Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 29 : Prophétie, Patronus et persuasion

14358 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 23 jours

Prophétie, Patronus et persuasion




Après avoir aidé Lucius au cours de cet accouchement tumultueux, Rogue fut remercié au-delà de ses espérances. Il était arrivé au manoir des Malefoy sans un sou en poche, sans ami, sans allié, le ventre vide et vêtu de haillons rapiécés ; et après l'avoir hébergé pendant quelques jours, Lucius lui avait fourni une somme d'argent amplement suffisante pour qu'il puisse se loger, se nourrir et s'habiller décemment pendant plusieurs semaines. Il l'avait également présenté à Voldemort, qui, grâce à la confiance aveugle qu'il avait en Lucius, l'avait accueilli immédiatement parmi le cercle restreint des Mangemorts et lui avait fait l'honneur d'apposer la Marque des Ténèbres sur son bras.

Depuis que Lily avait cessé de lui adresser la parole, Rogue ne s'était jamais senti aussi bien. Pour commencer, il pouvait compter sur quelqu'un pour subvenir à ses besoins, et l'idée de ne plus jamais revoir ses parents lui procurait un immense soulagement ; et par ailleurs, faire partie des Mangemorts lui donnait un sentiment d'importance qu'il n'avait jamais éprouvé auparavant. Évidemment, sa tristesse profonde persistait, et se ravivait dès qu'il pensait à Lily, mais tous ces nouveaux projets l'empêchaient d'y penser la majeure partie du temps.

Après lui avoir donné de l'argent et d'autres vêtements dont il n'avait plus l'utilité, Lucius avait donné à Rogue sa première mission au service de Voldemort. Puisqu'il n'était pas recherché, et qu'il n'était pas encore suspecté par le Ministère d'être un Mangemort, il avait la liberté d'aller où bon lui semblait : Lucius lui avait donc demandé de rôder dans certains lieux fréquentés par les sorciers, en essayant d'observer attentivement ce qu'il s'y passait, et d'intercepter quelques messages confidentiels du camp opposé...

Et c'était pour cette raison qu'il se trouvait ce soir-là à Pré-au-Lard, à La Tête de Sanglier, établissement peu luxueux mais réputé pour sa discrétion. Un capuchon soigneusement enfoncé sur sa tête, Rogue mangeait avec appétit, suffisamment penché en avant pour que personne ne voie son nez crochu. Autour de lui, la plupart des autres clients avaient également masqué leur visage, et plusieurs d'entre eux discutaient à voix basse autour d'un verre d'alcool, regardant régulièrement autour d'eux pour vérifier qu'ils n'étaient pas observés.

Contrairement à beaucoup d'établissements sorciers, l'auberge de La Tête du Sanglier était un endroit d'allure assez miséreuse. Les murs de pierre et le sol recouvert de terre évoquaient davantage une bergerie qu'un lieu de restauration, mais Rogue soupçonnait fortement que cet aspect peu engageant soit précisément ce que recherchaient ceux qui fréquentaient l'auberge.

Alors qu'il finissait son assiette de ragoût, un courant d'air fit frissonner Rogue. Bien que le mois de juin touche à sa fin, il faisait froid et humide ; à vrai dire, en dehors du manoir des Malefoy qui était épargné par les Détraqueurs, le pays ne semblait pas avoir connu d'été depuis plusieurs années.

Rogue se retourna donc avec agacement vers la porte d'entrée, qui venait de s'ouvrir, et vit deux personnes entrer dans l'auberge. La première avait le visage masqué par un capuchon, et en dehors de ses mains ridées, aucun indice ne pouvait trahir son identité. L'autre personne était une femme assez jeune et à l'allure étrange. Elle était grande, très maigre, et semblait n'avoir rien mangé depuis plusieurs jours. Ses épaules étaient enveloppées de plusieurs châles troués, et ses yeux écarquillés étaient encore agrandis par d'énormes lunettes. Elle fit quelques pas dans l'auberge, faisant cliqueter les nombreux bracelets qu'elle portait, et plusieurs clients la dévisagèrent avec insistance.

La personne qui l'accompagnait alla jusqu'au comptoir pour dire quelque chose à l'oreille de l'aubergiste, et la femme enveloppée de châles resta debout, juste à côté de Rogue, tout en se parlant à elle-même à voix basse.

– Concentre-toi, Sybil, murmura-t-elle. Il te faut ce poste de Divination, tu n'as pas le choix... C'est ta dernière chance, tu dois faire bonne impression devant le directeur...

Rogue tressaillit.

L'autre silhouette encapuchonnée fit signe à la femme de le suivre, et tous les deux s'engagèrent dans l'escalier qui montait à l'étage. Rogue plissa les yeux, et en voyant une chaussure à boucle dépasser sous la cape de l'autre personne, Rogue comprit qu'il s'agissait de Dumbledore.

Piqué par la curiosité, Rogue attendit que l'aubergiste ait le dos tourné pour s'engager à son tour dans l'escalier qui montait vers les chambres. Discrètement, il avança dans le couloir obscur, tout en prenant bien garde à ne pas faire craquer le parquet. Il s'arrêta devant plusieurs portes, mais les premières chambres étaient silencieuses ; c'est au fond du couloir qu'il reconnut enfin la voix de Dumbledore.

– Oui, j'ai entendu parler de votre ancêtre, disait Dumbledore avec douceur. Mais aujourd'hui, c'est de vous dont il est question. Vous me disiez donc que vous aviez appris la Divination...

– En lisant les cartes célestes, assurait la femme d'une voix éthérée. Je vous assure, c'est tout à fait fascinant...

Même en collant son oreille contre la porte, Rogue avait du mal à comprendre ce que Trelawney disait, car elle parlait de plus en plus bas au fur et à mesure que l'entretien progressait ; mais à entendre les remarques perplexes de Dumbledore, l'entretien ne se déroulait pas très bien.

– Mrs Trelawney, je vais devoir partir, dit Dumbledore au bout d'un moment. Je vous remercie beaucoup pour le temps que vous m'avez accordé, et...

– Oh, professeur Dumbledore, dit Trelawney d'une voix suppliante. Je sais... Je sais que je suis un peu brouillonne, aujourd'hui, mais je vous assure... Je peux y arriver, je dois y arriver...

– Je regrette, répondit Dumbledore. La discipline mystérieuse de la Divination ne m'a jamais convaincu, et je me devais de vous laisser une chance, mais vous ne m'avez pas fait changer d'avis. Je comprends toutefois votre détresse, et je peux vous adresser vers d'autres endroits qui seraient prêts à vous employer...

Il se passa alors quelque chose d'étrange. Trelawney ne répondit rien, mais elle se mit à respirer très bruyamment, et Rogue entendit quelque chose tomber sur le sol.

– Mrs Trelawney ? s'inquiéta Dumbledore. Est-ce que tout va bien ?

– Celui qui a le pouvoir de vaincre le Seigneur des Ténèbres approche, dit Trelawney.

Sa voix avait changé du tout au tout. Elle n'était plus du tout plaintive, ni voilée, mais plutôt rauque et dure, comme si elle leur parvenait d'un autre monde.

– Il naîtra de ceux qui l'ont par trois fois défié, il sera né lorsque mourra le septième mois...

– Hé ! TOI !

Rogue sursauta. La silhouette imposante de l'aubergiste se dressait au-dessus de lui, et il était visiblement furieux. Sa barbe et ses cheveux hirsutes frémissaient, et derrière ses lunettes sales, ses yeux bleus étincelaient de colère.

– À quoi tu joues ? aboya-t-il.

– Je... Je cherchais une chambre pour la nuit, se défendit Rogue. Je voulais simplement savoir si...

– Menteur ! coupa l'aubergiste. Ici, les oreilles indiscrètes ne sont pas les bienvenues ! Déguerpis immédiatement, et ne remets plus jamais les pieds ici, compris ?

L'aubergiste le traîna par le col jusqu'à la porte. D'un coup de pied, il le poussa hors de l'établissement, et lui ferma brutalement la porte au nez.

Seul dans la rue déserte, Rogue cligna des yeux, un peu hébété.

Celui qui a le pouvoir de vaincre le Seigneur des Ténèbres approche, avait dit Trelawney. Et cette voix rauque, cet état de transe... Rogue en avait eu des frissons. Il naîtra de ceux qui l'ont par trois fois défié, il sera né lorsque mourra le septième mois...

De nouveau, Rogue frissonna. À la manière dont Trelawney avait parlé, et dont les mots avaient résonné en lui, Rogue devinait qu'il s'agissait d'une authentique prophétie. Il devait partir avant que Dumbledore ne réalise qu'il avait été épié. Il remit donc son capuchon et s'éloigna à grands pas ; et pendant qu'il marchait, il repensa furtivement à ce que James avait dit, lorsqu'il avait surpris sa conversation avec Sirius sur le Chemin de Traverse... Les Médicomages ont dit que Lily accoucherait en août...

Rassuré, Rogue accéléra le pas, et se mit en quête d'une cheminée pour se rendre immédiatement auprès de Lord Voldemort.

***

À des kilomètres de là, dans un autre établissement sombre et peu recommandable, Bellatrix était accoudée à un comptoir crasseux et vidait sa septième chope de Bigoliard.

– Une autre, réclama-t-elle à Burton en lui tendant sa chope vide.

Le petit homme courbé qui se trouvait derrière le comptoir s'arrêta de nettoyer un verre, et la regarda sans bouger. Ils étaient tous les deux seuls dans le bar sinistre du Serpent qui Fume. Derrière Burton s'alignaient plusieurs tonneaux fendillés, d'où gouttaient différents liquides visqueux, mouvants et effervescents. Des tableaux macabres s'alignaient sur les murs, représentant des Inferi ou des mages noirs au teint blafard.

– C'est pas la grande forme, hein ? demanda tristement Burton.

Sans daigner répondre, Bellatrix continuait de tendre sa chope vide.

– Tu devrais pas, grommela Burton en la repoussant. Si jamais l'autre abruti arrive, et qu'il te voit dans cet état, qui sait ce qu'il va encore tenter de faire ?

– J'ai dit : encore, répéta Bellatrix en articulant approximativement. Ne m'oblige pas à répéter.

– Tu penses encore au p'tit, hein ? insista Burton sans écouter. Tu sais, y'a pas de honte à ça... Je l'aimais bien, moi aussi.

– Tais-toi, supplia Bellatrix en laissant tomber sa chope sur le sol, où elle se brisa en morceaux.

Bellatrix prit sa tête entre ses mains, et tout son corps se mit à trembler. Elle n'en pouvait plus. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Cela faisait des mois qu'elle souffrait atrocement, qu'elle ne parvenait plus à dormir, ni à se battre, ni à réfléchir. Elle avait l'impression d'errer à l'intérieur d'elle-même, dans un brouillard si épais qu'il l'empêchait de comprendre pourquoi elle souffrait autant. Seuls les moments où elle buvait plus que de raison lui permettaient de trouver la vie supportable ; le reste du temps, elle avait si mal qu'elle avait envie de disparaître.

