Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 31 : Le Gardien du Secret

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Dernière mise à jour il y a 29 jours

Le Gardien du Secret



Quelques mois plus tard, en pleine nuit, Dumbledore marchait d'un pas rapide sur le chemin escarpé qui menait vers Pré-au-Lard, l'esprit en ébullition. Il venait de vivre plusieurs semaines absolument épouvantables. Et dire que, lorsque Rogue l'avait contacté pour protéger Lily, il avait naïvement cru qu'il allait enfin pouvoir prendre l'avantage au cours de la guerre... Non, en réalité, c'était exactement l'inverse qui se produisait. Tout lui échappait. Alors que, pendant plusieurs années, les agissements de l'Ordre du Phénix et l'identité de ses membres étaient soigneusement restés secrets, depuis quelques mois, Voldemort semblait informé en temps réel de tous leurs projets. Toutes leurs identités avaient été mystérieusement dévoilées, ainsi que plusieurs de leurs adresses, et si Dumbledore avait rechigné à admettre que ces fuites d'informations étaient causées par la présence d'un traître au sein même de l'Ordre, il devait bien se résigner à envisager cette hypothèse. Sans compter que cet espion malfaisant mettait également en danger les Potter : Dumbledore les avait déjà fait déménager deux fois, après que Rogue l'ait averti que Voldemort avait découvert leur adresse...

Tout en continuant à s'éloigner de Poudlard, Dumbledore soupira. Cette situation était inextricable. En quelques semaines, plusieurs membres de l'Ordre du phénix avaient été décimés à une vitesse inquiétante. Cela avait commencé avec Marlene McKinnon, qui avait été assassinée chez elle avec ses parents et ses frères et sœurs ; puis les Mangemorts et les géants avaient attaqué le domicile d'Edgar Bones, le tuant lui aussi, ainsi que sa femme et leurs deux enfants. Et enfin, il y avait eu cette bataille sanglante, lorsque tous ces assassinats avaient décidé l'Ordre du Phénix à aller au-devant des géants...

Sirius savait où habitait Marlene, et il savait aussi pour les Bones, avait dit Maugrey lorsqu'il lui avait fait le compte-rendu de la bataille. Avec leurs deux adresses, il en a déduit la trajectoire des géants... C'est lui qui a insisté pour que nous allions les affronter, et qui nous a menés jusqu'à eux... Et c'est là que les Mangemorts nous attendaient. C'était un guet-apens... Voldemort savait que nous allions les attaquer. Quelqu'un l'a prévenu avant notre arrivée. Quelqu'un lui a dit précisément où et quand.

Maugrey n'avait pas eu besoin d'exprimer clairement sa pensée pour que Dumbledore comprenne ce qu'il voulait dire. Évidemment, il soupçonnait Sirius d'être à l'origine de ce guet-apens, qui avait coûté la vie à Dorcas Meadowes, Benjy Fenwick, mais également Fabian et Gideon Prewett... Maugrey le soupçonnait déjà depuis la mort d'Adam Claring, mais cette attaque avait encore renforcé ses soupçons. Et même si Dumbledore était horrifié par cette supposition, il fallait admettre que de nombreux indices convergeaient vers Sirius...

Il n'eut pas le temps de réfléchir plus longtemps : il s'était suffisamment éloigné de Poudlard pour arriver à un endroit où il pouvait transplaner, et c'est ce qu'il fit. L'instant d'après, il se trouvait sur une colline battue par les vents, face à Severus Rogue qui semblait l'attendre depuis un long moment. Dumbledore voulut le saluer, mais Rogue ne lui en laissa pas le temps.

– Ils ont encore trouvé leur adresse ! tempêta Rogue. C'est la troisième fois, et heureusement que Lucius m'en a averti ! J'ai essayé de savoir qui est leur informateur, mais Lucius lui-même n'en savait rien... Cet espion ne veut parler qu'au Seigneur des Ténèbres... Bon sang ! Vous n'avez aucune idée de qui cela peut-il être ? Aucune piste ?

– Si c'était le cas, vous vous doutez bien que je l'aurais neutralisé depuis longtemps, Severus.

– C'est à croire que c'est vous qui les dénoncez...

Dumbledore resta impassible, mais la couleur de ses yeux changea un peu, comme s'ils devenaient plus froids.

– Je vais mettre cette accusation sur le compte de votre détresse, et je ne vous en tiendrai pas rigueur, dit-il calmement. Sachez, Severus, que la protection de James, Lily et Harry est à ce jour ma priorité absolue. Simplement... Malgré mes mises en garde répétées, James estime que ses amis ont encore le droit de leur rendre visite, et je crains que cette imprudence ne soit à l'origine de la divulgation répétée de leur adresse.

Rogue fut incapable de retenir une exclamation de dégoût.

– Bien sûr, cracha-t-il. J'aurais dû m'en douter... Cet abruti s'est toujours cru au-dessus de tous les dangers ! Même avec le Seigneur des Ténèbres à ses trousses, il continue à commettre les pires imprudences... Il croit peut-être qu'il pourra s'en sortir, une fois que le Seigneur des Ténèbres les aura trouvés ? Il se croit sans doute capable de l'affronter, peut-être même qu'il en rêve ! Mais comment ose-t-il mettre Lily en danger de cette manière ? Ah, si je pouvais l'étriper...

– Calmez-vous, Severus, coupa Dumbledore. Je vous remercie de m'avoir prévenu aussi vite. Je vais chercher James, Lily et Harry, et les mettre en sécurité... Mais cette fois-ci, je vais procéder autrement. Cette fois-ci, personne ne pourra les trouver, je vous le promets.

***

Les Mangemorts étaient partout. Ils les encerclaient, les survolaient, et les sortilèges meurtriers leur pleuvaient dessus.

Il n’y avait aucune issue, aucun repli possible : à partir de l’instant où ils étaient entrés dans cette forêt, ils avaient été piégés. Maugrey criait des instructions pour protéger tout le monde, mais Sirius n’arrivait pas à détacher son regard des géants, avec leur peau couverte de cicatrices, leur rictus féroce et cette énorme hache couverte de chaînes.

Il regardait les géants et pensait : ce sont ces créatures qui ont tué Marlene, ces dents pointues sont peut-être la dernière chose qu’elle a vue avant de s’éteindre à tout jamais... Et ses frères et sœurs qu'elle aimait tant, ils avaient été assassinés, eux aussi, peut-être sous ses yeux...

– SIRIUS !

Dorcas Meadowes venait de le tirer brutalement en arrière, lui évitant ainsi d’être réduit en poussière par deux Mangemorts encagoulés qui étaient apparus face à eux.

Sirius se réprimanda intérieurement pour son inattention. Il devait se reprendre, il devait se battre, mais comment chasser de son esprit les images insoutenables de la maison des McKinnon après le passage des géants ?

