Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 13 : Une veillée pour Kreattur

8131 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 2 mois

Une veillée pour Kreattur




Quand Regulus arriva au 12, square Grimmaurd, il mit quelques instants à reprendre ses esprits ; et cela était d'autant plus difficile que son père lui criait dessus avec énergie, que ses oreilles sifflaient après l'explosion et que l'épaule qui avait été touchée par le sortilège de Dolohov lui faisait affreusement mal.

Il ne retrouva sa lucidité que lorsque sa mère entra dans la pièce :

– Regulus ! s'exclama Walburga. Je m'inquiétais, j'ai entendu des cris, dans ta chambre... J'ai envoyé Kreattur... Par Merlin ! Qui t'a blessé ainsi ? Et où est Kreattur ?

En l'entendant prononcer le nom de Kreattur, Regulus retrouva brutalement le fil de sa pensée et se souvint de ce qui l'avait tant révolté, quelques minutes plus tôt.

– Kreattur, dit-il, encore essoufflé. Il est en grand danger... Il faut le retrouver !

Walburga fronça les sourcils, alarmée.

– Que s'est-il passé ? Où est-il ?

– C'est Voldemort ! s'écria Regulus, indifférent au frisson qui lui parcourait l'échine alors qu'il prononçait ce nom et au tressaillement de ses deux parents. Il a emporté Kreattur quelque part... Il est en train de lui faire du mal...

– Du calme, dit Walburga. Kreattur est un elfe de maison : il suffit de l'invoquer pour qu'il nous revienne.

– L'invoquer ? Et comment faire ?

Walburga haussa les sourcils.

– Je n'en sais strictement rien, avoua-t-elle. Kreattur ne nous a jamais quittés... Mais nous trouverons sans doute quelque chose dans notre bibliothèque. Dépêchons-nous !

Alors qu'Orion s'affaissait sur un siège pour soulager sa jambe douloureuse, Walburga fit signe à Regulus de la suivre et tous deux se précipitèrent pour trouver un ouvrage qui leur permettrait de faire revenir leur elfe de maison. Après de longues minutes de recherche affolée, Regulus trouva quelque chose :

– Tout ce qu'il faut savoir pour dominer les créatures inférieures, lut-il sur la couverture d'un livre.

Ils se penchèrent tous les deux sur l'ouvrage, fébriles.

– Il n'y a que des runes, s'inquiéta Walburga.

– Ne t'en fais pas, je sais les déchiffrer... Là, c'est le symbole des elfes... Ils disent que... celui que l'elfe considère comme son maître... doit l'invoquer en prononçant son nom... en sa demeure. Notre demeure, c'est ici...

– C'est tout ? s'étonna Walburga. Il suffit de prononcer son nom ?

– Essayons, proposa Regulus.

– Kreattur ! appela Walburga d'une voix aussi autoritaire que possible.

Mais rien ne se produisit.

– Peut-être qu'il est trop faible pour transplaner, murmura Regulus. Kreattur ! dit-il d'une voix plus forte. Je t'ordonne de revenir ici !

Ils tendirent l'oreille ; mais à nouveau, rien ne se passa.

– Essayons ensemble, proposa Walburga en tendant ses mains à son fils.

Regulus les saisit fermement, tous deux échangèrent un regard décidé et prononcèrent en chœur :

– Kreattur, je t'ordonne de revenir à la maison !

Crac !

Un craquement sonore résonna dans l'entrée. Regulus et Walburga s'y précipitèrent et trouvèrent Kreattur étendu sur le tapis miteux, recroquevillé de douleur, trempé, glacé, tremblant, quasi-inconscient.

– M. Regulus, gémit Kreattur. M. Regulus a dit...

Regulus et Walburga s'agenouillèrent auprès de lui, catastrophés.

– Kreattur, murmura Regulus en lui prenant la main. Par Merlin... Qu'est-ce qu'il t'a fait ?

Mais Kreattur ne parvint pas à émettre d'autre parole intelligible. En-dessous de son chiffon déchiré en lambeaux et gorgé d'eau glacée, sa peau était si pâle qu'elle paraissait translucide, et si asséchée qu'elle semblait se craqueler. Sur ses bras, sur ses jambes, il portait d'horribles griffures. Il remua un peu en gémissant, mais chaque mouvement exigeait de lui un effort considérable ; et finalement, il s'arrêta complètement de bouger.

