Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 23 : Coup de filet

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Dernière mise à jour il y a environ 1 mois

Coup de filet



Immédiatement, Vera se tourna vers le sac de Poudre de Cheminette qui pendait habituellement à côté de la cheminée, mais il avait disparu : elles ne pouvaient plus faire marche arrière. Elle saisit le bras de Narcissa, et celle-ci eut l'impression d'essayer de rentrer dans un tuyau de plomb, mais sans y parvenir.

– Il y a un transplabloc près d'ici, chuchota Vera à toute vitesse. Je ne peux plus transplaner !

Narcissa n’eut pas le temps de réagir. Tout en l'empêchant de parler, Vera l'entraîna vers l'un des piliers de la cheminée ; elle fit pivoter un pan de mur, qui découvrit une alcôve pouvant tout juste dissimuler une personne de taille moyenne ; elle poussa brutalement Narcissa à l’intérieur de la cachette, en lui fourrant Albert dans les bras ; puis elle referma le pan de mur sur eux et s'en écarta vivement.

Une fraction de seconde plus tard, la porte du salon s'ouvrit à la volée. Une jeune femme tout habillée de rose entra, un sourire de hyène sur le visage ; à sa suite, Carla Goyle et Hector Crabbe, qui partageaient la même expression satisfaite ; et enfin, Edgar Goyle, qui regardait le sol avec intensité, comme s'il souhaitait s'y enfouir et y disparaître.

– Et de trois, se réjouit Carla. Adam Claring va être ravi ! Allons, Vera, laissez tomber cette baguette, elle ne vous sera plus d'aucune utilité.

– Edgar, gronda Vera sans obéir. Quelle est cette mauvaise plaisanterie ?

Carla, Ombrage et Crabbe avaient encerclé Vera, leurs baguettes pointées sur elle. Edgar, lui, s'était adossé au mur, pâle comme un linge, et n'était manifestement pas en mesure de lui venir en aide.

Déterminée à se défendre, Vera parvint à désarmer Carla, dont la baguette alla rouler dans un coin de la pièce ; mais Ombrage riposta aussitôt, et Crabbe acheva de la neutraliser. Sa baguette lui échappa des mains, traversa la pièce et atterrit dans l'énorme poing du colosse, qui lui adressa un sourire cruel.

Et Vera se retrouva face à Carla, Ombrage et Crabbe, sans aucune défense.

Depuis sa cachette étroite, Narcissa était horrifiée. Après avoir essayé frénétiquement d'en sortir pour intervenir, elle avait rapidement constaté que le mur était de nouveau scellé, et qu'elle ne parviendrait pas à en sortir sans l'intervention de Vera. Accroupie dans l'obscurité, un œil collé à un interstice entre deux pierres de la cheminée, serrant le pauvre Albert contre elle, elle devait donc se contenter d'assister à la scène, impuissante et désespérée.

Elle avait reconnu Ombrage, qui avait été chargée d'officier son mariage avec Lucius ; elle la connaissait mal, mais sa présence aux côtés de Carla et d'Hector Crabbe ne laissait aucun doute sur ses mauvaises intentions. Quant à la manière dont Carla et Hector Crabbe jubilaient, ils ne pouvaient signifier qu'une seule chose : ils étaient parvenus à neutraliser Daisy et Fergus, et s'apprêtaient à achever le travail en se débarrassant de Vera.

– Attendez avant d'appeler la garde de Claring, ordonna Carla. Je crois que Vera mérite que nous lui donnions quelques explications. Asseyez-vous, Vera...

– Où est Daisy ? Et Fergus ? demanda Vera, toujours sans obéir.

– Patience, patience, minauda Carla. Je vous demande de vous asseoir, ou bien c'est Crabbe qui vous y aidera.

Vera considéra les énormes mains d'Hector Crabbe, qui ne demandaient qu'à la brutaliser ; et elle se décida à s'asseoir sur le fauteuil éventré que lui désignait Carla.

Puis elle leva les yeux vers Ombrage.

– Je vous reconnais, dit-elle avec mépris. Vous êtes la petite fouine que j'ai surprise en train de fouiller dans mes affaires, au mariage de mon fils avec cette garce !

– Tout juste, dit Ombrage en continuant de sourire. Je me souviens aussi de la manière dont vous m'avez faite renvoyer du Département de l'Administration Magique, à la suite de cette petite altercation...

– Malheureusement, vous n'êtes pas allée assez loin, poursuivit Carla à sa place. Après son renvoi, Dolores a conservé un poste au Bureau des Plaintes... Un poste médiocre, certes, mais il avait le mérite de se trouver au Ministère... Ce qui nous a été grandement utile pour approcher Adam Claring.

– Un homme vraiment charmant, Mr Claring, enchaîna Ombrage, qui souriait de plus en plus largement. Il m'a reçue immédiatement, et lorsque je lui ai raconté l'histoire de mon renvoi, il a été révolté par votre conduite odieuse. Pensez-vous : la fille d'une Moldue et d'un sorcier de bas étage, licenciée à cause de la grande et puissante Vera Goyle, dont l'immense manoir domine la Colline d'Émeraude... Son cœur généreux en a été tout bouleversé ! Et à partir de là, il m'a écoutée très attentivement lorsque je lui ai parlé des pouvoirs maléfiques de Fergus, de votre influence sur l'ensemble de la Colline d'Émeraude, et enfin, de ma conviction que vous étiez non seulement à l'origine du meurtre de ses pauvres parents, mais également du massacre du pensionnat Wimbley...

– Oh, non, gémit Narcissa dans sa cachette.

L'œil toujours collé à la pierre, elle avait du mal à s'empêcher de hurler. Elle sentait des gouttes de sueur froide rouler dans son dos ; à ses pieds, Albert essayait désespérément de trouver un moyen de se faufiler entre les pierres pour venir en aide à sa maîtresse, mais sans y parvenir.

– Finalement, le plus difficile a été de le convaincre d'agir rapidement, poursuivit Ombrage. Lui qui s'était opposé à cette nouvelle réforme de Croupton concernant les sentences immédiates... Il voulait à tout prix prendre le temps de la réflexion, faire ses propres recherches, interroger des témoins... J'ai dû prétendre que vous étiez sur le point de lever le camp pour le convaincre, et je vois que je n'avais pas tout à fait tort...

