Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 21 : Échec au roi

8075 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois

Échec au roi



Le lendemain soir, à la nuit tombante, la gargouille qui se trouvait sur la cheminée de la bibliothèque d'Abraxas Malefoy s'anima, sortant son propriétaire d'une torpeur qui le saisissait de plus en plus fréquemment.

– Vera Goyle souhaite vous rendre visite, Maître, croassa la gargouille de pierre.

Abraxas, qui s'était affaissé dans son fauteuil, se redressa avec peine ; il frotta ses yeux pâles et fatigués, hésita pendant un court instant, puis fit un geste de la main.

– Faites-la entrer, marmonna-t-il.

Dans la cheminée, les flammes faiblissantes se ravivèrent brusquement, et prirent une couleur vert émeraude ; une silhouette apparut dans l'âtre, ses contours se précisèrent ; et Vera apparut.

En regardant Abraxas et Vera se tenant face à face, on aurait dit que plusieurs dizaines d'années s'étaient écoulées depuis leur dernière rencontre. Le premier peinait à se tenir droit, son regard était vitreux ; quant à Vera, elle était amaigrie, et semblait en grande détresse. Ses habituelles taches de rousseur avaient déserté ses joues pâles ; son menton et ses mains tremblaient, et ses yeux étaient rougis.

– Vera, dit calmement Abraxas. Je suis surpris de te voir... Cela fait bien longtemps que tu n'es plus la bienvenue ici.

– Et pourtant, tu m'as laissée entrer, fit remarquer Vera.

– Oui, parce que tu tombais bien. Tiens, donne-moi ta baguette, par simple précaution... Voilà. Et assieds-toi donc : j'ai justement quelques questions à te poser.

Vera resta d'abord interdite, puis obtempéra, visiblement très lasse.

Quelques étages plus haut, à travers son grand miroir au cadre doré, Narcissa observait la scène qui avait lieu dans la bibliothèque avec la plus grande attention, la bouche entrouverte. La magie qui habitait son miroir n'avait pas faibli, depuis le jour où Daisy l'avait ensorcelé pour leur permettre d'espionner Abraxas, Orion et Piscus Crabbe : l'image était toujours parfaitement nette, et Narcissa pouvait voir et entendre Vera et Abraxas comme si elle se trouvait juste à côté d'eux.

À l'inverse de cet inaltérable sortilège, l'état de Narcissa s'était encore dégradé. Depuis le départ de Lucius, elle et Abraxas vivaient seuls dans l'immense manoir, se tenant volontairement aussi éloignés l'un de l'autre que possible ; et Narcissa était devenue obsédée par sa résolution de tuer Abraxas Malefoy avec les Baies Funèbres qu'elle avait secrètement en sa possession. La seule chose qu'elle avait à obtenir était un verre dans lequel le vieil homme avait bu, et pourtant, malgré l'aide contrainte de l'elfe Lidelys, elle n'y parvenait toujours pas : sachant pertinemment que les Baies Funèbres avaient disparu, et craignant de nouvelles visites nocturnes, Abraxas mettait ses verres sous clé, ou les faisait surveiller par son fidèle elfe Prunnas.

Narcissa passait donc l'intégralité de son temps devant ce miroir ensorcelé ; et elle-même paraissait un peu envoûtée, les yeux suspendus au verre d'Abraxas Malefoy, guettant désespérément le moment où elle pourrait s'en emparer. Elle s'alimentait à peine, et ne buvait pas beaucoup plus. Elle avait les ongles rongés, les yeux cernés : en dehors des quelques fois où elle s'était assoupie devant son miroir, elle ne parvenait pas à fermer l'œil, et flottait donc dans une sorte de demi-sommeil continu, plus propice à l'angoisse qu'à la réflexion. C'était d'ailleurs sans doute ce qu'elle cherchait : ne plus réfléchir à la triste réalité, ne plus penser à la dispute qui l'avait opposée à Lucius, ni aux sinistres évènements qui lui avaient arraché son cousin Regulus.

Aussi, lorsqu'elle vit apparaître Vera dans le salon, elle crut qu'elle rêvait, et dut se pincer le dos de la main pour s'assurer que ça n'était pas le cas. Lorsqu'elle fut bien certaine que Vera était bel et bien là, sous son toit, son esprit engourdi se remit progressivement en marche : que faisait-elle ? Que voulait-elle ? Sa mine défaite ne pouvait qu'être porteuse de mauvaises nouvelles. Était-il arrivé malheur à Daisy, à Fergus ?

Pour l'instant, Abraxas ne s'était même pas soucié de la raison de sa venue.

– Je me sens de plus en plus faible, avoua-t-il.

– C'est aussi mon impression, confirma Vera sans se soucier d'être polie.

– Je crois que je n'en ai plus pour très longtemps, poursuivit Abraxas. Et avant de laisser mon incapable de fils seul aux commandes, je voudrais éclaircir quelque chose... Tu dois savoir de quoi il s'agit, n'est-ce pas ? C'est ce dont Orion nous a parlé, la dernière fois que nous nous sommes vus tous les trois...

Vera leva les yeux vers lui, de plus en plus lasse.

– Abraxas... Je n'ai pas le cœur à parler de cette accusation absurde et écœurante.

– Absurde, oui, c'est ce que j'ai pensé, tout d'abord... Mais depuis que cet imbécile d'Orion est mort, je ne peux m'empêcher de me demander... Et s'il avait raison ? Plus j'observe Narcissa, et plus il me semble qu'elle pervertit le cœur de mon fils...

– Il y a bien quelqu'un qui pervertit le cœur de Lucius, mais ce n'est pas Narcissa, rétorqua Vera.

– Vera, je t'en prie... Ne sois pas offensante. Cela fait sept ans qu'ils sont mariés, et je sais de Lidelys que leur mariage est régulièrement consommé... Comment expliquer qu'ils n'aient pas encore conçu d'enfant, sinon par le fait que leur union est contre-nature ?

Pour Narcissa, chacun des mots qu'Abraxas prononçait était comme un coup de poignard ; ces accusations étaient d'autant plus humiliantes et douloureuses qu'elle-même avait de plus en plus de mal à les réfuter avec certitude, malgré la détermination que montrait Vera pour la défendre.

