Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 14 : La lâcheté du professeur Slughorn

7818 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 2 mois

La lâcheté du professeur Slughorn




Regulus passa les jours suivants au chevet de Kreattur, qui n'avait de cesse de quitter la table où ses maîtres l'avaient installé pour dormir dans le réduit crasseux qui lui servait habituellement de chambre.

Au fur et à mesure du rétablissement de son elfe de maison, Regulus sentait grandir en lui une haine indicible contre Lord Voldemort. Il réalisait qu'il n'avait vu en lui que ce qu'il avait voulu voir : un moyen d'obtenir le respect de ses semblables, pour lui et pour sa famille. Il avait naïvement fait abstraction de tout le reste, et Kreattur avait bien failli en payer le prix fort... Lui qui avait pourtant envisagé sérieusement de devenir un de ses plus proches disciples, il était désormais révolté par le mépris qu'il accordait à toute vie, humaine ou d'autre nature. Le sourire cruel et impitoyable qu'il avait eu en emportant Kreattur avec lui hantait toutes les nuits de Regulus, tout comme la manière onctueuse et caressante dont il avait parlé à Bellatrix, avec ses mots qui s'enroulaient autour d'elle à la manière d'un serpent...

Quant à l'ambition que Regulus avait autrefois concentrée autour de son avenir de Mangemort, il la consacra immédiatement à un autre projet : nuire à celui qui l'avait déçu et trompé, qui avait essayé de lui arracher un être cher à ses yeux, et qui se servait comme d'une marionnette de sa cousine bien-aimée.

Kreattur était très affaibli, mais après quelques jours de convalescence, Regulus parvint à lui arracher un récit cohérent de son excursion en compagnie de Voldemort. Comme Vera l'avait deviné, Kreattur était persuadé d'avoir accompli la volonté de son maître en suivant Voldemort ; malgré la répugnance que Regulus ressentait en entendant son elfe affirmer que c'était son jeune maître qui lui avait demandé de suivre le Seigneur des Ténèbres et d'obéir à ses ordres, Regulus se garda bien de le contredire, de peur que Kreattur ne se punisse à nouveau à l'idée d'avoir été manipulé.

Après avoir quitté le manoir des Malefoy, Voldemort avait donc emmené l'elfe dans une grotte qui contenait un grand lac noir, qu'ils avaient traversé à l'aide d'une barque pour arriver sur un îlot minuscule, où se trouvaient un médaillon précieux et un bassin rempli de potion. Sous la contrainte, Kreattur avait bu toute la potion verte, Voldemort avait mis dans le bassin vide le mystérieux médaillon, puis il avait à nouveau rempli le bassin de potion, avant de partir en laissant Kreattur mourant sur l'îlot.

Ce médaillon obsédait Regulus. Il en connaissait déjà l'existence, puisque ses parents en possédaient une réplique fidèle, exposée comme un trophée dans une des armoires du salon : d'après la description détaillée que Kreattur lui en avait faite, il s'agissait du véritable médaillon de Salazar Serpentard, une relique vénérée par toutes les familles de Sang-Pur, même si on le croyait disparu depuis bien longtemps...

Pendant ses longues nuits d'insomnies, dans son grand lit vide où Bellatrix ne reviendrait plus, une autre anecdote lui revint en mémoire : quelques mois plus tôt, Cissy lui avait confié qu'elle n'osait plus se promener seule dans un des couloirs de l'aile Est du manoir, depuis que Lucius y avait dissimulé un objet mystérieux auquel Voldemort semblait accorder énormément d'importance... D'après Narcissa, il émanait de cet objet une aura extrêmement puissante, qui rendait chaque ombre menaçante et semblait envahir tout ce qui se trouvait à proximité...

Tout en se retournant dans son lit pour la énième fois, Regulus fit l'hypothèse que l'objet dont parlait Narcissa – elle ne l'avait pas vu, mais l'avait seulement senti – n'était autre que ce précieux médaillon : Voldemort l'avait sans doute confié à Lucius pendant quelque temps, avant de lui trouver une cachette mieux défendue. Mais à quoi pouvait bien servir ce médaillon ? Pourquoi Voldemort tenait-il tant à le protéger ? Quelle importance pouvait-il avoir à ses yeux, quels pouvoirs maléfiques recelaient-il ? Et surtout : comment s'en emparer, si cela pouvait, d'une manière ou d'une autre, nuire à ce monstre ?

Une semaine passa sans que Regulus ne trouve de réponse à tous ces questionnements. Or, c'était précisément la date à laquelle il devait avertir le professeur Slughorn de sa décision concernant sa proposition de poste de professeur de Potions à Poudlard. Ils avaient prévu de se rencontrer à ce moment-là : Slughorn lui avait confié un Portoloin qui permettrait à Regulus de le rejoindre là où il passait ses vacances d'été, dans un lieu soigneusement tenu secret.

Ce soir-là, Regulus revêtit donc sa cape de velours noir et s'empara du Portoloin que Slughorn lui avait confié – une bouteille d'hydromel vieilli en fût.

Après avoir soigneusement déballé la bouteille en pensant à la lueur gourmande qui s'allumerait dans le regard du professeur Slughorn lorsqu'il apercevrait la boisson, Regulus la saisit à pleines mains. Aussitôt, il eut la sensation que la bouteille se mettait en mouvement et le tirait vers l'avant. Ses pieds quittèrent le sol de sa chambre, il passa au travers d'un tourbillon de couleurs et de sons, et ses semelles de cuir atterrirent sur le gravier d'un petit jardinet, entouré de haies obscures et impénétrables.

À peine avait-il atterri qu'une voix puissante, semblant venir d'outre-tombe, s'éleva autour de lui, bien que personne ne fût visible.

– Tremble, mortel ! Tu t'apprêtes à pénétrer la demeure d'un mage dont les pouvoirs dépassent ta misérable imagination... Ne fais pas un pas de plus, car tu risques fort d'y laisser la vie...

Regulus leva sa baguette, et éclaira les haies d'une lueur bleutée. Il ne vit rien, mais dans la voix d'outre-tombe, il reconnut une intonation craintive, étonnamment familière...