– Je dois avouer que j'ai eu une petite frayeur tout à l'heure, quand Claring a voulu s'entretenir avec Fergus en tête-à-tête, gloussa Carla. Je n'avais pas du tout prévu qu'il aurait encore quelques gouttes de Veritaserum en sa possession, je pensais que les stocks du Ministère étaient complètement vides depuis des mois... À mon avis, Claring a conservé un petit échantillon, au cas où l'occasion de retrouver les coupables qu'il recherchait se présenterait. Quoiqu'il en soit, Claring l'a interrogé dans votre chambre, et je ne sais pas ce que Fergus lui a raconté, mais en sortant de là, Claring semblait encore plus convaincu de votre culpabilité.

– Où sont-ils ? demanda Vera. Où est Fergus ? Et Claring ?

– Pour ce qui est de Mr Claring, vous n'aurez pas l'occasion de le faire changer d'avis. Il est rentré chez lui en nous laissant ses ordres : guetter votre retour et vous envoyer tout droit à Azkaban, avec Fergus. Je crois que son petit cœur sensible a été trop éprouvé par les émotions de ce soir... Et comme je le comprends ! Comme ce doit être bouleversant, de retrouver enfin les meurtriers de ses parents, après toutes ces années...

– Qu'a-t-il fait de mon mari ? demanda de nouveau Vera.

– Vous le retrouverez bientôt, je vous le promets, assura Carla. Il vous attend bien sagement dans une voiture, en bas de la Colline d'Émeraude ; les deux hommes de main de Claring sont en train de fouiller votre jardin, mais dès que nous vous livreront à eux, ils vous emmèneront tous les deux directement à Azkaban... où les Détraqueurs se feront un plaisir de vous accueillir comme il se doit.

Vera hocha lentement la tête, et se tourna de nouveau vers Ombrage.

– Quelles que soient vos motivations, vous faites le mauvais choix, lui dit-elle. Quitte à prendre le temps d'importuner Adam Claring, vous auriez mieux fait de lui livrer les vrais coupables... Vous auriez été mieux récompensée qu'en rendant service à ma belle-fille, qui vous soumettra aux pires chantages ou bien causera votre perte au premier désaccord venu.

– Oh non, je ne crois pas, dit Ombrage avec un sourire malveillant. Bien sûr, j'aurais pu raconter à Claring que c'est Abraxas Malefoy qui est à l'origine de tous ses malheurs, mais je n'aurais pas été en mesure de lui livrer pieds et poings liés... À l'inverse, grâce à vous, Claring croit vraiment que je lui ai permis de venger ses parents. Il vient de rédiger une note à l'intention du Magenmagot pour leur recommander mes services ; j'aurai sûrement l'occasion d'assister l'un de ses membres, avant de prendre sa place. Or, la route qui mène au Magenmagot est exactement celle que je souhaite emprunter.

– Ce mensonge ne tiendra pas, coupa Vera. Adam Claring se rendra bien compte qu'il s'est trompé, et lorsqu'il découvrira votre supercherie...

– Malheureusement, je ne suis pas sûre qu'il en ait le temps, dit Ombrage avec douceur. J'ai cru comprendre que Mr Claring était en bien mauvaise posture...

– En effet, confirma Hector Crabbe de sa voix brutale. Lucius et Vous-Savez-Qui ont réussi à convaincre les géants : à l'heure qu'il est, ils sont en route vers le hameau où vit Claring. Les heures de ce gredin sont comptées.

Pour la première fois depuis le début de l'échange, Vera pâlit, et Narcissa entendit la peur transparaître dans sa voix lorsqu'elle demanda :

– Où est Daisy ?

Carla poussa un petit gloussement réjoui, aussitôt imitée par Ombrage. Vera les ignora, et se tourna vers son fils, qui était toujours en retrait, appuyé contre le mur.

– Edgar, réponds-moi, ordonna Vera. Où est ta petite sœur ?

Edgar Goyle essaya de regarder sa mère dans les yeux, mais il ne parvint pas à remonter au-delà de ses bottines violettes.

– Edgar ! rugit Vera en se levant d'un bond. Je t'ordonne de me répondre !

Elle voulut faire un pas vers lui, mais Crabbe fut plus rapide qu'elle : il la saisit par les épaules et la repoussa si violemment qu'elle tomba à terre.

– Je vous avais dit de rester assise, Vera, ricana Carla en lui marchant sur la main.

– Arrêtez ça ! supplia Edgar Goyle en écartant Carla, et en empêchant Crabbe de frapper de nouveau. C'est ma mère, bon sang !

Vera se redressa un peu, appuyée sur son coude, reprenant progressivement son souffle. Elle chassa les mèches cuivrées qui tombaient devant ses yeux, et regarda son fils avec le plus grand mépris.

– Ne m'appelle plus jamais ainsi, dit-elle d'une voix tranchante. Voilà ce qui arrive, lorsqu'on pactise avec une brute telle que lui !

Edgar Goyle devint encore plus pâle qu'il ne l'était déjà.

– Si j'étais vous, je serais plus aimable avec votre nouveau gendre, Vera, ricana Carla en désignant Hector Crabbe. Il risquerait de se venger sur sa nouvelle épouse... Votre fille, en l'occurrence.

Vera ne comprit pas immédiatement. Son regard se posa sur Hector Crabbe, mais elle refusa de croire une telle chose ; elle se tourna vers Edgar, qui détourna vivement le regard, honteux.

Et elle comprit, horrifiée.

– Eh oui, exulta Carla. Pauvre petite Daisy... Elle a naïvement cru que son sacrifice suffirait à nous faire renoncer. Et puisque nous avions la chance d'avoir Dolores avec nous, nous avons officialisé le mariage immédiatement... Quand elle a compris que nous n'avions pas la moindre intention de vous épargner, il était trop tard. Et pour répondre à votre question, Vera, elle se trouve actuellement dans sa nouvelle demeure, un peu plus bas sur la Colline d'Émeraude... Enfermée à double tour, évidemment, pour qu'elle ne vienne pas contrarier le programme de la soirée.

Une larme roula sur la joue de Vera.

– Edgar, tu as laissé faire ça, murmura-t-elle. Tu as laissé ta sœur, ta petite sœur, se soumettre à cette brute... Et vous... Espèces de monstres !