À côté de lui, Dorcas avait engagé le combat, et Sirius parvint à l'imiter. À eux deux, ils neutralisèrent rapidement l'un des Mangemorts ; celui qui restait considéra rapidement la baguette de Dorcas tendue vers lui, puis décida de battre en retraite.

Aussitôt, Sirius chercha Peter du regard, et le vit juste derrière Maugrey, protégé par l'imposante carrure de l'Auror et par les sortilèges puissants qu'il lançait tout autour de lui, avec une adresse impressionnante. Non loin d'eux, Fabian et Gideon Prewett se battaient ensemble, ils repoussaient habilement leurs assaillants, leurs sortilèges se répondant mutuellement... Mais les Mangemorts qui combattaient Maugrey se rabattirent sur eux, redoublant de férocité... Plusieurs membres de l'Ordre avaient déjà disparu, dont Benjy Fenwick...

Quant aux géants, ils se rapprochaient de plus en plus, et si personne ne faisait rien, ils allaient tous être piétinés.

Sirius cessa de réfléchir. Il fallait agir, il fallait venger Marlene et arrêter ces créatures monstrueuses qui avaient déjà fait tant de mal.

Profitant d'un instant où personne ne regardait dans sa direction, Sirius se transforma en chien et courut droit vers les géants. Plus il se rapprochait, et plus la taille des géants lui apparaissait monstrueuse, mais il ne ralentit pas l'allure. Leur chef, reconnaissable à son énorme hache, se trouvait au milieu d'eux, défendu par ses sujets, pour l'instant inatteignable...

Évitant leurs gourdins qui tournoyaient dangereusement, Sirius plongea entre leurs jambes, griffa et mordit plusieurs d'entre eux, tout en prenant garde à ne pas se faire écraser.

Furieux, deux géants se penchèrent maladroitement pour l'attraper, mais Sirius était bien trop rapide ; et avec leurs gestes imprécis, les deux géants se cognèrent mutuellement. Après un instant d'étourdissement, le plus gros d'entre eux bouscula le deuxième, qui tomba lourdement en arrière en bousculant deux autres géants.

Plusieurs grognements agressifs retentirent ; les géants commencèrent alors à se battre entre eux, et ceux qui protégeaient leur chef rompirent les rangs pour donner des coups de poings à leurs voisins. Ils ne faisaient plus du tout attention à Sirius, qui avait repris sa course et remontait sur le talus pour éviter d'être écrasé. Pendant un instant, il observa le spectacle avec satisfaction ; mais en regardant en arrière, il réalisa avec horreur qu'il avait laissé Dorcas seule, en marge du groupe, sans aucune aide.

Non loin de Peter, grâce à la pagaille que Sirius avait semée parmi les géants, Maugrey avait enfin un angle de tir pour attaquer... L'un de ses sortilèges atteignit le chef des géants entre les deux yeux, et celui-ci poussa un rugissement de douleur assourdissant, tout en se penchant en avant... Maugrey brandit de nouveau sa baguette, prêt à l'abattre...

Mais Sirius n'y faisait pas attention, car une silhouette encapuchonnée venait d'apparaître juste derrière Dorcas. Des yeux rouges étincelèrent dans l'ombre du capuchon, une main pâle tenant une baguette émergea des pans de tissu... Un bruit violent claqua dans l'air, un éclair vert jaillit, et Dorcas tomba sur le sol, inanimée, morte, elle aussi...

DORCAS !

Au moment où il voulut crier, Sirius se réveilla en sursaut, et il dut s'agripper au dossier du canapé pour ne pas tomber sur le sol.

Tremblant, haletant, il se redressa, et serra avec force les coussins qui se trouvaient autour de lui pour se persuader qu'il ne se trouvait plus dans cette maudite forêt, où plusieurs membres de l'Ordre avaient perdu la vie.

Il secoua la tête pour repousser les boucles noires qui lui tombaient devant les yeux, et regarda autour de lui : il se trouvait chez James et Lily, où il s'était sûrement assoupi après le déjeuner. Dehors, l'orage grondait ; c'était la foudre qui l'avait réveillé, et non l'éclair vert du sortilège meurtrier lancé par Voldemort. Sirius entendit les voix de James et Lily dans la cuisine, et se sentit un peu mieux.

Encore un peu chancelant, il se leva du canapé et s'approcha de la fenêtre, où il repensa brièvement aux mois éprouvants qu'il venait de passer.

Pour commencer, l'assassinat de Marlene et de sa famille avait été particulièrement difficile à vivre, et l'avait profondément déstabilisé : elle avait été une amie chère, parfois davantage, et sa mort donnait le sentiment désagréable que l'ensemble de ses proches étaient condamnés à connaître le même sort qu'elle. Puis il y avait eu l'assassinat d'Edgar Bones ; Sirius avait alors insisté pour aller combattre les géants, qui commençaient à s'approcher dangereusement de Poudlard... Et il avait fini par convaincre l'ensemble de l'Ordre du Phénix de se joindre à lui. Cependant, une fois arrivés sur le champ de bataille, ils s'étaient retrouvés face à un nombre étourdissant de Mangemorts, ainsi que Voldemort en personne... Et même si Maugrey avait réussi à abattre le chef des géants et à détruire sa hache maléfique, les pertes avaient été lourdes. Rien qu'en repensant au visage de Voldemort lorsqu'il avait abattu Dorcas Meadowes sous ses yeux, ou aux Mangemorts déchaînés qui avaient encerclé les Prewett et avaient fini par les vaincre, Sirius était parcouru de frissons. Et dire que c'était lui qui les avait menés là, qui avait insisté pour qu'ils aillent combattre ! Sirius ne parvenait pas à se défaire de ce maudit sentiment de culpabilité, malgré les efforts qu'avait fait Peter pour le réconforter. Et d'ailleurs, lorsque l'Ordre du Phénix s'était dispersé, il avait bien vu le regard lourd de reproches que Maugrey lui avait adressé, et il ne pouvait s'empêcher de remarquer que Dumbledore lui confiait de moins en moins de missions depuis cette bataille...

– Sirius, tu veux manger quelque chose ?

Sirius se retourna, et sourit à Lily, qui venait d'entrer dans le salon avec un sachet de crackers. James entra à sa suite avec trois tasses de Bièraubeurre, et Sirius se détendit un peu. Au moins, depuis qu'il était libéré des sollicitations constantes de l'Ordre, il avait davantage de temps à consacrer à ses amis, même s'il s'en voulait toujours d'avoir raté le premier anniversaire de Harry...

– Je veux bien, merci, dit Sirius en prenant une Bièraubeurre.

– Tu as l'air épuisé, remarqua James. Tu veux rester dormir ici, ce soir ?

Sirius haussa les épaules. Évidemment, son moral n'était pas au beau fixe, mais il renonça à leur révéler le contenu de ses sombres pensées : il leur avait déjà raconté la bataille qui les avait opposés aux Mangemorts et aux géants. Quant à la mort de Marlene, il savait à quel point Lily avait souffert de l'assassinat de son amie. Il se refusa donc à remettre ces sujets sur la table et préféra trouver une autre raison à son humeur morose.

