Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 19 : De nos jours

1806 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a environ 2 mois

De nos jours




Face à son manuscrit, Drago interrompt son écriture, songeur.

Il n'a jamais eu l'honneur de rencontrer Regulus Black. Le plus jeune, le plus brave, et le premier à mourir.

C'est drôle, j'ai comme une impression de déjà-vu, a pourtant susurré Voldemort en observant Drago, le jour de leur rencontre, peu après l'emprisonnement de Lucius à Azkaban. Il y a des années, on m'a présenté un jeune homme, qui avait à peu près ton âge... Il était aussi brun que tu es blond, et tout comme toi, il m'a juré fidélité...

Drago frissonne, puis fait une petite grimace. C'est vrai, Regulus et lui sont les seuls à être devenus des Mangemorts aussi jeunes, et de la même manière, ils ont été raillés pour leur allure trop juvénile et trop délicate. Comme Regulus, Drago a expérimenté la solitude infinie d'un jeune Mangemort infiltré à Poudlard, et a trouvé une oreille attentive auprès de Mimi Geignarde ; et comme lui, Drago n’a pas eu la férocité suffisante pour être respecté par les Mangemorts, ni pour commettre le meurtre qu’il aurait dû commettre. Mais la comparaison s'arrête là, car il est clair que Regulus Black possédait un courage et une noblesse d'âme dont Drago n'a jamais osé rêver. Et c'est aussi pour cette raison qu'il tient à raconter son histoire. Il s'agit d'une forme d'honnêteté, de montrer à Scorpius que d'autres, à sa place, ont donné leur vie pour nuire à Voldemort, tandis que lui-même s'est contenté d'assurer sa propre survie. Et il peut se chercher toutes les excuses imaginables, Regulus a bel et bien prouvé qu'il aurait pu se forger un tout autre destin.

Drago soupire, se détourne de son manuscrit et prend dans ses mains une enveloppe parcheminée, qui porte encore le nom d'Albus Dumbledore. Ce nom a été inscrit par Regulus des dizaines d'années plus tôt, quelques heures avant sa mort, et le jeune homme comptait naïvement sur sa mère ou sur son elfe de maison pour lui faire parvenir ; mais en la dérobant à Walburga, par pure vengeance, Narcissa en a décidé autrement.

Drago déteste le fait que cette lettre existe. Ce document est la preuve de l'égoïsme de sa mère, de l'indifférence qu'elle avait pour la guerre et pour toutes ses victimes. Car elle aurait pu faire parvenir cette lettre à Dumbledore, dès le jour où elle l'a eu entre ses mains. Elle aurait pu faire en sorte que le secret de Voldemort soit dévoilé bien plus tôt, il lui aurait suffi d'un geste pour épargner des centaines de vies – mais elle ne l'a pas fait. Elle n'y a sans doute même pas pensé, trop occupée à attendre désespérément un enfant qui ne venait pas, trop occupée à haïr Walburga, Abraxas ou encore elle-même. Même des années après, lorsque Voldemort serait de retour et que Narcissa souhaiterait de tout son cœur qu'il disparaisse, elle n'y penserait pas davantage, ayant oublié jusqu'à l'existence de ce document.

Narcissa n'a retrouvé la lettre qu'après la disparition définitive de Voldemort, et elle n'a même pas osé l'ouvrir. Le temps a eu raison des sortilèges qui l'entouraient autrefois, et pourtant l'enveloppe n'a jamais été ouverte : elle est encore scellée par le blason de cire de la famille Black, et personne n'a jamais su ce que Regulus y avait écrit.

Tout en s'excusant intérieurement auprès de Regulus pour ces années de retard, Drago décachette enfin l'enveloppe, puis déplie la lettre avec d'infinies précautions. Il examine d'abord l'écriture soignée et appliquée de Regulus, avec le sentiment étrange ; et enfin, il se met à lire.

Professeur Dumbledore,

Vous êtes sans doute étonné de recevoir une lettre de ma part. En réalité, si vous lisez ces lignes, c'est que je ne suis probablement plus de ce monde ; et si tel est le cas, je vous supplie de poursuivre la quête que j'ai débutée.

Je serai bref : Voldemort, qui s'appelait autrefois Tom Jedusor, a réussi à créer un Horcruxe, et il s'agit du médaillon de Salazar Serpentard. J'ignore comment il se l'est procuré, et qui il a tué pour en arriver là, mais je vais le récupérer cette nuit, et si je ne survis pas, mon elfe Kreattur se chargera de le détruire. Pour la suite, pour le vaincre complètement et définitivement, je m'en remets à vous.

Vous aviez raison de me soupçonner : je suis bel et bien un Mangemort depuis près d'un an. Et malheureusement, je n'ai pas le temps de vous expliquer la décision qui me pousse à m'éloigner d'eux. Si je vous écris cette lettre, c'est d'abord parce que je crains de périr dans cette entreprise, et je ne voudrais pas que cette découverte ait été faite en vain ; mais c'est aussi parce que je sais que vous trouverez le moyen de transmettre tous ces messages en bonne et due forme.

Alors, s'il vous plaît,

Dites au fantôme de Myrtle Warren que je lui demande pardon pour tout le mal que je lui ai fait. Dites-lui que c'est en partie grâce à elle que j'ai renoncé à être un Mangemort (vous la trouverez dans les toilettes désaffectées du deuxième étage).

