Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts
La belle époque
Au manoir des Malefoy, Narcissa se laissait docilement guider à travers les couloirs, la tête vide de toute pensée. À côté d'elle, Vera savait exactement où aller ; elles descendirent donc le somptueux escalier de l'aile Ouest, traversèrent plusieurs salons plongés dans l'obscurité, et gravirent un escalier de marbre noir que Narcissa n'avait jamais emprunté.
L'aile Nord, frissonna Narcissa en resserrant sa prise sur le bras de Vera.
Cette dernière n'y fit pas attention, et continua de gravir les marches jusqu'au dernier étage. Au fur et à mesure de leur ascension, il faisait de plus en plus froid, et les ombres étaient de plus en plus menaçantes, comme si les lieux étaient imprégnés du caractère effrayant d'Abraxas, à tel point que Narcissa s'attendait à le voir surgir devant elles à tout moment.
Arrivées en haut de l'escalier, Vera s'engagea sans hésiter dans un corridor étroit, éclairé par endroits par la lueur blafarde de la lune. Elles passèrent devant une pièce immense, manifestement consacrée à la confection de potions, le passe-temps favori d'Abraxas Malefoy. Narcissa s'étonna de la quantité d'alambics et de chaudrons qu'elle contenait, et frissonna en voyant les flacons alignés sur les étagères, remplis de liquides sombres et épais. Dans un coin de la pièce, une malle fermée laissait échapper par ses interstices une étrange fumée, opaque et laiteuse.
– La Pensine est au fond du couloir, dit Vera en l'entraînant vers l'avant.
Elles poursuivirent leur chemin jusqu'à une porte fermée, flanquée du panneau Interdiction formelle d'entrer. Vera prononça quelques formules pour déverrouiller la porte, qui s'ouvrit sur une petite pièce dépourvue de fenêtres, dont les murs de pierre sombre étaient éclairés par la lueur argentée et mouvante de la Pensine posée sur le sol, au centre de la pièce. D'autres lueurs, plus faibles, provenaient de fioles poussiéreuses disposées sur les étagères qui couraient le long des murs.
Dès que Vera entra, le scintillement s'intensifia à la surface de la Pensine ; la bassine de pierre monta lentement au-dessus du sol et s'immobilisa à la bonne hauteur, prête à l'emploi, comme si l'objet magique les attendait. Les runes qui y étaient gravées s'illuminèrent, les encourageant à s'approcher.
Narcissa rejoignit Vera, de plus en plus fébrile. Elle aurait pu mettre son angoisse sur le compte de l'étroitesse et de l'austérité de la pièce, mais en réalité, elle commençait à réaliser ce qu'il se passait. Vera allait lui apporter des réponses concernant sa mère, son passé, probablement sur les accusations d'Orion concernant son statut d'enfant illégitime, sur les reproches que Walburga faisait sans cesse à sa mère à propos des fautes qu'elle aurait soi-disant commises, et enfin sur Thomas Everly, ce Né-Moldu disparu depuis longtemps dont Orion disait qu'elle était la fille.
Et plus le moment fatidique approchait, plus Narcissa redoutait de découvrir ces réponses. Du bout des doigts, elle effleura la Pensine, la rugosité du granit dans lequel elle avait été constituée, la finesse des runes qui y étaient gravées ; elle l'aurait trouvée magnifique si elle n'appréhendait pas autant ce que l'objet était sur le point de lui révéler.
Vera, elle, examina les souvenirs qui y avait été déposés – des souvenirs d'Abraxas, devina Narcissa. Elle se pencha en avant, intriguée, mais ne réussit qu'à entrevoir quelques fragments d'images floues et inconstantes. Elle crut entrevoir une jeune femme qui dansait, mais les images étaient si difficiles à déchiffrer qu'il était impossible d'en être sûre. En regardant un peu mieux, elle remarqua que les souvenirs semblaient abîmés. En effet, au lieu de former des filaments intègres et épais, ils étaient comme effilochés, emmêlés, et bien moins brillants que ceux que Narcissa avait observés en cours de magie. Lorsque Vera approcha sa main de la surface, plusieurs d'entre eux se dissolurent dans le magma argenté.
– Ces souvenirs sont trop vieux, soupira Vera. Cela fait bien trop longtemps qu'Abraxas ne les a plus consultés. Il les a progressivement altérés, puis occultés de sa mémoire... Il n'y a plus rien à en tirer.
Du bout de sa baguette, elle extirpa les fragments de souvenirs de la Pensine et ils s'évaporèrent dans les airs, sans laisser de trace. La Pensine s'éteignit, et la pièce fut plongée dans l'obscurité jusqu'à ce que Vera ne l'éclaire de nouveau de sa baguette.
– Comment connais-tu cet endroit ? demanda Narcissa en regardant autour d'elle.
Vera regarda autour d'elle et sourit tristement.
– La première fois que je suis venue ici, Lucius venait de naître... Et Athénaïs, sa pauvre mère, venait de mourir. Dès que j'ai appris la nouvelle, je me suis précipitée ici, connaissant bien l'amour passionné d'Abraxas pour sa femme ; et je craignais qu'il soit trop désemparé pour s'occuper de son fils... Hélas, la situation était bien pire que je ne le pensais. C'est Lidelys qui m'a laissée entrer, et elle était désespérée. Je me souviens encore des cris de nourrisson qui emplissaient le manoir ! C'était terrible, vraiment déchirant. Abraxas n'avait même pas voulu voir Lucius, d'après Lidelys. Les elfes s'en étaient occupés comme ils le pouvaient, mais ils étaient dépassés, évidemment, et choqués d'avoir perdu leur maîtresse de cette manière, aussi brutalement... J'ai fouillé l'aile Nord, à la recherche d'Abraxas, craignant le pire... Et il était ici, agenouillé près de la Pensine, dit Vera en désignant le sol. J'ai dû employer la force pour l'extraire de ses souvenirs. J'ai essayé de le raisonner, de l'emmener auprès de Lucius... Sans succès. Lorsque j'ai réussi à le faire sortir de la pièce, il a tenté de mettre fin à ses jours en sautant par la fenêtre. Je l'ai retenu, même si je n'aurais peut-être pas dû...
– Quelle horreur, murmura Narcissa. Et... ensuite ?
– J'ai fait de mon mieux, dit Vera en haussant les épaules. Avec Fergus, nous avons enterré Athénaïs dans le petit cimetière qui se trouve au fond du domaine. Nous étions seuls, avec les elfes : personne d'autre n'a accepté de venir, ou de m'aider, car tout le monde craignait de s'attirer les foudres d'Abraxas au moindre faux pas. En réalité, je ne le voyais que lorsque je lui apportais à manger, car il est resté muré dans l'aile Nord pendant des mois... Il refusait souvent de s'alimenter, il se lavait à peine... Quant à Lucius, j'apportais aux elfes de quoi le nourrir. Je me suis occupée de lui comme je le pouvais, et lorsque je m'absentais, je le laissais sous la surveillance des elfes, près du portrait de Prisca Malefoy.
Narcissa l'écoutait attentivement, de plus en plus consternée. Lucius ne parlait jamais de tout cela ; il était même probable qu'il n'en ait jamais rien su. Il semblait toujours mal à l'aise lorsqu'il voyait un nouveau-né, et Narcissa l'avait attribué au fait qu'eux-mêmes ne parvenaient pas à avoir d'enfant ; elle n'avait jamais vraiment réfléchi au fait que cela le renvoyait aux conditions tragiques de sa propre naissance.
– Cela a duré quelques mois, poursuivit Vera. Un beau jour, les elfes m'ont refusé l'entrée, sur ordre d'Abraxas... Et m'ont transmis son avertissement : si je révélais la moindre chose de ce que j'avais vu dans ce manoir, il me ferait assassiner. Et évidemment, j'avais l'interdiction formelle de revenir. Lorsque j'ai revu Lucius, bien plus tard, il avait déjà quatre ou cinq ans, et il se comportait déjà comme un petit adulte.
Vera secoua la tête pour chasser ces tristes souvenirs.
– Quelle tragique histoire, soupira-t-elle. C'est donc ainsi que je connais cette pièce. Mais nous ne sommes pas là pour parler d'Abraxas...
Avec un mélange ambigu de curiosité et de répulsion, Narcissa la vit replonger sa main dans sa poche, et en ressortir la fiole remplie de souvenirs.
– Je crois qu'il est temps, Cissy, dit Vera en la serrant dans son poing. Nous avons déjà bien trop attendu.
Narcissa ne répondit rien. Vera ouvrit la fiole, luttant contre le tremblement discret de ses mains. Plusieurs souvenirs chatoyants s'en échappèrent et tombèrent silencieusement dans la bassine de pierre, qui s'illumina fortement. Narcissa ferma un œil, un peu éblouie ; puis, une fois habituée à cette puissante clarté, elle put observer plus attentivement.
Cette fois-ci, les images qui affleuraient à la surface étaient d'une netteté impeccable. À plusieurs reprises, Narcissa reconnut le visage de sa mère, resplendissant de grâce et de douceur, et dut serrer la main de Vera pour ne pas pleurer de nouveau. Elle se pencha lentement en avant, surtout désireuse d'entendre cette voix douce et bienveillante qui lui manquait tant.
– Tu es prête ? demanda Vera.
Narcissa acquiesça, ignorant les innombrables craintes qui la tenaillaient encore. Elle échangea un dernier regard avec Vera, inspira profondément et se plongea dans Pensine.
Narcissa n'avait jamais utilisé cet étrange instrument, trop effrayée par certains de ses souvenirs pour vouloir les revisiter ; aussi, elle fut frappée par le réalisme de tout ce qui l'entourait. Elle tourna sur elle-même, ébahie : elle se trouvait dans la Grande Salle de Poudlard, où se tenait l'habituel banquet de bienvenue. Tout était exactement semblable à ses propres souvenirs : les tables aux couleurs des quatre maisons, les chandelles flottantes près du plafond enchanté, les visages souriants et insouciants de l'ensemble des élèves, et la joie paisible qui animait le visage des professeurs, assis à leur table attitrée.
Une bouffée de nostalgie envahit Narcissa, mais elle en fut distraite par le tintement sonore d'un couteau sur le rebord d'une coupe, provenant de la table des professeurs : celle qui semblait la plus âgée réclamait la parole. Non loin d'elle, le Choixpeau était posé sur un tabouret, autour duquel les élèves de première année étaient rassemblés en demi-cercle, attendant fébrilement la répartition. Parmi eux, Narcissa remarqua un élève qui les dépassait d'au moins une tête, et serrait ses affaires contre lui, visiblement embarrassé. Plusieurs regards convergeaient vers lui, dont celui de la vieille professeure qui s'apprêtait à annoncer le début de la répartition.