– Kreattur, appela plusieurs fois Walburga en serrant l'épaule de l'elfe avec anxiété. Kreattur ! Je te somme de me répondre !

Mais Kreattur ne réagit pas. Sa respiration était de plus en plus faible.

– Kreattur, ne meurs pas ! ordonna Walburga avec une autorité dérisoire.

– Maman, dit soudain Regulus.

Il savait pertinemment ce qu'il fallait faire. Cependant, cela risquait de ne pas plaire à sa mère ; et il ne voulait surtout pas qu'elle se mette en travers de sa route, ou bien elle pourrait fortement compliquer les choses.

– Il faut aller chercher Vera Goyle, affirma Regulus. Elle saura le soigner.

Par réflexe, Walburga secoua la tête.

– Non, certainement pas...

– Maman, s'il te plaît, insista Regulus. Elle pourra faire quelque chose, j'en suis sûr. Kreattur est en train de mourir... Il mérite que nous essayions.

Walburga tressaillit, comme si elle venait de prendre pleinement conscience que son elfe de maison agonisait sous ses yeux. Puis elle hocha à nouveau la tête, mais cette fois-ci, pour approuver.

– Fais vite, dit-elle simplement.

Regulus se leva d'un bond, et se rua dans le salon. Là, il prit une poignée de poudre de cheminette, jeta une poignée dans l'âtre, et s'y accroupit en criant avec autorité :

– Maison des Goyle !

Dans un premier temps, rien ne se produisit. Les flammes vertes restèrent basses, lui léchant les pieds en se balançant doucement.

– Ça ne marche pas ! s'affola Regulus dans la cheminée.

– Attends quelques instants, et ne bouge pas ! lui cria Walburga depuis l'entrée. Leur cheminée est comme la nôtre, elle demande l'autorisation à ses propriétaires avant de laisser entrer qui que ce soit... Si les Goyle sont chez eux, ils ne tarderont pas à accepter... Du moins, je l'espère, ajouta-t-elle à mi-voix.

Dans le salon des Goyle, justement, Vera guettait devant la cheminée violette et biscornue, attendant l'arrivée hypothétique de Narcissa, dans le cas où elle réussirait à empoisonner les Mangemorts, et viendrait trouver refuge chez eux. Mais plus l'heure avançait, moins cela paraissait probable.

– C'est peine perdue, Maman, lui dit sombrement Daisy en sortant de la pièce. Et Carla va bientôt rentrer de chez les Parkinson... Allez, viens. Allons nous coucher.

Mais Vera ne pouvait se résoudre à abandonner tout espoir. Elle ne parvenait pas à croire que Narcissa acceptait définitivement de laisser les Mangemorts prendre possession du pays. Elle avait été une petite fille si gentille, si douce, si complice avec Daisy...

Et soudain, elle tressaillit : la gargouille de cuivre qui se tenait sur la cheminée venait de remuer la queue.

– On demande à entrer, coassa-t-elle.

Vera se leva d'un bond, en renversant au passage un bocal de venin d'Acromentules.

– Enfin ! s'énerva Vera. Je t'ai déjà dit que Cissy pouvait entrer à tout moment, comme si elle était un membre de notre famille...

– Je le sais bien, mais il ne s'agit pas de Narcissa, coassa la gargouille. Il s'agit de Mr Regulus Arcturus Black, en provenance du 12, square Grimmaurd.

Vera et son ravluk Albert échangèrent un regard inquiet. Et si Narcissa s'était fait prendre ? Et s'il lui était arrivé quelque chose, et que Regulus venait les en avertir ?

– Est-il seul ?

– Oui, bien sûr, sinon je l'aurai précisé...

– Alors fais-le entrer ! Immédiatement !

Walburga n'attendit pas plus d'une minute avant que son fils n'apparaisse à nouveau dans la cheminée, accompagné de Vera Goyle et de son ravluk Albert. Vera était également venue avec sa volumineuse sacoche en cuir usé, remplie d'onguents, de potions et de pommades qui lui avaient déjà permis de soigner le bras de Regulus. Elle semblait fatiguée, malgré la teinte éclatante de sa cape orange au col immense.

En arrivant dans le hall d'entrée, Vera jeta un regard inquiet à Walburga, afin de s'assurer qu'elle n'était plus dans l'état de fureur dans lequel elles s'étaient quittées, le jour où elle avait appris que Sirius ne voulait plus jamais la voir. Walburga lui lança un regard cuisant, mais s'écarta pour la laisser s'approcher de Kreattur.