Burton posa sur le comptoir le verre qu'il était en train de nettoyer, et s'approcha d'elle. Il redressa légèrement son buste courbé, et Bellatrix crut qu'il allait lui toucher le bras ; mais le tavernier interrompit son geste et regarda un point derrière Bellatrix, soudain apeuré.

– Eh bien, Burton, dit une voix doucereuse et sifflante dans son dos. Tu es encore en train d'importuner ma chère Bellatrix ?

Bellatrix vit volte-face, le cœur battant. Elle ne rêvait pas : Voldemort avançait vers eux. Comme à son habitude, il était vêtu d'une longue robe noire, qui volait autour de lui quand il marchait, et son visage reptilien était partiellement dissimulé par l'ombre de son capuchon. Malgré son teint cireux, l'éclat rougeâtre de ses pupilles et les écailles qu'il avait sur sa peau par endroits, Bellatrix était toujours hypnotisée par sa présence.

– Maître, dit Bellatrix en s'inclinant.

Elle tituba un peu, et Voldemort dut la rattraper pour lui éviter de perde l'équilibre.

– Relève-toi, Bellatrix, dit Voldemort en lui prenant le bras. Prends cette chaise... Je suis heureux de te voir ici, je voulais justement m'entretenir avec toi.

Après avoir mis une couverture sur les épaules de Bellatrix, Voldemort prit un siège d'elle, regarda autour de lui, et un léger sourire se mit à flotter sur ses lèvres.

– Comme le temps est passé vite, soupira-t-il. Dire que c'est ici que je te donnais tes premières leçons de magie noire...

Bellatrix ne réagit pas. À une époque, ces leçons l'emplissaient de fierté et suffisaient à lui faire oublier tous les malheurs qu'elle avait à affronter ; et même longtemps après, les souvenirs de ces moments privilégiés avaient continué à la réconforter. Mais depuis peu, toute sa fierté semblait ternie, même lorsque c'était Voldemort lui-même qui les évoquait.

– Tu sais, Bellatrix, j'ai remarqué que tu étais en retrait, dit Voldemort. Je vois bien à quel point tu souffres, je vois bien qu'un terrible mal est en train de te ronger de l'intérieur... Et cela me préoccupe beaucoup. Je m'inquiète pour toi, Bellatrix.

Il se pencha en avant et lui prit la main. Ses doigts étaient glacés, à tel point que Bellatrix eut tout de suite envie de la retirer.

– Que t'arrive-t-il ? demanda Voldemort. Je ne te reconnais plus.

Bellatrix haussa les épaules, le regard perdu dans le vide. Elle entendait à peine Burton émettre des protestations étouffées dans son dos. Elle ne se sentait qu'à moitié présente, et avait du mal à ne pas écouter la petite voix intérieure qui lui criait de s'enfuir loin d'ici.

Face à elle, Voldemort n'avait que faire de son silence.

– Regarde-moi, ordonna-t-il.

Bellatrix leva les yeux. Voldemort la fixait de son regard brûlant, et comme chaque fois qu'elle se trouvait face à lui, Bellatrix avait l'impression qu'il pouvait voir à travers elle, et fouiller son âme sans aucune vergogne. Et comme d'habitude, il parlait avec cette voix doucereuse, ce mélange ambigu de délicatesse et d'implacable autorité.

– Je crois, dit-il tout bas, que toute cette souffrance que tu t'infliges vient d'un unique problème... Un problème dont nous avons déjà parlé, toi et moi. Un problème que je pensais résolu à la mort de Regulus, mais aujourd'hui, je dois me rendre à l'évidence : une part de toi est encore attachée à lui. C'est cette part qui continue de t'éloigner de moi, et qui te procure toute cette souffrance inutile.

En guise de réponse, une larme roula sur la joue de Bellatrix. Voldemort avait raison : elle était déchirée entre deux parties d'elle-même, totalement irréconciliables. La première voulait oublier définitivement Regulus, et se consacrer pleinement à ce que Voldemort attendait d'elle ; et la deuxième continuait de penser à lui, jour et nuit, de souhaiter sa présence, et en venait même à regretter de ne pas l'avoir suivi dans la cheminée lorsqu'il s'était enfui du manoir des Malefoy. Même après son départ, les avertissements de Regulus avaient continué de résonner en elle, dans un conflit intérieur incessant qui la mettait dans une douloureuse impasse : être proche de Voldemort lui coûtait, mais se mettre en retrait lui coûtait tout autant. Quoiqu'elle fasse, une part d'elle-même la blâmait, et ces deux petites voix intérieures ne cessaient jamais de se disputer, incapables de trouver le moindre compromis.

– Je savais bien que j'avais raison, sourit Voldemort. Tu vois, Bellatrix... Il faut te guérir de cela. Il faut conjurer ce mauvais sort. Je sens que cette écharde persiste en toi, et il faut l'arracher définitivement. Il faut que Regulus...

– Regulus est mort, coupa Bellatrix d'une voix sourde.

Et en disant cela, elle eut l'impression qu'on lui enfonçait un poignard dans le cœur, lui causant la même douleur qu'au premier jour.

– Pas tout à fait, répondit Voldemort. Lorsque je te regarde, je sens sa présence. Il vit toujours en toi, Bellatrix. Et si tu veux cesser de souffrir, il faut le chasser définitivement.

– J'ai déjà essayé. Depuis un an, j'essaye de ne pas y penser, comme vous me l'avez ordonné... Mais c'est plus fort que moi. Je n'y arrive pas... Je n'arrive pas à l'oublier.

– Pour cela, il faudrait que tu le veuilles vraiment, dit Voldemort sur un ton de reproche.

– C'est le cas !

– Je n'en suis pas sûr.

– Je vous le promets... Je n'en peux plus. Je veux le chasser de mes pensées. Je veux qu'il me laisse tranquille.

Tout en parlant, l'impression d'être déchirée se raviva encore, mais Bellatrix refusait de s'en soucier.

– Je peux t'aider à le faire, dit calmement Voldemort. Mais il faut que tu acceptes mon aide... Et que tu me fasses entièrement confiance.

– Je ferais n'importe quoi, promit Bellatrix.

Voldemort la regarda longuement. À chaque acquiescement, à chaque mot qu'elle prononçait, la douleur de Bellatrix augmentait d'un cran, à tel point qu'elle avait l'impression que sa tête était sur le point d'exploser. Elle avait le sentiment de plus en plus net qu'elle se trouvait au bord d'un gouffre, sur le point de faire quelque chose de terrible et d'irrémédiable, et qu'il suffirait que quelqu'un la pousse légèrement en avant pour qu'elle tombe définitivement.

– Je crois que tu sais déjà ce qu'il faut faire, Bellatrix. Je crois que tu connais déjà la solution.

Bellatrix étouffa un sanglot. Comme Voldemort, elle sentait la présence de Regulus, avec autant d'intensité que s'il se trouvait réellement là, à côté d'elle, comme s'il la scrutait en permanence de ses grands yeux gris et tristes. Et pour que cela cesse, il fallait qu'elle fasse quelque chose qui aurait profondément déçu Regulus, quelque chose qui l'aurait dégoûté d'elle. Quelque chose qu'il n'aurait pas supporté, qui l'aurait anéanti s'il était encore en vie.

Épouser Rodolphus Lestrange, par exemple.

Voyant qu'elle avait compris, Voldemort sourit avec amusement.

– C'est le seul moyen, assura-t-il. Tu ne souffriras plus. Tu ne seras plus embarrassée par tous ces vieux souvenirs, et tu n'en seras que plus forte. Car la puissance magique qui t'habite est toujours là, Bellatrix, je la sens ; mais elle est entravée par le chagrin que tu éprouves, et elle ne demande qu'à en être libérée.

Bellatrix pensa au corps trapu de Rodolphus Lestrange, et frémit de dégoût.

– Mais pourquoi lui ? gémit-elle. Il ne me respecte même pas !

– Nous autres ne cherchons pas le respect, Bellatrix, dit Voldemort avec sévérité. Nous cherchons le pouvoir. Tu ne comprends pas ? Rodolphus t'aidera à le trouver, je le sais. Vous y êtes prêts tous les deux. Il sera là pour te surveiller, pour veiller à ce que ce qui s'est produit avec Regulus ne se reproduise pas.

– Je ne peux pas faire ça, protesta Bellatrix en secouant la tête. Il... Il doit y avoir une autre solution.

– Vraiment, Bellatrix ?

– Ce que vous me proposez... Ce n'est pas... Ce n'est pas bon pour moi.

– Et depuis quand sais-tu ce qui est bon pour toi, Bellatrix ? Je t'ai laissée te débrouiller seule pendant quelques mois, et regarde où cela t'a menée ! Je t'avais pourtant avertie que Regulus allait te mener à ta perte, et tu ne m'as pas écouté. N'avais-je pas raison, depuis le début ? Alors, pourquoi n'aurais-je pas raison une fois de plus ?

– Je ne sais pas, murmura Bellatrix. Je ne sais pas... Je ne sais plus.

– Fais-moi confiance, Bellatrix. Fais ce que je te dis. Tu me remercieras plus tard.

Bellatrix était sur le point de céder, et pourtant, quelque chose continuait de la retenir. Dans un dernier sursaut de lucidité, elle voulut renoncer. Elle ne pouvait pas faire ça. Elle ne méritait pas ça. Elle avait besoin d'aide, oui, mais pas de cette manière-là.

Si elle voulait renoncer, il fallait que quelqu'un la retienne. Et cela, une seule personne en était encore capable, une seule personne pouvait l'empêcher de se faire autant de mal.

– Il faut que je parle à Cissy, décida Bellatrix en se levant.

– Narcissa ? Oh, tu auras tu mal à lui parler. Ils sont en pleine réception, au manoir des Malefoy... Ils célèbrent la naissance de leur fils avec l'ensemble des Collinards. Alors, tu vois... Je ne pense pas que Narcissa aura beaucoup de temps à te consacrer.

Bellatrix s'arrêta aussitôt. L'espace d'un instant, elle pensa à sa petite sœur, dans son manoir paisible et luxueux, avec ses cheveux blonds et lisses, ses beaux vêtements, les sorciers élégants qui l'entouraient... Voldemort avait raison, si elle osait se présenter au manoir dans cet état, Narcissa aurait honte d'elle. Et cela, Bellatrix ne pourrait pas le supporter.

– Va retrouver Rodolphus, ordonna Voldemort en lui ouvrant la porte qui donnait sur la rue. Il t'attend.

Un courant d'air glacial entra dans le bar, et Bellatrix frissonna de nouveau. Elle était de plus en plus pâle. Elle jeta un coup d'œil à Burton, qui n'avait pas osé intervenir jusqu'ici, mais qui avait écouté leur échange avec attention. Le petit homme courbé la regarda avec intensité, tout en secouant discrètement la tête.

Puis elle se tourna vers Voldemort, qui l'observait en souriant, sans même se soucier de la tentative de dissuasion de Burton.

Bellatrix sentait que tôt ou tard, il parviendrait à la convaincre d'obéir ; alors autant en finir tout de suite.