– Aujourd'hui, nous recevons Mr Thomas Everly, un nouvel élève dans une situation un peu particulière, dit-elle en lui adressant un sourire encourageant. Ses pouvoirs magiques s'étant révélés un peu tardivement, il nous rejoint cette année, et après avoir suivi quelques mois de cours intensifs, il entrera directement en quatrième année. Je compte évidemment sur vous tous pour lui faire bon accueil.
Narcissa tressaillit en entendant le nom de Thomas Everly. Elle plissa les yeux pour mieux voir son visage, car elle ne distinguait que ses cheveux blonds ; mais un rire familier lui fit faire volte-face vers la table des Serpentard, et elle se sentit aussitôt submergée par l'émotion. Assises l'une à côté de l'autre, deux jeunes filles de quatorze ans aux cravates vert émeraude échangeaient des paroles excitées à voix basse, tout en pouffant de rire. On aurait pu croire qu'il s'agissait de Daisy et Narcissa, tant Vera et Druella leur ressemblaient.
Narcissa traversa une allée pour se rapprocher d'elles, afin de mieux entendre ce qu'elles se disaient. Elle ne parvenait pas à détacher son regard de sa mère. Celle-ci était un peu plus petite que Vera, et son uniforme était plus soigné ; avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus comme l'océan, elle rayonnait d'une beauté qui aurait pu paraître écrasante si son visage n'était pas habité par cette douceur absolue, cette gentillesse infinie que Narcissa regrettait tant.
– Il est plutôt mignon, non ? chuchotait Vera avec malice en désignant Thomas Everly. Et s'il entre en quatrième année, ça veut dire qu'il sera avec nous...
Druella se contenta de hausser les épaules en souriant timidement, tout en suivant le garçon du regard.
– N'y pensez même pas, vous deux, dit une voix nasillarde et désagréable que Narcissa reconnut aussitôt.
Orion était assis à quelques mètres de là, entouré de garçons plus grands que lui, le menton dégoulinant de sauce à la viande.
– C'est un Sang-de-Bourbe, j'en mettrai ma main à couper, ricana-t-il en postillonnant. Sinon, il ne serait pas arrivé aussi tard !
Son voisin renifla avec mépris, et deux autres garçons haussèrent les sourcils avec un air entendu.
– Tu n'en sais rien, rétorqua Vera. Peut-être qu'il vient d'un autre pays !
– Ça, ça m'étonnerait, dit le voisin d'Orion. Avec un nom pareil, ce n'est certainement pas un Sang-Pur... Et regardez ses habits, sous sa robe... Si c'est autre chose que des vêtements moldus, je veux bien manger ma baguette !
Quelques rires fusèrent. Thomas regarda dans leur direction, et dut comprendre qu'on se moquait de lui, car il se détourna aussitôt et fixa le sol avec intensité.
– Bandes d'imbéciles, s'emporta Vera en parlant de plus en plus fort. Qu'est-ce que ça change, de toute manière ?
– Silence ! siffla une voix féminine qui fit frissonner Narcissa.
Un peu plus loin, une Walburga adolescente toisait Vera et Druella avec mépris.
– Cessez donc de déblatérer comme des idiotes, ajouta-t-elle avec un regard cuisant.
Druella devint rouge de honte, et Vera, rouge de colère ; elle s'apprêta à répliquer, mais le directeur frappa dans ses mains pour réclamer le silence, et tous les murmures s'évanouirent.
– Mr Everly passera le premier, déclara calmement Armando Dippet. Approche, mon garçon.
Le groupe de jeunes élèves s'écarta devant lui, et l'intéressé s'avança timidement jusqu'au tabouret destiné aux première année, qui était bien trop petit pour lui.
La réponse du Choixpeau ne se fit pas attendre :
– POUFSOUFFLE ! cria la voix grinçante à travers la Grande Salle.
Les élèves qui se trouvaient sous les étendards jaune et noir applaudirent avec chaleur ; et le jeune Thomas se précipita pour les rejoindre, soulagé de s'asseoir à la table de ceux qui semblaient les plus accueillants.
– Ohhh, dommage, soupira Vera.
– Moi aussi, le Choixpeau voulait m'envoyer à Poufsouffle, au début, dit Druella à voix basse. J'ai dû le supplier pour qu'il renonce...
– Taisez-vous, les Serpentard ! fit une voix de tonnerre. Faites honneur à notre maison : la répartition n'est pas terminée !
Narcissa tourna la tête, et à nouveau, elle reçut un coup au cœur : en bout de table, fier comme un paon, menton levé, le jeune Cygnus Black tenait tous ses camarades sous son regard, son insigne de préfet épinglé en évidence sur son uniforme.
Druella piqua du nez en se mordant les joues, mais Vera soutint le regard de Cygnus avec défi.
– Quel crâneur, celui-là, glissa-t-elle à Druella.
Les deux amies échangèrent un sourire complice, et le décor bascula brutalement.
L'image de la Grande Salle bondée céda la place à celle d'une salle de classe de Poudlard, remplie d'élèves de Serpentard et de Poufsouffle qui étaient en train de s'installer. Narcissa ne connaissait pas le professeur, qui devait être en fin de carrière, à en juger par ses longs cheveux blancs et son visage ridé. Narcissa chercha fébrilement sa mère du regard, et la trouva de nouveau assise à côté de Vera. Toutes les deux semblaient chercher quelqu'un parmi les élèves de Poufsouffle.
– J'ai une bonne nouvelle pour les Serpentard, annonça le professeur avant de débuter son cours. Votre préfet, Cygnus Black, va recevoir une médaille pour Services Spéciaux rendus à l'école.
– Encore lui ! s'indigna Vera à voix haute. Et en quel honneur ?
– Mr Black a contribué au maintien de la paix et de la sécurité de Poudlard en mettant fin au trafic de Plumes Tricheuses qui florissait dans l'école, répondit sèchement le professeur, visiblement irrité par l'intervention de Vera. Il a su identifier rapidement les coupables et en faire part aussitôt au directeur.
Vera tapa du poing sur la table, outrée.
– Je rêve ! Vous récompensez la délation ! Moi qui ai dégnomé tout le parc de Poudlard la semaine dernière ! Ça ne mérite pas une médaille, ça, peut-être ?
– Votre impertinence coûtera cinq points à Serpentard, Miss Goyle, dit le professeur d'une voix monocorde. Et personne ne vous a demandé de vous livrer à cette activité, qui est d'ailleurs très dégradante pour une jeune fille de votre statut...
Pendant qu'il se retournait pour monter sur son estrade, Druella tendit un vieux parchemin à Vera, et imita avec brio la voix d'Armando Dippet.
– Miss Vera Goyle, je vous décerne le Prix de Dégnomeuse la plus efficace de l'histoire de Poudlard, pouffa-t-elle.
Vera lui donna un coup de coude.
– C'est ça, rigole ! Ça n'est pas toi qui t'es fait mordre à douze reprises par ces imbéciles de gnomes !
Elle voulait être sévère, mais ne pouvait s'empêcher de sourire.
– Je croyais que tu les trouvais passionnants ?
– Comme tout ce qui a des pattes, des poils ou des plumes, acquiesça Vera, les yeux brillants. Leur faculté de prolifération me fascine. Tu savais qu'au lieu de se reproduire entre eux, ils se contentent de...
– De se dédoubler ?
Druella lui adressa un sourire amusé.
– Je te l'ai déjà dit, devina Vera, contrite.
– Oui... Quatre fois, précisa Druella avec tendresse.
Leur conversation fut brutalement interrompue par le fracas de la porte de la classe, qui venait de s'ouvrir brutalement. Même Narcissa, qui savait que la scène avait eu lieu des années plus tôt, se sentit intimidée par l'entrée de Walburga, qui ne prit pas la peine de se faire discrète, et encore moins de s'excuser. Le professeur lui-même sembla profondément offusqué par son insolence, et ne retrouva l'usage de la parole que lorsqu'elle fut assise sur son siège, les bras croisés, ses affaires jetées en désordre sur sa table.
– Miss Black, vous...
– Je vous signale que deux élèves de sixième année harcèlent mon petit frère Alphard depuis plus de deux ans, coupa Walburga en soutenant le regard du professeur. Et tous les professeurs que j'ai avertis ont fait la sourde oreille. C'est parce que j'ai été forcée de m'occuper d'eux que je suis en retard ; si vous faisiez plus attention à ce qu'il se passe entre ces murs, je n'aurais aucunement besoin de m'en mêler.
– Miss Black ! glapit le vieil homme en frappant sur son bureau. Pas d'impertinence, je vous prie ! Encore cinq points de moins pour Serpentard !
Un murmure de protestation parcourut la classe, mais le coupable désigné de cette injustice ne fut pas le professeur.
– Vous ne pouvez pas vous arrêter deux minutes ? lança Orion à Walburga et à Vera. On va perdre la coupe, à cause de vous !
Walburga haussa un sourcil, visiblement agacée d'être associée à Vera, puis posa sur Orion ses yeux gris comme de l'acier et le fixa de son regard perçant.
– Les deux imbéciles que je viens de corriger font partie de tes amis, mon cher cousin. Tu pourras m'adresser la parole quand tu arrêteras de les encourager à se moquer de mon frère... Et quand tes résultats scolaires nous rapporteront autant de points que les miens, qui, je te le rappelle, nous ont permis de gagner la coupe l'année dernière.
– Ouuuh, firent les quelques élèves qui étaient autour d'Orion.
Le teint d'Orion devint cramoisi, et il ne trouva rien à répliquer – d'autant plus qu'à cet instant précis, Thomas Everly entra à son tour dans la pièce, un tas de parchemins désordonnés dans les bras, les joues rouges comme s'il venait de courir une longue distance.
– Euh... Je suis vraiment désolé, professeur, je...
– En retard pour votre premier cours, Mr Everly ? demanda le professeur, de plus en plus irrité. Moi qui m'étais opposé à votre admission dans cette école, je vois que votre manque de sérieux me donne raison ! Il vous en coûtera cinq points, à vous aussi... Et veillez à ce que cela ne se reproduise pas !
Thomas resta planté au fond de la classe, le teint rouge écarlate, à la merci des regards hostiles qui se tournaient vers lui. Il recula d'un pas, heurta une étagère et fit tomber plusieurs bocaux sur le sol, déclenchant quelques rires moqueurs.
– Viens là ! dit aussitôt Vera en poussant ses affaires pour libérer la place qui était à côté d'elle.
Il ne se le fit pas dire deux fois, et vint précipitamment s'asseoir sur la chaise en question.
– Merci beaucoup, dit-il, essoufflé.
– Tu as eu du mal à trouver la salle, non ? devina Vera.
– Euh... Oui, un peu. Je me suis perdu au quatrième étage, à cause des escaliers...
– Pas étonnant, ils sont particulièrement joueurs avec les nouveaux. Ne t'en fais pas, on te fera visiter l'école après ce cours-là. Il n'y a pas beaucoup de salles à connaître, tu les apprendras vite.
– Oh... Merci.
