Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 18 : L'ordre du phénix

15461 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois

L'ordre du phénix




Sirius, lui, n'apprit la nouvelle que quelques jours plus tard.

À peine une heure avant que l'information ne parvienne jusqu'à lui, il courait à travers champs sous sa forme animale, tous ses sens en éveil. Il faisait nuit noire ; Sirius retournait vers la lisière d'une forêt, et ralentissait de temps à autre pour guetter le moindre bruit, le moindre mouvement suspect dans les environs. Heureusement, seul le bruissement de la nature était audible ; et lorsqu'il humait l'air, sa truffe ne détectait aucune odeur suspecte.

Lorsqu'il arriva à proximité de la forêt, il ralentit progressivement l'allure et reprit sa forme humaine pour ne pas effrayer ceux qu'il était en train de rejoindre. Il pénétra dans l'obscurité humide du sous-bois, et trouva rapidement ceux qu'il cherchait.

– C'est bon, la voie est libre, chuchota Sirius.

Ses yeux s'acclimatèrent complètement à l'obscurité, et il put voir plus précisément les visages de ceux qu'il avait laissé au même endroit quelques minutes plus tôt.

– Tu es sûr ? s'inquiéta Lily. J'ai cru voir un véhicule s'arrêter sur la route, en contrebas...

– Ce n'était qu'une voiture pleine de Moldus, la rassura Sirius. Ils s'étaient égarés, avec toute cette brume.

Lily hocha la tête, et James se tourna vers ceux qu'ils escortaient depuis plusieurs jours : une jeune femme noire au ventre arrondi et son fils de trois ans. Tous deux avaient échappé de justesse à une tentative d'assassinat par des partisans de Voldemort, et devaient à tout prix être mis en lieu sûr.

– Nous sommes presque arrivés, dit James en se tournant vers la jeune femme. C'est la maison qui est sur la colline, là-bas... Vous allez enfin pouvoir vous reposer.

La jeune femme eut à peine la force de hocher la tête. Après avoir assisté à l'assassinat de son mari par des Mangemorts et leur avoir échappé de justesse, cela faisait plusieurs jours qu'elle marchait sans répit, en étant toujours sur le qui-vive, et le tout enceinte de cinq mois.

Avec douceur, Lily l'aida à se relever ; James reprit son petit garçon dans ses bras, et Sirius prit la tête du petit groupe pour les guider à travers champs.

Quelques minutes plus tard, ils gravissaient la pente douce qui remontait vers la maison des Potter. Quand ils arrivèrent sur le pas de la porte, James frappa quelques coups à un rythme précis pour que ses parents l'identifient ; puis la porte s'ouvrit, et le visage jovial de Fleamont Potter apparut.

– Vous voilà enfin, chuchota-t-il en s'écartant. Entrez vite !

Sans se faire prier, ils s'engouffrèrent tous dans la maison ; Fleamont jeta un regard alentours pour être certain que personne ne les avait suivis ; puis il ferma soigneusement la porte derrière lui et se retourna vers la joyeuse agitation qui régnait dans le salon.

James, Sirius et Lily s'étaient laissé tomber sur un canapé, épuisés mais soulagés. Euphemia Potter avait fait asseoir la jeune femme et son fils pour leur donner quelque chose à boire, tandis qu'un vieil homme s'était levé pour leur céder sa couverture. Deux autres familles se réchauffaient près du feu, et souriaient timidement aux nouveaux venus. Parmi eux se trouvaient un vieillard, deux très jeunes enfants et une autre femme enceinte.

– Vous avez mis plus longtemps que prévu, remarqua Fleamont à l'intention de son fils. Quelque chose vous a retardé ?

– Le ciel était infesté de Détraqueurs, soupira James. Nous avons dû faire plusieurs détours... Mais en dehors de ça, tout s'est bien passé.

– Ma pauvre chérie, vous êtes épuisée, dit Euphemia en prenant la main de la jeune femme. Vous allez enfin pouvoir dormir dans un vrai lit, ce soir... Quel est votre nom ?

– Je m'appelle Aurelia, dit la jeune femme, encore essoufflée et tremblante d'émotion.

– Et toi, mon petit, comment t'appelles-tu ?

– Alfred ! répondit le petit garçon avec enthousiasme. Et toi ?

– Enchantée, Alfred... Moi, c'est Euphemia. Je suis la maman de James !

Aurelia sourit faiblement en regardant son jeune fils, et parvint enfin à remercier Euphemia pour sa générosité ; puis elle se tourna vers James, Sirius et Lily pour les remercier de les avoir menés jusqu'ici.

– Ce n'est rien, dit aussitôt Fleamont Potter avec une grande fierté. Mon fils et ses amis ont l'habitude de faire ce genre de choses... Depuis un an, ils sillonnent le pays sans répit, afin d'aider tous ceux qui se trouvent dans des situations délicates !

– C'est très courageux de votre part, murmura la jeune femme en soufflant sur le thé brûlant qu'Euphemia venait de lui donner. Vous savez, mon petit frère m'a beaucoup parlé de vous... Il était en sixième année lorsque vous étiez les Préfets-en-Chef, et il vous admirait énormément. Il vient de commencer sa formation d'Auror, et c'est vous qui lui avez donné envie de s'y engager. S'il savait où je suis en ce moment, il serait terriblement jaloux !

Affalé sur le canapé, Sirius échangea un regard complice avec James et Lily ; et il poussa un soupir d'aise, heureux d'être de retour en sécurité, chez les parents de James.

Cela faisait un peu plus d'un an qu'ils avaient terminé leur scolarité à Poudlard, et dès les premières semaines, Dumbledore les avait mis à contribution. De nombreux sorciers étaient menacés par les Mangemorts, et parmi eux, certains étaient trop fragiles pour utiliser des Portoloin, la voie des cheminettes ou le transplanage – les très jeunes enfants, par exemple, les sorciers âgés et malades, ou encore les femmes enceintes. Il était donc nécessaire de les aider à fuir en les escortant sur la terre ferme ; et c'était donc à ça que James, Sirius et Lily occupaient l'essentiel de leur temps. En une année, ils avaient parcouru un nombre incalculable de kilomètres, passé de multiples nuits à la belle étoile, esquivé plusieurs guet-apens et permis à de nombreux sorciers d'échapper à un sort funeste.

Fleamont et Euphemia Potter participaient également à ces opérations : leur maison avait été transformée en lieu d'accueil et de répit pour ces familles menacées, en attendant qu'elles ne trouvent un moyen de quitter le pays. Cela faisait plus d'un an qu'ils logeaient, nourrissaient et rassuraient toutes ces familles de passage, sans jamais se ménager.

Avec un élan de tendresse, Sirius regarda Euphemia qui s'était assise à côté d'Aurelia, et lui avait pris la main pour la rassurer ; puis Fleamont, qui resservait des tasses de thé aux personnes rassemblées près du feu de cheminée. Depuis que Sirius avait rencontré les parents de James, ils avaient gagné quelques cheveux gris et quelques rides, mais ils n'avaient rien perdu de leur générosité à toute épreuve.

Puis, malgré la fatigue qui le retenait sur le canapé, Sirius se força à se lever pour les aider à cuisiner ; et il s'approcha du four, d'où montaient des effluves prometteurs.

– Je parie que c'est encore un gratin de pommes de terre, lança James depuis le canapé.

– Je ne m'en lasserai jamais, confirma Sirius en ouvrant la porte du four pour examiner l'avancée de la cuisson.

– Vous devez être affamés, dit Fleamont avec sollicitude.

– James est toujours affamé, rit Lily en posant sa tête sur son épaule.

– Il faudra manger de bonne heure, les informa Euphemia. Le Patronus de Dumbledore est passé tout à l'heure, une réunion aura lieu ce soir à l'endroit habituel...

– Ce soir ! s'exclama James. Moi qui pensais pouvoir me reposer un peu...

– Ce sera peut-être l'occasion de voir Remus, fit remarquer Euphemia.

– J'espère, répondit Sirius. Il n'était même pas là aux deux dernières réunions... Je commence à m'inquiéter pour lui.

– Si vous le voyez, donnez-lui ceci de notre part, dit Fleamont en leur désignant un sac de vêtements. Je suis sûr qu'il en manque, là où il se trouve.

– Oh, merci beaucoup... D'ailleurs, nous verrons sûrement quelques Aurors ce soir, dit Lily à l'intention d'Aurelia. Nous pourrons leur demander de transmettre à votre frère que vous êtes en sécurité. Comment s'appelle-t-il ?

– Ce serait adorable, sourit la jeune femme. Il s'appelle Kingsley... Kingsley Shacklebolt. Tenez, faites-lui passer ceci de ma part : cela nous permettra d'être reliés, malgré la distance.

Elle retira l'une de ses jolies boucles d'oreille et la tendit à James, qui la mit dans sa poche avec précaution ; puis James se leva à son tour pour mettre le couvert.

Dès que Fleamont jugea le gratin suffisamment cuit, ils s'attablèrent tous ensemble et mangèrent avec appétit ; les sorciers qui étaient déjà là depuis plusieurs jours firent rapidement connaissance avec Aurelia, lui adressèrent des paroles réconfortantes et s'amusèrent de voir leurs enfants jouer ensemble au bout de quelques minutes.

La conversation prit un tour encore plus joyeux lorsque Fleamont se mit à raconter le mariage de James et Lily, qui avait eu lieu quelques semaines plus tôt :

– Nous avions décoré le salon, le jardin et même la colline voisine, disait-il avec des grands gestes remplis de fierté. La cérémonie était très spontanée, très émouvante... Sirius était superbe en garçon d'honneur, et Marlene, la meilleure amie de Lily, était ravissante aussi... Oh, évidemment, ça n'était rien comparé aux deux mariés ! Tenez, voyez par vous-même...

– Papa, tu embêtes tout le monde, rit James en le voyant faire passer les photographies du mariage à toute la tablée.

– Pas du tout, pas du tout, s'empressa de répondre une jeune femme qui était hébergée chez eux depuis une dizaine de jours.

– Au contraire, c'est très réconfortant de voir que la guerre n'empêche pas les belles histoires de voir le jour, renchérit son frère, qui tenait un nourrisson dans ses bras.

Lily et James échangèrent un sourire : c'était en partie pour cette raison qu'ils s'étaient mariés aussi rapidement. Ils ne voulaient pas laisser la guerre leur voler leur histoire, et étaient ravis de pouvoir faire un pied de nez au discours mortifère des partisans de Voldemort.

Tout le repas se déroula dans cette joyeuse atmosphère ; puis James, Lily et Sirius se levèrent à contrecœur. Ils saluèrent chaleureusement l'ensemble de la tablée et leur souhaitèrent une bonne fin de soirée ; puis, sans oublier de prendre les vêtements qu'Euphemia leur avait donnés pour Remus, ils disparurent à l'étage supérieur pour aller chercher le Portoloin que Dumbledore leur avait confié quelques semaines plus tôt.

Après l'avoir saisi, ils atterrirent au milieu d'un champ qu'ils commençaient à connaître par cœur ; puis ils se mirent en marche vers le lieu où Dumbledore leur avait donné rendez-vous, tout en discutant à voix basse des derniers jours qu'ils venaient de vivre.

– J'avais vraiment peur qu'Aurelia ne tienne pas le coup, avoua Lily. Elle semblait tellement faible, à la fin... Je crois que si son fils n'avait pas été là, elle aurait pu abandonner.

– Oui, heureusement qu'elle a tenu bon... Et ce petit Alfred est vraiment adorable, commenta James avec un sourire rêveur.

– Je crois qu'il t'a bien apprécié aussi, rit Lily. Il a été si courageux, il ne s'est pas plaint une seule fois...