– Assez parlé, gloussa Carla en se détournant. Crabbe, ouvre la fenêtre, et appelle donc les hommes de Claring... Il est temps que Vera s'en aille.

– Attendez, coupa Vera. Attendez... Carla, tu n'as pas...

La colère et la panique rendaient son discours haché, décousu.

– Sans moi, tu ne trouveras jamais... la bourse de ma mère, articula-t-elle avec difficulté.

Carla haussa un sourcil, moqueuse, et sortit de sa poche une petite bourse brodée de fil d'or.

– Vous voulez sûrement parler de ça ? Je vous ai vue fouiller anxieusement dans le secrétaire, l'autre jour... Je me doutais que quelque chose de précieux s'y cachait, mais avec toute cette agitation, je n'ai pas encore eu le temps de regarder.

– Eh bien, tu n'y arriveras pas, rétorqua Vera. Pour l'ouvrir, il faut connaître la formule que ma mère m'a transmise...

– Oh, dans ce cas, rien de plus simple : vous allez me la dire.

Carla fit un signe à Hector Crabbe, qui souleva brutalement Vera, et la fit rasseoir dans le fauteuil. Puis il s'empara du poignard effilé qu'il portait à la ceinture, et le pointa sur elle.

Vera regarda avec mépris le couteau qui la menaçait, puis leva les yeux vers Carla avec un air de défi.

– Dites-moi immédiatement ! glapit Carla.

L'idée que Vera puisse remporter la moindre petite victoire lui était insupportable.

– Vos quatre petits cerveaux ne seront pas de trop pour ouvrir cette bourse, répondit Vera.

– Ça suffit ! cria Carla d'une voix aiguë. Endoloris !

– Carla, non ! gémit Edgar Goyle.

– ENDOLORIS ! insista-t-elle, de plus en plus furieuse.

Vera s'était raidie, les yeux étroitement fermés.

– Dites-le moi, ou je vous tue ici même, répéta Carla, enragée.

Le souffle coupé par la douleur, Vera hocha faiblement la tête et leva la main pour signifier qu'elle se rendait.

– Ah, vous voilà enfin raisonnable, se réjouit Carla en tendant la bourse devant elle. Alors ?

Vera planta ses yeux verts vers dans les siens, avec ce regard assassin dont elle avait le secret. Et en articulant soigneusement, elle se pencha sur la petite bourse et prononça la formule :

Il est temps de quitter la partie

Le bateau coule et c'est ainsi

Surtout, ne laissez rien derrière vous

Faites place nette, et régalez-vous !

– Qu'est-ce que c'est que cette... AAAARGH ! EDGAR !

Carla poussa un hurlement strident, et fit un bond en arrière en lâchant la bourse brodée d'or. Elle venait de se déchirer, libérant une nuée d'énormes insectes qui voletaient en tous sens et produisaient un bruit assourdissant de claquement de mandibules.

Des Cigales Dévoreuses, reconnut Narcissa, à qui Vera avait parlé une ou deux fois de ces insectes redoutables, dont les mandibules étaient capables de déchiqueter n'importe quoi – ou n'importe qui.

– Débrouille-toi avec ça, espèce de garce ! hurla Vera, qu'Hector Crabbe parvenait difficilement à maîtriser.

Dans sa cachette, Narcissa étouffait. Elle s'agitait, tentait par tous les moyens de repousser le mur qui la dissimulait, frappait la pierre de ses poings en pleurant de rage, couverte par le vacarme ambiant ; mais face à elle, le mur restait en place, impassible.

Impuissante, elle vit à travers la fente étroite Dolores Ombrage jeter un sortilège à Vera, qui tomba évanouie dans les bras de Crabbe ; et tous les deux l'entraînèrent vers le jardin, fuyant les insectes qui s'attaquaient à Carla, aux tapis, au fauteuil, et même aux murs de pierre, qui s'amincissaient à vue d'œil.

Dans son agitation, Narcissa donna un coup de coude dans un renfoncement derrière elle, et sursauta quand le sol s'affaissa légèrement.

Elle sentit un courant d'air dans sa nuque, et constata que la paroi froide qui se trouvait derrière elle avait légèrement reculé, ouvrant un passage obscur où elle s'engouffra sans réfléchir, espérant arriver à temps pour venir en aide à Vera. Le ravluk Albert, lui, avait déjà disparu.

Privée de toute source de lumière, Narcissa éclaira son chemin de sa baguette, et s'écarta rapidement du vacarme produit par les insectes omnivores et des cris de Carla pour plonger dans un silence absolu. Elle descendit précipitamment le long de la roche dangereusement glissante, et au bout de quelques mètres, elle sut où elle se trouvait : dans la Grotte aux Gnomes Fous, l'une de ses cachettes préférées du jardin des Goyle lorsqu'elle était petite. Les parois étaient semées de trous de la taille d'un ballon, stigmates des gnomes fluorescents essayant de fuir leur propre lumière.

Elle éteignit sa baguette de peur d'être découverte depuis l'extérieur de la grotte, et se mit à courir dans le noir dès que l'inclinaison de la roche le lui permit. Lorsqu'elle fut proche de la sortie, elle commença à entendre les bruits du monde extérieur, mais les éclats de voix qu'elle entendait étaient trop lointains pour déterminer de qui il s'agissait, et pour entendre ce qu'ils disaient exactement. Elle courut donc de plus en plus vite vers la sortie de la grotte, sans réfléchir, sans même ressentir qu'elle s'était éraflé les mains et tordu la cheville.

Elle dévala la pente du jardin des Goyle, qui recouvrait tout un versant de la colline. Il avait été déserté par tous les animaux qui l'habitaient : certains étaient partis d'eux-mêmes pour ne pas dépérir, et les Goyle avaient fait déplacer les autres. Quant aux Sombrals qui devaient initialement emmener les Goyle loin d'ici, ils s'étaient probablement enfuis.

Narcissa s'arrêta près de l'Arbre Nuage, dont le feuillage habituellement blanc et cotonneux était devenu noir comme un ciel d'orage, et lançait des éclairs lumineux tout autour de lui. Derrière elle, les Cigales Dévoreuses poursuivaient leur festin dans la maison des Goyle, dont un pan de mur avait déjà été dévoré.

Perchée sur ses racines surélevées, Narcissa tendit le cou pour essayer de repérer où se trouvaient Vera et ses ravisseurs, et aperçut justement plusieurs silhouettes discuter avec satisfaction, rassemblées en bas de la colline, près d'une grosse voiture noire...