– Professeur ? appela Regulus en retirant son capuchon. C'est moi... Regulus.

Il y eut un silence.

– Ahem, reprit la voix d'outre-tombe. Eh bien, si tu es vraiment Regulus Black... Je te somme de me donner la potion préférée du professeur Slughorn, et ce que vous avez dit à ce sujet lors de votre dernière entrevue...

Regulus soupira. C'était une des dernières instructions données par le Ministère au travers de La Gazette du Sorcier. Poser une question dont seul son interlocuteur était capable de connaître la réponse permettait de s'affranchir des imposteurs qui utilisaient du Polynectar pour s'introduire chez les cibles de Voldemort, et également de détecter si l'intéressé n'avait pas l'esprit embrumé par un sortilège de l'Imperium un peu trop grossier.

Regulus se creusa donc les méninges pendant quelques secondes avant de déterrer ce souvenir, qui lui semblait déjà incroyablement lointain.

– C'est la potion Felix Felicis, bien sûr... Et le professeur Slughorn m'a demandé si je n'en avais pas pris lors de mes ASPIC.

– Et la réponse...

– Est toujours non, évidemment.

Les haies obscures qui entouraient Regulus s'écartèrent, et une maison de taille modeste, éclairée par une lumière chaleureuse apparut devant lui.

– Désolé pour ce petit numéro, Regulus, dit le professeur Slughorn en ouvrant la porte. On n'est jamais trop prudent, n'est-ce pas ?

Un petit gloussement fit remuer l'énorme moustache de morse qui ornait sa lèvre supérieure. Il portait un pyjama couleur lilas, et une veste de velours bordeaux aux boutons soigneusement astiqués, écartelés par son ventre de plus en plus proéminent.

– Approche, mon garçon, dit Slughorn en s'écartant pour le laisser entrer dans sa maison. Ah, quel bonheur de te voir ! Je commençais à me demander si tu ne m'avais pas oublié...

Regulus entra en frôlant l'énorme ventre du professeur Slughorn. Dans sa petite maison, le vestibule, le salon et la cuisine ne formaient qu'une seule pièce, encombrée de courriers et de sucreries, meublée par une table basse et deux fauteuils disposés près du grand feu qui brûlait dans la cheminée. Partout, des centaines de photos d'anciens élèves ornaient les murs, semblables à des trophées de chasse.

– Comme tu as fière allure, avec cette belle cape ! le félicita Slughorn. C'est de chez Tissard et Brodette, non ? Tu savais que Camilla Brodette était une de mes élèves favorites, à l'époque ? C'est elle qui m'a offert ce fabuleux pyjama.

– Ah, très bien, dit mécaniquement Regulus en abandonnant sa cape sur la patère que lui désignait le professeur Slughorn.

– Tu tombes à pic, en tout cas, je n'avais plus d'hydromel ! s'exclama Slughorn avec enthousiasme. Ingénieux, d'utiliser ces bouteilles comme Portoloin, tu ne trouves pas ? De cette manière, je suis certain d'avoir toujours de quoi me désaltérer quand quelqu'un me rend visite... Allons, assieds-toi, et servons-nous un petit verre...

Il désigna deux fauteuils moelleux auprès de la cheminée, et Regulus s'assit docilement dans le plus proche des deux.

 – Tiens, tiens, prends aussi un peu d'ananas confit... Tu n'as pas très bonne mine ! Tu passes trop de temps à étudier, j'imagine ? Que veux-tu, le succès a un coût...

Regulus haussa les épaules, l'esprit un peu engourdi. Plongé depuis des jours dans ses réflexions à propos du mystérieux médaillon de Voldemort, il n'avait pas vraiment réfléchi à la proposition que Slughorn lui avait faite. Devenir professeur de Potions à Poudlard était tentant, bien sûr, mais depuis, il y avait tant de choses qui semblaient plus importantes à ses yeux... Détruire Voldemort, par exemple, et arracher Bellatrix à ses griffes malveillantes...

– Merci, dit-il distraitement quand Slughorn lui tendit un verre d'hydromel.

– J'ai aussi préparé ça pour toi, ajouta Slughorn en lui tendant des coupures de journaux. J'ai enfin eu un peu de temps pour faire des recherches sur le sujet dont tu m'avais parlé...

Un peu hébété, Regulus regarda les quelques articles que lui tendait le professeur Slughorn et comprit qu'il faisait référence aux questions qu'il lui avait posées plusieurs années auparavant, à propos des sorcières qui n'arrivaient pas à concevoir d'enfant. Désireux d'aider sa cousine Narcissa, Regulus avait dû insister à plusieurs reprises pour obtenir l'aide de Slughorn, et le professeur avait chaque fois oublié de s'y atteler ; mais cette fois-ci, visiblement désireux de s'attirer les faveurs de Regulus et de le convaincre d'accepter son offre, Slughorn avait enfin réuni plusieurs éléments de réponse.

– Aussi surprenant que cela puisse paraître, il semblerait que même les Moldus soient plus compétents que nous à ce sujet, gloussa Slughorn. Tous ces articles parlent de sorcières qui sont tombées enceintes très facilement grâce à des soins moldus, après des années d'errance auprès des meilleurs Médicomages de Sainte-Mangouste... Étonnant, n'est-ce pas ? Et d'ailleurs, pourquoi t'intéressais-tu à ce problème ?

– C'est sans importance, répondit Regulus en fourrant les articles dans sa poche. Merci pour votre aide, professeur.

Slughorn parut un peu désarçonné par sa mauvaise humeur, mais il se reprit rapidement.

– Bien, bien, comme tu voudras... Alors, raconte-moi un peu, mon garçon... Comment se passent tes vacances ?

Regulus trouvait le ton du professeur Slughorn un peu trop enjoué pour les circonstances. En le regardant plus attentivement, il remarqua que son sourire était forcé, et que ses mains tremblaient un peu.

– Un peu maussades, avec ces assassinats à répétition, répondit Regulus. Et vous ?

Il se rendit compte qu'il avait parlé un peu trop sèchement, mais n'en éprouva aucun remords.