Alors qu'il marchait quelques pas derrière eux, Sirius jeta un regard furtif vers ses deux amis, et son humeur s'assombrit légèrement.

En effet, tout comme leur mariage récent, cette discussion était annonciatrice d'un projet de plus en plus imminent : James et Lily allaient bientôt quitter la maison familiale pour avoir la leur, et souhaitaient avoir un enfant à leur tour.

Sirius s'en réjouissait pour eux, évidemment, mais cela signifiait aussi que son chemin allait devoir se séparer du leur, et l'évidence l'avait durement rattrapé : il n'avait nulle part où aller, aucune famille à laquelle se raccrocher. Certes, les Potter avaient fait office de substitut, pendant un temps, mais cette douce période était sur le point de s'achever.

Chacun d'eux allaient lui manquer. Fleamont et Euphemia, avec leur douceur et leur générosité ; James, évidemment, ainsi que leur éternelle complicité ; et Lily, bien sûr. Même si leur amitié était plus récente, elle allait lui manquer autant que James. Depuis leur sortie de Poudlard, Sirius s'était profondément attaché à elle, avec sa bienveillance lumineuse. Désormais, Lily se contenterait de veiller sur James, et James veillerait sur elle, Sirius en était sincèrement heureux – mais de lui, qui allait se soucier ?

Alors qu'ils arrivaient devant l'entrée d'une vieille grange désaffectée, Sirius haussa les épaules, comme pour se signifier l'absence de réponse à cette question inextricable, et emboîta le pas à ses deux amis pour entrer.

La grange poussiéreuse dans laquelle ils avaient l'habitude de se retrouver était abandonnée depuis plusieurs mois ; et pourtant, le sol était encore recouvert de paille, et une odeur puissante et tenace imprégnait les murs. Plusieurs torches vives éclairaient les lieux ; au fond de la pièce, une petite dizaine de personnes discutaient avec gravité. Dumbledore se trouvait là, entouré d'Aurors et de combattants qui lui rendaient compte des évènements les plus récents. Sur un perchoir, le phénix Fumseck observait la scène de son regard perçant.

James, Lily et Sirius sortirent leurs baguettes et firent apparaître leurs Patronus pour prouver leur identité ; puis les quelques personnes qui étaient présentes s'approchèrent pour congratuler chaleureusement les mariés. Sirius se tint un peu à l'écart, laissant à James et Lily le soin de raconter leur mariage à leurs partenaires de combat. Toujours songeur, il se contenta d'observer leurs interlocuteurs, dont les visages hâves et émaciés étaient éclairés par la lueur dansante des torches. Seul Dumbledore ne semblait pas atteint par l'épuisement : il était habillé avec la même fantaisie qu'à l'accoutumée, sa longue barbe argentée n'avait rien perdu son éclat, et derrière ses lunettes en demi-lune, ses yeux bleus brillaient avec une intensité imperturbable.

– Je suis enchanté par ces bonnes nouvelles, commenta-t-il après avoir écouté James et Lily raconter leur mariage.

Au même instant, Sirius sentit un courant d'air dans sa nuque : la porte de la grange venait de s'ouvrir de nouveau. Il se retourna et vit entrer deux hommes : l'un d'eux était solidement bâti, et avait les cheveux châtains ; l'autre était brun, plus jeune, plus élancé, vêtu plus élégamment. Malgré leur apparence en tout point différente, ils étaient animés par la même détermination et assombris par la même mélancolie – ce qui s'expliquait sans doute par le fait qu'ils avaient tous deux perdu leurs parents dans le même incendie, puis avaient grandi ensemble au sein du pensionnat Wimbley, un lieu qui avait été sauvagement détruit par les Mangemorts près de quatre ans auparavant.

– Bonjour à tous, marmonna Maugrey avec sa rudesse habituelle.

À côté de lui, Adam Claring se contenta de saluer d'un signe de tête les quelques personnes qui lui souriaient. Comme tous les précédents arrivants, ils firent apparaître leurs Patronus : un phénix et un chien de berger argentés firent le tour de la pièce à l'unisson, puis s'évaporèrent.

– Vous voilà, dit Dumbledore avec satisfaction. Alastor, j'avais justement quelques mots à te dire avant que tout le monde n'arrive...

– Malheureusement, cela devra attendre quelques minutes, coupa sèchement Maugrey. Avant toute chose, je dois parler à Sirius.

En entendant son prénom, Sirius sortit brutalement de sa semi-rêverie. Plusieurs visages surpris étaient maintenant tournés vers lui.

– Euh... Il y a un problème ?

– J'ai quelque chose à te donner, se contenta de répondre Maugrey.

Sirius échangea un regard perplexe avec James et Lily ; il essaya de consulter Adam Claring du regard, mais celui-ci lui fit seulement signe de les suivre.

– Viens avec nous, proposa-t-il.

Sirius se résigna, et suivit Adam Claring et Maugrey à l'extérieur. Le soir tombait sur les environs ; le vent fraîchissait, ébouriffait ses cheveux bouclés, et le fit frissonner sous son blouson de cuir.

– Tu es sûr que tu veux rester ? marmonna Maugrey à l'intention d'Adam Claring.

– Je pense que ça vaut mieux, assura le jeune homme.

Même s'il aurait préféré être consulté directement, cela convenait bien à Sirius : Maugrey l'avait toujours intimidé. Il n'appréciait pas beaucoup l'importance que l'Auror accordait à l'ordre et aux règles, son comportement rigide et sa méfiance permanente. À l'inverse, il avait toujours admiré Adam Claring et la verve avec laquelle il défendait l'égalité des sorciers – sans compter qu'il était le plus jeune membre du Magenmagot depuis plusieurs décennies. Lorsqu'il habitait encore au square Grimmaurd, Sirius le citait sans cesse pour contredire ses parents, ce qui avait le pouvoir de les mettre tous les deux dans une rage folle ; et depuis sa sortie de Poudlard, Adam et Sirius avaient eu plusieurs fois l'occasion de discuter ensemble à propos des outils de propagande utilisés par les Mangemorts. Adam consultait parfois Sirius sur certains arguments dont il était peu familier, et Sirius était fier de l'avoir aidé à écrire plusieurs articles pour La Gazette du Sorcier. Au cours de la dernière année, tous deux avaient appris à se connaître, et ils avaient l'habitude de se retrouver avec plaisir ; mais cette fois-ci, Adam l'observait avec une gravité inhabituelle.

– Je vous écoute, dit Sirius. Qu'y a-t-il ?

– Le plus simple, c'est que tu lises ça, grogna Maugrey.

L'Auror fourra son poing dans sa poche et tendit à Sirius une enveloppe parcheminée, déjà ouverte, mais dont le sceau de cire noire était resté intact. Sirius le reconnut à l'instant même où Maugrey sortit l'enveloppe de sa poche, et se crispa immédiatement : même après tout ce temps, les armoiries Black continuaient de provoquer chez lui un profond sentiment de répulsion.

– Tu peux la garder, grimaça Sirius en reculant légèrement. Je n'en veux pas.

Maugrey leva les yeux, interloqué.

– Tu devrais quand même y jeter un œil...

– Je t'ai dit que je ne voulais pas lire ça, répéta Sirius, soudain tendu. Jette-la au feu, fais-en ce que tu veux, mais je ne veux plus avoir affaire à eux.

– Je comprends, mais... il s'agit de ton frère, lâcha finalement Maugrey. Il lui est arrivé quelque chose.

Sirius tressaillit, et en voulut cruellement à Maugrey de lui avoir dit cela. Il aurait préféré ne rien savoir du tout. Maintenant, les questions se bousculaient dans son esprit : son frère avait-il été arrêté ? Si oui, comment ? Qu'avait-il fait, quel acte de barbarie avait-il commis ? Avait-il tué quelqu'un de ses propres mains, avec d'autres Mangemorts ?

Quoiqu'il en soit, la curiosité était bien trop forte. S'il renonçait à savoir ce que contenait cette lettre, tous ces questionnements l'empêcheraient de dormir pendant des jours. Avec réticence, Sirius tendit la main, prit l'enveloppe du bout des doigts et en extirpa la lettre qu'elle contenait. Il la déplia lentement, et eut beaucoup de mal à entamer sa lecture, tant il avait en horreur l'écriture fine et serrée de sa mère. À travers ces lettres étroites, il pouvait ressentir toute sa froideur terrifiante, voir ses doigts pâles et osseux, semblables à des griffes, et son cou penché sur le parchemin...

– Sirius ? s'inquiéta Adam Claring. Tout va bien ?

Face à lui, Maugrey continuait de le regarder avec gravité. Adam lui adressa un regard encourageant qui lui donna la force de reprendre ses esprits : ce n'était qu'une lettre, bon sang...

Avec un peu plus de volonté, Sirius entama sa lecture ; et dès les premiers mots, il sut que la situation était grave.

À l'intention du Bureau des Aurors

Par la présente lettre, veuillez apprendre que mon mari, Orion Phineas Black, et mon fils cadet, Regulus Arcturus Black, ont trouvé la mort la semaine dernière.

Je souhaite que vous sachiez la vérité : notre famille a servi, pendant quelque temps, les intérêts de Vous-Savez-Qui. Mon fils Regulus a été admis au sein des Mangemorts, avant de réaliser que cela n'était que folie. C'est parce qu'il s'est courageusement rebellé que tous deux ont été tués.

Je précise que je ne connais ni les lieux de réunions des Mangemorts, ni leurs projets, ni leur identité. Il est donc inutile de me rendre visite, ou de poster un Auror devant ma porte comme vous le faites depuis quelques jours. Je ne laisserai entrer en ma demeure que ceux qui portent mon nom.

 

Adieu,

Walburga Black

Sirius relut la lettre à plusieurs reprises pour être certain d'avoir bien compris ce qu'elle signifiait.

C'était fini. Il ne verrait plus jamais son petit frère, il n'entendrait plus jamais le son de sa voix. Regulus n'existait plus.

Il essaya de décrypter ce qu'il ressentait, mais c'était impossible. Il avait l'impression désagréable qu'un courant d'air glacial passait à travers lui, sans être capable d'identifier l'émotion que cela traduisait. Quelque chose d'incroyablement violent était en train de s'agiter en son for intérieur, et menaçait de rouvrir des portes qu'il avait pourtant verrouillées depuis bien longtemps.

Lorsqu'il releva la tête, Maugrey et Adam Claring l'observaient avec appréhension.

– Quand... Quand avez-vous reçu cette lettre ? demanda Sirius.

– Il y a quelques jours. La Brigade de la Police Magique en a reçu une semblable... Je suppose que ta mère a fait ça pour être certaine que tu apprendrais la nouvelle, d'une manière ou d'une autre.

Sirius acquiesça, toujours sonné.

– Si tu ressens le besoin d'en parler...

– Non, ça ira. Merci de m'avoir prévenu.

Il se tourna vers la porte pour retourner dans la grange, mais Maugrey le retint par le bras.

– Attends une seconde, dit-il. Tu as vu la dernière phrase ?

Sirius fronça les sourcils, désireux de mettre fin à cette discussion au plus vite.

– Je ne laisserai entrer en ma demeure que ceux qui portent mon nom... Oui, eh bien ?

– C'est certainement à toi que cette phrase s'adresse, non ?

Sirius devina immédiatement ce que Maugrey avait en tête, et il se raidit aussitôt, exaspéré.

– Je ne ferai pas ça, décréta-t-il. Vous ne connaissez pas ma mère... C'est sûrement une ruse pour m'attirer là-bas, et avoir une nouvelle occasion de m'accabler d'injures.

– Je pourrais t'accompagner, insista Maugrey. Cette invitation, c'est une chance inespérée. Peut-être qu'il y a chez toi des indices sur les Mangemorts, ou sur...

