Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 24 : Le choix de la raison

7287 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 04/05/2025 20:08

Le choix de la raison



Lorsque Narcissa entrouvrit les yeux, il faisait grand jour. Elle se trouvait dans son lit, chez elle, dans sa chambre lumineuse où les rameaux de vigne peints au mur se balançaient doucement, bercés par une brise imaginaire. Plus haut encore, la verrière peinte sur la voûte du plafond montrait un ciel bleu roi.

Elle cligna des yeux, toujours un peu engourdie, et la douce lumière qui baignait la chambre lui fit mal au crâne. Elle tourna la tête, et eut l'immense soulagement de voir Lucius allongé à côté d'elle, profondément assoupi. Il portait encore ses vêtements de voyage ; ses cheveux blonds étaient sales, il avait de la terre sur les joues ; mais malgré cela, Narcissa ne l'avait jamais trouvé aussi beau.

Malgré la douleur et l'étourdissement, Narcissa se redressa un peu ; et du bout des doigts, sans oser le réveiller, elle effleura sa main, son front, sa joue.

– Comme c'est touchant, dit une voix sifflante et glacée, juste derrière elle.

Narcissa sursauta violemment et fit volte-face, le cœur battant. Confortablement assis dans un fauteuil, le visage dissimulé dans l'ombre de son capuchon, Voldemort les observait avec amusement.

– Je suis ravi de te revoir, Narcissa, ironisa Voldemort. Il s'en est fallu de peu.

Effrayée, Narcissa serra l'épaule de Lucius et la secoua légèrement, afin de le tirer de son sommeil.

– Inutile d'essayer, il ne se réveillera pas tout de suite, l'informa Voldemort. D'ici une demi-heure, peut-être... Lorsque je l'aurai décidé.

Narcissa secoua encore Lucius, avec plus d'insistance ; mais malgré cela, il restait impassible, profondément endormi.

– Vous l'avez ensorcelé, comprit Narcissa, de plus en plus affolée.

– Il avait bien besoin d'un petit somme, après notre périple... Et surtout après cette nuit. Quant à toi, j'avais besoin de te parler en privé.

Narcissa s'assit complètement sur son lit, et ramena ses édredons à elle, comme pour se protéger de Voldemort. Elle avait le tournis, elle se sentait nauséeuse, et tous ses muscles lui faisaient terriblement mal. Elle sentit des bandages sous sa chemise de nuit, sur son épaule griffée et autour de la jambe que le chien avait mordue. Sur sa table de chevet, une pince métallique et des morceaux de verre couverts de sang étaient posés sur un petit plateau d'argent.

Alors que les souvenirs lui revenaient en cascade, une question monta immédiatement à ses lèvres.

– Où est Daisy ?

– Ne t'en fais pas pour elle, sourit Voldemort. Daisy – Mrs Crabbe, devrais-je dire – est chez elle, auprès de son nouveau mari... qui a pris les dispositions nécessaires pour qu'elle renonce à lui fausser compagnie.

– Que voulez-vous dire ? Elle n'est pas blessée ?

– Blessée ? Oh non, voyons... Crabbe l'a peut-être un peu brusquée, tout à l'heure, emporté par la colère... Mais heureusement, tout est rentré dans l'ordre.

Et son sourire malveillant s'étira encore davantage.

– À vrai dire, nous nous sommes surtout inquiétés pour toi, Narcissa. Lucius et moi sommes arrivés juste à temps... Encore un peu, et ces chiens féroces te dévoraient toute crue.

En repensant à la frayeur qu'elle avait eue lorsque les pitbulls s'étaient jetés sur elle, Narcissa frissonna.

– Tu te demandes sans doute ce qu'il s'est passé, n'est-ce pas ? Tu semblais quelque peu confuse, lorsque nous t'avons retrouvée... Eh bien, laisse-moi donc te raconter notre soirée mouvementée.

Voldemort se pencha légèrement en avant.

– Après plusieurs tentatives infructueuses, nous avons finalement réussi à rallier les géants à notre camp. Il nous a fallu rester encore quelques jours auprès d'eux pour consolider notre accord, mais ce matin, nous les avons enfin convaincus de lever le camp... Ils sont en ce moment même en route vers le hameau où vit Adam Claring, guidés par Yaxley, Dolohov, Gibbon et Macnair. Quant à Lucius et moi, nous pensions pouvoir profiter d'un repos bien mérité, et Lucius se faisait évidemment une joie de t'annoncer toutes ces bonnes nouvelles... Seulement voilà : lorsque nous sommes rentrés au manoir, nous n'avons trouvé personne en dehors du cadavre encore tiède d'Abraxas. Au-delà du choc que cela représentait pour Lucius, il a cru que tu avais été tuée aussi. Tu aurais dû le voir te chercher frénétiquement dans toutes les pièces, et t'appeler à cor et à cri dans tout le manoir... J'ai bien cru qu'il allait devenir fou. J'ai fini par le convaincre de m'accompagner sur la Colline d'Émeraude, espérant retrouver ta trace ; et nous t'avons trouvée dans le jardin des Crabbe, à demi morte, sur le point d'être dévorée par ces chiens féroces. Évidemment, Lucius s'est immédiatement porté à ton secours... Il était fou de rage, et j'ai dû le séparer de Crabbe pour éviter un incident regrettable. Après cela, Lucius t'a amenée ici pour te soigner, pendant que Crabbe me rapportait les évènements de la nuit.

Tout en parlant, Voldemort sortit de sa poche une petite fiole remplie de filaments argentés, ni liquides ni gazeux – les souvenirs de Vera.