– Ah, oui, dit Slughorn, de plus en plus crispé. Bien sûr, bien sûr, tout cela est vraiment terrible... Mais enfin, nous ne pouvons pas faire grand-chose, n'est-ce pas ? Il faut faire confiance au Ministère, au Bureau des Aurors...

– Parce que vous trouvez qu'ils s'en sortent bien ? Depuis quelques mois, j'ai l'impression qu'ils sont totalement dépassés.

Slughorn prit une grosse gorgée d'hydromel, dont une partie coula sur son menton.

– Il faut savoir rester à sa place, assura-t-il comme s'il essayait de se convaincre lui-même. Et ma place est à Poudlard... Pas ailleurs. Non, certainement pas ailleurs.

Slughorn essaya de sourire, mais son rictus ressemblait plutôt à une grimace gênée.

– Mais, enfin, tu n'es certainement pas venu pour me parler des actes affreux perpétrés par les Mangemorts... As-tu réfléchi à ce dont nous avons discuté la dernière fois ?

– Pas vraiment, avoua Regulus.

Slughorn eut l'air embêté.

– Il faudrait que tu me donnes ta réponse rapidement, Regulus, dit Slughorn. Si je dois te prendre comme assistant l'année prochaine, il faut que je prévienne Dumbledore, que je prenne le temps de le convaincre...

– De le convaincre ?

Slughorn s'étrangla avec un morceau d'ananas confit, et fut pris d'une effroyable quinte de toux.

Anapneo, dit Regulus en pointant sa baguette sur lui pour libérer ses voies respiratoires. Vous pensez que Dumbledore sera réticent à m'accueillir de nouveau, professeur ?

– Oh, je... Je n'en sais rien, toussota Slughorn. Peut-être... Il faudra aménager une chambre supplémentaire...

– Je doute que cela représente un véritable obstacle, dit Regulus, dubitatif.

Slughorn lui lança un regard de biais. Son attitude était de plus en plus étrange.

– Qu'y a-t-il, professeur ?

– Regulus...

Slughorn fixa le fond de son verre avec intensité, comme s'il essayait d'en faire bouillir le contenu.

– Tu dois comprendre que... par les temps qui courent, il faut rester vigilant. Et Dumbledore est un homme de prudence... Il m'a simplement mis en garde...

Regulus comprit soudain la raison de l'anxiété de Slughorn.

– Dumbledore pense que je suis un Mangemort ?

– Oh, bien sûr, je n'accorde aucun crédit à ces soupçons sans queue ni tête ! Un garçon gentil comme toi ? Je n'y crois pas une seconde, voyons, c'est absurde...

Mais tout en disant cela, il regarda avec insistance le bras gauche de Regulus, puis se détourna précipitamment, comme s'il avait peur de se brûler les yeux.

– C'est Sirius qui lui a dit ça, n'est-ce pas ?

– Regulus, enfin...

– Répondez, professeur.

– Je n'en sais rien... Peut-être.

Regulus poussa un long soupir, et s'affaissa dans son siège.

– Il ne faudra pas grand-chose pour convaincre Dumbledore de ta bonne foi, Regulus, dit Slughorn. Lui montrer ton avant-bras... Le laisser explorer quelques-uns de tes souvenirs... Peut-être une ou deux gouttes de Veritaserum, et il sera convaincu, je n'en doute pas.

Regulus passa une main sur son visage. Évidemment, Slughorn refusait de croire à ces soupçons. Il avait passé tant de temps à former Regulus, à faire de lui son apprenti... Il avait placé tant d'espoir en lui... Il voulait le voir reprendre le flambeau, continuer de repérer les jeunes gens influents pour son compte, pérenniser les réunions du Club de Slug...

Mais Regulus en avait assez de mentir à tout le monde.

– Le problème, professeur, c'est que...

Lentement, il remonta la manche gauche de son pull-over. À la vue de la Marque des Ténèbres, étirée et déformée par les cicatrices de Regulus, Slughorn sembla se liquéfier.

– Non, dit-il, catastrophé. Non, ce n'est pas vrai...

Regulus poussa un long soupir de lassitude.

– De toute manière, je n'en fais plus partie. J'ai changé de camp.

Les yeux de Slughorn s'attardèrent sur l'avant-bras noirci de Regulus, puis son double menton trembla encore plus intensément.

– Changé de camp... Comment ça, changé de camp ? Que veux-tu dire ?

– J'ai quitté les Mangemorts, dit Regulus. Il y a une semaine.

Slughorn se leva d'un bond, avec une vigueur étonnante.

– Mais... enfin, Regulus ! Tu... Tu es probablement recherché... par tous les Mangemorts...

– Oui, sûrement.

– Et tu viens me rendre visite, comme si de rien n'était ? As-tu une idée du danger que tu me fais courir ?

Regulus haussa les épaules. Slughorn, lui, semblait terrifié.

– Je crois qu'il vaudrait mieux que tu partes, dit-il dans un souffle en allant précipitamment fermer toutes les fenêtres.

En entendant Slughorn claquer laborieusement les volets, murmurant des paroles affolées, Regulus se sentit envahi par un immense découragement. Une fois de plus, il se retrouvait seul. Ni Dumbledore, ni Slughorn, ni aucun professeur, personne ne lui ferait plus jamais confiance, c'était évident. Il se retrouvait coincé entre deux camps, inutile et impuissant.

– Écoute, Regulus, ça n'est pas contre toi, mais...

– J'aurais espéré un peu plus d'aide de votre part, professeur.

La solitude de Regulus lui parut soudain insoutenable. Il se sentait abandonné, rejeté, répudié. Une colère sourde montait en lui, et avec elle, l'envie de causer du chagrin au professeur Slughorn, par n'importe quel moyen, l'envie de lui faire goûter, à lui aussi, ce sentiment de condamnation injuste...

– Vous vous souvenez de Bellatrix, professeur ? dit-il en se levant.

– Regulus, je ne voudrais pas que tu t'attardes trop... Quelqu'un est peut-être à tes trousses, en ce moment même...