Le garçon lui sourit avec reconnaissance. Ses cheveux blonds étaient un peu ébouriffés par sa course ; sa cravate jaune et noire mal nouée lui donnait un air un peu désordonné ; mais surtout, il avait de magnifiques yeux clairs, et des traits plus délicats que la plupart des autres élèves. Vera lui sourit à son tour, visiblement charmée.
– Au fait, je m'appelle Vera, dit-elle en lui tendant une main énergique.
– Thomas, enchanté, répondit-il en la serrant avec enthousiasme. Et toi, tu es... ?
Il présenta sa main tendue à Druella, qui n'avait pas dit un mot, et qui fut surprise qu'il ait remarqué sa présence.
– Oh, euh... Je m'appelle Druella, bafouilla-t-elle. Mais je préfère Lulu.
Thomas Everly lui adressa un sourire très doux. Quand leurs mains se touchèrent, quelques exclamations dégoûtées retentirent dans la classe, mais aucun des deux ne sembla s'en apercevoir ; et aussitôt, la scène partit en fumée.
À sa suite, plusieurs images se succédèrent rapidement, beaucoup moins précises. On y voyait Vera, Druella et Thomas bavarder ensemble, marcher côte à côte dans les couloirs, travailler tous les trois à la bibliothèque. Au fur et à mesure que les images défilaient, il devenait de plus en plus évident que Vera se plaçait toujours aussi proche de Thomas que possible, et qu'elle cherchait à s'attirer son attention de diverses manières. Thomas, lui, semblait beaucoup l'apprécier, sans pour autant comprendre ce qu'elle attendait réellement de lui ; en revanche, dès que Vera avait le dos tourné, il observait Druella à la dérobée, avec un tel espoir fébrile qu'il était impossible de se tromper sur les sentiments qui l'animaient. Quant à Druella, elle surprenait parfois le regard éperdu de Thomas, et semblait alors tentée de l'encourager, mais finissait par baisser vivement la tête, honteuse, et évitait de le regarder de nouveau.
Lorsque les images cessèrent de défiler, Druella était absente ; seuls Thomas et Vera étaient accoudés à l'un des innombrables balcons du château de Poudlard, emmitouflés dans leurs manteaux et leurs écharpes bicolores. De la buée s'échappait de leurs lèvres quand ils parlaient, et leurs joues étaient rosies par le froid, ce qui faisait ressortir les superbes yeux clairs de Thomas. De nouveau, Vera l'observait avec insistance, mais Thomas ne le remarquait pas.
– Druella n'est pas là ? s'enquit-il.
– Elle finit son devoir d'Histoire de la magie, l'informa Vera, visiblement anxieuse. Elle nous rejoindra un peu plus tard.
– Ah ? D'accord, fit Thomas, déçu.
Vera replaça nerveusement une mèche de cheveux derrière son oreille, puis se mit à triturer sa cravate vert émeraude.
– Tu sais, Thomas, je... Je voulais te demander...
– Elle avait bientôt fini son devoir ? demanda Thomas en regardant l'extrémité du couloir par-dessus l'épaule de Vera.
– Euh... Oui, oui. Je crois... Elle ne va pas tarder...
Thomas continuait de guetter, pensif.
– Désolé, je suis un peu ailleurs, marmonna-t-il.
– Oui, pas de problème... Et le... Enfin... Le bal de Noël, tu... Tu comptes y aller ? bredouilla lamentablement Vera.
En face d'elle, Thomas tressaillit.
– Eh bien... J'étais justement en train d'y penser, avoua-t-il.
Vera se raidit. Thomas lui glissa un regard de biais, l'air embarrassé.
– Oui, j'ai peut-être une idée, mais...
Il rassembla son courage, et se tourna entièrement vers elle.
– Bon, je vais m'y prendre autrement, murmura-il pour lui-même. Finalement, dit-il plus haut, ça tombe peut-être bien que Lulu soit en retard... Parce que... J'ai quelque chose à te demander.
Vera se raidit encore davantage. À ses joues rouges et à ses yeux écarquillés, on pouvait deviner que son cœur battait à tout rompre.
– Tu... Est-ce que tu penses que...
– Oui ?
Vera se pencha légèrement en avant, les yeux brillants, les joues écarlates. En face d'elle, Thomas se triturait les mains avec appréhension.
– Tu penses que Lulu accepterait d'y aller avec moi ?
Il y eut un instant de flottement.
– Lulu ? Tu veux dire... Druella ?
Thomas hocha la tête, plein d'espoir, sans remarquer le désarroi de son amie.
– Vera ? Tu m'écoutes ?
– Que... Quoi ?
C'était au tour de Thomas d'attendre fébrilement la réponse.
– Alors ? Je voulais lui demander directement, mais je crois que je n'oserai pas. Qu'en penses-tu ? Elle t'a dit quelque chose sur le bal ?
Vera hésita un instant, baissa les yeux vers ses mains que Thomas avait saisies avec émotion, puis déclara :
– Oh... Euh, oui, bien sûr, je pense qu'elle accepterait. En fait... je crois qu'elle espérait même que tu lui proposes.
Thomas Everly rosit de plaisir, et un sourire radieux éclaira son visage.
– C'est vrai ? Tu en es sûre ?
– Oui, c'est vrai, s'étrangla Vera.
– Alors... Tu lui diras ?
– Oui... Oui, je le ferai.
– Oh, merci, dit-il en la prenant dans ses bras. Merci infiniment.
Et sur cette triste étreinte, le décor se métamorphosa à nouveau.
Vera rentrait dans la salle commune des Serpentard, qui n'était pas très différente de celle que Narcissa avait connue. Assise dans le canapé, Druella jeta le magazine Sorcières à tout prix qu'elle était en train de feuilleter lorsque Vera entra.
– Alors... ? demanda-t-elle anxieusement.
Il était difficile de dire quelle réponse elle espérait. Vera l'observa de biais, toujours un peu déboussolée.
– C'est avec toi qu'il veut y aller, répondit-elle avec dépit.
Elle se laissa tomber à côté d'elle, sonnée.
– Tu n'as pas l'air surprise, remarqua Vera sans parvenir à masquer son amertume.
– Vera, je...
Druella baissa la tête, rouge écarlate.
– Je me sens vraiment idiote. J'avais des doutes, mais... Je ne voulais pas y croire, je pensais que je me faisais des idées... Je n'ai pas osé t'en parler, de peur de me tromper. Mais j'aurais dû.
– J'aurais dû remarquer aussi, répondit Vera, les yeux dans le vague. Maintenant que je repense à la manière dont il te regardait, par moments... Ça aurait dû me sauter aux yeux.
Druella se tordit les mains, les yeux rougis.
– Tu... Tu ne m'en veux pas trop ?
– T'en vouloir ? s'offusqua Vera. Pour un garçon qu'on connaît depuis quelques mois à peine, alors que nous sommes amies depuis des années ? Quelle drôle d'idée ! Je suis juste un peu triste... Mais ne t'en fais pas, ça passera vite. Ça va déjà mieux que tout à l'heure.
En face d'elle, Druella respirait un peu mieux.
– Me disputer avec toi est la pire chose qui pourrait m'arriver, dit-elle, les larmes aux yeux. Il n'y a rien qui puisse en valoir la peine... Même Thomas.
– Sois tranquille, rit Vera. Je ne t'en veux pas le moins du monde... Je serai même ravie de vous voir danser ensemble à ce fichu bal de Noël.
Druella fronça les sourcils, surprise.
– Je ne comptais pas y aller avec lui, protesta-t-elle. Ce ne serait pas correct vis-à-vis de toi.
– Tu plaisantes ? Lulu, c'est l'occasion rêvée ! C'est ce qu'il veut, et toi aussi !
– Vera...
– Je te promets que ça me fait plaisir. Je t'assure, c'était juste une passade ! Je l'ai déjà oublié ! J'irai avec ce beau joueur de Quidditch qui nous tournait autour en cours de Potions. Allez, amuse-toi ! Notre amitié est plus forte que ces... garçons, dit-elle avec une grimace rieuse.
– Mais... Tu es sûre ?
– Sûre ! Allez, Lulu... Pour une fois qu'un garçon s'intéresse à toi pour les bonnes raisons ! Imagine la tête de tous les abrutis qui te convoitent comme un vulgaire trophée, quand vous entrerez dans la Grande Salle, tous les deux... Rien que pour ça, ça en vaut la peine.
– Mais tu disais que...
– Je dis plein de choses idiotes, comme tout le monde. Tu ne vas pas y aller avec Orion, n'est-ce pas ? Et on ne va pas laisser cette peste de Penny aller au bal de Noël avec notre Thomas ?
– Non, c'est vrai, capitula Druella. Bon, eh bien... Dans ce cas...
Elle faisait de son mieux pour le cacher, mais il était évident qu'elle était folle de joie.
Puis la lumière verdâtre de la salle commune des Serpentard s'estompa dans l'obscurité du souvenir suivant. La nuit était tombée sur Poudlard ; Vera, Thomas et Druella venaient de s'engouffrer dans une pièce obscure, tous les trois échevelés et hors d'haleine. Ils étaient vêtus de somptueux habits de bal, mis à mal par leur course folle.
– Ferme la porte, ferme la porte !
Ils se pressèrent tous les trois contre ladite porte pour l'empêcher de se rouvrir ; puis, voyant que personne ne les avait rattrapés, ils se détendirent peu à peu.
– Eh bien, quelle entrée fracassante, grinça Thomas. Je me souviendrai longtemps de ce bal de Noël.
– Oh, Thomas, haleta Druella, les larmes aux yeux. Ils sont tellement détestables, tous ! Et Orion qui t'a insulté, tout ça parce qu'il n'a pas supporté que je décline sa proposition en ta faveur... Quand je pense que ses amis ont essayé de te frapper ! Je suis tellement désolée, nous n'aurions pas dû prendre ce risque, je ne pensais pas qu'ils deviendraient violents à ce point...
– Rien de grave, soupira Thomas en considérant le col déchiré de sa veste. Je commence à m'habituer à me faire traiter de Sang-de-Bourbe plusieurs fois par jour. En y réfléchissant, notre amitié était déjà très mal perçue : cette altercation était plus que prévisible.
– Je ne m'y ferai jamais, soupira Vera. Cette injustice me répugne.
– Et moi donc, grimaça Thomas. Heureusement que Jacob et Sarah étaient là, ce sont les seuls qui se sont interposés... J'irai les remercier demain.
– Tu as raison, approuva Vera. Et nous irons voir les professeurs pour leur signaler cet incident, c'est inadmissible.
– Oh, je ne sais pas si ça servira à grand-chose, dit Thomas avec amertume. J'ai déjà fait la démarche plusieurs fois, et cela n'a eu strictement aucun effet. Vous savez, je crois que les professeurs ne désapprouvent pas totalement ce genre de comportement.
– Thomas, je suis désolée, dit Vera avec sincérité.