Elle passa devant Voldemort et sortit dans la ruelle, sous la pluie battante.

***

Comme Voldemort l'avait dit à Bellatrix, une grande réception avait lieu au manoir des Malefoy pour célébrer la naissance de Drago. Tous les Collinards étaient donc réunis dans l'immense salon des Malefoy, où ils se pressaient les uns contre les autres pour venir admirer le nourrisson dans le superbe berceau ouvragé qui se trouvait au centre de la pièce.

Drago était né depuis un mois, et il était en pleine santé. Allongé sur le satin blanc qui recouvrait le fond du berceau, il regardait avec étonnement tous les visages inconnus qui se penchaient sur lui, et remuait sagement ses petits bras en poussant de temps à autre de jolis gazouillis. Le duvet blond qu'il avait sur son crâne s'épaississait de jour en jour, et ses yeux avaient exactement la même teinte gris pâle que ceux de Lucius. Par moments, il semblait apeuré par tous ses visages inconnus, mais il lui suffisait d'apercevoir sa mère juste à côté de son berceau pour être aussitôt rassuré.

Debout à quelques mètres de là, Lucius surveillait la scène avec attention, attentif à ce que personne n'approche son fils de trop près. Ses amis étaient tous venus le féliciter avec chaleur, mais Lucius ne les écoutait qu'à moitié, plongé dans ses pensées.

Il regardait son fils Drago avec un mélange de tendresse et d'appréhension. Il avait eu raison de redouter sa naissance, car celle-ci l'avait bouleversé d'une manière qu'il n'avait pas soupçonnée, qu'il ne parvenait même pas à exprimer.

Son regard allait de Drago à Narcissa, qui était assise juste à côté du berceau, paisible et radieuse. Absorbée tout entière dans la contemplation de leur fils, elle ne remarqua même pas que Lucius l'observait. Contrairement à son mari, elle n'avait jamais été aussi sereine, comme si l'arrivée de Drago avait comblé toutes ses failles, réparé toutes ses fêlures. Lucius l'enviait, car pour lui, c'était l'inverse qui se produisait : toutes les blessures intimes qu'il avait enfouies, refoulées ou ignorées au cours de sa vie avaient décidé de refaire brutalement surface, au moment précis où il avait besoin d'être le plus présent, et le plus solide. Par exemple, dès qu'il regardait son fils, et surtout dès que Narcissa le berçait ou l'embrassait avec tendresse, il ne pouvait s'empêcher de penser que lui-même, à cet âge, n'avait eu strictement personne pour s'occuper de lui, exceptés deux elfes endeuillés guidés par un stupide portrait ; et le bonheur qu'il ressentait était alors teinté d'une tristesse immense, et d'une colère plus grande encore.

À côté du berceau, Narcissa continuait de sourire. L'espace d'un instant, Lucius fut tenté de la rejoindre auprès de Drago, mais il se retint. De la même manière, chaque fois qu'il était tenté de s'abandonner à la tendresse, la voix glaciale de son père surgissait du passé, résonnait en lui, et assombrissait tout. Et en effet, combien de fois lui avait-il ordonné de s'endurcir, de bannir en lui toute forme de douceur et de sensibilité, au prétexte de le préparer à l'impitoyable cruauté du monde ?

Lucius ne savait que faire de tous ces conseils. Évidemment, il avait souffert de cette froideur distante et de ces humiliations incessantes, et pour rien au monde il n'aurait souhaité infliger ces souffrances à son fils... Mais après tout... N'était-ce pas cette exigence qui lui avait permis d'atteindre la place qu'il occupait aujourd'hui ? S'il avait réussi à accomplir tout cela, à collectionner tous ces succès, n'était-ce pas la preuve irréfutable que son père disait vrai, et avait fait le bon choix pour lui ? Et si par mégarde, par faiblesse, il rendait son fils vulnérable, médiocre, incapable de faire face à ce monde si cruel et exigeant... Et si la tendresse qu'il brûlait de lui prodiguer était un cadeau empoisonné ?

Lucius secoua brièvement la tête. Il avait la sensation d'être pris en tenailles entre ce qu'il rêvait de faire et tout ce qu'on lui avait enseigné ; et ce dilemme, bien qu'il ne l'avoue à personne, lui donnait parfois envie de fuir loin de son enfant.

Au moment où il pensait cela, Narcissa leva la tête, se tourna vers lui et lui sourit avec douceur. Elle l'interrogea du regard, et de nouveau, Lucius fut tenté d'aller la rejoindre pour lui parler de ce qu'il ressentait ; mais de nouveau, il se retint. Car elle ne le comprendrait pas, c'était évident. L'amour et la tendresse jaillissaient d'elle si facilement, si spontanément... S'il lui confiait ses craintes, elle le prendrait pour un fou, ou pour un monstre, et elle aurait sans doute raison.

Il choisit donc de se détourner, et se concentra pour reprendre sa conversation avec Evan Rosier, tandis que Narcissa fronçait légèrement les sourcils.

En effet, dès la naissance de Drago, et malgré le calme apparent de Lucius, Narcissa avait très vite remarqué que quelque chose n'allait pas. Elle voyait bien la tension qui crispait ses épaules et plissait son front, mais aussi l'ombre inquiète qui s'installait dans son regard lorsqu'il s'approchait de Drago, et enfin la distance qu'il mettait entre lui et ce nouveau-né. Mais lorsque Narcissa essayait de savoir de quoi il retournait, Lucius se fermait aussitôt, sans jamais expliquer ce qu'il ressentait.

Pensive, Narcissa se mit à regarder autour d'elle. Au fil des années, de plus en plus de jeunes enfants étaient apparus parmi eux. Les deux fils des Flint gambadaient déjà entre les jambes des invités, suivis de près par Julian Parkinson, le fils aîné de Juliet, qui avait également donné naissance à une petite Pansy quelques mois plus tôt. Un peu plus loin, Carla se pavanait avec un bébé qui était né juste après Pansy Parkinson, et qu'elle avait prénommé Gregory. Il était absolument énorme, peut-être à cause de toutes les sucreries que sa mère avait mangées pendant sa grossesse. Edgar, lui, était assis sur le canapé qui faisait face à la cheminée, et était plongé dans de sombres pensées.

Dès que la porte du salon s'ouvrait, ou lorsque la gargouille qui se trouvait sur leur cheminée annonçait l'arrivée d'un invité, Narcissa tournait brièvement la tête. Elle ne se l'avouait pas, mais elle espérait toujours que Cygnus vienne lui rendre visite : elle était persuadée que Walburga l'avait averti de la naissance de Drago, et elle avait elle-même envoyé plusieurs courriers au square Grimmaurd pour lui proposer de venir la voir, mais Cygnus n'avait pas daigné répondre. Il n'avait même pas fait semblant de considérer Drago comme l'un de ses descendants légitimes.

Alors que la porte s'ouvrait pour la énième fois, Narcissa s'abstint de regarder dans un premier temps ; mais en percevant le murmure embarrassé qui se répandait parmi les Collinards, elle se retourna – et ce qu'elle vit lui glaça le sang.

Hector Crabbe venait d'entrer. Avec Daisy.

Cette fois-ci, Narcissa redescendit brutalement sur terre, comme si le petit nuage sur lequel elle se trouvait depuis plusieurs mois avait brusquement éclaté.

Elle n'avait pas vu Daisy depuis qu'elle avait tenté de la libérer de la maison de Crabbe, pendant cette fameuse nuit où Vera et Fergus avaient été emprisonnés. En fait, personne d'autre ne l'avait vue, pas même le reste des Collinards, à tel point que certains commençaient à se demander si elle ne s'était pas enfuie, ou si Crabbe ne l'avait pas tuée. Et c'était sans doute pour démentir toutes ces rumeurs que Crabbe l'avait fait venir avec lui, ce soir.

Plus Narcissa regardait Daisy, et plus elle était horrifiée. Son amie d'enfance était absolument méconnaissable. Elle était beaucoup plus maigre qu'auparavant, ses cheveux avaient perdu tout leur éclat cuivré ; mais ce qui était le plus frappant, c'était la manière résignée avec laquelle elle marchait à côté de Crabbe, comme si elle avait abandonné tout espoir de lui échapper, de lui désobéir. La joie, la malice et l'insouciance qui la caractérisaient autrefois semblaient avoir disparu pour toujours.

À quoi est-ce que tu t'attendais ? souffla une petite voix intérieure que Narcissa n'avait pas entendue depuis longtemps.

Dans un silence de plomb, Daisy et Hector rejoignirent le reste des invités, mais personne n'osa les saluer. Seul Edgar voulut s'avancer vers Daisy, mais cette dernière leva les yeux et le regarda avec tant d'abattement qu'il renonça, et resta planté à quelques mètres d'elle, les bras ballants.

– C'est votre fils ? demanda Evan Rosier après un long silence, en désignant l'enfant endormi dans les bras de Crabbe.

– Oui, affirma Crabbe. Il s'appelle Vincent. Vincent Crabbe.

– Il ne ressemble pas vraiment à Daisy, fit remarquer Juliet Parkinson en fronçant les sourcils.

Son mari Balderic lui fit signe de se taire, et de nouveau, les invités échangèrent des regards embarrassés. Tout le monde venait de comprendre pourquoi personne n'avait vu Daisy pendant autant de temps : elle n'avait tout simplement jamais été enceinte, et c'était ce que Crabbe voulait leur cacher. L'enfant qui se trouvait dans les bras de Crabbe était peut-être son fils, mais en aucun cas celui de Daisy.

– Nous nous sommes inquiétées pour Daisy, ajouta Juliet Parkinson. Daisy, tu es sûre que ça va ?

Daisy hocha rapidement la tête, les yeux baissés. Narcissa fut surprise de voir Juliet agir ainsi, elle qui était habituellement si méprisante ; mais en regardant rapidement les femmes qui étaient présentes, Narcissa comprit que même les plus détestables d'entre elles compatissaient avec Daisy, et se sentaient honteuses de l'avoir abandonnée à son triste sort. Quant à Carla, elle faisait mine de bercer son fils, le dos tourné, comme si elle n'avait pas remarqué les nouveaux arrivants.

– Tu as l'air fatiguée, insista à nouveau Juliet en s'avançant vers elle. Viens avec moi, allons nous asseoir sur le canapé...

– Sûrement pas, grogna Crabbe en s'interposant. Laisse-la tranquille, d'accord ? Elle n'a pas besoin de toi pour savoir ce qu'elle doit faire !

Il avait parlé avec tellement d'agressivité que Juliet recula d'un pas, effrayée. Dans son berceau, Drago commençait à geindre ; et Narcissa n'avait pas bougé d'un pouce, pétrifiée par tout ce qu'elle voyait, tout ce qu'elle entendait.

À ce moment-là, elle s'aperçut que Daisy tremblait légèrement. Elle semblait très faible, comme sur le point de s'écrouler. Sans réfléchir, Narcissa se leva d'un bond, empoigna le dossier de sa chaise et accourut auprès d'elle pour la faire asseoir. Crabbe voulut s'interposer de nouveau, mais il était encombré par son fils, et Narcissa fut plus rapide que lui.