– Répondez, dit Regulus en haussant la voix. Vous vous souvenez bien d'elle, n'est-ce pas ? C'était votre élève préférée, à l'époque. Vous vous souvenez de son talent prodigieux, de sa curiosité ? De son insolence irrésistible ? De cette lueur gourmande dans son regard lorsqu'elle mangeait des confiseries ? De la passion qui l'animait, lorsqu'elle parlait de la formidable puissance magique qui bouillonnait en elle ?

Slughorn ne répondit rien, mais Regulus sentit qu'il était troublé.

– Eh bien, il n'en reste rien, asséna Regulus. Vous-Savez-Qui l'a détruite. C'est pour ça que je suis parti, professeur... Je n'ai pas pu le supporter. C'était tellement facile, pour lui... Elle était tellement seule... Pendant des années, il a eu le champ libre pour lui retourner le cerveau, pour la manipuler, et personne ne s'en est rendu compte...

– Regulus, enfin... J'ai fait tout ce que je pouvais...

– Vous avez essayé d'empêcher son renvoi, oui, je sais ! Mais ensuite ? Une fois que le mal était fait ? Une fois qu'elle avait perdu sa valeur aux yeux de tous ? Lui avez-vous envoyé une seule lettre pour lui demander de ses nouvelles ? Lui avez-vous tendu une main secourable, lui avez-vous proposé un poste quelque part, n'importe où, afin de l'empêcher de sombrer ? Non, n'est-ce pas ?

D'un geste, Regulus désigna tous les visages qui souriaient avec fierté dans leurs petits cadres dorés, parfaitement ordonnés.

– À quoi servent toutes ces photos, toutes ces lettres, si vous n'êtes même pas capable de nous aider lorsque nous avons besoin de vous ? Vous nous exposez là, comme une avalanche de trophées, une collection de vignettes... Et puis après ? Au premier danger, à la première difficulté, vous nous abandonnez, parce que vous considérez que nous ne valons plus rien ?

La voix de Regulus se brisa légèrement, et un long silence s'ensuivit. Slughorn était rouge écarlate, en partie à cause de l'hydromel, sans doute, mais peut-être aussi – c'était, en tout cas, ce que Regulus espérait – à cause de la honte qu'il ressentait.

– Détruite, dis-tu ?

– Anéantie.

Les genoux de Slughorn fléchirent, et il se rassit dans son fauteuil. Regulus n'était pas très fier de lui, mais il se sentait un peu mieux, maintenant qu'il s'était déchargé d'une partie de sa colère.

– J'aimais beaucoup Bellatrix, murmura Slughorn.

Regulus ne répondit rien. L'expression de cette affection lui était presque insultante. Lui, Regulus, avait fait tellement de choses pour que Bellatrix ne sombre pas complètement dans la folie... Pour rester à ses côtés, il l'avait suivie jusqu'à des extrémités difficilement imaginables, jusqu'au champ de bataille du pensionnat Wimbley, jusqu'aux rangs des serviteurs les plus intimes de Voldemort, une quête qui avait bien failli coûter la vie à Kreattur... Et voilà que le professeur Slughorn, qui avait probablement effacé Bellatrix de sa mémoire dès l'instant où elle avait posé le pied hors de Poudlard, prétendait avoir de l'affection pour elle, et pire encore, il prétendait être attristé par ce qu'elle était devenue !

– Il n'y a rien de pire que de perdre un élève de vue, ajouta Slughorn. Non, rien de pire. Oh, décidément, quel gâchis... Une de mes plus grandes déceptions... Si vive, si brillante... Moi qui la voyais faire de si grandes choses...

Slughorn prit une photo qui était posée sur une étagère, non loin de lui.

– Le dernier jour où je l'ai vue... C'est drôle, au même moment, j'ai reçu la visite d'un de mes élèves favoris... Lui aussi a mal tourné, je le crains... Vendeur dans l'Allée des Embrumes, puis je ne l'ai plus jamais revu... Tom Elvis Jedusor... Je n'ai plus jamais vu d'élève aussi talentueux !

C'en était trop pour Regulus. Supporter les litanies de Slughorn était au-delà de ses forces. Lui-même se sentait idiot, tout à coup, d'avoir tant vénéré ce professeur qui était en train de le mettre à la porte sans lui proposer aucune aide. Car s'il avait naïvement cru qu'il représentait aux yeux de Slughorn davantage qu'un élève brillant issu d'une dynastie renommée, il lui apparaissait maintenant évident que l'affection du professeur s'arrêtait là où commençait le moindre danger. Comment avait-il pu le côtoyer toutes ces années sans s'apercevoir de cet opportunisme écrasant ? Comment avait-il pu être aussi naïf ? Comment avait-il pu placer sa confiance en des adultes tels que son père, Voldemort ou son professeur de Potions, et ne pas s'apercevoir qu'ils se servaient de lui comme d'une marionnette ?

– Pauvre Tom, soupira Slughorn. Et quel maudit jour que celui du renvoi de Bellatrix ! Je m'en souviens comme si c'était hier. Si j'avais su que je voyais pour la dernière fois mes deux plus brillants élèves... Et Tom, pourquoi donc a-t-il décidé de disparaître dans la nature ? J'aurais dû le retenir, ce jour-là... Mais il est parti, suivant le même chemin que Bellatrix...

Alors qu'il tendait le bras pour attraper sa cape, Regulus se figea.

– Je le vois encore s'éloigner à sa suite ! Tiens, ils se sont peut-être même croisés en sortant... Ah, ils auraient eu beaucoup de choses à se dire, tous les deux.

Dos au professeur Slughorn, Regulus ne bougeait toujours pas. Dans son esprit, plusieurs choses s'étaient subitement liées, mais il n'arrivait pas encore à les exprimer clairement.

J'ai rencontré un très grand professeur, claironnait Bellatrix du haut de ses quinze ans, avec le menton un peu relevé. Mais je ne peux pas te donner son nom, c'est un homme très secret...

­– Tom Elvis Jedusor, répéta-t-il, un peu sonné par la supposition qu'il venait de faire.