– Ce n'est rien, dit-il avec un sourire qui se voulait rassurant. Simplement, j'ai l'impression qu'il fait de plus en plus froid... Et tous ces orages me fichent le bourdon.

– On est en octobre, dit Lily avec un air désolé. Si c'est comme l'année dernière, les orages ne sont pas prêts de s'arrêter.

Sirius prit une gorgée de Bièraubeurre, et regarda ses deux amis assis côte-à-côte sur le canapé. Il ne pouvait s'empêcher d'admirer leur calme face à la situation terrible dans laquelle ils se trouvaient. En effet, bien que leur famille soit gravement menacée, ils gardaient toujours le sourire et continuaient de s'occuper de Harry avec enthousiasme, sans laisser l'inquiétude assombrir leur quotidien.

Un peu rasséréné, Sirius parvint à discuter avec eux du premier anniversaire de Harry, célébré pratiquement trois mois plus tôt ; de leur voisine, Bathilda Tourdesac, qui avait été chargée par Dumbledore de veiller sur eux ; et de la sœur de Lily, Petunia, dont James aimait se moquer gentiment.

Au bout d'une demi-heure, des babillements retentirent à l'étage, et leurs trois visages s'illuminèrent : Harry venait de se réveiller.

– Va le chercher, proposa Lily à Sirius.

Toute la morosité de Sirius s'envola aussitôt. Il se leva d'un bond, et se précipita pour gravir les marches qui menaient à l'étage, suivi de près par James.

Harry eut l'air un peu surpris de voir quelqu'un d'autre que ses parents entrer dans sa chambre, mais il fut rassuré par la présence de James près de la porte, et laissa Sirius le prendre dans ses bras sans résistance.

– Il était debout dans son lit, signala Sirius à Lily en revenant dans le salon. C'est fou ce qu'il grandit vite !

– Il a fait ses premiers pas il y a quelques jours, l'informa Lily en souriant. Bientôt, il gambadera partout dans la maison.

Sirius posa Harry sur le sol et le fit faire quelques pas en lui tenant la main, sous le regard attendri de James et Lily ; puis il l'aida à grimper sur le canapé, et le prit sur ses genoux, où il s'assit avec enthousiasme. Harry regardait autour de lui avec un grand sourire, visiblement ravi d'être au centre de l'attention ; il semblait aussi très intrigué par les cheveux bouclés de Sirius, qu'il essayait de saisir avec envie.

– À votre avis, à partir de quel âge peut-on devenir un Animagus ? demanda Sirius en le faisant sautiller sur ses genoux.

– N'y pense même pas, l'arrêta Lily.

– Oh, allez ! Il serait tellement adorable en petit faon...

L'idée eut l'air de plaire à Harry, car il battit des bras, et son sourire s'élargit.

– 'Aon, répéta-t-il.

– Regarde, rit Sirius. Il en rêve déjà !

Lorsqu'il entendit le rire de Sirius, qui ressemblait un peu à un aboiement, Harry le regarda avec de grands yeux ronds, puis éclata de rire à son tour.

– Regardez-moi ces yeux, s'émerveilla Sirius. Je suis sûr qu'il aura un succès fou, à Poudlard... Encore plus que nous, James.

– Espérons que ça ne lui monte pas à la tête de la même manière, se moqua gentiment Lily.

James sourit, magnanime, et lui prit la main.

– J'espère aussi, admit-il.

L'après-midi s'écoula donc sans encombre, rythmé par les essais de Harry pour répéter de nouveaux mots ; c'est en fin de journée seulement que ce moment paisible fut interrompu par la visite de Dumbledore. Et le bruit léger qu'il fit en transplanant au milieu du salon contrastait avec la gravité que son visage exprimait.

Dès son apparition, les sourires de James et Lily s'évanouirent, et ils pâlirent dangereusement.

– Ils nous ont encore retrouvés ? demanda Lily d'une voix blanche.

Dumbledore ne répondit pas immédiatement. Il ne regardait même pas James et Lily, mais se contentait de fixer Sirius avec une telle froideur que le jeune homme se sentit obligé de se lever, mal à l'aise.

– Bonsoir, Dumbledore... Euh... Je vous laisse discuter tous les trois, bredouilla-t-il en se dirigeant vers la porte, tenant toujours Harry dans ses bras.

– Attend, Sirius, l'arrêta froidement Dumbledore. Laisse Harry ici.

James, Lily et Sirius froncèrent les sourcils au même instant, mais Dumbledore ne donna pas d'autres explications. Un peu choqué, Sirius finit par obtempérer et il monta à l'étage, dans la chambre de Harry, où il s'assit sur la moquette, la gorge serrée.

– Je vous avais pourtant demandé de ne révéler votre adresse à personne, dit Dumbledore avec colère, une fois que Sirius ne pouvait plus les entendre.

– Sirius est le parrain de Harry, protesta James. Il a le droit de le voir !

– À qui d'autre l'avez-vous communiquée ? Qui sait que vous vivez ici ?

James et Lily hésitèrent. Ils pensèrent à Peter, qui leur avait rendu visite à plusieurs reprises, mais après leur dernière dispute, James ne voulait pas lui causer d'ennuis.

– Personne, dit James. Sirius, et c'est tout.

– James, la situation est très préoccupante, insista Dumbledore avec gravité. Votre adresse a de nouveau été révélée à Voldemort. Quelqu'un... Quelqu'un veut vous livrer à lui. Et cette personne vous suit de près. De très près, même.

– Mais ce n'est pas Sirius, affirma James. J'en suis sûr. Voldemort a peut-être découvert notre adresse par un procédé magique, comme pour Adam Claring...

– C'est impossible. L'espion qui me renseigne sur les agissements de Voldemort m'a confirmé l'existence d'un traître au sein même de l'Ordre du Phénix, même s'il en ignore l'identité.

– Eh bien, peut-être que votre espion se trompe, répliqua James, un peu irrité. Je connais Sirius mieux que quiconque, et je sais qu'il ne ferait jamais une telle chose.

– Peut-être que votre espion n'est pas aussi sincère que vous ne le croyez, et profite de sa position pour attirer des ennuis à Sirius, renchérit Lily en regardant Dumbledore droit dans les yeux.

Dumbledore regarda successivement James et Lily, et comprit qu'il ne parviendrait pas à les faire changer d'avis. Et de toute manière, ils n'avaient pas le temps de discuter plus longuement. Il fallait agir.

– Nous allons faire nos affaires, décida Lily en se détournant. Il faut partir immédiatement.

– Non, l'arrêta Dumbledore. Cette fois-ci, nous allons vous cacher autrement. Vous allez rester ici... Mais votre maison sera cachée d'une manière beaucoup plus sûre. D'une telle manière que même si Voldemort se trouve devant votre portillon, il sera incapable de voir votre maison.

– Vous voulez parler du sortilège Fidelitas, devina Lily.