Elle reconnut facilement la silhouette rondelette d'Ombrage, le long cou de Carla, qui se tenait un peu à l'écart, et le corps massif d'Hector Crabbe. Tous les trois semblaient remercier deux autres silhouettes imposantes – les deux hommes de main d'Adam Claring, devina Narcissa. Ils désignaient parfois la voiture noire, sans doute celle dont Carla parlait un peu plus tôt, celle qui devait emmener les Goyle à Azkaban...

Au moment où Narcissa en déduisait que Fergus et Vera se trouvaient déjà dans le véhicule, les deux hommes de Claring serrèrent la main d'Ombrage, de Carla et de Crabbe, puis ils montèrent dans la voiture. Désespérée, Narcissa entendit des portières claquer ; et au moment où le deuxième homme fermait la porte, la voiture disparut par magie, emmenant Fergus et Vera avec elle.

– Oh non, non, non...

Narcissa avait déjà repris sa course. Elle ne s'arrêta qu'en bas de la colline, dissimulée par l'ombre des arbres, à quelques mètres de Carla et Ombrage. Crabbe avait disparu, et il n'y avait plus aucune trace de la voiture noire.

– Ces maudits insectes, grogna Carla en considérant les innombrables morsures qu'elle avait sur les bras et sur les joues. Ils vont détruire la maison sans que je ne puisse les en empêcher ! Vera m'aura donc importunée jusqu'au bout...

– N'y pensez plus, ma chère, conseilla Ombrage. Le sortilège de Confusion que j'ai lancé à Vera devrait durer jusqu'à leur arrivée à Azkaban... Et une fois là-bas, il sera trop tard pour tenter de s'échapper. Croyez-moi, vous n'entendrez plus jamais parler d'eux.

Narcissa serra les poings. Elle avait envie de crier, de pleurer, de tuer Carla Goyle, Hector Crabbe et Dolores Ombrage, de les poignarder, de les étriper... Aucune image, si violente fût-elle, ne pouvait épancher la haine qu'elle ressentait.

Tremblante, elle sortit sa baguette et la pointa sur les deux femmes ; mais au moment où elle ouvrait la bouche, quelqu'un l'attira brutalement derrière un arbre, à l'abri des regards, et lui arracha sa baguette. Narcissa voulut d'abord se débattre, puis réalisa que c'était Edgar qui la maintenait ainsi, et qu'il ne semblait pas hostile – seulement terrorisé.

Silence, articula-t-il silencieusement en posant un doigt sur ses lèvres. Pas un bruit.

Narcissa le regarda sans comprendre. En contrebas, Ombrage transplana et disparut ; quant à Carla, elle se retourna vers le jardin des Goyle. Narcissa tenta de reprendre sa baguette pour l'attaquer, mais Edgar ne lui en laissa pas l'occasion.

– Ne bouge pas, chuchota-t-il. Attends qu'elle soit partie, fais-moi confiance... J'ai un plan.

À contrecœur, Narcissa accepta de se calmer. Les pas de Carla s'éloignèrent, puis le silence retomba sur le jardin des Goyle. On n'entendait plus que le murmure du vent dans les arbres, ainsi que les Cigales Dévoreuses qui continuaient de s'attaquer à la maison des Goyle, au sommet de la Colline d'Émeraude. Face à Narcissa, le visage d'Edgar était si pâle qu'il semblait briller dans la nuit. Ses tempes, ses joues et son menton ruisselaient de sueur, et sa respiration était anormalement rapide.

Dès qu'elle fut certaine que Carla ne pouvait plus les entendre, Narcissa laissa éclater son indignation.

– J'espère que tu vas me dire que tu es capable de les tirer de là, gronda-t-elle. Comment as-tu pu laisser faire ça ? À tes propres parents, à Daisy ?

– Cissy, je t'en prie ! Nous nous disputerons plus tard, tempéra Edgar, terriblement mal à l'aise. Il faut sauver Daisy maintenant... Après cela, il sera trop tard. Écoute-moi : Crabbe a trouvé une fiole pleine de souvenirs dans la cape de ma mère, et il veut savoir de quoi il s'agit. Il y a une Pensine chez les Rosier, il est parti regarder ce qu'elle contenait...

– Non ! s'exclama Narcissa, catastrophée.

En imaginant Hector Crabbe découvrir les souvenirs de Vera à propos de son véritable père, elle fut saisie de nausées. En face d'elle, Edgar fronça brièvement les sourcils, visiblement curieux de savoir de quoi il s'agissait ; mais il renonça à s'en préoccuper.

– Crabbe sera absent pendant de longues minutes, poursuivit Edgar. C'est le moment idéal pour entrer discrètement chez lui, et pour libérer Daisy. Regarde... J'ai de quoi détruire le Champ de Protection qui entoure son jardin. Il est nettement moins puissant que le vôtre, et Crabbe l'entretient très mal...

Edgar tendit à Narcissa un sac rempli de fruits rond et rugueux, que Narcissa reconnut aussitôt : Vera et Fergus leur avaient toujours défendu de s'en approcher.

– Des Noix Explosives, constata Narcissa.

– Ce sont les dernières qu'il nous reste, acquiesça Edgar.

– Carla a dit qu'ils l'avaient enfermée à double tour, se souvint Narcissa, qui sentit aussitôt sa haine se raviver. La maison des Crabbe est immense ! Tu sais où est Daisy ? À quel étage ?

– Je n'en sais rien, avoua Edgar. Je... Je n'ai pas osé les suivre jusque-là... Je ne pouvais pas assister à ça.

Narcissa réprima à grand-peine l'envie de l'insulter copieusement.

– Tant pis... À deux, nous finirons bien par la trouver ! Il faudra faire vite...

– Je ne viens pas avec toi, l'informa Edgar.

Narcissa regarda le sac de fruits explosifs qu'il lui tendait, perplexe.

– Comment... Comment ça ?

– Je dois rentrer, Cissy. Ou bien Carla se doutera de quelque chose, et elle risque de donner l'alerte.

– Tu veux dire que je vais devoir y aller seule ? Et si Crabbe revient ?