– Oui, vraiment, un garçon brillant, oh, si brillant... J'aurais beaucoup aimé avoir de ses nouvelles. Tu as raison, Regulus, je ne me renseigne pas assez sur le devenir de mes petits protégés.

Le souffle court, Regulus se retourna, s'approcha du professeur Slughorn d'un pas incertain, et lui arracha la photo encadrée qu'il tenait entre les mains. Le professeur Slughorn s'y tenait debout, beaucoup plus jeune, beaucoup moins chauve, entouré d'une demi-douzaine d'élèves. Le plus beau d'entre eux était aussi le plus grand, et le plus proche du professeur Slughorn. Il avait des cheveux bruns, bouclés, des pommettes bien dessinées... Il était méconnaissable, et pourtant... Ce sourire charmeur, ce regard caressant, envoûtant...

– C'est lui, dit Regulus en le désignant.

– Bien sûr que c'est lui ! Tu crois que je suis déjà sénile au point de confondre mes élèves favoris ?

– C'est Lord Voldemort, dit Regulus d'une voix plus forte, indifférent à la plaisanterie de Slughorn.

Slughorn sursauta, il regarda tout autour de lui, et ses joues tremblotèrent un peu.

– Ciel ! Regulus, enfin, as-tu perdu la tête ? Prononcer ce nom à tort et à travers... C'est d'une inconscience...

– Professeur, écoutez-moi ! s'emporta Regulus. Je le reconnais. Je l'ai côtoyé, dois-je vous le rappeler ? Tom Jedusor et Lord Voldemort sont une seule et même personne. Il faut que vous me croyiez !

– Oh non, Regulus... Mon garçon...

Regulus ne prêta aucune attention au désarroi du professeur Slughorn, et le prit par l'épaule pour le forcer à l'écouter.

– Vous le connaissiez bien, n'est-ce pas ?

Le professeur Slughorn ouvrit la bouche, puis la referma.

– Dans ce cas, vous pouvez peut-être m'aider, dit Regulus. Écoutez, professeur... Je dois trouver un moyen de l'arrêter...

Slughorn resta pantelant, sidéré, pendant que Regulus se rasseyait à côté de lui pour lui exposer en détail la manière d'agir et de raisonner de Lord Voldemort. Quand Regulus en vint à lui parler du médaillon que Voldemort semblait avoir dissimulé avec autant de précautions, le teint de Slughorn prit la même teinte que le mur de plâtre qui se trouvait derrière lui.

– Vous savez de quoi il s'agit, n'est-ce pas ?

À nouveau, le silence fit office de réponse.

– Il faut que vous m'aidiez, professeur.

– C'est impossible, bredouilla Slughorn. Impossible.

Ses doigts tremblants retenaient à peine son verre d'hydromel, qui menaçait de se renverser à tout moment sur le sol.

– Oh, misère, murmura-t-il encore plus bas. Qu'ai-je fait, Regulus ? Qu'ai-je fait ?

– Expliquez-moi, ordonna fermement Regulus. Il faut que vous m'aidiez, professeur. Pour Bellatrix... Et pour tous les autres.

– Pour tous les autres, chevrota Slughorn d'une toute petite voix.

Regulus faisait tout son possible pour ne pas perdre son calme. Avec son menton tremblotant, ses yeux larmoyants, son énorme moustache grisonnante et son pyjama à boutons dorés, Slughorn ne lui avait jamais paru aussi méprisable. Que l'issue de la guerre soit entre les mains de cet homme-là rendait Regulus fou de rage.

– Il faut l'arrêter, dit encore Regulus. Et je sais que vous êtes d'accord avec moi, je sais que vous êtes du bon côté... Expliquez-moi, je vous en prie.

La flatterie et la supplication eurent finalement l'effet escompté. Sans crier gare, Slughorn se leva et marcha droit vers sa bibliothèque. Là, il retira des étagères plusieurs livres soigneusement choisis, et les posa sur une petite table.

– Celui-là, celui-là... Et... Voyons... Oui, celui-là en dernier...

Regulus le regardait faire, parfaitement immobile et silencieux, de peur de briser l'élan si laborieusement obtenu. Quand Slughorn eut retiré une demi-douzaine de livres, il se tint face à la bibliothèque, et attendit.

– Et voilà, souffla-t-il.

Regulus fronça les sourcils et se leva pour s'approcher à son tour de la bibliothèque. Aux emplacements libérés par les grimoires que Slughorn avait retirés, le vide s'était mis à miroiter ; des inscriptions verticales apparurent, flottant dans les interstices obscurs, puis du cuir usé surgi de nulle part combla le vide laissé entre les grimoires. Des tranches de livres se matérialisèrent alors, plus vieilles et plus épaisses que les autres, portant des inscriptions difficilement déchiffrables – des runes.

Slughorn tendit la main vers un énorme grimoire qui venait d'apparaître, et l'extirpa de la bibliothèque.

– Des ouvrages très sombres... Très rares et très anciens... Je les ai étudiés par simple curiosité... Mais je préférais qu'ils ne soient pas visibles dans ma bibliothèque, tu comprends...

Grâce à l'influence de son père et aux cours d'étude des runes qu'il avait suivis à Poudlard, Regulus savait parfaitement déchiffrer ces écritures anciennes et mystérieuses. En l'occurrence, il devina immédiatement que l'ouvrage que lui tendait Slughorn parlait de magie noire : le premier symbole, très obscur, représentait le mal ; le deuxième, plus détaillé et plus grand, la puissance ; et le troisième, finement gravé sur le cuir, représentait le savoir. Au-dessous, une enluminure représentait un sorcier au profil grec et à la musculature puissante, armé d'un spectre, enveloppé par un gigantesque serpent au regard cruel...

– Herpo l'Infâme ?

Slughorn abandonna furtivement son expression catastrophée pour grimacer un pâle sourire.

– Je ne t'ai pas sous-estimé, mon garçon, dit-il avec une pointe de regret. Tu es bel et bien le sorcier le plus intelligent de ta génération.

