Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 15 : Les ordres de Regulus

9523 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 2 mois

Les ordres de Regulus



En arrivant dans sa propre cheminée, Regulus se retrouva face à sa mère. Malgré l'heure tardive, elle était encore éveillée, et buvait une tasse d'infusion fumante, accoudée sur la table en bois.

– Maman ? Tu ne dors pas ? s'étonna Regulus en sortant de la cheminée.

Walburga haussa les épaules.

– J'ai du mal à trouver le sommeil, ces temps-ci. Et puis, je m'inquiétais de te savoir à l'extérieur... Ce n'est pas prudent. Où étais-tu ?

– Oh... Je suis allé rendre visite au professeur Slughorn. Je me suis servi d'un Portoloin... D'après le Ministère, c'est encore le moyen le plus sûr.

Walburga hocha la tête.

– Et qu'as-tu décidé ?

Regulus mit plusieurs secondes à comprendre que sa mère parlait du poste de professeur de Potions qui lui avait été proposé. Ses préoccupations étaient désormais à des années-lumière de cette perspective.

Dans un premier temps, Regulus hésita à lui raconter la vérité. Sa mère était très pâle, et maigre comme un clou ; depuis que Sirius était parti, elle avait bien du mal à faire bonne figure. Elle ne supporterait sans doute pas que son second fils se lance dans la quête la plus dangereuse qu'on puisse imaginer... Et puis, il faudrait le cacher à son père, qui était capable des pires sottises quand il était effrayé...

– Tu sembles préoccupé, remarqua sa mère. Qu'y a-t-il ?

Regulus retrouva aussitôt ses esprits et lui adressa un sourire poli.

– Ce n'est rien, rassure-toi. Il s'est passé tellement de choses ces derniers jours... Enfin, quoiqu'il en soit, j'ai décidé d'accepter la proposition de Slughorn. J'ai pensé... J'ai pensé que je pourrais me plaire à Poudlard. Et me rendre utile.

Walburga hocha à nouveau la tête, un peu plus tristement.

– Je crois aussi, Regulus. Je crois que tu fais le bon choix.

Regulus s'assit à côté d'elle, mais Walburga ne réagit pas. Impassible, elle but une gorgée de tisane.

– Tu feras un bon professeur, dit-elle dans un souffle. Sans aucun doute.

– Je ferai de mon mieux. Et toi... Que vas-tu faire ?

Walburga haussa les épaules.

– C'est bien la première fois qu'on me pose la question...

Elle posa sa tasse sur la table et se leva. Regulus la sentit hésiter, mais elle finit par lui toucher furtivement l'épaule ; puis elle se reprit, et s'en alla sans se retourner.

– Bonne nuit, Regulus. À demain.

– Bonne nuit, Maman. Dors bien.

À l'instant même où le bruit de ses pas s'évanouissait dans les escaliers, le cœur de Regulus se mit à battre la chamade.

Il fallait agir cette nuit.

Cette évidence venait de le frapper. Regulus ignorait si Voldemort comptait laisser indéfiniment le médaillon là où il se trouvait, mais s'il apprenait que Kreattur avait survécu, il s'empresserait de l'emporter ailleurs : chaque jour, chaque seconde qui passait augmentait donc le risque que Voldemort le change d'emplacement – ce qui impliquait probablement de perdre sa trace à tout jamais. C'était maintenant que Regulus avait le plus de chance de s'en emparer, et cette chance ne ferait que s'amoindrir avec le temps : c'était par là qu'il fallait commencer, et le plus vite possible.

Il aurait aimé que quelque chose – n'importe quoi – puisse retarder cette échéance. Qu'il lui faille attendre de disposer d'une arme, de prévenir quelqu'un d'autre... Mais hélas, personne ne pouvait lui venir en aide. Coupé du monde depuis plusieurs jours, il ignorait si Vera se trouvait toujours chez elle ou bien si elle avait déjà réussi à s'échapper. Se rendre sur la Colline d'Émeraude n'était pas envisageable : toutes les maisons étaient probablement étroitement surveillées. Le soir où il était allé chercher Vera pour soigner Kreattur, il avait agi sans réfléchir ; mais il ne pouvait pas se permettre de prendre ce risque une seconde fois, surtout maintenant qu’il était le seul à connaître l’emplacement de l’Horcruxe. Car s’il était capturé ou tué, sa quête se terminerait avant même d’avoir commencé, et plus personne ne serait en mesure de dérober le médaillon…

La seule personne en qui Regulus pouvait avoir réellement confiance était le professeur Dumbledore, mais il était impossible de le contacter avant la rentrée, dans plus d'un mois et demi. De plus, le directeur ne ferait jamais confiance à un Mangemort, Regulus en était persuadé. À moins de récupérer un Horcruxe, afin de le lui livrer... Alors, peut-être consentirait-il à l'écouter.

Et pour cela, Regulus n'avait besoin que d'une chose : l'aide de Kreattur. Et l'elfe était déjà à sa disposition, à quelques mètres de lui. Regulus pouvait même entendre l'elfe ronfler dans le réduit crasseux qui lui servait de chambre. Rien ne l'empêchait d'agir. Retarder son départ n'avait aucun sens.

À cette pensée, Regulus était proprement terrifié. L'idée même de se rendre dans le lieu hostile que Kreattur lui avait décrit, et où son elfe avait failli perdre la vie, faisait flageoler ses jambes et bourdonner le silence. Autour de lui, l'air semblait se raréfier de seconde en seconde.

Et pourtant, dans sa cuisine semblable à une caverne et remplie d'ustensiles poussiéreux, Regulus se leva avec détermination. La peur faisait partie de lui depuis qu'il était né : avec le temps, il avait appris à la domestiquer. Au fond de lui, il savait que c'était la bonne chose à faire. Il lui semblait que sa vie, depuis son commencement, avait été tendue tout entière vers ce choix précis ; cette action lui apparaissait comme celle qui lui permettrait de trouver sa place dans le monde, la place qu'il avait tant cherchée.

Il contourna la table, gravit les escaliers de pierre jusqu'au rez-de-chaussée, puis emprunta les escaliers en bois verni qui montaient dans les étages de sa maison. Un instant, il considéra d'un œil amusé et nostalgique la petite statuette effrayante qui le suivait des yeux dans la cage d'escalier. Étant petit, il était incapable de passer devant tout seul, s'attirant ainsi les moqueries de Sirius...

Dans le salon, il s'empara du médaillon qui était censé répliquer la relique de Salazar Serpentard, et monta dans sa chambre. Là, il s'assit à son bureau, couvert d'articles qui parlaient de Lord Voldemort et de livres de magie noire.

– À nous deux, dit-il entre ses dents.

Il trouva ces mots un peu ridicules, mais aussi un peu héroïques. Il prit sa plume, un morceau de parchemin vierge, et écrivit d'une traite :

Au Seigneur des Ténèbres,

Je sais que je ne serai plus de ce monde

bien avant que vous ne lisiez ceci

mais je veux que vous sachiez que c'est moi

qui ai découvert votre secret.

J'ai volé le véritable Horcruxe

et j'ai l'intention de le détruire dès que je le pourrai.

J'affronte la mort dans l'espoir

que lorsque vous rencontrerez un adversaire de votre taille,

vous serez redevenu mortel.