– C'est plutôt à moi de m'excuser... Vous n'allez pas vous attirer des ennuis, avec cette histoire ? Vos parents doivent être furieux que vous fréquentiez quelqu'un comme moi.
– Ne t'en fais pas pour ça, assura Vera.
Ils échangèrent des regards désolés, tous les trois impuissants et désemparés ; puis ils regardèrent enfin autour d'eux. Ils se trouvaient dans une pièce immense et vide, qu'ils n'avaient jamais vue. Au-dessus d'eux, les arcades et les coupoles de pierre étaient si hautes qu'il était difficile d'en apercevoir les détails, et une douce lumière baignait l'ensemble, bien que ni lampes ni fenêtres ne soient visibles.
– Vous croyez que c'est ça, la Salle sur Demande ?
Comme pour leur répondre, la porte qui était derrière eux disparut, et une autre minuscule porte apparut à sa place, à l'autre bout de la pièce.
– Poudlard nous protège, sourit Vera en faisant quelques pas. Cette école a une âme bien plus noble que ces idiots de professeurs.
Derrière elle, Thomas s'approcha doucement de Druella, et lui prit délicatement la main ; elle se laissa faire et lui sourit tendrement, de nouveau radieuse. Ils étaient tous les deux splendides, portant respectivement une veste gris perle et une superbe robe bleue.
– Tiens, dit Thomas en lui tendant un petit bouquet de fleurs. Ces imbéciles l'ont abîmé, mais il est encore beau.
Narcissa tressaillit en reconnaissant les petites fleurs jaunes.
– Elles sont parfaites, dit Druella en prenant le bouquet de narcisses, les joues rosies par l'émotion. Merci, Thomas.
L'instant d'après, ils étaient à l'extérieur, au pied des murailles de Poudlard – sans doute là où les menait la petite porte qu'ils avaient vue apparaître. Vera prétexta une envie furieuse d'aller se coucher, et conseilla à ses deux amis de s'éloigner dans le jardin, le plus loin possible, à l'abri des élèves qui les avaient tourmentés.
– Allez près du lac, leur recommanda Vera. Personne ne viendra vous déranger.
Druella la remercia du regard, et elle s'éloigna au bras de Thomas, son petit bouquet de narcisses en main. Depuis son poste d'observation, en haut de la colline, Vera vit les deux silhouettes marcher main dans la main, se rapprocher progressivement, puis s'enlacer au bord du lac. Pendant un instant, elle parut sur le point d'éclater en sanglots ; mais au dernier moment, un grand bruit derrière elle la fit sursauter. En effet, un élève de Poufsouffle un peu plus jeune qu'elle se trouvait à quelques mètres seulement, et la regardait avec deux grands yeux ronds. Il venait de faire tomber sur le sol les plantes étranges qu'il tenait dans ses bras.
– Oh, désolée de vous avoir effrayée, dit le garçon. J'ai cru vous voir pleurer, et j'ai été si bouleversé que les bras m'en sont littéralement tombés.
Narcissa le reconnut en un clin d'œil : c'était Fergus.
Le souvenir suivant était d'une clarté éblouissante, après la nuit de décembre qui avait précédé. Vera et Fergus avaient vieilli de quelques années ; ils se tenaient tous les deux côte-à-côte, main dans la main, assis au bord d'une falaise qui surplombait la mer. Quelques mètres derrière eux, une petite maison bien reconnaissable à ses murs couverts de coquillages blancs dominait le paysage ; et sur la plage qui se trouvait en contrebas, deux jeunes gens aux cheveux blonds étaient tendrement enlacés.
– Quel bel été, s'émerveilla Fergus. Et cette Chaumière aux Coquillages, quelle trouvaille formidable ! Elle est vraiment charmante.
Fergus parlait avec cette expression amusée, enfantine et sereine que Narcissa lui avait toujours connue.
– Nous l'avons décorée avec soin, renchérit Vera avec joie. Je suis contente que nous ayons trouvé une autre cachette. Lulu et Thomas peuvent enfin s'aimer librement, après plus de trois ans à se retrouver en secret dans la Salle sur Demande.
D'un même mouvement, ils tournèrent leurs regards vers la plage en contrebas, où Thomas et Druella s'embrassaient en riant, les pieds dans l'eau.
– Cette Salle leur a été d'un grand secours, reconnut Fergus. Et puis, elle changeait tout le temps d'aspect ! Je ne crois pas qu'ils s'en soient lassés, ils étaient toujours impatients de s'y retrouver.
– C'est vrai. Ils étaient un peu frustrés de ne pas pouvoir se montrer au grand jour, mais ce devait être excitant de s'aimer au nez et à la barbe de tous ceux qui les épiaient.
– Pour nous aussi, c'était palpitant, renchérit Fergus. J'ai adoré me métamorphoser en Druella, pour lui fournir les alibis dont elle avait besoin... Ses jolies robes et ce petit jeu au goût de Polynectar vont beaucoup me manquer.
– Vous avez un sacré talent d'acteur, mon cher Fergus, le complimenta Vera. Je dois dire que je n'étais pas fâchée de faire tourner Orion en bourrique. Il s'est ridiculisé à chaque fois qu'il accusait Druella de continuer à fréquenter Thomas... Tout le monde le prenait pour un fou, à la fin de notre septième année. S'ils savaient qu'il était le seul à avoir vu juste !
– Nous sommes tout de même allés un peu trop loin, grimaça Fergus. Lors de ce match de Quidditch, quand il les a aperçus tous les deux, à la lisière de la Forêt Interdite... Il en a fait une sacrée chute ! Heureusement, personne ne l'a cru, car tout le monde m'avait vu, transformé en Druella, à vos côtés pendant le match, mais... Ce pauvre Orion en gardera quelques séquelles, d'après Mme Pomfresh. Il est même possible qu'il boite pour le restant de ses jours... Je me sens un peu coupable.
– Nous ne sommes pas responsables de la santé de cet imbécile, répliqua sèchement Vera. Lui qui méprise tout le monde en dehors de lui-même, et qui cherche à s'approprier Druella de toutes les façons... C'est vraiment un garçon ignoble, et je plains surtout celle que la famille Black choisira pour l'épouser.
Vera fronça les sourcils, soucieuse ; mais il suffit que Fergus pose sa tête sur son épaule pour qu'elle retrouve son sourire.
– Ne parlons plus de lui, décida-t-elle en passant un bras autour des épaules de Fergus. Il n'en vaut pas la peine... Ne gâchons pas ces merveilleux moments.
Ils restèrent silencieux pendant quelques instants, durant lesquels Vera contempla sereinement les mouvements amples de la mer, le vol des mouettes au-dessus d'eux, la splendide lumière du soleil qui déclinait vers l'horizon. À côté d'elle, Fergus semblait hésiter à dire quelque chose ; et il finit par prendre la main de Vera, étrangement solennel.
– Vous savez, j'aime beaucoup votre nom de famille, dit-il. Goyle. C'est mélodieux, c'est rond en bouche, c'est agréable à entendre et à prononcer.
Vera semblait s'être habituée aux remarques décalées de Fergus, et ne parut pas surprise.
– Pour être franc, je l'apprécie tellement que j'aimerais avoir le même.
– Le même nom que moi ?
– Absolument.
Il sourit aimablement.
– J'ai beaucoup réfléchi, poursuivit-il, et je pense que le meilleur moyen d'y arriver serait de nous marier.
Vera haussa les sourcils, émue ; puis elle sourit largement.
– Cela me paraît une très bonne idée, mon cher Fergus, dit-elle avec légèreté.
Et elle se pencha vers lui pour l'embrasser.
Ce beau moment fut de courte durée, car à peine s'étaient-ils embrassés qu'une ombre immense leur fit tourner la tête – et ce qu'ils virent leur glaça le sang.
– Orion disait donc vrai, dit une voix tranchante. C'est répugnant.
Vera et Fergus se levèrent d'un bond, catastrophés. À quelques mètres d'eux, Walburga venait de sortir de la Chaumière aux Coquillages, et observait Thomas et Druella s'enlacer sur la plage avec un air de profond dégoût.
– J'ai surpris votre conversation l'autre jour, dans le jardin des Rosier, précisa-t-elle à l'intention de Vera, qui était pâle comme un linge. Cela vous apprendra à être plus discrètes ! Ensuite... Il m'a suffi d'utiliser la voie des cheminettes pour vous retrouver.
Walburga eut un petit ricanement, puis s'engagea dans le chemin qui se dirigeait vers la plage ; mais Vera lui barra le passage.
– C'est à Druella que je veux parler, dit Walburga avec froideur. Écarte-toi.
– Je te défends de les déranger, répliqua Vera. Si tu as un message à transmettre à Druella, je lui en ferai part tout à l'heure.
– Oh, ne prends pas cette peine... Regarde, les voilà qui arrivent.
Druella remontait la pente en courant, visiblement affolée, suivie de près par Thomas. Quelques secondes plus tard, ils étaient tous les quatre rassemblés en haut de la falaise, face à Walburga qui les toisait avec mépris.
– Toi, dit seulement Druella, effrayée.
– Tu sais, Druella, je ne suis pas si surprise, dit Walburga en haussant les sourcils. Au fond de moi, j'ai toujours su que derrière ton attitude de colombe effarouchée se cachait une dévergondée de la pire espèce. J'imagine que tu prends du plaisir à faire tourner la tête de tous les garçons qui te trouvent sur ton chemin ?
– Je te défends de parler d'elle ainsi, gronda Thomas, les poings serrés.
Il voulut s'avancer vers Walburga, mais Vera et Druella l'en empêchèrent.
– Et avec un Sang-de-Bourbe, par-dessus le marché, soupira Walburga en regardant Thomas de haut en bas. Vraiment, quelle indécence...
– Qu'est-ce que tu nous veux ? coupa Vera, qui sentait que la situation était sur le point de dégénérer. Pourquoi es-tu venue ici ?
Walburga les regarda tous les quatre un par un, puis reporta son attention sur Druella.
– Je suis seulement venue te prévenir, dit-elle. Vous savez, Orion vient d'avoir dix-huit ans, et ses parents sont à la recherche d'une épouse pour leur fils adoré... Et sans surprise, tu es la candidate qu'ils ont retenue, ma chère Druella.
Walburga s'interrompit un instant pour se délecter des quatre mines catastrophées qui lui faisaient face.
– Oui, je comprends votre dégoût, car il se trouve que je suis moi-même la deuxième option sur la liste, grimaça Walburga. Il s'en est fallu de peu. Enfin... Je suis simplement venue pour te conseiller d'accepter sa demande, Druella. Tu l'as bien compris, si votre mariage est empêché, c'est moi qui serai désignée pour m'unir à cet infirme obtus et grossier. Et même si j'ai accepté beaucoup de choses pour le bien de ma famille... Cela, je ne pourrai pas le supporter. Aussi, si tu souhaites que ton petit secret ne soit pas dévoilé au grand jour, je te conseille vivement d'accepter... Sinon, je me verrai contrainte de révéler à tout le monde ce que j'ai vu ; et il n'est jamais bon de s'attirer les foudres des Sang-Pur, n'est-ce pas ? Surtout pour quelqu'un comme toi, Thomas : si les habitants de la Colline d'Émeraude apprennent que tu as osé séduire la fille d'Opportus Rosier, je ne donne pas cher de ta peau.