Dès qu'elle aperçut l'elfe, Vera s'agenouilla auprès de lui et se mit à palper son cou, son crâne, ses membres, aidée par Albert qui tentait d'écouter les battements de son cœur.

– Ah ! Encore cette fille de mauvaise vie, avec ses bas rouges et ses sales manières...

– Silence, siffla Walburga à l'intention de la vieille dame maigre comme un clou qui venait de parler depuis son portrait.

– Que lui est-il arrivé ? demanda Vera, visiblement alarmée par l'état de Kreattur.

– Voldemort était en colère, dit Regulus, dont la voix tremblait un peu. Tout le monde croyait que... Que je voulais empoisonner les Mangemorts, enfin, je n'ai pas tout compris...

– Empoisonner ?

– Je ne sais pas de quoi ils parlaient ! se défendit Regulus en voyant que Vera était devenue blême.

– Peu importe, dit Vera en secouant la tête. Et ensuite ?

– Ensuite... Voldemort a emporté Kreattur avec lui. Je ne sais pas ce qu'il lui a fait... Il est arrivé ici pratiquement inconscient.

– Il lui a fait boire du poison, dit Vera en désignant les lèvres de Kreattur, où sa peau était si sèche qu'elle ressemblait à du papier. Installons-le sur une table, nous serons plus à l'aise.

– Je vais le porter, dit aussitôt Regulus.

Il prit l'elfe dans ses bras, et se dirigea vers la cuisine, suivi de près par Vera. Walburga leur emboîta silencieusement le pas, en restant à bonne distance. Dans la cuisine aux murs de pierre, Regulus déposa délicatement Kreattur sur la table en bois.

– Il est brûlant, constata anxieusement Regulus en touchant le front de l'elfe.

Vera sortit de sa sacoche une petite pierre racornie en forme de rognon, et d'une main experte, elle plaça le bézoard dans la gorge desséchée de Kreattur.

– Que fais-tu ? demanda Walburga avec méfiance.

– C'est un bézoard, indiqua Vera. Un antidote.

Sous les yeux stupéfaits de Walburga et de Regulus, Kreattur toussa un peu, et parut respirer plus librement.

– Il ne se réveille pas, fit remarquer Walburga d'un air pincé.

– Le bézoard n'est pas toujours suffisant, expliqua patiemment Vera. Surtout quand il s'agit de magie noire. Maintenant, il faut le rafraîchir... Albert, ventile-le un peu, veux-tu ?

Le ravluk s'envola de l'épaule de sa maîtresse, et se posa sur la table, à côté de la grosse tête chauve de Kreattur. Il déploya ses grandes ailes au-dessus de lui, et se mit à les balancer doucement, produisant une brise légère qui fit frémir les touffes de poil blanc qui sortaient des oreilles de Kreattur. Presque aussitôt, l'elfe poussa un discret soupir d'aise.

Vera, elle, posa sa volumineuse sacoche en cuir sur la table, à côté de Kreattur, et en sortit quelques pots d'onguents. À l'aide d'une spatule et d'un pot en terre cuite, elle prépara une mixture verdâtre sous l'œil méfiant de Walburga ; puis elle l'appliqua délicatement sur la peau de Kreattur, qui fut bientôt recouverte d'une pâte verte et argileuse.

– Il doit se reposer, déclara Vera. La nuit sera décisive.

– Il va survivre, n'est-ce pas ?

– Je n'en sais rien... Mais je ne peux rien faire de plus.

Regulus était catastrophé. Kreattur était déjà âgé pour un elfe, certes, mais il devait vivre encore des dizaines d'années, et Regulus n'avait même jamais imaginé qu'il puisse mourir avant lui...

– Il ne s'en tirera pas comme ça, marmonna soudain la voix nasillarde et désagréable de son père à l'étage supérieur. Oh, non, il ne s'en tirera pas comme ça ! Compromettre notre famille de cette manière, et tout ça pour un elfe ! Ah, il va m'entendre...

Les pas dissymétriques d'Orion résonnèrent dans l'escalier, et il apparut dans l'encadrement de la porte découpée dans la pierre. Il balaya d'un regard mauvais l'ensemble de la pièce, allant du corps chétif et desséché de Kreattur à Vera, puis à Regulus, qui était assis sur une chaise, l'air abattu.