– Nous n'avons pas le choix... Il faudra que tu sois rapide. Quand tu l'auras retrouvée... Oh, bon sang, j'espère qu'elle va bien... Quand tu l'auras retrouvée, tu pourras ouvrir cette enveloppe, tu y trouveras un Portoloin... Prends-le, et emmène-la loin d'ici, le plus loin possible. D'accord ?

– Je ne suis pas idiote, rétorqua Narcissa. Je la mettrai à l'abri. Et ensuite ? Pour tes parents, que comptes-tu faire ?

À ces mots, Edgar Goyle tressaillit. Jusque-là, il avait fait preuve d'une certaine maîtrise, mais le peu d'assurance qu'il avait réussi à retrouver venait de partir en fumée.

 – Nous ne pouvons plus les sauver, Cissy, souffla Edgar. Je ne sais même pas de quelle manière ils comptent les transporter à Azkaban... Ils pourraient être n'importe où ! Et dès qu'ils arriveront à là-bas...

Edgar blêmit encore davantage, et Narcissa frissonna.

– Qu'y a-t-il ?

Face à elle, les yeux bruns d'Edgar étaient remplis de larmes, sa lèvre inférieure tremblait. Narcissa sentit son cœur accélérer la cadence.

– On peut les faire évader, insista-t-elle. Allons, je suis sûre qu'il existe une solution !

– Non, dit Edgar Goyle en secouant la tête. Cissy... Adam Claring, il était tellement en colère... Il a ordonné qu'ils reçoivent le Baiser du Détraqueur. Dans quelques heures, il sera trop tard, et nous n'y pouvons plus rien. Nous ne les reverrons plus.

Narcissa eut l'impression d'être de nouveau paralysée, et plongée dans de l'eau glacée. Le Baiser du Détraqueur... Non, c'était impossible...

– Tu n'es... Tu n'es qu'un misérable, souffla Narcissa, choquée.

Et elle laissa enfin éclater sa rage. Elle serra les poings, et frappa Edgar de toutes ses forces, à plusieurs reprises.

– Je te hais, gémit-elle en le frappant à l'épaule. Tu ne peux pas savoir combien je te hais !

Face à elle, Edgar Goyle n'évitait même pas ses coups, et les encaissait sans protester.

– Ça n'était pas prévu comme ça, admit-il lorsque Narcissa eut terminé. Elle m'avait parlé seulement de les éloigner... Je ne voulais pas... Je pensais qu'elle avait trouvé un autre moyen...

– Tais-toi ! cria Narcissa, sans se soucier d'être entendue. Tout est ta faute, tu m'entends ? Tu aurais dû tuer Carla, plutôt que de la laisser faire ça !

Edgar lui adressa un regard désolé, lui signifiant qu'il n'avait pas d'autres explications à lui fournir ; puis, doucement mais fermement, il plaça entre ses mains le sac rempli de Noix Explosives, ainsi qu'une enveloppe épaisse.

– Prends ça, dit-il calmement. Le Portoloin est dans l'enveloppe... Va chez Crabbe, en bas... Détruis son portail, tue-le s'il revient trop tôt. Par pitié, prends Daisy avec toi et pars avec elle loin d'ici... Je t'en prie.

– Viens avec nous, insista Narcissa. Tu ne peux pas te défiler comme ça ! Tu ne peux pas rester avec Carla ! Elle a détruit ta famille, elle...

– J'y suis obligé, gémit Edgar Goyle. Je ne peux pas la laisser maintenant. Pas avec un enfant. Je ne peux pas... Je ne me le pardonnerai pas.

Narcissa tiqua.

– Un enfant ? Tu veux dire que...

– Carla est enceinte, confirma Edgar. Depuis peu.

Narcissa accusa le coup. Carla avait également rencontré des difficultés pour concevoir un enfant, et Narcissa avait toujours redouté qu'elle parvienne à ses fins avant elle.

– Comment avez-vous fait ? s'insurgea Narcissa.

– Carla a acheté des remèdes pour ça...

– Où ça ?

Edgar fronça les sourcils, surpris que Narcissa réclame des informations aussi précises dans un instant aussi grave.

– À... À La Corne Rouge, répondit-il pourtant. Je n'étais pas d'accord... Ces remèdes ne sont pas sûrs... C'est très douloureux, surtout au début, et on dit qu'il y a un risque mortel...

– De quels remèdes s'agit-il ? Est-ce qu'il vous en reste ?

Edgar lui jeta un regard étrange ; puis il se tourna vers sa maison, qui dominait encore la Colline d'Émeraude, mais qui menaçait de s'effondrer à tout moment.

– Cissy, nous n'avons plus beaucoup de temps, dit-il. Au moment où notre maison s'écroulera, il faudra que tu te tiennes prête à détruire le Champ de Protection au même instant, pour que Crabbe n'entende pas l'explosion... Il faut que tu ailles libérer Daisy. Quant à moi... Je dois y aller, conclut-il, embarrassé.

Narcissa le fusilla du regard. Elle l'aurait volontiers frappé de nouveau si elle n'avait pas entre les mains un sac rempli de fruits explosifs et instables.

– Tu es l'être le plus méprisable que je connaisse, déclara-t-elle.

Edgar Goyle ne répondit rien, et s'éloigna dans l'obscurité.  

Une fois seule, Narcissa ferma les yeux et tenta de maîtriser les tremblements qui la parcouraient, de retenir encore un peu les sanglots qui lui serraient la gorge.

– Vera, murmura-t-elle en serrant le sac en toile contre son cœur. Oh, Vera...

Au moment où elle était sur le point de s'effondrer dans l'herbe, elle sentit les fruits devenir brûlants entre ses mains, comme s'ils s'impatientaient.

Ce n'était pas le moment de s'effondrer, même si la situation était désespérante. Il était temps d'agir.

Elle prit donc une profonde inspiration, et cessa de trembler. Elle regarda l'endroit où la voiture noire avait disparu, afin d'être bien certaine que toute chance de poursuivre Vera et Fergus était perdue ; puis, tout en prenant garde à ne laisser tomber aucune noix, elle remonta la pente pour atteindre le portail des Goyle, et descendit l'autre versant de la Colline d'Émeraude.