– C'est là que Crabbe m'a raconté une histoire fort divertissante, sourit Voldemort en faisant tourner la petite fiole entre ses doigts. L'histoire d'un méprisable petit Sang-de-Bourbe, qui est étrangement parvenu à séduire une splendide jeune femme... Et à lui faire porter un enfant, au nez et à la barbe de toutes les familles de Sang-Pur. J'imagine qu'elle t'est familière ?

En se remémorant pleinement tout ce qu'elle avait découvert la veille dans la Pensine, et en réalisant qu'Hector Crabbe et Voldemort avaient pris connaissance de tout cela, Narcissa se sentit perdue.

– Ne t'en fais pas, Narcissa je ne compte pas ébruiter ton secret pour l'instant, susurra Voldemort, comme s'il lisait dans ses pensées. Jusqu'à ce que notre victoire soit assurée, j'aurai besoin des capacités pleines et entières de Bellatrix, ainsi que de celles de Lucius... Et je ne souhaite pas les déstabiliser pour si peu.

Narcissa fronça les sourcils sans comprendre.

– Je comptais révéler toute la vérité à Lucius, mais en arrivant ici, il était si affolé, si choqué d'avoir cru te perdre... J'ai pensé qu'il s'effondrerait, s'il apprenait à quel point tu lui avais menti ; et je ne souhaite pas que cela arrive maintenant, alors que nous sommes si proches de la victoire. J'ai donc décidé de garder ce petit secret pour moi... Et voilà ce que je lui ai raconté. Je lui ai confirmé que les Goyle avaient tué Abraxas, ce qui, je pense, se rapproche de la vérité... Mais ensuite, j'ai légèrement modifié les évènements. Je lui ai dit que les Goyle t'avaient attirée chez eux, en te faisant croire que Lucius était en danger, et qu'ils t'avaient piégée : ils voulaient s'enfuir, et te garder en otage au cas où la situation tournerait mal pour eux... Heureusement, Carla et Crabbe ont courageusement empêché cela. Mais tu étais tellement sous le choc que tu as refusé de croire que les Goyle avaient voulu t'enlever : tu as donc défendu Daisy, et les chiens de Crabbe s'en sont pris à toi... Pour l'heure, Lucius est donc persuadé que tu as été odieusement manipulée par les Goyle, et que ceux-ci ont reçu un juste châtiment.

– Ça ne tient pas debout, protesta faiblement Narcissa. Les Goyle ne feraient jamais une telle chose !

– En effet, je pensais moi-même avoir du mal à convaincre Lucius de toute cette histoire, admit Voldemort. Mais en réalité, il m'a cru aveuglément, sans me poser une seule question. Oh, bien sûr, il doit bien avoir quelques doutes, au fond de lui, mais... Je l'ai bien vu, il ne souhaitait qu'une chose : te croire innocente.

– Et les autres Collinards ? Que leur avez-vous dit ?

– Ils ne savent rien de tout cela. Seuls Crabbe, Lucius et moi t'avons vue sur la Colline d'Émeraude, et nous ne comptons pas ébruiter cet incident. J'ai même jugé dangereux que quelqu'un d'imprévisible comme Crabbe ait connaissance de ce secret si explosif : j'ai donc fait le nécessaire pour qu'il oublie tout ce qu'il avait vu dans la Pensine, afin qu'il ne s'en serve pas de manière inconsidérée.

Narcissa frissonna de nouveau, incapable de prononcer le moindre mot. Dans quelques minutes, Lucius allait se réveiller, et lui demander de confirmer cette histoire – ce qui revenait à renier les Goyle à jamais et à enterrer toute chance de pouvoir réclamer la libération de Daisy.

– Évidemment, il existe une autre version de l'histoire, sourit Voldemort. Une version où tu t'apprêtais à abandonner Lucius, pleinement consciente de la trahison que tu lui infligeais... Et bien sûr, je n'hésiterai pas à la révéler au besoin.

Une larme roula sur la joue de Narcissa. Elle était prise au piège. Elle le savait, et Voldemort le savait aussi.

– Où sont Vera et Fergus ? demanda-t-elle d'une toute petite voix.

Voldemort consulta l'horloge murale qui se trouvait non loin de lui.

– À l'heure qu'il est, ils devraient être en train d'arriver à Azkaban : si l'affaire n'est pas encore conclue, elle devrait l'être dans quelques minutes. Je dois dire que je suis assez admiratif de la manière dont Carla a orchestré tout cela... J'ai été un peu surpris de voir que tout avait été organisé sans mon autorisation, mais Carla m'a expliqué qu'elle avait tout accompli en urgence, devant l'imminence du départ des Goyle, alors que j'étais à l'autre bout du pays. Et elle ne souhaitait pas prévenir Lucius, de peur qu'il ne t'en parle et que tu t'opposes à ce projet... Ce que j'ai finalement compris. Je dois dire que sa méthode a été parfaitement élaborée ; et même si j'avais prévu de les éliminer bientôt, cela a l'avantage de me faire gagner du temps, et m'évite d'avoir à me justifier devant certains des Collinards. Carla sera donc récompensée à la hauteur du service qu'elle m'a rendu.

Catastrophée, Narcissa prit sa tête entre ses mains. L'idée que Vera et Fergus soient sur le point d'être livrés aux Détraqueurs lui était insupportable. Malgré son étourdissement, elle s'efforçait de chercher un moyen de les sauver, mais plus elle réfléchissait, plus l'espoir de trouver une solution s'amenuisait.

Face à elle, Voldemort jubilait.

– N'y pense même pas, Narcissa : il n'y a plus d'échappatoire. Quant à toi, je te fais confiance pour ne plus jamais mettre en doute les actions de Lucius, comme tu as pu le faire par le passé... Car au moindre faux pas, je m'assurerai personnellement qu'il apprenne toute la vérité te concernant.