– C'est non, Maugrey, répondit sèchement Sirius. Je n'irai pas là-bas. Je me suis promis de ne plus jamais y retourner.

Le regard de Maugrey se durcit.

– Alors, tu ne veux pas savoir comment ton petit frère est mort ? Tu ne veux pas retrouver ceux qui ont fait ça ?

– Alastor, doucement, tempéra Adam Claring.

Sirius était abasourdi par la demande de Maugrey, tout comme il avait été abasourdi lorsque Dumbledore avait exigé de lui qu'il aille parler à Regulus, deux ans et demi plus tôt. Pourquoi s'entêtaient-ils à le remettre en contact avec ces gens qui lui avaient fait tant de mal ? La situation n'était-elle pas assez douloureuse comme cela ? Décidément, Dumbledore, Maugrey et tous les autres ne semblaient pas comprendre ce qu'il ressentait à la simple évocation de sa famille. En réalité, ils ne comprenaient rien. Il était inutile de discuter avec eux.

Fort de cette certitude, Sirius se dégagea brutalement de la poigne de Maugrey et s'éloigna d'eux d'un pas décidé. Trop furieux pour aller retrouver les autres, il fit le tour de la grange pour aller à l'arrière du bâtiment ; là, il s'adossa au mur de briques et se força à respirer profondément, afin d'éteindre la colère et la douleur inexplicable qu'il ressentait.

Il entendait des pas précipités longer la grange, se rapprocher de lui ; et grâce au silence des environs, il entendit les voix de Maugrey et d'Adam qui se disputaient à son sujet.

– Laisse-le, conseillait Adam à voix basse. Laisse-le, je te dis... Tu vois bien qu'il est en état de choc ! Ce n'est pas le moment de l'obliger à faire quoi que ce soit.

– Justement, rétorqua Maugrey. Tu ne comprends pas ? Sa mère doit être dans le même état. Si nous arrivions à la rencontrer, elle serait sans doute en mesure de nous communiquer des informations précieuses. Leur fils était un Mangemort, bon sang !

Sirius frissonna. Il ne s'y habituerait pas. Jamais.

– Même si elle prétend le contraire, Walburga Black connaît forcément l'identité de ceux qui ont recruté Regulus, non ? Elle sait peut-être qui a orchestré la destruction du pensionnat Wimbley...

Sirius entendit Adam pousser un long soupir de lassitude.

– Et dans quelques jours, je peux t'assurer que cette femme sera murée dans son propre chagrin ; et alors, nous ne pourrons plus rien en tirer. Toute chance sera perdue.

– Je commence à connaître Sirius, répliqua Adam. Je connais son aversion pour sa famille... Et je t'assure qu'il ne changera pas d'avis.

– Bon sang ! C'est la guerre, s'emporta Maugrey. J'ai l'impression que certains d'entre vous ne l'ont pas encore bien compris.

– Être en guerre implique aussi de soutenir ses alliés et de respecter leurs limites, insista Adam. Sirius n'a que dix-neuf ans, je te le rappelle.

– Je le sais bien, et je respecte sa souffrance. Mais dans le cas présent, il me semble que cela relève davantage de la fierté.

– Est-ce une raison pour lui forcer la main ? Tout ce que tu risques, c'est de le faire fuir. Or, c'est maintenant que nous avons besoin de combattants. Sirius est brillant et courageux : nous avons besoin de toute sa force, de toute sa volonté. Si tu vas à l'encontre de sa demande, tu ne récolteras que sa colère.

Il y eut un silence.

– Laisse-moi faire, proposa Adam. Laisse-moi discuter avec lui... Allez, va rejoindre Dumbledore. Il semblait avoir quelque chose à te dire.

Maugrey émit un grognement, puis Sirius entendit sa démarche pesante s'éloigner. À l'inverse, les pas plus légers d'Adam Claring se rapprochèrent, et il apparut à l'angle de la grange. Timidement, il se rapprocha de Sirius, puis s'adossa au mur à côté de lui.

– Désolé, dit-il avec douceur. Alastor est un peu rude, parfois.

– Ce n'est rien, répondit sèchement Sirius. Mais je te préviens, si tu es là pour m'extorquer un droit d'entrée dans mon ancienne maison, c'est peine perdue : j'ai déjà pris ma décision, et je ne reviendrai pas dessus.

– Je ne suis pas là pour ça, le rassura Adam. Je comprends ce que tu ressens. Je suis là pour qu'Alastor te laisse tranquille, c'est tout. Nous ne sommes même pas obligés de discuter.

Sirius haussa les épaules et poussa un long soupir. Il se sentait lassé de tout : de cette guerre qui n'en finissait pas, de sa famille qui trouvait toujours le moyen de l'atteindre après toutes ces années de séparation, de cette maudite solitude qui le rattrapait encore une fois...

Il glissa un regard vers Adam : il avait enfoui ses mains sans ses poches et regardait le ciel, également plongé dans ses pensées. Sirius se sentit soudain coupable : de quoi pouvait-il se plaindre devant lui ? Adam avait perdu ses deux parents à l'âge de cinq ans dans un incendie criminel. Il avait ensuite grandi au pensionnat Wimbley, élevé par Eleanor aux côtés d'Alastor Maugrey et de Ted Tonks ; il était devenu un jeune homme ambitieux, engagé, qui avait réussi à se reconstruire tant bien que mal – jusqu'à ce que les Mangemorts détruisent le pensionnat et assassinent sa directrice. À deux reprises, les flammes avaient emporté tout ce qu'Adam possédait, à cause de sorciers qui partageaient les idées ignobles de la famille Black – cette maudite famille, pensa Sirius avec colère.

Il fut distrait par le bruit d'un animal qui se rapprochait à toute vitesse. Il se redressa, aux aguets ; une chienne au pelage brun surgit de l'obscurité, et, sans laisser à Sirius le temps d'être effrayé, elle alla se frotter contre Adam.

– Nelly, te voilà, sourit ce dernier en caressant la chienne avec affection.

– Elle... Elle est à toi ?

Tout en jappant, la chienne se tourna vers Sirius et s'approcha de lui. Il se pencha pour la caresser à son tour : son pelage était incroyablement doux, et ses grands yeux noirs recelaient un mélange de tendresse et de mélancolie.

– Elle était à Eleanor, expliqua Adam. Elle vivait au pensionnat, elle se promenait un peu partout ; Eleanor s'en servait pour mettre les nouveaux arrivants en confiance, ou lorsque l'un d'entre nous était en colère... Quoiqu'il arrive, Nelly arrivait toujours à nous apaiser.

– Ça ne m'étonne pas, dit Sirius.

Lui-même se sentait progressivement apaisé par le contact de l'animal. La douceur de son pelage, le rythme de sa respiration et la profondeur de son regard chassaient la tension de ses muscles et, peu à peu, la colère qui l'habitait.

– Je ne l'ai pas vue, le soir où le pensionnat a été attaqué, remarqua Sirius.

– Oui, elle n'a jamais aimé l'agitation de ces fêtes-là, alors je l'avais laissée chez moi pour éviter qu'elle ne fasse trop de dégâts... Depuis, je l'ai adoptée. Elle me tient compagnie, et elle monte la garde autour de chez moi... J'ai proposé de l'amener aujourd'hui, et pour les prochaines réunions. Ça lui permet de prendre l'air.

Nelly continua de se frotter à eux, et ils se détendirent tous les deux. Adam parla un peu du Ministère, de l'ambiance hostile et chaotique qui y régnait ; et enfin, Sirius se sentit capable de confier une partie de ce qu'il avait sur le cœur.

– Ce n'est pas une bonne période pour moi non plus, avoua-t-il. Tu sais que James et Lily se sont mariés... Eh bien, il est temps que nous habitions séparément. Mon oncle Alphard m'a donné un peu d'argent pour acheter une maison, mais je ne sais tout simplement pas où aller.

– Tu plaisantes ?

Sirius se tourna vers Adam, dont le visage s'était illuminé.

– Il y a une maison à vendre dans le hameau où je vis, sourit-il. Tu pourrais la prendre ! Il faudrait la rénover un peu, mais bon...

– Je croyais que ton adresse était tenue secrète ? Tu es la personne la plus recherchée du pays !

– Si c'est toi, ça ne compte pas, sourit Adam. Alastor m'en voudra certainement de prendre ce risque-là, mais tant pis... Avec cette propagande incessante, nous allons avoir du pain sur la planche, et je vais avoir besoin de ton aide.

Adam sortit ses mains de ses poches, un peu rasséréné, et un vieux parchemin froissé en tomba. Sirius le ramassa, et en le rendant à son propriétaire, il aperçut un oiseau rouge, finement dessiné sur le coin du parchemin.

– Oh... C'est un phénix ?

– Oui, répondit Adam avec un sourire gêné. J'en dessine un peu partout, mes parchemins en sont couverts... C'est une sorte de totem, pour moi.

Il s'interrompit. Il semblait hésiter à donner davantage d'explications, mais comme Sirius continuait de regarder le dessin avec intérêt, il poursuivit :

– Tu sais, la nuit où mes parents ont été tués... Il s'est passé quelque chose d'étrange. Je me souviens des flammes qui dévoraient tout... Des cris de mes parents... Et ensuite, brusquement, le néant. Je me suis réveillé au pensionnat Wimbley, entouré d'Eleanor, Ted et Alastor qui veillaient sur moi. Eleanor m'avait trouvé quelques jours auparavant, le soir de l'incendie, étendu sur le perron du pensionnat ; et personne ne sait qui m'a déposé là. Il n'y avait qu'un petit mot, froissé dans mon poing... Et il disait ceci : Tel le phénix, l'espoir renaît de ses cendres.

Sirius écoutait avec attention, troublé. Il connaissait bien cette histoire, évidemment. Mais, même s'il n'avait jamais osé l'interroger à ce propos, il avait toujours pensé qu'Adam en savait davantage que la version officielle. Qu'il avait pu apercevoir un visage, une silhouette... L'idée qu'un mystère d'une telle ampleur soit resté intact pendant autant d'années lui donnait le vertige. Ainsi, certains secrets étaient destinés à rester scellés – comme, peut-être, les circonstances de la mort de son frère.

À cette pensée, quelque chose se froissa douloureusement en lui – quelque chose sur laquelle il refusa de s'attarder.

– Je me dis que ce sont mes parents qui m'ont laissé ça, poursuivit Adam. Pour que je ne désespère jamais. Bien sûr, c'est absurde, ils n'auraient pas eu le temps d'écrire quoique ce soit dans cet incendie... Mais ce phénix... Je trouve que c'est une belle image. Mes parents et leurs amis de la Fondation étaient poursuivis par l'écrasante majorité de la communauté sorcière. Tout était contre eux : le Ministère, le Magenmagot, les plus puissantes familles de sorciers. Mes parents se sont battus contre les inégalités de ce monde, et ils ont été injustement assassinés. C'est une histoire terrible, pleine de cruauté... Mais malgré tout, quelqu'un a été assez courageux pour me tirer de là. Et la vie a continué. L'espoir renaît de ses cendres. Il n'est jamais anéanti. Jamais.

Visiblement ému, Adam sortit une vieille photographie de sa poche intérieure, et la tendit à Sirius.

– Regarde... Ce sont eux.

Sur la photographie mouvante, trois personnes étaient penchées sur un berceau. Sirius reconnut immédiatement les deux parents d'Adam, avec leurs cheveux noirs de jais et leurs yeux flamboyants de détermination : leur fils unique avait tout hérité d'eux. Sur le côté de la photographie, une troisième personne était présente : un jeune homme blond aux yeux bleus, aux traits délicats et aux longs cils dorés. Malgré son sourire plein de douceur, il semblait habité par une tristesse infinie.

– Qui est-ce ? demanda Sirius, intrigué.

