrait pas tarder, dit-elle. Ils sont en train d'interroger Lucius, et ensuite, ce sera ton tour.

– Bien, dit Narcissa.

Andromeda lui prit de nouveau la main, embarrassée.

– Il... Il ne t'a pas trop brutalisée ?

Narcissa leva les yeux, et elle devina que sa sœur parlait de Lucius.

– Cissy, je sais ce qu'il a fait, murmura Andromeda avec gravité. Je ne peux pas le prouver, et personne ne me croirait, mais je sais qu'il a servi Tu-Sais-Qui de son plein gré, c'est écrit sur son visage qu'il ment... N'est-ce pas ?

Narcissa se détourna. S'il y avait une seule personne à qui elle était incapable de mentir, c'était bien Andromeda.

– Cissy, tu dois m'écouter... Croupton m'a promis que tu ne serais pas emprisonnée, si tu choisissais de dire la vérité, poursuivit Andromeda en serrant la main de Narcissa de plus en plus fort.

En entendant cela, Narcissa tressaillit, et ses traits retrouvèrent leur froideur habituelle.

– C'est pour ça que tu es venue, devina-t-elle. Pour me faire avouer. Pour me piéger !

Elle retira vivement sa main de celle d'Andromeda, et se leva.

– Cissy, je t'en supplie, dit Andromeda en se levant à son tour. Tout le monde sait très bien que Lucius est coupable...

– Ils se trompent, coupa Narcissa, de plus en plus hostile.

– Croupton n'a trouvé aucune preuve tangible... Il n'y a que toi qui puisse faire éclater la vérité, insista Andromeda. Il n'y a que toi qui puisse faire justice à toutes les familles qui ont été assassinées !

Narcissa secoua la tête, et se maudit d'avoir été aussi naïve. Évidemment, sa sœur était du côté de Croupton, du Ministère et de ces Aurors cruels qui lui avaient arraché son fils. Décidément, elle ne pouvait faire confiance à personne. Lucius avait raison : désormais, il n'y avait qu'eux trois. Eux trois contre le reste du monde.

– Quel genre de sœur es-tu ? s'indigna Narcissa. Où étais-tu, toutes ces années ? Quand Maman est morte ? Quand Bellatrix sombrait chaque jour un peu plus dans la folie ? Quand je désespérais de ne pas avoir d'enfant ?

– Je...

– Tu n'étais pas là, cracha Narcissa. Tu étais trop occupée à gâcher mon mariage, et à donner à ta fille ce prénom ridicule... Non, c'est Lucius qui était là ! Toujours, quoiqu'il arrive, depuis le début ! Je sais qu'il donnerait sa vie pour moi, et ce n'est certainement pas ton cas, n'est-ce pas ?

– Cissy...

– Je m'appelle Narcissa, rectifia-t-elle avec froideur. Narcissa Malefoy. Qu'est-ce que tu croyais, en venant me voir ? Que j'allais te pardonner en un clin d'œil, pour tout ce que tu as fait ? Que j'allais oublier que Maman est morte par ta faute ? Que je n'allais pas voir que tu étais en train de m'amadouer, de me piéger ? Et en même temps, quelle idiote je suis, d'avoir pensé que tu venais seulement pour me réconforter, et pour me demander pardon...

– C'était aussi pour ça, implora Andromeda. Cissy, je veux seulement te protéger...

– Eh bien, c'est trop tard, décréta Narcissa. Cela fait des années que tu as choisi de m'abandonner, et que c'est Lucius qui me protège ! Et lui et mon fils sont les seuls que je considère comme ma famille, désormais. Nous nous sommes jurés loyauté et fidélité, et je compte bien honorer cette promesse jusqu'au bout.

Andromeda la regarda longuement, visiblement secouée.

– Lucius est innocent, affirma Narcissa avec aplomb. Il n'a rien fait.

– Non, pas à moi, supplia Andromeda en secouant la tête. Cissy, ne me mens pas...

Derrière elle, la porte s'ouvrit de nouveau, et deux hommes en uniforme ouvrirent la porte.

– C'est l'heure, dit un garde. Croupton vous demande, Mrs Malefoy.

Andromeda fit un geste pour les chasser.

– Encore quelques minutes, s'il vous p...