– Bon sang, Regulus ! Vas-tu enfin m'expliquer quelle mouche t'a piqué ? Tu n'as pas idée...

– Cesse donc de geindre, le coupa sèchement Walburga. Et racontez-moi plutôt tout ce qu'il s'est passé.

Furieux, Orion pointa un doigt accusateur sur Regulus.

– Ton fils s'est senti pousser des ailes, voilà ce qu'il s'est passé. Et il a bien failli nous faire tuer tous les deux !

Vera et Walburga se tournèrent vers Regulus et le questionnèrent du regard.

– Voldemort fait du mal à Bellatrix, résuma d'abord Regulus. C'est pour ça que nous nous sommes disputés, quand elle est arrivée. J'essayais de la convaincre de prendre un peu ses distances, d'être plus mesurée, de ne pas faire tout ce qu'il lui disait de faire... Mais plus elle parlait, et plus je me rendais compte à quel point il la manipulait, à quel point il l'avait...

Il mima quelqu'un en train de tordre quelque chose, et se prit la tête entre ses mains.

– C'est un malade, résuma Regulus. Il se sert de notre dévouement, il joue avec nous ! Et personne ne s'en rend compte !

– Regulus, enfin ! Nous savons tous que le Seigneur des Ténèbres est un petit peu... spécial, nuança Orion. Nous faisons avec, le jeu en vaut la chandelle...

– Ah, vraiment ? s'indigna Regulus. Et je suppose que ça, dit-il en désignant Kreattur agonisant sur la table, ça rentre dans tes calculs ? Papa, ça aurait pu être moi !

Orion se renfrogna.

– Quand bien même, grogna-t-il, ça n'était pas une raison pour empoisonner tout le monde...

– Ah oui, j'oubliais cette histoire ! On essaie de me mettre ça sur le dos, n'est-ce pas ? Mais je ne sais même pas de quoi il s'agit ! Il y a encore quelques heures, en arrivant ici, je pensais à mon avenir au sein des Mangemorts, alors ce n'est certainement pas moi qui ai fait ça !

Vera baissa les yeux, et se concentra pour ne pas faire le moindre mouvement suspect.

– Explique-nous, Orion, ordonna Walburga.

– La nuit dernière, quelqu'un a volé quelque chose dans le trésor qu'Abraxas, Piscus et moi avions caché dans la cave du manoir des Malefoy. Un poison puissant. Et nous pensons que cette personne voulait s'en servir contre nous.

– Mais ce n'est pas moi ! se défendit Regulus.

– Alors, où étais-tu, cette nuit ?

– À Poudlard !

– Mais tous les autres sont rentrés...

– Je suis resté un jour de plus, oui ! Parce que je voulais parler au professeur Slughorn, qui m'a proposé un poste de professeur de Potions !

– Un poste de professeur ? s'esclaffa Orion. Alors que tu n'as même pas dix-huit ans ?

– POUR LA MILLIÈME FOIS, SLUGHORN SE FICHE COMPLÈTEMENT DE MON ÂGE !

Regulus avait progressivement haussé la voix, jusqu'à hurler. Orion en fut tout surpris.

– Bon, bon, très bien... Mais alors, je me demande bien qui a pu... Piscus n'avait rien dit à ses fils, sinon Hector serait venu réclamer sa part... Mais alors, peut-être du côté d'Abraxas ? Ça ne peut pas être Lucius, la guerre lui est bien trop profitable... Ou bien...

– Peu importe qui a fait ça, le coupa Walburga.

Vera s'épongea discrètement le front.

– Quoiqu'il en soit, ton fils a perdu la tête, conclut Orion. Défier ainsi le Seigneur des Ténèbres, devant tout le monde...

– Je crois que notre fils a eu raison d'agir ainsi, rétorqua Walburga. Nous nous sommes laissé berner par les belles idées de Tu-Sais-Qui. Il nous a promis qu'il rétablirait le prestige des Sang-Purs, et nous l'avons cru... Mais d'après ce que vous me dites, il semblerait, en effet, que ses motivations soient toutes autres que celles qu'il essaie de nous faire voir.

– Comment ça ? grogna Orion.

– Ce combat n'est qu'un prétexte. Il se fiche complètement de nous, Orion, c'est absolument flagrant. Regulus a raison, Bellatrix est en train de sombrer dans la folie, et bien que Tu-Sais-Qui prétende tenir à elle, sa manière d'agir nous prouve exactement le contraire. Et je refuse que vous vous battiez pour un homme qui vous sacrifiera à la première occasion. Alors je t'en prie, fais-toi à cette idée, et occupe-toi plutôt d'assurer notre protection.