– Oui, confirma Dumbledore. Je rechignais à l'utiliser jusqu'à maintenant, car vous devrez supporter un isolement plus important, mais après toutes ces mésaventures... Oui, je crois que c'est la solution la plus sûre.

– D'accord, mais il faudra que Sirius soit notre Gardien, déclara aussitôt James.

Dumbledore tressaillit.

– Je veux vous prouver que vous pouvez lui faire confiance, affirma James. En faisant cela, vous verrez bien que ce n'est pas un traître.

En entendant ces mots, Dumbledore poussa un léger soupir. Ses multiples mises en garde avaient donc eu l'effet inverse de celui qu'il recherchait.

– James... Depuis plusieurs mois, tout ce que Sirius sait, le Seigneur des Ténèbres semble le savoir aussi, fit-il remarquer. Et je dois dire que je suis profondément inquiet.

– C'est tout réfléchi, trancha Lily. Sirius a notre entière confiance. Et puis, nous n'avons aucune famille sur qui nous appuyer pour élever Harry... Si cette situation doit durer plusieurs années, nous voulons que Sirius soit présent à nos côtés.

James la remercia du regard. Dans ses bras, Harry tenta vainement de prononcer le prénom de Sirius, comme s'il voulait montrer qu'il était d'accord avec ses deux parents. Dumbledore essaya une dernière fois de les raisonner :

– Pour vous avoir vus grandir ensemble, je suis bien placé pour connaître votre affection pour lui, admit-il. Et je comprends votre souhait, mais aujourd'hui, il ne s'agit pas seulement de vous trois... Il s'agit aussi de l'avenir du monde magique.

– C'est en lui que j'ai le plus confiance pour nous protéger, décréta James avec la plus grande fermeté. Je vais le chercher.

Il mit Harry dans les bras de Lily et monta les escaliers, puis revint dans la pièce, suivi de Sirius, à qui il venait d'expliquer la situation, et qui semblait complètement abasourdi. Suivant les instructions de Dumbledore, James écrivit leur adresse sur un morceau de papier ; puis il le tendit à Sirius, qui se tenait debout au milieu de la pièce.

– Lis ce que James a écrit, ordonna Dumbledore à Sirius.

Les mains de Sirius tremblaient légèrement, mais il réussit tout de même à déplier le morceau de papier. Il le plaça devant ses yeux, et le regarda fixement.

– Maintenant, ferme les yeux, et répète cette adresse intérieurement, jusqu'à ce que j'aie terminé l'enchantement.

Une larme roula sur la joue de Sirius lorsqu'il ferma les yeux. Pendant plusieurs minutes, Dumbledore s'appliqua à prononcer l'enchantement Fidelitas ; puis il abaissa sa baguette, et annonça que Sirius était devenu le Gardien du Secret de James et Lily. Il les informa aussi que, dès l'instant où il aurait quitté la maison, celle-ci deviendrait invisible aux yeux de tous, sauf de Sirius ; il lui recommanda enfin de ne divulguer le secret à personne, pas même à Remus et Peter ; et, sans s'attarder davantage, il s'en alla.

– Merci de faire cela pour nous, dit James à Sirius.

Mais à sa grande surprise, son meilleur ami secoua la tête.

– Je n'ai rien fait du tout, répondit Sirius. Je n'ai pas lu votre adresse.

– Comment ? Mais, tu avais les yeux rivés dessus...

– Non, dit Sirius. J'avais les larmes aux yeux, et je voyais trouble. Je n'ai pas lu votre adresse, je ne voyais que la couleur du papier. Et pendant que Dumbledore prononçait le sortilège, j'ai fait le vide dans ma tête... Son enchantement était vide, sans contenu... Il n'a servi strictement à rien.

– Mais... Pourquoi avoir fait ça ?

– Parce qu'il faut que vous choisissiez quelqu'un d'autre, répondit Sirius. Il faut que vous choisissiez Peter, plutôt que moi.

James et Lily froncèrent les sourcils au même instant.

– C'est le plan parfait, affirma Sirius. Me choisir moi, même si votre confiance me touche, c'est bien trop risqué : si Voldemort apprend que vous avez désigné un Gardien du Secret, il pensera tout de suite à moi, et lancera les Mangemorts à ma poursuite... Et puis, il connait certains membres de ma famille, qui pourraient l'aider à me retrouver... Sans compter que grâce à vous, Dumbledore aura de nouveau confiance en moi. Il va donc de me confier des missions plus importantes, plus dangereuses ; et vous me connaissez, j'ai un goût un peu trop prononcé pour les prises de risques. Alors, si je me retrouvais prisonnier... Évidemment, jamais je ne divulguerais votre adresse de mon plein gré, mais qui sait ce que Voldemort pourrait me faire subir pour arriver à ses fins ? J'aimerais pouvoir affirmer que je serai capable de lui résister, mais je ne peux pas en être sûr.

– Et pourquoi Peter, plutôt que Remus ? demanda James.

– Réfléchis, répondit Sirius. Remus est sûrement digne de confiance, mais ses missions sont tellement risquées ! Et puis, à la pleine lune, il perd le contrôle de lui-même, ce qui le met en danger tous les mois... Alors que Peter ! Premièrement, Voldemort ne le soupçonnera pas immédiatement, ce qui lui donne un avantage certain. Personne ne saura que c'est lui, pas même Dumbledore... Et puis, avec sa capacité à se transformer en rat, dont les Mangemorts n'ont pas connaissance, il peut s'extraire de n'importe quelle situation... Vraiment, c'est ce qu'il y a de plus sûr.

Face à lui, James hocha lentement la tête, et se tourna vers Lily.

– Qu'en penses-tu ?

Lily acquiesça.

– Je suis d'accord, dit-elle. Je vois bien que Peter s'inquiétait pour nous, ces derniers mois, il nous rendait tout le temps visite pour s'assurer que nous allions bien... Et puis, lui qui a constamment besoin d'être rassuré sur l'affection que nous avons pour lui... Cette marque de confiance lui fera plaisir, j'en suis certaine.

– Cela pourrait même permettre de vous réconcilier complètement, acquiesça James en s'adressant à Sirius. Et puis, pour lui qui commence enfin à s'investir pleinement dans la lutte, ce serait l'occasion rêvée de lui montrer à quel point nous croyons en lui. Et tu as raison : Peter a toujours fait preuve de prudence, je ne pense pas qu'il puisse se mettre sérieusement en danger.

– Et pour l'enchantement ? s'interrogea Lily. Je dois avoir un livre de magie là-haut, mais c'est un sortilège tellement complexe...

– Je sais l'accomplir, affirma Sirius. Mon père le répétait tous les mois pour être certain que notre maison reste Incartable, comme un rituel... Évidemment, c'était inutile, mais au fil des années, je l'ai appris par cœur. L'incantation est complexe, mais elle repose surtout sur la confiance qui est accordée au Gardien. Si vous avez pleinement confiance en Peter, ça ne sera pas si compliqué.