– Allons, Crabbe, dit Evan Rosier en le retenant fermement par le bras. Laisse donc Daisy se reposer un peu, elle semble épuisée ; et montre-nous plutôt ton fils.

Crabbe poussa un grognement, puis finit par renoncer à séparer Daisy et Narcissa. Voyant cela, Daisy se laissa tomber sur la chaise ; Narcissa s'accroupit à côté d'elle et pressa la main de son amie avec force, mais Daisy ne réagit pas. Elle était un peu penchée en avant, son regard était fixe, et ses doigts glacés restaient inertes dans la paume de Narcissa.

– Daisy ? s'inquiéta Narcissa. Ça va ?

Alors seulement, Daisy se tourna vers elle, la regarda droit dans les yeux, et Narcissa regretta aussitôt d'avoir posé cette question.

– Mais oui, tout va très bien, dit-elle d'une voix dure et tranchante que Narcissa ne lui avait jamais connue. Comme tu peux le voir, je me porte comme un charme.

Narcissa déglutit avec difficulté, et baissa les yeux, piteuse.

– Ne t'en fais pas, c'est juste un étourdissement, poursuivit Daisy avec froideur. Il faut dire que je n'avais pas mis le nez dehors depuis longtemps.

Narcissa ferma les yeux, et pria pour que Daisy se taise. Elle ne voulait surtout pas savoir ce que son amie avait enduré, et encore moins ce qu'elle avait pensé d'elle au cours de sa captivité.

– En tout cas, je te félicite, dit Daisy en désignant du menton le berceau de Drago. Tu as enfin obtenu tout ce que tu désirais. Et tu sembles en pleine forme... La trahison te réussit bien, on dirait.

Dans le berceau, Drago s'était mis à pleurer. Lucius s'était approché, mais il se contentait de regarder fixement son fils, sans faire le moindre geste.

Allez, prends-le dans tes bras, pesta intérieurement Narcissa.

– Oh, tiens, dit Daisy en voyant Edgar s'accroupir auprès d'elle, à côté de Narcissa. Mon cher frère.

Edgar ne répondit rien. Il était dans le même état que lorsqu'il avait supplié Narcissa de sauver Daisy des griffes de Crabbe : livide, tremblant et pathétique.

– Vous devriez voir vos têtes, soupira Daisy. C'est à mourir de rire.

Edgar et Narcissa gardèrent le silence, incapables de trouver quelque chose à dire à propos de cette horrible situation. Crabbe n'était qu'à quelques mètres d'eux, accaparé par quelques Collinards qui s'étaient approchés pour regarder son fils. Même s'il n'entendait pas ce qu'ils se disaient, il continuait de les surveiller attentivement ; et à l'autre bout de la pièce, Carla les surveillait aussi. Elle berçait son fils Gregory avec un agacement de plus en plus visible, et scrutait Edgar de ses petits yeux de fouine.

– Je... J'ai revu Berrycloth, dit Edgar à voix basse, après un long silence. Hier soir. J'ai voulu lui parler, pour te transmettre un message, mais il s'est envolé à mon arrivée.

Daisy regarda rapidement autour d'eux : les conversations animées avaient repris, et en dehors de Crabbe et Carla, qui ne pouvaient pas les entendre, plus personne ne prêtait attention à eux.

– Tu ne devrais pas parler de ça devant Narcissa, chuchota-t-elle avec agacement. Qui sait ce qu'elle va répéter à Lucius ?

– Je ne dirai rien du tout, protesta Narcissa, piquée au vif.

Aussi longtemps qu'elle s'en souvienne, Daisy ne l'avait jamais appelée Narcissa. Pour les Goyle, elle avait toujours été Cissy. En entendant Daisy l'appeler ainsi, et parler d'elle avec autant de dégoût, elle eut l'impression d'être devenue quelqu'un d'autre – ce qui n'était pas si éloigné de la réalité.

– Je lui fais confiance, assura Edgar. Cissy, je sais que tu as tout fait pour libérer Daisy, et je t'en remercie du fond du cœur. Aussi... j'estime que tu as le droit de savoir que nos parents...

– Edgar ! siffla Daisy.

– Ils sont en vie, acheva Edgar. Ils ont échappé au Baiser du Détraqueur.

– Tais-toi, imbécile ! Tu veux que Carla apprenne cela ? Ou Lucius ? Tu veux qu'ils soient tués pour de bon ? Berrycloth n'aurait jamais dû te le dire !

– Il l'a plutôt laissé échapper, admit Edgar.

Daisy le fusilla du regard.

– Tu sais, Berrycloth et Talinski te méprisent tous les deux, cracha-t-elle. Ils trouvent que tu ressembles à Papa, mais le courage et la dignité en moins. C'est tout de même épatant qu'ils aient réussi à te cerner en si peu de temps.

Narcissa écarquilla les yeux, choquée par ce qu'elle venait d'apprendre. En quelques mots, malgré l'agacement et la réticence de Daisy, Edgar lui raconta sa rencontre avec Marius Berrycloth et Elior Talinski, deux Animagi qui avait sauvé Vera et Fergus des Détraqueurs, et qui avait pris la résolution d'aider Daisy à s'échapper. En entendant cela, Narcissa voulut se persuader qu'il restait encore un peu d'espoir.

– Alors, tout n'est pas perdu, souffla-t-elle avec un enthousiasme forcé. Ces deux hommes... Berrycloth et Talinski, c'est bien cela ? Ils sont fiables, n'est-ce pas ? Ils vont essayer de te libérer ?

– Ils ont déjà essayé, grinça Daisy. Albert nous a aidé à nous transmettre quelques petits messages, au début. C'était mon seul acte de résistance. Mais j'ai fini par leur demander de s'en aller, car leur présence m'attirait des ennuis.

– Comment ça ? Crabbe les a surpris ?

– Pas vraiment. C'est juste que... Tu vois le gros collier qu'il porte autour du cou ? Celui avec une énorme pierre précieuse ? Eh bien, dès que je pense à la possibilité de m'échapper, ou même que quelqu'un d'autre pense à m'y aider, la pierre s'illumine et se met à vibrer. Il la porte tout le temps, même la nuit... Alors, quand Berrycloth et Talinski ont commencé à rôder autour de notre maison, et ont essayé de trouver un moyen de me sortir de là, Crabbe a tout de suite su que quelque chose se préparait. Depuis, il a fait en sorte que sa maison soit aussi imprenable qu'Azkaban. Et je ne te parle même pas de ses deux nouveaux chiens...

Elle fut parcourue d'un frisson incontrôlable.

– De toute manière, il m'effraie trop pour que je tente quoique ce soit, conclut-elle. Depuis le temps, je me suis faite à l'idée que je n'avais plus aucune chance.

Narcissa se tourna vers Crabbe. Autour de son large cou, la pierre précieuse dont parlait Daisy était complètement éteinte. Son amie avait donc abandonné tout espoir de s'évader, tout comme Edgar, Berrycloth et Talinski avaient abandonné tout projet de la libérer.

– Il ne me reste plus qu'une seule issue, dit Daisy. Et cela ne devrait pas tarder.

D'un même mouvement, Edgar et Narcissa froncèrent les sourcils.

– Que veux-tu dire ?

– À ton avis ? Réfléchis une seconde, toi qui es si intelligente. Maintenant que tout le monde m'a bien vue, personne ne peut l'accuser d'avoir menti à propos de notre mariage. Et même si certains se doutent que ce bébé n'est pas le mien...

– De qui est-il ?

– Je n'en ai aucune idée. Il a essayé d'en obtenir un de moi, mais heureusement, ça n'a pas fonctionné. Ensuite, pendant plusieurs mois, j'ai cru qu'il avait renoncé... Mais un soir, alors qu'il rentrait, j'ai entendu les pleurs de ce bébé. Crabbe ne m'a rien expliqué, et je n'ai pratiquement pas vu l'enfant, je l'entendais seulement pleurer toute la journée... Je ne sais pas qui est sa mère, mais connaissant Crabbe, on peut imaginer le pire. Il s'est sûrement débarrassé d'elle, afin de s'assurer qu'elle ne vienne jamais réclamer son fils ; et moi, je ne suis là que pour prétendre qu'il s'agit d'un Sang-Pur... Ma mission est donc remplie. Ce soir, les Collinards ont eu la preuve que nous avions vécu ensemble plus de neuf mois. Crabbe a obtenu ce qu'il voulait, et je ne doute pas qu'il se débarrassera de moi aussi, dès qu'il en aura l'occasion. Ce n'est plus qu'une question de temps.

– Ce n'est pas possible, murmura Narcissa. Il doit bien y avoir une solution... Nous ne pouvons pas le laisser faire ça !

Daisy eut un petit rire.

– C'est bien ça le problème, avec toi, dit-elle. Tu ne veux jamais que toutes ces choses-là arrivent. Tu es pleine de bonnes intentions, mais lorsque ceux qui t'entourent commettent les pires atrocités, tu ne bouges pas le petit doigt pour les en empêcher.

– J'ai fait tout ce que j'ai pu pour t'aider, protesta Narcissa d'une toute petite voix.

– Je ne te parle pas de moi, voyons. Tu sais, Crabbe prend un malin plaisir à me raconter tout ce que font les Mangemorts... Je sais très bien ce qu'il se passe dans notre pays, et tout ça est entièrement à cause de Lucius. Les géants qu'il a réussi à amadouer n'ont pas encore fait beaucoup de victimes, mais ils arriveront bientôt sur des territoires bien plus peuplés, où ils commettront des ravages ! Combien de morts te faudra-t-il pour te sentir coupable de vivre avec ce monstre ?

Narcissa ne répondit pas. Ses oreilles bourdonnaient, et elle avait terriblement envie de disparaître.

– Qu'est-ce que tu crois, au juste ? s'énerva Daisy, toujours à voix basse. Que Voldemort compte s'arrêter là ? Tu sais aussi bien que moi que, quand le pays sera à genoux, il s'attaquera à l'Europe, puis au reste du monde... Ce qu'il vous promet, c'est une guerre sans fin, un chaos interminable ! Et tous vos enfants en pâtiront, y compris ton fils ! C'est ça que tu souhaites pour Drago ? Devenir l'esclave du Seigneur des Ténèbres, et au moindre faux pas, connaître le même sort que Regulus ?

– Tais-toi, supplia Narcissa.

Daisy secoua la tête. Dans les yeux verts de son amie d'enfance, Narcissa pouvait lire toutes les souffrances qu'elle avait endurées au cours des derniers mois, toute la douleur et toute la colère qui en découlaient ; et c'était un spectacle bien plus difficile à supporter que tous les mots blessants qui franchissaient ses lèvres.