Regulus s'arrêta un instant. Il n'avait aucune idée de ses chances de survie, mais s'il venait à mourir, il préférait laisser derrière lui l'image de quelqu'un qui marchait résolument vers le danger. Satisfait, il signa des initiales de son nom complet, Regulus Arcturus Black :

R.A.B.

Il contempla le parchemin, en pensant orgueilleusement à la fureur qui animerait Voldemort s'il venait un jour à l'avoir entre les mains. Il le plia soigneusement, ouvrit le médaillon et y plaça son message.

Puis il reprit sa plume, écrivit à Dumbledore et plaça le parchemin dans une enveloppe. Il ensorcela soigneusement le tout, afin que seul Dumbledore puisse l'ouvrir, et y inscrivit le nom du directeur de Poudlard, espérant que quelqu'un sache le lui faire parvenir en toute sécurité, si jamais il ne revenait pas de son expédition. Ensuite, il prit un deuxième parchemin et écrivit quelques mots à ceux qu'il aimait, et laissa les articles que le professeur Slughorn lui avait donnés sur le bureau, espérant que Narcissa les trouve. Enfin, sans trop savoir pourquoi, peut-être pour résumer ce qu'il s'apprêtait à faire, il lissa un dernier morceau de parchemin sur son bureau et y traduisit le conseil qu'Astakis le Bon avait écrit en runes sur le livre de Slughorn, un conseil qui semblait avoir traversé les siècles dans le seul but de parvenir jusqu'à lui :

À cette noirceur d'une puissance indicible,

Opposer une clarté d'une puissance comparable

Il relut cette phrase plusieurs fois, avec une appréhension et une excitation croissantes.

– Il est temps, murmura-t-il pour lui-même.

Il laissa l'enveloppe et les deux parchemins sur son bureau, mit le médaillon dans sa poche et, tout en prenant garde à ne faire aucun bruit, il descendit dans la cuisine. Là, il ouvrit doucement la porte du réduit crasseux où dormait Kreattur.

L'elfe ronflait doucement, poussant de temps à autre de petits grognements. Le cœur battant à tout rompre, Regulus se baissa et posa sa main sur l'épaule de Kreattur. Sous ses doigts, l'elfe était décharné, sale, frigorifié dans son réduit crasseux ; et Regulus se sentit envahi par la honte.

– Mmh... M... Maître ? Qu'est-ce que...

– Chhht, dit Regulus en posant un doigt sur ses lèvres.

Son trouble était manifestement visible, car Kreattur se redressa, inquiet.

– Maître, qu'y a-t-il ? Kreattur a-t-il fait quelque chose de mal ?

– Nous allons partir quelque part, dit Regulus avec gravité. Et cela ne va pas te plaire.

Kreattur déglutit bruyamment. Ses mains et ses bras étaient toujours couverts d'ecchymoses, car en raison de sa faiblesse, il ne cessait de laisser tomber des tasses, des plats, des outils, et malgré l'ordre que lui avaient donné ses maîtres de se reposer, et de cesser de se punir, Kreattur était bien incapable de s'en empêcher – il était même allé jusqu'à se frapper pendant son sommeil.

– À partir de maintenant, tu vas devoir m'écouter attentivement, poursuivit Regulus.

Kreattur acquiesça, penaud. Au fur et à mesure que son projet devenait réel, Regulus sentait la peur monter en lui, prête à le submerger.

– Nous allons retourner dans la grotte, souffla Regulus.

– Non ! gémit Kreattur.

Aussitôt, il écarquilla les yeux, et ajouta, encore plus horrifié :

– Kreattur a contesté les ordres de son maître !

Il s'empara d'une fourchette, et tenta de la planter dans sa main, mais Regulus l'en empêcha.

– Ne te punis pas !

Kreattur s'interrompit immédiatement.

– Je t'interdis de te punir, Kreattur, dit Regulus avec sévérité. Et maintenant... Amène-moi dans la grotte. Je dois la voir.

– Mais, Maître... Pourquoi...

– Je t'expliquerai plus tard. Allons-y, Kreattur. Maintenant.

Tout en gémissant, Kreattur approcha sa main tremblante et décharnée du bras de son maître. Au moment précis où l'elfe le touchait, Regulus fut aspiré vers le lointain, et sentit sur son visage une violente rafale de vent, ainsi que des gouttes de pluie glacée. Ses genoux heurtèrent quelque chose de dur, il glissa sur une surface humide, et s'étala de tout son long sur la roche inclinée. Il roula sur lui-même, se cogna la tête, puis quitta la roche pour tomber dans le vide...

La chute fut trop brève pour crier. Il tomba dans une eau gelée et remonta aussitôt à la surface, affolé.

– Kreattur ! cria Regulus. KREATTUR !

Mais il ne voyait rien, rien qu'une pluie torrentielle qui faisait crépiter la mer, rien que l'eau noire et glaciale qui montait et descendait autour de lui, au pied d'une imposante falaise à la paroi verticale et impitoyable. Sa cape gorgée d'eau ondulait autour de lui et l'attirait vers le fond, et la mer aspirait sa chaleur comme une gigantesque sangsue.

– KREATTUR ! appela à nouveau Regulus.

Alors qu'il essayait de s'agripper à la paroi lisse et nue de la falaise, il se sentit aspiré par une force colossale. Derrière lui, une énorme vague noire et menaçante s'apprêtait à rouler sur lui, à lui briser les os contre le roc de la falaise...

Au moment où il se croyait perdu, il sentit la main de Kreattur lui saisir à nouveau la jambe. Ils transplanèrent de nouveau, et Regulus se retrouva quelques mètres plus haut, accroupi sur un rocher en saillie qui surplombait la mer déchaînée ; aussitôt, il s'agrippa fermement à la falaise et attira Kreattur près de lui.

– Kreattur n'a pas pu transplaner jusqu'à la caverne ! couina l'elfe, cramponné au bras de Regulus. Quelque chose a dévié la trajectoire de Kreattur...

– Oui, je m'en doutais, bredouilla Regulus.

C'était bien ce qu'il craignait. La tâche aurait été trop aisée s'il leur avait suffi de transplaner à l'endroit précis où se trouvait le médaillon. Voldemort avait probablement mis en place des maléfices complexes pour en barrer l'accès à quiconque ; mais dans son mépris pour les elfes, il avait oublié que leurs pouvoirs magiques étaient bien différents de ceux que possédaient les sorciers, et qu'ils avaient la capacité de transplaner n'importe où, sans qu'aucun sortilège, si puissant soit-il, ne puisse les en empêcher. C'était grâce à cette faculté que Kreattur avait pu transplaner seul pour s'échapper de la caverne la première fois, pour revenir au square Grimmaurd...

Cependant, les maléfices mis en place par Voldemort autour de son Horcruxe empêchaient Kreattur de transporter qui que ce soit avec lui. C'était donc la présence de Regulus qui avait été repoussée par les maléfices et qui avait dévié la trajectoire de Kreattur ; ce qui signifiait qu'ils seraient incapables de transplaner ensemble pour sortir de la caverne, et qu'après avoir récupéré l'Horcruxe, il leur faudrait effectuer le chemin en sens inverse... Ou bien laisser Kreattur repartir seul.

Regulus se recroquevilla contre la falaise, ruisselant, frigorifié. En tombant sur la roche, il s'était éraflé tout le côté gauche, et ressentait une douleur cuisante monter le long de sa jambe, de ses côtes et de son coude. Autour de lui, le vent soufflait d'énormes bourrasques, charriait des rideaux de pluie et poussait l'écume qui bouillonnait, tourbillonnait en grondant contre la falaise. Partout, à perte de vue, il ne voyait qu'une mer hachée, furieuse, qui montait à l'assaut de roches luisantes et hostiles où aucune forme de vie ne semblait pouvoir subsister.