– C'est le cas, assura James.

À côté de lui, Lily acquiesça avec gravité. Et elle était sincère : Sirius, James et elle avaient une confiance totale en Peter. Il était leur ami, et aucun d'entre eux n'aurait pu imaginer une seule seconde qu'il puisse les trahir.

– Je vais le chercher, dit Sirius en marchant vers la porte. Je serai de retour d'ici quelques minutes.

– Attends, Sirius...

James le retenait par le bras. Sirius se retourna, et attendit que James dise quelque chose, mais ce que son meilleur ami ressentait semblait impossible à exprimer par de simples mots. James préféra donc ouvrir les bras pour l'étreindre avec force.

– Merci pour tout, souffla James.

Sirius lui rendit son étreinte, puis ils se séparèrent en reculant un peu. Juste à côté d'eux, Lily les regardait avec émotion, et dans ses bras, Harry fixait toujours Sirius de ses beaux yeux verts, un grand sourire aux lèvres.

– À tout de suite, petit bonhomme, murmura Sirius en lui effleurant la joue. Ne t'en fais pas, nous allons te mettre en sécurité, toi et tes parents.

Il échangea un bref sourire avec Lily, puis se dirigea vers la porte et disparut dans la nuit.

***

Dans les jours qui suivirent cette terrible soirée, les orages redoublèrent de violence, comme un triste présage de ce qui allait se produire. Le 31 octobre, soir d'Halloween, il y eut cependant une étrange accalmie, et la pluie cessa en début de soirée. Narcissa, elle, ne le remarqua même pas, tant elle était absorbée par la contemplation de Drago qui faisait des allers-retours entre elle et le canapé, avec de plus en plus d'assurance, d'agilité et d'équilibre.

– Bravo, mon chéri ! s'exclamait-elle dès qu'il se jetait dans ses bras.

Elle l'embrassait tendrement à chaque fois, et ils riaient tous les deux, sans jamais se lasser de ce petit manège. Âgé de bientôt un an et demi, Drago avait déjà bien grandi, et Narcissa le trouvait chaque jour plus adorable que le précédent, avec ses cheveux blonds, son petit menton pointu et ses yeux gris clair. Ses journées étaient rythmées par Drago : le nourrir, le changer, aller le promener dans le domaine, ne laissant aucune place pour quoique ce soit d'autre – ce qui convenait parfaitement à Narcissa. Elle adorait cette nouvelle vie, qui lui permettait de s'oublier complètement et de ne pas réfléchir à tout ce qu'elle avait perdu pour en arriver là. C'était à peine si elle pensait aux Goyle, ou à Bellatrix : en apprenant son mariage avec Rodolphus Lestrange, Narcissa lui avait immédiatement rendu visite et avait essayé de la convaincre de quitter cet homme malfaisant, mais sans succès. Bellatrix s'était montrée hermétique à toute tentative de raisonnement. Les deux frères Lestrange avaient ensuite chassé Narcissa de chez eux en la priant de ne plus jamais revenir, et depuis, malgré la douleur que cette situation lui causait, elle faisait de son mieux pour y penser le moins possible.

La nuit était déjà tombée quand Lucius vint les rejoindre dans le salon. Comme Narcissa était dos à la porte, ce fut Drago qui l'aperçut en premier ; il se redressa aussitôt, un sourire impatient illumina son visage, et il tendit les bras vers la silhouette de son père.

– 'apa, s'exclama Drago en articulant approximativement.

Lucius lui lança un bref regard, mais ne réagit pas ; et Narcissa s'assombrit aussitôt. La distance glaciale qu'il mettait entre lui et son fils s'agrandissait de jour en jour ; et le fait que Drago l'appelle ainsi, avec autant d'enthousiasme, semblait lui procurer de l'inconfort, comme si l'amour et l'admiration de Drago étaient deux paquets encombrants dont il ne savait pas quoi faire.

Mais Drago ne se laissa pas décourager. Narcissa le vit serrer ses petits poings avec détermination, et il se mit à marcher à travers le salon avec application, en direction de Lucius. Cependant, à mi-course, Drago trébucha sur le bord du tapis, et tomba à quatre pattes. Il regarda en direction de son père, espérant une réaction, un geste d'encouragement ; mais Lucius resta impassible. Narcissa crut le voir hésiter, et voulut lui laisser le temps de se décider enfin à s'approcher, mais en voyant l'expression implorante de Drago, elle se précipita pour le prendre dans ses bras.

– Tu pourrais au moins l'embrasser, dit Narcissa sur un ton de reproche. Il ne t'a pas vu de la journée.

De nouveau, Lucius garda le silence.

– Ce n'est pas si compliqué, insista Narcissa. Tu n'as qu'à agir comme tu le fais avec moi, avec tendresse et douceur...

– Toi, je n'ai pas à t'élever, répliqua Lucius. Et d'ailleurs, tu ferais mieux de le laisser apprendre par lui-même... Si tu te précipites à chaque fois qu'il tombe, tu vas le rendre paresseux.

– Lucius, enfin ! Il n'a même pas un an et demi !

Narcissa faillit lui demander de quoi il était capable, à cet âge, mais elle se retint de justesse : le renvoyer à son enfance, qui avait été affreusement douloureuse et solitaire, aurait été mesquin. Lucius haussa les épaules, et Narcissa décida de ne pas insister : elle n'avait aucune envie de se disputer avec lui devant Drago. Cela s'était déjà produit, et leur fils avait pris un air si triste que Narcissa s'était promis de ne plus jamais recommencer. Et de toute manière, ils avaient déjà eu cette discussion à plusieurs reprises, et cela n'avait mené à rien. Narcissa avait tenté de comprendre pourquoi il se montrait aussi froid et distant avec son fils, mais Lucius refusait d'admettre à quel point il avait souffert de l'éducation rigide que lui avait imposée son père, et continuait de l'idéaliser.

Narcissa avait alors hésité à lui raconter qu'Abraxas avait failli l'assassiner ; elle avait également voulu répliquer que les personnes les plus fortes qu'elle connaissait étaient des personnes aimantes – mais évoquer Vera et Daisy Goyle devant Lucius aurait été malvenu. De plus, pour cela, elle aurait été obligée de raconter ce qui s'était réellement passé, la nuit où Abraxas était mort – ce qui n'était évidemment pas envisageable.

Alors que Narcissa espérait que Lucius se radoucirait avec le temps, c'était l'inverse qui se produisait : il s'isolait de plus en plus souvent dans son bureau, et n'exprimait pas la moindre tendresse envers Drago, comme s'il ne savait pas comment faire, ou comme cela risquait de causer du tort à leur fils.

– Tu voulais me dire quelque chose ? demanda Narcissa avec froideur, alors que Drago se blottissait contre elle, tout penaud.

Elle voyait bien que quelque chose n'allait pas. Et en voyant son air de plus en plus embarrassé, elle devina rapidement ce qui les tracassait.