– Pourquoi fais-tu cela, Wal ? s'indigna Vera. Nous sommes toutes malmenées par ces conventions absurdes, et toi la première ! Nous ferions mieux d'être solidaires, au lieu de nous déchiqueter ainsi !
Walburga eut un rictus de dégoût.
– La solidarité, ça n'existe que pour ceux qui en profitent, décréta-t-elle. Pour ma part, je n'y crois plus.
Sur ces mots, elle leur tourna le dos et disparut dans la Chaumière aux Coquillages. On l'entendit prononcer le nom de sa destination, puis l'explosion caractéristique qui signalait son départ par la voie des cheminettes. Dehors, Vera, Fergus, Thomas et Druella n'avaient pas fait le moindre geste ; ils étaient tous les quatre pétrifiés.
– Je suis désolée, se lamenta Vera après un long silence. Nous n'avons été distraits que quelques secondes, nous ne l'avons pas entendue arriver...
Mais ni Thomas, ni Druella ne l'écoutaient. Le regard limpide de Thomas scrutait Druella, et la jeune femme fixait le sol avec intensité, respirant à un rythme saccadé.
Quand elle se tourna vers lui, elle pleurait – et Thomas comprit.
– Nous pourrions nous enfuir, dit-il sans y croire.
Druella secoua lentement la tête.
– Thomas, nous en avons déjà parlé des centaines de fois... Si nous faisons cela, ils te tueront ! Cette peste de Walburga a raison : si nous partons ensemble, les Sang-Pur le vivront comme un outrage, ils t'accuseront de m'avoir enlevée, de m'avoir forcée... Où que nous soyons, ils nous trouveront, et ils te tueront, toi et tous ceux que tu aimes... Non, Thomas, je ne prendrai pas ce risque-là. Je ne pourrai pas vivre avec cette peur-là.
Non loin d'eux, Vera et Fergus se taisaient. Ils étaient désormais invisibles à leurs yeux.
– Alors adieu, je suppose, lâcha Thomas.
Il voulut partir vers la Chaumière aux Coquillages ; mais Druella se jeta à son cou pour le retenir, et ils s'étreignirent une dernière fois, de toutes leurs forces désespérées.
– Je te promets que je ferai tout pour changer ce monde, déclara Thomas. Pour toi. Pour que nous puissions enfin nous aimer.
Vera n'arrivait pas à détacher son regard de la scène, ni de Thomas qui disparaissait dans la Chaumière aux Coquillages. Lorsqu'il fut parti, Vera s'approcha de Druella, et posa doucement sa main sur son épaule.
– Lulu, je...
– Tu n'y es pour rien, coupa Druella. Cela devait arriver, un jour ou l'autre... C'était inévitable, et nous le savions très bien.
Avec des tremblements difficilement maîtrisés, elle se redressa, essuya le coin de ses yeux, défroissa sa robe.
– Je dois rentrer, dit-elle d'une voix de plus en plus éteinte. À plus tard, d'accord ?
Et sans attendre de réponse, elle marcha vers la chaumière et y disparut à son tour. Vera la regarda partir, encore tremblante d'émotion.
– Rentrons aussi, proposa Fergus en lui prenant doucement la main. Il va faire nuit.
Vera frissonna. Autour d'eux, le soir tombait ; le ciel prenait une couleur violette, la mer devenait plus sombre.
– Vous avez parfaitement raison, Fergus, murmura-t-elle. Il est grand temps de rentrer.
Leurs deux silhouettes se mirent en route vers la chaumière, puis se volatilisèrent dans l'obscurité.
Dans le souvenir suivant, Vera et Druella étaient assises côte-à-côte, et leur mine sombre contrastait étrangement avec l'atmosphère festive qui régnait dans le somptueux salon de la famille Rosier. Druella, surtout, était d'une pâleur extrême, et on aurait dit qu'elle n'avait rien mangé depuis plusieurs jours ; son regard flottait dans le vague, comme si elle s'était absentée d'elle-même. Elle ne prêtait aucune attention à Orion, qui se pavanait à côté d'elle, une main triomphale posée sur son épaule. Attablés avec eux, les parents d'Orion étaient tout aussi radieux ; les Rosier, en revanche, semblaient légèrement inquiets de voir leur fille ainsi éteinte.
– À la santé des fiancés, déclara le père d'Orion en servant des coupes de champagne pour détendre l'atmosphère. À la santé d'Orion et de Druella !
– Tenez, ma chère, dit Orion en tendant à Druella l'une des coupes de champagne, un sourire avide vissé sur les lèvres.
Tout le monde fut servi ; mais au moment où Druella portait mécaniquement le verre à ses lèvres, Vera fronça le nez, perplexe. En un éclair, son regard alla du visage perfide d'Orion au verre de Druella : celui-ci éclata en morceaux et des exclamations de surprise retentirent dans la pièce.
Vera se leva avec brusquerie, hors d'elle.
– Orion ! s'écria-t-elle avec horreur. Espèce de MONSTRE !
Elle s'empara d'un fragment du verre de Druella, encore imprégné du liquide qu'il contenait quelques secondes auparavant, et le brandit devant elle.
– Dites-moi ce que vous sentez, ordonna-t-elle.
Interloqués, les parents d'Orion s'approchèrent pour sentir le morceau de verre.
– C'est étonnant... Je sens... Une odeur de pâtisserie... Il y a de la vanille, devina sa mère. En tout cas, ça sent très bon !
– Non, vous n'y êtes pas du tout, répliqua sèchement son mari. L'odeur est très agréable, certes, mais cela se rapproche plutôt du cuir fraîchement ciré... Mélangé à celle d'un gallion neuf ! C'est étonnant, d'ailleurs...
Vera se tourna vers Druella, mais renonça à lui poser la question : elle savait parfaitement ce qu'elle sentait, ou plutôt qui elle sentait.
– Moi, je sens plusieurs choses, dit Vera. Dont une odeur d'œuf de Rakmoule... Or, il n'y a pas de Rakmoule en Europe. Il n'y en a jamais eu. Et si nous sentons tous quelque chose de différent, c'est parce qu'il s'agit d'un puissant philtre d'amour !
Tout le monde se tourna vers Orion, qui perdit aussitôt toute contenance.
– Cela ne te suffisait pas de lui forcer la main, n'est-ce pas ? rugit Vera. Tu voulais qu'elle t'appartienne corps et âme ? Espèce d'immonde pourriture !
Mr Rosier se leva, très digne, et remercia Vera d'un signe de tête.
– Ma fille n'épousera pas un empoisonneur, déclara-t-il avec fermeté. Les fiançailles sont rompues !
Puis ce fut comme si la nuit était tombée en un instant. Les mêmes personnes étaient installées dans le salon, attendant visiblement quelqu'un.
– Les voilà, dit Mrs Rosier en regardant par la fenêtre.
Pollux et Irma Black entrèrent dans la pièce, le menton levé, semblant très satisfaits d'eux-mêmes. Cygnus les suivait de près, alors âgé d'une vingtaine années, imitant à la perfection l'attitude hautaine de ses deux parents ; et Walburga fermait la marche, renfrognée.
Lorsqu'ils furent tous entrés, Pollux Black se tourna vers elle.
– Eh bien ? le pressa Walburga avec agacement. Allez-vous enfin me dire pourquoi vous m'avez fait venir ici ?
– Pas d'insolence, ma fille, la rabroua Pollux Black.
– Orion et Druella ne se marieront pas, annonça Mr Rosier. Pour des raisons qui m'appartiennent, le mariage est annulé.
– Heureusement, nous avons trouvé un arrangement avec tes parents, Walburga, minauda la mère d'Orion.
Tous les regards convergèrent vers Walburga, et aussitôt, son visage se décomposa.
– Oh, non... Non ! Vous n'avez pas... Pas ça ! Pas moi !
– Tu épouseras Orion, et Cygnus épousera Druella, décréta son père, implacable.
Walburga se détourna pour s'enfuir, mais son père la retint fermement par le bras.
– Père, pitié ! Non ! Maman ! Je vous en supplie !
La détresse brisait sa voix, la rendait plus aiguë.
– Cygnus ! supplia-t-elle. Toi, dis-leur ! Dis-leur que je ne peux pas épouser Orion... Que c'est impossible...
Walburga se tourna vers son frère aîné et réalisa, avec plus d'horreur encore, que son visage ne trahissait aucune forme de surprise.
– Tu savais, souffla-t-elle. Tu as laissé faire ça... Cygnus, tu m'avais juré...
– Ah, mais cesse donc de te débattre ! cria son père, alors que Cygnus détournait le regard.
– Lâchez-moi ! continuait de crier Walburga. Lâchez-moi, je vous en prie !
– Oui, lâchez-la, gémit Vera en s'avançant vers les Black. S'il vous plaît, Mr Black, arrêtez...
L'intervention de Vera sembla soudain raviver la lucidité de Walburga, car elle cessa un instant de lutter contre la poigne de son père pour pointer un doigt accusateur sur Druella.
– Père, écoutez-moi ! Cygnus ne peut pas épouser cette fille ! Ce n'est qu'une...
VLAN !
Son père la fit taire en lui administrant une gifle monumentale, qui manqua de la faire tomber.
– Pollux, enfin ! s'indigna son épouse, sans se lever de sa chaise pour autant.
– Mr Black ! protesta Vera, choquée.
Mais Pollux Black ne leur accorda pas la moindre attention.
– Vas-tu te taire, à la fin ! tonna-t-il à l'intention de Walburga. As-tu seulement conscience de l'embarras dans lequel tu me mets ?
Walburga répondit par un hoquet. Le visage tourné vers le mur, elle tremblait de tous ses membres, et avait plaqué sa main sur sa joue cuisante.
– Ton frère épousera Druella le mois prochain, déclara Pollux Black. Tu as déjà fait fuir deux de ses prétendantes, mais cette fois-ci, tu n'en auras pas l'occasion. La Gazette du Sorcier en est déjà avertie, et annoncera la nouvelle tout à l'heure : tout est acté, tâche donc de t'en réjouir. Ton frère est heureux d'épouser Druella, et si tu oses t'en prendre à elle d'une quelconque manière, je te fais enfermer à Sainte-Mangouste, comme j'aurais peut-être dû le faire depuis bien longtemps !
Au-dessous du visage de Walburga, une larme tomba sur le tapis. Vera se précipita vers elle, mais Walburga la repoussa avec violence.
– Ne me touche pas, espèce de garce, renifla-t-elle avec une haine inexprimable.