À ce moment-là, Regulus fut tenté de faire demi-tour ; et il voyait bien que Kreattur, qui tremblait contre lui en claquant des dents, était du même avis. Après tout, il pouvait très bien retourner au 12, square Grimmaurd, et demander à Kreattur de ne raconter à personne cette petite escapade nocturne... Il pouvait rentrer chez lui, retirer ses vêtements gorgés d'eau glaciale, prendre une douche brûlante et se glisser dans ses draps pour dormir à poings fermés...

– Maître...

– Un instant, Kreattur.

En entendant une nouvelle vague rugir en-dessous de lui, en sentant la roche vibrer sous ses pieds, Regulus se souvint de l'excursion qu'ils avaient faite, avec Sirius et ses cousines, quand sa tante Druella les avait emmenés dans une charmante petite chaumière qui surplombait la mer. Il repensa au rire de Bellatrix quand elle se jetait dans les vagues, et à la manière dont elle l'avait pris dans ses bras pour le rassurer, lui qui était terrifié par ces ondes puissantes qui s'abattaient sur le sable...

C'était un mois à peine avant qu'elle ne rencontre Lord Voldemort. À cette pensée, Regulus parvint à maîtriser la peur panique qui le poussait à renoncer.

– Montre-moi où est l'entrée, ordonna-t-il, soudain indifférent au froid glacial qui le pénétrait jusqu'à la moelle.

Sans oser protester, Kreattur désigna le bas de la falaise, où les vagues s'acharnaient avec une violence inlassable. En plissant les yeux, Regulus distingua à travers les rideaux de pluie une anfractuosité dans la paroi, où les vagues convergeaient pour déferler avec encore plus de puissance.

– C'est là, gémit Kreattur, la voix suppliante. C'est là que le Seigneur des Ténèbres a emmené Kreattur... Il y a un tunnel dans la roche, qui mène dans une caverne...

– Très bien.

Il sentait Kreattur l'épier, guettant le moindre signe de renoncement, mais Regulus était bien décidé à ne pas lui donner le moindre espoir à ce sujet.

– Tu crois que tu pourrais transplaner une dernière fois ?

Kreattur eut un haut-le-corps en regardant la falaise.

– Je suis désolé, Kreattur...

Kreattur bondit comme s'il avait reçu une décharge électrique, et écarquilla ses yeux pâles et globuleux.

– Le maître s'est excusé auprès de Kreattur ! s'indigna l'elfe. Kreattur ne le permettrait pas...

Regulus le retint de justesse au moment où il s'apprêtait à se frapper la tête contre la falaise. Il l'attrapa fermement et le plaça sur son dos.

– Maintenant, ne bouge plus, dit Regulus avec autorité en tenant les bras de Kreattur autour de son cou. À mon signal, tu nous feras transplaner juste devant l'entrée de la grotte... Prêt ? Tiens-toi bien... Trois... Deux... Un...

Regulus attendit qu'une vague se retire...

– Maintenant !

Avec un crac ! sonore, ils se replongèrent dans l'eau glacée, à la surface de la mer, juste devant le tunnel, au creux de la vague qui s'apprêtait à s'écraser sur la falaise.

– Tiens-toi ! cria Regulus en nageant frénétiquement vers l'entrée de la grotte.

Les bras frêles de Kreattur se resserrèrent autour de son cou. La vague les propulsa à travers le tunnel, dans l'obscurité la plus totale. Les épaules de Regulus frôlèrent des parois visqueuses, son nez se remplit d'une puissante odeur d'algues, et il regagna la surface au moment où il sentait sous ses pieds des petites marches de pierre. Il dut s'agripper à tâtons pour ne pas être emporté par la vague qui se retirait. Effrayé par l'obscurité épaisse et impénétrable qui l'entourait, et de ce qui pouvait en surgir à tout moment, Regulus s'empressa de lever sa baguette devant lui.

Lumos, haleta-t-il, dégoulinant d'eau salée.

Ils se trouvaient dans une vaste caverne, dont les parois humides brillaient à la lueur de la baguette. Kreattur lâcha son cou et sauta dans l'eau avec un plouf sonore, tout en prenant soin de se tenir tout près de son maître.

Regulus frissonna. Il n'y avait plus le moindre souffle de vent, ni le moindre bruit. Et pourtant, il était certain d'une chose : ce calme-là était bien plus menaçant que la formidable tempête qui se déchaînait au dehors.

– Où doit-on aller, Kreattur ?

– C'était... là, bredouilla l'elfe.

Regulus avança sa baguette vers l'endroit que lui désignait Kreattur, mais il ne vit qu'une surface rocheuse compacte, sans aucune issue.

– C'était ouvert... Je vous promets, M. Regulus, qu'il y avait un passage...

Regulus essaya d'appuyer sur la pierre, mais au moment où il la touchait de sa main écorchée, une arcade se dessina en une ligne blanche éclatante, comme si une puissante lumière brillait derrière la fissure. Puis la pierre se volatilisa, ménageant une ouverture qui donnait sur une obscurité totale.

– Oh... D'accord... Très bien, murmura Regulus.

Il passa sous l'arcade rocheuse qui venait de se former, sans prêter attention aux couinements étouffés de Kreattur dans son dos.

– Le maître ne doit pas marcher dans l'eau, l'avertit Kreattur de sa voix plaintive. Il y a des choses dans l'eau... des choses terribles...

Ils se trouvaient au bord d'un grand lac noir, si étendu que Regulus ne parvenait pas à en distinguer les extrémités. Le plafond de la caverne était également hors de vue. L'obscurité était totale en dehors d'une lueur verdâtre, nébuleuse, parfaitement fixe, qui brillait au milieu du lac et se reflétait dans une eau tout aussi immobile.

– Le médaillon est là-bas, n'est-ce pas ? dit Regulus en désignant la lueur verdâtre.

Kreattur réprima un sanglot, et se détourna pour acquiescer.

– Dis-moi comment y aller, s'il te plaît.

Regulus suivit Kreattur qui marchait presque à reculons sur l'étroite bordure rocheuse qui longeait le lac, et devait regarder son maître à intervalles réguliers pour poursuivre sa route.

– Kreattur croit se souvenir... Il y avait un bateau...

Regulus douta pendant quelques instants de la mémoire de Kreattur, car sur la rive qu'ils longeaient, il n'y avait rien qui puisse ressembler, d'une quelconque manière, à un bateau. Au contraire, il n'y avait que la paroi brute de la caverne, et de l'autre, une étendue infinie d'eau noire et lisse comme du verre.

– C'était là, souffla Kreattur.

Il claqua des doigts, et avec un crac sonore, une grosse chaîne d'un vert cuivré apparut aux pieds de l'elfe. Sans prononcer un mot, il s'en empara, et s'arc-bouta dessus pour tirer quelque chose hors de l'eau.

– Le Seigneur des Ténèbres a obligé Kreattur à tirer le bateau, couina Kreattur.

Regulus pensa furtivement, non sans une nouvelle bouffée de haine, au plaisir qu'avait dû éprouver Voldemort en regardant l'elfe s'épuiser à tracter le navire qui allait le mener vers sa mort prochaine, alors que lui-même était capable de le faire sans aucun effort.