– Ils ont retrouvé les Potter ?

Lucius hocha la tête, presque imperceptiblement.

– Tu... Tu ne préviens pas Severus ?

Lucius se détourna, gêné.

– Tu le lui as promis, insista Narcissa.

– Et je crois que j'ai eu tort, avoua Lucius. À part le Seigneur des Ténèbres, ce mystérieux espion et moi, Severus était le seul à être averti de ce qui allait se passer. Et comme par hasard, à chaque fois que nous apprenions l'un de leurs déplacements, les Potter changeaient aussitôt d'adresse, comme si quelqu'un les avait prévenus... Je sais que Severus a demandé au Seigneur des Ténèbres d'épargner Lily Potter, ce qu'il a accepté sur mes conseils. Mais peut-être que Severus n'a pas assez confiance en Lui, et qu'il essaie d'assurer la protection de Lily par d'autres moyens...

– Parce que tu lui ferais confiance, toi ? fit remarquer Narcissa. S'il s'agissait de Drago, ou de moi ?

Lucius l'ignora.

– Je ne dénoncerai pas Severus, même si je suis persuadé que c'est lui qui a déjoué nos plans à plusieurs reprises, décida-t-il. Je lui dois bien ça... En revanche, pour cette fois, je préfère qu'il ignore ce qu'il se passe.

– Et le Seigneur des Ténèbres...

– Il a prévu de se rendre chez les Potter ce soir, dit Lucius à voix basse.

Narcissa songea que c'était une jolie manière de camoufler l'horreur de ce qui allait se produire. Elle et Lucius se tournèrent tous les deux vers Drago, qui avait quitté les bras de Narcissa pour s'entraîner à marcher le plus loin possible. Il regardait dans leur direction à chaque avancée, visiblement désireux de les impressionner. Tout en observant ses gestes malhabiles, ses deux parents eurent la même pensée au même instant : que se serait-il passé, si c'était Drago que la prophétie avait désigné ? Qu'auraient-ils fait, à la place des Potter ?

– Tu es sûr qu'il va faire ce qu'il a dit ? demanda Narcissa, dont la voix tremblait un peu.

– Le Seigneur des Ténèbres a pris sa décision, dit Lucius. N'y pensons plus... Allons manger, il est l'heure de dîner.

– Je n'ai pas faim, décréta Narcissa en se détournant.

Toute la soirée, elle eut l'estomac noué, et lorsqu'elle alla mettre Drago dans son petit lit, elle s'arrêta pour le regarder longuement, à la fois attendrie et horrifiée. Quelque part, à des kilomètres d'elle, une autre mère accomplissait les mêmes gestes, sans savoir que Voldemort était sur le point de lui arracher son fils unique, sans savoir qu'elle le voyait s'endormir pour la dernière fois...

Narcissa ne parvenait pas à se calmer, ni à quitter la chambre de Drago. Pendant un long moment, elle fit les cent pas dans la pièce, le souffle court, regardant par la fenêtre le domaine malmené par le vent. Elle aurait aimé pouvoir prévenir Rogue, mais seul Lucius savait où il se trouvait. Elle sentait l'angoisse monter en elle, de plus en plus forte, comme si Voldemort s'approchait de son manoir, et non de la maison des Potter, comme s'il pouvait surgir à tout moment dans l'encadrement de la porte... Si seulement elle avait pu savoir où il se trouvait réellement...

Et soudain, une idée lui vint.

Évidemment, elle ne pourrait pas empêcher Voldemort d'arriver à ses fins. Mais elle pouvait peut-être voir ce qu'il faisait, en ce moment... Et peut-être qu'après tout, la maison des Potter était mieux protégée que ce qu'il croyait, peut-être que Voldemort n'arriverait pas à tuer cet enfant – en tout cas, c'était ce que Narcissa espérait...

Elle se décida enfin à sortir de la chambre de Drago et descendit au rez-de-chaussée, en sursautant à plusieurs reprises à cause du grincement des fenêtres assaillies par le vent qui forcissait de nouveau. Elle constata que Lucius s'était de nouveau enfermé dans la bibliothèque de son père ; et elle se dirigea d'un pas décidé vers l'aile Est.

C'était là que Lucius avait dissimulé l'étrange carnet que Voldemort lui avait confié, plusieurs années auparavant. Un carnet dont Narcissa ne pouvait pas s'approcher, au risque d'être assaillie par des visions terrifiantes : une jeune élève de Poudlard inconsciente, étendue sur le carrelage des toilettes, ou encore un énorme serpent aux grands yeux jaunes. Afin de lui éviter ces désagréments, que ni lui ni Narcissa ne parvenaient à expliquer, Lucius lui avait recommandé de ne plus se rendre dans l'aile Est, et avait placé l'objet dans un coffre bien protégé. Par la suite, Narcissa avait questionné Regulus sur la nature de ces visions, et il n'avait pas su répondre à ses interrogations ; puis Narcissa s'était contentée de suivre les recommandations de Lucius, et n'y avait plus repensé.

Mais ce soir-là, la nature de ces visions lui paraissait évidente : elle avait visualisé des choses que Voldemort avait vues, des souvenirs qui lui appartenaient, comme si elle avait été plongée contre son gré dans une Pensine maléfique. Et ce que Narcissa espérait, en essayant de nouveau de s'approcher du carnet, c'était qu'elle puisse avancer dans le temps, et arriver jusqu'au présent de Voldemort, afin de voir ce qu'il faisait précisément, et d'en avoir le cœur net...

Évidemment, elle devait être vigilante : la dernière fois qu'elle s'était approchée du carnet, l'aura destructrice qui s'en dégageait était si puissante qu'elle s'était évanouie, et était restée alitée pendant deux jours, en proie à de terribles cauchemars. Et d'ailleurs, au fur et à mesure qu'elle avançait dans les couloirs obscurs, elle commençait à se sentir de plus en plus oppressée, comme si le carnet l'observait déjà...

Elle tourna à gauche, aperçut la porte de la pièce où Lucius avait placé le carnet de Voldemort, et s'en approcha avec un mélange de fascination et de de répulsion. Elle n'arrivait pas à dire précisément ce qu'elle comptait faire, ni quelle force mystérieuse faisait avancer ses pas vers la porte noire qui se trouvait devant elle, mais elle continua d'avancer, comme une automate. Ses oreilles bourdonnaient, elle sentait les ombres malveillantes qui irradiaient de la porte et parcouraient les murs autour d'elle... Elle entendait déjà des gémissements, des grincements, des murmures inintelligibles et des ricanements, malgré le silence qui régnait dans le manoir ; elle avait l'impression que la température baissait, comme si un Détraqueur se trouvait juste derrière la porte. Cependant, par rapport à la dernière fois, elle se sentait différente : plus forte, plus solide, moins perméable à l'aura malveillante qui tentait de s'insinuer en elle, plus apte à se maintenir dans la réalité.