Sur ces mots, il se leva et se tourna vers la porte, mais se ravisa.

– Ah, bien sûr, j'oubliais... Carla et Edgar tenaient à te transmettre ce petit cadeau.

Il sortit de sa cape un flacon de verre qui contenait une potion rouge sang. Il s'approcha de Narcissa, qui eut un mouvement de recul, et lui tendit la potion.

– Une Potion d'Enfantement, réalisée à la Corne Rouge, par des procédés dont je n'ai pas connaissance... Je ne pensais pas cette prouesse possible, mais il paraît qu'elle a fonctionné pour Carla. Alors, qui sait ? Peut-être ton vœu sera-t-il enfin exaucé.

Comme Narcissa ne s'en saisissait pas, Voldemort posa le flacon sur la table de nuit, lui adressa un dernier sourire malfaisant et quitta silencieusement la pièce.

Dès qu'il fut parti, Narcissa prit le flacon et alla s'enfermer dans la salle de bains. Là, elle s'adossa à la porte et se laissa lentement glisser sur le sol, foudroyée par tout ce qu'elle venait de vivre et d'entendre. Elle avait frôlé la mort deux fois en une nuit, avait été traitée de tous les noms, avait découvert qu'elle-même était née d'un adultère, et que son existence entière n'était qu'un gigantesque mensonge.

Que pouvait-elle faire ? Qu'allait-elle décider ? Comment vivre, maintenant ? Elle ne savait même plus ce qu'elle pensait, ce qu'elle valait, ce qu'elle était.

Elle regrettait amèrement d'avoir accepté de regarder les souvenirs de Vera. Tout ce qu'elle avait vu, tout ce qu'elle avait découvert dans cette Pensine avait détruit le peu de confiance et d'estime qu'elle avait pour elle-même. Et maintenant, comment pourrait-elle continuer à vivre en sachant qu'elle n'était pas ce qu'elle avait toujours cru être, que tout ce qu'elle avait obtenu au cours de sa vie n'était qu'une imposture du début à la fin ?

Dans une autre réalité pas si lointaine, elle ne grandissait pas sur la Colline d'Émeraude mais dans une cave obscure et clandestine, avec deux parents en haillons et Adam Claring comme compagnon de jeu – comment pouvait-elle croire une telle chose ? Comment joindre ces deux univers : celui qui avait été le sien, et celui qui aurait dû l'être ? Que choisir : Cygnus Black, cet homme prestigieux, ambitieux, tant vénéré, qui l'avait inspirée, façonnée, déçue, blessée, qu'elle avait cru son père et qui ne l'était pas ? Ou bien Thomas Everly, ce fantôme d'homme, qui ne lui avait laissé qu'un mensonge comme héritage, le seul homme que sa mère ait vraiment aimé, et qui l'avait pourtant condamnée à l'opprobre pour assouvir ses désirs ?

En réfléchissant à tout cela, Narcissa ne parvenait qu'à une seule conclusion : elle ne pouvait pas vivre sans Lucius. En son absence, elle se perdait, elle commettait les pires folies, jusqu'à trahir celui qui l'avait toujours aimée, qui n'avait jamais rien exigé d'elle ; il fallait qu'il reste à ses côtés, coûte que coûte. Sans lui, elle n'était rien qu'une pauvre folle, condamnée à la perdition.

Il était trop tard pour Vera et pour Fergus. Quant à Daisy, Narcissa avait beau y réfléchir, elle ne voyait aucun moyen de la sauver des griffes de Crabbe : elle avait déjà failli y laisser sa vie. Non, maintenant, il s'agissait de se sauver elle-même. Quant à s'enfuir... Certes, elle pouvait encore quitter le manoir, partir avant que Lucius ne se réveille et ne plus jamais donner signe de vie ; elle serait alors débarrassée de Voldemort, des Mangemorts, de leur violence et de leurs menaces... Mais où irait-elle ?

Chez Andromeda, suggéra une petite voix dans sa tête.

À cette idée, Narcissa tressaillit, et d'autres larmes roulèrent sur ses joues. Retrouver Andromeda, et tout lui dire, tout, sans craindre son jugement... Redécouvrir sa douceur, sa délicatesse, sa bonté... Les yeux fermés, Narcissa se surprit à sourire en imaginant leur étreinte : les bras d'Andromeda autour d'elle, son parfum réconfortant, ses joues si douces et ses yeux rieurs – mais elle revint brutalement à la réalité.

Premièrement, il lui serait factuellement impossible de la retrouver : Andromeda était cachée quelque part, traquée par l'ensemble des Mangemorts avec sa famille. Deuxièmement, Narcissa ne lui avait rien pardonné : Andromeda l'avait blessée, abandonnée, avait causé la mort de leur mère avec son départ si égoïste... Et troisièmement, la présence de Ted et surtout de Nymphadora lui seraient insupportables. Narcissa serait incapable de surmonter sa rancœur vis-à-vis de cette petite fille, a fortiori si elle était condamnée à ne jamais avoir d'enfant.

Ses pensées revinrent donc à Lucius.

Lucius...

Si détestable qu'il soit, il était le seul qui puisse la protéger de tout. Il l'avait déjà protégée de tant de choses : du deuil de sa mère, des moqueries, de la guerre. Depuis leur rencontre, il ne cessait de lui prouver son amour de multiples manières... Et enfin, il venait de lui sauver doublement la vie : une première fois en tuant les deux chiens de Crabbe, et une deuxième sans même s'en rendre compte, en se montrant si affolé à l'idée de la perdre que Voldemort en personne s'était senti obligé de mentir pour elle. Narcissa pouvait-elle renoncer à cet amour brûlant, en avait-elle le droit ?