– Vous savez, vous êtes encore pires que tous les autres, poursuivit Daisy. Pires que ceux qui se sont laissé manipuler. Vous deux, vous savez à quel point ce que vous faites est mal. Vous en avez parfaitement conscience. Vous êtes même pires que Lucius, pires que Crabbe, parce que contrairement à eux, vous avez reçu assez d'amour pour discerner ce qui est bien de ce qui est mal. Est-ce que vous pensez à nos parents, parfois ? Et aux tiens, Narcissa ? Vous pensez qu'ils seraient fiers de vous ?

Daisy les regarda tous les deux, puis, voyant qu'ils n'avaient rien à répondre, elle baissa les yeux et se tut. Face à elle, Narcissa avait terriblement mal au ventre. Les paroles de Daisy avaient eu exactement l'effet escompté. Toute la félicité et le bonheur qu'elle avait ressenti au cours des dernières semaines s'étaient brusquement envolés, et le visage poupin de son fils avait disparu de ses pensées. À sa place, un flot d'images insoutenables s'imposa à elle, mêlant de vieux souvenirs et des produits de son imagination.

Sa mère... Puis Regulus, si jeune... Vera, Fergus... Bientôt Daisy, peut-être Andromeda, et ensuite, ce serait le tour de Lucius, et même de Drago... Ils lui seraient tous arrachés un jour, alors pourquoi lutter ? Que pouvait-elle faire, elle, si insignifiante, face à des monstres comme Voldemort et Hector Crabbe, qui prenaient tant de plaisir à piétiner tous ceux qu'elle aimait ? Pourquoi ne pas tout abandonner dès maintenant ?

Au moment où cette pensée la traversait, au moment où le découragement fut sur le point de la submerger, quelque chose d'étrange se produisit. Les images insupportables qui défilaient devant ses yeux s'interrompirent, comme si le fil de sa pensée s'était brisé net, et elle revint brutalement à l'instant présent, où elle se mit à tout ressentir avec une précision renversante.

Sur sa peau, le tissu de sa robe. Au creux de sa paume, les doigts gelés de Daisy. Le courant d'air qui passait près du sol. Les rires cristallins des invités. L'air frais qu'elle inspirait, l'air chaud qu'elle expirait. Les battements désordonnés de son cœur.

Et cette chaleur. Cette lumière. Cette puissance. Là, en elle. Si proche. Si forte.

Narcissa cligna des yeux, hébétée. Personne ne semblait remarquer ce qui lui arrivait. Autour d'elle, le monde tournait au ralenti. Daisy était prostrée sur sa chaise et Edgar l'observait avec appréhension. Debout à côté du berceau de Drago, Lucius lui tournait le dos. Crabbe et Carla les surveillaient, attentifs à leurs moindres gestes... Dehors, le vent soufflait avec force...

– Qu'est-ce que... AARGH !

Tout alla très vite. À quelques mètres de Narcissa, sur la poitrine d'Hector Crabbe, la pierre qu'il portait à son cou s'illumina avec tellement d'intensité qu'elle se mit à grésiller, et vola en éclats. Les invités qui se trouvaient à côté de lui reculèrent d'un coup, et Orpheus Flint porta une main à son œil avec un cri de douleur. Crabbe fit aussitôt volte-face vers Daisy, mais il était trop tard. Il y eut une puissante détonation, et une épaisse fumée noire jaillit du sol, plongeant subitement le salon dans une impénétrable obscurité.

– NON ! rugit Crabbe. TRAÎTRESSES ! Stupefix !

Narcissa se jeta sur Daisy pour la protéger ; elle entendit le sortilège de Crabbe siffler tout près d'elles, et les manquer de peu. À côté d'elle, Edgar se leva d'un bond et s'élança en direction des cris furieux de Crabbe, disparaissant immédiatement dans les volutes de fumée.

– Vite ! murmura Narcissa en prenant le bras de Daisy à tâtons.

Daisy ne répondit rien, mais elle s'agrippa à Narcissa, se leva à son tour et se laissa guider à travers la pièce. Autour d'elles, l'obscurité était totale ; elles entendaient Crabbe vociférer, certains Collinards tousser, d'autres céder à la panique ; elles ne distinguaient rien, pas même leurs propres pieds. Et pourtant, Narcissa avançait sans hésiter, sachant instinctivement où aller. Devant elle, elle sentait un léger courant d'air qui l'appelait, qui l'attirait comme un aimant... Encore quelques pas...

Elles y étaient. Au moment où elles franchissaient la porte pour sortir du salon, Daisy et Narcissa émergèrent du brouillard et retrouvèrent la vue. La porte à doubles battants claqua juste derrière elles et se verrouilla, étouffant les cris des Collinards désorientés dans le salon, toujours empêtrés dans la fumée. Autour d'elles, le hall d'entrée était désert. Daisy et Narcissa étaient seules.

– C'est toi qui as fait ça ?

Daisy semblait presque effrayée. Narcissa regarda sa baguette, un peu tremblante. Elle l'avait à peine effleurée, et pourtant, au moment où elle avait réalisé que Daisy risquait de mourir, elle avait senti une puissance nouvelle et insoupçonnée se dresser en elle, jusqu'à irriguer chaque parcelle de son corps, et irradier tout autour d'elle.

– Je crois que oui, dit-elle, essoufflée.

– Mais... Comment ?

Narcissa savait ce que Daisy voulait dire. Même si elle avait été une élève sérieuse à Poudlard, elle n'avait jamais fait preuve d'aucune habileté magique particulière, et elle-même ne comprenait pas bien comment elle avait pu agir aussi vite, avec autant de précision, et faire apparaître tout ce brouillard sans même prononcer le moindre sortilège. C'était comme si quelque chose s'était réveillé en elle. Quelque chose qui ne voudrait plus jamais s'éteindre.

– Je... Je ne sais pas, avoua Narcissa. Je ne comprends pas très bien moi-même, mais... Je crois que j'ai eu peur pour toi.

Narcissa regarda autour d'elle. Elles n'avaient pas le temps de s'attarder sur cet étrange phénomène. Il fallait agir.

– Accio !

À quelques mètres d'elles, le tiroir d'une commode s'ouvrit, et une baguette en sortit pour atterrir dans la main de Narcissa. C'était la baguette d'Eleanor Wimbley, que Lucius avait arrachée à sa propriétaire cinq ans auparavant. Puis Narcissa répéta le sortilège, et un balai tournoya dans les airs pour venir jusqu'à elles. Narcissa tendit les deux objets à Daisy, et désigna l'immense porte d'entrée du manoir qui venait de s'ouvrir sur la nuit.

– Pars, ordonna-t-elle. Vite !

Une bourrasque s'engouffra dans le hall, charriant les odeurs du dehors ; le vent ébouriffa leurs cheveux, fit voler le bas de leurs robes, et les fit frissonner toutes les deux.

Daisy en avait les larmes aux yeux. Ce vent, ces arbres, ces étoiles : c'était la liberté qui lui tendait les bras.

– Viens avec moi, Cissy, dit-elle d'une voix un peu enrouée. Viens, partons, laissons toute cette violence...

Dans le salon, quelqu'un essayait de forcer la porte, et on entendait Crabbe crier furieusement de l'autre côté.

– Je ne peux pas, dit Narcissa en secouant la tête. Tu sais très bien que je ne peux pas... Vite, Daisy ! Va-t'en, je t'en prie.

Mais malgré la tentation de partir immédiatement, Daisy ne parvenait pas à détacher son regard de Narcissa.

– Et si Crabbe te fait du mal ? s'inquiéta-t-elle.

– Ne t'en fais pas. Je trouverai quelque chose. Et Lucius me protégera. Je le sais.

– Et ce bébé ? objecta encore Daisy. Je ne peux pas le laisser seul avec Crabbe... Même s'il n'est pas de moi, aucun enfant ne mérite une telle chose.

– Edgar s'en occupera, promit Narcissa. Je m'en assurerai.

Daisy hocha la tête, et regarda longuement la baguette d'Eleanor Wimbley. Elle était sur le point de partir, mais elle avait une dernière chose à dire à Narcissa.

- Tu as vu ce que tu viens de faire ? dit-elle avec gravité. Tu es forte, Cissy. Tu es bien plus forte qu'eux, bien plus forte que tu ne le crois. Tu pourrais tous les détruire, si tu le souhaitais, si tu arrêtais de te cacher derrière tes propres mensonges... Alors ne baisse pas les bras. Ne cesse jamais de lutter, d'accord ? Ne les laisse jamais te convaincre d'abandonner. Jamais.

Elle s'avança vers Narcissa, puis l'enlaça avec force.

– Merci, souffla-t-elle. Je dirai aux parents ce que tu as fait.

De nouveau, elle parlait comme avant, comme si elles étaient sœurs – mais elles n'avaient pas le temps de s'y attarder. En effet, la porte du salon était sur le point de céder. Avec difficulté, Daisy détacha son regard de Narcissa, enfourcha le balai, frappa le sol avec son talon et s'envola vers l'extérieur, où elle disparut dans la nuit.

Narcissa n'eut pas le temps de la regarder s'éloigner. Elle se détourna, s'élança dans un couloir qui longeait le grand salon, où se trouvaient toujours les invités, que Narcissa entendait à travers le mur. À en juger par leurs cris furieux ou effrayés, et par les pleurs d'enfants, ils semblaient toujours empêtrés dans la fumée noire qu'elle avait faite apparaître, et que personne n'arrivait à dissiper. Narcissa parvint enfin jusqu'à une petite porte dérobée, qui se déverrouilla sous ses mains, et entra de nouveau dans le salon, où elle s'enfonça sans hésiter dans la fumée noire et opaque qui envahissait tout.

Elle ne voyait même pas ses pieds, mais elle avait traversé cette pièce tant de fois qu'elle savait parfaitement où aller. La grande table ouvragée se trouvait à quelques mètres à droite... Le canapé était plus loin, à gauche, là où plusieurs enfants criaient de frayeur... Sous ses pieds, le sol vibrait, ébranlé par les coups que Crabbe donnait dans la grande porte qu'elle avait franchie avec Daisy quelques minutes plus tôt, à l'autre bout de la pièce. La chaise qu'elle avait apportée à Daisy n'était pas très loin, à quelques mètres seulement... Narcissa avança encore un peu, ralentit le pas, avança prudemment son pied – et buta sur la chaise renversée.

À ce moment précis, elle sentit qu'elle faiblissait. La déflagration de puissance qu'elle avait ressenti quelques minutes plus tôt s'essoufflait. Le brouillard obscur qui se trouvait dans la pièce retomba d'un coup, laissant sur le sol et sur ses vêtements une couche de poussière noire et pailletée, qui fit tousser plusieurs personnes dans la pièce. De même, le sortilège qui avait verrouillé toutes les portes s'estompa. La grande porte à doubles battants que Crabbe était en train de forcer s'ouvrit d'un coup, et le colosse bascula en avant.

– OÙ SONT-ELLES ? hurla-t-il en se relevant. OÙ...

Il vit d'abord la porte d'entrée ouverte ; puis, en tournant sur lui-même, il aperçut Narcissa, qui semblait ne pas avoir bougé d'un pouce, et pointa un index accusateur sur elle. Il était écumant de rage, et tenait dans sa main un long poignard effrayant, dont la lame était imbibée de sang.