– Laisse-moi le faire, Kreattur.

Regulus s'empara de la chaîne et l'effleura du bout de sa baguette. Aussitôt, la chaîne se mit à glisser entre ses doigts et s'enroula docilement à ses pieds. Au bout de quelques secondes, la proue fantomatique d'un bateau de la même couleur vert cuivré creva la surface, s'avança vers eux, et heurta le rivage avec un bruit anormalement doux.

– Ensuite... nous sommes montés dans le bateau...

Kreattur n'aurait pas pu manifester davantage sa volonté de s'enfuir. Il s'était tassé contre la paroi de la caverne, visiblement désireux de mettre le plus de distance possible entre lui et l'embarcation.

– Allons-y, murmura Regulus. N'aie pas peur, Kreattur... Je suis là.

Il prit l'elfe dans ses bras et monta avec précaution à bord du bateau, qui se mit aussitôt à avancer. Regulus se cramponna aux bords, et Kreattur se recroquevilla en gémissant contre lui. On n'entendait que le bruissement de la proue qui fendait l'eau, le bruit léger des gouttes qui tombaient des cheveux de Regulus, et de temps à autre les hoquets effrayés de Kreattur. Le bateau glissait tout seul à la surface du lac, comme si une corde invisible le tractait vers la lumière. Lorsque les parois de la caverne s'évanouirent dans l'obscurité, Regulus eut l'impression que Kreattur et lui rapetissaient progressivement.

Pour se donner du courage, il pensa au jour de sa rentrée à Poudlard, et de l'effroi qu'il avait ressenti à l'idée de traverser le lac pourtant inoffensif qui menait au château. Il se souvint du soulagement et de la fierté qu'il avait ressenti, lorsqu'il était arrivé indemne de l'autre côté... Finalement, cette traversée-là était tout à fait semblable, c'était un lac comme un autre...

– Dans l'eau, sanglota Kreattur. Dans l'eau... Des mains... Des mains mortes...

Regulus baissa les yeux. Le reflet bleuté du faisceau de sa baguette magique étincelait sur l'eau noire. Le bateau creusait des rides régulières sur la surface du lac, et en-dessous, rien ne venait troubler l'impénétrable obscurité des profondeurs...

Rien, sauf un visage terrifiant, d'un blanc de marbre, flottant à quelques centimètres sous la surface.

– Des Inferi, s'étrangla Regulus.

Il sentit qu'il avait pris le même teint que l'homme mort au-dessus duquel passait leur embarcation. Ses yeux ouverts avaient un regard flou, comme enveloppés de toiles d'araignées, et sa bouche était grande ouverte : il semblait être là depuis l'éternité, figé dans un dernier cri. Et, horrifié, Regulus comprit soudain à quoi servaient tous les Inferi que Bellatrix se vantait d'avoir façonnés.

– Ce sont eux qui ont voulu noyer Kreattur, geignit l'elfe. Les mains sont sorties de l'eau...

Regulus posa sa main sur la tête chauve de Kreattur. La peau de l'elfe était sèche, ridée, et il tremblotait de peur.

– Reste près de moi, Kreattur, dit Regulus en regardant anxieusement autour de lui.

Il ignorait s'il disait cela pour protéger l'elfe ou pour se rassurer lui-même – sans doute un peu des deux. Il scruta avec attention la surface de l'eau, qui, à son immense soulagement, était toujours lisse comme un miroir.

– N'aie pas peur, dit doucement Regulus en le serrant contre lui.

– Kreattur... n'a pas peur, prétendit l'elfe en pleurnichant. Kreattur est honoré... d'être aux côtés de son maître Regulus.

Et Regulus se surprit à sourire furtivement, au milieu de ce grand lac noir rempli de cadavres.

– Moi aussi, je suis content d'être avec toi, Kreattur. Tu sais, quand j'y réfléchis bien... Je n'aurais voulu personne d'autre que toi, pour un jour comme celui-ci.

Ce compliment n'eut pas beaucoup d'effet sur Kreattur. Dans les bras de Regulus, l'elfe faisait de son mieux pour ne pas trembler. Il était transi de froid, certes, mais surtout, il était absolument terrorisé. Cette traversée en bateau réveillait en lui le souvenir atroce de la pire douleur qu'il ait jamais ressentie – celle qui avait suivi l'ingestion de la potion de Lord Voldemort. Ses entrailles se tordaient avec violence, comme si elles le suppliaient de s'enfuir, et lui faisaient déjà presque aussi mal que lorsqu'il avait bu cette potion infâme qui l'avait consumé de l'intérieur pendant plusieurs jours. En revenant sur ses pas, Kreattur croyait entendre à nouveau le rire cruel que Voldemort avait poussé quand il l'avait supplié d'arrêter, de le laisser repartir pour retrouver ses maîtres...

Regulus voulait sûrement récupérer le médaillon, Kreattur ne voyait que cela. Même si cela devait contrarier Voldemort, c'était une relique de Salazar Serpentard, un objet d'une grande valeur pour la famille Black... Pour cela, Kreattur devrait donc boire la potion à nouveau ; et il ne le supporterait pas, il en était persuadé. Il était déjà si faible... La moindre gorgée le terrasserait. Mais au moins – et cette seule pensée suffisait à le convaincre de continuer – il mourrait dans les bras de son maître adoré, en l'ayant servi loyalement, jusqu'à la fin...

Parcouru de petits spasmes, persuadé de marcher vers sa propre mort, Kreattur dut à nouveau se faire porter par Regulus pour sortir du bateau. Ils se trouvaient sur la petite île de roche lisse qui émergeait au centre du lac, et que Kreattur ne connaissait que trop bien. La lueur verte provenait d'un bassin de pierre posé sur un piédestal. Regulus s'en approcha, et Kreattur enfouit son visage dans ses mains.

Dans quelques instants, Regulus lui ordonnerait de boire la potion, cela ne faisait plus aucun doute... Et Kreattur devrait s'approcher du bassin, rempli de cet horrible liquide vert émeraude, qui produisait cette lueur phosphorescente... Et ce serait la dernière chose qu'il verrait distinctement, car il mourrait sans doute dans les minutes qui suivraient...

– Approche-toi, Kreattur.

Kreattur songea que son heure était venue. Il était terrifié, mais après tout, il avait toujours souhaité mourir au service de ses maîtres. Et aux côtés de M. Regulus, finalement, cela n'était peut-être pas si mal... Sans doute ramènerait-il son corps au 12, square Grimmaurd ; et il louerait son courage à tous ses descendants... Ah, que son maître était noble, et qu'il était beau, même avec cette eau salée qui gouttait de ses cheveux, même dans cette lumière verdâtre qui éclairait son visage mince...

Étrangement, Regulus aussi semblait être transi de peur. Son poing tremblait autour de la réplique du médaillon, et il regardait Kreattur avec gravité, tout en lui désignant une coupe en argent qui venait d'apparaître. Peut-être ressentait-il un peu de culpabilité, à le sacrifier de la sorte pour obtenir un simple bijou – en tout cas, c'était ce que Kreattur espérait, au fond de lui...

– Kreattur...

– Oui, maître Regulus, pardonnez... Kreattur sait qu'il doit à nouveau boire la potion, dit-il d'une toute petite voix. Kreattur va le faire... pour son maître, pour M. Regulus...

L'elfe tendit le bras pour attraper la coupe d'argent, mais Regulus arrêta son geste en lui retenant fermement le poignet.