Sans compter qu'un autre paramètre venait de rentrer en jeu.

Un peu hébétée, Narcissa baissa les yeux vers la Potion d'Enfantement qu'elle serrait contre sa poitrine. Le liquide était rouge sang, et pulsait dans sa main comme un cœur battant, ce qui avait quelque chose de répugnant – mais aussi de fascinant. Attachée au flacon, une petite étiquette portait la mention : Potion d'Enfantement – À consommer en une seule fois, juste avant l'accouplement.

En restant avec Lucius, en buvant cette potion, il y avait peut-être un enfant à la clé. Un enfant qu'elle désirait depuis des années, depuis l'instant où sa vie avait été unie à celle de Lucius – peut-être même depuis sa plus tendre enfance, depuis la première fois qu'elle avait tenu une poupée dans ses bras...

À cette pensée, elle sentit quelque chose bondir en elle, au plus profond de ses entrailles. Elle n'avait jamais su pourquoi ce désir d'enfanter était si puissant, comparé aux autres femmes de son entourage. Était-ce une manière de combler quelque chose, de se réparer ? De revenir à tout prix à l'insouciance qu'elle avait connue enfant ?

– Narcissa ?

Elle sursauta : dans la chambre, de l'autre côté de la porte close, Lucius venait de l'appeler. Elle n'avait plus le temps de s'interroger : il était temps d'agir. Elle se leva d'un bond, et se plaça face au grand miroir au cadre doré, tenant le flacon de Potion d'Enfantement au creux de ses mains. Serait-elle encore capable de se regarder dans ce miroir, après le choix terrible qu'elle était sur le point de faire ?

Elle entendit Lucius s'approcher, frapper trois petits coups à la porte, essayer d'ouvrir.

– Narcissa ? Tu es là ?

Sa voix trahissait de l'inquiétude, et Narcissa eut aussitôt l'envie irrépressible de le prendre dans ses bras. Elle serra les poings : elle n'avait plus le droit d'hésiter.

En un clin d'œil, elle ouvrit le flacon de Potion d'Enfantement donné par Voldemort et le but d'un trait, jusqu'à la dernière goutte. Elle avait un goût de sang. Puis elle le cacha dans un tiroir, au milieu d'autres flacons, essuya les traces rouges que la Potion avait laissé sur ses lèvres, se rinça la bouche ; et enfin, elle et se précipita vers la porte et l'ouvrit à la volée.

Dès qu'elle se retrouva face à Lucius, les faibles doutes qui subsistaient encore en elle partirent en fumée. Sur le visage de son mari, elle pouvait lire toutes les émotions et toutes les pensées qui se bousculaient en lui. Elle voyait qu'il était soulagé de la voir en vie, face à lui ; elle voyait aussi à quel point il avait eu peur qu'elle meure, et peur qu'elle l'ait abandonné.

– Cette nuit, articula-t-il avec difficulté. Que s'est-il passé ?

Narcissa ne sut que répondre. Elle ne voulait plus qu'une chose : effacer cette expression anxieuse du visage de Lucius, l'embrasser, se rendormir dans la chaleur de ses bras, puis, lorsqu'ils seraient bien reposés, se promener avec lui dans le jardin et ne plus penser à toutes les choses affreuses qui se passaient au-dehors.

Et elle voyait bien qu'il en était de même pour Lucius, car tout, dans son attitude, la suppliait de le rassurer, depuis ses mains tremblantes, à ses yeux clairs embués par l'inquiétude.

 – J'ai cru que tu étais morte, murmura-t-il. Et ensuite, quand je t'ai retrouvée... J'ai cru que... Que tu avais essayé de t'enfuir loin de moi, à cause de notre dernière dispute.

Il était clair qu'il brûlait de la prendre dans ses bras, et qu'il n'attendait d'elle qu'une chose : qu'elle confirme tout ce que Voldemort avait dit. Une part de lui doutait certainement d'elle, mais il refusait de l'écouter, il luttait pour repousser cette idée, et comme Narcissa, son seul désir était que tout rentre dans l'ordre.

Avec autant de conviction que possible, Narcissa secoua la tête.

– Je ne te trahirai jamais, dit-elle en sachant pertinemment que c'était exactement ce que Lucius voulait entendre.

Elle s'avança vers lui, mais Lucius l'arrêta d'un geste.

– Le Seigneur des Ténèbres a dit que les Goyle t'avaient tendu un piège, dit-il. Qu'ils t'avaient manipulée pour t'emmener avec eux.

Narcissa songea que s'il était prêt à croire de telles choses, ou à faire semblant de les croire pour pouvoir continuer à l'aimer, alors c'était bien la preuve qu'elle n'avait rien à craindre de lui.

Au moment où elle allait parler, elle pensa à la trahison qu'elle s'apprêtait à infliger à Daisy, et sa vue se brouilla.

– Tout est vrai, dit-elle pourtant. Tout ce qu'il a dit est vrai, je te le promets.

La méfiance s'effaça aussitôt du visage de Lucius, remplacée par un immense soulagement. Il avait choisi de la croire. D'un même mouvement, ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre.

– J'ai eu si peur, murmura Lucius en la serrant de toutes ses forces. Pardonne-moi, je n'aurais jamais dû te laisser ici... Et les horreurs que je t'ai dites avant de partir... J'y ai repensé pendant tout le voyage, je m'en suis tellement voulu... Je te promets que je n'en croyais pas un mot !

– Pardonne-moi aussi, supplia Narcissa en s'agrippant à lui. Pardonne-moi pour tout. J'ai eu tellement peur de te perdre !