– Ton raisonnement ne tient pas debout, maintenait sa marraine. De nombreux Sang-Pur rencontrent les mêmes difficultés, comme Carla et mon fils... Et à l'inverse, les mariages croisés ne sont pas moins fertiles... Regarde Andromeda ! Elle est tombée enceinte immédiatement après son mariage !

– Pour engendrer une enfant monstrueuse, grimaça Abraxas.

– Narcissa est la fille de Cygnus, assura encore Vera. Je connais Druella mieux que quiconque, et je peux te promettre qu'elle a été irréprochable, toute sa vie durant.

Narcissa se sentait de plus en plus mal. Entendre les prénoms d'Andromeda et de sa mère était aussi douloureux qu'au premier jour, et malgré la ferveur que Vera mettait dans ses propos, quelque chose continuait de sonner faux.

– Je ne suis pas convaincu, marmonna Abraxas. Mais je vois que tu ne me seras pas d'une grande aide... Dans ce cas, dis-moi plutôt ce qui t'amène ici.

Vera haussa les épaules, et ils restèrent silencieux pendant un long moment.

– J'aurais préféré avoir recours à quelqu'un d'autre, mais personne n'a répondu à mon appel, dit finalement Vera. Tu es donc ma dernière chance. Je souhaite te demander un service... Le dernier que je te demanderai.

– Le dernier ? Avant de... ?

– Avant de te laisser tranquille, et pour de bon.

Abraxas haussa un sourcil.

– Je suis curieux, admit-il. De quoi s'agit-il ?

– Un instant, fit Vera. Je ne veux pas que quelqu'un nous surprenne. Est-ce que tes elfes dorment ?

– Depuis longtemps. Comme moi, Prunnas se fait vieux ; Lidelys se retrouve donc obligée de faire la part de travail que ce vieil elfe n'est plus capable d'assurer... Ils sont tous les deux épuisés.

– Et Narcissa ?

– Je ne l'ai pas vue depuis des jours, et je sais de Lidelys qu'elle ne sort pratiquement pas de sa chambre. Quant à Bellatrix, elle a quitté notre manoir peu de temps après la mort de Regulus, et doit errer quelque part dans l'Allée des Embrumes...

Vera hocha la tête.

– Fais jouer le piano, dit-elle en désignant le superbe instrument. Et forte, s'il te plaît.

– Cette bibliothèque est encerclée de Sortilèges d'Impassibilité, objecta Abraxas. Personne ne peut nous entendre.

– On n'est jamais trop prudent, rétorqua Vera en regardant discrètement en direction du lustre en cristal.

Non sans mauvaise humeur, Abraxas fit un geste vers le piano, qui commença à égrener des notes retentissantes, empêchant Narcissa d'entendre quoique ce soit d'autre. Elle fronça les sourcils, s'approcha du miroir le plus possible, mais il n'y avait rien à faire : il lui était impossible d'entendre ce qu'ils se disaient.

Elle se contenta donc de les observer discuter longuement à voix basse. Narcissa vit d'abord Abraxas faire une moue sceptique ; puis Vera fondit en larmes, enfouit sa tête entre ses mains ; et Abraxas sembla céder progressivement à sa demande.

Tout cela était de plus en plus mystérieux. Quelle faveur Vera pouvait-elle bien demander à Abraxas, elle qui le haïssait si profondément ? Un service qu'il était le seul à pouvoir lui rendre, avait-elle dit. Le dernier avant de le laisser tranquille, et pour de bon... Que voulait-elle dire ? Allait-elle quitter le pays, comme elle le lui avait promis ? Mais dans ce cas, pourquoi en avertir Abraxas, qui risquait de compromettre ses plans ?

Narcissa était toujours plongée dans ses réflexions infructueuses quand Abraxas se leva et sortit de sa bibliothèque, enfermant Vera à clé derrière lui. Le piano ensorcelé continuait de jouer avec brutalité ; et Vera resta là, les yeux dans le vague, attendant qu'Abraxas revienne.

Toujours perplexe, Narcissa fixait le visage insondable de sa marraine, essayant désespérément d'y déceler ses intentions, jusqu'à ce que quelque chose – quelqu'un, plus précisément – ne vienne interrompre son observation.

– On s'amuse bien, à ce que je vois, dit la voix d'Abraxas Malefoy, anormalement claire.

Narcissa scruta le miroir, mais Vera était toujours seule dans le salon. Puis elle aperçut le visage d'Abraxas Malefoy à un endroit où il n'aurait pas dû être : dans un coin du miroir, là où l'image du salon disparaissait pour laisser place à son véritable reflet.

Elle se retourna d'un bond, et se retrouva face à Abraxas, qui venait d'entrer dans sa salle de bains, tendant vers elle une baguette menaçante. Narcissa chercha la sienne du regard, et maudit sa négligence en réalisant qu'elle l'avait laissée dans sa chambre.

– Lorsque j'ai entendu le piano résonner en haut du manoir, j'ai cru que mes oreilles me faisaient défaut, gronda Abraxas en s'approchant d'elle. Mais c'est bien ce que je craignais : nous avons une traîtresse sous notre toit ! C'est donc toi qui écoutais aux portes ! C'est toi qui as saboté les attaques des Mangemorts, n'est-ce pas ?

– Non ! protesta Narcissa en secouant vigoureusement la tête. Ce n'est pas ce que vous croyez !

Elle se plaquait contre l'évier, essayant de s'éloigner de lui ; mais elle était piégée. Vera se trouvait à l'autre bout du manoir, enfermée à double tour dans la bibliothèque, à côté d'un piano retentissant : il était illusoire d'espérer qu'elle puisse entendre quoique ce soit. En face d'elle, la fureur qui animait Abraxas semblait lui avoir redonné une force nouvelle, car il n'avait plus rien du vieillard faiblissant qu'il était quelques instants plus tôt : il marcha vers elle à grands pas, brandissant sa canne et pointant sa baguette sur elle. Évidemment, il n'accorda aucun crédit à ses protestations, et ce qu'il venait de surprendre semblait lui avoir confirmé tous les soupçons qu'il avait eu à son égard.