Telle une automate, le souffle court, elle descendit le long de la rue pavée et sinueuse qui passait entre les immenses propriétés de la Colline d'Émeraude. Il faisait nuit noire, mais pour l'avoir parcourue des centaines de fois, Narcissa par cœur les obstacles susceptibles de la faire trébucher, et avançait donc sans aucune hésitation dans l'obscurité. Elle ne pensait plus à rien, en dehors de Daisy ; elle longea à toute vitesse la maison des Selwyn, celle des Flint, celle des Parkinson, et enfin celle des Nott, toutes les quatre plongées dans l'obscurité. Dans celle des Rosier, plusieurs fenêtres étaient illuminées, et Narcissa prit garde à passer derrière les haies pour que personne ne l'aperçoive.

Et enfin, elle arriva devant l'immense portail des Crabbe, dont les piques menaçantes semblaient bien plus acérées que dans ses souvenirs.

Sans faire attention aux deux énormes pitbulls enchaînés au fond du jardin qui aboyaient dans sa direction, Narcissa prit quelques instants pour tenter de deviner où Daisy était retenue prisonnière, et parcourut du regard l'imposante maison qui se dressait devant elle, dans l'espoir de repérer un mouvement, un signe de vie ; mais elle ne vit rien.

Le cœur serré, elle osa se retourner vers la maison des Goyle, dont la silhouette se découpait dans le ciel, en haut de la Colline. Même depuis l'endroit où Narcissa se trouvait, à plusieurs centaines de mètres de l'immense maison biscornue, elle pouvait entendre le claquement des mandibules des Cigales Dévoreuses, qui poursuivaient leur œuvre destructrice. Et après plusieurs minutes, les murs de la maison cédèrent. Un premier pan s'écroula dans un grand bruit, entraînant progressivement toute la maison dans sa chute, répandant un nuage de poussière au sommet de la Colline d'Émeraude et dans les jardins avoisinants.

En essayant de ne pas penser à tous les heureux souvenirs qui se faisaient ensevelir sous les décombres, Narcissa se força à détacher son regard de la scène. Elle prit quelques Noix dans ses poches, posa le sac qui contenait le reste au pied du portail en fer forgé qui marquait l'entrée du jardin des Crabbe, recula de plusieurs mètres, tendit sa baguette pour faire léviter le sac dans les airs, et la leva progressivement pour lui faire atteindre le haut du portail.

Ne vous avisez pas de les toucher, les avait averties Vera le jour où elle avait planté les fameux noyers dans le jardin. Ces Noix peuvent sembler inoffensives, mais il suffit d'un léger choc pour qu'elles produisent une explosion spectaculaire...

En invoquant dans son esprit la voix douce et joyeuse de Vera, Narcissa sentit sa détermination grandir encore davantage. Elle serra les poings ; et, alors que le dernier pan de la maison des Goyle s'écroulait derrière elle, elle donna un coup sec dans le vide avec sa baguette, et le sac en toile se déchira.

Dans un mouvement qui sembla étrangement lent, un chapelet de Noix Explosives tomba au pied du portail. Narcissa eut tout juste le temps de s'abriter derrière la voiture des Flint : dès que les Noix eurent effleuré le sol, elles explosèrent l'une après l'autre en produisant des détonations sonores, à peine masquées par le vacarme de l'écroulement de la maison des Goyle. La première fragilisa le Sortilège de Protection bancal établi par Hector Crabbe ; la deuxième le déchira ; la troisième le fit exploser.

Lorsque Narcissa se releva avec lenteur, la maison des Goyle avait disparu, réduite à un tas de gravats colorés ; et dans la rue, le portail des Crabbe avait été tordu par l'explosion, formant entre ses deux battants un trou béant, pouvant facilement laisser passer quelqu'un.

Sans réfléchir un seul instant à tous les risques qu'elle prenait, sans prêter attention aux aboiements des chiens qui risquaient d'avertir Hector Crabbe, Narcissa s'élança. Elle traversa en courant la rue pavée, passa entre les battants calcinés du portail, dégagea sa cape qui s'était accrochée dans l'une des piques, et monta en quelques enjambées l'allée de graviers qui menait au perron des Crabbe. Elle ignora les deux pitbulls qui tentaient de bondir vers elle, retenus par la chaîne à un anneau d'acier ; elle passa entre les statues de marbre qui bordaient l'allée ; elle gravit la volée de marches à toute vitesse, fit sauter le verrou de la porte d'entrée avec les quelques Noix Explosives qu'il lui restait ; puis elle s'engouffra dans la maison des Crabbe, avec l'impression d'entrer dans l'estomac d'un monstre endormi.

Dans le vestibule, Narcissa s'arrêta un instant pour écouter. La maison était immense, plongée dans l'obscurité, parfaitement silencieuse.

– Daisy ? appela-t-elle. Daisy !

Seul le silence lui répondit, et Narcissa sentit la panique la gagner. Si elle connaissait par cœur plusieurs maisons de la Colline d'Émeraude, elle était rarement venue dans celle des Crabbe ; elle n'avait donc aucune idée de l'endroit où Daisy pouvait être enfermée. Il lui fallait explorer la maison dans ses moindres recoins, et ce, avant le retour imminent de Crabbe.

Affolée, elle s'employa à ouvrir toutes les portes, tous les placards, à renverser toutes les armoires, retourner tous les tapis, déchirer toutes les tapisseries susceptibles de dissimuler une porte, une trappe, un passage. Elle parcourut les différents étages de fond en comble, donna des coups de poings rageurs contre les murs, monta au grenier, retira tous les draps posés sur les vieilles statues de la famille Crabbe, et lorsqu'elle eut exploré tous les recoins de cette dernière pièce, elle dut se rendre à l'évidence : Daisy était introuvable.

Elle regarda autour d'elle, à bout de souffle, et prit sa tête entre ses mains. Dans sa précipitation, elle s'était éraflée et cognée à de multiples endroits, sa peau était pleine d'échardes et couverte de poussière ; mais elle n'y accordait aucune importance. L'idée que Crabbe revienne avant qu'elle ne libère son amie lui était insupportable. Les statues qui l'entouraient, avec leurs visages patibulaires, semblaient l'observer avec malveillance, éclairées par intermittence par l'orage qui grondait au loin.

Au moment où Narcissa allait s'abandonner au désespoir, un couinement familier attira son attention. Elle fit volte-face vers la lucarne, et aperçut le ravluk Albert qui toquait contre la vitre, l'air affolé.