– Non, coupa Narcissa. Nous avons terminé. Je vous suis, messieurs.

Elle contourna Andromeda et quitta la pièce sans la regarder, puis suivit les deux gardes dans le couloir. Tout en l'encadrant soigneusement, ils la conduisirent à travers d'autres couloirs obscurs dans les sous-sols du Ministère. Au loin, quelque part dans les étages supérieurs, on entendait une foule en liesse célébrer la fin de la guerre, mais Narcissa n'y prêta aucune attention.

Après quelques minutes, ils entrèrent dans une vaste salle sinistre qui ressemblait à un immense cachot. Comme dans la petite pièce où Narcissa avait attendu pendant des heures, il n'y avait aucune fenêtre, et la seule source de lumière provenait de torches fixées aux murs. Deux grands fauteuils en bois aux bras pourvus de chaînes se trouvaient au centre de la pièce, et de nombreux bancs étaient disposés en gradins autour d'eux. Croupton était debout au premier rang, dans sa longue cape noire, avec sa petite moustache et ses cheveux soigneusement peignés. Il présidait les tribunes, dont la partie centrale était réservée aux jurés du procès ; quelques bancs, en périphérie, étaient restés ouverts au public, et de nombreux sorciers s'y bousculaient pour assister au jugement.

Lorsque Narcissa entra, tous les visages se tournèrent vers elle. Croupton plissa les yeux, ce qui accentua son expression méfiante et agacée. Sur l'un des grands fauteuils en bois, Lucius était assis, confiant et paisible, comme s'il se trouvait sur le trône d'un monarque et non sur le siège d'un accusé destiné à Azkaban. Les chaînes qui ornaient le siège ne s'étaient pas enroulées autour de ses bras, au grand soulagement de Narcissa ; et quand Narcissa s'assit à côté de lui sur le siège voisin, les chaînes remuèrent avec un cliquetis menaçant, mais s'affaissèrent aussitôt, sans même l'effleurer.

Elle était à peine assise que Croupton se mit à parler :

– Mrs Malefoy, vous comparaissez aux côtés de votre mari devant le Conseil de la justice magique afin de nous apporter votre témoignage à propos de certains points, mais également pour être jugée pour des faits d'une extrême gravité. Voyez-vous, nous sommes convaincus que vous avez apporté une aide précieuse à Vous-Savez-Qui, et que vous avez ainsi facilité tous les actes atroces qu'il a commis, dont la destruction du pensionnat Wimbley...

Narcissa ne l'écoutait déjà plus. Elle échangea un bref regard avec Lucius, et constata qu'il restait serein et confiant, malgré toutes les accusations et les mises en garde égrenées par Croupton pour les effrayer. Elle en déduisit qu'il avait brillamment décrédibilisé tous les témoignages que Croupton avait trouvé contre eux, qu'il avait de nouveau tourné la situation à son avantage, et qu'il n'avait aucun doute concernant leur libération prochaine.

Toujours pensive, Narcissa laissa son regard flotter parmi les sorciers qui composaient le jury. Elle se serait attendue à une foule de regards hostiles, mais au contraire, après toutes ces années de confusion et de panique, plus personne ne savait quoi penser. Contrairement aux autres Mangemorts qui avaient été capturés, ils n'avaient pas été surpris en pleine mission pour Voldemort, mais avaient été emprisonnés sur de simples suppositions ; les sorciers qui étaient présents étaient donc indécis, et chuchotaient entre eux à voix basse avec des moues perplexes.

Alors que Narcissa parcourait du regard les tribunes ouvertes au public, son cœur rata un battement.

Elle venait de croiser le regard hypnotique d'une ravissante petite fille, qui était assise sur les genoux d'un homme blond au visage très doux. Autour d'elle, plusieurs personnes se désintéressaient du procès, intrigués par le spectacle étonnant de sa chevelure qui changeait de couleur au moindre de ses mouvements. Celui qui était sans doute son père ne s'en souciait pas, l'entourait de ses bras protecteurs et posait sur elle un regard plein de fierté.

Tous les deux se ressemblaient beaucoup. La petite fille avait le même éveil, la même curiosité que lui sur le visage ; mais elle avait hérité de sa mère son visage harmonieux et ses traits délicats.

Nymphadora, songea Narcissa.