– Lui ? C'était mon parrain. Il s'appelait Thomas Everly. C'était le meilleur ami de mes parents, il était très investi dans la Fondation... Il a été grièvement blessé lors d'une émeute, quelques mois avant l'incendie. Il était déjà mourant à ce moment-là... Il n'a pas survécu, lui non plus.

Sirius fronça les sourcils. Les traits de Thomas Everly lui semblaient familiers, mais il n'arrivait pas à identifier pourquoi. D'après Adam, le jeune homme était pourtant mort plusieurs années avant sa propre naissance...

– Je ne sais pas pourquoi je te montre tout ça, se reprit Adam avec embarras. Je voulais simplement te changer les idées, et nous avons dérivé vers cette histoire tragique. Excuse-moi.

– Non, non, ce n'est pas grave, assura Sirius en lui rendant la photographie. Au contraire... Merci de me dire tout ça. Et puis... Je te promets de réfléchir, pour la maison. En tout cas, ça me plairait d'être ton voisin.

Ils échangèrent un sourire.

– Allons rejoindre les autres, ils doivent nous attendre...

Sirius acquiesça et ils retournèrent à l'intérieur, escortés par Nelly. Sitôt entré, Sirius compta mentalement tous ceux qui était présents, et constata avec un dépit dénué de surprise que plusieurs personnes manquaient à l'appel. Ils étaient chaque fois moins nombreux, et les raisons des disparitions de leurs camarades étaient souvent plus tragiques les unes que les autres.

Néanmoins, Sirius fut soulagé de voir Hagrid en premier - sa taille imposante ne lui permettait pas de passer inaperçu. Il y avait également Alice et Franck Longdubat, deux Aurors dotés d'une gentillesse et d'un courage à toute épreuve ; Fabian et Gideon Prewett, qui prenaient des risques considérables pour s'attaquer aux Mangemorts et pour qui Sirius se faisait constamment du souci ; Dedalus Diggle, avec son habituel haut de forme violet et sa montre douée de parole ; Benjy Fenwick, qui s'était décidé à s'engager dans la lutte après l'assassinat de son frère par un groupe de Mangemorts ; Sturgis Podmore et Elphias Doge, deux grands amis de Dumbledore ; Caradoc Dearborn, qui discutait avec Edgar Bones et Emmeline Vance, deux grands sorciers que Sirius admirait beaucoup ; Marlene McKinnon, son ancienne camarade de Poudlard ; Dorcas Meadowes, une Auror qui avait vaillamment défendu le pensionnat Wimbley ; et bien sûr Ted Tonks, qui était en train de s'entretenir avec Maugrey dans un coin de la pièce.

Une immense table avait été dressée au milieu de la grange, sur laquelle était étalée une carte du pays, suffisamment grande pour que chacun puisse en distinguer les moindres détails.

Adam se dirigea vers Maugrey et serra Ted dans ses bras ; Sirius fut tenté de le suivre, mais il avait quelqu'un d'autre à retrouver. Il se dirigea vers James et Lily, et posa une main sur l'épaule de la personne qui se trouvait à côté d'eux.

– Sirius ! s'exclama Remus en faisant volte-face.

Incapable de réfréner un puissant élan d'affection, Sirius lui sauta au cou et le serra dans ses bras.

– Lunard, mon ami, soupira Sirius avec émotion.

– Chhht, ne dévoile pas nos surnoms, le sermonna gentiment Remus.

– Tu as raison, admit Sirius en s'écartant. Je suis tellement content de te voir que j'en perds la raison... Alors, comment vas-tu ?

– Oh, tu sais...

Remus haussa les épaules, un peu embarrassé. En réalité, son apparence parlait pour lui : son visage était pâle et cerné, comme s'il était malade. De nouvelles cicatrices rayaient son cou et ses mains, ses vêtements étaient usés et froissés. Avec un pincement au cœur, Sirius regretta que James, Peter et lui ne puissent pas continuer à l'accompagner les soirs de pleine lune : sans eux, les métamorphoses de Remus étaient redevenues douloureuses et destructrices. James lui avait pourtant proposé de venir vivre avec eux, mais la guerre avait appelé Remus ailleurs : du fait de sa condition de loup-garou, il était tout désigné pour parlementer avec ces derniers, et donc pour tout mettre en œuvre afin de les rallier à leur cause – ou du moins pour les empêcher de rejoindre les partisans de Voldemort. Il partait donc sans cesse en mission dans différentes régions, afin de débusquer les loups-garous qui y vivaient avant que les Mangemorts ne le fassent.

Outre le fait qu'il se trouvait séparé de ses amis, Remus vivait jour et nuit avec la peur de recroiser la route de Fenrir Greyback, le loup-garou qui l'avait mordu alors qu'il était âgé de cinq ans ; il était sans cesse sur le qui-vive, ce qui mettait ses nerfs et son sommeil à rude épreuve. Sirius en voulait parfois à Dumbledore de se servir de son ami de cette manière, et avait déjà tenté de le convaincre de se reposer un peu plus longtemps entre deux missions, mais Remus prenait son rôle trop à cœur pour écouter ses propres limites.

– Peter est encore en retard, fit remarquer James et regardant autour d'eux.

– Pour changer, se moqua Sirius. Tu crois qu'il arrivera à sortir de chez lui, cette fois-ci ? Je m'étonne qu'il ne soit pas encore mort de trouille...

– Je suis là, dit une voix grinçante derrière son dos.

Sirius se retourna et adressa un vague rictus à Peter, sans avoir l'énergie de faire semblant d'être heureux de le voir. Remus et James lui adressèrent un sourire plus sincère, mais Peter resta renfrogné.

La guerre l'avait transformé, lui aussi : ses cheveux blond foncé étaient plus ternes, son ventre de plus en plus imposant. Il passait le plus clair de son temps sous sa forme animale, caché dans un recoin de sa maison, et son apparence humaine semblait en être impactée : ses yeux semblaient plus petits, ses incisives plus longues.

– Alors, que te voulait Maugrey ? demanda James à Sirius afin de dissiper le malaise qui s'installait.

– Oh, rien d'important, assura Sirius. Je vous raconterai après.

En effet, Dumbledore venait de faire un geste pour réclamer l'attention de l'assemblée ; et aussitôt, le brouhaha ambiant retomba.

– Merci à chacun d'entre vous d'être venu ce soir, déclara Dumbledore de sa voix paisible.

Les derniers murmures s'évanouirent et le silence se fit autour du directeur de Poudlard. Malgré les désaccords qu'ils avaient eus à propos de Regulus, Sirius ne pouvait s'empêcher d'admirer sa résistance au chaos ambiant. En effet, à l'inverse de beaucoup d'entre eux, il n'était pas altéré physiquement, il continuait de porter ses manteaux brodés et ses chaussures à boucles étincelantes ; il ne haussait jamais la voix, dispensait ses paroles avec sagesse et bienveillance, sans jamais manifester la moindre faiblesse. Pour tous les combattants qu'il avait réussi à rassembler, Dumbledore était un véritable rempart contre l'affolement et le désespoir.

– Avant de parler de la guerre, je tenais à féliciter James et Lily, dont j'ai eu le plaisir d'apprendre l'union officielle il y a quelques semaines... Je vous adresse tous mes vœux de bonheur, et je ne peux m'empêcher de me féliciter de vous avoir fait confiance pour coopérer à Poudlard, il y a quelques années de cela.

Quelques rires et quelques applaudissements retentirent ; James et Lily adressèrent des sourires reconnaissants à Dumbledore et à l'assemblée ; puis le silence revint, plus profond encore.

– Et maintenant... Il est temps de faire le point sur la situation du pays.

Les visages qui avaient souri à James et Lily retrouvèrent leur gravité. Certains peinaient à tenir debout, Elphias Doge et Sturgis Podmore avaient osé s'asseoir autour de la carte en raison de blessures mal cicatrisées, mais les regards ne perdaient rien de leur vivacité.

Dumbledore étendit sa main ridée au-dessus de la carte du pays, et la partie inférieure s'obscurcit autour de deux épicentres, situés respectivement à Londres et au milieu du Wiltshire.

– Les Mangemorts sont majoritairement présents au sud du pays, expliqua-t-il. Tout porte à croire que leurs assauts sont parfois organisés depuis Londres, mais surtout depuis le manoir des Malefoy.

– Je ne comprends toujours pas ce qui nous empêche de les attaquer là-bas, fit remarquer Benjy Fenwick avec amertume. Nous savons que ce manoir est le quartier général des Mangemorts, et pourtant, nous les laissons faire...

– Détrompez-vous, Fenwick, le reprit Dumbledore. Rappelez-vous, lors de notre dernière réunion, plusieurs d'entre nous se sont portés volontaires pour une mission de repérage autour du manoir...

Sirius vit plusieurs sorciers grimacer. Il regarda autour de lui et frissonna : en effet, quelques semaines plus tôt, trois d'entre eux s'étaient portés volontaires pour survoler le manoir et essayer d'apercevoir ce qu'il s'y tramait – et c'étaient précisément ces trois sorciers qui étaient absents.

– Hélas, aucun d'entre eux n'est revenu de cette dangereuse mission, poursuivit sombrement Dumbledore. Le manoir des Malefoy est l'épicentre d'une sorte de tourbillon invisible, de plus en plus étendu, constitué de divers maléfices d'une puissance stupéfiante, dont je serais incapable de vous préciser la nature. En voulant s'en approcher, Leander Nightshade et Dorian Thornwood ont été comme foudroyés. Quant à Octavia Frotsvale, qui a réussi à s'en extraire pour me décrire ce qu'elle a vu, elle s'est entêtée à faire une deuxième tentative en survolant le manoir ; c'est d'elle que je tiens ces informations. Elle est revenue saine et sauve, du moins en apparence, un peu secouée par les innombrables Détraqueurs qui montaient la garde autour du domaine ; mais il semblerait qu'elle ait été atteinte par des maléfices à retardement, et a succombé à d'étranges blessures quelques jours plus tard, sans qu'aucun Magicomage de Sainte-Mangouste n'ait pu comprendre de quoi il s'agissait. Je me doute que ces maléfices sont l'œuvre de Voldemort, mais j'ignore comment les contourner ; je refuse donc de demander à d'autres personnes de les affronter, étant donné qu'ils ont coûté la vie à tous ceux qui s'y sont risqué. Quant aux Malefoy eux-mêmes, il est impossible de savoir s'ils y sont pris en otage ou s'ils aident Voldemort de leur plein gré... Même si nous avons tous notre petite idée sur la question.

Plusieurs personnes soupirèrent devant ce bilan effarant ; d'autres étaient bouleversés d'apprendre la mort de leurs trois amis.

– Le nord du pays est encore épargné ? interrogea Alice Longdubat en désignant la carte.

– Pour le moment, acquiesça Dumbledore. Le nord a toujours été un territoire gardé par les géants, et jusqu'ici, aucun sorcier n'est parvenu à les amadouer.

– Et si Voldemort y parvenait ?

– Ce serait une catastrophe, bien sûr. Et c'est précisément pour éviter cela que j'ai demandé à plusieurs d'entre vous de se relayer pour garder un œil sur ces clans de géants, et s'assurer que Voldemort ne s'en approche pas. Pour l'instant, ils sont hermétiques à toute tentative de discussion, et nous ne parvenons pas à les rallier à notre cause ; nous devons donc nous contenter de veiller à ce qu'ils ne se tournent pas vers l'autre camp.

Quelques personnes s'entreregardèrent, curieuses de savoir qui avait été chargé de cette mission - mais ils n'étaient pas autorisés à se dévoiler mutuellement leurs activités personnelles. Sirius échangeait souvent avec Adam afin de riposter contre les arguments anti-Moldus qui se répandaient parmi les sorciers ; mais pour le reste, ils ne savaient jamais où se trouvaient leurs alliés, ni ce qui occupait leurs journées. Pour leur propre sécurité, ils ne devaient pas en savoir trop ; Dumbledore coordonnait tout, il fallait lui faire confiance.