Toujours tremblante, elle se redressa lentement. Sa courte lutte avait défait son chignon, et la poigne de son père avait laissé des marques sur son bras ; lorsqu'elle leva la tête, Irma Black baissa les yeux pour ne pas voir la joue tuméfiée de sa fille.
– Soit, dit-elle. Si... Si c'est votre volonté, Père, je le ferai.
– Bien, approuva Pollux Black. Vos noces auront lieu dans quelques mois : c'est bien plus que nécessaire pour te faire à cette idée. Partons, maintenant, tu t'es assez donnée en spectacle comme cela.
Avec autant de dignité que possible, Walburga essuya une goutte de sang qui perlait au bout de son nez, puis jeta à Druella un regard qui n'avait jamais contenu autant de haine. Et tant bien que mal, elle tourna les talons et s'en alla, soigneusement encadrée par ses deux parents.
Au milieu de la pièce, les vêtements de Vera se métamorphosèrent, suivis par tout ce qui l'entourait ; et elle se retrouva sur le Chemin de Traverse, en train de lire à toute vitesse un exemplaire de la Gazette du Sorcier qui portait le titre suivant : Jacob Claring échappe de justesse à un assassinat ciblé, son plus proche associé grièvement blessé. Plus bas, un autre titre s'étalait en lettres capitales : Qui est Thomas Everly, le jeune homme blessé lors des dernières émeutes ?
Vera avait encore vieilli de plusieurs années, et devait se tenir au mur adjacent pour ne pas s'écrouler en lisant la Gazette.
– Par Merlin, murmurait-elle anxieusement. Oh, Thomas, que t'est-il encore arrivé ? Je t'avais pourtant prévenu de ne pas t'allier aux Claring et à leur Fondation, je t'avais dit que c'était bien trop dangereux...
C'est à ce moment précis qu'une silhouette encapuchonnée passa à côté d'elle, plaqua une main sur sa bouche pour l'entraîner dans une ruelle perpendiculaire – l'Allée des Embrumes – et la poussa brutalement contre le mur.
– Tais-toi, ou je te tue, dit l'homme en faisant étinceler une lame aiguisée dans l'ombre de sa cape.
– Jacob, murmura Vera, effrayée par les cicatrices noirâtres que son interlocuteur avait sur la joue. Ton visage !
– Ça ? Oh, crois-moi, ce n'est rien, ricana Jacob Claring avec un rictus amer. Thomas s'est interposé pour me protéger... C'est lui qui a tout pris.
– J'ai lu qu'il avait été grièvement blessé, lui répondit Vera. Comment va-t-il ? Est-il encore en vie ?
– Plus pour longtemps. Il est en train de se laisser mourir, Vera. Et tu sais comment l'aider.
Vera tressaillit.
– Préviens-la, ordonna Jacob Claring. Fais venir Druella. C'est la seule qui peut encore lui donner la force de vivre.
– Jacob, c'est de la folie, protesta Vera. Toi, Sarah et Thomas... Vous êtes recherchés depuis des mois, depuis que vous avez empoisonné ce fameux banquet réservé aux Sang-Pur ! Druella a deux petites filles, mon fils n'a que quelques mois, nous ne pouvons pas nous permettre...
À ces mots, la rage de Jacob Claring parut se raviver brusquement. Il saisit Vera par le col de sa cape, et la plaqua brutalement contre le mur de pierre. Avec ses yeux noirs flamboyants de colère et sa respiration saccadée, il était effrayant.
– Maudits Collinards, siffla-t-il. Vous avez ruiné ma vie, vous et cette maudite Gazette ! À répandre des calomnies sur moi, sur ma femme, à nous faire passer pour des criminels ! Ah, le poison du banquet n'était pas mortel, c'était seulement pour vous effrayer... Mais si c'était à refaire, je t'assure que je vous tuerais TOUS ! Mon fils Adam a cinq ans, tu m'entends ? Cinq ans, et il n'a pratiquement jamais vu la lumière du jour, il ne connait que la peur et la fuite ! Et tu oses me parler de risque ? Tu oses me parler des filles de Druella ? Et Thomas ! Quel idiot, celui-là, de s'être entiché d'une fille comme elle... Qu'est-ce qu'il croyait ? Que cette garce allait renoncer à ses beaux bijoux et à sa petite vie paisible sur la Colline d'Émeraude, simplement par amour pour lui ?
– Je... Je t'interdis de parler d'elle ainsi, s'étrangla Vera, en essayant de se défaire de sa poigne d'acier.
– Il pense toujours à elle, Vera ! C'est pour elle qu'il fait tout ça – oh, il ne me l'avoue pas, mais je le sais, il murmure son nom dans son sommeil, et je vois son reflet dans ses yeux chaque fois qu'il regarde ma famille ! Cela fait des années que Druella l'a repoussé, des années qu'ils ont cessé de se voir, et pourtant elle continue de lui empoisonner l'esprit ! Alors prends cette adresse, et convaincs-la de venir, compris ? Thomas m'a interdit de le venger, il m'a interdit de vous toucher, mais je veux au moins qu'elle voie ce qu'elle a fait de lui !
Et sans attendre de réponse, Jacob Claring fourra un morceau de parchemin dans la poche de Vera, s'écarta d'elle en crachant dans sa direction, puis remit son capuchon en place et s'enfonça dans l'obscurité de l'Allée des Embrumes.
La pièce qui se matérialisa ensuite ressemblait à un prolongement de la ruelle sinistre et insalubre dans laquelle Vera et Jacob Claring s'étaient disputés. Il y faisait très sombre ; il n'y avait aucune fenêtre, en dehors d'un soupirail encrassé ; tous les meubles étaient rongés par l'humidité, les tapis par la moisissure, les vêtements par les mites. Dans un coin, derrière un rideau sale, un petit enfant aux cheveux noirs dormait d'un sommeil agité. Au milieu de la pièce, avec leurs capes précieuses et immaculées, leurs chevelures lisses et leurs ongles impeccables, Vera et Druella semblaient avoir honte de leur propre accoutrement – surtout face à Jacob Claring, qui les accueillait avec une hostilité à peine dissimulée.
– N'utilisez pas de magie ici, leur ordonna-t-il à voix basse. Avec cette maudite Trace, nous serions repérés en quelques minutes à peine... Venez, il est dans l'autre pièce.
Il les conduisit à une porte vermoulue, qui s'ouvrit sur une pièce encore plus exiguë, et encore plus sombre.
– Je vous laisse, marmonna Jacob avant de s'écarter.
Lorsque sa vue s'habitua à la pénombre, Vera tressaillit : au fond de la pièce, sur un matelas posé à même le sol, un corps maigre était recouvert par un simple drap, humide et jauni. Elle s'en approcha prudemment, à pas feutrés.
– Thomas ? appela-t-elle doucement.
Le jeune homme tourna la tête. Ses joues sales, ses traits ternes et creusés, dévorés par la maladie et le chagrin, n'avaient plus rien à voir avec le visage du garçon séduisant que les deux amies avaient côtoyé à Poudlard.
– Vera, répondit-il d'une voix éraillée.
Il lui sourit faiblement, puis ses yeux se refermèrent. Un peu tremblante, Vera posa prudemment sa main sur son bras décharné.
– Thomas... Réveille-toi, regarde... Regarde qui est là.
Thomas rouvrit lentement les yeux, et, suivant du regard le geste de Vera, il se tourna vers la porte. Lorsqu'elle croisa son regard, Druella parut fondre sur place. Elle s'avança timidement ; Vera se leva, et la prit par la main pour la guider jusqu'au chevet de Thomas, où elle tomba à genoux.
– Thomas, murmura Druella.
Prononcer son prénom la rendait encore plus belle. En face d'elle, la main du jeune homme se souleva du lit avec difficulté et effleura sa joue.
– C'est toi, souffla-t-il.
Il ne semblait pas en croire ses yeux. Druella lui prit la main, embrassa doucement ses doigts.
– Oui, chuchota-t-elle. C'est moi.
Les larmes qui venaient de couler de ses yeux bleus limpides furent suivies par d'autres, plus nombreuses et plus denses.
– Tu pleures, dit Thomas, toujours incrédule.
– Tu me manques tellement, dit-elle tout bas.
– Oh, bon sang... Tu me manques aussi.
– Thomas, pardonne-moi... Tout est ma faute. Nous aurions dû partir ensemble, j'aurais dû t'écouter...
– Chhht, murmura Thomas en posant un pouce sur ses lèvres. Ne dis pas ça, je t'en prie. Je ne veux plus y penser.
Au prix d'un effort immense, il se redressa dans le lit, et se déplaça légèrement pour laisser Druella s'approcher de lui. La jeune femme blêmit lorsque les draps glissèrent sur son corps, découvrant une monstrueuse tache noire qui partait de son épaule et se propageait dans sa poitrine.
– Oh, Thomas...
– Ce n'est rien, je t'assure. Viens là, s'il te plaît. Enfin... si je ne te fais pas peur.
Druella secoua la tête avec vigueur, s'approcha doucement comme si elle avait peur de le briser en morceaux, et se blottit délicatement contre lui. Thomas l'entoura de ses bras, embrassa ses cheveux blonds et défaits, caressa son dos comme si c'était elle qui était mourante.
– Je suis tellement heureux de te voir, dit Thomas dans un souffle.
Non loin du lit, Vera ne pouvait détacher son regard de ses deux amis, qui avaient déjà oublié sa présence.
– Parle-moi plutôt de toi, disait Thomas. Dis-moi que tu es heureuse.
– Je ne sais pas...
– On m'a dit que tu avais deux petites filles, l'encouragea Thomas. Bellatrix et Andromeda, c'est bien ça ?
– Oh, Thomas, soupira Druella. Si tu savais... Si tu savais combien je pense à toi...
– Ne dis pas ça...
– Et mon mari... Si tu nous voyais... Thomas, je te jure que je ne l'aime d'aucune façon, que je le hais de nous avoir séparés...
– Ne parle pas de lui, coupa Thomas en fermant les yeux. Non, parle-moi de tes filles... On m'a dit que leurs yeux brillaient comme des perles, que leurs cheveux étaient plein de boucles et que leurs rires étaient comme des cascades d'eau claire... Parle-moi d'elles, je t'en prie.
– C'est avec toi que je voulais des enfants, Thomas. Avec toi et avec personne d'autre.
Cette fois-ci, Thomas sourit furtivement, et posa une main décharnée sur la joue de Druella.
– Dis-moi qu'elles te ressemblent, supplia-t-il en la caressant tendrement. Dis-moi que leurs visages ont la douceur du tien.
Ils échangèrent un sourire. Leurs visages se rapprochèrent, leurs lèvres se rencontrèrent ; à ce moment-là, Vera retrouva ses esprits et sortit de la pièce.
Elle se retrouva face à Jacob et Sarah, qui se parlaient à voix basse avec gravité. Lorsqu'ils se tournèrent vers elle, Vera sortit de sa cape une peluche adorable en forme d'hippopotame.