– Kreattur, écoute-moi.

Regulus parlait avec fermeté. Kreattur songea, tout en se reprochant durement d'être trop exigeant, qu'il aurait espéré un peu plus de gratitude de la part de son maître...

– Si mes parents te demandent ce qu'il s'est passé ici, je t'interdis de leur raconter, d'accord ? Cela leur ferait courir un grand danger.

Kreattur réprima un sanglot. Ses maîtres adorés, sa chère maîtresse qu'il ne reverrait plus... Il n'avait même pas pu lui dire adieu, lui témoigner une dernière fois sa loyauté absolue...

– Tu leur diras seulement que... que j'essayais de les sauver.

– Oui, maître, gémit Kreattur, le cœur au bord des lèvres.

– Maintenant, je vais boire cette potion. Si je m'arrête de boire, il faudra que tu m'aides. Et si je refuse, il faudra que tu me forces. Entendu ?

– Oui, M...

Kreattur avec acquiescé par simple réflexe, avant même d'avoir compris ce que ces paroles signifiaient. Mais lorsque les mots imprégnèrent son esprit, il se figea, saisi par l'incompréhension la plus totale.

– Mais... Kreattur a sans doute mal entendu... Kreattur a cru que M. Regulus...

L'idée lui semblait tellement folle que Kreattur n'arrivait même pas à la formuler. Au-dessus de lui, son visage pâle luisant dans la lueur verdâtre de la potion, Regulus lui adressait un sourire désolé.

– Non, Kreattur, tu as parfaitement entendu. Si je faiblis, tu me forceras à boire, même si je te supplie d'arrêter. Mes ordres n'auront aucune valeur tant que je n'aurai pas terminé cette potion.

– Mais... M. Regulus...

– Quand j'aurai fini, tu prendras le médaillon que Voldemort a mis au fond de ce bassin, et tu le remplaceras par le faux que voici, dit Regulus en lui donnant la réplique du médaillon. Et tu sortiras de la grotte, coûte que coûte... Avec ou sans moi.

Pris de panique, Kreattur plaqua ses deux mains sur ses oreilles pour ne pas entendre ces ordres auxquels il ne voulait pas obéir, mais en vain. Regulus reformula à nouveau ses instructions, afin de ne laisser aucune chance à la moindre ambiguïté.

– Je te le répète une dernière fois : tu ne prendras pas une goutte de ce breuvage, articula distinctement Regulus, qui savait pertinemment que Kreattur l'entendait. Tu vas m'obliger à le boire jusqu'au bout, sans écouter les contre-ordres que je pourrai te donner. Et ensuite, ton seul but sera d'emporter ce médaillon loin d'ici pour le détruire... Peu importe que je te suive ou pas.

– Maître... NON !

L'écho du cri de Kreattur résonna dans la grotte, comme si tous ses ancêtres se révoltaient avec lui.

– Non, surtout pas ! couina Kreattur. M. Regulus ne doit pas faire ça ! M. Regulus doit laisser Kreattur le faire !

– Tu es trop faible, dit Regulus en l'écartant fermement de la coupe. Cela te tuerait. Tu as déjà failli mourir par ma faute, et je refuse que cela se produise une deuxième fois.

– Maître...

– Ne t'en fais pas, Kreattur. Tout ira bien, je vais y arriver. Nous allons nous emparer de ce médaillon et le détruire. Ensemble.

Kreattur n'accordait aucune importance à ce satané médaillon ; mais il ne pouvait rien contre les ordres de Regulus. Il était forcé d'y obéir. Et pour la première fois, il maudit les ordres qu'on lui donnait, ceux qu'il avait toujours suivi avec tant d'application : lui qui avait toujours été si fier de sa propre servitude, il se surprit à la haïr de tout son être.

Impuissant, les yeux écarquillés d'horreur, il vit Regulus prendre la coupe en argent et la plonger dans la potion pour la remplir. Son jeune maître releva la coupe, en examina le contenu avec appréhension, puis l'approcha de ses lèvres et la vida d'un trait.

Lorsqu'il eut terminé, sa main se serra autour de la coupe ; puis il hocha la tête, replongea la coupe dans le bassin et la porta à nouveau à ses lèvres avec détermination. Cette fois-ci, ses traits se contractèrent malgré lui lorsqu'il déglutit. Kreattur espérait le voir renoncer, mais Regulus se cramponna fermement au bord du bassin et abaissa sa coupe une troisième fois. Il la releva en tremblant légèrement et but encore, courageusement, les yeux étroitement fermés, en poussant un gémissement étouffé.

Et c'est à ce moment précis que la potion commença à faire effet.  

Lorsque Regulus rouvrit les yeux, il examina avec étonnement la coupe qu'il tenait dans sa main ; puis il tâta ses vêtements trempés, comme s'il se demandait ce qui avait bien pu les asperger. Il releva la tête et regarda autour de lui, visiblement perplexe. Il semblait avoir oublié où il était, et ce qu'il faisait là.

– M... M. Regulus ? appela prudemment Kreattur.

Regulus se redressa, tendit l'oreille, mais il n'accorda aucune attention à Kreattur. Il regardait maintenant loin devant lui, au-dessus de l'eau noire, comme si quelque chose se rapprochait d'eux.

– Qui est là ? demanda-t-il avec appréhension.

Sa voix était étrangement rauque. Kreattur suivit son regard, mais il ne vit rien que l'obscurité impénétrable de la caverne.

– M. Regulus, qu'y a-t-il ? Que voyez-vous ?

Regulus ne répondit pas. Il sembla soudain bouleversé par ce qu'il voyait. Sa respiration s'accéléra ; son menton trembla, ses yeux brillèrent. Un mélange de stupeur, de tristesse et de désarroi surgit brutalement sur son visage. Il semblait avoir reconnu quelqu'un – quelqu'un que lui seul pouvait voir.

S'adressant au vide qui lui faisait face, il murmura :

– Sirius ?

À côté de lui, Kreattur sentit son sang se glacer.

– Sirius, répéta Regulus. C'est... C'est toi ? Qu'est-ce que tu fais là ?

Pendant quelques secondes, il fronça les sourcils, comme s'il écoutait quelqu'un avec attention.

– C'est vrai ? demanda-t-il au silence. Tu es venu me chercher ?

Il tendit la main devant lui, un peu hésitant ; mais aussitôt, il poussa un cri de douleur et de surprise, comme si quelqu'un l'avait giflé. Il porta une main à sa joue, et tomba à genoux sur le sol de pierre, cramponné au piédestal qui soutenait le bassin.

– M. Regulus ! cria Kreattur, affolé.

– Reculez ! hurla Regulus à l'intention d'une assemblée imaginaire. Que personne ne m'aide ! Je dois l'affronter seul !

Déjà, Regulus n'était plus dans la grotte. Le sol qu'il touchait sous ses doigts n'était plus en pierre, mais avait la consistance du parquet du 12, square Grimmaurd. Face à lui se tenait son frère Sirius, le toisant de toute sa hauteur avec un rictus maléfique, plus beau et plus nonchalant que jamais, malgré ses yeux anormalement sombres...

Décidément, quelle poule mouillée, dit Sirius d'une voix sifflante.

Et il lui asséna un coup de pied au visage.

Regulus ressentit aussitôt une douleur terrible, qui se répandit dans sa mâchoire, puis dans tout son corps, se transformant progressivement en un chagrin immense, une honte insupportable, mêlés à une colère dévorante qui lui faisaient mal, si mal...