– J'aurais dû m'en douter, rugit-il. Tu nous trahis depuis le début ! Sans aucun doute, tu es bien une bâtarde, comme Orion le prétendait... Et dire que je l'ai répudié pour cela ! Et dire que je me suis laissé berner, dire que j'ai accueilli une sale petite Sang-Mêlé sous mon toit, que je lui ai offert la main de mon fils ! Tu devais trouver cela amusant, j'imagine, de nous espionner, et de nous ridiculiser aux yeux de tous ? Qu'as-tu fait d'autre ? PARLE !

– C'est faux, gémit Narcissa, qui se recroquevillait de plus en plus contre le mur. C'est faux, par pitié, je...

Mais Abraxas était devenu fou. Il leva sa canne, menaçant ; Narcissa leva ses mains devant son visage, entendit un choc sourd, et un bruit de plâtre qui se brisait. Lorsqu'elle regarda de nouveau, elle crut défaillir : la dalle qu'Abraxas Malefoy avait frappée avec sa canne s'était brisée en deux, dévoilant ce qu'elle dissimulait jusqu'ici – un bocal de Baies Funèbres. Le bocal s'était brisé également ; la plupart des baies avaient été écrasées, et la fumée qui s'en évapora réduisit en poussière le bout de la canne d'Abraxas.

Le vieil homme regarda d'abord les Baies, puis la fumée qui s'échappait du sol, et enfin sa canne écourtée. Il reprit progressivement son souffle, et lorsqu'il regarda de nouveau Narcissa, elle se sentit perdue. Abraxas tremblait de rage, une fureur glacée animait chaque ride de son visage et ses yeux n'exprimaient plus qu'une chose : le désir de la tuer.

– Diablesse, dit-il avec férocité. C'est toi qui les as volées, ces Baies ! Nous humilier ne t'a pas suffi, alors ? Tu as voulu nous empoisonner ! Tu as cru qu'une misérable petite menteuse comme toi pouvait réduire à néant la famille Malefoy ? Mais heureusement, l'imposture est terminée...

Abraxas agita sa baguette ; Narcissa évita de justesse le sortilège, qui alla s'échouer sur le miroir qui se trouvait derrière elle. Celui-ci vola en éclats, et les morceaux de verre tombèrent en pluie sur elle. Elle se redressa aussitôt, ignorant les quelques coupures qui s'ouvraient sur sa peau, et esquiva un deuxième sortilège ; elle bondit dans la baignoire vide pour contourner Abraxas, mais le troisième sortilège l'atteignit de plein fouet. Elle sentit ses jambes se figer, et tout son corps se raidit d'un coup, comme si elle avait été transformée en statue de pierre. Emportée par son élan, elle bascula sur le côté et s'étala dans l'immense baignoire de marbre rose qui occupait le centre de sa salle de bains.

Lorsqu'elle voulut se relever et s'enfuir à toutes jambes, elle constata que tous ses muscles étaient paralysés. Elle était impuissante, incapable de bouger d'un millimètre, et ne pouvait que regarder Abraxas Malefoy, qui la toisait froidement par-dessus le rebord de la baignoire.

– Justice est faite, jubila le vieil homme.

Il se pencha vers les morceaux de miroir : l'un d'eux montrait l'image de Vera qui attendait son retour, pensive et grave.

– Tu voulais sans doute savoir ce que me voulait Vera, cracha Abraxas. Eh bien, je vais te le dire : elle cherche désespérément une échappatoire. Vois-tu, Fergus, Daisy et elle ont essayé de s'enfuir la nuit dernière, mais se sont fait surprendre... La fuite de leur famille est un aveu de traîtrise ! Carla s'apprête donc à les dénoncer à Tu-Sais-Qui : Vera est acculée, et me demande son aide pour s'enfuir pour de bon...

Narcissa ferma les yeux. Elle sentait une douleur de plus en plus vive se répandre dans son épaule et dans ses côtes, du côté de sa chute. La douleur était si forte qu'elle peinait à respirer normalement, et à écouter ce que disait Abraxas.

– Elle a frappé à la bonne porte, dit ce dernier avec un sourire malfaisant. Bien sûr que je vais l'aider, et de la meilleure manière qui soit... Puisqu'elle souhaite échapper aux foudres de Tu-Sais-Qui, je vais lui offrir une porte de sortie. J'ai en ma possession plusieurs poisons qui devraient faire l'affaire : Vera va enfin être libérée de tous ses tourments, et tu seras aux premières loges pour admirer le spectacle.

En entendant le mot poison, Narcissa se figea et rouvrit grand les yeux. Un cri de protestation naquit dans sa poitrine, mais elle fut incapable de l'exprimer. Au-dessus d'elle, Abraxas la regardait avec satisfaction.

– Quant à toi... Prépare-toi à mourir aussi, ma chère Narcissa. Oh, Lucius sera de retour dans quelques jours, mais ne t'en fais pas, je trouverai une explication satisfaisante pour expliquer ta disparition si soudaine. Ce ne sera pas difficile de lui faire croire que tu l’as abandonné, cet imbécile avait tellement de mal à croire que tu puisses l’aimer... Et j’avoue que moi aussi, je ne pensais pas qu’une femme digne de ce nom puisse réellement être amoureuse de lui, comme tu prétendais l’être. Mais maintenant, je comprends mieux ! Tu ne l’as jamais aimé, n’est-ce pas ? Tu t’es servi de lui pour accéder au pouvoir, à la richesse, pour tromper à nouveau une autre famille de sorciers en mentant effrontément sur tes origines ? Ah, si je n’étais pas aussi furieux, je serais probablement admiratif...

Une larme roula sur la joue de Narcissa. Elle ne pouvait pas croire ce qui était en train de se passer. Abraxas allait assassiner Vera, puis il s'occuperait d'elle. Elle ignorait encore comment il comptait la tuer, mais le pire n'était pas là : il allait cacher à Lucius cet horrible assassinat, et lui faire croire qu'elle l'avait abandonné. Et Lucius, lui qui était si influençable, finirait bien par le croire, et c'était donc ainsi qu'il se souviendrait d'elle...

Horrifiée par cette perspective, elle entendit à peine les derniers mots qu'Abraxas lui adressa.

– Tu vas enfin rejoindre les traîtres de ton espèce, dit-il sur un ton glacial. Adieu, et bon débarras... J'espère que tu vivras assez longtemps pour entendre les derniers mots de Vera.

