Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 25 : La hache d'Oleg

9747 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 06/05/2025 20:29

La hache d'Oleg



Ce jour-là, Adam Claring fut incapable de sortir de son lit. Il aurait pensé ressentir un certain soulagement, après avoir obtenu la vengeance qu'il avait tant désirée, mais à l'inverse, il ne s'était jamais senti aussi mal.

Assis sur le bord de son lit, grelottant de fièvre, trempé de sueur, il s'efforçait de caresser sa chienne Nelly, dans l'espoir d'en tirer un semblant de réconfort ; mais cela n'avait strictement aucun effet. Pour la énième fois, il se repassa le cours des évènements récents, avec l'impression persistante de manquer quelque chose d'important... Mais quoi donc ?

Il ne pouvait pas s'être trompé sur le compte des Goyle. Après tout, lors de leur entrevue en tête-à-tête et sous l'emprise des dernières gouttes de Veritaserum, Fergus Goyle avait lui-même confirmé tout ce qu'Ombrage lui avait dit : il avait avoué être un Cracheflammes, il avait admis qu'il se trouvait bien sur les lieux du crime le soir de la mort de ses parents, qu'il y avait été entraîné par son épouse et qu'il s'était servi de ce don très rare pour manipuler le Feudeymon qui avait détruit l'immeuble. Il avait également avoué qu'il avait lui-même apprivoisé les deux dragons qui avaient détruit le pensionnat Wimbley... Alors, pourquoi est-ce que son visage rondelet ne cessait de hanter ses pensées ? Pourquoi ressentait-il tant de culpabilité en songeant que ces deux monstres avaient reçu le Baiser du Détraqueur ? Certes, il s'en voulait terriblement de ne pas avoir eu la force de leur demander plus d'informations sur les Mangemorts, et d'avoir agi si impulsivement, sans en parler à personne, mais il y avait encore autre chose, Adam le sentait...

La nuit tomba sans qu'il ne parvienne à mettre le doigt sur ce qui le tracassait autant. Il resta prostré, la tête entre ses mains, jusqu'au milieu de la nuit – ou plus précisément jusqu'au moment où Nelly se mit à grogner.

La chienne au pelage brun leva la tête, les oreilles dressées, se dressa sur ses pattes arrière pour regarder ce qui se passait au-dehors, et se mit à aboyer. Inquiet, Adam oublia ses réflexions pour rejoindre Nelly près de la fenêtre, et il sentit son sang se glacer.

– Bon sang, jura-t-il.

Ce qu'il redoutait depuis le début de la guerre était arrivé. En plus des Sortilèges de Protection habituels, son jardin était entouré par une ligne phosphorescente qui éclairait sa maison d'une lueur sinistre : il s'agissait d'un Transplabloc, l'un de ces fameux instruments magiques utilisés par le Ministère pour empêcher ceux qu'ils poursuivaient de transplaner. Hélas, comme c'était le cas pour d'innombrables objets magiques, plusieurs Transplablocs étaient tombés aux mains des Mangemorts, et ces derniers s'en servaient régulièrement pour piéger leurs cibles au milieu la nuit – c'était d'ailleurs précisément ce qu'ils étaient en train de faire.

Adam compta silencieusement le nombre de Mangemorts qui étaient postés autour de sa maison. Ils n'étaient que quatre, mais ils n'avaient même pas pris la peine de mettre leur cagoule ; et Adam n'était pas idiot, il savait pertinemment ce que cela signifiait. Il ignorait comment, mais ils avaient fini par trouver son adresse. Et, bien qu'ils ne l'aient pas encore fait, ils avaient sûrement trouvé un moyen d'anéantir les Sortilèges de Protection qui entouraient sa maison : autrement, si Adam avait eu la moindre chance de survie, la moindre chance de leur échapper, ils n'auraient pas retiré leurs cagoules, ils n'afficheraient pas ces sourires féroces et triomphants. Ils ne pouvaient pas encore l'atteindre, mais ça n'était qu'une question de temps.

Le cœur battant, Adam Claring regarda en direction d'une autre maison que la sienne, qui se situait à quelques centaines de mètres, un peu plus haut sur la colline. C'était celle que Sirius habitait depuis peu, et elle était plongée dans l'obscurité : son jeune ami devait y dormir paisiblement. Soulagé, Adam constata que la maison en question n'était visée par aucun Transplabloc, et qu'aucun Mangemort ne se trouvait à ses abords. Les Mangemorts ignoraient donc qu'un autre membre de l'Ordre du Phénix se trouvait à proximité... Adam pria intérieurement pour qu'aucun bruit ne réveille Sirius, pour qu'il ne vienne surtout pas à son secours – car il serait tué aussi, inévitablement.

Résolu, Adam se détourna de la fenêtre et fit signe à Nelly de le suivre. Talonné par la chienne apeurée, il descendit au rez-de-chaussée, puis au sous-sol, où se trouvait le bureau où il avait l'habitude de travailler. D'un geste rapide, il ouvrit une petite trappe qui se trouvait sur le sol, à peine assez grande pour laisser passer un enfant ; et il se tourna vers Nelly, qui l'observait avec appréhension.

– Vas-y, ordonna-t-il. Va-t'en, vite !

Cette petite trappe était la seule faille dans les Sortilèges de Protection qui entouraient sa maison. Une faille qui avait été conçue pour permettre le passage d'un animal, afin que Nelly puisse aller et venir à l'extérieur, mais pas celui d'un être humain, afin d'éviter la moindre intrusion chez lui.

Face à Adam, Nelly poussait des geignements suppliants qui lui broyaient le cœur. Évidemment, elle refusait de s'enfuir, car elle avait parfaitement compris ce qu'il se passait.

Dans un éclair de lucidité, Adam saisit sur son bureau l'ouvrage qu'il avait terminé quelques jours plus tôt, et le tendit à Nelly.

– Il faut que tu sauves ça, insista-t-il. Pour que je n'aie pas fait tout cela en vain. Et il faut que tu rejoignes Ted, et Alastor... Il faut que tu restes auprès d'eux, ils ont besoin de toi. Allez, vite ! Pars !

Devant la fermeté qu'il y avait dans la voix d'Adam, Nelly finit par renoncer à rester. Tout en poussant des gémissements désespérés, elle prit le livre dans sa gueule, franchit la trappe et s'en alla.

Le cœur serré, Adam se rendit dans le salon et regarda autour de lui avec émotion. Il avait toujours adoré sa maison. Il en était si fier qu'il avait refusé de l'abandonner, lorsqu'Alastor lui avait recommandé de changer régulièrement d'adresse. Par orgueil, il avait refusé de renoncer une troisième fois à son chez-lui à cause des Mangemorts, et cette erreur allait lui coûter la vie.

Machinalement, il se rapprocha d'une étagère et s'empara de l'une des photographies qui y étaient exposées : on l'y voyait, tout bébé, dans les bras de ses parents qui se souriaient avec une grande fierté. Juste à côté d'eux, un troisième adulte était présent : avec ses yeux bleus et ses longs cils dorés, Thomas Everly regardait Adam avec une affection teintée d'une infinie tristesse.

– Pardonnez-moi, Papa et Maman, murmura Adam à l'intention de la photographie. Pardonne-moi, mon cher Thomas... Je n'ai pas été assez fort. Je n'ai pas été assez intelligent. Je pensais que la justice viendrait. Je pensais que je pourrais changer les choses, en souvenir de vous... Mais je me suis trompé.