La petite fille que Narcissa avait vue aux abords du pensionnat Wimbley, près de six ans auparavant, avait bien grandi. On voyait qu'elle débordait d'énergie, et regardait tout autour d'elle avec émerveillement ; elle était sans doute ravie d'avoir enfin l'autorisation de sortir de sa maison, dans laquelle elle avait été cloîtrée pendant des années pour se protéger de la guerre.

Narcissa tressaillit lorsque Nymphadora pencha la tête pour la regarder avec insistance, et posa une question à son père en la pointant du doigt. Avait-elle remarqué que Narcissa ressemblait à sa mère ? Ted croisa à son tour le regard de Narcissa, et répondit à la question de Nymphadora avec un air embarrassé.

Andromeda, elle, venait de les rejoindre dans les tribunes. Elle se rassit à côté d'eux, les yeux rougis, et lorsque Ted la questionna à voix basse, elle secoua la tête, visiblement dépitée. Une chienne au pelage brun qui se trouvait aux pieds de Ted se releva, et vint poser sa tête sur la cuisse d'Andromeda, qui la caressa avec reconnaissance en séchant ses larmes.

Narcissa pouvait maintenant contempler sa sœur et sa famille au complet. Malgré l'embarras, la culpabilité et la tristesse qu'elle ressentait, elle ne parvenait pas à détacher son regard d'eux, et sa respiration s'accéléra légèrement lorsqu'elle se surprit à imaginer ce qui pourrait se passer si elle disait la vérité, comme Andromeda le lui avait demandé. Les Tonks l'accueilleraient sûrement à bras ouverts, si Lucius venait à être emprisonné... Andromeda la pardonnerait pour tout, évidemment, et elle s'occuperait d'elle, elle l'aiderait à élever Drago et à se reconstruire...

Elle fut brusquement tirée de ses pensées par Croupton, qui l'interpellait avec autorité :

– Et maintenant, Mrs Malefoy, je compte sur vous pour coopérer, et pour nous fournir un témoignage sincère, dit-il. C'est bien compris ?

Narcissa perçut un léger mouvement à côté d'elle, et se tourna vers Lucius. Lui aussi venait d'apercevoir Andromeda dans les tribunes. Il fronça les sourcils, interrogea Narcissa du regard, mais elle se détourna.

Ce serait tellement facile de le dénoncer, songea Narcissa. Lucius savait embobiner les gens, mais même s'il n'en savait rien, Narcissa était encore plus douée que lui. Un témoignage édifiant, un regard implorant, et Lucius irait tout droit à Azkaban. Et elle, grâce au marché qu'Andromeda avait passé avec Croupton, elle serait libre, avec Drago...

– Mrs Malefoy ? répéta Croupton avec raideur.

À côté d'elle, Lucius trahissait des signes de nervosité. Son regard allait d'Andromeda à Narcissa, puis revenait à Andromeda.

– Narcissa ?

Narcissa se tourna vers lui, et retrouva immédiatement ses esprits. Où s'égarait-elle ? Vraiment, le manque de sommeil lui faisait perdre la tête. Elle ne pourrait jamais faire une telle chose à Lucius, c'était évident.

Elle prit donc une grande inspiration, leva les yeux vers Croupton, et lui adressa un sourire courtois.

– Pardonnez-moi, Mr Croupton, s'excusa-t-elle. Mon mari et moi avons été très éprouvés par toutes ces années de captivité, et j'ai beaucoup de mal à réaliser que nous sommes enfin libres. Mais je suis prête à vous répondre.

Elle vit très nettement Croupton lancer un regard courroucé en direction d'Andromeda, qui baissa la tête, honteuse.

La suite de leur jugement se déroula sans encombre. En dehors des témoignages des Mangemorts qui avaient été attrapés et condamnés – ces vandales, comme Lucius les qualifia à plusieurs reprises – Croupton n'avait aucune preuve de leur culpabilité. Aucun Moldu, aucun sorcier agressé n'avait fait le moindre signalement qui puisse correspondre à Lucius ; et parmi ceux qui avaient réussi à rester en liberté en prétendant avoir été soumis à l'Imperium, aucun n'avait accusé les Malefoy. Ou plutôt, aucun n'avait osé les accuser, de peur de subir des représailles s'ils venaient à être libérés...