– Mais...

– Si Tu-Sais-Qui s'en est pris à notre elfe de maison, cela signifie que nous sommes tous des cibles. Nous sommes en danger de mort, Orion. Alors, au nom de tous nos ancêtres, sors de cette pièce, et renforce tous les Sortilèges de Protection qui entourent cette maison ! Installes-en des nouveaux, si cela est nécessaire ! Personne, tu m'entends, personne ne doit pouvoir nous trouver.

Regulus remarqua que sa mère avait cessé d'appeler Voldemort Le Seigneur des Ténèbres, et qu'elle ne semblait pas être fâchée de cette situation – plutôt soulagée. Sans doute avait-elle déjà commencé, elle aussi, à percevoir l'ampleur de la cruauté de Lord Voldemort...

Quant à son père, il n'eut d'autre choix que de sortir en maugréant de la pièce pour aller renforcer les sortilèges qui assuraient la protection de leur maison.

– Toi, assieds-toi là, ordonna Walburga à Vera en lui désignant une chaise. Surveille Kreattur, et surtout garde-le en vie. Je vais renforcer les sortilèges au niveau du toit : avec sa jambe tordue, Orion sera incapable de monter jusqu'au grenier.

Un peu surprise, Vera acquiesça et prit place au chevet de Kreattur.

– À plus tard, dit froidement Walburga en sortant de la pièce.

Et elle laissa Vera et Regulus seuls, avec Kreattur et le ravluk Albert qui continuait de rafraîchir l'elfe en battant des ailes. Dans un premier temps, Regulus ne sembla pas en avoir conscience ; il gardait son regard fixé sur Kreattur, comme si cela pouvait le maintenir en vie.

Puis, après un long silence, il se tourna enfin vers Vera, qui l'observait déjà à la dérobée. Physiquement, elle semblait affaiblie : elle était plus pâle que d'habitude et grimaçait de douleur en faisant certains gestes. Et pourtant, elle dégageait toujours cette même douceur, cette force paisible, inaltérable et rassurante.

– Merci d'être venue, Mrs Goyle, dit Regulus avec sincérité. Avec Carla qui vous surveille... Vous n'allez pas avoir d'ennuis ?

– J'en ai déjà, répondit Vera avec nonchalance. Tout comme toi, j'ai l'impression.

Regulus passa une main sur son visage, sonné.

– Je n'arrive pas à réaliser, murmura-t-il. Tout est allé si vite.

– Tiens, tu devrais mettre ça sur ta blessure... Et me raconter calmement comment c'est arrivé.

Regulus prit le pot en verre que lui tendait Vera et appliqua un peu de pommade sur la blessure qu'il avait à l'épaule.

– Ce sont les Mangemorts... Ils ont essayé de me tuer. Parce que je... j'ai essayé de les convaincre d'arrêter.

Vera fronça les sourcils.

– Les convaincre d'arrêter ? C'est-à-dire ?

– Eh bien, comment vous expliquer... J'ai l'impression d'avoir explosé en vol. Je discutais avec Bellatrix, et... je me rendais compte que toute la violence des Mangemorts la détruisait, elle aussi. Qu'elle y avait perdu toute sa liberté, sa raison, son humanité. J'ai réalisé que Voldemort en avait sûrement conscience, et que depuis le début, c'était exactement ce qu'il souhaitait. Quand j'ai vu cela, j'ai été révolté. Tout ce projet m'a semblé tellement absurde, tout à coup... Tellement destructeur, tellement inhumain. J'ai essayé de parler à Bellatrix, de lui ouvrir les yeux, mais elle était de plus en plus furieuse. Nous sommes arrivés au manoir des Malefoy, et c'est là que Voldemort nous a entendus. Il s'est moqué de moi, et Kreattur est arrivé... Il l'a emporté avec lui, et... C'est là que j'ai explosé. J'ai essayé de convaincre les Mangemorts d'arrêter de suivre Voldemort, de leur faire réaliser à quel point il était cruel, mais cela n'a servi à rien... à rien du tout. Aucun d'entre eux n'a pris ma défense. Ils se sont tous levés et m'ont attaqué.

En face de lui, Vera était abasourdie.