De l'autre main, il s'empara d'une deuxième photographie. On l'y voyait, âgé de cinq ans, accompagné d'Eleanor Wimbley, de Ted Tonks et d'Alastor Maugrey, devant le pensionnat Wimbley fraîchement construit.

– 'Leane, nous n'avons pas su protéger ce que tu avais construit... Pardonne-nous pour ça. Alastor, toi qui veillais sur nous, je sais que tu continueras de lutter, jusqu'à la fin... Et toi, Ted... Surtout, prend bien soin d'Andromeda, et de ta petite Nymphadora.

Il pressa les deux cadres contre sa poitrine, et prit une grande inspiration.

– Restez bien près de moi, dit-il.

Il alla prendre une bouteille de vin dans l'un de ses placards, puis il se dirigea vers la porte et sortit sur le perron de sa maison. Dans l'herbe et sur les murs de la petite maisonnette, le quadrillage phosphorescent du Transplabloc luisait cruellement. Adam essaya une dernière fois de transplaner, en désespoir de cause, mais il dut se rendre à l'évidence : toute tentative de s'échapper était vouée à l'échec.

– Ah, voilà notre champion, ricana l'un des Mangemorts en le voyant descendre. Alors, on a du mal à trouver le sommeil ?

Sans répondre, Adam s'assit sur les marches du perron et posa soigneusement les deux photographies à côté de lui. Puis il se tourna vers les quatre Mangemorts qui se trouvaient de l'autre côté du champ de protection, toujours incapables de l'atteindre.

– Belle soirée, n'est-ce pas ? commenta-t-il avec toute la décontraction dont il était capable.

– Belle soirée pour mourir, oui, ricana Corban Yaxley. Je t'envierais presque.

Adam sentit sa gorge se nouer, mais il n'en laissa rien paraître.

– Qu'attendons-nous ? s'enquit-il. Sans vouloir vous offenser, je ne crois pas que vos baguettes soient suffisamment puissantes pour détruire ces Sortilèges de Protection... et je ne vois aucun dragon à l'horizon.

– Tu verras bien assez tôt, rétorqua MacNair. Et crois-moi, à côté de ce qui est en chemin, les deux dragons du Pensionnat Wimbley faisaient bien pâle figure.

– Intéressant, commenta Adam. Et comment avez-vous trouvé mon adresse ? Ma maison est pourtant Incartable...

– Malefoy s'en est chargé, répondit évasivement Dolohov.

– Je vois... Ce bon vieux Malefoy, répéta pensivement Adam. Il n'est pas avec vous ? Je pensais qu'il serait ravi d'admirer le spectacle.

– Ne te crois pas plus important que tu ne l'es, Claring. Malefoy ne se déplace que pour les grandes occasions.

– Évidemment. Il vous laisse faire le sale boulot, alors ? Ça ne m'étonne pas de lui, il a toujours réussi à trouver des subalternes pour se salir les mains à sa place.

Un léger malaise passa entre les Mangemorts. Macnair se balança d'un pied sur l'autre, et jeta un regard inquiet à Yaxley, dont la mâchoire se crispa. Quant à Dolohov, il grinça des dents et son visage parut se tordre encore davantage. Pour se donner une contenance, celui-ci extirpa de sa poche une petite boîte rectangulaire, et en en sortit un cylindre vert et phosphorescent.

– Un petit Fumobec pour mieux savourer tes derniers instants, Claring ? proposa Dolohov.

Ses deux compagnons ricanèrent.

– J'ai ce qu'il faut, merci, répondit Adam en se servant un verre de vin.

Avec lenteur, il reposa la bouteille sur la marche de pierre ; et il remarqua quelque chose d'étrange. En effet, à intervalles réguliers, des ondes se formaient à la surface du liquide vermeil.

Boum.

Boum.

Boum.

Des coups sourds retentissaient dans la campagne, venant de l'horizon. Une bourrasque fit frissonner l'herbe autour de la maison, et plusieurs craquements sinistres montèrent de la forêt qui se trouvait au bas de la colline.

Quelque chose d'énorme approchait.

Adam jeta un dernier regard aux deux photographies qui se trouvaient à côté de lui, puis vers la maison de Sirius, où, à son grand soulagement, aucune lumière ne s'était allumée. Il s'efforça de respirer calmement, fit tourner trois fois l'une de ses bagues autour de son annulaire ; et il en détacha une petite bille bleue et brillante, qu'il fit rouler entre ses doigts.

Nous sommes donc insignifiants à ce point, pensa Adam, pour que tant de souvenirs et tant de rêves puissent être détruits à jamais par une si petite chose. Une bille sous la langue, et nous ne sommes plus que ténèbres et silence...

– D'ailleurs, railla Dolohov, on ne t'a même pas remercié pour les Goyle...

– C'est vrai, ça, s'esclaffa Yaxley. Tu as assuré.

Adam cessa de jouer avec la petite bille de poison et leva les yeux vers ses interlocuteurs.

– Une situation embarrassante, ces Goyle, renchérit MacNair. Il paraît que tu as gobé tout ce que cette Ombrage t'a raconté ? Tu as vraiment cru que ce gnome de Fergus Goyle était de taille à contrôler un Feudeymon ?

Le cœur d'Adam repartit au galop, et de nouveau, les souvenirs des dernières heures se remirent à défiler. Fergus Goyle, son regard bouleversé, ses réponses inachevées...

Répondez-moi par oui ou par non, lui avait-il ordonné après lui avoir donné les dernières gouttes de Veritaserum qu'il possédait. Il parlait à toute vitesse, et pressait Fergus Goyle de répondre, car il savait que l'effet du Veritaserum ne durerait pas longtemps...

Étiez-vous présent sur les lieux du crime, cette nuit-là, cette nuit où mes parents sont morts ?

Oui, j'étais là, je...

Votre épouse était là aussi ?

Oui, c'est d'ailleurs elle qui m'a fait venir...

Êtes-vous un Cracheflammes, comme le dit cet article ?

Oui, j'en suis un.

Est-ce que vous vous êtes servi de ce don pour contrôler le Feudeymon qui a tué mes parents ?

Oui... Oui.

Vous êtes donc responsable de la mort de mes parents ?

Eh bien... Oui, c'est vrai. Hélas, je le suis.

Avez-vous vu ceux qui m'ont sorti des flammes ?

Non, je...

Et les dragons qui ont détruit le Pensionnat Wimbley... C'est vous qui les avez apprivoisés ? Ce sont eux que vous avez montré au mariage des Malefoy ?

Oui, c'est moi. Et oui, ce sont eux.

Adam était sorti de la pièce à ce moment-là, ne pouvant en supporter davantage.

Vera et Fergus Goyle étaient donc présents sur les lieux du crime, c'était évident. Alors pourquoi les Mangemorts ne semblaient-ils pas le savoir ? Pourquoi se réjouissaient-ils ainsi de leur disparition ?

Adam tressaillit, et renversa une partie de son verre de vin. La voix de Fergus Goyle venait de déchirer le voile de l'oubli, et un autre souvenir refit surface, bien plus lointain, profondément enfoui depuis des années... Il entendait cette même voix, tout près de lui...

Il est vivant ! Il s'est simplement évanoui, avec toute cette fumée... J'ai éloigné ce maudit Feudeymon, mais je n'ai pu sauver que le petit pour le moment...

La même voix, plus tard...

Laissons-lui un message d'espoir... Ce pauvre petit en aura bien besoin.

Le cœur d'Adam manqua un battement.