– Soyez raisonnable, Mr Croupton, dit Lucius à la fin de l'interrogatoire de Narcissa. Vous n'avez aucune preuve tangible de notre implication dans ces crimes, mises à part ces accusations vagues, portées par des criminels qui ne cherchent qu'à amoindrir leur propre responsabilité. Vous avez entendu les témoignages des Aurors qui nous ont libérés... La vérité, l'unique vérité, est que ma femme et moi étions enfermés dans ce manoir, pris en otages et parfois soumis au sortilège de l'Imperium ! Et vous ne pouvez pas imaginer ce que nous avons enduré ! Alors, si un doute subsiste, mettez notre manoir sous surveillance pendant quelque temps, et vous verrez bien que nous sommes d'honnêtes sorciers... Mais par pitié, laissez-nous retrouver la liberté ; et surtout, laissez-nous retrouver notre fils.

La mention de Drago émut quelques sorciers indécis, et la proposition de Lucius parut satisfaire la majorité de l'assemblée. Après un vote à main levée, leur libération immédiate fut décidée, et ils furent autorisés à quitter la salle d'audience. En évitant soigneusement de regarder en direction des Tonks, Narcissa se leva, toujours abasourdie. Elle sentit Lucius s'approcher d'elle et lui prendre la main, puis l'entraîner vers la sortie, mais elle n'osa pas le regarder immédiatement. Avait-il deviné ce qui lui avait effleuré l'esprit, l'espace de quelques secondes ?

Heureusement pour elle, Lucius était préoccupé par tout autre chose.

– Où est notre fils ? demanda-t-il avec autorité au brigadier de la Police Magique qui les accompagnait vers la sortie de la salle d'audience. Nous devons le retrouver immédiatement.

L'homme n'eut pas besoin de lui répondre : à l'instant où ils sortaient de la salle d'audience, une autre porte s'ouvrit à quelques mètres d'eux, et une employée du Ministère apparut, portant Drago dans ses bras. Il pleurait toujours, et il était clair que l'employée qui le portait était impatiente de s'en débarrasser. Elle semblait épuisée, le bas de son chemisier était déchiré, et sa coiffure était défaite, comme si on lui avait tiré les cheveux. Elle avait également les restes d'un jouet dans la main, avec lequel elle avait dû essayer d'amadouer Drago, mais qui avait été impitoyablement réduit en miettes. On aurait dit que Drago avait pleuré et crié continuellement depuis que Narcissa l'avait laissé à Sainte-Mangouste ; mais il se calma dès qu'il aperçut ses parents, et tendit ses bras vers eux, tout en donnant de vigoureux coups de pieds à l'employée qui essayait de le tenir.

– MAMAN ! cria-t-il avec force.

– Drago ! s'exclama Narcissa, que la vue de son fils avait sorti de son hébétude.

Elle se précipita pour le reprendre, et la jeune employée qui lui tendait Drago parut soulagée de s'en débarrasser, mais aussi étonnée par la brusque transformation du petit garçon, qui était devenu souriant et affectueux à l'instant où il avait retrouvé les bras de sa mère.

– Je n'ai jamais vu un enfant aussi colérique, chuchota-t-elle à l'un de ses collègues qui s'inquiétait de son état. Il m'en a fait voir de toutes les couleurs...

Mais Narcissa n'y accordait aucune importance. Son petit garçon était là, bien vivant et indemne, dans ses bras. Elle respirait de nouveau, elle se sentait enfin entière. Elle sentit Lucius s'approcher pour les entourer de ses bras ; au moment où ils s'enlaçaient, un flash fit sursauter Narcissa, et elle aperçut Rita Skeeter qui les photographiait, à quelques mètres de là. La journaliste voulut s'approcher pour leur poser des questions, mais les membres de la Police Magique qui étaient présents l'en empêchèrent.

– On va vous raccompagner chez vous, grogna l'un des sorciers à l'intention de Lucius et Narcissa.

Ils ne se firent pas prier et lui emboitèrent le bas. Un peu plus tard, ils étaient tous les trois de retour chez eux, debout sur le perron de leur manoir. La nuit était en train de tomber, mais le ciel était illuminé par une pluie d'étoiles filantes, et ils pouvaient encore voir des dizaines de hiboux tournoyer dans les airs, envoyés par leurs propriétaires pour célébrer la fin de la guerre des sorciers.