Regulus haussa les épaules. Il n'avait aucun mérite : son père lui avait parlé maintes et maintes fois de ce sorcier antique et légendaire, qui avait découvert le moyen de mettre au monde un serpent gigantesque, doté de pouvoirs maléfiques et capable de tuer n'importe qui d'un simple regard. Regulus ne gardait pas un très bon souvenir de ces conversations : à chaque fois, il lui semblait que son père lui reprochait, dès sa plus tendre enfance, de ne pas être déjà aussi puissant que le célèbre mage noir.

– Il s'agit des notes personnelles dudit Herpo, dit Slughorn. Un ouvrage extrêmement convoité. Un de mes anciens élèves, un Briseur de sort très renommé, a effectué de nombreuses expéditions en Grèce, et m'a ramené cet ouvrage après l'une de ses fouilles dans la région où vivait Herpo... Il était exposé dans un temple moldu, depuis une époque bien antérieure au Code international du Secret Magique. Je rechignais à le conserver ici, mais j'ai pensé que cela éviterait qu'il ne tombe en de mauvaises mains...

À nouveau, Slughorn se perdit dans ses pensées.

– Est-ce que Tom Jedusor a vu ce livre ? demanda Regulus.

Slughorn baissa les yeux, et déglutit avec difficulté.

– Asseyons-nous, dit-il à mi-voix.

Il posa une main sur l'épaule de Regulus, et ils se rasseyèrent sur les deux fauteuils qui étaient proches du feu.

– Il faut que tu saches, Regulus... que je n'ai jamais, jamais encouragé Tom Jedusor à faire tout ce qu'il a fait.

– Je le sais, professeur. Je vous crois.

Slughorn eut une petite grimace qui ressemblait à une expression de reconnaissance.

– Tom s'intéressait à beaucoup de choses... Tout comme moi, et tout comme toi d'ailleurs, il était d'une curiosité insatiable... Et il était si poli, si gentil... Je ne croyais pas une seconde... Je ne pensais pas qu'il puisse utiliser tout ce savoir que je lui délivrais à mauvais escient...

– Je vous crois, professeur, répéta Regulus. Continuez.

Slughorn ouvrit le grimoire et le feuilleta avec une maladresse exagérée – Regulus le soupçonnait de vouloir retarder à tout prix le moment où il lui révèlerait la nature du médaillon de Voldemort. Enfin, d'une main tremblante, Slughorn ouvrit plus franchement le grimoire, qui dégagea un petit nuage de poussière, et désigna un symbole au milieu d'une page parcheminée et craquelée par le temps.

Penché sur le grimoire, Regulus fronça les sourcils, envahi par un certain malaise. Le dessin représentait un sablier horizontal, brisé en deux, dont les deux moitiés contenaient une matière difficilement identifiable. Bien que le dessin fût immobile, Regulus avait la nette impression que le contenu du sablier brisé en deux grouillait, bouillonnait avec fureur sur la page de parchemin. C'était un sentiment inexplicable, comme si le dessin enflait, envahissait l'espace autour du grimoire et menaçait de s'emparer de Regulus, à tel point qu'il dut détourner les yeux pour s'extraire de sa contemplation.

– Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il avec inquiétude.

– C'est...

Le teint de Slughorn avait pris une teinte verdâtre. Vomir son dernier repas semblait lui être préférable à la prononciation du mot fatidique.

– Un... Un Horcruxe, acheva-t-il finalement.

Il avait parlé si bas que Regulus doutait d'avoir bien entendu, mais renonça à lui faire répéter le mot.

– Il s'agit de quelque chose de si horrible que c'en est difficilement imaginable, expliqua Slughorn. Le procédé le plus maléfique de l'histoire de la magie, sans aucun doute... Il s'agit de rompre les arcanes du temps, de braver ce que notre propre nature a de plus humain, de défier la Mort elle-même en l'utilisant à sa propre encontre...

Regulus fut parcouru d'un léger frisson. L'idée de puissance et de prouesses légendaires avait toujours le même effet sur lui – une envie mêlée de fascination, dont il avait parfois honte. Il ne pouvait pas s'empêcher de penser qu'en d'autres circonstances, grâce au talent magique et à l'intelligence dont il était pourvu, il aurait pu, lui aussi, accomplir de tels exploits, inspirer la crainte et forcer l'admiration, entrer dans l'Histoire de la magie et devenir le sorcier le plus éminent de la lignée des Black...

– Un... Horcruxe est un objet qui contient un fragment d'âme humaine, résuma Slughorn. Pour en posséder un, le sorcier doit séparer lui-même son âme en deux, et en cacher une partie dans un objet choisi... Et ainsi... Ainsi, il peut devenir immortel... Car même si son corps subit une blessure fatale, une partie de son âme reste solidement ancrée dans le monde des vivants... Oh, bien sûr, personne ne voudrait vivre dans cet état informe, asservi à un objet inerte... Un état pire que la mort, à bien des égards.

Regulus buvait les paroles du professeur Slughorn, captivé. Ainsi, certains sorciers avaient accompli quelque chose que personne avant eux n'avait osé imaginer, ils avaient défié les lois du réel, les limites de la matière et du vivant, pour accéder à l'immortalité... Et malgré la haine qu'il ressentait pour Lord Voldemort, il ne put s'empêcher d'admirer la prouesse dont parlait le professeur Slughorn.

– Comment est-ce possible, professeur ? Comment peut-on séparer son âme en deux ?

– Eh bien... Au moment où le sorcier ôte la vie d'autrui, son âme se retrouve fragilisée par cet acte d'une cruauté inouïe... Son équilibre est menacé, à tel point que certains en perdent la raison. Mais d'autres peuvent profiter de cet état instable pour en dissoudre l'intégrité. Ils se délestent ainsi d'une partie de leur âme, et cette dernière, ainsi fragmentée, devient plus obscure encore, à peine humaine... Plus que puissant et habile, pour accomplir une telle chose, il faut donc être effroyablement cruel, éprouver un mépris absolu pour la vie, être indifférent à toute humanité.