– TOI ! éructa Hector Crabbe. C'EST TOI QUI AS FAIT ÇA !

– Je n'y suis pour rien, se défendit calmement Narcissa. Je suis restée là tout du long.

– Elle a raison, renchérit une voix faible.

Narcissa tourna la tête. Edgar Goyle se trouvait non loin d'elle. Il était agenouillé sur le sol, très pâle, et sa cape était tachée de sang. Il tenait le petit Vincent Crabbe dans ses bras, et avait une longue estafilade sur l'épaule.

– J'étais à côté d'elle au moment où Daisy s'est échappée, affirma Edgar. Narcissa n'a pas bougé d'un pouce.

– Vous mentez tous les deux, rugit Crabbe, sourd à leurs protestations. Vous l'avez aidée à partir ! Toi ! Tu m'as désarmé !

Cette fois-ci, il pointa son index sur Edgar Goyle.

– Parce que tu risquais de tuer quelqu'un, rétorqua ce dernier. Tu agitais ta baguette dans tous les sens ! Et ton poignard ! As-tu seulement conscience du nombre d'enfants qu'il y avait dans la pièce ?

– Il a raison, approuva Juliet Parkinson, qui était encore tremblante. Tu aurais pu tuer l'un d'entre eux ! Edgar a eu raison de t'arrêter !

Un murmure d'assentiment parcourut l'assemblée. À part Carla, qui semblait furieuse, les Collinards n'avaient que faire de la fuite de Daisy ; ils étaient plutôt effrayés par les gesticulations de Crabbe.

– Si elle parle au Ministère, nous sommes tous cuits, menaça-t-il. Nous devons la rattraper. Venez avec moi !

– Oui, exactement, approuva Carla, qui était visiblement inquiète de savoir Daisy en liberté. Crabbe a raison ! Il faut la poursuivre !

– Elle n'en vaut pas la peine, rétorqua Evan Rosier. Elle ne sait rien du tout. Survoler le pays, avec tous ces Détraqueurs, serait plus risqué que de la laisser partir. Et puis, que pourrait-elle révéler que Croupton et ses sbires ne sauraient pas déjà ? De toute manière, le Ministère est tellement affaibli... Ils ne pourront rien faire contre nous.

Crabbe regarda autour de lui, et, voyant que personne n'était décidé à lui venir en aide, il poussa un cri de rage qui le fit ressembler à une bête sauvage. Il marcha droit sur Edgar Goyle, qui n'eut pas la force de s'écarter, et avant que quiconque ait le temps de réagir, il lui reprit sa baguette. Puis il se jeta sur un autre balai, et s'envola à la suite de Daisy.

– Espérons qu'il ne la retrouve pas, murmura Juliet en le voyant s'envoler.

Narcissa acquiesça faiblement. Ses jambes flageolaient, avaient du mal à la porter. Elle avait l'impression que toute sa puissance magique, toute l'énergie vitale qu'elle portait en elle s'étaient déchargées d'un coup, la laissant pantelante et sans force.

Au moment où ses jambes fléchissaient, elle sentit quelqu'un la retenir avec fermeté, et ce qu'elle vit la revigora aussitôt. Lucius se trouvait à côté d'elle. Drago se trouvait dans ses bras, et à la manière dont Lucius le serrait contre lui, on voyait bien à quel point il était déterminé à le protéger. C'était la première fois que Lucius le tenait ainsi, aussi naturellement, comme s'il fallait qu'un danger survienne pour qu'il se comporte de manière protectrice.

 Narcissa poussa un soupir de soulagement, et laissa sa tête aller contre l'épaule de Lucius, épuisée.

– Tout va bien ? s'inquiéta Lucius. Tu trembles...

Il avait raison. Narcissa tremblait de tous ses membres, et avait très froid. La chaleur intense qu'elle avait ressenti dans tout son corps en aidant Daisy à s'échapper avait laissé place à un épuisement brutal, et un froid désagréable.

– Oui, ça va... Seulement... J'ai eu peur que Crabbe vous fasse du mal. Je ne vous voyais plus...

– Dès que la fumée est apparue, je me suis écarté des cris, répondit Lucius. Et Drago a été courageux. Il n'a pas pleuré. N'est-ce pas, Drago ?

– Il a senti que tu étais là, sourit Narcissa.

Tout en se mordillant le poing, Drago les regarda tour à tour, et poussa une exclamation approbatrice. Ses yeux gris pâle semblaient regarder Narcissa avec fierté et admiration, comme s'il sentait la force qui émanait d'elle, comme s'il avait vu et compris tout ce qui venait de se passer.

Tout en caressant la joue de son fils, Narcissa se tourna vers Edgar, qui tenait toujours Vincent Crabbe dans ses bras.

– Rentrons, décida-t-il en se relevant avec difficulté.

– Tu es blessé, Edgar, s'inquiéta Narcissa en désignant le sang qui coulait le long de son bras.

– Ce n'est rien, dit-il, très pâle. Je ne sens presque rien.

– Tu devrais faire attention, insista Orpheus Flint. Il y a quelque temps, Crabbe s'est vanté d'avoir empoisonné la lame de son poignard...

– Allons vite chez moi, proposa Evan Rosier. Je vais examiner ta plaie.

– Et cet... enfant ? demanda Carla en désignant Vincent Crabbe, qui geignait dans les bras d'Edgar.

– Nous le garderons jusqu'à nouvel ordre, déclara Edgar en raffermissant sa prise sur l'énorme bébé. Dans sa colère, Crabbe serait capable de lui faire du mal. Et puis, je suis son oncle, après tout.

Carla voulut protester, mais elle n'en eut pas le temps. Edgar lui avait déjà tourné le dos, et s'éloignait vers la cheminée, accompagné par plusieurs Collinards qui l'encadraient avec un profond respect.

***

À des kilomètres de là, Daisy volait. La pluie crépitait sur ses joues, le manche de son balai vibrait sous ses doigts, malmené par les bourrasques violentes qui faisaient dévier sa trajectoire.

 Rien ne semblait pouvoir arrêter sa course folle, pas même Crabbe qui avait réussi à la rattraper, et qui volait à quelques dizaines de mètres derrière elle. Tous deux étaient penchés en avant, concentrés, s'éloignant et se rapprochant au gré des rafales de vent. Daisy était plus légère que Crabbe, mais elle était aussi plus affaiblie que lui, et ne parvenait pas à prendre l'avantage.

Après quelques minutes de course-poursuite, Daisy entendit des cris d'oiseaux monter du brouillard. Elle fut frôlée par une nuée d'oiseaux dirigés par deux pies et un ravluk, qui passèrent de part et d'autre d'elle et fondirent sur Crabbe, le griffant de leurs pattes et de leurs becs acérés.

Daisy comprit que Berrycloth, Talinski et le ravluk Albert étaient en train de lui prêter main forte – mais malgré cela, Crabbe refusait d'abandonner. Il repoussa brutalement les oiseaux, puis tenta d'atteindre Daisy par de multiples sortilèges, qui la frôlèrent dangereusement. Elle fit de son mieux pour les esquiver, mais elle se sentait de moins en moins rassurée, et il faisait de plus en plus froid...

Daisy sentit la présence des Détraqueurs avant de les voir. Attirés comme des aimants par les rugissements de Crabbe, et sans doute par la joie et l'espoir que Daisy avait ressentis quelques minutes auparavant, ils affluaient de toutes parts, rapides et menaçants. Daisy en esquiva quelques-uns, mais ils étaient de plus en plus nombreux, et son balai verglacé commençait à glisser, ses membres s'engourdissaient...

– Spero patronum ! cria Daisy, désespérée.

C'était la première fois qu'elle prononçait ce sortilège, et la baguette d'Eleanor Wimbley lui résistait. Quelques étincelles argentées jaillirent, repoussèrent un Détraqueur qui tentait de l'arrêter, mais le vent les dispersa aussitôt. Et d'autres Détraqueurs affluaient, toujours plus nombreux, se rapprochant dangereusement...

Daisy serra les poings avec détermination. Cela ne pouvait pas se finir ainsi. C'était inconcevable. Elle raffermit sa prise sur la baguette, et se concentra sur elle avec intensité : outre la rugosité du bois, elle pouvait sentir une présence au cœur de l'objet, comme si l'esprit d'Eleanor Wimbley se trouvait encore là, tout près...

Pitié, supplia intérieurement Daisy. Par pitié, venez-moi en aide...

Et au moment où elle pensait cela, la baguette sembla se réchauffer dans sa main. Une onde bienveillante parcourut son bras, et Daisy écarquilla les yeux, émerveillée : la baguette venait de lui répondre.

Ravivée par ce nouveau lien, Daisy parvint à mobiliser les plus profondes et les plus intimes de ses forces intérieures. Elle visualisa d'abord son père qui peignait, son air serein, son sourire enfantin. Puis sa mère, la douceur de ses joues, de ses bras. Leur amour puissant, absolu et inconditionnel.

Mentalement, Daisy imagina qu'elle se réfugiait dans leurs bras, qu'ils l'embrassaient tendrement. Elle imagina Narcissa à côté d'elle, lorsqu'elles étaient enfants et que rien d'autre ne comptait en dehors de leurs jeux interminables... Une larme roula sur sa tempe, emportée par le vent, et la formule monta en elle sans effort :

– Spero patronum, murmura Daisy.

Cette fois-ci, la baguette vibra fortement dans sa main. Elle laissa une longue traînée argentée dans le ciel, de plus en plus épaisse, de plus en plus consistante, de plus en plus lumineuse. Puis ce fut le ciel entier qui s'illumina, et Daisy crut un instant que la foudre l'avait frappée en pleine course ; mais lorsqu'elle ouvrit les yeux, l'air s'était considérablement radouci. Elle perçut un mouvement énorme au-dessus d'elle, et elle leva les yeux, stupéfaite et émerveillée.

Les Détraqueurs fuyaient avec affolement, comme s'ils avaient été brûlés. Certains tombaient même vers le sol en chute libre, frappés de plein fouet par l'énorme créature argentée qui venait d'apparaître. Il était même difficile de croire qu'un Patronus puisse être aussi grand, et impossible de l'englober d'un seul regard. Deux immenses ailes se déployèrent dans le ciel, et Daisy ne put s'empêcher de crier de joie.

Ondulant gracieusement au-dessus d'elle, dispersant les nuages et illuminant les environs, une gigantesque dragonne argentée battait des ailes, repoussait au loin les dizaines de Détraqueurs qui la poursuivaient, enveloppait Daisy de sa lumière et éblouissait Crabbe qui essayait de la rattraper. Elle ressemblait comme deux gouttes d'eau à Ramia, avec ses yeux doux et sa bosse sur le front.

Portée par une force nouvelle, Daisy accéléra encore. Derrière elle, Crabbe fut percuté par un Détraqueur affolé ; Daisy entendit le craquement de son balai, un juron furieux, puis elle le vit descendre vers le sol à toute vitesse, où il disparut dans le brouillard.