Elle hésita un instant en touchant la poignée de la porte, puis se décida à l'ouvrir, sans faire attention aux sensations de plus en plus désagréables qui l'assaillaient de toutes parts.

La pièce où elle entra était exiguë, très sombre, et sans aucune fenêtre, comme celle où se trouvait la Pensine d'Abraxas ; les murs étaient entièrement noirs, et il n'y avait aucun meuble en-dehors d'un coffre posé au milieu de la pièce. Il s'agissait d'un vieux coffre matelassé, verrouillé par un simple code ; Narcissa essaya la date de leur mariage, puis celle de leur rencontre, et le coffre se déverrouilla avec un léger déclic.

En voyant le journal posé au fond du coffre, Narcissa fut parcourue d'un frisson incontrôlable. Elle sentait que cette chose-là pouvait, voulait engloutir son esprit et prendre le contrôle de son âme... Il y a quelque chose en toi qui peut me détruire, semblait lui dire le carnet, mais je te détruirai avant...

Narcissa prit une grande inspiration, puis empoigna le journal et l'ouvrit à la première page. À sa place, n'importe qui d'autre n'aurait rien ressenti de particulier, en dehors de la température anormalement froide de la couverture ; mais en raison de sa sensibilité particulière, Narcissa eut brusquement l'impression de fusionner avec le journal, et un véritable duel mental s'engagea entre elle et les forces monstrueuses qui habitaient l'objet. Elle sentait que quelque chose voulait la posséder, l'anéantir, avec tant de violence et de cruauté qu'elle avait envie de partir en courant, mais sans pouvoir l'expliquer précisément, elle sentait que quelque chose d'important se jouait là, et qu'il fallait qu'elle persévère, qu'elle continue de faire cela... Sa volonté se raviva encore, et elle parvint à se diriger, en quelque sorte, à travers le flot de noirceur et de souvenirs qui avaient été enfermés dans le journal.

Et ce qu'elle avait ressenti se confirma : il existait bien un lien entre cet objet et Voldemort, un lien ténu et fragile, qui semblait sur le point de se briser, mais qui était bel et bien là... On aurait dit qu'autrefois, toute cette douleur et toute cette violence avaient fait partie intégrante de Voldemort, et qu'il les avait placées là pour s'en défaire... Puis, ainsi détachées de toute humanité, elles s'étaient considérablement décuplées...

Narcissa ne savait pas d'où lui venait cette lucidité, mais elle devinait même où elle devait diriger son esprit pour remonter le lien qui unissait cet objet à Voldemort ; et c'est ce qu'elle fit, au prix d'un effort prodigieux. Elle sentit que son esprit traversait une distance considérable, et elle sut qu'elle avait réussi lorsque les images qui défilaient devant ses yeux se stabilisèrent, montrant les rues d'un petit village illuminées par des décorations d'Halloween. Elle était là, en lui, sans qu'il ne remarque sa présence... Elle sentait que cette situation était périlleuse et instable, et qu'à tout moment, elle pouvait être éjectée de cette vision, ou pire, engloutie par l'esprit malfaisant de Voldemort – mais néanmoins, elle parvint à se maintenir ainsi, et à rester lucide, présente et discrète.

Ce qu'elle voyait, et surtout ce qu'elle ressentait était terrifiant. Elle savait depuis longtemps que Voldemort était dépourvu de toute empathie, mais c'était autre chose que de le ressentir vraiment, que de partager pendant quelques secondes cette existence si aride, si atrocement vide... De même, elle ne pensait pas que quiconque puisse éprouver autant de joie, de certitude et de détermination à l'idée de tuer un enfant. Et pourtant, Voldemort s'approchait d'une haie au feuillage sombre, un grand sourire aux lèvres, sans l'ombre d'une hésitation. De sa haute taille, il jeta un coup d'œil par-dessus la haie et aperçut une petite maison chaleureuse, parfaitement semblable à celles qui s'alignaient le long de la rue. Au rez-de-chaussée, dans ce qui semblait être le salon, un jeune homme brun à lunettes faisait jaillir du bout de sa baguette des volutes de fumée colorée pour amuser un petit garçon en pyjama bleu, un garçon qui devait avoir l'âge de Drago, et qui essayait d'attraper la fumée en riant. Une jeune femme aux longs cheveux roux entrait, ils riaient un peu tous les trois, puis elle prenait le petit garçon dans ses bras et l'emmenait vers l'étage en le tenant tout contre elle...

Narcissa ressentit parfaitement la joie cruelle de Voldemort lorsqu'il constata qu'ils étaient sans défense, que ni Dumbledore ni aucun membre de l'Ordre du Phénix n'était là pour les protéger ; il jubilait, et méprisait la confiance absolue qu'ils avaient eu en leur ami. Cet ami qui les avait trahis sans hésiter, parce qu'il avait eu la lucidité nécessaire pour accepter l'évidence, pour réaliser que la puissance de Voldemort était invincible. Furtivement, Narcissa ressentit également autre chose, une sorte de douleur sourde à la vue de cet enfant rieur, bercé par l'amour que lui portaient ses deux parents... Mais cette douleur s'évanouit aussitôt, remplacée par une colère froide et par une pulsion meurtrière, de plus en plus pressante.

Voldemort se décida à pousser la porte du jardin, et tendit sa baguette vers la porte d'entrée, qui s'ouvrit à la volée avec un bruit sinistre. En voyant l'intérieur de la maison, Narcissa eut envie de hurler, de prévenir ces deux jeunes parents, de leur dire de s'enfuir au loin avec ce si petit garçon, mais évidemment, cela était strictement impossible. Et elle devait bien se contenir, retenir ces sentiments violents, ou bien Voldemort les ressentirait lui aussi, et il remarquerait son intrusion...

James Potter surgit dans le hall d'entrée, et son visage se décomposa lorsqu'il croisa le regard de Voldemort. Immédiatement, il se précipita sur les premières marches de l'escalier pour lui barrer le passage et cria :

– LILY ! Prends Harry et va-t'en ! C'est lui ! Va-t'en ! COURS ! Je vais le retenir...

Voldemort éclata d'un rire glacé en voyant ses mains vides, et la manière si dérisoire qu'il avait d'écarter les bras pour tenter de l'empêcher de passer. Puis, avec un plaisir certain, il pointa sa baguette sur lui.

– Avada Kedavra !

Dans un bruit de tonnerre, une lumière verte jaillit de sa baguette et inonda le hall d'entrée. Voldemort fut ébloui pendant une fraction de seconde, puis son sourire s'élargit lorsqu'il vit le jeune homme s'écrouler dans l'escalier.