Regulus hocha la tête, fasciné. La puissance avait donc un prix : celui de la cruauté, de la domination, de la malfaisance pure – et Regulus ne se reconnaissait dans aucun de ces attributs. C'était sans doute ce qui le distinguait des sorciers qui s'étaient aventurés dans les tréfonds de la magie noire : malgré son ambition et sa quête désespérée de reconnaissance, il possédait une profonde sensibilité, dont beaucoup s'étaient moqués, et qui l'avait indéniablement rendu vulnérable, mais qui l'avait également préservé des tentations les plus obscures et permis de voir le vrai visage de Lord Voldemort.

– Et cet objet choisi pour servir d'Horcruxe... Reste-t-il relié à son possesseur ?

– Oui, confirma Slughorn. Oh, bien sûr, ce lien est extrêmement ténu, et se fragilise avec le temps. Mais il est toujours possible de relier les deux fragments d'âme et de les réassembler...

– Comment ?

Regulus ne lui laissait aucun répit, bien décidé à extraire le savoir du professeur Slughorn jusqu'à la dernière goutte.

– Par un procédé hautement improbable, disons-le. Il faut que le mage noir éprouve du remords à propos des crimes qu'il a commis, qu'il prenne la mesure de toute leur horreur. Mais il faut, pour cela, retrouver un semblant d'humanité, chose pratiquement impossible quand on arrive à ce stade de noirceur et de cruauté...

Regulus hocha la tête. En effet, baser ses espérances sur l'hypothèse que Voldemort regrette ses crimes revenait à compter sur le professeur Slughorn pour l'affronter en duel ou à imaginer que Sirius puisse se réconcilier avec lui – autant de choses strictement impossibles.

– Narcissa... Ma cousine Narcissa arrive à le sentir, dit Regulus. Quand elle s'approchait de cet objet, lorsqu'il était caché chez elle, elle se sentait extrêmement mal...

Slughorn secoua la tête.

– Alors, il a vraiment réussi... Quelle misère, Regulus, quelle misère...

Son regard dériva vers les flammes qui dansaient dans l'âtre de la cheminée.

– Si tu touches un Horcruxe, tu sentiras toi-même quelque chose d'anormal, expliqua-t-il. Je n'ai jamais eu l'occasion d'en voir un, mais un fragment d'âme détaché de son enveloppe corporelle est la chose la plus obscure et la plus inhumaine qui soit...

– Mais, professeur... Narcissa ne l'a pas touché. Elle n'est même pas entrée dans la pièce où le médaillon se trouvait... Elle s'est seulement approchée de la porte. Et elle se sentait si mal qu'elle s'est évanouie.

– Ah, vraiment ? En effet, c'est étrange. Et... était-elle déjà indisposée par d'autres objets relatifs à la magie noire ?

Slughorn semblait avoir une idée précise de ce qui affectait Narcissa.

– Oui, absolument, répondit Regulus, étonné. Quand nous étions petits, au square Grimmaurd, elle détestait s'approcher des amulettes que mon père possédait. Elle disait qu'elle se sentait triste et en colère quand elle se trouvait proche de nos étagères... Professeur, vous savez de quoi il s'agit ?

Slughorn hocha la tête.

– Regulus, il faut que tu imagines les forces obscures comme... Comme quelque chose de contagieux, d'envahissant, de tentaculaire. Si on les laisse en liberté, elles s'insèrent dans la moindre faille, le moindre interstice... C'est pour cela que ceux qui les convoquent doivent absolument les contenir dans des êtres vivants, des objets matériels, ou bien dans des pentacles, au risque de les voir se retourner contre eux. C'est pourquoi les quelques objets emprunts de magie noire que nous pouvons croiser au quotidien ne dégagent aucune aura particulière : les maléfices qu'ils contiennent y sont soigneusement enfermés, destinés à ne servir que contre une cible bien particulière. En revanche, certaines personnes restent sensibles aux résidus de ces auras, aux ondes les plus faibles, imperceptibles par le commun des sorciers.

– Mais... Pourquoi Narcissa, plus que ses sœurs, ou plus que moi, par exemple ?

– Eh bien... On ne connaît pas bien les mécanismes de cette sensibilité exacerbée. On sait simplement que la magie noire est à la fois particulièrement agressive envers ce qui peut la vaincre, et particulièrement friande de ce qu'elle peut envahir. On a pu observer que souvent, les personnes qui sont sensibles à la présence de forces obscures sont, d'une part, nées d'un amour extrêmement puissant – et capables d'un amour tout aussi puissant – et d'autre part, extrêmement perméables aux émotions de ceux qu'ils côtoient, très influençables par ce qui les entoure.

– C'est curieux, remarqua Regulus. Nées d'un amour extrêmement puissant, vous dites ? Mon oncle et ma tante ne s'aimaient pas vraiment. Et mes deux autres cousines n'ont jamais eu ce problème.

Slughorn haussa les épaules.

– Cela ne vient peut-être pas de ses parents, dans ce cas. Y a-t-il d'autres personnes qui ont pu lui témoigner cet amour-là ?

Regulus réfléchit un instant.

– C'est vrai que sa marraine l'aime quasiment autant que ses propres enfants... Et sa mère et ses sœurs l'aimaient toutes énormément.

Slughorn acquiesça, pensif.

– Eh bien, si j'avais su que Narcissa possédait un tel don... Elle qui n'avait pas la moindre facilité en Potions, je l'aurais peut-être mieux considérée...

– Professeur !

Regulus l'observa avec sévérité, et Slughorn se reprit, penaud.

– Quoiqu'il en soit, Narcissa ne doit révéler ce don à personne... À personne, Regulus, tu m'entends ? Il ne fait pas bon d'être un détecteur d'Horcruxe ambulant, pas les temps qui courent.

Regulus hocha la tête avec conviction. Face à lui, Slughorn s'était affaissé dans son fauteuil. Il semblait avoir vieilli de dix ans en quelques minutes.

– Un Horcruxe, répéta-t-il, hébété. Tom, un si gentil garçon... Voilà ce qu'il est devenu... Je n'en reviens pas... Et si c'est vrai, s'il a réussi... Alors, nous sommes déjà perdus...

– Peut-être pas, répliqua vivement Regulus. Il existe forcément un moyen ! Cet Horcruxe... Il peut être détruit, n'est-ce pas ?