Ce n'étaient pas les assassins de ses parents qu'il avait fait emprisonner, mais ceux qui lui avaient sauvé la vie. Si Fergus Goyle s'était servi de son don pour contrôler le Feudeymon, c'était pour l'éloigner de l'immeuble... S'il s'estimait en partie responsable de la mort de ses parents, c'est parce qu'il avait échoué à les protéger... Et s'il n'avait pas vu, à proprement parler, la personne qui l'avait sorti des flammes, c'est parce qu'il s'en était occupé lui-même.

Et lui qui s'était fait embobiner comme le dernier des imbéciles, aveuglé par ses propres préjugés sur les Sang-Pur... Et Nelly qui s'était enfuie, emportant avec elle la dernière chance de transmettre un message à quelqu'un...

Et cet énorme géant qui sortait de l'obscurité.

À la lisière de la forêt, un être gigantesque et monstrueux venait de surgir. Haut d'une dizaine de mètres, sa peau était semblable à celle d'un rhinocéros, et malgré les cicatrices qui déformaient son visage, il était impossible de se tromper sur les intentions meurtrières qui l'animaient.

– Le voilà enfin, commenta Dolohov en levant sa baguette pour attirer l'attention du géant. OLEG !

Le géant les aperçut, ses gros yeux noirs se posèrent sur Adam et un rictus féroce découvrit ses dents pointues. Il tenait une énorme hache se balançait devant lui, étincelante dans la nuit, irradiant d'une magie puissante et bleutée, couverte de chaînes.

À la vue du géant, Adam sentit son cœur accélérer la cadence, ses jambes se tendre vers la fuite – mais tout cela était vain. Il serra le poing autour de son verre, bien décidé à ne pas montrer sa peur aux Mangemorts venus savourer le spectacle.

– Ne t'en fais pas, je plaisantais tout à l'heure, ricana Yaxley en faisant apparaître une corde dans sa main. En réalité, nous n'avons pas l'intention de te tuer aujourd'hui : Malefoy t'attend chez lui, et il est en train de te préparer un bel accueil... Il a quelques questions à te poser, notamment sur les adresses de tes autres camarades...

Adam soutint longuement son regard – puis il lui sourit en retour.

– Malheureusement, je n'aurai pas l'occasion d'apprécier l'hospitalité des Malefoy, répliqua-t-il. Mais bien sûr, vous les saluerez pour moi.

Il avait pris sa décision. Il refusait de mettre en danger d'autres que lui, il refusait de servir d'otage ou de monnaie d'échange, il ne voulait pas risquer de révéler quoique ce soit à propos de ses amis.

D'un geste vif, il mit la petite bille bleue dans sa bouche, puis il leva son verre en direction des Mangemorts.

– À votre santé, déclara-t-il d'une voix forte.

Au moment où il portait le verre à ses lèvres, Yaxley comprit.

– NON ! hurla-t-il, fou de rage.

Adam ferma les yeux et le but d'un trait.

Aussitôt, le souffle lui manqua. Il tenta d'oublier la douleur atroce qui lui perforait l'estomac, d'invoquer en pensée les visages et les étreintes de tous ceux qu'il avait eu la chance d'aimer.

Tu t'es bien battu, mon fils, crut-il entendre.

Nous sommes fiers de toi, dit une autre voix, plus douce.

Adam s'allongea sur le perron, et pressa sa main sur sa poitrine pour apaiser son cœur qui se démenait pour le maintenir en vie, qui se battait contre une force trop grande pour lui.

Quelque part au-dessus de sa tête, le géant leva le bras, et la hache bleutée s'abattit sur le champ de protection. Dans un éclair foudroyant, le dôme enchanté explosa en un million de particules, et pour son dernier instant, Adam fut ébloui par un grand rai de lumière bleue.

D'un même mouvement, dès que la voie fut libre, les quatre Mangemorts se ruèrent en avant et pointèrent leur baguette sur le corps d'Adam Claring.

– Legilimens ! rugit Yaxley, dans l'espoir de lui arracher quelques secrets.

Mais il ne vit rien : au fond des yeux noirs d'Adam Claring, profonds comme l'abîme, les pensées avaient définitivement cessé de fuser.

***

Sirius, lui, ne se trouvait pas chez lui à ce moment-là. Comme cela lui arrivait régulièrement depuis qu'il avait appris la mort de Regulus, il n'avait pas réussi à trouver le sommeil et était allé se promener dans les environs, sous sa forme animale. Ces sorties nocturnes lui permettaient de se défouler, de se sentir libre, et surtout d'éviter de penser.

Alors que le ciel commençait à pâlir à l'horizon, Sirius se décida à reprendre la direction du hameau où il vivait, à deux pas de chez Adam Claring ; et c'est sur le chemin du retour qu'il se rendit compte que quelque chose n'allait pas.

Déjà, alors qu'il se trouvait encore à quelques kilomètres de chez lui, il s'inquiéta de n'entendre aucun oiseau célébrer le lever du jour. En levant la truffe, il flairait dans l'air une odeur de brûlé ; il vit ensuite plusieurs arbres arrachés, des barrières enfoncées, des panneaux abattus. Avec un grondement inquiet, il mit à courir aussi vite que lui permettaient ses quatre pattes, refusant de croire à ce qui était déjà évident.

Il n'y croyait toujours pas en s'approchant de la lisière de la forêt, alors que chacune de ses foulées lui confirmait la localisation de la Marque des Ténèbres.

Il n'y croyait pas davantage lorsqu'il vit la maison d'Adam dévorée par les flammes, ni même lorsqu'il s'y précipita en aboyant. Et lorsque la Brigade de la Police Magique arriva sur place, il se trouvait encore sur le perron de la maison, en train d'essayer de ranimer le corps sans vie qu'il avait extrait des flammes.

***

Quelques heures plus tard, Ted Tonks traversait le hall du Ministère de la Magie, courant à perdre haleine, suivi de près par la chienne Nelly. Lui qui était d'ordinaire si discret et si paisible, il manqua à plusieurs reprises de percuter des employés du Ministère, tant il était affolé. Il ignora leurs regards courroucés, et, trop agité pour attendre l'ascenseur, il monta quatre à quatre les escaliers qui menaient au bureau d'Adam.

Dans le couloir carrelé de vert émeraude, un petit attroupement s'était formé. Plusieurs employés attendaient devant la salle, livides et désespérés – mais Ted ne leur accorda aucun regard. Il entendit à peine les paroles échangées par ceux qu'il frôla en s'approchant :

– Ce pauvre Claring, murmura quelqu'un.

– Paix à son âme, répondit sa voisine.

Juste à côté de la porte, Sirius s'était laissé tomber sur un banc, les yeux dans le vague. Des membres de la Brigade de la Police Magique se pressaient autour de lui en essayant de comprendre ce qu'il s'était passé, mais il restait prostré, sans répondre à leurs questions. Quelques mètres plus loin, Dumbledore et Croupton discutaient à voix basse en regardant Sirius. Rita Skeeter était là également, et malgré son air faussement affecté, on devinait à la danse déchaînée de sa Plume à Papote qu'elle se délectait du spectacle.

Évidemment, Ted n'avait que faire de tous ces gens. Sans se rendre compte qu'il bousculait un membre de la Brigade de la Police Magique, il enjamba les gerbes de fleurs qui avaient été déposées devant la porte, s'engouffra dans le bureau d'Adam et s'arrêta net.

Une fois la porte refermée, la pièce était plongée dans l'obscurité. Les meubles, les livres et les plumes avaient été repoussés contre les murs, et seules quelques bougies vacillantes éclairaient les lieux. Seul Alastor Maugrey était présent, debout au milieu de la pièce, reconnaissable à sa large carrure et à ses cheveux châtains.