Du bout de sa baguette, il effleura le bord de la baignoire : les quatre robinets s'ouvrirent, et de l'eau gelée se déversa sur Narcissa. Puis elle vit Abraxas lui tourner le dos et sortir de la pièce.

Elle se retrouva là, paralysée au fond de sa baignoire qui se remplissait progressivement, tremblante de froid et de rage. Alors que l'eau se répandait au fond de la baignoire, et commençait à monter le long de sa joue, elle se revit lors de son premier bain, lorsqu'elle s'extasiait de la rapidité avec laquelle cette baignoire se remplissait ; et elle se maudit, elle se traita de sombre idiote, elle et son attrait pour la beauté trompeuse de cet endroit qui allait la voir mourir.

L'eau emplissait la baignoire et, au même rythme régulier et inexorable, une haine dévorante s'emparait de son cœur. Elle qui avait toujours été si douce et si sage, elle n'avait jamais tant haï qu'à cet instant. Elle s'efforçait de respirer calmement, tant qu'elle le pouvait encore, mais la rage commençait déjà à l'étouffer : elle haïssait Orion, Walburga, Voldemort, Abraxas, elle maudissait Lucius qui avait toujours refusé de voir le véritable visage de son père, elle maudissait Vera qui avait eu la bêtise de venir demander de l'aide à un tel homme ; elle haïssait le monde entier et elle-même en premier lieu.

L'une de ses oreilles était déjà immergée, mais elle parvint tout de même à entendre Abraxas entrer dans la bibliothèque et Vera lui demander :

– Alors, tu as suffisamment réfléchi ?

– Oui, et j'ai décidé de t'aider, assura Abraxas Malefoy avec une voix sinistre. J'ai apporté le nécessaire.

Narcissa entendit le bruit de la porte de la bibliothèque qui se verrouillait. Puis le niveau de l'eau monta encore, le bruit des remous s'intensifia ; et elle n'entendit plus rien.

***

Abraxas venait de poser une petite fiole opaque sur la table, juste devant Vera.

– C'est la seule issue que je t'offre, dit-il.

Vera regarda longuement la fiole. Elle semblait s'imprégner progressivement de ce qu'elle signifiait, de ce qu'elle incarnait.

– Je suppose qu'il est inutile de protester, ou d'essayer de m'enfuir...

– En effet.

Abraxas alla chercher une bouteille de vin dans l'un des placards de la bibliothèque. Il servit deux verres généreux, et versa le contenu de la fiole dans celui qui était le plus proche de Vera.

– J'ai toujours été étonné par ta naïveté, lui confia Abraxas. Depuis toutes ces années, tu m'as toujours apporté ton aide, rendu service, tout en essayant de me radoucir... Tu avais l'air de croire sincèrement que tu allais pouvoir exercer la moindre influence sur moi. C'était assez touchant, je dois dire ; et je crois que j'ai même éprouvé une certaine affection pour toi, à une époque. Et aujourd'hui, tu oses même te tourner vers moi pour échapper à Tu-Sais-Qui, en souvenir de notre vieille amitié... Comment as-tu pu croire que j'allais prendre un tel risque, en t'aidant à t'enfuir ? Comment as-tu pu penser que je n'allais pas saisir cette occasion de t'éliminer définitivement ?

– Je crois qu'une partie de moi avait conscience de ce risque, soupira Vera. Mais je crois aussi que je suis fatiguée de lutter.

Abraxas plaça le verre empoisonné devant elle avec un sourire compatissant.

– Je comprends, dit-il. Tôt ou tard, tu aurais été exécutée, alors à quoi bon ? Autant en finir tout de suite.

Vera regarda le verre avec intensité, puis se leva et alla près de la fenêtre.

– Cet endroit va me manquer, dit-elle en contemplant le jardin. Tes roses, surtout... Elles étaient vraiment splendides.

Abraxas la rejoignit. Tous deux regardèrent pendant quelques instants le domaine soigneusement entretenu, éclairé par la pleine lune : les roses blanches et leur liseré d'or, la fontaine sculptée, les allées balayées par le vent, les étoiles qui étincelaient dans le ciel obscur.

– Je me demande à quoi aurait ressemblé le monde si Athénaïs avait survécu, avoua Vera. Je ne peux pas m'empêcher de penser que tout aurait été bien différent.

– N'essaie pas de m'émouvoir, répliqua Abraxas. Et n'essaie pas de gagner du temps... Il me tarde d'aller me coucher.

– Bien, bien... Dans ce cas, allons-y.

Ils se retournèrent et revinrent près de la table, où les deux verres les attendaient. Ils avaient bougé de quelques millimètres, mais Abraxas ne remarqua rien.

– Combien de temps ? demanda Vera.

– Ce sera rapide, ne t'en fais pas. Quelques minutes, tout au plus. En revanche, ce sera sans doute un peu douloureux.

– Oui, j'imagine.

Abraxas leva son verre.

– À quoi buvons-nous, chère amie ?

Vera leva son verre à son tour, et regarda Abraxas droit dans les yeux.

– À la santé de nos ennemis ?

Abraxas Malefoy rit.

– Oui, très bien, se réjouit-il. À leur santé ! Qu'ils reposent en paix !

– Qu'ils reposent en paix, répéta Vera.

Les deux verres s'entrechoquèrent, et les deux comparses burent leur contenu d'un trait.

– Voilà qui est fait, dit Vera en reposant son verre sur la table.

Elle se rassit, leva les yeux sur Abraxas, et le regarda longuement. Elle ne semblait plus du tout affolée, ni affaiblie. Bien au contraire.

– J'aurais dû te tuer à ce moment-là, déclara-t-elle calmement. Lorsqu'il était encore temps.

De son mouchoir brodé, Abraxas essuya le coin de ses lèvres, reposa son verre sur la table et se rassit à son tour.

– De quoi parles-tu ?

– Lorsque je t'ai rendu visite, après la mort d'Athénaïs... Tu étais si faible, si désespéré. J'aurais pu te laisser mourir, j'aurais pu te laisser sauter par cette fenêtre – mais j'ai eu pitié de toi. J'ai eu pitié de Lucius, que je ne voulais pas priver de père...

Elle eut un petit rire triste, et se resservit un verre de vin.