Un vrai trouillard, ajouta Sirius en le frappant au creux de l'estomac.

– Va-t'en, hoqueta Regulus. Va-t'en...

T'es rien qu'un cafard, on aurait dû te laisser à la maison...

Sirius désignait le dessin ridicule que Regulus avait fait, et qui avait dévoilé leur escapade dans la Chaumière aux Coquillages. Il déchirait le dessin en mille morceaux, et les morceaux de parchemin pleuvaient sur Regulus, brûlants comme des braises. Au loin, Regulus entendait Narcissa pleurer, parce qu'elle ne pourrait pas aller au Chemin de Traverse, à cause de lui...

– Maître Regulus ne doit pas écouter les voix ! Ce sont des visions ! Maître Regulus doit tenir bon, Kreattur est là...

La voix de Kreattur était lointaine, assourdie, mais Regulus s'y accrocha comme à une bouée de sauvetage. Lui, au moins, ne l'avait jamais trahi, il ne l'avait jamais jugé... Regulus ne le voyait pas, mais il sentait la main frêle de l'elfe prendre la sienne... Un récipient en argent touchait ses lèvres...

– Buvez, M. Regulus, disait Kreattur d'une voix suppliante.

Pourquoi Kreattur pleurait, Regulus ne le savait pas. Et pourquoi il devait boire, il l'avait également oublié. Mais il obtempéra, et aussitôt, le liquide que Kreattur lui donnait lui brûla les lèvres, la bouche, l'estomac, avec une violence indescriptible.

– C'est bien, maître, c'est bien, continuez... Kreattur va remplir la coupe à nouveau...

La voix de Kreattur était attentionnée, rassurante, compatissante ; mais, pendant que l'elfe remplissait cette mystérieuse coupe dont Regulus ignorait l'utilité, quelqu'un d'autre se présenta devant lui.

En effet, un vrai froussard, ricana James Potter au-dessus de lui.

Ils étaient deux, désormais, James et Sirius, avec le même regard sombre et méchant... Sous les doigts de Regulus, le sol de pierre était celui d'un corridor du château de Poudlard... Une fille d'une beauté irréelle se suspendait au bras de Sirius en gloussant et regardait Regulus avec dédain... James jouait avec un Vif d'Or et le rattrapait sans même le regarder...

– Encore un taré de Serpentard, sans aucun doute, dit James d'une voix sifflante.

– Parfois, je me demande si nous sommes bien frères, renchérit Sirius de la même voix malveillante. Tu me fais tellement pitié...

– Allez, Degulus, attrape-ça si tu peux !

Autour de lui s'élevaient des rires moqueurs, et des livres tachés d'encre pleuvaient sur lui... Les rires lui brûlaient les oreilles, les livres l'ébouillantaient en le touchant, comme s'ils le marquaient au fer rouge... Et ce brasier au fond de lui, Regulus ne savait plus si c'était de la tristesse, de la colère ou de la honte, mais c'était si intense qu'il sentit à peine la main de Kreattur prendre la sienne...

– Arrêtez ! sanglota Regulus. Arrêtez, non, par pitié...

– M. Regulus... Oh, pardonnez Kreattur... Mais il faut boire encore... C'est pour votre bien, M. Regulus... C'est pour faire partir ces horribles visions...

Croyant la petite voix de Kreattur sur parole, Regulus but d'un trait le liquide qu'on versait dans sa bouche, avant de comprendre que c'était cette boisson qui enflammait ses entrailles. Il toussa pour la recracher, et sa trachée s'enflamma à son tour.

– Argh ! Assez ! Assez...

– Encore un peu, M. Regulus... Nous devons prendre le médaillon, rappelez-vous, c'est très important...

Regulus ne savait absolument pas de quel médaillon il parlait, mais il savait qu'il pouvait faire confiance à Kreattur... Et il but à nouveau, malgré le feu qui se propageait en lui...

– Regarde, un autre taré, là-bas...

Sirius et James s'étaient désintéressés de lui. Regulus en éprouva un soulagement de très courte durée, car il vit au loin leur nouvelle cible, parfaitement reconnaissable à son nez crochu, à ses cheveux noirs et gras qui tombaient de chaque côté de son visage, et aux potions qu'il manipulait avec aisance.

– Sev ! appela Regulus d'une voix plaintive, brisée. Attention ! Va-t'en, vite !

Il voulut se lever, mais au moindre de ses mouvements, une nouvelle coulée de lave semblait se répandre dans ses veines. Sans qu'il puisse bouger, Sirius et James se précipitèrent sur Severus, et commencèrent à le tourmenter, comme ils l'avaient fait pour Regulus quelques instants plus tôt.

– Non ! Arrêtez, ne vous approchez pas de lui ! Il ne vous a rien fait ! Ne le touchez pas !

– Tu n'avais qu'à rester avec lui, ricana Sirius en renversant sur le sol le chaudron de Rogue.

Regulus sentit des larmes rouler sur ses joues, brûlantes comme de la chaux vive.

– Plus que trois verres, M. Regulus, couina la voix de Kreattur.

– Non ! Non, je ne veux pas ! Il faut aider Severus, il faut aller le chercher ! Kreattur, je te l'ordonne ! Va-t'en, pars, laisse-moi... James, Sirius, ils...

– M. Regulus doit boire en premier, coupa Kreattur. Et ensuite, Kreattur ira sauver son ami. Nous y sommes presque, M. Regulus doit tenir bon !

Regulus but précipitamment le verre qui se présenta devant ses lèvres. L'instant d'après, Sirius et James avaient disparu, mais ce que Regulus voyait était encore pire.

Il se trouvait toujours à Poudlard, dans les toilettes du deuxième étage : il voyait la lumière filtrer à travers les vitres sales, l'eau brunâtre sur le carrelage. Il sursauta en voyant la jeune fille étendue sur le sol à côté de lui – une jeune fille qu'il connaissait bien, même s'il ne l'avait jamais vue vivante. Elle portait des chaussures vernies, une cravate bleue et brillante, ses longs cheveux noirs trempaient dans l'eau... Derrière ses énormes lunettes, ses yeux ne clignaient plus, son regard était vide, ses joues étaient encore sillonnées de larmes...

– Oh, non... Mimi...

Regulus se pencha sur elle pour la ranimer, mais son corps devenait translucide... Sa voix de crécelle retentissait dans la pièce...

– Tout est ta faute, Regulus... Tu sais, j'ai l'habitude que les gens aient honte de me côtoyer...

Regulus sentit un liquide brûlant couler sur son menton, ruisseler dans son cou.

– M. Regulus ne doit pas recracher la potion ! dit une voix coassante, de plus en plus lointaine. M. Regulus doit se redresser, pour que Kreattur puisse l'aider... Il doit continuer, il ne reste plus que deux verres !

Regulus avait si mal qu'il ne sentit même pas la main de Kreattur passer dans sa nuque pour lui soutenir la tête. Quelques gorgées coulèrent dans sa gorge, et une dernière vision terrifiante s'imposa à lui...

– Allez, toi, viens par ici... Tu vas voir...

Bellatrix se débattait. Autour d'elle, plusieurs hommes l'agrippaient, essayaient de l'entraîner vers une pièce sombre... Ils allaient lui faire du mal, Regulus le savait... Elle criait, elle voulait s'échapper, mais ils étaient trop forts, trop nombreux...