Et elle éclata en sanglots – des sanglots sincères, même si leur cause n'était pas celle que Lucius croyait.

– C'est fini, dit Lucius en lui caressant délicatement les cheveux. Tu es en sécurité, et nous ne nous quitterons plus.

– Tu m'as sauvé la vie, dit Narcissa en resserrant son étreinte. Tu m'as sauvée de ces horribles chiens...

– Et tes blessures ? Tu n'as pas mal ?

– Je ne sens plus rien, assura Narcissa.

Ils échangèrent un long regard, comme s'ils se promettaient silencieusement de ne plus jamais parler de cette nuit, de faire comme si rien de tout cela n'avait eu lieu, comme si les Goyle n'avaient jamais existé. Ils s'embrassèrent longuement ; puis ils s'allongèrent lentement sur le lit, où ils s'unirent avec plus de passion que jamais, comme pour sceller cette terrible promesse.

***

À des kilomètres de là, Vera essayait désespérément de se dépêtrer de la confusion dans laquelle elle était plongée. Elle se trouvait dans un endroit sombre, trop épuisée pour bouger et incapable de se souvenir comment elle était arrivée là. En effet, sans qu'elle arrive à déterminer pourquoi, il lui était incroyablement difficile de réfléchir, ou même d'observer ce qui se passait autour d'elle. Ses sensations étaient inconstantes, et le cours de ses pensées était profondément perturbé : le passé et le présent s'y mélangeaient dans un tourbillon chaotique, qui l'emportait sans cesse et l'empêchait de raisonner.

Alors qu'elle se demandait pour la centième fois ce qui était à l'origine de cet égarement particulièrement angoissant, une image parvint à surgir dans son esprit : celle d'une petite dame habillée de rose, au sourire de hyène, qui pointait sa baguette sur elle. Oui, indéniablement, c'est à partir de là que tout était devenu nébuleux... Mais qui était-ce ? Et que faisait-elle dans son salon ? Vera était incapable de s'en souvenir.

L'énergie qu'elle dépensa pour arriver à cette conclusion l'épuisa, et elle fut incapable de résister au souvenir qui s'imposait à elle, éparpillant de nouveau toutes les pensées qu'elle était parvenue à rassembler... Non, il ne fallait pas se laisser déconcentrer, il fallait... Fergus...

Fergus était là, devant elle.

Il avait treize ans, elle en avait quatorze ; ils se trouvaient au pied du château de Poudlard, en pleine nuit, et se rencontraient pour la première fois. Druella et Thomas venaient de s'éloigner ; Fergus regardait Vera avec émerveillement, et Vera n'avait d'yeux que pour les plantes rondes qui venaient de tomber sur le sol.

– Ce sont des Choux-Broute ! s'exclama-t-elle. Mais où... Où les as-tu trouvés ?

– Près du lac, là où il est formellement interdit d'aller.

Vera s'approcha, et prit l'une des plantes entre ses mains. Elle effleura sa forme ronde, à la frontière entre le fruit et la fleur ; puis elle observa minutieusement sa tige bleutée, particulièrement robuste.

– Épatant, dit-elle avec émerveillement. Vraiment, c'est épatant...

– Oui, merci, dit Fergus.

Vera l'aida à ramasser les quelques plantes dispersées sur le sol.

– Cela est, je dois dire, très rare de rencontrer des personnes aussi fantastiques et admirables que vous semblez l'être, déclara Fergus lorsqu'ils eurent fini de ramasser. Puis-je connaître votre délicieux prénom ?

Vera se tourna à gauche, à droite, et le regarda comme s'il avait des problèmes de vue.

– C'est à moi que tu parles ?

– Bien sûr, répondit-il avec le plus grand sérieux.

– Mon délicieux prénom ?

– Ne l'est-il pas ?

Vera ouvrit de grands yeux ronds.

– Euh... Je m'appelle Vera.

– Ve-ra ! articula Fergus avec enthousiasme. Félicitations, c'est très charmant !

Il parlait avec un franc sourire, un enthousiasme contagieux et un accent hollandais à couper au couteau.

– Fergus Dijkstra, D-I-J-K-S-T-RA, dit-il en tendant la main, faisant tomber à nouveau quelques Choux-Broute.

– Mince alors, rit Vera. T'en as un nom...

Elle lui serra la main, et le sourire du garçon s'élargit encore.

– En effet, c'est bien vrai, dit-il avec fierté. Merci !

Et Vera rit encore.

– J'aime beaucoup quand vous riez, ma chère. Pour être franc, j'en ai des chatouillis dans le ventre.

Vera eut l'air un peu désarçonné ; mais le ton de Fergus restait dépourvu de toute trace d'ironie.

– Voulez-vous aller vous promener avec moi ? proposa-t-il.

Vera regarda autour d'eux. Il pleuvait de plus en plus fort ; ils étaient déjà trempés, malgré le maigre abri que leur offrait le château ; et le domaine de Poudlard avait disparu derrière des rideaux de pluie.

– Par ce temps ?

Fergus regarda à son tour, et parut découvrir avec émerveillement que des seaux d'eau se déversaient sur Poudlard.

– Fantastique ! Il pleut ! Les limaçons seront de sortie, et nous pourrons faire quelques glissades dans la gadoue si le cœur nous en dit. Alors, vous me suivez ?

Désemparée par tant d'enthousiasme, Vera lui emboîta le pas, ses quelques Choux-Broute dans les bras, laissant la pluie noyer l'éclat cuivré de ses cheveux dans la plus grande indifférence.

La pluie...

Il pleuvait, et terriblement fort. Elle n'était pas à Poudlard, elle s'était trompée... Mais alors, où ? Fergus n'était pas loin, elle le sentait, mais il était en danger... Un enfant aussi... Et elle avait peur, terriblement peur...