– Alastor, dit Ted. Alastor, j'ai vu... Nelly...

Il se tut aussitôt. Il venait de voir le corps mince qui se trouvait devant Maugrey, allongé sur une table, pudiquement recouvert d'un drap violet jusqu'à la poitrine.

– Ils l'ont eu, dit Maugrey d'une voix sourde. Ces salopards l'ont eu.

Ses poings serrés tremblaient de rage. Suivi de Nelly, Ted s'approcha de lui, et au fur et à mesure que ses yeux s'acclimataient à la pénombre, il avait le sentiment qu'on lui broyait le cœur dans un mortier.

Adam.

Ses cheveux noirs, sa cape violette à moitié consumée. Ses yeux noirs, fixes, éteints, vidés de leur fougue habituelle, et cette expression de défi gravée à jamais sur son visage...

– Il s'est empoisonné, l'informa Maugrey. Il a préféré se tuer directement, plutôt que de prendre le risque qu'un Mangemort ne salisse le moindre de ses souvenirs. Plutôt qu'ils ne fassent la moindre victime à cause de lui.

Puis il désigna l'épaule d'Adam, où ses vêtements calcinés laissaient apparaître de graves brûlures.

– Ces chiens ont dû être enragés à l'idée qu'il leur échappe... Ils ont massacré sa maison, brûlé tout ce qu'il possédait...

– Alastor, s'il te plaît, coupa doucement Ted. Plus tard.

Il regarda discrètement son ami : ils ne pouvaient pas communiquer. Il s'était muré dans sa douleur, et était incapable de penser de façon raisonnable.

– Adam était vraiment un phénix, murmura Ted pour lui-même. Et dire que nous ne saurons jamais qui l'a sauvé, qui l'a guidé jusqu'à nous...

Du bout des doigts, il prit la main de Maugrey, qui serrait les poings à se broyer les phalanges.

– Qu'il repose en paix, déclara Ted.

Nelly s'était allongée à ses pieds, et poussait de temps à autre de discrets gémissements. Ted et Maugrey restèrent longuement silencieux, ignorant les quelques personnes qui entraient dans la pièce et en ressortaient aussitôt avec pudeur.

Au bout d'un moment, Ted risqua un regard vers Maugrey, et cessa de retenir ses larmes. C'était exactement ainsi qu'ils s'étaient rencontrés, assis côte-à-côte dans la pénombre, au chevet d'Adam. À cette époque, le petit garçon aux cheveux noirs dont ils ne connaissaient même pas le prénom avait à peine cinq ans. Il était inconscient, gravement brûlé et respirait difficilement. Ted avait alors six ans et habitait le pensionnat depuis plusieurs mois. Maugrey, lui, avait dix ans et venait de perdre ses deux parents, avant d'être accompagné par Dumbledore dans cet endroit inconnu.

Pendant des jours, sans échanger un mot, Ted et Maugrey s'étaient relayés aux côtés d'Eleanor pour tenir la main de ce petit garçon qu'ils ne connaissaient pas encore. Ils avaient surveillé sa respiration, vérifié qu'il ne manquait de rien, guetté le moindre tressaillement de ses paupières.

Une dernière fois, Ted tendit la main et serra l'épaule d'Adam. Malgré leurs postures semblables, cette fois-ci, tout était différent. Adam ne se réveillerait plus. Ils avaient échoué à le protéger, comme ils avaient échoué à protéger leur pensionnat. Et peu importe le nombre d'années qu'il lui restait à vivre, Ted savait qu'il ne pourrait jamais se pardonner cela.

***

L'obscurité glaciale, partout, à perte de vue, à perte de sens.

Une telle souffrance, un tel désespoir... Tout cela était insoutenable. Elle ne pensait pas qu'une telle épreuve puisse exister. Partout où se posait son regard, quelle que soit la direction que prenaient ses pensées, la douleur et l'impuissance envahissaient tout. Il fallait que cela cesse, il fallait sortir d'ici... Mais comment ? Elle avait l'impression d'être paralysée, gelée dans un bloc de glace que rien de saurait faire fondre. Et cette noirceur oppressante, écrasante, tout autour d'elle, où aucune lumière ne pouvait subsister...

Et pourtant si.

Une vague lueur venait d'apparaître, là-bas... Très faible, très pâle, vacillante... Et si lointaine que l'atteindre était inenvisageable. De toute manière, le moindre effort était impossible à fournir. Il était inutile de se débattre...

Au moment où elle renonçait, elle entendit des sons. Il y avait du mouvement. Elle n'était pas seule. Et c'étaient des voix qu'elle entendait, des éclats de voix inconnues... D'abord des syllabes indistinctes, puis des morceaux de phrases...

Allons, Talinski ! Du nerf ! Réchauffez-la, il faut la faire revenir !

J'aimerais bien vous y voir ! Elle est complètement gelée ! Elle n'a réintégré son âme que d'extrême justesse !

Vera, ma chère... M'entendez-vous ? Donnez-moi un signe ! Serrez-moi la main...

Elle connaissait la voix qui venait de s'exprimer. Elle voulut répondre, mais elle ne savait pas comment faire. Et elle était tellement lointaine, à des kilomètres au-dessus d'elle... Elle tentait de se mouvoir dans leur direction, mais elle avait l'impression d'être une enclume au fond d'une mer glaciale. La lumière, il fallait aller vers la lumière... Sortir de cet abîme obscur... Il lui était impossible de bouger. Et pourtant, la lumière se rapprochait, petit à petit... Une lumière orangée, porteuse d'espoir... Il suffisait de la fixer, de se concentrer sur elle...

Au bout d'un moment interminable, elle eut la sensation d'émerger de l'eau glacée, et une éblouissante lumière inonda sa boîte crânienne.

– Première victoire ! se réjouit une voix rocailleuse. Elle ouvre les yeux ! Félicitations, chère madame, vous êtes de retour parmi nous...

Il était impossible de savoir qui parlait, et toujours aussi difficile de bouger. Elle s'efforça de se concentrer sur les choses élémentaires. Elle respirait. Son cœur battait. Elle avait mal partout. Pour le reste... Elle ne savait plus rien. Elle arrivait à peine à distinguer ce qu'elle voyait.

– Vera, je vous en supplie, dit une voix particulièrement douce à côté d'elle. Dites quelque chose...

Cette voix réconfortante lui donna la force d'ouvrir les yeux de nouveau, et d'essayer de distinguer ce qui se passait autour d'elle. La première chose qu'elle vit fut le visage d'un homme de petite taille qui se trouvait à côté d'elle, qui frictionnait ses mains entre les siennes, tout en l'observant avec un mélange d'espoir et d'appréhension.

– C'est moi, Fergus... Me reconnaissez-vous ? demanda-t-il.

Elle fronça les sourcils, incapable de répondre. Elle comprenait à peine ce qu'il disait. Elle parvint tout juste à exercer une légère pression sur sa main, et à regarder le reste de la pièce. Deux autres hommes l'observaient avec appréhension : le premier avait une carrure impressionnante, des mains gigantesques, et il fumait la pipe. Le second était bien plus maigre, plus petit, et il était affublé d'énormes lunettes en cul-de-bouteille. Ils se trouvaient tous les quatre dans une sorte de cachot lugubre, affreusement humide, éclairés par une petite flamme qui vacillait faiblement au milieu d'eux.

– Madame ? appela prudemment le plus chétif des deux inconnus en lui touchant l'épaule. Est-ce que vous m'entendez ?

Vera mit quelques secondes à réaliser qu'il s'adressait à elle, puis finit par acquiescer.