– Et... à Londres ? osa demander Emmeline Vance. Ont-ils un lieu de ralliement plus précis ?

– Probablement, mais nous ne parvenons pas à le localiser. Les attaques surviennent de façon trop aléatoire, et les quelques sorciers que nous avons réussi à arrêter étaient de pauvres bougres soumis au sortilège de l'Imperium.

– C'est une épidémie, grogna Maugrey.

– Le mot est juste, approuva Dumbledore. Parmi les armes utilisées par les Mangemorts, c'est sans nul doute la plus redoutable qui soit.

– Et pourquoi ne pas infiltrer l'Allée des Embrumes ? Certains Mangemorts doivent forcément y passer du temps...

– C'est ce que Croupton essaie de faire depuis plusieurs mois, mais le chaos qui règne dans cet endroit est inimaginable. Le nombre d'assassinats y a explosé, et tous les sorciers qui y vivent sont tellement ravagés par la violence qu'il est impossible d'y observer quoique ce soit.

– Le chaos et la violence, répéta sombrement Maugrey. Exactement ce que souhaite Voldemort... Et si nous ne réussissons pas à l'arrêter, ce qu'il se passe dans l'Allée des Embrumes se généralisera à tout le pays.

– C'est déjà en train de se produire, renchérit Dorcas Meadowes. Les sorciers sont en train de perdre la tête. Même les plus raisonnables d'entre eux se méfient de leurs voisins, les accusent de pactiser avec l'ennemi... Certains sorciers ont été tués par erreur, simplement parce qu'on les soupçonnait d'être à la solde de Voldemort !

– C'est une catastrophe, commenta Elphias Doge en secouant la tête. Nos compatriotes sont en train de céder à la panique, et cela ne peut qu'alimenter le chaos ambiant. Mais en même temps, comment le leur reprocher ? Avec toutes ces accusations et ces fausses rumeurs, on ne sait plus à qui se fier...

Dumbledore adressa un signe de tête reconnaissant à son ami de longue date.

– Je te remercie, Elphias, d'introduire la suite de mes propos ; car en réalité, la question du territoire n'est pas celle qui me préoccupe le plus. Vous savez tous que la guerre se joue sur plusieurs fronts, et notamment sur celui de l'information. Or, de ce côté-là, les Mangemorts adoptent des stratégies de plus en plus agressives. Des fausses Gazettes du Sorcier sont régulièrement livrées dans les villages sorciers de Loutry-Ste-Chaspoule, Godric's Hollow, Tinworth, Flagley-le-Haut. Ces journaux factices, admirablement réalisés, ont pour but de saper la confiance des sorciers, et de les diviser entre eux. En voici quelques exemples...

Dumbledore remua sa baguette, et plusieurs articles factices se mirent à flotter dans les airs au-dessus de la carte. La topographie et la mise en page de La Gazette du Sorcier était imitée à la perfection, et les titres des articles étaient tous plus odieux les uns que les autres. Un article intitulé Croupton est-il à la solde des Mangemorts ? côtoyait un autre en-tête en gros caractères : Adam Claring a-t-il perdu la raison ? accompagné d'une photographie qui datait sans doute de la période qui avait suivi l'assassinat d'Eleanor, et qui montrait Adam Claring sortir du Magenmagot, hagard et dévasté par le chagrin. Une autre photographie de Dumbledore était accompagnée du titre Les stratégies immorales de Dumbledore pour accéder au pouvoir. Une autre page titrait : Des objets de magie noire retrouvés dans les réserves du pensionnat Wimbley : qui était vraiment sa directrice ? Ou encore : Le meurtre de Marty Fenwick est-il l'œuvre de son frère ?

– Les chiens, gronda Benjy Fenwick, les poings serrés.

Fabian Prewett posa une main apaisante sur son épaule, et Ted fit de même pour Adam, qui avait pâli dangereusement.

– Du Malefoy tout craché, commenta Sturgis Podmore.

– Cela me rappelle certains plaidoyers écrits de leurs mains, en effet, concéda Dumbledore. Parfois, d'une manière encore plus perverse, l'un de leurs articles vante les mérites d'une ou plusieurs personnes – sans doute pour nous pousser à les soupçonner d'être de mèche avec les Mangemorts. La Gazette essaie de trouver un moyen de distinguer les véritables exemplaires de leurs imitations, mais ce n'est pas aisé...

– Ce n'est pas très réjouissant, soupira Franck Longdubat. Et de notre côté, avons-nous arrêté des suspects ?

– Nous en avons trop pour les arrêter tous, avoua Dumbledore. Certains se trouvent peut-être même parmi nous... En réalité, nous sommes tous suspects, à des degrés plus ou moins importants. Les Mangemorts sont infiltrés partout : la limite entre notre camp et le leur est extrêmement difficile à tracer. Croupton est un partisan des arrestations massives, mais pour ma part, je trouve que cette voie est extrêmement périlleuse à emprunter.

– Et ceux qui ont sauvé les Moldus du centre Crushfield ?

– Maugrey, on dit que tu les as vus !

– Je n'ai vu qu'une personne, de loin, et elle avait pris du Polynectar, grogna Maugrey. Je n'ai aucun indice sur son identité, et à vrai dire, je n'en ai pas cherché. S'ils restent anonymes, ils doivent avoir une bonne raison. À mon avis, il s'agit d'individus qui ont réussi à infiltrer le clan adverse, et la moindre fuite d'informations à leur sujet pourrait les mettre en grand danger.

– C'est tout de même étrange qu'ils ne profitent pas de leur position pour tuer quelques Mangemorts, ou pour les dénoncer...

– Peut-être qu'ils sont trop surveillés pour le faire, supposa Lily.

– Ou peut-être qu'ils ne sont pas entièrement de notre côté, rebondit Dumbledore. Peut-être qu'ils ne souhaitent pas la victoire des Mangemorts, mais qu'ils ne souhaitent pas non plus leur emprisonnement, ou leur assassinat.

– Si c'est le cas, ce sont des lâches, s'agaça Alice Longdubat. Ils détiennent le pouvoir de mettre fin à la guerre, et ne l'utilisent pas ?

– Je me garderais bien de juger des individus dont je ne connais même pas l'identité, et dont notre survie dépend peut-être, tempéra Dumbledore. Je suppose simplement que la situation est plus compliquée qu'il n'y paraît.

Tout le monde opina du chef.

– Et la recherche de nouveaux alliés ? D'autres pays vont-ils nous venir en aide ?

– Nous avons reçu beaucoup de promesses, mais peu de résultats, répondit sobrement Dumbledore.

– Vous avez parlé des géants, fit remarquer Gideon Prewett. Mais qu'en est-il des loups-garous ? Ils pourraient nous être utiles...

– En effet, Gideon... Nous avons repéré une communauté de loups-garous, vivant dans un endroit reculé du pays. Dans les prochains mois, notre objectif sera de les convaincre de quitter leur positionnement neutre pour s'allier à nous.

Sirius se pencha discrètement vers Remus :

– Tu repars en mission ?

Remus hocha la tête avec gravité.

– Dès ce soir, et pour plusieurs mois, confirma-t-il. On ne se reverra pas de sitôt.

Ils échangèrent un bref regard dépité ; puis leur attention revint à la discussion collective. À côté d'eux, Lily était en train de formuler ce qui préoccupait toutes les personnes présentes :

– La situation paraît bien sombre, résuma-t-elle. J'ai du mal à croire que le Ministère puisse reprendre le contrôle, et dans ce brouillard, nous naviguons à vue... À chaque minute, Voldemort semble monter en puissance. Soyez franc, professeur... Pouvons-nous encore espérer l'arrêter ?

Dumbledore ne répondit pas tout de suite. Il commença par sonder l'assemblée du regard : sur tous leurs visages alignés, on pouvait lire de l'abattement, du doute, mais aussi de la détermination. Et lorsqu'il prit la parole, ses yeux bleus brillaient derrière ses lunettes en demi-lune.

– Bien sûr qu'il reste de l'espoir, déclara-t-il. Mes chers amis... Je me désole de ne pas pouvoir vous rendre compte de tout ce que vous faites, chacun de votre côté, pour repousser l'ennemi. Peut-être avez-vous l'impression que vos efforts sont vains, mais de mon point de vue, je peux vous assurer qu'il n'en est rien. Depuis le début de la guerre, vous avez collectivement sauvé d'innombrables vies, et habilement entravé la marche destructrice de Voldemort. Ces fausses gazettes si minutieusement réalisées le prouvent bien : les Mangemorts voudraient-ils nous décrédibiliser ainsi s'ils n'avaient rien à craindre de nous ? Non, je vous assure que notre lutte continue de les effrayer, et que la fureur avec laquelle ils cherchent à nous atteindre n'a d'égal que l'épouvante que nous leur inspirons.

– Vous pensez vraiment que nous effrayons les Mangemorts ? demanda Hagrid, dubitatif.

– C'est une évidence, assura Dumbledore. Et nous les effrayerons jusqu'au bout : car tant que l'un de nous survivra, tant que notre détermination à protéger le monde sorcier subsistera, la lutte se poursuivra. Et par ailleurs... N'oubliez jamais que Voldemort est un homme comme vous et moi. Toutes les erreurs dont nous sommes capables, Voldemort peut les commettre aussi ; et une seule pourrait être suffisante pour l'anéantir.

Tous ceux qui l'écoutaient s'étaient redressés, un peu rassérénés. Dumbledore concluait toujours ses discours par des mots encourageants, souvent salvateurs.

– Néanmoins, vous avez raison de craindre les jours futurs, car la victoire est loin d'être assurée, nuança Dumbledore avec gravité. Tout porte à croire que cette situation va durer, et les évènements à venir nous mettront à l'épreuve d'une manière que nous ne pouvons même pas imaginer. Par moments, vous serez tentés de baisser les bras, ou pire, de vous diviser... Mais gardez bien à l'esprit que notre unité est notre plus grande force, et je vous supplie de tout faire pour la protéger.

Plusieurs hochements de tête approbateurs accueillirent ces paroles ; et face à Dumbledore, une jeune femme leva la main pour demander la parole.

– Oui, Marlene ?

– Puisque vous parlez d'unité, j'en profite pour partager une réflexion que je me suis faite récemment, déclara-t-elle.

– Nous t'écoutons, l'encouragea Dumbledore.

La jeune femme regarda autour d'elle, et son regard ambré croisa furtivement celui de Sirius.

Celui-ci tressaillit légèrement, troublé, et songea avec amertume qu'ils avaient failli s'aimer, tous les deux. Ils s'étaient progressivement rapprochés, lors de leur dernière année à Poudlard ; à l'heure du départ, Lily et James avaient proposé à Sirius et à Marlene de vivre avec eux, chez les parents de James, mais la jeune femme avait décliné pour rejoindre le bataillon des Aurors. C'était à leurs côtés qu'elle se tenait, entre Alice Longdubat et Dorcas Meadowes. Elle avait fait le bon choix : cette formation l'avait grandie, murie, et lui avait permis de trouver sa place au sein de leur armée.

Sirius parcourut du regard son visage séduisant, ses yeux couleur d'ambre, les mèches de cheveux bruns qui s'échappaient de sa tresse. Oui, décidément, il aurait pu l'aimer, si la guerre ne les avait pas propulsés dans le chaos. Peut-être dans un autre monde, dans une autre vie...

Il se reprit, refoula l'amertume qu'il ressentait : ces regrets n'étaient pas une raison pour ne pas écouter ce qu'elle avait à dire.