– FERGUS !

Elle criait. Elle cherchait une échappatoire. Fergus était bien là, mais ils se trouvaient dans une impasse lugubre, acculés par des silhouettes malveillantes... Un immeuble en flammes venait de s'écrouler, ensevelissant Thomas, ainsi que Jacob et Sarah Claring... Elle tenait un petit enfant brun dans ses bras, qui n'était pas le sien, et un autre grandissait dans son ventre légèrement rebondi.

– Ils sont au service d'Abraxas, sans aucun doute, devina Fergus en désignant les trois hommes qui les poursuivaient. Ils m'ont vus sauver le petit, et ils veulent terminer le travail.

Vera serra contre lui le garçon aux cheveux noirs. Adam Claring devait avoir cinq ans : il était inconscient, sa peau était brûlée à plusieurs endroits, et il respirait difficilement.

– Fergus, ils arrivent !

– Restez derrière moi, et ne transplanez qu'en ultime recours, ordonna Fergus. Cet enfant est extrêmement faible, un transplanage pourrait l'achever.

Trois bandits encagoulés les encerclèrent, baguette en main. Les trois silhouettes s'approchèrent d'un pas lourd, tout en ricanant :

– Regardez-moi cette belle petite famille, ricana le plus petit des trois.

– On les connaît, non ? grogna celui qui était de taille moyenne.

– Mais oui, tu as raison... C'est cette grande gourde de Vera Goyle, et son petit gnome de mari ! Alors, vous vous êtes perdus loin de votre jardin botanique ?

– Nous avons fait un léger détour par ici, en effet.

En face de Fergus, les trois bandits continuaient d'avancer, mais il ne reculait pas d'un millimètre.

– Allez, fini de rire, les invectiva le plus grand en tendant la main. Donnez-nous le gosse et on vous laisse partir tranquille.

– Vous n'avez qu'à venir le chercher, proposa aimablement Fergus.

Campé devant Vera et Adam, les vêtements de Fergus étaient quasiment partis en poussière, et pourtant ses épaules continuaient de se soulever à un rythme régulier et paisible.

– Très bien ! Ce sera l'occasion de vous montrer notre petit Feudeymon... Viens par-là, toi ! rugit l'un d'entre eux en agitant sa baguette vers l'immeuble qui venait de s'écrouler.

Sous les yeux horrifiés de Vera, les flammes qui dévoraient les restes de l'immeuble s'animèrent, et une silhouette démoniaque se dressa dans la nuit, entièrement formée de feu. Un rictus féroce prit forme dans les flammes, et un tentacule de feu s'éleva dans les airs, brandissant une sorte de fouet incandescent...

– Fergus ! cria Vera, de plus en plus effrayée.

– Ne bougez surtout pas ! répéta Fergus sans se retourner. Laissez-moi faire !

Le tentacule s'abattit dans leur direction, le fouet fendit l'air avec un grésillement menaçant et s'abattit sur Fergus. Vera poussa un cri ; mais quand elle releva la tête, Fergus n'avait pas bougé. Le fouet était enroulé autour de son bras, et il ne semblait pas souffrir le moins du monde. D'un geste sec, il arracha le fouet à son propriétaire et l'envoya valser sur le sol, où il explosa en millions de braises.

Puis il se redressa, affable.

– Approchez donc, ignoble créature, dit-il en joignant le geste à la parole.

Le démon de feu se jeta sur lui, mais quelque chose d'étonnant se produisit. Au lieu d'engloutir la petite silhouette de Fergus, le feu s'engouffra entre ses bras, où il rétrécit, se comprima, jusqu'à former une petite boule de lumière d'une intensité à peine soutenable, au creux de la main de Fergus...

Celui-ci leva la tête ; ses vêtements étaient quasiment entièrement réduits en cendres, mais son corps ne portait aucune blessure et son visage affichait toujours la même expression sereine. À l'inverse, en face de lui, les trois bandits s'étaient décomposés.

– Étonnant, n'est-ce pas ? leur dit Fergus sur un ton enjoué.

Avec amusement, il souffla sur la boule de lumière, et trois langues de feu roulèrent jusqu'aux bandits, aussitôt transformés en immenses torches hurlantes. Puis il se retourna vers Vera, toujours calme.

– Oh, je suis désolé, dit Fergus avec affliction. Je crains de m'être un peu emporté. Ils vous avaient menacé, et cela m'a mis hors de moi.

– Fergus, partons vite, supplia Vera. Adam est très mal en point.

– Vous avez raison... Nous ferions mieux d'éviter Sainte-Mangouste, Abraxas aura sûrement posté certains de ses alliés là-bas, pour finir le travail au cas où l'un des Claring serait seulement blessé. Oh ! Je viens d'avoir une idée.

– Oui ?

– J'ai entendu récemment parler d'une sorcière qui avait pour projet de construire un pensionnat pour jeunes sorciers... Une femme qui semblait vraiment formidable, je suis certain qu'elle saura protéger notre petit Adam...

La scène s'évanouit, et Vera fut brutalement projetée en avant. Elle avait mal partout, comme si on l'avait battue... Pourquoi était-elle si étourdie ? Elle sentit qu'on se saisissait d'elle, elle sentit l'odeur de la mer, mais, alors qu'elle essayait vainement de comprendre de quoi il s'agissait, elle fut de nouveau propulsée vers le passé...

Elle venait de se cogner contre le volant d'une voiture. Fergus était à côté d'elle, le front luisant de sueur, et semblait sur le point de défaillir ; ils venaient d'atterrir au milieu d'une jolie clairière, devant une bâtisse blanche qui se découpait nettement dans la nuit.