– Eh bien, quelle journée, soupira Lucius en caressant le dos de Narcissa. Tu as l'air épuisée.

Il avait raison. Narcissa était soulagée, bien sûr, mais elle se sentait aussi profondément troublée par tout ce qui s'était passé. Sans qu'elle ne sache pourquoi, son esprit était sans cesse aspiré vers un autre lieu, vers d'autres personnes, ou plus exactement, vers une autre version de l'histoire – celle qui aurait eu lieu si elle s'était réconciliée avec Andromeda, et si elle avait dit la vérité sur Lucius.

– Tu viens ? fit Lucius, qui se trouvait déjà dans l'encadrement de la porte.

Narcissa n'osait pas. La culpabilité était bien trop forte. Pourquoi diable pensait-elle autant à Andromeda, et surtout de cette manière-là ?

– Narcissa ? Tout va bien ?

Dans les bras de Narcissa, Drago s'agita un peu, visiblement désireux de rejoindre son père. Un peu ailleurs, Narcissa le posa sur le sol, et Drago marcha avec application vers Lucius, cette fois-ci sans trébucher. Il s'arrêta à ses pieds, tout fier, et leva la tête vers lui. Après une courte hésitation, Lucius se pencha, le souleva du sol et le prit dans ses bras.

– Il grandit de jour en jour, dit-il en le prenant contre lui.

Drago était aux anges. On aurait dit qu'il n'arrivait pas à croire ce qui lui arrivait. Il regardait son père avec admiration, et n'osait plus bouger, comme s'il craignait d'être repoussé s'il remuait trop.

Puis il se tourna vers sa mère, avec l'air de se demander pourquoi elle ne les rejoignait pas dans cet instant si précieux.

Lorsque Narcissa vit cela, elle se sentit submergée par une nouvelle vague de culpabilité. Comment avait-elle pu oser envisager de trahir son mari, de briser le lien sacré qui les unissait tous les trois, de priver Drago de père ? Quel genre de monstre était-elle ? Et quel genre de monstre était Andromeda, à vouloir semer le trouble dans son esprit de cette manière, à la faire douter de tous ses choix ?

N'y tenant plus, Narcissa sortit enfin de son engourdissement et franchit en quelques pas l'espace qui la séparait d'eux. Elle se blottit contre Lucius, et caressa la joue de Drago, dont la joie sembla s'accentuer encore. Il regardait alternativement ses deux parents, visiblement enchanté de les voir rassemblés à ses côtés. Ses yeux gris pâle n'avaient jamais été aussi brillants, et lorsqu'il se pencha timidement pour embrasser sa mère sur la joue, elle se pressa encore plus étroitement contre eux.

Ils restèrent longuement enlacés ainsi, tous les trois, sous les étoiles filantes qui continuaient de pleuvoir ; et Narcissa s'apaisa progressivement, soulagée.

Un éternuement de Drago leur signala que la température baissait, et qu'il était temps de rentrer. Pour la première fois depuis la naissance de leur fils, Lucius s'occupa de lui toute la soirée : il lui donna le bain, lui fit mettre son pyjama et le mit dans son lit, où il s'endormit paisiblement, épuisé.

Et lorsqu'ils revinrent dans leur chambre, tous les deux, Lucius la prit dans ses bras, sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit.

– Tu as été tellement forte, murmura Lucius en la serrant contre lui. Cette guerre a été si éprouvante... Mais c'est terminé, maintenant. Nous allons pouvoir nous reposer, et repartir d'un nouvel élan, tous les trois.

Narcissa avait tellement envie de le croire. Elle se blottit dans ses bras réconfortants, et se sentit envahie par une bouffée de chaleur et de reconnaissance.

– Je t'aime, dit-elle, à moitié parce qu'elle le pensait, et à moitié pour achever de s'en persuader.

Au bout d'un moment, Lucius se mit à rire doucement et Narcissa leva la tête.

– Tu mens drôlement bien, finalement, dit-il avec un grand sourire. Je devrais peut-être me méfier...

Narcissa eut un petit rire, sans rien montrer de son embarras.

– Et je repense à cette pauvre employée, tout à l'heure, ajouta Lucius. Drago ne l'a pas ménagée, on dirait... Je crois qu'il a déjà compris comment il fallait traiter ceux qui essaient de nous séparer.