Le Patronus chemina avec Daisy pendant un petit moment, jouant avec elle en la couvant du regard ; et plus elles progressaient vers le nord, plus les Détraqueurs se raréfiaient. Longtemps après avoir survolé Londres, le Patronus dut estimer que sa présence n'était plus nécessaire, car il s'éloigna progressivement, sans doute pour que personne ne puisse suivre sa protégée à la trace. Daisy guetta le retour des Détraqueurs sur la suite du trajet, mais aucun ne reparut ; et lorsqu'elle aperçut la côte en dessous d'elle, elle s'approcha du sol et se posa sur une petite plage battue par les vents, au pied d'une falaise escarpée.

Elle faillit tomber en posant le pied sur le sable, et elle se rendit compte qu'elle avait perdu ses chaussures dans sa course. Un peu hébétée, elle remua ses orteils dans le sable humide, puis lâcha son balai, qui tomba à terre avec un son mat. Elle marcha droit vers la mer, fit quelques pas dans l'eau noire, puis tomba à genoux. Une vague la bouscula, emporta le sable rugueux qui se trouvait sous ses jambes – mais Daisy ne ressentait rien de tout ça.

La pluie qui crépitait sur ses joues, sur son front, sur ses épaules, le remous des vagues autour d'elle, le sable qui glissait entre ses doigts, le mugissement du vent dans ses oreilles, tout cela n'avait qu'une unique signification : elle était libre. Elle respirait enfin, ivre de joie, exaltée par l'immensité du ciel et de la mer qui s'ouvraient devant elle.

Derrière elle, le ravluk Albert se posa sur le sable en piaillant, suivi par deux pies qui se transformèrent aussitôt en silhouettes humaines, mais de nouveau, Daisy ne fit pas attention à eux. Elle contemplait le ciel et la mer, sans entendre les paroles que Berrycloth et Talinski échangeaient à voix basse, avec la plus grande gravité. En effet, les deux journalistes se réconfortaient mutuellement, et ils ne parvinrent à sourire qu'après un long moment de silence.

– Eh bien ma foi ! C'était une sacrée chevauchée, commenta Berrycloth, essayant de se rasséréner lui-même.

Talinski, lui, scrutait le ciel derrière eux.

– Je pense pouvoir dire que nous les avons semés, dit-il prudemment.

Ils regardèrent de nouveau Daisy, toujours agenouillée dans l'eau noire et glaciale.

– Vous devriez sortir de l'eau, ma chère enfant, osa suggérer Berrycloth au bout d'un long moment. Vous allez prendre froid !

Comme pour approuver ses dires, Daisy frissonna ; elle reprit ses esprits, se rendit compte qu'elle avait de la compagnie et rejoignit les deux hommes sur le rivage. Berrycloth lui tendit une couverture qu'il venait de faire apparaître, et Talinski lui prit la main pour la réchauffer. Ils semblaient tous les deux partagés entre la joie immense de la voir libre et une tristesse encore plus grande.

– Que vous arrive-t-il ? s'inquiéta Daisy. Vous semblez bien tristes.

Une larme roula sur la joue de Berrycloth, et il se détourna avec pudeur.

– Rien de bien important, mentit Talinski. Ne vous inquiétez pas, cela ne vous concerne d'aucune manière.

Daisy hésita à demander de qui il s'agissait, puis renonça.

– Je ne sais pas comment vous remercier, dit-elle en mettant la couverture sur ses épaules, et en essuyant un peu son visage trempé par la pluie. Grâce à vous, je savais que quelqu'un se préoccupait de moi... Même dans les moments les plus durs, je n'étais jamais seule, et je crois que c'est cela qui m'a sauvée.

– Vous voir libre est la plus grande des récompenses, affirma Talinski avec douceur.

Daisy se pencha pour prendre Albert dans ses bras, et le serra contre elle. Le ravluk était épuisé d'avoir volé si longtemps, mais il eut tout de même la force de se frotter affectueusement contre sa maîtresse.

– Nous ne sommes pas très loin du refuge que votre mère avait prévu pour votre petite animalerie, l'informa Talinski. Je peux vous y conduire : vous pourrez vous y réchauffer, et nous y serons en sécurité.

– Quant à moi, je vais aller prévenir vos parents de cette excellente nouvelle, proposa Berrycloth. Cela me changera les idées. Avez-vous un message à leur transmettre ?

Daisy regarda vers la mer, et se demanda si la prison d'Azkaban se trouvait là, derrière le brouillard et les rideaux de pluie qui masquaient l'horizon.

– Dites-leur que je vais bien, dit-elle. Dites-leur que Cissy m'a aidée... Et surtout, dites-leur de tenir bon. Dites-leur que nous allons tout faire pour les sortir de là.

***

Sous sa forme d'oiseau jacasseur, Berrycloth arriva à Azkaban quelques heures plus tard, et trouva Vera et Fergus profondément endormis, blottis l'un contre l'autre. À la vue du cachot lugubre dans lequel ils avaient abandonné les Goyle, Berrycloth se sentit envahi par la culpabilité ; mais il refusa de s'attarder sur ce sentiment et réveilla aussitôt Vera et Fergus. Lorsqu'ils se redressèrent, effrayés, Berrycloth constata avec tristesse qu'ils avaient tous les deux beaucoup maigri. De même, lorsqu'il leur raconta avec de nombreux détails l'escapade miraculeuse de Daisy, ils étaient tous les deux si désespérés et affaiblis qu'ils eurent beaucoup de mal à réaliser que Berrycloth disait vrai. En effet, après plusieurs mois sans recevoir aucune nouvelle, encerclés par tous ces Détraqueurs, ils avaient fini par perdre tout espoir de revoir leur fille un jour, ou même d'apprendre qu'elle s'était échappée.

– Cela fait un an que vous nous avez laissés ici, dit Vera d'une voix tremblante. Un an qu'elle vit sous le même toit que ce monstre, et vous me dites qu'elle n'a pas souffert ?

– Je vous assure qu'elle va bien, assura de nouveau Berrycloth. Je sais que vous avez du mal à me croire, mais... Vous auriez dû voir son Patronus, j'en ai eu des frissons ! Vraiment, c'était superbe... Quoiqu'il en soit, elle vous embrasse. Ah, et elle tenait à vous dire que son amie l'avait aidée à s'enfuir... Cissy, c'est bien cela ?

Vera hocha la tête, sortant progressivement de son hébétude.

– Votre fille est douée d'un courage inouï, poursuivit Berrycloth avec enthousiasme. Talinski et Albert sont avec elle, et ils sont en chemin vers l'endroit où vous aviez prévu de vous réfugier. Elle devrait y retrouver votre cerbère nain, votre Autruche Rétractable, vos Dopsidons... Et votre cher Lumimord qui s'épanouit dans le lac voisin.

À l'évocation de tous ses animaux, et en imaginant sa fille au milieu d'eux, Vera parvint à sourire enfin.

– Merci infiniment d'être restés auprès d'elle, murmura-t-elle, les larmes aux yeux. Merci de ne pas l'avoir abandonnée.

– Mais voyons, c'est tout naturel, affirma Berrycloth. Et nous ne vous abandonnerons pas non plus ! Tenez, je vais rester quelques jours avec vous, j'en profiterai pour examiner la prison plus attentivement. Nous allons vous sortir de là tous les deux, j'en suis convaincu...

***

Au même moment, devant la porte de la sinistre maison des frères Lestrange, Bellatrix hésitait. Elle était là depuis un long moment, elle avait même approché son poing de la porte à plusieurs reprises, mais elle ne parvenait pas à se résoudre à frapper. Elle ne remarquait même pas qu'elle grelottait, qu'une pluie torrentielle se déversait sur ses cheveux bouclés, sur ses joues, que l'eau glacée avait détrempé sa robe et dégoulinait le long de ses bras nus.

Elle était là, bloquée, figée, incapable de se décider.

Ne fais pas ça, dit alors une voix derrière elle.

Bellatrix se retourna, et manqua de perdre l'équilibre. Elle avait tellement bu au Serpent qui Fume qu'elle voyait trouble, et elle crut apercevoir une silhouette sur le trottoir, à quelques mètres d'elle.

– Reggie ?

Il n'était pas vraiment là, évidemment, c'était son imagination lui jouait des tours, mais cela paraissait si réel...

Ne fais pas ça, répéta la voix assourdie de Regulus. Regarde, tu trembles... Va te mettre à l'abri. Va retrouver Cissy.

– Laisse-moi tranquille, murmura Bellatrix. Tu n'es même pas là ! Tu es mort, tu m'as abandonnée ! Arrête de me suivre partout !

Bella, s'il te plaît, supplia la voix de Regulus. S'il te plaît. J'essaie juste de prendre soin de toi ! J'essaie de te protéger ! Parce que je tiens à toi, je te l'ai toujours dit...

– Eh bien, je ne veux pas qu'on prenne soin de moi, rétorqua Bellatrix. Je ne veux pas qu'on tienne à moi. Et je ne veux surtout pas qu'on me protège ! Alors, toi, va-t'en ! VA-T'EN !

Elle ne réalisait pas qu'elle se parlait à elle-même, ou plus précisément à la partie d'elle-même qui était la plus belle, mais aussi la plus fragile, et que Voldemort voulait détruire à jamais.

Elle se souvint de la première chose que Voldemort lui avait apprise. Le doute est un aveu de faiblesse, répétait-il toujours. Une petite chose infernale, dont il fallait se débarrasser à tout prix.... Faire confiance aveuglément... Obéir, oui, c'était la seule chose à faire, le Seigneur des Ténèbres lui avait demandé quelque chose, il lui avait fait cet honneur, il fallait qu'elle en soit digne... Que penserait-il d'elle, s'il apprenait qu'elle était restée aussi longtemps devant cette porte, à dialoguer avec un stupide fantôme ?

Voyant que la silhouette restait immobile sur le trottoir, Bellatrix tituba jusqu'en bas des escaliers pour la chasser ; mais en descendant les marches, elle glissa et tomba dans une flaque d'eau de pluie, où elle se tordit la cheville et s'écorcha les mains.

Un peu hébétée, elle attendit que Regulus l'aide à se relever, mais personne ne vint. En levant les yeux, elle constata que ce qu'elle avait pris pour une silhouette n'avait rien à voir avec Regulus. Il s'agissait d'un vulgaire poteau, et ce qu'elle avait cru être une cape n'était qu'un vieux manteau abandonné.

Elle était seule. Elle l'était depuis toujours, et cela ne changerait jamais. De rage et de désespoir, elle serra les poings, et dans la rue, toutes les vitres des voitures volèrent en éclat.

En entendant le bruit du verre brisé, en sentant la douleur monter de sa cheville foulée, Bellatrix prit sa décision. Si aimer quelqu'un devait lui causer autant de souffrance, alors elle préférait y renoncer définitivement. La haine, le mépris, la puissance, eux, ne la trahiraient jamais, et la récompenseraient bien plus que tout le reste.

Elle se releva lentement, les poings toujours serrés. En boitillant un peu, elle remonta les marches, arriva sur le perron, et donna trois violents coups de pieds dans la porte de Rodolphus Lestrange.