– Pensionnat Wimbley, lut Vera sur la bâtisse. Bien, nous y sommes... Fergus ? Vous tenez bon ?

– Difficilement, gémit Fergus en se tenant la poitrine. Vous savez, ce don de Cracheflammes... me fait terriblement souffrir dès que je l'utilise. Habituellement, ceux qui en sont atteints ne vivent pas longtemps, et se consument de l'intérieur... Je suis un des seuls qui ai réussi à le réprimer, et à m'en préserver, en dehors de quelques rares contrariétés... Ce doit être la troisième fois de ma vie que je libère ce feu intérieur, et je ne me souvenais pas que c'était aussi douloureux. Ma poitrine me brûle affreusement... Et je crois que mon cœur a souffert de cet exploit.

– Vous ne m'aviez pas dit que c'était aussi grave, s'inquiéta Vera. Je savais que votre santé en était fragilisée, et c'est pour cela que je vous préservais... Mais j'ignorais que le moindre débordement pouvait vous tuer !

– Je vais m'en sortir, ne vous en faites pas, sourit Fergus. Je sens que la situation est sous contrôle... Un peu de repos dans votre beau jardin me remettra sur pied... Je ne pourrai pas réutiliser ce don de sitôt, mais c'est le cadet de nos soucis. Ne vous préoccupez pas de moi, ma chère Vera, Adam est toujours aussi mal en point...

– Vous avez raison, approuva Vera. Faisons en sorte de réveiller Eleanor Wimbley, et de lui laisser le petit sans qu'elle nous voie... Si les Collinards apprennent que nous avons sauvé cet enfant, je ne donne pas cher de notre peau.

– Attendez... Encore un petit instant, réclama Fergus.

Avec une plume cassée en deux, il griffonna quelque chose sur un morceau de parchemin à moitié calciné.

– Laissons-lui un message d'espoir, décida-t-il. Ce pauvre petit en aura bien besoin.

Vera se pencha sur le parchemin, intriguée.

– Tel le phénix, l'espoir renaît de ses cendres, lut-elle, impressionnée. C'est de vous ?

– Je me sens particulièrement inspiré, ce soir, sourit Fergus en glissant le parchemin dans le poing d'Adam, qui était toujours inconscient.

Il embrassa le petit garçon sur le front, remit la peluche sur sa poitrine, puis le remit délicatement à Vera, qui l'emporta vers le perron du pensionnat Wimbley...

Puis de nouveau, tout devint confus. Vera avait conscience d'avoir froid, d'être terrorisée, elle entendait des voix brutales et inintelligibles – mais ses souvenirs étaient inextricables de la réalité.

Cachée dans son jardin, elle entendait Abraxas se vanter auprès d'un autre invité d'avoir réussi à débusquer les Claring... Elle vendait des œufs de Dopsidon en secret, et ordonnait aux gobelins de Gringott's de mettre l'argent sur le compte d'Adam Claring... Elle était de nouveau dans son jardin, elle annonçait à sa mère qu'elle renonçait à ses études et à ses voyages, afin de mieux veiller sur Druella...

Druella...

Si pâle, si maigre...

Et ce froid qui la pénétrait jusqu'à la moelle...

– Qu'est-ce qu'il fait froid ici, pesta Vera en posant une bouillotte fluorescente sur le lit de Druella. Quand je pense que Walburga refuse de faire chauffer ta chambre !

Elle ajusta les couvertures autour de Druella. Son amie d'enfance grelottait ; elle était squelettique, livide, et on voyait que le moindre mouvement lui coûtait.

– Tu n'as rien mangé, constata Vera en désignant l'assiette pleine qui se trouvait au pied du lit.

– Je n'en peux plus, gémissait Druella. Vera, je... Je suis à bout de forces. Je suis incapable de me lever... Mon corps rejette tout ce que je mange... Et cela dure depuis des mois... Je suis épuisée.

Vera ne sut que répondre. Elle se contenta de retirer sa cape, ses chaussures, et de se glisser sous les couvertures avec Druella pour la réchauffer. Elle l'entoura de ses bras, et Druella posa sa tête sur sa poitrine avec reconnaissance.

– Je crois que je n'en ai plus pour longtemps, dit Druella dans un souffle.

– Ne dis pas ça, coupa Vera en lui frictionnant le dos.

– Tu vois bien que mon état se dégrade de jour en jour... Je vois bien que tu es inquiète, toi aussi.

Sans répondre, Vera raffermit son étreinte autour d'elle. Druella avait raison, évidemment, mais Vera était tout simplement incapable d'admettre que sa meilleure amie était en train de mourir.

– Il faut que je tienne jusqu'à Noël, murmura pensivement Druella. Il faut que je revoie Narcissa, rien qu'une fois... Mais après...

Elle ferma les yeux.

– Mon corps est en train de lâcher, soupira-t-elle. Il sera bientôt temps pour moi de rejoindre Thomas.

Une larme roula sur la joue de Vera.

– Tu te souviens de la promesse que tu m'avais faite, il y a des années ? demanda Druella, les yeux brillants.

Vera resta interdite, de nouveau incapable d'accepter l'évidence.

– Tu m'as promis que tu veillerais sur elle, insista Druella. Tu m'as promis que tu la protégerais à ma place.

– Bien sûr que je me souviens, dit Vera d'une voix enrouée. J'y pense chaque jour. Simplement... J'aurais aimé ne jamais avoir à honorer cette promesse.

Il y eut un courant d'air glacial, et Vera se retourna pour vérifier que la fenêtre était bien fermée...

Mais il n'y avait plus de fenêtre.

Il n'y avait plus de chambre non plus.