– Pour Adam, dit-elle en leur donnant, visiblement honteuse.
– Trop aimable, cracha Jacob avec mépris. Tu sais, si tu te sens coupable, il est encore temps de rejoindre notre lutte...
– Arrête un peu, le réprimanda Sarah en prenant le petit animal duveteux. Merci, Vera. Je lui donnerai à son réveil... Il sera très content.
Tous deux allèrent s'étendre derrière un rideau, non loin d'Adam, et Vera resta seule. Elle s'assit dans un coin de la pièce, embarrassée ; elle parut s'endormir, et quand elle s'éveilla de nouveau, la lumière rosée de l'aube filtrait à travers le soupirail. Catastrophée, Vera se précipita pour réveiller Druella ; elle ne fit qu'entrouvrir la porte, mais dans la semi-obscurité, on devinait la forme de deux corps enlacés sous un drap, et dans le rai de lumière qui traversa la chambre, on pouvait apercevoir une chevelure blonde défaite sur l'oreiller, une main posée sur une épaule nue, et une robe de flanelle bleue froissée, abandonnée à côté du matelas.
Mais tout cela disparut immédiatement. À la place, Vera courait à perdre haleine, pieds nus et vêtue d'une robe de soirée, complètement affolée, tenant devant elle son ventre déjà rond. Elle avançait dans une ruelle étroite et parvint dans une impasse, éclairée par la lumière vive, dansante et sinistre des flammes qui dévoraient l'un des immeubles.
– Non ! THOMAS ! cria Vera au-dessus des crépitements assourdissants. Non, pitié... JACOB ! SARAH !
Elle était à bout de souffle, et sa grossesse la faisait visiblement souffrir. Alors qu'elle s'apprêtait à s'élancer à travers les flammes, Fergus surgit derrière elle, et l'arrêta net en la prenant par le bras.
– Je vous interdis d'y aller, dit-il avec la plus grande fermeté. Je ne crains pas ces bandits, ni leur pitoyable incendie. Restez ici : je vais chercher ces pauvres gens.
On n'avait jamais entendu Fergus parler avec une telle voix, avec ce ton sans réplique. Il laissa Vera plantée là, et s'élança sans hésiter vers l'immeuble, qui ressemblait déjà à une immense torche et qui menaçait de s'effondrer sur lui-même.
– Fergus, gémit Vera aussitôt qu'il eut disparu dans les flammes. Oh non, non, non...
À peine quelques secondes plus tard, Fergus reparut, portant un très jeune enfant dans ses bras.
– Adam, le reconnut Vera.
Il était inconscient ; sa peau et ses vêtements étaient brûlés par endroits. Il respirait difficilement, et tenait contre lui une peluche duveteuse en forme d'hippopotame, dont une oreille avait brûlé.
– Il est vivant, dit calmement Fergus. Il s'est simplement évanoui, avec toute cette fumée... Sa mère est coincée sous une poutre, et Jacob essayait de la libérer... J'ai éloigné ce maudit Feudeymon, mais je n'ai pu sauver que le petit pour le moment. Heureusement, deux Aurors viennent d'arriver en renfort... Je n'ai pas vu Thomas, en revanche... Tenez, prenez-le vite, ma chère Vera, j'y retourne immédiatement.
Au moment où il prononçait ces mots, il y eut un craquement sinistre qui les fit se tourner vers l'immeuble. Les murs rongés par l'incendie ployèrent lentement, les poutres cédèrent, le ciment vola en éclat ; dans un grand vacarme, les quelques étages de l'immeuble vétuste s'écroulèrent les uns sur les autres, et un nuage de braises et de fumée se répandit dans les rues avoisinantes.
Et le décor bascula une dernière fois, soufflé comme la flamme d'une bougie.
Cette fois-ci, Vera descendait la rue de la Colline d'Émeraude, le ravluk Albert sur son épaule, une main sur son ventre arrondi, le visage marqué par la fatigue et le chagrin. Elle tenait dans sa main un autre exemplaire de la Gazette du Sorcier, qui titrait en première page : Les Claring assassinés pendant la nuit, leur fils a mystérieusement survécu.
Alors qu'elle traversait le jardin de Cygnus et Druella, Vera s'aperçut que quelque chose clochait : Bellatrix et Andromeda, pourtant très jeunes, étaient seules dans le jardin, sans aucune surveillance.
Quand elle l'aperçut, Bellatrix leva sa frimousse pleine de terre et désigna la maison :
– Il dispute maman très fort, grogna-t-elle, visiblement contrariée.
– M'man, renchérit Andromeda, qui était sur le point de pleurer.
Vera fronça les sourcils, laissa le ravluk Albert surveiller les deux petites filles et marcha à grands pas vers la maison des Black. Au fur et à mesure qu'elle s'approchait, des éclats de voix de plus en plus distincts parvenaient jusqu'à elle.
– COMMENT AS-TU PU ? hurlait la voix de tonnerre de Cygnus Black. Bon sang, Druella ! Tu n'as pas idée...
Il baissa la voix, et Vera dut appliquer son oreille sur la porte pour entendre la suite.
– Tu vas partir d'ici, grondait Cygnus Black, écumant de rage. Je prétexterai quelque chose pour expliquer ton départ, n'importe quoi... Tu te débarrasseras de cet enfant, et tu reviendras ensuite, quand tout sera réglé...
Vera comprit immédiatement, et entra en trombe dans le salon. Druella était assise sur le canapé, le visage enfoui dans ses mains, tellement effondrée qu'elle ne leva même pas la tête. Cygnus, en revanche, se tourna vers Vera, rouge écarlate.
– Toi ! éructa-t-il. J'aurais dû m'en douter, c'est toi qui est derrière tout ça ! Très bien, tu vas pouvoir me dire qui d'autre est au courant de ce scandale...
– Nous trois, et personne d'autre, coupa Vera. Mais si tu continues de crier ainsi, tu risques d'ameuter d'autres curieux.
Cygnus ignora son conseil.
– C'est toi qui l'as emmenée auprès de lui, n'est-ce pas ? rugit-il. C'est toi qui les as protégés, pendant tout ce temps ! Et voilà le résultat : ma femme, ma propre femme, enceinte de Thomas Everly ! Heureusement que ce bandit est déjà mort, car autrement, je me chargerais moi-même de l'exterminer comme il se doit !
– Tais-toi, par pitié, sanglota Druella, qui n'osait même pas le regarder.
– Assez, Cygnus, ordonna Vera. Tu ne peux pas exiger amour et fidélité d'une femme à qui on a forcé la main. Druella t'a épousé par obligation, mais elle ne t'appartient pas... Elle ne t'a jamais appartenu.
– Tes discours de diablesse ne m'intéressent pas, s'écria Cygnus, enragé. Ah, je pourrais vous tuer toutes les deux !
– Écoute-moi, coupa Vera, nullement impressionnée par la véhémence de Cygnus. Voilà ce que tu vas faire : tu vas te taire. Tu ne toucheras pas à un cheveu de Druella. Au contraire, tu prendras soin d'elle et de cet enfant. Car cet enfant vivra, et il vivra auprès de Druella... et auprès de toi.
– Tu me demandes d'accueillir un enfant de cet Everly sous mon toit ? De l'élever comme si c'était l'un des miens ? As-tu conscience que c'est strictement impensable ?
– C'est pourtant ce que tu vas faire.
– Et pourquoi ferais-je cela ?
– Parce que je ne te laisse pas le choix. Si tu refuses, je prends Lulu avec moi, avec Bellatrix et Andromeda, et elles vivront sous mon toit, sur la Colline d'Émeraude. Je ne te laisserai jamais leur faire du mal.
– Je suis le maître des lieux ! hurla Cygnus. Tu n'as pas à me dicter ma conduite !
– Et pourtant, tu as tout intérêt à m'obéir. Surtout si tu ne veux pas que cette histoire arrive aux oreilles de certaines personnes... Les rédacteurs de La Gazette du Sorcier, par exemple. Je pense que ta réputation en prendrait un sacré coup.
– C'est une menace ?
– Parfaitement.
Ses yeux verts brillaient de détermination, et ses poings serrés en disaient long sur la manière dont elle comptait défendre son amie et le petit être qui grandissait déjà en elle.
– Thomas Everly était un dangereux criminel, cracha Cygnus.
– C'est faux, murmura faiblement Druella, mais personne ne prêta attention à elle.
– Dès que les sorciers apprendront que son enfant a survécu, ils voudront sa peau ! cria Cygnus.
– Personne ne l'apprendra, rétorqua Vera. Je t'en fais la promesse : si tu te tais, personne n'en saura jamais rien. Thomas est mort, et tous ceux qui auraient pu révéler cette histoire sont morts avec lui. Tout le monde considérera cet enfant comme un Black, et ton honneur sera sauf. C'est la seule solution : il faut que tu mentes avec nous.
Cygnus serra les poings, acculé.
– Soyez maudites, siffla-t-il. Soyez maudites, toutes les deux !
Et il sortit de la pièce.
– J'ai cru qu'il allait me tuer, sanglota Druella lorsqu'il fut sorti.
– Il ne le fera pas, assura Vera. Cygnus est lâche et prétentieux, mais il n'est pas un assassin. Il ne te fera aucun mal.
Druella haussa les épaules, le visage crispé par le chagrin.
– Ne fais pas cette tête, Lulu... Tu es enceinte ! Enfin, c'est extraordinaire !
– Je ne sais pas, dit Druella alors que deux grosses larmes roulaient sur ses joues. Cygnus était tellement en colère... Et Thomas... Je ne le reverrai plus... Et il... il...
Elle caressa son ventre discrètement arrondi, et ses larmes redoublèrent d'intensité.
– C'est une fille, sanglota-t-elle. Et quand je pense que Thomas n'en saura jamais rien... Qu'il ne la verra jamais...
– Lulu, regarde-moi, dit Vera avec sérieux.
Druella leva la tête. Les deux sillons humides qui barraient ses joues étincelèrent dans la lumière qui filtrait par la fenêtre.
– Sois heureuse comme il serait heureux en voyant cela, sourit Vera en désignant le ventre de Druella. Haut les cœurs ! Thomas est mort, et c'est un drame, mais regarde-toi : quoiqu'il arrive, votre plus grand rêve, à tous les deux, est sur le point de naître.
Au lieu d'être réconfortée, Druella sanglota de plus belle.
– Je le sais bien, hoqueta-t-elle. Cette petite fille n'est pas encore née, et elle est déjà ce qui compte le plus à mes yeux. Mais justement, cela me terrorise... Vera, cette enfant sera toujours en danger, elle n'aura que moi... Et je n'arrive pas à m'enlever cette idée de la tête... Et si je n'arrivais pas à la protéger ? Et si je disparaissais, qui prendra soin d'elle ?
Vera sourit tendrement, et posa une main sur celle de Druella, sur le ventre arrondi de cette dernière.