– Au secours !

– NON ! BELLA !

– Ce n'est pas réel, M. Regulus... Miss Bellatrix ne court aucun risque, Kreattur en fait la promesse... Ce n'est pas la réalité...

– C'est ma faute ! Tout est ma faute, Kreattur ! Tout, absolument tout... Je l'ai abandonnée, je... Je les ai tuées...

Regulus se recroquevilla sur le sol et ferma les yeux, mais cela ne fit que rendre la vision plus nette, les cris de Bellatrix plus perçants.

– Ma faute... Bella, NON ! S'il vous plaît, arrêtez ! Lâchez-la !

Leurs mains velues se refermaient sur elle... Elle criait, et Regulus criait aussi, replié sur lui-même...

– Un dernier verre, M. Regulus... Un dernier verre, et tout s'arrêtera, vous verrez !

– Je veux mourir, sanglota Regulus. Je veux mourir ! Tuez-moi à leur place ! Laisse-moi, Kreattur ! Je te chasse d'ici, retourne auprès de ma mère ! Va-t'en, je ne mérite pas ton aide !

La souffrance était insoutenable. Le feu qui lui consumait les entrailles se raviva encore. Il lui semblait que son cœur pulsait de la lave en fusion dans ses artères, du bout de ses doigts à la racine de ses cheveux.

– Tout est ma faute, sanglota Regulus, le visage enfoui dans ses mains. C'est ma faute... Je ne mérite pas... Pitié...

– Encore trois gorgées, maître Regulus... Et puis, ce sera fini, Kreattur vous le promet... Nous rentrerons à la maison, et Kreattur soignera M. Regulus... Mais il faut continuer...

– Non, non... Je ne veux pas rentrer, je refuse... Laisse-moi ici, Kreattur, laisse-moi mourir, je t'en supplie...

– Kreattur ne ferait jamais ça, dit la voix de l'elfe, résolue. Buvez, maître... Faites-le pour Kreattur.

Regulus ne pensait pas pouvoir boire une nouvelle gorgée sans que son corps ne s'enflamme littéralement, mais il était trop faible pour lutter.

Une gorgée.

Deux gorgées.

Trois gorgées.

Et le silence.

Regulus était de retour dans la réalité. Il était recroquevillé sur le sol, le visage contre la pierre. Ses larmes avaient laissé des traînées humides sur ses joues, et sa bouche le brûlait atrocement. Kreattur le regardait craintivement, avec ses yeux pâles et larmoyants, une coupe en argent à la main.

– M. Regulus a réussi, dit l'elfe de sa voix grinçante. Maintenant, le maître doit suivre Kreattur... Pour rentrer vite à la maison.

– Le médaillon, souffla Regulus, à peine audible. Le médaillon...

– Oui, M. Regulus, Kreattur a obéi... Kreattur a remplacé le médaillon.

Tout en essayant d'ignorer la sensation de brûlure qui dévorait son corps, Regulus se redressa, et regarda le médaillon que tenait Kreattur. C'était une pièce superbe, finement ciselée, avec un beau S ornementé, entourée d'une aura puissante et maléfique que Regulus percevait nettement. Du bout des doigts, il effleura le métal glacé ; et avec une immense fierté, il sentit quelque chose se démener au cœur du bijou, comme une protestation furieuse et vaine.

– Nous le tenons, souffla Regulus en esquissant un pâle sourire. Bravo, Kreattur, tu as réussi... Je te félicite.

– Partons, maintenant, décréta Kreattur.

L'elfe prit son maître par la main et eut l'impression que son cœur s'arrêtait. Brusquement, il lui était devenu impossible de transplaner. À l'instant même où il avait touché Regulus, la caverne s'était transformée en une capsule sans issue, entourée de murs d'acier infranchissables. Le square Grimmaurd, qui lui avait semblé si proche une seconde plus tôt, accessible à un simple transplanage, était subitement hors de portée.

– Maître... Kreattur n'y arrive pas ! Kreattur ne peut pas transplaner avec le maître !

– Je le sais, dit Regulus. Les maléfices de Voldemort t'en empêchent... Tu ne peux transplaner que si tu me laisses ici.

Et Kreattur réalisa, avec plus d'horreur encore, que Regulus avait parfaitement prévu ce qui se passait.

– Allons au bateau, M. Regulus ! Levez-vous, Kreattur va vous porter !

– C'est inutile, Kreattur...

– NON ! M. Regulus doit faire vite... Ils vont sortir de l'eau, ils vont attraper M. Regulus...

Avec l'aide obstinée de Kreattur, Regulus parvint à s'agripper au piédestal, puis au bassin, dans lequel brillait une nouvelle potion verte et phosphorescente. Après quelques efforts laborieux, il s'appuya sur ses jambes chancelantes et se leva. Kreattur essayait de le soutenir, du haut de sa petite taille...

Mais il était déjà trop tard.

Autour d'eux, la surface du lac n'était plus lisse comme un miroir. Des remous l'agitaient, et partout où se posaient leurs regards, des têtes et des mains blanchâtres émergeaient de l'eau noire : des hommes, des femmes, des enfants, leurs yeux sans vie luisant dans la pénombre, avançant vers l'îlot rocheux, grimpant souplement sur le bateau que Regulus et Kreattur avaient emprunté pour parvenir jusqu'à l'îlot.

– Va-t'en, Kreattur, ordonna Regulus d'une voix faible. Fuis, rentre à la maison...

– Plus tard, coupa l'elfe. M. Regulus doit essayer !

Regulus regarda Kreattur, qui semblait bien décidé à ne pas l'abandonner ; et cela lui donna la force nécessaire pour se battre encore un peu. Encore tremblant de fièvre, il sortit sa baguette.

In... Inflamare, bredouilla-t-il. Inflamare...

Une gerbe de flammes jaillit devant lui et éclaira d'une lumière orangée le bateau et l'île rocheuse. Les Inferi interrompirent leur avancée, mais les flammes s'évanouirent rapidement dans l'obscurité, et ils reprirent leur progression. Leurs mains osseuses s'agrippaient à la pierre glissante ; le visage décharné, ils fixaient Regulus de leurs yeux vides, flous, leurs haillons détrempés traînant derrière eux.

– INFLAMARE !

Une autre gerbe de flammes apparut, plus puissante, plus soutenue, et Regulus parvint à repousser les Inferi qui se trouvaient devant lui. Il tituba vers le bateau, et ceux qui avaient escaladé l'embarcation verte replongèrent dans le lac, effrayés par la chaleur du brasier. Regulus tendit la main vers le bateau, plein d'espoir, mais un Inferius parvint à esquiver la flamme et à agripper le bras de Kreattur. L'elfe fut arraché à son maître, et l'Inferius l'entraîna sous l'eau...

– Kreattur, non ! STUPEFIX !

D'un geste, Regulus neutralisa l'Inferius qui avait agressé Kreattur. Il plongea pour rattraper l'elfe, et l'attira hors de portée des mains blafardes qui se tendaient vers eux.

Le temps de prononcer l'incantation, les flammes s'étaient de nouveau évanouies. Et Regulus n'eut pas l'occasion d'en faire jaillir d'autres, car un Inferius s'agrippa à ses jambes et lui fit perdre l'équilibre. Il tomba en avant, sa baguette lui échappa des mains et glissa dans l'eau noire, au milieu des cadavres qui se jetèrent sur lui.

– M. Regulus ! s'écria Kreattur.