– Les Mangemorts sont unis, du moins symboliquement, fit remarquer Marlene. Leur clan porte un nom, et la Marque des Ténèbres est leur étendard. Face à eux, nous ne sommes qu'un groupe d'individus anonymes et dispersés ; ceux qui nous soutiennent ne savent même pas comment nous nommer. Il est facile pour Vous-Savez-Qui de faire croire que nous sommes impuissants et désespérés.

Face à elle, au fur et à mesure qu'elle parlait, les yeux de Dumbledore brillaient de plus en plus intensément.

– Notre armée a besoin d'un nom, affirma-t-elle. Et d'un symbole.

– D'un signe de ralliement, renchérit Franck Longdubat en hochant la tête.

– Quelque chose d'aussi puissant que la Marque des Ténèbres !

– C'est une excellente idée, résuma Dumbledore.

Plusieurs propositions fusèrent, mais aucune n'obtint le soutien de l'unanimité.

– Beaucoup d'entre nous étions à Gryffondor, fit remarquer Gideon Prewett. Pourquoi pas un lion ? C'est un symbole de courage et de force.

– C'est mieux qu'un blaireau, en tout cas, s'esclaffa son frère en donnant un coup de coude à Dedalus Diggle, qui était de la maison Poufsouffle.

– C'est un peu réducteur, fit remarquer Dorcas Meadowes. En prenant le lion comme symbole, on croira que nous prenons parti pour la maison Gryffondor, alors que notre but est justement de dépasser ces anciens clivages et d'apporter la paix...

– Je suis d'accord avec Dorcas, renchérit Lily. Le lion ne me paraît pas assez fédérateur.

– Il faut commencer par définir ce que nous sommes, remarqua James. Une armée ? Une milice, une brigade ?

– C'est un peu agressif, fit remarquer Ted Tonks. Notre but n'est-il pas de pacifier le pays ?

– C'est vrai, tu as raison... Plutôt un groupe, une équipe, quelque chose comme ça...

– Allons, trouvons quelque chose de plus grandiloquent, sourit Gideon Prewett. Nous sommes les gardiens de ce pays, après tout !

– Une ligue ? proposa son frère Fabian. Une guilde ? Un... ordre ?

– Un ordre, c'est bien, réagit Emmeline Vance. Ça évoque quelque chose de puissant et d'organisé...

– Oui, j'aime l'idée d'ordre, pour s'opposer à celle du chaos, renchérit Sturgis Podmore. Mais pour le symbole, il faut trouver quelque chose...

– Et pourquoi pas un phénix ? proposa soudain Sirius.

Plusieurs visages se tournèrent vers lui ; Remus, James et Lily s'écartèrent légèrement pour l'encourager à s'exprimer. De l'autre côté de la table, le regard d'Adam Claring était soudain rivé sur lui, plus intense que tous les autres.

– Le phénix... renaît de ses cendres, expliqua Sirius en désignant Fumseck. Ses larmes guérissent les blessures et son plumage éclaire la nuit. C'est un symbole d'espoir... Un espoir toujours renouvelé.

Dans l'assemblée, quelques personnes échangèrent des regards impressionnés. Sirius vit Adam Claring lui faire un signe de tête, visiblement ému.

– L'Ordre du Phénix, déclara Marlene en hochant la tête. Qu'en dites-vous ?

– C'est parfait, affirma Dorcas Meadowes.

– C'est un oui pour moi aussi, renchérit Dedalus Diggle.

– Bravo, fit Hagrid en frappant dans ses énormes mains avec enthousiasme.

De son côté, Fumseck semblait comprendre tout ce qui se passait : il se redressa, bomba son plastron doré, poussa un cri mélodieux et étendit ses ailes autour de lui, comme pour laisser à chacun apprécier la beauté de son plumage rouge et or.

Radieuse, Marlene leva sa baguette.

– Pour l'Ordre du Phénix !

Des étincelles dorées jaillirent, des cris de joie et des hourras retentirent. On se donnait des coups de coude, des tapes dans le dos ; Ted avait enlacé Adam, et le serrait avec force. Sirius regardait autour de lui, tout aussi ému : ils étaient ensemble, ils étaient unis, ils constituaient une armée. Il était difficile de s'en persuader, lorsqu'on était seul chez soi et qu'on ne recevait que des nouvelles éparses du reste du pays, mais les voir se jeter dans les bras les uns des autres redonnait toute sa place à l'évidence. Le symbole unificateur avait rempli sa mission.

- À partir de ce jour, vous faites tous partie de l'Ordre du Phénix, déclara Dumbledore au-dessus du brouhaha. Que ce symbole soit pour vous celui de l'espoir et de la résistance.

Les embrassades durèrent encore de longues minutes : chacun voulait faire le tour de la pièce, apprécier le nombre qu'ils étaient, savourer ce contact humain qui leur manquait cruellement.

Au milieu des exclamations joyeuses, James se pencha discrètement vers Sirius :

– Alors ? De quoi Maugrey voulait-il te parler ?

Sirius haussa les épaules, mais James n'était pas dupe.

– Il avait l'air furieux quand il est revenu dans la grange, insista James. Et tu sembles... agité, toi aussi.

Sirius se tourna vers lui, à la fois agacé et impressionné. Depuis leur rencontre, James lisait en lui comme dans un livre ouvert. Une fois de plus, son meilleur ami avait raison : l'esprit de Sirius était de plus en plus agité. Il n'arrivait toujours pas à déterminer ce qu'il ressentait, mais il avait eu beaucoup de mal à écouter Dumbledore, tant les questions qu'il se posait sur la mort de son frère se bousculaient dans sa tête.

Sirius n'avait pas la moindre envie de se confier à propos de tout ça, mais à côté de James, le regard intrigué de Remus le poussa à faire un effort : après tout, ils ne se reverraient pas avant des mois. Et il méritait de savoir en même temps que les autres.

– Je ne suis pas agité, marmonna-t-il. C'est juste que...

Il prit une grande inspiration, puis alla droit au but :

– Apparemment, Regulus est mort. Et mon père aussi.

Peter poussa une exclamation effrayée. James, Remus et Lily eurent tous les trois la même expression inquiète, mais ils gardèrent leur calme, et Sirius les en remercia intérieurement.

– Tu... Tu sais ce qu'il s'est passé ? demanda calmement Lily.

– Ma mère a envoyé plusieurs lettres au Ministère. Apparemment, Regulus aurait déserté les rangs des Mangemorts il y a quelque temps. J'ignore pourquoi il a fait ça, mais dans sa lettre, ma mère dit que ce sont les Mangemorts qui l'ont tué, à cause de sa trahison.

– Alors, ils tuent les leurs aussi, murmura Peter.

James, Remus et Lily s'abstinrent de tout commentaire, et à nouveau, Sirius leur en fut reconnaissant.

– Et... ta mère ? Que va-t-elle devenir ?

– Je suppose qu'elle se cache, dit Sirius en haussant les épaules. La maison est suffisamment bien protégée pour qu'elle se terre là-bas pour le reste de sa vie.

– Tu penses que...

– Non, je n'irai pas la voir. N'en parlons plus, d'accord ? Tout ça n'est qu'un immense gâchis.

Il sortit de sa poche la lettre de sa mère, et la déchira en petit morceaux. Puis il ouvrit la main, et les fragments de lettre s'envolèrent vers l'une des torches accrochées au mur, où ils s'embrasèrent et se dispersèrent dans un courant d'air.

– De toute manière, cela fait bien longtemps que c'est vous que je considère comme ma famille, déclara Sirius.

Évidemment, ses amis n'étaient pas dupes. Lily lui adressa un regard plein de sollicitude, Remus fit un petit signe de tête, et James posa une main sur son épaule.

En voyant tous ses amis ainsi rassemblés autour de lui, Sirius s'étonna une nouvelle fois de l'absurdité de la situation : il s'était préparé à perdre chacun d'entre eux, mais jamais il n'aurait pu deviner que c'était la mort de Regulus qui surviendrait en premier, et encore moins dans des circonstances aussi mystérieuses.

– Rentrons chez nous, proposa James, voyant que Sirius était de plus en plus troublé. Proposons à Marlene de venir, et allons boire quelque chose de réconfortant...

À la surprise de ses amis, Sirius se ressaisit et secoua la tête.

– Désolé, mais je ne préfère pas...

D'un geste, il désigna Ted Tonks qui s'apprêtait à quitter la grange.

– Je crois que j'ai besoin de parler à quelqu'un qui a connu tout ça, expliqua-t-il.

Ses amis comprirent immédiatement qu'il parlait d'Andromeda.

– C'est une bonne idée, approuva Lily. On t'attendra à la maison.

Sirius acquiesça, la gorge étrangement nouée. Il serra James, Lily et Remus dans ses bras, salua froidement Peter et se détourna pour rejoindre Ted.

– Oh ! Bonjour, Sirius, le salua ce dernier avec amabilité. Je suis content de te voir. Comment vas-tu ?

Malgré la douleur de plus en plus intense qu'il ressentait en son for intérieur, Sirius ne put s'empêcher de sourire : son cousin par alliance était d'une douceur sans égale. Lui et Andromeda s'étaient bien trouvés.

– Hmm... Pas trop mal, étant donné les circonstances...

– Andromeda m'a fait promettre que je prendrais de tes nouvelles, dit Ted. Vous lui manquez tous beaucoup. Elle aurait aimé venir à ma place, mais on a décidé d'alterner nos venues, et...

– Ted, le coupa soudain Sirius. Écoute, je... J'aurais aimé parler à Andromeda... ce soir, précisa-t-il. Tu penses que je peux rentrer avec toi ?

Ted ne parut pas surpris de sa demande ; il hésita un court instant, sans doute influencé par la méfiance excessive de Maugrey, puis accepta chaleureusement.

– Bien sûr, Sirius... Andromeda sera ravie de te voir. Viens, éclipsons-nous discrètement avant qu'Alastor ne nous voie, il m'a fait promettre de ne laisser entrer personne chez nous...

Sirius se retourna une dernière fois pour embrasser du regard l'ensemble de l'Ordre du Phénix ; il croisa le regard de Marlene, qui lui adressa un signe de tête amical - et légèrement empreint de regrets, lui sembla-t-il. Sirius lui rendit la pareille, puis il suivit Ted à l'extérieur de la grange.

Quelques transplanages plus tard, il marchait à côté de Ted dans une forêt silencieuse. À en juger par la douceur de l'air, ils se trouvaient dans une région encore épargnée par les Détraqueurs ; Ted prit le bras de Sirius pour qu'ils franchissent ensemble plusieurs couches de Sortilèges de Protection, et ils aperçurent enfin une petite maison perchée en haut d'une pente douce, dominant un jardin soigneusement entretenu. Ted sortit sa baguette ; des volutes argentées s'en échappèrent, s'agrégèrent près du sol, et formèrent une forme bondissante qui détala vers la petite maison.

– Je ne veux pas effrayer Andromeda, expliqua Ted en désignant le lièvre argenté qui s'élançait au-dessus de leur potager. Je l'envoie toujours pour me précéder.

Le Patronus traversa la fenêtre comme si elle n'existait pas, éclaira les murs du salon d'une douce lueur argentée ; et quelques secondes plus tard, Andromeda apparaissait sur le pas de la porte.

– Ted ! Te voilà enfin, soupira-t-elle, je commençais à m'inquiéter... Oh, Sirius ! Quelle bonne surprise !

Sirius essaya de lui sourire en retour, mais son trouble était manifestement visible, car le visage d'Andromeda prit une expression inquiète.

– Sirius ? Tout va bien ?

– Rentrons, proposa doucement Ted.