Narcissa acquiesça, puis ils s'embrassèrent de nouveau, sans se douter qu'ils étaient observés depuis l'extérieur.

Et en effet, dans le jardin, sous leurs fenêtres, quatre silhouettes obscures étaient dissimulées sous les arbres. Et parmi elles, Bellatrix fulminait.

– Ils l'ont renié sans hésiter, constata Bellatrix avec amertume. Et dire qu'Il les considérait comme ses plus proches serviteurs...

– Je te l'avais bien dit, fit remarquer l'homme à la silhouette massive qui se trouvait à côté d'elle. Bon, qu'est-ce qu'on fait ? On tue ces deux traîtres ?

– N'y pense même pas, le rabroua Bellatrix.

Elle repensa furtivement à la dernière fois qu'elle avait vu Narcissa, près d'un an auparavant. En apprenant qu'elle s'était mariée avec Rodolphus Lestrange, sa petite sœur avait débarqué en pleine nuit dans leur maison, telle une furie, et avait exigé que Bellatrix quitte immédiatement cet endroit. Bellatrix ne l'aurait jamais cru capable de se mettre autant en colère, ni de lancer des sortilèges aussi puissants que ceux qu'elle avait lancés contre les frères Lestrange – il fallait croire que quand il s'agissait de sauver quelqu'un qu'elle aimait, Narcissa pouvait se montrer remarquablement habile et courageuse. Elle avait bien failli éborgner Rodolphus, et son petit frère Rabastan avait gardé du conflit une vilaine cicatrice sur la joue droite. Mais cette combativité avait été vaine, puisque Bellatrix avait refusé de la suivre et l'avait chassée des lieux, en la priant de ne plus jamais essayer de la sauver.

Et depuis, Narcissa avait probablement choisi d'oublier sa grande sœur, au vu de la manière avec laquelle elle se comportait avec Lucius. Dans leur grande chambre, ils riaient ensemble, Narcissa pleurait de soulagement, Lucius essuyait ses larmes, et ils s'embrassaient à nouveau, étroitement enlacés. Bellatrix fit une petite grimace : toute cette tendresse lui donnait la nausée.

Elle se tourna donc vers ses trois féroces coéquipiers : Rodolphus Lestrange, son frère Rabastan et un tout jeune homme qui se nommait Bartemius Croupton. Celui-ci était une recrue récente, et il n'avait même pas vingt ans. Avec ses cheveux couleur paille, il avait un visage étrangement doux, couvert de taches de rousseur. C'était là son atout le plus redoutable : avec ce visage d'ange, personne ne l'avait jamais soupçonné de quoi que ce soit, pas même son propre père. Depuis sa sortie de Poudlard, il prétendait l'assister au Ministère, alors qu'en réalité, il avait rejoint le clan de Voldemort et lui délivrait de précieuses informations sur les diverses enquêtes menées par son père.

– Nous allons retrouver le Seigneur des Ténèbres, affirma-t-il pour rassurer Bellatrix. Tu l'as dit toi-même, n'est-ce pas ? Il est immortel ! Il n'a pas pu mourir, ceux qui le prétendent se trompent lourdement. Et lorsqu'il reviendra, lorsqu'il aura récupéré toute sa puissance, il se vengera de tous les traîtres qui ont renoncé à le suivre...

En disant cela, il désigna Lucius et Narcissa avec hargne.

– Sans eux, nous allons avoir du mal à retrouver les autres, fit remarquer Rabastan Lestrange avec mauvaise humeur. Yaxley a refusé de nous rejoindre aussi, comme Avery et MacNair, tous les trois ont prétexté l'Imperium et ont été relâchés...

– Qu'ils aillent tous au diable, siffla Bellatrix. Il ne reste plus que nous.

Bartemius Croupton approuva.

– Mes amis, ne soyez pas abattus, dit-il aux deux frères Lestrange, qui affichaient une mine renfrognée. Au contraire, réjouissez-vous : nous sommes les seuls à lui être vraiment fidèles... Et quand notre heure viendra, le Maître saura nous récompenser à la hauteur de notre courage.

– Peut-être, grogna Rodolphus Lestrange en haussant ses épaules massives. Mais maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?