– Tu as ouvertement critiqué Voldemort devant les Mangemorts ? Comme ça, à l'improviste ? Sans personne pour te défendre ?

– Bellatrix m'a permis de m'enfuir, rectifia Regulus.

Mais Vera n'en revenait toujours pas.

– Vous pensez que je suis fou ?

– Fou ? Enfin, Regulus, je ne penserais jamais cela de toi. Je dirais plutôt que tu as été incroyablement courageux.

Regulus sourit furtivement ; puis il baissa les yeux, penaud.

– Allez-y, Mrs Goyle. Dites-le.

– Quoi donc ?

– Ce qui vous brûle les lèvres. Vous m'aviez prévenu, je sais ! Vous m'aviez mis en garde, depuis le début... et je ne vous ai pas écoutée.

Vera sourit tristement.

– Je te mentirais si je te disais que ça n'avait aucune importance. Bien sûr, à l'époque où je te rendais visite, cela m'attristait beaucoup de ne pas réussir à te raisonner. Mais c'est ainsi. Je me souviens que cette période était très compliquée pour toi et pour ta famille. Tu n'avais que quinze ans, et on faisait déjà reposer sur toi tellement de choses... C'était sans doute trop écrasant pour que tu puisses prendre du recul, et réaliser ce qui se passait. Tu avais sûrement déjà quelques doutes, mais tu n'étais pas prêt à regarder la réalité en face.

– J'aurais dû l'être, insista Regulus. J'aurais peut-être pu sauver Bellatrix... et Kreattur. Il ne méritait pas ça.

– Il peut encore s'en sortir, tempéra Vera. Et puis, après tout, tu as risqué ta vie pour le sauver, aujourd'hui. Tu as ainsi prouvé que tu tenais à lui. Crois-tu que beaucoup d'elfes de maison peuvent espérer cela de leur maître ?

Regulus haussa les épaules.

– Ce n'était rien. Cela m'a paru naturel.

– Je n'en doute pas. Mais beaucoup de sorciers auraient été incapables de le faire... Voldemort, par exemple.

Malgré ce compliment, le visage de Regulus restait sombre.

– Je n'arrête pas de penser à Bellatrix, avoua-t-il. Je l'ai abandonnée là-bas, au milieu de tous ces monstres... J'aimerais trouver un moyen de la faire revenir à la raison. J'aimerais qu'elle redevienne comme avant.

Ce fut au tour de Vera d'être embarrassée.

– C'est une situation délicate, reconnut-elle. Mais, je dois te le dire, Regulus... Je crains qu'il ne soit déjà trop tard pour ta cousine.

Les yeux gris de Regulus se mirent à briller.

– Je ne peux pas l'accepter, dit-il tout bas. Nous avons grandi ensemble, Mrs Goyle... Ici même. Elle m'a toujours défendu contre Sirius, elle m'a appris tellement de choses...

– Je le sais bien. Bellatrix a été une jeune fille pleine de vie, qui ressentait énormément d'affection pour toi. Mais malheureusement, ta cousine a une certaine propension à faire des choix néfastes pour elle-même. Et ce n'est pas faute d'y avoir réfléchi, mais je ne vois pas comment y remédier. Depuis toutes ces années, je n'ai rien vu qui permette d'espérer un retour en arrière. Et tu n'y es pour rien, Regulus. Tu n'es pas responsable de ses choix, même si ceux-ci te font souffrir. Aimer quelqu'un de toutes tes forces ne suffit pas toujours pour le sauver.

– Il n'y a donc rien que je puisse faire ?

– Pour l'instant, je ne vois pas. Et la suivre dans sa folie autodestructrice ne sert à rien... Regarde où cela a mené Cissy.

Regulus hocha la tête, et cligna des yeux pour chasser les larmes qui menaçaient de couler.

– Je suis désolée, Regulus.

– J'ai été tellement bête, chuchota-t-il. Je me suis raconté tellement de mensonges... C'est impardonnable.

Il se tourna vers Vera à la recherche de réconfort, mais elle se contentait de sourire tristement.

– Pourquoi souriez-vous ?

– Je trouve que tu es très dur avec toi-même. Et je repense à tous les livres que tu lisais sur la supériorité des sorciers et la médiocrité des Moldus... Je ne peux pas m'empêcher de trouver cela amusant.

– Excusez-moi, Mrs Goyle, mais je ne vois pas très bien ce qu'il y a d'amusant dans tout cela.