– Comment vous sentez-vous ?

– Je... J'ai froid, murmura-t-elle avec difficulté.

Elle fut étonnée d'entendre sa propre voix. Elle lui paraissait presque étrangère.

– C'est un début, commenta l'inconnu qui fumait la pipe. Quoi d'autre ? Commencez par des choses simples... Regardez, quel est cet objet ?

Vera fronça les sourcils et regarda le petit objet courbé qu'il tenait dans sa main.

– Une pipe, souffla-t-elle.

Ils posèrent encore quelques questions d'apparence anodine ; et au fur et à mesure, Vera se sentait de plus en plus présente, de plus en plus éloignée du gouffre glacial dans lequel elle était tombée. Elle eut le sentiment de réintégrer progressivement son corps, de retrouver ses souvenirs, son identité. Lorsqu'elle eut complètement repris ses esprits, elle se tourna vers Fergus, et une vague de chaleur et d'émotions la submergea.

– Oh, Fergus, murmura-t-elle. J'ai eu si peur !

Le visage de Fergus s'illumina, et il la prit dans ses bras.

– Vous avez été incroyablement courageuse, dit-il avec admiration. Et nous sommes sains et saufs, grâce à ces deux messieurs !

Pendant plusieurs minutes, Vera n'eut pas la force de faire autre chose que de rester blottie contre Fergus. Elle pleura un peu, puis, enfin, se décida à redresser pour remercier les deux inconnus qui leur faisaient face, et qui observaient un silence respectueux.

– Je suppose que c'est à vous que nous devons la vie, renifla Vera.

– En effet, affirma fièrement l'homme qui fumait la pipe.

– Vous nous avez sauvés de ces horribles Détraqueurs...

– C'est à peu près ça, sourit le petit homme.

– Je ne sais comment vous remercier, dit Vera. Je ne sais même pas qui je dois remercier...

Celui qui fumait la pipe, et qui était le plus imposant des deux, lui tendit la main avec un sourire plein de bonhomie :

– Marius Berrycloth, dit-il de sa voix grave et profonde. Charmé de faire votre connaissance, madame Vera.

– Elior Talinski, dit le second en souriant derrière ses lunettes en cul-de-bouteille. Je suis soulagé que vous ayez échappé à ce sort funeste.

– Berrycloth et Talinski, répéta Vera. Je connais ces noms...

– Pardi ! Évidemment que vous les connaissez ! exulta Berrycloth de sa voix tonitruante.

– Attendez... Berrycloth au dessin, Talinski aux dialogues, se souvint Vera. Les caricatures du Hibou Jacasseur, c'est bien cela ?

– Berrycloth était le rédacteur en chef du journal, précisa Talinski. Et j'ai été son assistant pendant des années.

– Je me souviens, maintenant... Votre atelier a pris feu, votre journal était ensorcelé... Puis vous avez été tous les deux emprisonnés pour usage de la magie noire* ! Croupton avait été vivement critiqué pour cela.

– Mais je l'espère ! se rengorgea Berrycloth. Tu entends ça, Talinski ? Nous sommes des martyrs !

– Des martyrs que leur pays a bien vite oubliés, grogna Talinski. Cela va faire sept ans que nous croupissons ici, sans le moindre espoir d'être innocentés un jour !

Cette remarque acerbe rappela brutalement à Vera où ils se trouvaient, et elle regarda autour d'elle avec plus d'attention. C'était donc à cela que ressemblaient les cachots d'Azkaban : trois murs de pierre sombre et humide, un plafond trop bas pour se lever complètement, une planche de bois vermoulu en guise de couchage, et des barreaux solides qui donnaient sur un couloir obscur. Malgré les Patronus qui se trouvaient à côté d'elle, l'atmosphère restait glaciale ; aux grondements réguliers qui se faisaient entendre, et aux vibrations puissantes qui ébranlaient la pierre, on pouvait deviner la présence de la Mer du Nord qui se déchaînait contre les murailles. Quant à Berrycloth et Talinski, ils portaient sur leur cou le tatouage caractéristique des prisonniers d'Azkaban, et étaient habillés de la même toile grise, grossière et rapiécée.

– Comment avez-vous réussi à nous sauver ? s'enquit-elle. Et à nous ramener ici ?

– Oh, ce n'était pas grand-chose, sourit Berrycloth. Vous savez, dès notre arrivée ici, nous avons pris la résolution d'améliorer le quotidien des autres prisonniers. Certains ont fait des choses affreuses, mais nous sommes convaincus que personne ne mérite cet enfermement aussi inhumain. Nous avons donc commencé à nous promener dans la prison, à leur chanter des chansons de notre invention, leur faire des petits numéros d'acrobaties...

– Vous sortez de votre cellule ? demanda Vera, de plus en plus étonnée. Je pensais que c'était impossible !

– Impossible pour la plupart des sorciers, oui, nuança Talinski. Mais notre condition est un peu... particulière.

Il échangea un sourire énigmatique avec son ami.

– Que voulez-vous dire ?

– Eh bien, voyez par vous-même...

D'un même mouvement, Berrycloth et Talinski se redressèrent ; Berrycloth posa sa pipe sur le sol ; et l'instant d'après, les deux compères se mirent à rapetisser à toute vitesse. Leurs vêtements rapiécés se fondirent avec leurs corps, qui se couvrirent de plumes blanches et noires.

Vera cligna des yeux. À la place de leurs deux sauveteurs, deux pies sautillaient sur le sol du cachot. L'une arborait fièrement un volumineux plastron, tandis que l'autre était bien plus chétive, et avait deux taches blanches autour des yeux, rappelant les lunettes en cul-de-bouteille de Talinski.

– Ces imbéciles de Détraqueurs sont aveugles, expliqua ce dernier en retrouvant sa forme humaine. Ils nous repèrent en percevant nos émotions, notre âme, comme s'ils flairaient un délicieux repas... Seulement, à l'état animal, nos émotions sont différentes, plus difficiles à détecter... Et nous pouvons passer à travers les barreaux, ce qui nous permet de nous promener tranquillement entre deux rondes de Détraqueurs.

– Mais... Ils ignorent donc que vous êtes des Animagi ?

– Nous n'avons pas déclaré notre statut au Ministère, déclara fièrement Berrycloth. Et heureusement !

– Lorsque les Détraqueurs ont le dos tourné, nous rendons visite aux prisonniers, poursuivit Talinski. Nous leur donnons des couvertures et nous essayons de les distraire un peu. À force de nous promener dans cette prison, nous en connaissons toutes les failles... Et c'est ce qui nous a permis de vous porter secours.

– Lorsque nous avons compris ce qu'il se passait, nous nous sommes dépêchés d'intervenir, enchaîna Berrycloth. Et même en volant, nous avons failli arriver trop tard... Mais nous avons réussi à donner des coups de griffes et de bec aux Détraqueurs qui vous agrippaient, jusqu'à ce qu'ils lâchent légèrement prise... Ils étaient surpris de rencontrer une résistance, d'autant plus qu'ils ne comprenaient pas d'où venaient ces attaques, puisqu'ils ne pouvaient pas percevoir notre présence.

– Pendant qu'ils tentaient ce comprendre ce qui leur arrivait, Fergus s'est miraculeusement relevé et vous a pris dans ses bras, dit Talinski en souriant à Fergus. Pendant que Berrycloth faisait diversion, je l'ai guidé jusqu'à une faille de la muraille dissimulée par les algues, que nous avons découverte il y a quelques mois...