Narcissa sentit son cœur accélérer la cadence en même temps que celui de Voldemort, mais pour des raisons différentes : Voldemort, parce que cet assassinat lui confirmait sa puissance et le rapprochait un peu plus de son véritable but, et Narcissa, parce qu'elle était horrifiée par ce qu'elle voyait, parce qu'elle avait vu l'effroi dans les yeux de James, et qu'elle y avait vu aussi la stupeur lorsqu'il avait compris qu'il avait été trahi... L'instant d'avant, il était bien vivant, puis il était tombé en arrière, le fil de sa vie s'était brisé, ses lunettes s'étaient cassées lorsque sa tête avait heurté les marches de l'escalier... Il était si jeune, presque aussi jeune que Regulus, et comme lui, il ne vivait plus, il ne vivrait plus jamais...

Tout en savourant cette première victoire, Voldemort enjamba le corps de James avec un léger ricanement, sans voir l'étrange phénomène qui était en train de se produire.

Et en effet, quelque chose était en train d'irradier du corps inanimé de James. Quelque chose que Voldemort était apparemment incapable de percevoir, à l'inverse de Narcissa.

Comment le décrire ? Cela ne ressemblait à aucun sortilège, à aucune autre forme de magie. Ce n'était même pas vraiment visible, à tel point que Narcissa se demanda si c'était bien réel, mais il y avait bien un mouvement, une onde, une émanation qui se propageait dans les escaliers, allait vers l'étage, devançait les pas de Voldemort et filait vers la pièce où on entendait Lily crier de terreur, entasser des objets contre la porte dans l'espoir de protéger son fils.

Avec la même nonchalance avec laquelle il avait forcé la porte d'entrée, Voldemort fit un petit mouvement de baguette, et la porte de la chambre s'ouvrit en grand, balayant la chaise et les boîtes hâtivement entassées pour essayer de la bloquer. Narcissa sentit son cœur se serrer lorsqu'elle vit le reflet de son propre effroi dans les yeux de Lily : elle était si jeune, elle aussi, avec ses beaux cheveux roux et ses yeux verts... Harry était juste derrière elle, debout dans son petit lit, tandis que sa mère faisait exactement le même geste que James, en écartant ses bras pour le protéger...

– Pas Harry ! Pas Harry, je vous en supplie, pas lui !

– Pousse-toi, espèce d'idiote, dit la voix sifflante de Voldemort. Allez, pousse-toi...

– Non, pas Harry, je vous en supplie ! Tuez-moi si vous voulez, tuez-moi à sa place !

– C'est mon dernier avertissement, siffla Voldemort, de plus en plus agacé.

– Non, pas Harry ! Je vous en supplie... Ayez pitié... Ayez pitié... Pas Harry ! Pas Harry ! Je vous en supplie... Je ferai ce que vous voudrez...

– Pousse-toi, idiote ! Allez, pousse-toi...

Voldemort ne pouvait plus supporter cette détresse, si méprisable à ses yeux. Aussi, même s'il avait promis à Rogue de l'épargner, il leva de nouveau sa baguette, et Narcissa retint un hurlement lorsqu'un nouvel éclair vert illumina la pièce, faisant voler en arrière les cheveux roux de Lily, alors qu'elle s'écroulait sur le sol à son tour...

Cependant, lorsque la lumière verte se dissipa, c'était une tout autre sorte de puissance qui inondait la pièce. Une puissance que, de nouveau, Voldemort était totalement incapable de voir, et que Narcissa était incapable de décrire. C'était cette force-là qui avait quitté le corps de James, quelques instants plus tôt ; mais lorsque Lily s'était sacrifiée, elle s'était décuplée d'une manière prodigieuse, encore plus puissante, sans doute parce que contrairement à James, Lily aurait pu avoir la vie sauve si elle s'était écartée du chemin de Voldemort ; sans doute parce qu'elle le savait pertinemment, mais qu'elle avait sciemment choisi de mourir pour protéger son fils. Et ces deux sacrifices conjoints avaient créé ce champ de force autour de Harry, un halo blanc et pur, une force protectrice bien plus grande que Narcissa, bien plus grande que les Potter et que Voldemort lui-même, une force qui les dépassait tous.

Lorsque Narcissa perçut cela, les derniers mots que Regulus avait griffonnés sur son bureau lui revinrent à l'esprit – à cette noirceur d'une puissance indicible, opposer une clarté d'une puissance comparable...

Et Narcissa comprit.

La clarté dont parlait Regulus était là, elle se trouvait devant ses yeux, éblouissante. Elle émanait du sol, faisait écran devant Harry, le protégeait de tout. Et si Narcissa pouvait la percevoir, c'est parce qu'elle avait cette force en elle depuis toujours, depuis le commencement de son existence, depuis sa conception clandestine dans la cave humide qui abritait les Claring. C'était cette force qui la faisait tenir debout, et elle pouvait tout vaincre si elle avait le courage de l'utiliser. Et même s'ils prétendaient le contraire, Voldemort le savait, Crabbe le savait, Ombrage et Carla le savaient : tous ces gens avaient terriblement peur d'elle, de Vera, de Daisy, de Lily, de Regulus et de toutes celles et ceux qui maîtrisaient cette forme absolue de magie. Voilà pourquoi ils mettaient un point d'honneur à les piétiner, à les détruire, à tenter de les persuader qu'ils ne valaient rien – parce qu'ils avaient peur d'être détruits à leur tour, tout simplement.

Mais cette entreprise, bien que terrifiante et terriblement destructrice, était vaine depuis son commencement. Car c'était cette force pure qui était au commencement de tout, elle transcendait tout et tout le monde, elle rayonnait autour de ceux qui s'en servaient et se transmettait comme un flambeau, elle était contagieuse et pouvait vaincre jusqu'à la mort elle-même, Narcissa en avait la preuve sous ses yeux, elle se manifestait par ce bouclier indestructible qui se dressait devant Harry.

Voldemort, lui, ne voyait rien de tout cela. Il était aveugle, incapable de voir ce qu'il avait toujours tenté de renier et de détruire. Il levait sa baguette, et fonçait tête baissée dans le piège tendu sous ses pieds.

– Avada Kedavra !

Narcissa eut alors l'impression que son cœur allait s'arracher de sa poitrine. Tout ce qu'elle voyait, tout ce qu'elle ressentait venait d'exploser. L'espace de quelques instants, le monde ne fut qu'un immense rai de lumière, où s'abîmait toute la souffrance de Voldemort... Quelques images défilèrent... Quelques objets mystérieux, dont le journal, et enfin Harry, qui était bien vivant, et hurlait à plein poumons... Puis tout s'effaça. Le lien se rompit. Tout se tut.

Narcissa laissa tomber le journal sur le sol, et s'appuya sur le mur pour ne pas tomber. Elle tremblait de tous ses membres, transie de froid. La chambre de Harry avait disparu. Autour d'elle, il n'y avait plus que les murs sombres de la petite pièce et le silence du manoir, mais dans sa tête, le cri de détresse de Lily Potter continuait de résonner, et se mêlait à celui qui montait du journal, un cri rauque, sifflant, une souffrance inimaginable...

Abasourdie, Narcissa quitta la pièce, claqua la porte derrière elle et s'éloigna en courant. Il fallait absolument prévenir Lucius.


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