Bellatrix et le jeune Croupton se concertèrent du regard.

– Mon père m'a dit qu'aucun indice n'avait été trouvé chez les Potter, dit-il. J'ai regardé dans le dossier pour vérifier, et il disait vrai.

– Il a dû transplaner quelque part, supposa Bellatrix. Et s'il ne se manifeste pas à nous, c'est parce qu'il doit être trop faible pour le faire...

– Exactement, affirma le jeune Croupton. Peut-être que les Aurors sont à sa recherche, en ce moment même, tout comme ces idiots de l'Ordre du Phénix...

– Tout juste, dit Bellatrix avec un sourire de plus en plus malfaisant. Et peut-être que parmi eux, certains ont déjà trouvé quelques indices. Or, depuis que nous avons connaissance de la liste précise des membres de cet Ordre du Phénix... Nous savons que trois d'entre eux sont aussi des Aurors, et que par conséquence, ils seront avertis à coup sûr si quelque chose se trame dans l'un des deux groupes...

– Lesquels ?

– Maugrey est hors circuit, dit le jeune Croupton, qui était de plus en plus excité. Rosier l'a défiguré en se battant jusqu'à la mort, qu'il repose en paix... Et en dehors de Maugrey, nous avons...

– Franck et Alice Longdubat, compléta Bellatrix.

Rodolphus et Rabastan Lestrange échangèrent un regard féroce. Ils avaient déjà affronté les deux Aurors, et avaient été incapables de les vaincre : la perspective de prendre leur revanche les enthousiasmait beaucoup.

– Si Dumbledore, ou si les Aurors savent quelque chose, ils le sauront aussi, assura Bellatrix. Et puis, ils étaient peut-être proches des Potter, n'est-ce pas ? Leur enfant est né pratiquement en même temps.

– Soit, allons les trouver, accepta Rodolphus. Par où veux-tu commencer ?

– Oh, rien de plus simple : nous allons rentrer chez nous, sourit Bellatrix. Intrépides comme ils sont, je suis certaine qu'ils viendront à nous très facilement. Ils sont peut-être même déjà en train de perquisitionner notre maison.

Rodolphus, Rabastan et Bartemius eurent le même sourire enthousiaste, et ils transplanèrent aux abords de la maison des Lestrange. Bellatrix avait vu juste : quelques personnes tentaient d'y pénétrer. Et parmi elles se trouvait Frank Longdubat.

– À mon signal, on l'attrape, on rentre, et on barricade la maison, souffla-t-elle à ses voisins.

Tous les trois hochèrent la tête, dissimulés dans une petite ruelle adjacente d'où ils pouvaient voir le seuil de leur maison. Bellatrix plissa les yeux pour mieux voir l'Auror, et frémit de plaisir en imaginant ce qu'elle allait pouvoir faire subir à Frank Longdubat dans quelques instants. Elle tourna sa baguette entre ses doigts, et sentit enfler en elle la puissance sauvage et destructrice qui l'habitait.

Le Seigneur des Ténèbres avait vu juste : depuis son mariage avec Rodolphus Lestrange, jamais sa cruauté, ni sa soif de domination n'avaient été aussi fortes. Ce mariage l'avait brisée, anéantie ; mais se brisant, elle avait libéré quelque chose de bien plus puissant, de bien plus terrible, qui avait fait d'elle l'arme parfaite. Tous les doutes et les remords qui l'entravaient avaient été écrasés, comme tout ce qu'il y avait de beau et de fragile en elle, avec la même cruauté que celle qu'elle employait pour torturer ses ennemis. Le peu d'humanité qu’elle avait autrefois combattue pour plaire à Voldemort s’était évaporée sans laisser de trace ; et dans ce renoncement total, Bellatrix avait trouvé ce qu’elle croyait être une forme d’invincibilité. Les souvenirs de Regulus ne revenaient plus la hanter, et avaient laissé place à une solitude abyssale, qui ne faisait qu'alimenter le brasier de haine qu'elle était devenue.

Lorsqu'elle se tourna vers les trois hommes qui l'accompagnaient, elle vit qu'ils avaient un peu peur d'elle, eux aussi. Tant mieux.

– Allons-y, dit-elle avec un sourire cruel.

Ils hochèrent la tête, et partirent à l'attaque.


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