Narcissa se précipita pour lui ouvrir, soulagée de retrouver le petit singe ailé, qui serrait une grosse clé rouillée contre lui. Elle remarqua que l'une de ses ailes était blessée, mordue par quelque chose ; elle voulut le faire entrer, mais Albert se contenta de lui désigner quelque chose dans le jardin, en la tirant par la main.

Narcissa se hissa sur un escabeau pour voir l'ensemble du jardin. À travers les gouttes de pluie qui commençaient à tomber, elle pouvait deviner l'allée de graviers qu'elle avait parcourue, les colonnes de marbre qui encadraient le portail, et au fond...

– Les chiens ? s'interrogea Narcissa à voix haute. Ce sont eux qui t'ont mordu ?

Albert continuait de les lui montrer avec insistance la direction des deux énormes pitbulls. Narcissa plissa les yeux, et son cœur manqua un battement.

Enchaînés à leur anneau d'acier, les deux chiens grognaient avec agressivité, et faisaient des allées et venues devant un abri en pierre dissimulé dans les buissons, que Narcissa n'avait pas remarqué jusqu'ici. De temps à autre, ils s'arrêtaient pour renifler autour de la porte de l'abri, cadenassée par une énorme chaîne, et grattaient le bois avec férocité, comme pour essayer d'entrer.

– Daisy est... là-dedans ? demanda-t-elle d'une voix blanche.

Albert acquiesça frénétiquement, et Narcissa déglutit avec difficulté. Elle avait toujours été terrorisée par les chiens des Crabbe.  Ceux qu'elle avait connus pendant son enfance étaient morts depuis longtemps, mais Crabbe les avait remplacés par deux autres pitbulls qui semblaient encore plus musculeux, et encore plus féroces.

Mais Narcissa n'avait pas le temps d'hésiter : plus haut sur la Colline d'Émeraude, il y avait du mouvement chez les Rosier. Crabbe avait sans doute fini de regarder les souvenirs de Vera, et allait rentrer chez lui d'une minute à l'autre.

Elle quitta donc le grenier en trombe, et descendit les escaliers quatre à quatre, manquant à plusieurs reprises de se rompre le cou. Lorsqu'elle sortit dans le jardin, les chiens se remirent à aboyer, et Narcissa vit d'autres fenêtres s'illuminer dans la rue : d'autres Collinards étaient en train de se réveiller.

Elle n'avait plus beaucoup de temps. Tout en restant hors d'atteinte, elle s'approcha progressivement des chiens, qui tiraient sur leur chaîne avec de plus en plus d'énergie et aboyaient de plus en plus fort dans sa direction, furieux de constater qu'elle ne renonçait pas à s'approcher d'eux. Leurs pelages, respectivement brun et gris, étaient striés de cicatrices, stigmates du dressage cruel que Crabbe leur avait imposé. Leurs yeux étaient injectés de sang, et leurs crocs acérés ne demandaient qu'à la mordre.

Ignorant les gouttes de pluie qui trempaient sa cape et ses cheveux, Narcissa tendit sa baguette vers eux, et tenta de les pétrifier, puis de les stupéfixer, mais sans succès : leur peau était bien trop épaisse, et les sortilèges ricochaient sur les chiens comme s'ils n'existaient pas.

Elle tenta alors de s'attaquer à la chaîne qui les retenait, et la fit rétrécir progressivement. Les deux chiens, qui furent forcés de s'éloigner d'elle, devinrent enragés, et redoublèrent d'effort pour se défaire des anneaux de métal qui leur enserraient le cou. Leurs aboiements vrillaient les oreilles de Narcissa, comme le crissement de la chaîne dans son anneau d'acier, de plus en plus assourdissant.

– J'arrive, Daisy ! cria Narcissa pour couvrir le vacarme, espérant que son amie puisse l'entendre. Ne t'inquiète pas, je viens te chercher !

C'est au moment où elle affirmait cela que la chaîne qui retenait les chiens se brisa en deux.

Albert poussa un glapissement affolé, et Narcissa écarquilla les yeux face aux deux chiens qui s'élançaient vers elle, tous crocs dehors.

Elle s'enfuit à toutes jambes vers la maison, talonnée par le halètement féroce des deux chiens ; elle jeta un Sortilège Explosif derrière elle dans l'espoir de les retarder, faisant voler en éclats quelques marches du perron. Et enfin, elle se jeta de nouveau dans la maison, ferma la porte tant bien que mal et lui jeta un Sortilège d'Impassibilité, afin de remplacer le verrou hors d'usage.

À peine avait-elle fait cela que les deux chiens se jetaient contre la porte en aboyant férocement, la faisant bondir en arrière.

En nage, elle se retourna pour chercher un moyen de neutraliser les chiens, et parcourut du regard le désordre inextricable qui régnait dans les différentes pièces : après ses recherches affolées, tout n'était que meubles renversés, tapisseries lacérées, armoires disloquées.

En un clin d'œil, elle trouva quelque chose.

À peine quelques instants plus tard, la porte d'entrée s'ouvrait docilement devant les chiens, leur laissant la voie libre pour fouiller la maison. Flairant férocement le sol à la recherche de Narcissa, ils se dirigèrent vers le salon, et s'arrêtèrent dans l'encadrement de la porte, les oreilles dressées, le museau frémissant.

– Allez, venez par-là, gronda Narcissa entre ses dents, dissimulée à l'autre bout de la pièce.

Elle remua sa baguette et fit pivoter un miroir à quelques mètres d'elle. Derrière la fenêtre, un éclair inonda la pièce d'une lumière blanche et crue ; la silhouette de Narcissa se refléta dans le grand miroir, et les chiens bondirent vers son reflet, sans voir les marmites en fonte suspendues au-dessus du miroir, prêtes à tomber.

Dès que les chiens furent assez proches, les casseroles chutèrent vers eux. Il y eut un coup sourd, un gémissement, un son mat, un froissement de rideau – et puis plus rien.

Narcissa sortit immédiatement de sa cachette, et contourna le miroir brisé pour retourner vers le jardin ; mais au moment où elle passait à côté, un autre coup de tonnerre retentit au-dehors, et la pièce fut de nouveau illuminée par une succession d'éclairs.

Et seul un chien au pelage brun gisait à terre, assommé. L'autre n'était pas visible.

Narcissa n'eut pas le temps de le chercher du regard, car à l'instant où elle réalisait cela, le deuxième chien se jeta sur elle avec une telle puissance qu'elle tomba à la renverse, au milieu des éclats de verre.