Il claqua des doigts plusieurs fois, et avec des crac sonores, les Inferi qui tendaient leurs mains vers Regulus étaient projetés vers l'arrière, un par un. Hélas, dès que l'une des créatures tombait, deux autres prenaient immédiatement sa place, progressant inexorablement. En désespoir de cause et au prix d'un effort surhumain, Kreattur traîna Regulus sur la pierre jusqu'au centre de l'îlot rocheux, endroit que les Inferi n'avaient pas encore atteint. Il essaya à nouveau de transplaner, de l'entraîner au loin ; mais sans succès.

– Non, non... Oh non, gémit Kreattur en s'agrippant aux vêtements de Regulus. Maître...

Sous ses yeux, adossé au piédestal, Regulus était livide, vidé de toutes ses forces. Tremblant de fièvre, il se tourna vers Kreattur, et à son regard résolu, l'elfe sut immédiatement ce qu'il allait dire.

– Kreattur... Je...

– Non, pitié, supplia l'elfe. M. Regulus ne doit pas dire ça...

Regulus ne l'écoutait pas. Il rassemblait ses dernières forces pour articuler ses instructions.

– Je t'ordonne de... de prendre ce médaillon... de partir d'ici, immédiatement et sans retour... et de le détruire, par n'importe quel moyen.

– Non ! Kreattur ne veut pas... Kreattur ne veut pas laisser M. Regulus...

– C'est un ordre, Kreattur... Un ordre, tu m'entends ? Tu dois m'obéir ! Va-t’en, maintenant.

– Non, non, Kreattur va réussir... Kreattur va sauver le maître... Kreattur doit réussir...

Les Inferi les encerclaient, prêts à se jeter sur eux. Il ne leur restait plus qu'une poignée de secondes.

Affolé, Kreattur saisit à nouveau le bras de Regulus, ferma ses paupières le plus étroitement possible et essaya une dernière fois de transplaner. Hélas, le même mur d'acier se dressa devant lui, les mêmes chaînes invisibles les retinrent dans la grotte, et Kreattur éclata en sanglots.

– Kreattur n'a pas veillé sur M. Regulus ! Kreattur est un elfe ignoble, indigne de ses maîtres...

Il sentit les mains de Regulus prendre les siennes. Il renifla bruyamment et entrouvrit les yeux, espérant que son maître reviendrait sur ses paroles, et lui demanderait de rester à ses côtés ; mais le sourire désolé que Regulus lui adressait ne laissait aucune place au doute.

– Je te remercie pour tout, Kreattur, dit-il dans un souffle. Et je te dis adieu... Mon ami.

Regulus repoussa doucement les mains de l'elfe, afin de l'inciter à partir. Malgré sa douleur, il s'efforçait de respirer calmement, et Kreattur sentait qu'il se préparait à mourir.

C'est un ordre, se répéta Kreattur, Kreattur n'a pas le choix, Kreattur doit obéir... Il se détourna pour ne pas voir les Inferi se ruer sur Regulus, mais il pouvait tout de même entendre leurs grognements avides et les gémissements étouffés de son maître... C'est un ordre, Kreattur, un ORDRE...

Libéré du poids de Regulus, Kreattur transplana. Autour de lui, tout le vacarme s'éteignit. Les Inferi furent avalés par la pénombre, remplacés par les portraits des membres de la famille Black profondément assoupis. La grotte avait disparu, et la demeure du 12, square Grimmaurd ronronnait, dans un silence qui aurait dû être apaisant.

Au milieu du salon, Kreattur fit un tour sur lui-même, affolé. Il se mit à respirer de plus en plus vite, en proie à l'incompréhension la plus totale, à la panique la plus violente. Comment, pourquoi ? Comment expliquer que tous les portraits qui l'entouraient soient restés impassibles, que les murs tiennent encore debout, que le monde n'ait pas été réduit en cendres ? Comment tous ces objets pouvaient-ils rester aussi immobiles, alors qu'au-dehors, Regulus était en train de perdre la vie ? Cette discordance lui était insupportable.

En pensant qu'il ne verrait plus jamais Regulus franchir la porte d'entrée, lui sourire avec douceur, lui caresser la tête avec une affection que Kreattur n'avait jamais reçue de personne d'autre, l'elfe sentit son cœur se broyer. Oh non, pensa-t-il immédiatement en appuyant sur ses yeux de toutes ses forces, il ne fallait pas pleurer, il allait réveiller sa maîtresse... Sa pauvre maîtresse, que dirait-elle ? Et Regulus qui lui avait ordonné de ne rien raconter...

C'en était trop pour Kreattur. Il tomba à genoux sur le tapis, planta ses ongles dans son crâne chauve et ridé, et laissa échapper un long cri rauque et déchirant, tout en se promettant intérieurement de se punir sévèrement pour ce vacarme – et pour tout le reste.

Dans la grotte, après le départ de Kreattur, Regulus n'opposa aucune résistance aux Inferi. Leurs mains étaient flasques, fripées, gorgées d'eau glacée. Il les sentit attraper avidement ses vêtements, ses bras, ses jambes, ses cheveux ; puis il fut tracté vers l'eau, traîné sur la pierre. Il entendit le bouillonnement de l'eau noire qu'on remuait, et ses bottes se remplirent de liquide gelé. Il tressaillit plusieurs fois, au fur et à mesure que l'eau submergeait son corps, saisi par sa morsure glacée ; mais le moindre de ses mouvements, à peine esquissé, était aussitôt entravé par une force dix fois supérieure à la sienne. Son visage fut immergé, et il fut entraîné vers le fond ; progressivement, autour de lui, l'eau devint plus froide, plus lourde. Sur chaque parcelle de sa peau, les Inferi s'agrippaient à lui, le griffaient avec férocité, à tel point que Regulus ne parvenait plus à décrypter les innombrables signaux d'alarme que lui envoyait son corps. Sa tête semblait sur le point d'exploser, ses tympans lui faisaient mal à en hurler.

Et pourtant, malgré tout cela, il souriait.

Il souriait parce qu'il avait compris quelque chose. D'abord grâce aux paroles réconfortantes de Vera Goyle, puis aux explications érudites du professeur Slughorn, et enfin grâce à la confiance absolue qu'il avait gardée en Kreattur, même à l'extrémité de la souffrance, il avait eu la preuve que les plus nobles sentiments pouvaient résister aux épreuves les plus cruelles, et vaincre les forces les plus maléfiques. C'était une conviction imprécise, certes, mais inébranlable : s'il avait su vaincre la puissance de Voldemort et déjouer ses plans, à la simple force de son courage et de son sacrifice, alors d'autres le feraient après lui. Voldemort était bel et bien faillible, et tôt ou tard, il serait vaincu, c'était une évidence.

Réconforté par cette pensée, Regulus ne prêtait aucune attention aux Inferi qui l'entraînaient vers le fond, et contemplait avec sérénité la surface de l'eau qui miroitait au-dessus de lui, de plus en plus lointaine, de plus en plus trouble.

Lorsqu'il eut trop froid, et que la douleur qui lui vrillait les tympans devint insupportable, Regulus ferma les yeux. Soulagé, il se laissa happer vers l'obscurité, vers un monde tiède et silencieux où il ne trouverait ni douleur ni dispute, ni parents malheureux, si grand frère moqueur. Au fond du lac, ses muscles se relâchèrent, laissant l’eau déferler en lui.

Et tout devint paisible.


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