– Quelle idiote, murmura-t-elle. En pensant faire le bien, je n'ai fait qu'empirer les choses.

Face à elle, Abraxas ne l'écoutait pas vraiment. En revanche, il continuait de la regarder attentivement, attendant que le poison fasse effet.

– Le chagrin t'a rendu fou, poursuivit Vera en secouant la tête. Dire qu'à peine quelques semaines plus tard, tu commanditais le meurtre des Claring... Après l'incendie, j'ai essayé de donner secrètement des indices au Magenmagot, de les mettre sur ta piste, mais j'ai rapidement compris qu'ils ne s'en prendraient jamais à toi... Ces lâches te craignaient trop ! C'est pourquoi j'ai décidé de rendre justice moi-même. Oh, ça n'a pas été simple, car tu es tombé dans une espèce de folie paranoïaque qui consistait à faire goûter chacun de tes plats avant de les consommer, à faire examiner attentivement chacun des présents que tu recevais pour Lucius... Et puis, tu ne m'as plus invitée pendant plusieurs années, sans doute parce que tu avais honte que je t'aie secouru, que je t'aie vu dans un si piteux état. Il a fallu que je prenne mon mal en patience... Jusqu'à ce que tu me recontactes – par ennui, peut-être ? Et que tu requières mes services pour te procurer de l'argent moldu.

Elle soupira longuement, haussa les épaules.

– Eh oui, dit-elle. Tu sais, Abraxas, tu n'as jamais ingéré la moindre goutte de ce poison destiné à Nobby Leach. En réalité, ton affaiblissement progressif venait de tout autre chose...

Les yeux de Vera brillaient de plus en plus intensément.

– L'argent moldu que je te donnais tous les mois, pour que tu puisses acheter ce vin si délicieux... Je l'avais ensorcelé. Au fur et à mesure que tu le dépensais, que tu achetais cet alcool pour t'embrumer l'esprit, la malédiction que j'avais lancée sur chacun de ces billets te consumait un peu plus... Pas assez rapidement à mon goût, bien sûr. Tu aurais dû succomber en quelques mois ! Je ne pensais pas que la haine pouvait rendre aussi résistant... Mais en tout cas, ce pauvre serpent, que tu as si sévèrement puni, n'y était pour rien.

Un hoquet empêcha Abraxas de répondre.

– Oh, et j'ai également empêché Lucius d'aller à Durmstrang, ajouta Vera. C'est mon aigle qui a intercepté le fameux hibou qui devait vous apporter la lettre d'admission. Quant aux attaques des Mangemorts déjouées... C'était nous aussi, bien évidemment.

Un long silence suivit ces quelques mots.

– Tu n'aurais jamais dû provoquer ces incendies, dit Vera. Tu n'aurais jamais dû tuer ces pauvres gens. Et moi, je n'aurais jamais dû te laisser la moindre chance. J'aurais dû prévoir que tu allais faire tout ce mal autour de toi. Et je n'ai aucune excuse : tu as toujours été si prévisible... Jusqu'à ce soir, fidèle à toi-même... Tellement prévisible.

Sur ces mots, sous les yeux écarquillés d'Abraxas Malefoy, le ravluk Albert sauta sur les genoux de Vera, puis grimpa sur la table, et se frotta affectueusement contre sa maîtresse.

– Oh, Albert... Ce petit chérubin était caché sous ma cape, quand je suis arrivée, expliqua Vera en lui grattant le sommet de la tête. Ensuite, il s'est glissé sous la table... J'espère qu'il n'a pas fait trop de bêtises, pendant que nous avions le dos tourné.

Le ravluk adressa un charmant sourire à Abraxas, imité par Vera. Le regard du vieil homme alla des petites pattes agiles de l'animal au verre que Vera tenait dans sa main, puis à celui qui se trouvait devant lui.

Et il comprit.

– Jusqu'au bout, tu m'as profondément méprisée, résuma Vera. Tu n'as jamais pensé que je pouvais représenter le moindre danger. Non, cela ne t'a jamais effleuré l'esprit... Au point de croire que j'allais capituler aussi facilement. Au point de croire à cette histoire idiote que je t'ai racontée, et de me servir ce poison sur un plateau. Tu n'as pas suspecté une seule seconde que c'était exactement ce que j'attendais de toi ?

Abraxas voulut protester, mais il avait le souffle coupé. Il se mit à tousser de plus en plus fort, porta une main à sa gorge ; ses yeux furieux roulaient dans leurs orbites ; il frappa du poing sur la table, impuissant. Face à lui, Vera le regardait avec un mélange de hargne et de pitié.

– Qu'Athénaïs me pardonne, soupira Vera.

Abraxas tenta de se lever, mais il s'écroula sur le sol en s'étouffant. Il produisit des bruits de plus en plus désespérés, son corps de vieillard fut secoué de soubresauts, puis il cessa définitivement de bouger.

Aussitôt, le petit ravluk se précipita pour s'assurer qu'il était bel et bien mort, et poussa un petit piaillement victorieux. Vera eut un sourire amer, et se leva de son siège. Elle se pencha pour s'emparer de la clé, encore suspendue au cou d'Abraxas, lui reprit sa baguette, puis le contourna et sortit de la pièce, Albert sur son épaule.

– Ne nous réjouissons pas trop vite, dit-elle en sentant l'angoisse lui serrer la gorge. Je suis d'accord avec toi, Albert, c'est une bonne chose de faite, mais le plus dur reste à venir...

C'est là qu'elle tomba nez-à-nez avec une Chuchouris qui dévalait les escaliers en poussant des petits couinements affolés, et toute la fierté qu'elle avait ressenti en bernant Abraxas s'envola brutalement.

– Cissy, comprit-elle, horrifiée.

Elle transplana vers les étages supérieurs, et courut vers le bruit d'eau qu'elle entendait au fond du couloir ; elle entra dans la salle de bains inondée, se rua vers la baignoire qui débordait, d'où elle extirpa le corps gelé de Narcissa.

– Cissy, non ! Anapneo ! ANAPNEO ! Enervatum !

Vera crut mourir pour de bon pendant les quelques secondes où Narcissa resta inanimée dans ses bras. Elle ne s'autorisa à respirer de nouveau que lorsque les cils de sa filleule tressaillirent, et lorsque sa poitrine se souleva de nouveau.