– Il est probablement pourvu de Sortilèges de Protection extrêmement puissants, tempéra Slughorn. Mais en effet, il peut être détruit... Cependant... Même s'il redevenait mortel... Un tel sorcier, d'une telle puissance...

Il secoua la tête, abattu.

– Comment Herpo a-t-il été vaincu ? insista Regulus. Quelle arme a été utilisée contre un mal aussi absolu ?

Slughorn eut un demi-sourire, et, du bout de son index, il désigna une suite de runes, inscrites sur le parchemin par une autre main que celle d'Herpo l'Infâme. Regulus les observa avec attention : elles étaient bien différentes de toutes celles qui étaient tracées par Herpo. Lorsqu'il les contemplait, Regulus se sentait grandir, il sentait sa volonté se ranimer. Et il comprit ce que ces runes exprimaient : de l'espoir.

– C'est Astakis le Bon qui a noté ceci, après avoir vaincu Herpo par une mystérieuse manœuvre... À cette noirceur d'une puissance indicible, Opposez une clarté d'une puissance comparable, lut Slughorn. Seul un sentiment suffisamment pur a le pouvoir d'y faire barrage.

– Un sentiment suffisamment pur...

– L'amour, Regulus. Le sacrifice. Tout comme Tu-Sais-Qui s'est aventuré aux confins de la noirceur, il est possible d'explorer les formes extrêmes de courage, de générosité et de sagesse. Et même si ce chemin-là est, à bien des égards, beaucoup plus difficile à arpenter, même si la puissance qu'il permet d'atteindre prend des formes inattendues, il s'agit de la forme de magie la plus puissante et la plus précieuse qui soit, celle qui est au commencement de tout, qui a permis la naissance et le développement des premiers hommes... Et qui a permis à Astakis de vaincre Herpo.

– Mais... Comment ? Quelle formule a-t-il utilisé ?

Slughorn sourit, attendri.

– Cette magie-là ne s'apprend pas dans les grimoires, Regulus... Et, même si cela ne va pas te plaire... Il semblerait que les Moldus puissent la maîtriser.

– Vous plaisantez ?

– Ai-je l'air d'humeur à plaisanter ? En réalité, certains pensent qu'Astakis le Bon lui-même était un Moldu. Personne ne sait si c'est lui qui a détruit l'Horcruxe de son ennemi, mais c'est bien lui qui a porté le coup fatal à Herpo et l'a fait disparaître.

Regulus hocha la tête, perplexe, écrasé par l'immensité de la tâche à accomplir pour vaincre Lord Voldemort. Il était seul, sans aucune aide – car le professeur Slughorn, avachi dans son fauteuil, ne pouvait être considéré comme une aide acceptable. Avec un tel secret en sa possession, il ne pouvait avoir confiance en personne, pas même en sa propre famille : son père pourrait prendre peur, et agir de façon irréfléchie comme il avait l'habitude de le faire, mettant en péril toute entreprise destinée à vaincre Lord Voldemort... Il fallait être prudent, très prudent, car le moindre faux pas risquait de tout anéantir...

– Il faut prévenir Dumbledore, décida soudain Regulus dans un sursaut de lucidité. Il faut absolument que vous lui expliquiez tout ça.

Mais Slughorn secoua résolument la tête.

– Impossible... C'est impossible, Regulus... Enfin, que penserait-il de moi ? Il saurait que tout est ma faute ! Il me renverrait de Poudlard, sans aucun doute, et plus personne ne songerait à me côtoyer !

Regulus dut fournir un effort surhumain pour ne pas se mettre en colère.

– Vous êtes le seul à le pouvoir ! Je ne sais pas où il est, et...

– Et tu penses que j'aurai davantage de facilité à le joindre ? Dumbledore n'interagit qu'avec un nombre d'interlocuteurs extrêmement restreint ; il est recherché par des dizaines de tueurs sanguinaires, il ne prendra certainement pas la peine de me rendre visite ! Et même à la rentrée, à Poudlard, on dit qu'il ne sera peut-être pas présent... Non, vraiment, Regulus, je ne vais certainement pas pouvoir t'aider, il va falloir que tu le recherches par toi-même...

– Professeur, je suis un MANGEMORT ! Il n'aura jamais confiance en moi ! Tandis que vous... Il vous écoutera, j'en suis sûr !

Le professeur Slughorn tressaillit, et soudain, le ton de sa voix devint extrêmement froid.

– Exactement, tu es un Mangemort, dit-il. Peut-être même un dangereux criminel, que sais-je ? Et pourtant, je t'ai accueilli sous mon toit, j'ai bu une boisson que tu aurais pu empoisonner, je t'ai livré des informations qui pourraient me faire assassiner sur-le-champ. Tu es d'ailleurs peut-être en train de me tendre un piège, ou bien peut-être cherches-tu des informations pour créer toi-même un Horcruxe ? Après tout ce que j'ai appris ce soir, je dois dire que je ne sais plus qui croire...

Slughorn l'observait anxieusement. Visiblement, sa peur avait pris le dessus sur tout le reste.

– J'ai déjà commis assez d'imprudences comme cela, décréta-t-il en se levant. Je suis un vieil homme fatigué : ma contribution s'arrête là. Maintenant, va-t'en, s'il te plaît.

– Professeur ! Vous ne pouvez pas...

– Je t'ai demandé de partir, Regulus. Cette discussion est close.

Regulus en resta sans voix. Personne, sans doute, n'avait jamais été si proche de vaincre Lord Voldemort ; et pourtant, voilà que leur quête était mise à mal avant même d'être initiée, simplement parce que le professeur Slughorn refusait de lui faire pleinement confiance. C'était à en pleurer de rage.

Un peu sonné, il sentit Slughorn le pousser vers la cheminée, et lui mettre dans la main une poignée de poudre de Cheminette.

– Je vais récupérer ce médaillon, Professeur, déclara Regulus. Je vais le détruire.

Mais Slughorn ne l'écoutait plus. Regulus soupira, se plia en deux pour rentrer dans la cheminée, et disparut dans une grande explosion verte.


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