– Si une telle chose arrivait, je te promets que je la protégerai comme si c'était la mienne, dit-elle sur un ton solennel. Je te promets que, moi vivante, elle ne manquera jamais de rien, et qu'aucune menace ne l'atteindra.
Druella leva les yeux vers elle, et parut se calmer un peu.
– Je veillerai toujours sur vous deux, poursuivit Vera, de plus en plus émue. Pour toi, et pour Thomas. Je vous le promets.
Druella hocha la tête, sourit enfin à travers ses larmes et se jeta dans les bras de Vera.
***
Quand Narcissa se redressa, elle fut surprise de trouver la pièce encore intacte, de retrouver Vera à l'endroit où elle l'avait laissée. Elle avait l'impression d'avoir passé des années dans cette Pensine, d'avoir traversé mille époques, mille histoires. Elle aurait pensé que le monde se serait désintégré en même temps que sa propre perception des choses, que sa propre perception d'elle-même. Contrairement à l'état immobile de tout ce qui l'entourait, une véritable tempête faisait rage en son for intérieur : tout se disloquait et prenait sens en même temps, tout se renversait. Les ombres mystérieuses qui avaient obscurci sa vie avaient disparu, mais tout le reste s'effondrait. Elle n'avait jamais ressenti autant d'émotions contradictoires à la fois, et elle était incapable de dire si elle se sentait bien ou mal, soulagée ou trahie, attendrie ou horrifiée.
À côté d'elle, Vera l'observait silencieusement, guettant patiemment sa réaction. Face à elle non plus, Narcissa ne savait pas quoi faire : elle était paralysée, incapable de choisir entre la couvrir d'injures ou se jeter dans ses bras.
– Mais pourquoi... Pourquoi ne m'avoir rien dit ? demanda-t-elle, hébétée.
– Ta mère craignait que tu ne la rejettes, répondit Vera. Elle avait honte de ce qu'elle avait fait, du poids qu'elle te faisait porter et du danger qu'elle te faisait courir. Peu avant sa mort, elle... elle m'a dit qu'elle était à bout de forces, qu'elle n'arrivait plus à tenir, qu'elle n'en avait plus pour longtemps. Elle m'a fait promettre que si elle mourait avant, je te dirai tout lorsque tu aurais dix-sept ans ; et j'ai promis, soupira Vera.
– Et... ?
– Et j'ai été lâche. Tu étais tellement choquée, après la mort de ta mère, après la fuite d'Andromeda... Je craignais que ces révélations ne t'anéantissent pour de bon. Comme ta mère, j'avais peur que tu m'en veuilles, que tu coupes tout contact avec moi, que tu t'isoles... Mais c'était une erreur, je m'en rends bien compte. Nous aurions dû te dire tout cela le plus tôt possible, et te laisser le choix de nous en vouloir ou non... À force de vouloir te protéger de tout, nous t'avons menti pendant des années, et je te demande pardon pour cela. Daisy me l'a beaucoup reproché, et elle a eu raison.
– Daisy, répéta Narcissa. Elle sait tout ?
– Oui, avoua Vera. Depuis bien longtemps. Elle n'avait que sept ans lorsqu'elle a surpris une conversation entre ta mère et Cygnus, alors que vous jouiez toutes les deux à cache-cache dans votre jardin... Lorsqu'elle m'en a parlé, je n'ai pas eu d'autre choix que de tout lui expliquer, et de lui faire promettre de garder ce secret pour elle. Je me sentais coupable, elle qui était si jeune... Mais elle a tenu. Elle a été muette comme une tombe. En dehors d'elle, de Cygnus, Fergus et moi, personne ne sait rien. Même Walburga ne s'est jamais douté de rien, à ma connaissance. Elle a dû penser qu'après cette altercation sur la plage, Thomas et Druella ont définitivement cessé de se voir.
Narcissa hocha la tête, puis s'appuya sur les bords de la Pensine pour réfléchir. Juste au-dessous des miroitements argentés, les souvenirs continuaient de tournoyer, et le visage de Thomas Everly apparaissait de temps à autre. En l'observant de nouveau, Narcissa sentit son cœur se fissurer. Elle n'avait pas voulu le reconnaître immédiatement, mais elle lui ressemblait indéniablement. Cela ne tenait pas à grand-chose : la forme de son nez, un pli sur sa joue, la finesse de ses lèvres. Lorsqu'elle avait vu Thomas à côté de sa mère, encore jeunes, une part d'elle-même avait su qu'il venait de compléter ce qui lui manquait depuis toujours.
– Est-ce que...
Elle hésita à poser la question. C'était la plus importante de toutes, mais aussi celle dont elle redoutait le plus la réponse.
– Est-ce que tu penses que Lucius comprendra ? Si je lui raconte tout ça ?
Vera eut un haussement d'épaules désolé.
– Je n'en sais rien, Cissy. Je crois qu'il t'aime énormément, et sincèrement. J'aimerais croire que l'amour qu'il a pour toi primerait sur sa conquête du pouvoir, et surtout sur ses convictions infâmes à propos de la pureté du sang... Mais je ne peux pas te l'assurer.
Narcissa secoua la tête.
– Il ne voudra plus jamais de moi, murmura-t-elle. Pas s'il sait tout cela.
– Pour Lucius, je ne sais pas, mais il y a une chose que je peux te promettre, poursuivit Vera en s'approchant d'elle. Ta mère t'a aimée de tout son cœur, tout comme Thomas l'aurait fait s'il était encore en vie ; et je peux te promettre que je t'aime aussi, comme si tu étais ma propre fille. Je sais que Daisy et Fergus t'aiment comme si tu faisais partie de notre famille, et que si c'est un amour inconditionnel que tu recherches, tu le trouveras toujours à nos côtés. Nous t'aimons, Cissy, et nous ne voulons qu'une chose : t'emmener loin de toute cette violence pour te chérir, te protéger et t'aider à te reconstruire.
Ce furent ces derniers mots qui décidèrent Narcissa. Elle ne pouvait tout simplement pas rester ici, dans ce manoir vide, avec le cadavre d'Abraxas Malefoy pour seule compagnie, et les souvenirs de cette histoire tragique qui tournoyaient dans sa tête.
Elle devait partir.
Elle devait partir immédiatement.
– Je n'en peux plus, dit-elle dans un souffle. Je ne peux pas rester ici... Vera, emmène-moi avec toi, je t'en supplie.
Vera lui prit la main, et la serra fort. Sur son épaule, le ravluk Albert poussa une petite exclamation de joie.
– Cissy... Tu ne pouvais rien me dire d'aussi beau. Daisy et Fergus vont être tellement heureux de te voir ! Allons-y vite, ils doivent nous attendre avec impatience.
Narcissa acquiesça avec empressement, comme libérée d'un énorme poids. Ensuite, tout alla très vite. Vera reprit ses souvenirs dans la Pensine, et les replaça dans la fiole ; elles effacèrent toute trace des évènements de la nuit dans l'aile Nord, puis dans l'aile Ouest ; et enfin, elles retournèrent au rez-de-chaussée, dans la bibliothèque d'Abraxas Malefoy.
– On croira qu'il s'est empoisonné lui-même, dit Vera en désignant Abraxas avec mépris. Ce qui n'est pas tout à fait faux.
Puis elle se tourna vers Narcissa.
– Où est la Carte des Ennemis ?
Narcissa tressaillit, prise de court.
– La... La Carte des Ennemis ?
– Oui. Tu vois très bien de quoi il s'agit.
– Je...
Elle eut un mouvement de recul.
– Lucius a mis tellement de temps à la concevoir... Je ne peux pas lui faire ça.
– Cissy, donne-moi cette carte.
Vera avait ouvert la main, comme si elle s'adressait à une enfant qui avait volé quelque chose. Narcissa finit par céder, en essayant de ne pas penser à toutes les fois où Lucius s'était confié avec elle à propos de cette Carte, de son désir ardent de la voir aboutie, de la fierté qu'il en avait retiré une fois son travail achevé.
– Quelles adresses ont-ils réussi à trouver, avec cet instrument du diable ? pesta Vera lorsque Narcissa lui remit la Carte.
– Seulement quelques-unes, dit piteusement Narcissa. Elle est encore imparfaite, elle peut mettre plusieurs jours à localiser quelqu'un précisément... Abraxas a localisé quelques Langue-de-Plomb, ceux qui commençaient à soupçonner Augustus Rookwood. Puis il a essayé plusieurs membres de l'Ordre, mais ils étaient sans cesse en mouvement, et la Carte n'était pas assez rapide. Sauf pour...
Elle s'interrompit, un peu honteuse, mais le regard sévère de Vera lui ordonna de continuer.
– Il a tout de même trouvé Adam Claring, avoua finalement Narcissa. Il a envoyé son adresse à Tu-Sais-Qui, il y a quelques jours...
– Adam Claring ! sursauta Vera, catastrophée. Ont-ils prévu d'y aller bientôt ?
Narcissa hésita à mentir, puis acquiesça à contrecœur.
– Dès qu'ils auront convaincu les géants. Ils vivent dans les montagnes du nord, et Claring habite dans un hameau proche de cette région... Tu-Sais-Qui a décrété qu'ils commenceraient par là.
– Bon sang, blêmit Vera. Il faudra prévenir ce pauvre Adam au plus vite... Nous nous occuperons de tout ça dès que nous serons loin d'ici. Quant à cette carte...
Vera se tourna vers la cheminée, et y jeta le parchemin couvert de runes complexes. La Carte des Ennemis résista un peu, puis se racornit sur elle-même, produisant un bruit affreux, à la frontière entre un gémissement de souffrance et un grincement métallique ; puis elle se désintégra complètement, laissant derrière elle un petit tas de cendres noires.
– Parfait, décréta Vera. Cissy, viens... Partons, maintenant.
Narcissa entra dans la cheminée, le cœur serré, pensant dire adieu à son manoir et à son domaine, peut-être à Lucius lui-même. Elle ferma les yeux lorsque Vera prononça le nom de sa maison, et ne vit pas les flammes vertes qui l'emmenaient loin de chez elle.
Mais lorsqu'elles arrivèrent dans la grande cheminée biscornue des Goyle, Narcissa crut dans un premier temps qu'elles s'étaient trompées d'endroit.
Les planches de bois installées par Carla pour condamner la cheminée avaient été éventrées, laissant le passage complètement libre. Vera s'avança lentement, et regarda autour d'elles : le salon était sens dessus dessous, et cela n'avait rien à voir avec le désordre vivant et joyeux que les Goyle aimaient répandre dans leur maison. Les œufs de taille diverses étaient tous éclatés par terre et répandaient leur contenu phosphorescent sur le sol. Au milieu du salon, la table en carapace de tortue était renversée, fendue en deux.
– Daisy ? appela anxieusement Vera en direction de l'escalier qui montait à l'étage. Fergus ! Où êtes-vous ?
Mais personne ne répondit.