Lorsque Narcissa reprit conscience, elle commença par se débattre, croyant sans doute que c'était Abraxas qui était à côté d'elle ; puis lorsqu'elle reconnut Vera, elle se figea, stupéfaite, encore incapable de parler.

– C'est moi, dit doucement Vera en la tenant par les épaules. Tout va bien. Abraxas est mort, tu m'entends ? Il est mort. Il ne peut plus te faire du mal.

Narcissa toussa encore, retrouvant progressivement ses esprits.

– Pardonne-moi, ajouta Vera. Je n'aurais pas dû te laisser ainsi... Je n'ai pas deviné qu'Abraxas s'en prenait à toi, pendant qu'il m'avait laissée en bas.

En repensant à la manière dont Abraxas l'avait agressée quelques minutes plus tôt, Narcissa frissonna, et deux grosses larmes roulèrent sur ses joues.

– Je l'ai tué, précisa Vera.

– Il aurait... kof !  Il aurait pu te tuer toi, dit Narcissa d'une voix étranglée.

– C'était un risque à prendre, en effet. Mais honnêtement, sa réaction était si prévisible... En me voyant ainsi, si vulnérable, si suppliante, à sa merci, je savais qu'il ne résisterait pas à la tentation de m'achever. Je savais qu'il me donnerait ce poison, c'est ainsi qu'il aime procéder... Enfin, qu'il aimait procéder.

Narcissa observait sa marraine, encore abasourdie par son calme à toute épreuve. Elle-même tremblait de tous ses membres, autant à cause du froid que de la frayeur qu'elle avait eue.

– Tout comme Piscus Crabbe, Abraxas a toujours méprisé les femmes, poursuivit Vera. Une erreur fréquente, qui leur a coûté la vie à tous les deux... Et j'espère bien que tôt ou tard, Voldemort commettra la même.

– C'est... C'est pour tuer Abraxas que tu es venue ici ?

– Oui... Mais pas seulement.

Vera hésita un instant – mais Narcissa avait déjà deviné de quoi il s'agissait.

– Vous allez vous enfuir, dit-elle avec amertume. Tu es venue me dire adieu.

– Je suis venue te proposer de partir avec nous, corrigea doucement Vera. J'ai menti à Abraxas, notre tentative de fuite n'a pas encore eu lieu... Daisy et Fergus nous attendent à la maison, et ils espèrent que je revienne avec toi.

Narcissa resta interdite. Cela faisait des mois qu'elle redoutait ce moment, mais elle n'aurait jamais imaginé qu'il puisse survenir de cette manière, après qu'elle ait frôlé la mort d'aussi près. Elle avait imaginé mille manières de réagir, mais elle ne pensait pas que Vera lui annoncerait cela ainsi, dans cette pièce inondée, agenouillées dans l'eau glacée.

– Je ne veux pas que tu partes, avoua Narcissa en claquant des dents. Sans toi, sans Daisy... Je suis perdue.

– Nous ne pouvons plus rester, Cissy. Depuis quelques jours, je sens que Carla jubile, et ce n'est pas bon pour nous... Nous devons nous enfuir cette nuit, à tout prix. Nous avons mis la plupart de nos animaux à l'abri, et nous partirons dans deux heures, avec trois Sombrals, à l'heure où la nuit est la plus obscure. Notre décision est prise... Il ne tient qu'à toi de nous suivre.

Vera prononça quelques sortilèges pour sécher Narcissa, puis fit évaporer l'eau qui avait inondé le sol. Elle fit un tour sur elle-même en remuant sa baguette, et la salle de bains retrouva son état initial : les morceaux de miroir se refondirent dans le cadre, le contenu des flacons retournèrent dans leur contenant, et bientôt, on ne vit plus la moindre trace de la cruelle tentative d'assassinat qui venait d'avoir lieu.

Bien que sa robe soit redevenue sèche et chaude, Narcissa grelottait de plus en plus. Elle cherchait désespérément un moyen de retarder le départ de Vera, refusant de croire qu'elle l'abandonnait au moment où elle avait le plus besoin d'elle. Elle se sentait lasse de tout, et surtout lasse de dire adieu aux gens qu'elle aimait, lasse d'être incapable de les retenir auprès d'elle.

Après avoir remis la salle de bains en ordre, Vera l'aida à se relever, l'emmena dans la chambre pour la faire asseoir sur le lit, et lui frictionna vigoureusement le dos.

– Tu es gelée, dit Vera en lui prenant la main. Voilà, réchauffe-toi...

Elle lui sourit avec douceur, lui caressa la joue, et Narcissa sentit toute sa tristesse rejaillir, comme un torrent trop longtemps retenu.

– Oh, Cissy, dit Vera en essuyant les larmes qui roulaient sur ses joues. Ma chérie...

Narcissa se blottit dans ses bras. Depuis la mort de Regulus, c'était la haine d'Abraxas qui la tenait debout, et le désir de lui nuire avait chassé toutes les autres pensées ; c'était donc la première fois qu'elle s'autorisait à pleurer, et même à repenser à son petit cousin.

– C'était horrible, hoqueta-t-elle. Je les déteste tellement... Je les déteste tous ! Et Reggie... Reggie... Il est...

– Je sais, Cissy. Je sais.

Narcissa sentit l'étreinte de Vera se raffermir autour d'elle. Lucius était parti depuis une dizaine de jours, tout au plus ; et pourtant, il lui semblait qu'elle n'avait pas été réconfortée ainsi depuis une éternité.

– Je ne veux pas que tu partes, supplia-t-elle à nouveau.

– Tu pourrais venir avec nous... Nous serions tous les quatre. Nous prendrions soin de toi. Tu n'aurais plus à te soucier de rien, et Voldemort ne pourrait plus t'atteindre.

Narcissa ferma les yeux, et inspira profondément le parfum réconfortant de Vera. Si seulement la situation était aussi simple que cela. Si seulement elle pouvait rester au creux de ses bras, et partir avec elle dans un endroit secret, abrité du monde, loin des Mangemorts et de toute cette violence...

– Je vous suivrais sans hésiter, s'il n'y avait pas Lucius, avoua Narcissa. Et s'il n'y avait pas Bellatrix... Mais je ne peux pas les abandonner.