– Tu as raison, amusant n'est pas tout à fait exact. Je dirais plutôt paradoxal. Sois cohérent, Regulus : es-tu un être supérieur ou bien le pire des imbéciles ?

Regulus se détendit un peu, et ils échangèrent un sourire.

– Vous avez raison, soupira Regulus. Ce n'est pas logique.

– Au contraire, c'est très logique. Réfléchis bien... À quels moments les idées des Mangemorts t'ont-elles paru particulièrement séduisantes ?

– Elles m'ont toujours paru séduisantes, admit Regulus. Cette Marque me faisait horriblement mal, mais parfois... Ça me rassurait de la sentir. Ça me rendait important. Je m'imaginais invincible... Et dans les moments difficiles, lorsque je me sentais vraiment seul... J'avais l'impression que c'était la seule chose qui me permettait de tenir.

– Cela peut expliquer beaucoup de choses, dit Vera avec douceur. Tu étais peut-être tellement persuadé de n'avoir aucune valeur que tu es venu chercher du réconfort auprès de ces puissants sorciers...

– Mais ça n'a pas marché, coupa Regulus. J'étais trop faible pour appartenir aux Mangemorts. Et maintenant, je me retrouve tout seul.

– Appartenir aux Mangemorts ne t'aurait apporté aucun réconfort, assura Vera. Cela ne pouvait pas marcher. Et ce n'est pas une question de faiblesse, bien au contraire. Tu n'en as peut-être pas encore conscience, mais ce que tu as fait ce soir le prouve bien : tu possèdes une force que les Mangemorts ne comprennent pas, et donc n'acceptent pas. C'est une force bien différente de la leur... Bien plus noble, bien plus humaine. Une force fragile, précieuse, et incroyablement puissante.

Regulus hocha la tête, impressionné par l'écho que ces mots trouvaient en lui. Vera venait de formuler ce qu'il avait toujours pressenti : il existait bel et bien un autre moyen d'être fort, une autre sorte de puissance, une puissance que son père, Voldemort et les Mangemorts méprisaient, ne comprenaient pas... Une force que lui-même possédait. Et cette force-là pouvait les vaincre, Regulus le sentait au plus profond de lui-même.

– Tu viens de vivre un énorme bouleversement, fit remarquer Vera. Y aurait-il d'autres choses sur lesquelles tu as changé d'avis, ces derniers temps ?

Elle regardait Regulus avec un léger sourire.

– Vous parlez de la supériorité des sorciers, devina Regulus. Par rapport aux Moldus.

– Par exemple...

– Je n'ai pas changé d'avis à ce propos, avoua Regulus. Ce n'est pas ça qui m'a poussé à me révolter.

– Tu en es sûr ?

– Oui. Et je crois que je suis trop fatigué pour parler de tout ça.

– Comme tu voudras.

À nouveau, ils observèrent un moment de silence. Dans la cuisine aux murs de pierre, on n'entendait que la respiration rauque de Kreattur et le bruissement d'ailes du ravluk Albert. Orion et Walburga s'affairaient quelque part dans la maison, mais depuis quelques minutes, Vera et Regulus avaient tous les deux l'impression d'être seuls au monde.

– Mrs Goyle... À propos des Moldus...

Vera sourit avec amusement. Elle se doutait que Regulus finirait par aborder de nouveau le sujet, mais cela avait été plus rapide que prévu.

– En réalité, nous n'en avons jamais vraiment parlé, dit-il. Je savais que vous désapprouviez tout ce que mes parents disaient, mais vous ne m'avez jamais vraiment expliqué votre vision des choses.

– Et tout à coup, cela t'intéresse ?

Regulus haussa les épaules.

– J'ai besoin de me changer les idées... Je veux seulement savoir ce que vous en pensez. Alors, selon vous... Le peuple sorcier n'est pas supérieur aux autres peuples ?

Vera resta interdite pendant quelques secondes. Sous ses yeux, Regulus était en train d'ébranler toutes ses croyances, de questionner le fondement de sa propre identité – même s'il n'en avait pas encore tout à fait conscience.

– Pour commencer, qu'entends-tu par supérieur, Regulus ? demanda-t-elle. Comment peut-on être supérieur aux autres ?

Regulus réfléchit un instant.

– On peut être supérieur par son courage, dit-il. Par son savoir. Par son sens de l'honneur et ses valeurs morales.