Dites à Severus Rogue de fuir loin de Voldemort et des Mangemorts, quoiqu'il arrive. Dites-lui que je le remercie de m'avoir accordé son amitié pendant quelques années, et que je regrette de ne pas en avoir été digne plus longtemps.

Dites à mon frère Sirius qu'il avait raison à propos de beaucoup de choses, mais qu'il avait tort à propos de moi. Je lui demande pardon, à lui aussi, au nom de nos deux parents.

J'espère qu'ils comprendront. Quant à vous, j'espère que vous me ferez confiance.

Votre élève dévoué,

Regulus Arcturus Black

 

Drago replie la lettre, encore plus accablé. En empêchant cette lettre de rejoindre son destinataire, sa mère a non seulement considérablement retardé la destruction de Voldemort, mais elle a aussi retenu les derniers mots que Regulus aurait voulu adresser à ses deux seuls véritables amis, et à son frère. Jusqu'à la fin, Sirius et Regulus auront donc été empêchés de se parler.

Cette pensée rappelle à Drago les raisons pour lesquelles il fait tout ceci : il reprend donc sa plume, et avant d'aller se coucher, il écrit encore quelques mots à son fils.

Scorpius, je pense que tu sais en partie pourquoi je me suis attardé sur l'histoire de Regulus. Je pense que tu te souviens du jour où ton professeur d'Histoire de la Magie a parlé de lui pendant l'un de ses cours, et où tu as appris par l'un de tes camarades de classe qu'il faisait partie de ta famille.

J'ai honte en imaginant la colère qui a été la tienne à ce moment-là, lorsque tu as compris que d'autres en savaient davantage que toi-même sur ta propre histoire. C'est ce jour-là, je crois, que tu as pleinement réalisé à quel point tu ignorais tout de ta famille paternelle ; ou bien peut-être que tu en avais conscience depuis longtemps, mais que c'est ce jour-là que tu as commencé à en avoir assez.

Je me souviens t'avoir vaguement répondu que je ne savais rien de Regulus, que c'était de l'histoire ancienne, qu'il ne fallait pas remuer tout ça ; je ne sais même plus si tu as insisté, je ne sais plus si je me suis emporté, comme je l'ai fait tant de fois par la suite.

Quoiqu'il en soit, j'ai cru bon de corriger le tir : et en dehors de cette importance symbolique, je crois que cette histoire est d'une importance capitale pour une autre raison.

Comme Andromeda le dit si bien, Sirius et Regulus sont passés l'un à côté de l'autre, loin de la relation qui aurait dû être la leur ; et j'ai aujourd'hui le sentiment qu'il en est de même pour nous deux. Évidemment, je ne dirai jamais que les torts sont partagés comme ils l'ont été pour Sirius et Regulus : en ce qui nous concerne, c'est moi qui porte l'entière responsabilité de notre séparation. Mais je me reconnais dans cette histoire pleine de silences, de distance et de gouffres qu'on croit infranchissables.

Quand j'ai pris connaissance de certains détails, très récemment, je me suis promis que cette histoire me servirait de leçon : je ne veux pas laisser les non-dits nous voler notre histoire, comme ils ont volé à Sirius et Regulus la relation fraternelle qu'ils méritaient tous les deux. Je souhaite te dire tout ce que tu mérites de savoir, non pas pour te retenir à tout prix, mais pour que tu puisses enfin décider en connaissance de cause si tu souhaites me pardonner ou non.

Tu t'en doutes, c'est encore Andromeda qui m'a raconté cet échange qu'elle a eu avec Sirius, mais de vive voix cette fois-ci : elle a bravé la tempête de neige pour passer me voir il y a quelques jours, juste après Noël. J'étais tellement absorbé par mon travail que je n'avais même pas remarqué que le 25 décembre était passé ; enfin, tu commences sûrement à comprendre pourquoi ma famille n'a jamais aimé Noël... Quoiqu'il en soit, j'ai eu beaucoup de plaisir à recevoir la visite d'Andromeda, la première que je recevais depuis un long moment. Nous avons beaucoup discuté, et elle m'a semblé nettement plus joyeuse que d'habitude. Elle avait même ramené quelques plats cuisinés, afin que notre dîner soit un peu festif – décidément, j'ai beau chercher, je crois que sa bonté ne connaît aucune limite.

Enfin, je m'égare : il est temps de continuer à te raconter la guerre, et notamment tout ce qui s'est passé après la création de l'Ordre du Phénix, et après cette longue discussion entre Sirius et Andromeda.

 

Drago écrit le nom de sa tante avec un léger sourire, puis il s'interrompt. Il hésite, pense à ce qu'il devrait commencer à raconter, et finit par renoncer. Il repose sa plume dans son encrier, se masse la nuque, le poignet, et décide d'aller se coucher : il lui faut reprendre des forces avant de s'atteler à la suite. C'est d'ailleurs un peu pour cela qu'il a parlé d'Andromeda, pour retarder ce moment, mais aussi pour se rappeler qu'il existe un peu de douceur dans ce monde.

Car tout comme la mort de Regulus, les évènements que Drago s'apprête à raconter sont tellement injustes que c'en est difficilement supportable.


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