– Penses-tu que tu puisses encore faire quelque chose pour Bellatrix ?

– Non, répondit Narcissa sans hésiter. Maintenant que Regulus est mort, je crois que plus rien ni personne ne pourra plus la raisonner. Mais malgré cela, je me sens obligée de rester avec elle. Après Andromeda, je crois que je ne pourrais pas me séparer de la dernière sœur qui me reste.

– Si nous partons ensemble, nous pourrons essayer de retrouver Andromeda, objecta doucement Vera. Je suis certaine qu'elle pense à toi.

Narcissa se crispa, et de nouvelles larmes roulèrent sur ses joues. Contrairement à Vera, elle refusait catégoriquement d'avoir cet espoir-là, d'envisager la réconciliation comme une éventualité. Elle avait déjà trop souffert à cause d'elle.

– Il y a aussi Lucius... Nous nous sommes disputés à son départ... Et là, dans la baignoire, j'ai cru que je ne le reverrais plus, qu'Abraxas lui ferait croire des choses horribles... Et si je pars, si Lucius pense que je l'ai abandonné... Ce sera comme si Abraxas avait gagné. Je ne pourrais pas le supporter.

Elle enfouit sa tête dans ses mains, désespérée.

– Je n'en peux plus, soupira-t-elle. Parfois, je voudrais pouvoir revenir en arrière, faire en sorte que Lucius redevienne comme avant...

– Cela n'arrivera pas, Cissy. Tu le sais très bien.

Narcissa hocha la tête, de plus en plus triste. Cette situation était inextricable. Évidemment, la raison lui commandait de partir avec les Goyle : ils prendraient soin d'elle, comme ils l'avaient toujours fait, ils la tiendraient à l'abri de la cruauté de Voldemort et des Mangemorts, mais aussi de l'ennui et de la solitude.

Et pourtant... Dès qu'elle pensait au visage souriant de Lucius, à sa silhouette élancée et élégante, à son parfum délicat et familier, à ses mains douces et réconfortantes, toutes ces résolutions partaient en fumée. En outre – et c'était sans doute ce qu'elle craignait le plus – son départ enterrerait définitivement la perspective d'avoir un enfant avec lui.

– Je voulais un enfant, murmura-t-elle en posant ses mains sur son ventre. C'était tout ce que je voulais.

À côté d'elle, Vera poussa un soupir.

– Dans ce cas, il y a une autre solution, remarqua Vera. Abraxas est mort, désormais... Cela change beaucoup de choses. Nous pourrions partir à la recherche de Lucius, lui expliquer la situation... Et peut-être, le faire changer d'avis.

Au fur et à mesure que Vera parlait, Narcissa réfléchissait intensément. Cela faisait des années qu'elle s'en remettait à Lucius pour décider de tout – parce qu'elle ne se sentait pas légitime pour donner son avis, parce qu'elle lui faisait pleinement confiance, parce qu'elle n'avait ni le courage ni l'énergie nécessaires pour s'opposer à lui. Et ce soir, Vera lui demandait de prendre une décision seule, à l'insu de son mari, une décision qui allait bouleverser leur vie et peut-être les séparer à jamais...

– Tu es dans une situation délicate, concéda finalement Vera. Et je dois te le dire... Il y a encore certaines choses que tu ne sais pas. Des choses qui pourraient influencer ton choix.

Avec gravité, Vera sortit de sa poche un petit flacon soigneusement fermé, qui contenait des volutes argentées, à la frontière entre le fluide et la fumée.

Des souvenirs, devina Narcissa.

– Voilà la véritable raison de ma présence ici, dit Vera en faisant rouler la fiole dans sa paume.

Du bout des doigts, Narcissa effleura la douceur des mains de Vera, puis la petite fiole, et frissonna. Sans même tenter de deviner ce qu'elle renfermait, Narcissa savait qu'il s'agissait de quelque chose de grave, de tragique, de bouleversant. Si elle s'aventurait à l'ouvrir, à regarder ce qu'elle contenait, sa vie en serait changée à tout jamais, Narcissa le sentait au plus profond de son être.

– Il s'agit de mes parents, n'est-ce pas ? demanda-t-elle d'une toute petite voix.

Vera hésita, puis acquiesça. Narcissa retira vivement sa main, comme si la fiole l'avait brûlée.

– La dernière fois que j'ai vu Walburga, elle a sous-entendu des choses à propos de ma mère... Des choses insultantes. Et je ne supporterais pas qu'elle dise vrai.

Vera se crispa légèrement.

– Cette garce de Walburga ne sait rien du tout, affirma-t-elle.

Elle regarda au loin pendant quelques instants, puis replongea ses yeux verts dans ceux de Narcissa.

– J'ai beaucoup de choses à te raconter, Cissy. Beaucoup de choses importantes. J'avais promis à ta mère de te révéler tout cela bien plus tôt, mais je n'ai fait que retarder cet instant, par peur de te bousculer, de te choquer, de te mettre en colère... ou pire, de te perdre définitivement. Je ne suis pas sûre d'avoir fait le bon choix, car peut-être que ces informations auraient pu te détourner de la voie que tu as suivie, mais ce n'est plus le moment d'avoir des regrets.

Toutes les deux regardaient la fiole qui luisait dans la main de Vera. Une lueur douce, paisible – et pourtant si effrayante.

– Je ne peux pas te promettre que tu en sortiras indemne, si c'est ce que tu me demandes, conclut Vera. Si tu ne souhaites pas découvrir tout cela, je ne peux pas te forcer, évidemment... Mais une fois que je serai partie, il sera trop tard.

Narcissa regarda un instant devant elle, et aperçut son reflet dans l'une des immenses fenêtres de sa chambre. Avec ses vêtements froissés, ses cheveux ébouriffés et son regard perdu, elle ressemblait à l'une de ces pauvres femmes qui erraient dans l'Allée des Embrumes. Elle ne désirait qu'une chose : se blottir dans les bras de Vera, et pouvoir s'y reposer autant qu'elle le souhaiterait.

Mais Vera était sur le point de partir loin d'elle. Et, Narcissa le sentait, la seule manière de la retenir encore un peu était d'écouter ce qu'elle avait à lui dire.

À contrecœur, Narcissa lui fit donc signe de poursuivre.

– Je suis prête, mentit-elle.