Il avait peut-être appris par Maugrey ce qu'il se passait - ou bien avait-il simplement pressenti qu'il s'agissait de quelque chose de grave. Tous les trois entrèrent dans la maison, et Sirius fut frappé par la douceur qui émanait de cet intérieur. Comme chez James, et à l'inverse du square Grimmaurd, tout ce qui était entreposé là illustrait à la perfection l'amour et la tendresse que se portaient les trois membres de la famille Tonks. Sur les trois patères accrochées au mur, dont une à hauteur d'enfant, un petit imperméable rose vif côtoyait la veste froissée de Ted et le manteau impeccable d'Andromeda. Sur les photographies accrochées au mur, leurs visages souriants se répliquaient à l'infini, même si Nymphadora semblait avoir du mal à tenir en place devant l'objectif. Et dans le salon, on retrouvait la même douceur, la même affection flagrante qui habitait les petites chaussures vernies jetées en vrac dans un coin, la table couverte de dessins d'enfant, la grande bibliothèque remplie de Livres Voyageurs, les deux fauteuils confortables disposés côte à côte près de la cheminée - assez proches pour que leurs deux occupants puissent se toucher, se prendre la main.

L'endroit aurait dû être apaisant, mais cela ne fit que raviver le sentiment de solitude douloureuse qui étreignait Sirius de plus en plus intensément. Comment Andromeda avait-elle réussi à construire quelque chose d'aussi beau et serein, après avoir subi les mêmes brimades que lui ? Et pourquoi n'avait-il jamais eu le droit de goûter à une telle douceur, étant petit ?

– Sirius, veux-tu boire quelque chose ? proposa Ted en se dirigeant vers la cuisine.

– Euh... Non merci.

Sirius se retrouva au milieu du salon, face à Andromeda qui l'observait avec de plus en plus d'appréhension.

– Asseyons-nous, proposa-t-elle en désignant le canapé qui faisait face à la cheminée.

Sirius obéit, et, face au regard interrogateur d'Andromeda, il regretta d'avoir brûlé la lettre de sa mère : il aurait préféré ne pas avoir à annoncer la mort de Regulus à voix haute. Sans qu'il puisse expliquer pourquoi, les mots ne parvenaient pas à sortir de sa bouche.

– C'est... Regulus, annonça-t-il après une longue hésitation. Apparemment, lui et mon père ont été tués par le camp de Voldemort, après avoir renoncé à les suivre.

Ce qu'il redoutait arriva. Il vit sa cousine tressaillir, écarquiller les yeux : même si elle déployait des efforts considérables pour le masquer, Andromeda était profondément choquée et attristée par cette nouvelle.

– Regulus, répéta-t-elle. Par Merlin, Sirius, c'est terrible... Comment... Comment as-tu su ?

– Ma mère a écrit au Ministère. C'est Maugrey qui m'a averti.

– Est-ce qu'elle a dit pourquoi ils avaient renoncé ?

– Non, dit Sirius avec mauvaise humeur. Et elle n'a pas précisé qui les a tués, ni comment. Personne n'en sait plus.

Andromeda acquiesça, toujours bouleversée.

– Et toi... Comment te sens-tu ?

Sirius risqua un regard vers la cuisine, soucieux des oreilles indiscrètes. À travers la porte ouverte, il pouvait voir Ted attablé, une tasse d'infusion dans les mains, un Livre Voyageur ouvert devant lui. Il regardait le livre avec intensité, et ne prêtait plus aucune attention à ce qu'il se passait autour de lui. Il s'était comme absenté du monde.

– Ne t'en fais pas, il ne nous entend plus, le rassura Andromeda. C'est un Livre Voyageur... Ted est déjà plongé dans sa lecture. Et Nymphadora est couchée depuis longtemps.

Sirius hocha la tête, puis réfléchit à la meilleure manière d'expliquer ce qu'il ressentait.

– C'est difficile à dire, avoua-t-il. Je me sens vraiment mal, mais je n'arrive pas à expliquer pourquoi. Je me pose plein de questions, évidemment, je me demande ce qui lui a fait réaliser qu'il s'était trompé... Je me dis qu'il a pris peur, trouillard comme il était...

En face de lui, Andromeda l'écoutait attentivement, les sourcils légèrement froncés.

– Je pensais que tout ça était derrière moi, murmura Sirius. J'avais fait une croix sur cette maison, sur cette famille, et je m'étais promis de ne plus jamais penser à eux. De faire comme s'ils n'existaient pas. Et maintenant... Je ne sais plus. Je sais que j'ai été dur avec Regulus, par moments, mais... Bon sang, c'était un Mangemort !

À ce moment-là, Sirius se sentit encore plus triste, comme s'il touchait du bout du doigt quelque chose qui était profondément enfoui en lui, et qu'il n'avait aucune envie de raviver.

Lorsqu'il se tourna vers Andromeda, elle semblait incroyablement attristée - et cela renforça encore sa culpabilité.

– Qu'est-ce que tu en penses, toi ? demanda-t-il en essayant de se calmer.

Avant de répondre, Andromeda posa doucement sa main sur l'épaule de son cousin.

– Sirius, dit-elle en choisissant soigneusement ses mots. Ce que nous avons vécu, au square Grimmaurd... C'était affreux, vraiment affreux. Et je crois pouvoir dire que c'est toi qui en as le plus souffert. Tu étais seul contre tous, tes parents ne te disaient que des choses blessantes...

Sirius se détourna aussitôt. Il ne voulait surtout pas que qu'on ait pitié de lui.

– Pour ma part, je t'ai toujours admiré, avoua Andromeda. Si je n'avais pas rencontré Ted, je n'aurais sans doute jamais eu le courage de m'enfuir. Et je n'ai jamais osé dire à ma famille tout ce que j'avais sur le cœur. Alors que toi... C'était naturel. Tu ne faisais pas semblant, tu te fichais de leur plaire. Je ne connais personne qui ait résisté à ses propres parents avec autant de force et de persévérance. Et de la même manière, personne ne t'a appris l'amitié, ou la fraternité, et pourtant... Tout ça t'est venu naturellement. Et je t'admire pour ça aussi.

Cette fois-ci, Sirius la remercia du regard, partiellement rassuré. Andromeda avait raison, il pouvait être fier de lui pour de nombreuses raisons. Mais alors, pourquoi avait-il parfois cette impression d'être une personne détestable, dès qu'on lui parlait de sa famille ?

– Tu n'es pas une mauvaise personne, assura Andromeda, comme si elle lisait dans ses pensées. Tu as fait ce que tu as pu, tout simplement. Tu as vécu des choses très violentes, et ces choses-là laissent des traces.

– Eh bien, c'est précisément ça qui me met en colère, gronda Sirius. J'ai beau me démener pour les faire sortir de ma vie, ils finissent toujours par ressurgir... Et j'en ai assez. Je me suis échappé de là, je ne veux plus penser à eux. De quel droit est-ce qu'ils continuent à me poursuivre ? Ils ne m'ont pas assez fait de mal comme ça ?

Sa voix tremblait de colère.

– On ne peut pas effacer le passé, murmura Andromeda. Personne ne le peut.

– Et c'est bien dommage.

– En tout cas, tu peux être fier de ce que tu es devenu, insista Andromeda. Malgré tout ça.

– Peut-être, soupira Sirius. Mais par moments, j'ai l'impression d'être toujours prisonnier d'eux.

Il haussa les épaules, et poussa un long soupir. À côté de lui, Andromeda semblait le comprendre parfaitement.

– Et toi... Comment tu as fait ? demanda-t-il, désireux de changer de sujet.

Il fit un geste pour englober toute la pièce.

– Tu as réussi à reconstruire tout ça... Tu as une famille, un enfant... Comment tu as réussi ?

– Réussi quoi ? C'est Ted qui m'a ouvert les yeux. Tout ça, c'est grâce à lui.

Sirius eut un petit rire.

– Tu n'as pas changé, remarqua-t-il. Toujours aussi modeste.

Andromeda lui sourit en retour, et tous deux se détendirent un peu. Ils se laissèrent aller contre le dossier du canapé, et se plongèrent dans la contemplation des flammes qui bondissaient dans la cheminée.

– Tu y repenses, parfois ? osa demander Sirius après un moment de silence. Au square Grimmaurd, à tout ça...

 Andromeda ne répondit pas tout de suite. Elle continuait de fixer les flammes, comme si elle n'avait pas entendu - et pourtant, à son regard qui se brouillait, à sa respiration qui s'accélérait, Sirius voyait qu'elle réfléchissait intensément.

– Évidemment que j'y pense, murmura-t-elle. J'y pense sans cesse. Et comment pourrais-je faire autrement ? J'apprends à être mère : il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à la mienne, à la manière dont elle nous a élevées, aimées... Si tu savais combien elle me manque ! Et puis, Nymphadora va avoir sept ans, et elle est d'une intelligence redoutable... Elle sent très bien quand la tristesse m'envahit. Je lui ai vaguement expliqué que je m'étais disputée avec mes parents, mais quand je pense qu'elle ne verra jamais mes sœurs, qu'elle ne verra jamais d'où je viens... Qu'elle ne saura jamais complètement qui je suis... D'un autre côté, si elle les rencontrait, j'aurais terriblement honte de ce qu'ils sont, mais je ne peux pas m'empêcher d'imaginer...

Elle s'interrompit, eut un petit rire triste.

– Quand j'ai rencontré Ted, j'ai été assez naïve pour penser qu'il pourrait un jour rencontrer ma famille, soupira-t-elle. Et que de leur côté, ils pourraient même l'apprécier, tu te rends compte ? Je sais, c'est ridicule, mais... Je crois que je n'ai jamais réussi à me défaire totalement de cet espoir-là. Il y a toujours une part de moi qui n'arrive pas à affronter la réalité, et parfois, je me surprends à rêver qu'ils viennent me demander pardon, qu'ils acceptent d'aimer Ted, et Nymphadora...

– Et tu accepterais ?

Andromeda haussa les épaules.

– De toute manière, c'est impossible...

– Mais toi, tu les aimes toujours ?

Sirius savait que la réponse allait lui déplaire. Et en effet, Andromeda acquiesça.

– Je ne peux pas m'en empêcher, avoua-t-elle.

– Et tu serais capable de les pardonner ? Après tout le mal qu'ils nous ont fait ?

Il ne pouvait s'empêcher de la trouver terriblement naïve. Ce n'était pas nouveau : sa cousine voyait toujours les gens bien meilleurs qu'ils ne l'étaient vraiment. Mais Sirius avait beau faire de son mieux, il n'arrivait pas à la comprendre.

– Narcissa, par exemple... Si tu apprenais qu'elle avait renoncé à suivre Tu-Sais-Qui, tu lui pardonnerais ?

– Je ne sais même pas si elle le suit actuellement...

Sirius fit une moue sceptique.

– Si elle mourait, je serais dévastée, admit Andromeda. C'est idiot, et c'est peut-être lâche, mais tous ces souvenirs que nous avons partagés... Ils sont comme imprimés en moi.

– J'aimais bien Narcissa, quand on était petits, grimaça Sirius. Mais quand elle a rencontré Lucius, elle est devenue tellement hautaine... Et maintenant, elle est du côté des Mangemorts ! Ça ne te suffit pas pour admettre qu'il est trop tard ?

– Non, je n'y crois pas, répondit fermement Andromeda. C'est inexplicable, mais c'est comme si je restais reliée à elle, malgré le temps et la distance... Et je sens qu'elle résiste. Je sens qu'il y a encore de l'espoir pour elle. Et même si elle s'est laissé influencer... Il y a quelque chose en elle qui peut résister à tout. Je l'ai toujours su.

Sirius n'était pas convaincu. Il repensa furtivement à Adam Claring et à la fermeté avec laquelle il condamnait tout ce qui attrayait aux Mangemorts : que penserait-il de tout cela ? Il désapprouverait, sans aucun doute, et il se mettrait en colère, avec raison...