Et Druella était morte depuis bien longtemps.

Cette fois-ci, Vera était de retour dans la réalité, bien ancrée dans le présent. L'emprise du Sortilège de Confusion dont elle avait été victime s'était relâchée, et malgré un léger étourdissement, elle avait retrouvé toute sa lucidité.

Elle se trouvait donc allongée sur la pierre, transie de froid. Trois murs de pierre noire d'une hauteur vertigineuse l'encerclaient, percés par quelques meurtrières, toutes pourvus de barreaux. Aucune porte n'était visible, ni aucune échappatoire. Elle ne voyait qu'un triangle de ciel obscur, plusieurs centaines de mètres au-dessus d'eux, là où s'arrêtaient les trois murs qui les entouraient.

Fergus était à côté d'elle, et se frottait la nuque, encore étourdi. Il venait également de reprendre conscience, et tous deux étaient vêtus de la même toile grise et grossière.

– Fergus, dit Vera en lui prenant les mains. Vous n'êtes pas blessé ?

– Je crois avoir été quelque peu brutalisé, mais mes souvenirs sont assez imprécis, admit Fergus. Et vous ?

Sans répondre, Vera le serra contre elle, espérant le réchauffer, se réchauffer elle-même et trouver un semblant de réconfort.

Mais les souvenirs qu'elle parvenait à remettre en ordre pour comprendre où ils se trouvaient n'avaient rien de rassurant. Leur tentative de fugue... Carla, Ombrage, Hector Crabbe qui l'encerclaient... Daisy qui avait été mariée de force à cet horrible monstre... Puis des bribes de souvenirs, une voiture noire, un trajet cahoteux, une barque vermoulue... Non, ils ne pouvaient pas être là où elle pensait être...

– Voilà donc à quoi ressemble Azkaban, commenta Fergus.

Vera secoua la tête, refusant de croire une telle chose. Ils ne pouvaient pas être enfermés ici, ils ne pouvaient pas rester là. Ils devaient partir, aller libérer Daisy et s'enfuir avec elle... Il devait y avoir une solution, rester ici n'était pas envisageable.

Mais plus Vera regardait autour d'elle, plus elle se sentait piégée. Elle ne voyait aucune issue nulle part, aucune cachette, et pire encore : elle avait le sentiment qu'ils n'étaient pas destinés à rester ici très longtemps. Non, décidément, quelque chose ne tournait pas rond... Pourquoi étaient-ils dehors, dans ce triangle lugubre, à l'air libre, en plein milieu de la prison ? Pourquoi n'étaient-ils pas dans une cellule, comme les autres prisonniers ? Et surtout, où étaient les Détraqueurs, qui étaient censés être les gardiens des lieux ?

Elle serra la main de Fergus pour se rassurer, mais ce qui se passait autour d'eux était de plus en plus inquiétant. La prison était étrangement silencieuse, comme si quelque chose de terrible était sur le point d'arriver.

Et soudain, le sol trembla. Une corne de brume résonna longuement dans la prison, comme un signal macabre.

– Ils arrivent, gémit une voix depuis une cellule.

– Cachez-vous ! cria une autre.

L'instant d'après, une chape de plomb s'abattit sur la prison. Le ciel s'obscurcit complètement, comme si le soleil s'était éteint pour l'éternité. Le froid se fit plus intense, et Vera sentit la terreur monter en elle.

– Oh, Fergus, murmura-t-elle, catastrophée.

Ils levèrent les yeux vers le haut des murailles, où des silhouettes encapuchonnées venaient de surgir, tournées vers eux. D'abord quelques-unes, puis plusieurs dizaines.

Après un instant d'hésitation, les Détraqueurs plongèrent dans le vide et fondirent sur eux.

Vera regarda son mari, qui, pour la première fois depuis leur rencontre, semblait soucieux.

– Ma chère Vera, je crois que nous sommes en bien mauvaise posture, dit-il. Et je crains que nos délicieuses aventures ne s'arrêtent ici.

– Fergus, non... Vous pouvez utiliser votre don, vous pouvez...

– Cela ne nous sera d'aucun secours contre ces ignobles créatures, s'excusa Fergus.

Vera secoua la tête, affolée.

– Venez près de moi, proposa Fergus en ouvrant les bras. Et tâchons de rester ensemble jusqu'à la fin.

Ils s'enlacèrent avec force, et Vera ferma les yeux.

Elle pensa à Daisy, à Narcissa, à Adam Claring, à Regulus, à sa chère amie Druella, et à Thomas ; et en voyant défiler leurs visages, elle sentit le désespoir l'envahir. Tout s'effondrait. Elle avait échoué en tout, elle n'avait su protéger aucun de ceux qu'elle aimait.

Le visage enfoui dans le cou de Fergus, elle se concentra sur son souffle, sur leur étreinte, sur la chaleur qu'ils arrivaient à conserver entre eux, alors que la température tombait en chute libre. Elle entendit les Détraqueurs descendre le long des murailles et se jeter sur eux ; elle sentit les mains glaciales et putrides qui s'agrippaient à elle, qui tentaient de la séparer de Fergus ; elle entendit leurs râles terrifiants aspirer le peu d'espoir qui subsistait en elle, jusqu'à ce qu'elle n'entende plus rien.

Elle résista longtemps, malgré l'acharnement des Détraqueurs, mais elle finit par lâcher prise. Un râle retentit, plus proche, plus prolongé : le Détraqueur ne se contentait pas d'aspirer ses souvenirs, mais il l'aspirait tout entière, loin de Fergus, loin d'elle-même, loin de tout.

Horrifiée, elle se sentit chuter dans un trou sans fond.

Puis le monde ne fut que glace et noirceur.



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