– Ensuite, les Détraqueurs se sont chamaillés en s'accusant mutuellement d'avoir avalé vos âmes, rit Berrycloth. Ce qui nous a laissé le temps de vous porter jusqu'ici, à travers les quelques passages secrets que nous avons découvert depuis que nous habitons ici. Mais les Détraqueurs ne vont pas tarder à repasser par ici, nous ferions mieux d'éteindre ça...

Sur ces mots, la petite flamme qui vacillait au centre de la pièce s'évanouit, plongeant la cellule dans une obscurité lugubre. À l'évocation des Détraqueurs, Vera blêmit.

– Les Détraqueurs vont revenir ? demanda-t-elle anxieusement en agrippant le bras de Fergus.

– Hélas, oui, confirma tristement Berrycloth. Ils sont passés juste avant votre réveil, et ont malheureusement réparé le barreau de cellule que nous avions réussi à desceller...

– Et ils ne se sont pas rendu compte que nous étions là ?

– Les Détraqueurs n'identifient pas les personnes, expliqua Talinski. Ils n'ont ni vue, ni odorat, seulement un appétit vorace, pour lequel certaines âmes sont plus alléchantes que d'autres... Lorsqu'ils sont passés devant la cellule, mon ami Berrycloth et moi-même nous sommes transformés en oiseaux, devenant ainsi indétectables à leurs yeux : ces créatures démoniaques n'ont perçu que vos deux âmes fort mal en point, et les ont confondues avec les nôtres. Ils ont senti la présence de deux prisonniers, cela leur a suffi, et ils sont partis sans demander leur reste.

Vera hocha la tête, réfléchissant intensément.

– Nous devons sortir d'ici, déclara-t-elle. Notre fille est en grand danger, et tout le pays est menacé... Nous ne pouvons pas rester ici une minute de plus.

Mais face à elle, Berrycloth et Talinski baissèrent les yeux.

– Nous sommes désolés, madame Vera...

– Cela est strictement impossible, affirma Berrycloth. Depuis notre arrivée, nous avons déjà essayé d'organiser l'évasion de quelques prisonniers injustement condamnés... Mais sans succès. Dès que nous avons commencé à échafauder un plan... Les Détraqueurs sentent cela à des kilomètres, ils sentent l'espoir qui anime les âmes... Et ils se relaient nuit et jour auprès des prisonniers qui osent y penser, jusqu'à ce qu'ils soient trop faibles et désespérés pour entreprendre quoique ce soit. Nous sommes les seuls à pouvoir échapper à cet acharnement, grâce à notre statut d'Animagi. Certes, tout à l'heure, nous avons réussi à causer les quelques secondes de confusion nécessaires pour vous sauver la vie, mais cela serait insuffisant pour faire échapper quelqu'un. Et puis, même en y parvenant, il faudrait encore descendre le long des murs sans se rompre le cou, puis traverser la mer déchaînée qui nous sépare de la côte... Avec toute cette brume, ces courants violents et ces vagues impitoyables, personne ne serait capable d'y nager sans être noyé ou pire, fracassé contre les rochers.

Vera secoua la tête, sourde à cet aveu d'impuissance.

– Vous ne comprenez pas, insista-t-elle. Notre fille, notre petite Daisy... Elle est prisonnière d'un homme violent et cruel...

– Votre mari Fergus nous a raconté toute votre histoire, dit doucement Berrycloth. Et nous sommes navrés d'apprendre que votre fille se trouve dans une situation aussi tragique. Nous étions justement en train de réfléchir à une solution pour la libérer, et pour l'instant, une seule nous paraissait envisageable...

– Laquelle ?

Berrycloth et Talinski se concertèrent du regard, puis Talinski prit prudemment la parole.

– Grâce à notre statut d'Animagi, nous pourrions nous échapper tous les deux, voler au-dessus de la mer pour regagner la terre, et tout mettre en œuvre pour libérer votre fille. Mais pour cela... Pour éviter que les Détraqueurs ne sonnent l'alarme, et pour éviter que vous ne soyez démasqués...

– Il faudrait que vous restiez ici, dit Talinski dans un souffle. À notre place, dans cette cellule... Afin que les Détraqueurs ne s'aperçoivent de rien.

Vera écarquilla les yeux.

– C'est pour cela que vous nous avez sauvés ? s'offusqua-t-elle. Pour que nous prenions votre place, et que vous puissiez enfin vous enfuir ?

Talinski et Berrycloth échangèrent un regard peiné. Ils s'étaient attendus à de telles accusations, surtout de la part de deux parents en détresse, mais elles n'en restaient pas moins blessantes pour les honnêtes hommes qu'ils étaient.

En face d'eux, Vera continuait à réfléchir, mais plus elle le faisait, plus elle devait se rendre à l'évidence : elle et Fergus seraient incapables de s'échapper d'Azkaban, surtout dans l'état de faiblesse dans lequel ils se trouvaient. Et à l'extérieur de cette prison... Peut-être que Narcissa trouverait le moyen de venir en aide à Daisy, mais c'était loin d'être certain, et cette incertitude était intolérable...

– Comment pouvons-nous être sûrs que vous allez la libérer, une fois partis d'ici ? demanda-t-elle d'une voix tremblante. Comment pouvons-nous nous assurer que vous n'allez pas l'abandonner à son triste sort ?

– Nous ne pouvons pas vous donner la preuve formelle de notre honnêteté, convint Berrycloth. Il faudra donc nous croire sur parole.

Après une longue hésitation, Vera dut se rendre à l'évidence : ces deux journalistes farfelus étaient les seuls qui puissent les aider. Il fallait les laisser partir.

Ensuite, Berrycloth et Talinski s'employèrent à leur donner quelques conseils pour mieux résister aux Détraqueurs : se concentrer sur des pensées neutres et factuelles, plutôt que sur des pensées heureuses, qui attiraient invariablement les Détraqueurs ; dormir le plus possible ; se forcer à manger tout ce qu'ils pouvaient, même si la nourriture était répugnante...

– Et maintenant, dormez un peu, conseilla Berrycloth lorsqu'ils eurent terminé. Tenez-vous chaud, nous avons eu la chance d'être placés dans cette cellule double depuis que la prison déborde... Et soyez tranquilles, vous êtes bel et bien tirés d'affaire. Quant à votre fille... Nous ne pouvons rien vous promettre, mais nous allons faire tout notre possible pour la libérer. Nous vous donnerons des nouvelles dès que possible.

– Messieurs, je ne sais comment vous remercier, déclara Fergus en serrant leurs mains avec émotion.

– Vous êtes notre seul espoir, renchérit Vera, qui sentait une boule d'angoisse de plus en plus oppressante se former dans sa poitrine.

Une dernière fois, et d'une manière qui semblait sincère, Talinski et Berrycloth firent de leur mieux pour rassurer Vera et Fergus sur leurs intentions ; puis ils reprirent leur forme animale, se posèrent sur le rebord de la meurtrière qui donnait sur l'extérieur, prirent un temps pour calculer leur trajectoire ; et ils s'envolèrent, laissant Vera et Fergus seuls dans la cellule.

– J'ai une bonne intuition, osa dire Fergus après quelques secondes. Je pense que nous pouvons faire confiance à ces deux messieurs... Avant de savoir pour Daisy, ils n'avaient nullement l'intention de nous laisser ici.

– Quoiqu'il en soit, nous sommes bien obligés de les croire, soupira Vera. Sinon... Tout espoir est perdu.

Fergus acquiesça avec gravité, puis entreprit de frictionner les mains de Vera entre les siennes ; et en le regardant mieux, Vera remarqua qu'il était griffé au niveau du cou.