– Nous faisons de notre mieux pour nous en sortir, résuma Andromeda. Chacun à notre manière. Et je te le répète une dernière fois : tu n'es pas une mauvaise personne. Tu leur en veux, et tu en as parfaitement le droit.

Sirius lui rendit son sourire. Malgré leur désaccord sur certains points, ils devaient se soutenir ; c'était tout ce qui importait.

– Merci, soupira-t-il. Je me sens un peu mieux.

Et en effet, ses muscles se relâchaient progressivement ; la colère cédait du terrain à la fatigue. Il aperçut leur reflet dans le miroir qui trônait au-dessus de la cheminée, et songea que la famille Black continuait d'exister en-dehors des murs du square Grimmaurd - sans savoir si c'était une bonne chose ou non. Et après une courte réflexion, il décida de laisser ces questionnements de côté pour s'abandonner à un repos bien mérité.

– Tu crois que je peux dormir ici ? Juste pour cette nuit ? Je me sens épuisé, tout d'un coup.

– Si le canapé te convient, bien sûr, répondit aussitôt Andromeda. Je vais te chercher une couverture.

Elle se leva, et apporta à Sirius de quoi lui tenir chaud pendant la nuit. Elle souhaita bonne nuit à son cousin, puis retourna dans la cuisine, où Ted poursuivait sa lecture, imperturbable. Andromeda s'arrêta un instant pour l'observer avec tendresse : son horrible pull en tricot, ses mains délicates posées sur le Livre Voyageur, ses cheveux blonds en désordre, et enfin le sourire détendu qu'il affichait invariablement lorsqu'il tenait un livre entre ses mains. Curieuse de savoir quelle lecture le passionnait autant, elle se glissa derrière lui, l'embrassa dans les cheveux, l'entoura de ses bras et commença à lire le texte par-dessus son épaule :

Après une courte pause, son compagnon poursuivit :

- Vous êtes trop généreuse pour vous jouer de mes sentiments. Si les vôtres sont les mêmes qu'au printemps dernier, dites-le-moi tout de suite. Les miens n'ont pas varié, non plus que le rêve que j'avais formulé alors....

Aussitôt, Andromeda perçut le frisson familier qu'elle ressentait chaque fois qu'elle se plongeait dans un Livre Voyageur. L'atmosphère changea : une brise rafraîchissante lui caressa les joues, des pépiements d'oiseaux parvinrent jusqu'à elle, et lorsqu'elle inspira, un délicieux parfum de forêt la fit soupirer d'aise.

Quand elle releva la tête, la cuisine avait disparu ; de grands arbres au feuillage fourni avaient remplacé les placards et les murs de pierre. Elle se trouvait à côté de Ted, sur un chemin de terre, au beau milieu d'une forêt, en train d'observer un homme et une femme qui se tenaient face à face et se parlaient avec une grande émotion.

– Mais un mot de vous suffira pour m'imposer le silence à jamais, acheva l'homme devant eux.

Andromeda se tourna vers Ted, et vit qu'il remuait les lèvres en même temps que le personnage du livre.

– Tu lis notre livre préféré sans moi ? le gronda-t-elle avec amusement.

– J'attendais seulement que tu me rejoignes, sourit Ted en lui prenant la main. Je ne m'en lasse jamais, c'est une de tes plus belles réalisations ! Vraiment, tout y est saisissant de réalisme. Et en plus, tu arrives au bon moment...

Ils continuèrent de lire quelques instants - le temps nécessaire pour que les deux personnages se témoignent leur amour réciproque - puis refermèrent l'ouvrage en prenant bien garde à ne pas abîmer la reliure en cuir, délicatement gravée de runes par Andromeda.

Ils sortirent de la cuisine et montèrent à l'étage de la petite maison. Arrivés sur le pallier, ils s'arrêtèrent un instant devant leur bibliothèque remplie de Livres Voyageurs :

– Je n'arrive pas à croire que notre si petite maison puisse contenir autant de mondes différents, sourit Ted en passant sa main le long des reliures ouvragées.

En poursuivant leur chemin vers leur chambre, Ted et Andromeda passèrent devant la petite pièce qui leur servait d'atelier, et dans laquelle ils continuaient de réaliser des Livres Voyageurs. Deux petits bureaux s'y faisaient face ; quelques marmites s'alignaient contre le mur, et dans chacune d'elle, des volutes argentées, ni liquides ni gazeuses, tournaient paresseusement autour des pages qui y trempaient, et les traversaient de temps à autre, les imprégnant alors d'une lueur rêveuse.

La pièce suivante était la chambre de Nymphadora. Tout doucement, ils jetèrent un regard dans l'entrebâillement de la porte : le rai de lumière venu du couloir éclairait une petite chambre en désordre, et au fond de la pièce, une petite fille aux cheveux roses dormait paisiblement. De là où ils étaient, ils voyaient son ventre se soulever à intervalles lents et réguliers ; en plissant les yeux, ils pouvaient distinguer ses lèvres entrouvertes, ses joues rondes, ses longs cils qui tressaillaient de temps à autre, et ses cheveux fascinants qui oscillaient du violet au rose pâle au rythme de sa respiration. Et, comme à chaque fois qu'ils regardaient leur fille unique, tous deux sentirent leurs cœurs se gonfler d'amour.

– C'est fou ce qu'elle grandit vite, chuchota Ted, comme s'il ne l'avait pas vue depuis des mois. Quand je pense qu'elle aura bientôt sept ans...

– L'âge de raison, commenta machinalement Andromeda.

À l'instant où elle prononçait ces mots, elle se sentit de nouveau propulsée vers le passé. L'âge de raison... C'était son père qui disait cela, elle n'avait jamais vraiment compris pourquoi. Tout en fermant la porte pour se rendre dans sa propre chambre, Andromeda s'assombrit. À sept ans, elle vivait encore sur la Colline d'Émeraude, passait ses journées en compagnie de ses deux sœurs, à faire des allers-retours entre leur splendide jardin et les bras réconfortants de leur mère. Était-ce si mal de continuer à penser à cette époque avec nostalgie, de ressentir encore de l'amour pour toutes ces personnes qu'elle avait abandonnées ?

Sirius, à l'inverse, avait choisi de haïr tous ceux qu'il avait laissés derrière lui, sans nuance ni concession. Alors, qui était le plus sage des deux, le plus lucide ? Et qui souffrait le moins ? Avaient-ils seulement l'espoir d'être un jour libérés de cette tristesse et de ce ressentiment ?

La tristesse fait partie du voyage, ma chérie, lui avait un jour dit sa mère, alors qu'Andromeda s'était inquiétée de la surprendre en train de pleurer. Elle est inévitable, surtout lorsqu'on prend le risque d'aimer...

Andromeda décida de se contenter de cette réponse-là, aussi énigmatique soit-elle, et se glissa avec Ted sous leurs couvertures.

– Alors ? s'enquit timidement Ted. Comment va-t-il ?

Andromeda haussa les épaules, très lasse.

– À mon avis, il est beaucoup plus affecté qu'il ne veut bien l'admettre, résuma Andromeda. Chaque fois qu'il parle de Regulus, c'est la même chose : il laisse à peine entrevoir à quel point il souffre, puis il se verrouille complètement. C'est sa manière de se protéger, je suppose... Mais c'est très triste à voir.

– Tu sembles en colère, remarqua Ted, accoudé sur son oreiller.

– Je le suis, admit Andromeda en se triturant les mains.

– Contre qui ? Sirius ?

– Non, bien sûr que non...

Son regard devint vague ; dans ses yeux gris, on pouvait presque voir miroiter les silhouettes sinistres d'Orion et de Walburga Black.

– Contre ses parents, expliqua-t-elle. Quand nous étions petits, ils n'avaient de cesse de comparer leurs deux fils. Ils ne leur montraient pas la moindre affection, pas le moindre geste de tendresse. Ils ont voulu en faire des rivaux, les monter l'un contre l'autre, et... ils ont parfaitement réussi. Ils ne leur ont jamais laissé la moindre chance de s'entraider, de se connaître... D'être frères, tout simplement. Ça me rend malade.

Ted lui prit doucement la main, et Andromeda la serra avec force.

– Je vois très bien ce que Sirius ressent, soupira-t-elle. Il a trop souffert de cette situation, il a sacrifié trop de choses pour se permettre d'avoir le moindre regret. Il n'admettra jamais qu'en détestant Regulus, il a fait exactement ce que ses parents attendaient de lui, et que le meilleur acte de rébellion aurait été de lui tendre la main, de le sortir de là, au lieu de laisser ses parents étendre leur emprise sur lui. Bien sûr, peut-être que ça n'aurait rien changé... Et puis, c'est justement cette fierté et cet entêtement qui ont permis à Sirius de tenir, puis de partir. S'il s'était attaché à Regulus, cela aurait rendu les choses bien plus complexes, bien plus difficiles... Oh, si tu savais à quel point j'en veux à leurs parents, pour les avoir mis dans cette situation-là ! C'est un tel gâchis... Tous les deux méritaient tellement mieux.

– C'est terrible, en effet, admit Ted. Et tu ne penses pas que Sirius puisse changer d'avis sur son frère, après ce qu'il s'est passé ?

– Si cela doit arriver un jour, cela prendra du temps, répondit Andromeda. Pour l'instant, ses blessures sont encore bien trop vives. Dans l'état où il se trouve, il est incapable de reconsidérer certaines choses, et encore moins d'admettre que leur relation aurait pu être différente. Je pense que pour l'instant, sa colère le protège ; et si un jour il s'autorise à pleurer son frère... Ce sera terriblement douloureux. Parce que ça impliquera de réaliser que ses parents lui ont pris ça aussi, en plus de tout le reste.

Ted acquiesça, visiblement peiné.

– Il y a tellement de tristesse en lui, se désola Andromeda. Tu as vu comme il regardait les photos de Nymphadora, dans le salon ? Pendant quelques instants, j'ai vraiment cru qu'il allait se mettre à pleurer.

– Je peux le comprendre, répondit Ted. Et à ton avis, que s'est-il passé ? Pour Regulus ?

Andromeda ne répondit pas tout de suite. Lorsque Ted prononça le prénom de Regulus, ses yeux gris se remplirent de larmes ; et après s'être soigneusement retenue devant Sirius, elle s'autorisa enfin à pleurer.

– Il n'avait même pas dix-huit ans, renifla-t-elle en s'essuyant les joues. C'était le plus jeune d'entre nous...

Elle secoua la tête, et reprit sa respiration, tandis que Ted la serrait dans ses bras.

– Il a sans doute enfin réalisé que ses parents se servaient de lui, supposa Andromeda. Et si Walburga dit vrai, s'il a vraiment été tué par les Mangemorts... Alors je ne veux même pas essayer d'imaginer ce qu'il a enduré.

– Tout cela est bien triste, soupira Ted. Heureusement, dans son malheur, Sirius a la chance d'avoir une cousine comme toi.

Andromeda lui adressa un sourire reconnaissant, puis regarda en direction du couloir.

– J'espère qu'il va bien dormir, sur notre canapé...

– Espérons surtout que Nymphadora ne le réveille pas trop tôt demain matin, rit Ted.

– Ça, c'est peine perdue... Elle va être surexcitée de voir un invité ! Je ne sais pas comment nous avons fait pour avoir une enfant aussi énergique.

– Énergique et merveilleuse, précisa Ted.

– Évidemment, approuva Andromeda avec tendresse. Elle m'a aidée à cuisiner, tout à l'heure... Elle ne pouvait pas tenir en place.

Et, tout en énumérant les exploits de leur petite fille aux cheveux roses, ils se blottirent l'un contre l'autre et s'endormirent paisiblement.


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