Vera hocha la tête, la gorge nouée, et replaça le petit flacon dans sa poche.

– Suis-moi, dit-elle en se levant. Allons dans l'aile Nord... C'est là que se trouve la Pensine d'Abraxas.

Narcissa sentit son cœur se serrer ; mais malgré cela, elle rassembla le peu de courage qu'il lui restait, prit la main que Vera lui tendait, et se laissa conduire hors de la pièce.

***

Sur la Colline d'Émeraude, dans l'immense maison des Goyle, Daisy attendait le retour de sa mère, et avait bien du mal à tenir en place. Elle regardait sans cesse par la fenêtre, en direction de l'arbre derrière lequel se trouvaient les trois Sombrals qui les attendaient pour s'envoler loin d'ici. Puis elle consulta sa montre : leur départ était prévu dans moins d'une heure.

Sa chambre était plongée dans l'obscurité, car elle voulait éviter d'éveiller les soupçons de Carla concernant leur évasion. Depuis l'épisode du centre commercial, celle-ci les surveillait nuit et jour, et avait même fait barricader la cheminée de leur salon pour les empêcher d'utiliser la voix des Cheminettes. Heureusement, elle avait mal achevé son entreprise, et Vera avait trouvé le moyen d'accéder à la cheminée en cachette, grâce à l'un des innombrables passages secrets que contenait la maison.

Et ce soir, Carla s'était rendue chez Juliet Parkinson pour la consoler de la mauvaise conduite de son mari – en tout cas, c'était ce que Daisy avait cru entendre en écoutant aux portes, un peu plus tôt dans la journée. C'était donc l'occasion rêvée pour s'échapper enfin de cette maison de plus en plus hostile à leur présence, et d'éviter que Carla ne parvienne à ses fins.

Tout était allé très vite. Ils avaient pris leur décision à peine quelques heures plus tôt, et avaient ensuite décidé des dernières modalités. Malgré la tristesse que cela engendrait, ils avaient donc renoncé à dire adieu à Edgar, de peur qu'il ne les dénonce à Carla ; en revanche, Vera était allée rendre visite à Cissy, afin de jouer sa dernière carte pour tenter de la convaincre de se joindre à eux. Daisy n'avait pu s'empêcher de se montrer sceptique concernant cette dernière étape, mais elle savait bien que sa mère serait incapable de partir sans prévenir Narcissa ; en outre, elles avaient appris par leurs Chuchouris que Voldemort et Lucius étaient partis dans le nord du pays pour plusieurs semaines, laissant Narcissa seule, et donc peut-être plus encline à recevoir Vera et à l'écouter.

Daisy parcourait du regard les recoins de sa chambre obscure, tout en repensant avec nostalgie à tous les moments qu'elle avait passés ici, seule ou avec Narcissa, à jouer, peindre, fabriquer des balais miniatures, mettre au point des stratégies ingénieuses avec sa mère pour défaire les Mangemorts... Allongée sur le dos, elle poussa un long soupir en pensant que Carla pourrait bientôt prendre possession de l'entièreté de leur maison. Hélas, c'était le prix à payer pour être libre...

Son regard s'arrêta un instant sur le peu d'affaires qu'elle allait emporter, et sur la cage des Chuchouris qu'ils avaient rapatriées auprès d'eux au cours des derniers jours : les petites bestioles étaient presque toutes au complet, prêtes pour le grand départ, à l'exception de celles qui se trouvaient encore au manoir des Malefoy, et que Vera était chargée de ramener avec elle.

De plus en plus nerveuse, Daisy consulta sa montre pour la énième fois, et effleura du bout des doigts le Collier d'Avertissement qu'elle portait à son cou. Depuis la destruction du miroir qui leur permettait de communiquer à distance, sa mère portait le même ; et son père, qui attendait paisiblement dans la chambre, possédait le troisième exemplaire. Ils étaient reliés entre eux par un puissant sortilège, et leur permettait de communiquer de façon grossière : si l'un d'entre eux était en danger, il suffisait de serrer la pierre dans son poing, et les deux autres s'illumineraient puissamment. À la moindre inquiétude, ils avaient convenu d'activer le collier, afin de prévenir Vera et de la faire revenir immédiatement.

Et justement, Daisy venait d'entendre quelque chose – ou plus exactement, elle avait cessé d'entendre quelque chose.

Dans le jardin, il n'y avait plus aucun bruit. Le bruissement habituel des pépiements d'oiseaux, des bourdonnements d'insectes et des ricanements de ravluks s'était complètement évanoui ; on n'entendait plus qu'un silence inquiétant.

Daisy fronça les sourcils et se leva souplement de son lit. Ses parents lui avaient appris à se fier à l'instinct de leurs petits protégés, et s'ils avaient jugé bon de faire discrets, c'était qu'ils avaient perçu une menace... Elle essaya d'observer le jardin à travers sa fenêtre, mais elle ne perçut rien d'anormal. Le plus silencieusement possible, elle se glissa donc hors de sa chambre, s'approcha de la cage d'escalier biscornue et tendit l'oreille, le cœur battant à tout rompre.

Elle avait espéré ne rien entendre, mais hélas, elle dut se rendre à l'évidence : il se passait quelque chose au rez-de-chaussée. C'était discret, mais elle entendait bel et bien des pas feutrés, des chuchotements excités... Non, pitié, supplia intérieurement Daisy. Pas maintenant, pas si proche de la fuite...

C'est à ce moment précis qu'elle vit plusieurs personnes gravir les premières marches de l'escalier.

– Ils doivent dormir paisiblement, chuchotait Carla d'une voix mielleuse. Suivez-moi, messieurs...

Daisy se redressa, le souffle court. Elle voulut attraper son collier pour avertir ses parents, mais au moment où elle allait le toucher, elle sentit une énorme main s'abattre sur son épaule, et la tirer brutalement en arrière. Sans lui laisser le temps de réagir, on lui arracha son collier, dont les perles s'éparpillèrent sur le sol et dégringolèrent dans la cage d'escalier. Daisy poussa un cri de terreur, et tenta de se dégager, mais lorsqu'elle reconnut le colosse qui la maintenait immobile, elle sut que tout espoir était perdu.

– Bonsoir, Daisy, lui dit Hector Crabbe avec un sourire carnassier.


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