– Ce sont les Détraqueurs qui nous ont fait ça, dit Fergus en remarquant son regard inquiet. Lorsqu'ils ont voulu nous séparer. À mon avis, le froid était si intense que cela nous a un peu brûlés.

Inquiète, Vera effleura le cou de Fergus, puis le sien : là où les Détraqueurs les avaient agrippés, leur peau portait d'affreuses marques violettes, froides et douloureuses.

– Oh, Fergus, soupira Vera. Je vous ai entraîné dans de terribles mésaventures...

– Je vous ai suivi de mon plein gré, corrigea Fergus. Vous m'aviez déjà défendu de participer à votre petit jeu avec les Mangemorts, de peur que ma santé fragile en soit affectée, et c'est moi qui ai insisté pour vous épauler... Vous le savez déjà, mais je me permets de vous le répéter : la seule chose que je désire en ce bas monde, c'est de rester à vos côtés. Pour le meilleur et pour le pire, n'est-ce pas ? Nous avons eu le meilleur, et je m'en estime incroyablement chanceux ; maintenant, il ne nous reste plus qu'à triompher du pire.

Vera lui adressa un sourire attendri, partiellement rassurée.

– Carla m'a dit que vous aviez vu Adam Claring, se souvint Vera. Et qu'après votre entrevue, il était convaincu de notre culpabilité... Que s'est-il passé ?

La mine de Fergus s'assombrit.

– Carla a dit vrai, dit-il avec tristesse. Ce pauvre enfant était dans une telle détresse que c'en était difficile à supporter, à tel point que lorsqu'il est entré, j'ai été incapable de prononcer un mot. En apparence, il semblait furieux, bien sûr, mais j'ai senti qu'il était surtout désespéré... Et sans me laisser l'occasion de protester, il m'a donné les dernières gouttes de Veritaserum qu'il possédait...

Et Fergus raconta à Vera le court échange qu'il avait eu avec Adam Claring.

– Vous avez dit que vous étiez responsable de la mort de ses parents ? Mais, Fergus...

– C'est réellement mon sentiment, affirma Fergus. J'estime que j'aurais dû faire mieux. Bien sûr, j'aurais dû nuancer mon propos, mais avec le Veritaserum, les mots sortaient de ma bouche sans que je puisse les contrôler, et Adam ne m'a pas laissé le temps de développer ma pensée.

Vera hocha la tête, s'adossa au mur du cachot, et ferma les yeux sans pouvoir s'en empêcher.

– Vous êtes épuisée, constata Fergus. Reposons-nous un peu, cette journée a été plus qu'éprouvante.

Vera acquiesça, et se blottit contre son mari. Elle essaya de ne pas penser au futur qui les attendait, et se laissa emporter par la fatigue.

***


(((((* Petite note d’auteur : si vous voulez vous rafraîchir la mémoire à propos de ces deux journalistes, relisez le chapitre 25 du tome 1, Le hibou silencieux.


Et au passage, désolée pour l’ascenseur émotionnel ^^ rassurez-vous, je n’en ai pas encore fini avec Vera et Fergus ❤️

Sachez que mon mec a failli jeter le bouquin lorsqu’il est arrivé à ce passage pendant sa première relecture (oui il est très dramatique et très fan de Vera aussi)... Heureusement, il a quand même lu le chapitre suivant dans la foulée, ce que vous n’avez pas eu la chance de faire donc j’espère que personne n’aura arrêté de lire !!

Bref bisous et courage, ce tome ne va pas devenir très joyeux pour autant mais au moins Vera et Fergus ont la vie sauve. Plein de love et merci de me lire ❤️ )))))


***

La mort d'Adam Claring et l'asservissement des géants furent célébrés quelques semaines plus tard, à l'occasion d'une réunion des Mangemorts au manoir des Malefoy.

Alors que les Mangemorts se réunissaient dans leur grand salon, sous l'œil attentif de Voldemort, Lucius et Narcissa se trouvaient au dernier étage du manoir, debout devant la grande fenêtre qui donnait sur l'avant du jardin. Depuis leur poste d'observation, ils pouvaient voir leur grand portail en fer forgé, leur fontaine sculptée, les paons blancs qui se promenaient dans les allées soigneusement entretenues, et les puissants Sortilèges de Protection qui abritaient leur royaume du monde extérieur. De temps à autre, un Mangemort encagoulé transplanait dans le jardin et remontait l'allée pour entrer dans leur manoir.

Vêtue d'une robe élégante, Narcissa était rayonnante de beauté. Quelques jours plus tôt, sans doute grâce au breuvage qu'elle avait bu et au prix d'insoutenables maux de ventre, elle avait obtenu la réponse qu'elle attendait, et elle avait interprété ce résultat comme l'ultime approbation de tous les choix terribles qu'elle avait faits : après sept ans d'espoirs déçus et d'inquiétudes solitaires, elle était enfin tombée enceinte.

Depuis, elle flottait sur un petit nuage, indifférente à tout le reste. Elle passait ses journées à se promener dans le jardin, à lire des livres ou simplement se reposer dans sa chambre, tout en essayant d'imaginer à quoi ressemblerait l'enfant qui allait naître dans quelques mois et tout ce qu'ils pourraient faire ensemble. Et c'est également cela qui la faisait sourire, alors qu'elle se tenait au bras de Lucius, leur domaine à leurs pieds.

Lucius lui tenait la main, et suivait du regard chaque Mangemort qui entrait dans le manoir. Il paraissait calme, mais lorsque Narcissa se blottit contre lui, elle entendit son cœur tambouriner avec force dans sa poitrine.

– À quoi penses-tu ? demanda-t-elle avec douceur.

Lucius lui adressa un sourire qui se voulait rassurant, et lui caressa la joue.

– Je pense que je suis heureux, répondit-il.

Narcissa savait qu'il mentait – ou du moins, qu'il ne lui disait pas tout. Depuis qu'elle lui avait annoncé sa grossesse, elle surprenait souvent de l'appréhension dans son regard, sans qu'elle puisse déterminer de quoi il s'agissait exactement.

– Tu es sûre que tu veux venir ? demanda encore Lucius. Tu n'es pas obligée.

– Tu disais que le Seigneur des Ténèbres apprécierait...

– Bien sûr. Mais si tu préfères te reposer, je comprendrais parfaitement. Il faut te ménager, après tout...

– Tout ira bien, le rassura Narcissa. J'ai envie de faire ça pour toi. Et puis... je veux être présente pour leur annoncer la nouvelle.

Lucius hocha la tête, et lui sourit avec reconnaissance.

– Merci, dit Lucius.

Narcissa lui sourit en retour et reposa sa tête contre lui. Alors que Lucius la serrait dans ses bras, Narcissa repensa furtivement au rêve qu'elle avait fait de nombreuses fois au cours des semaines précédentes.

Elle avait rêvé de son père, bien entendu – de son véritable père. Dans son rêve, elle se trouvait dans la Chaumière aux Coquillages, entourée de ses deux parents, qui étaient vivants et heureux. Ils semblaient avoir passé leur vie ensemble, ils se tenaient la main avec tendresse, et ils n'avaient d'yeux que pour leur fille Narcissa.

À chaque fois, dans ce rêve, quelqu'un finissait par toquer à la porte. Son père se levait avec entrain pour aller ouvrir ; au moment où il touchait la poignée, Narcissa regardait par la fenêtre et apercevait une Marque des Ténèbres à l'extérieur, au-dessus de leur maison ; elle voulait crier pour arrêter son père, mais une lumière verte l'éblouissait, tout volait en éclats, et elle se réveillait en sursaut, terrifiée à l'idée d'avoir dit quelque chose dans son sommeil qui aurait pu la trahir.