Sans pouvoir se retenir, elle poussa un hurlement, et tenta de repousser le chien à coups de pieds, mais celui-ci était comme enragé. Les crocs du chien lacérèrent sa cape, se plantèrent dans son mollet. Étourdie par la douleur, elle s'empara d'un morceau de bois et l'abattit de toutes ses forces sur le crâne du chien, encore et encore. Après plusieurs coups, il consentit à lâcher légèrement prise, mais repartit immédiatement à l'assaut.

Narcissa sentit ses griffes aiguisées se planter dans son épaule ; le spectacle d'une gueule ouverte et hérissée de crocs s'offrit à ses yeux ; et au moment où elle se croyait perdue, un nouveau son métallique retentit dans la pièce, et le pitbull s'écroula sur le flanc, lui aussi assommé. Tout en survolant Narcissa, Albert poussa un piaillement victorieux en brandissant l'énorme poêle qu'il venait d'asséner sur la tête de l'animal. Puis il la laissa tomber sur le sol, et s'envola vers l'abri où était retenue Daisy.

Sans prêter attention au sang qui coulait abondamment le long de sa jambe, Narcissa se releva tant bien que mal et tituba jusqu'au jardin, où Albert essayait déjà d'ouvrir le cadenas avec une clé rouillée qu'il avait dû trouver dans la maison. Le cadenas sauta au moment où Narcissa se jetait contre la porte ; malgré son épaule blessée, elle tira fermement sur la chaîne, la jeta à terre et ouvrit la porte à la volée.

Daisy sursauta. Elle était recroquevillée au fond de l'abri, tremblante de froid et de peur. Sa robe était déchirée, et les mains d'Hector Crabbe avaient laissé des marques sur ses bras ; mais elle était vivante.

– Daisy, murmura Narcissa en s'appuyant sur le mur de pierre.

– Cissy ! s'exclama Daisy, incrédule.

Elle sortit à l'air libre, un peu chancelante ; puis les deux amies tombèrent dans les bras l'une de l'autre.

– Tu es vivante, constata Narcissa, soulagée, le visage enfoui dans son cou. Daisy, j'ai eu si peur...

– Cissy ! Tu saignes ! Tu as été mordue ?

– Aucune importance. Vite, partons, maintenant...

Elle voulut prendre le Portoloin dans sa cape, mais sa main ne palpa que du vide ; et elle réalisa avec horreur que sa poche avait été lacérée par les crocs du chien, quelques secondes plus tôt. Le Portoloin que lui avait donné Edgar avait dû tomber, et devait donc se trouver à l'intérieur de la maison.

Elle voulut retourner une troisième fois vers la maison, mais sa jambe blessée ne semblait plus vouloir la porter. Elle saignait davantage qu'elle ne l'avait cru initialement, et la tête lui tournait de plus en plus.

– Ne bouge pas, lui ordonna Daisy lorsqu'elle lui eut laborieusement expliqué la situation. Les crocs de ces satanés chiens sont empoisonnés, Crabbe m'a mise en garde tout à l'heure... Il a sûrement un antidote, je vais chercher à l'intérieur. Voilà, assieds-toi... Cissy, tu m'entends ? Je serai de retour dans un instant, d'accord ? Je reviens avec le nécessaire... Et je prendrai le Portoloin au passage. Albert va veiller sur toi.

Narcissa acquiesça, en nage. Elle se laissa asseoir sur le sol, adossée au mur de pierre, et tout devint étrangement confus. Les paroles de Daisy résonnaient dans ses oreilles, de plus en plus assourdies. Cissy, tu m'entends ? Les crocs de ces satanés chiens sont empoisonnés...

Elle perdit vaguement la notion du temps ; elle sentit toute sa jambe s'engourdir, puis le reste de son corps, jusqu'à avoir l'impression de flotter dans du coton. Elle n'avait plus mal, elle n'avait plus froid, elle n'avait plus peur. Elle ne voulait plus qu'une chose : dormir.

Elle ne sut jamais combien de temps elle était restée là, assise dans le jardin des Crabbe sous la pluie battante ; elle aurait été incapable de dire si cela avait duré des heures, ou bien une poignée de secondes. Elle flottait dans une sorte de brouillard opaque lorsqu'elle vit Crabbe franchir son portail en fer forgé, écumant de rage ; et lorsqu'elle tenta de crier pour avertir Daisy, seul un gémissement inintelligible s'échappa de ses lèvres.

Ses yeux se fermèrent. Elle entendit au loin les rugissements de Crabbe, les cris de terreur de Daisy, les aboiements féroces de ses chiens. Lorsqu'elle trouva la force d'entrouvrir les yeux, la silhouette imposante de Crabbe se dressait sur le perron, menaçante ; et derrière lui, ses deux pitbulls regardaient dans sa direction, prêts à attaquer de nouveau.

Narcissa n'en pouvait plus. L'herbe se colorait de rouge sous sa jambe, et sa vision était de plus en plus trouble. Elle pensa à sa mère, à son père dont elle venait de découvrir l'identité, à ses sœurs, aux Goyle ; elle pensa enfin à Lucius, et surtout à l'enfant qu'elle aurait rêvé d'avoir.

Aussi, elle crut qu'elle rêvait lorsqu'elle entendit la voix de son mari couvrir le vacarme de l'orage.

CRABBE !

Une silhouette mince s'interposa entre les chiens et Narcissa. Elle fronça les sourcils, et tenta de prononcer le nom de Lucius, mais sans y parvenir.

ARRÊTE IMMÉDIATEMENT !

Narcissa avait l'impression de chuter lentement en arrière. Un éclair vert l'éblouit, et l'un des deux chiens s'écroula à terre. Crabbe cria quelque chose, et le deuxième chien se mit à dévaler la pente en direction de Narcissa. Quelque part dans le lointain, une lame résonna, sortant d’un fourreau. Il y eut un éclair blanc, un gémissement rauque, et une épée effilée transperça de part en part le deuxième pitbull. Narcissa vit le sang du chien gicler sur les graviers ; et la dernière chose qu'elle vit avant de perdre connaissance fut le visage de Lucius qui se penchait sur elle, absolument effaré. Une main douce et chaude se posa sur sa joue ; et le noir se fit.


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