À l'intérieur, elle entendit des voix étouffées, puis des pas qui se rapprochaient ; et la porte s'ouvrit.

Rodolphus se tenait face à elle, avec sa silhouette trapue, ses bras velus et son regard avide. Avec un sourire goguenard, il la lorgnait de haut en bas, comme si elle n'était pas une femme, mais un morceau de viande.

– Te voilà enfin, dit-il d'une voix bourrue.

Juste à côté de lui, une dame tout habillée de rose souriait. Avec ses yeux globuleux, elle ressemblait à une grosse grenouille.

– Ah, Bellatrix, dit-elle d'une voix doucereuse. Nous vous attendions avec impatience.

Bellatrix eut un mouvement de recul. Elle se retourna, éperdue, et regarda vers le trottoir, là où elle avait cru voir Regulus quelques minutes plus tôt.

Mais la rue était déserte. Évidemment.

– Allez, entre, grogna Rodolphus Lestrange en l'attrapant par le bras.

Bellatrix hocha lentement la tête, puis détacha son regard du vieux poteau qui se trouvait sur le trottoir, et entra dans la maison des Lestrange. Elle était trempée, frigorifiée, mais personne ne s'en souciait. Et puis d'ailleurs, quelle importance ?

– Venez, dit Ombrage. Nous allons procéder tout de suite à l'union officielle... J'ai apporté les papiers nécessaires...

Bellatrix n'écoutait même pas ce qu'elle disait. Elle la suivit comme une automate jusqu'au salon, laissant des petites flaques d'eau sur le sol derrière elle.

– Assieds-toi, ordonna Rodolphus en désignant un siège.

Lorsqu'il lui prit la main sous la baguette d'Ombrage, Bellatrix eut un petit rire. Le Seigneur des Ténèbres avait raison : elle sentait que quelque chose était en train de rompre en son for intérieur, qu'une part d'elle-même était en train de s'effondrer. Bientôt, tout allait devenir plus simple.

Et lorsque les filaments argentés unirent sa main à celle de Rodolphus Lestrange, cette part d'elle-même s'éteignit définitivement.

Pour le mieux, songea Bellatrix en fermant les yeux.

***

Pendant ce temps, Burton était en train de balayer les morceaux de verre qui jonchaient le sol du Serpent qui Fume. Au moment où Bellatrix était sortie, il avait tenté de la rattraper, mais son corps courbé était si lent que lorsqu'il était arrivé sur le pas de la porte, Bellatrix avait disparu. Ensuite, il s'était senti tellement en colère, tellement révolté qu'il avait renversé l'une de ses étagères sur le sol, brisant ainsi plusieurs dizaines de verres crasseux ; et c’étaient ces débris qu'il ramassait piteusement, sous le regard amusé de Voldemort.

– L'affaire doit être conclue, dit Voldemort en regardant l'horloge.

Tout en ramassant le verre qui jonchait le sol, Burton se coupa le doigt et le fusilla du regard.

– Tu as l'air de désapprouver, Burton, se moqua Voldemort.

– Pour sûr, grogna le tavernier. Depuis le temps, je l'aime bien, cette petite. Et ce que vous faites, je trouve ça cruel.

– Moi, cruel ? Voyons, Burton... Tu ne vois donc pas que j'aide Bellatrix à s'accomplir, à réaliser son plein potentiel ? À la libérer de ce conflit qui la déchire, afin qu'elle retrouve la puissance qu'elle avait autrefois ?

Burton fit une moue sceptique.

– Cette union va beaucoup leur apporter, à tous les deux, insista Voldemort de sa voix sifflante. Tous deux n'auront de cesse de se surpasser l'un et l'autre... Ils pourront coopérer pour protéger au mieux l'objet précieux que j'ai confié à Bellatrix, puis à Rodolphus... Et qui sait ? Peut-être auront-ils une descendance, qui me servira à son tour ?

– Une descendance ? grimaça Burton. La férocité de Bellatrix ne vous suffisait donc plus ? N'avez-vous pas peur de l'anéantir ? Vous perdriez une guerrière redoutable...

– Oh non, Burton, bien au contraire. Une fois que Bellatrix se sera infligé ce mariage, qui était pour elle la pire chose qu'elle puisse imaginer... Alors, oui, elle sera prête à endurer toutes les souffrances... Et surtout, elle sera plus encline que jamais à les faire subir à nos ennemis.

Il but une gorgée de Brulator, et sa bouche sans lèvres s'étira en un sourire satisfait.

– Je ne comprends pas ce qu'il vous faut de plus, grogna Burton. Vous aviez dit vous-même, dès le début de son apprentissage...

– Que je n'avais jamais observé une puissance pareille, chez quelqu'un d'aussi jeune ? C'est vrai. À ce moment-là, je croyais l'avoir rendue plus forte que jamais... Malheureusement, sa puissance et son ardeur se sont quelque peu fanées avec le temps, au fur et à mesure que grandissait son affection pour son cousin ; et c'est ce déclin qui m'a beaucoup contrarié. Mais cette fois-ci... Si elle fait ceci, si elle s'unit à Rodolphus Lestrange... Alors, oui, elle aura définitivement anéanti ce qui lui restait d'humanité. Et ainsi, à son chagrin succèdera la colère, et à la colère succèdera la puissance... Une puissance prodigieuse...

Leur conversation fut interrompue par l'entrée fracassante d'Hector Crabbe. Il poussa la porte si violemment que la vitrine crasseuse du bar vola en éclat ; il tenait à la main un balai dont le manche était brisé en deux, son visage était égratigné, et il soufflait comme un bœuf, visiblement furieux.

– Ma vitrine ! s'indigna Burton. Rustre ! Crapule !

Crabbe ne prêta aucune attention à lui. Alors que Burton balayait frénétiquement le sol, il rapporta à Voldemort une histoire confuse où il était question de sa femme Daisy, de la traîtrise de Narcissa et d'un Patronus géant. Burton ne comprit que partiellement ce qui s'était passé, d'autant plus qu'un jeune homme que Burton ne connaissait pas entra à son tour dans le bar, réclamant l'attention immédiate du Seigneur des Ténèbres. Il avait un visage cireux, encadré par deux rideaux de cheveux noirs et gras, ainsi qu'un vilain nez crochu.

– Bien, bien... Ne t'en fais pas, Crabbe, conclut Voldemort en congédiant ce dernier d'un geste de la main. Tout comme cet imbécile d'Edgar Goyle, Narcissa est trop dénuée d'intelligence et de courage pour représenter le moindre danger. Le moment venu, nous saurons retrouver Daisy, et nous l'exécuterons, mais en attendant... Laisse-moi avec Severus, il semble avoir quelque chose d'important à me dire.

Crabbe s'en alla en bousculant Burton. Il semblait furieux de ne pas avoir obtenu ce qu'il voulait.

– Bien fait pour toi, mon bonhomme, marmonna Burton en regardant le colosse s'éloigner.

Au comptoir, Voldemort et Severus Rogue parlèrent à voix basse, et même en tendant l'oreille, Burton ne parvenait pas à distinguer ce qu'il se disaient ; mais pour la première fois, il vit une expression inquiète se dessiner sur le visage du Seigneur des Ténèbres.

– Allons voir Lucius, décida finalement Voldemort. J'ai besoin de ses conseils.

Et ils laissèrent le tavernier seul dans son bar. À l'extérieur, le ciel pâlissait : le jour se levait.

– Quelle nuit, soupira-t-il en balayant les éclats de verre, le dos courbé. C'est plus de mon âge, tout ça...

Puis tout en finissant de ranger sa taverne, il se repassa en mémoire tout ce qu'il avait entendu au cours de la soirée, y compris ce que Voldemort avait dit à propos de Narcissa.

– Dénuée d'intelligence et de courage, répéta-t-il en secouant la tête. Hmm, hmm... Si j'étais lui, je me méfierais quand même...

***

À peine quelques heures après que Sibylle Trelawney eut délivré à Dumbledore la prophétie, le fragment que Rogue avait entendu dans l'auberge de La Tête de Sanglier était donc déjà parvenu aux oreilles de Voldemort, mais également de Lucius.

Peu de temps après cette nuit-là, le mois de juillet commença. La réaction de Lucius fut immédiate : puisque cette prophétie prédisait la naissance d'un adversaire redoutable avant la fin du mois, il était nécessaire de surveiller de près les naissances des jeunes sorciers, afin de pouvoir tuer au berceau tous ceux qui étaient susceptibles de correspondre.

Malgré les risques que cela engendrait, Lucius se déplaça donc en personne aux abords du Ministère et parvint à soumettre à l'Imperium un agent haut placé du Département de registration des naissances, qui fut chargé de lui faire un rapport quotidien sur les activités du service, chaque soir, à minuit.

Au manoir des Malefoy, tout au long du mois de juillet, chaque jour s'égrena dans une tension insupportable, suspendu par l'attente d'une hypothétique naissance. Voldemort, Lucius et Rogue dormaient à peine, et passaient leurs journées à faire les cent pas devant la cheminée des Malefoy, se répétant jusqu'à la nausée les deux phrases que Rogue avait entendues de la bouche de Sibylle Trelawney...

Celui qui a le pouvoir de vaincre le Seigneur des Ténèbres approche... Il naîtra de ceux qui l'ont par trois fois défié, il sera né lorsque mourra le septième mois...

Et chaque soir, dès que minuit approchait, ils se rassemblaient tous les trois près de la cheminée, par l'intermédiaire de laquelle l'agent du Département de registration des naissances leur faisait un compte-rendu quotidien. Et chaque fois, la réponse était toujours la même.

– Pas de naissance aujourd'hui, disait sa voix mécanique au travers des flammes.

Le manège se répétait chaque jour ; et la fin du mois de juillet approcha sans qu'aucune naissance ne survienne. Alors qu'ils commençaient à envisager d'autres pistes de recherche, le soir du trente juillet, le message fut différent :

– La naissance d'un jeune sorcier a été signalée, les informa placidement l'agent du Ministère. Un garçon. Il se nomme Neville Longdubat.

– Longdubat, répéta pensivement Voldemort. N'est-ce pas le nom de ces deux Aurors ? Ils m'ont défié plus d'une fois, cela pourrait correspondre...

– Attendons tout de même demain, tempéra Lucius. Attendons que le mois de juillet soit complètement achevé.

Rogue et Voldemort approuvèrent, et une trente-et-unième journée d'attente commença. Vingt-quatre heures plus tard, en fin de soirée, lorsque minuit sonna la fin du mois de juillet, le feu crépita dans la cheminée.

– Une autre naissance a été rapportée au Ministère ce matin, dit la voix mécanique qui sortait des flammes. Un autre garçon.

Lucius, Rogue et Voldemort échangèrent un regard.

– Quel est son nom ? demanda Voldemort.

Tout le monde retint son souffle. Dans la cheminée, les flammes bondissantes vacillèrent, puis la voix s'éleva de nouveau.

– Il s'appelle... Harry Potter.


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