Heureusement, cela n'était jamais arrivé : chaque fois, elle constatait que Lucius dormait profondément, et se rendormissait elle aussi.

– Tu es prête ? demanda Lucius au bout d'un moment. Je pense que tout le monde est arrivé.

– Allons-y, acquiesça Narcissa.

Lucius saisit la canne de son père, qui était appuyée contre le mur ; il examina un court instant le pommeau d'argent sculpté en forme de tête de serpent, puis se détourna de la fenêtre et donna son bras à Narcissa pour l'emmener vers les escaliers.

Narcissa descendit les marches avec précaution ; à côté d'elle, Lucius était attentif à chacun de ses pas, comme si elle risquait de tomber à tout moment. Avant d'entrer dans leur grand salon, ils échangèrent un long regard, serrèrent leurs mains un peu plus étroitement ; puis, avec une lenteur majestueuse, les deux battants de la porte s'ouvrirent, et tous les visages se tournèrent vers eux. En bout de table, Voldemort plissa les yeux, et posa sur Narcissa son regard incandescent.

Dans un silence de plomb, Lucius et Narcissa parcoururent les quelques mètres qui les séparaient de la grande table ouvragée. Lucius tira le siège où il avait l'habitude de s'asseoir pour que Narcissa puisse s'y installer, puis prit place dans le siège voisin, qui revenait habituellement à son père – celui qui se trouvait au centre de la table, légèrement surélevé, pourvu d'un dossier plus large et d'accoudoirs plus confortables.

Les yeux des Mangemorts allaient du siège de Lucius à la canne au pommeau d'argent, interrogeant silencieusement les raisons de l'absence d'Abraxas et de la présence de Narcissa.

Comme son père l'avait fait tant de fois avant lui, Lucius parcourut du regard l'ensemble de la tablée, puis adressa un petit signe de tête à Voldemort, qui l'observait avec amusement.

– Nous pouvons commencer, déclara Voldemort.

– Où est Abraxas ? bondit aussitôt Yaxley, visiblement irrité par l'attitude de Lucius.

– Mon père a succombé de sa maladie il y a quelques semaines, les informa Lucius. Il est enterré dans le petit cimetière qui se trouve au fond du domaine, si certains d'entre vous souhaitent lui rendre hommage.

– Nous n'y manquerons pas, assura Evan Rosier.

– Toutes nos condoléances, renchérit Balderic Parkinson.

Plusieurs Collinards approuvèrent d'un signe de tête, puis échangèrent des regards entendus. Ils avaient tous très bien compris ce que cette petite mise en scène signifiait : désormais, Lucius était le seul maître des lieux. À vingt-cinq ans, il était le seul représentant de la prestigieuse lignée des Malefoy et le bras droit du plus puissant mage noir de leur époque, ce qui faisait de lui le sorcier le plus influent du monde après Voldemort lui-même.

– Narcissa, dit Voldemort de sa voix onctueuse. Peux-tu nous expliquer ce qui nous vaut l'honneur de ta présence ?

Avant de parler, Narcissa croisa le regard de Bellatrix, qui la scrutait avec intensité, essayant de deviner ce que tramait sa petite sœur. Depuis la mort de Regulus, elles ne s'étaient pas vues une seule fois, et Narcissa, sachant à quel point Bellatrix était susceptible de se mettre en danger, préférait ignorer ce que sa sœur aînée faisait de son temps.

Elle sentit Lucius poser une main encourageante sur la sienne, et mit sa culpabilité de côté pour prendre la parole.

– Lucius et moi attendons un enfant, énonça-t-elle simplement.

Autour d'eux, un murmure stupéfait se répandit. Les Collinards exprimèrent bruyamment leur joie, et les félicitèrent avec chaleur, tandis que Yaxley, Dolohov et les autres Embrumés tentaient de masquer leur dépit. Quant à Bellatrix, elle continuait de fixer Narcissa avec stupeur, très pâle, comme si elle se sentait trahie ou piégée.

– Cette bonne nouvelle me remplit de joie, commenta Voldemort. Goyle, je crois savoir que toi et Carla attendez également un heureux évènement ?

Tout le monde se tourna vers l'extrémité de la table, où Edgar Goyle sortit brutalement de ses pensées. Il avait très mauvaise mine, semblait épuisé et avait perdu beaucoup de poids en peu de temps.

– Euh... En effet, bredouilla-t-il. Carla se porte bien, pour l'instant... Notre enfant naîtra au printemps prochain.

De nouveau, plusieurs Collinards le félicitèrent, mais Edgar Goyle n'y prêta aucune attention. À sa suite, Balderic Parkinson annonça que sa femme Juliet était enceinte pour la troisième fois, puis le silence retomba.

C'est à ce moment-là qu'Hector Crabbe s'éclaircit la gorge. D'un regard, il demanda à Voldemort l'autorisation de prendre la parole, qui lui fut accordée.

– Comme certains d'entre vous le savent peut-être déjà, je me suis uni à Daisy il y a quelques semaines...

Non loin de lui, Evan Rosier eut une grimace embarrassée ; Edgar Goyle, lui, regardait ailleurs.

– Eh bien, un enfant Crabbe va également se joindre à tous vos rejetons, annonça-t-il avec brutalité. Un fils, je l'espère... Sa naissance est prévue pour l'été.

Il adressa un sourire cruel à Edgar Goyle, qui était tellement pâle qu'il semblait sur le point de défaillir.

– Toutes ces bonnes nouvelles me remplissent de joie, dit Voldemort d'une voix doucereuse. L'avenir des Mangemorts est donc assuré, mes amis.

Quelques applaudissements retentirent ; Narcissa, elle, garda les poings serrés sur ses genoux, ce que Voldemort ne manqua pas de remarquer.

– Eh bien, Narcissa, dit-il d'une voix doucereuse. Tu ne félicites pas Crabbe pour cette heureuse nouvelle ?

Narcissa se tourna vers lui, mais ne répondit pas tout de suite. Elle avait l'impression d'étouffer, et son cœur battait si fort qu'elle se sentait incapable de parler.

Après plusieurs secondes, elle sentit une légère pression sur son poignet, et vit que Lucius la regardait avec insistance. Au prix d'un effort immense, elle parvint à calmer son affolement intérieur, et à retrouver un visage plus serein. Un peu ailleurs, elle s'entendit féliciter Hector Crabbe, puis elle baissa de nouveau les yeux.

Ensuite, les Mangemorts discutèrent de la démission imminente de Harold Minchum au Ministère de la Magie, de l'avancée des géants, de leur trajectoire, Yaxley raconta avec un plaisir certain l'assassinat d'Adam Claring – mais Narcissa n'écoutait plus rien. Afin de se calmer complètement, elle posa une main sur son ventre, dont sa longue robe noire masquait le léger arrondi ; et elle se sentit aussitôt apaisée.

Le temps des dilemmes était terminé. Il suffisait de dire ce qu'on attendait d'elle, tout simplement. Se laisser glisser. Se conformer. Cesser de lutter.

À une autre époque, Narcissa aurait sans doute sauté à la gorge d'Hector Crabbe, mais ce temps-là était révolu. À présent, la vie qui grandissait en elle était au-dessus de tout. Garantir sa sécurité valait bien tous les mensonges, toutes les compromissions, et tous les massacres du monde.

Et tout irait pour le mieux – oui, vraiment, pour le mieux.


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