– Et penses-tu que les sorciers possèdent plus de courage que les Moldus ? Plus de morale ?

– Eh bien... Je crois que oui.

Du bout du pied, il tapotait nerveusement sur le sol.

– Je vais te donner un exemple, poursuivit Vera. Au sein des Moldus, certains peuples se croient supérieurs à d'autres parce qu'ils possèdent plus de richesses ou parce que leurs armes sont plus puissantes que celles des autres...

– Oui, il paraît. Ces Moldus-là sont de véritables fléaux. Ils s'octroient le droit de dominer les autres, alors qu'ils ont accumulé des richesses par des procédés ignobles. Et ce sont eux qui dirigent le monde, Mrs Goyle. Notre monde. C'est révoltant.

– Revenons à nos niffleurs, Regulus. À la raison pour laquelle ces Moldus qui se croient supérieurs aux autres. Après tout, ils possèdent des machines capables d'effectuer le travail de plusieurs hommes en même temps. Leur argent leur permet d'accéder à une meilleure éducation, à une quantité de savoir plus importante, à une meilleure santé...

– Alors ils sont plus performants, mais ils ne sont pas meilleurs, répondit Regulus. L'argent leur permet de faire des choses extraordinaires, mais il peut aussi les pervertir.

– Je suis ravie d'entendre tout cela, sourit Vera. Et si je te disais que parmi eux, un petit groupe possédant une arme stupéfiante se prétendait supérieur au reste de l'humanité, et pour cette raison, se permettait d'utiliser cette arme pour asservir leurs semblables ?

– Je vois où vous voulez en venir, dit Regulus avec amertume. Mais ce n'est pas comparable. Nous ne sommes pas des Moldus, et la magie n'est pas seulement une arme. C'est aussi un savoir, une forme de sagesse. Et ceux qui n'y ont pas accès ne pourront jamais le comprendre.

– Beaucoup de sorciers voient les choses ainsi, en effet. Admettons... Mais est-ce la seule forme de sagesse qui existe en ce monde ? Mérite-t-elle d'éclipser toutes les autres ? Et surtout, ne risque-t-elle pas de nous pervertir, tout comme n'importe quel instrument de puissance ?

Vera marquait une pause entre chaque question ; Regulus, lui, était de plus en plus nerveux.

– Vous voulez dire que...

– Nous sommes des Moldus, Regulus. Avec un pouvoir supplémentaire... Qui n'est pas gage d'intelligence, et encore moins de supériorité morale. C'est aussi simple que ça.

– Non. Non, c'est impossible. Vous ne pouvez pas dire une chose pareille. Nous, les sorciers... Être en tout point semblables aux Moldus, en dehors de nos pouvoirs magiques... Ce n'est pas possible. Nous sommes forcément plus intelligents, plus nobles...

– Pas le moins du monde.

– Arrêtez, Mrs Goyle. Vous mentez.

– Je ne mens pas. C'est la pure vérité.

– Dites-le à nouveau. Selon vous, les sorciers ne sont pas supérieurs aux Moldus ?

– Non, absolument pas. Une fois dépourvus de baguette, nous sommes en tout point semblables, que ce soit en terme d'intelligence, de courage, de bonté... Ou au contraire, de bêtise et de méchanceté.

– Mais, Mrs Goyle... Les Moldus gaspillent, ils détruisent la nature... Ils sont étroits d'esprit, pleins de haine et de médiocrité...

– Regulus, le coupa Vera. Réfléchis une seule seconde à ce que tu viens de dire.

Regulus baissa les yeux et regarda Kreattur allongé sur la table, toujours inconscient.

– Certains sorciers le sont tout autant, murmura-t-il. Nous sommes aussi médiocres qu'eux.

– Médiocres, sans doute... Tu as raison, nous sommes orgueilleux, lâches, égoïstes, faillibles, pathétiques... Par moments. Mais nous pouvons aussi être généreux. Solidaires. Créatifs. Héroïques. Pour résumer, je dirais que nous sommes tous irrémédiablement et désespérément humains – c'est-à-dire capables du pire comme du meilleur.

– Ce n'est pas très réjouissant...

– Libre à toi de préférer un mensonge réconfortant plutôt qu'une réalité difficile à digérer ; mais le monde est ainsi. La vérité se fiche bien de ce que nous acceptons de voir : elle restera là, avec toute sa cruauté, que nous le voulions ou pas. Et si tu souhaites combattre tes faiblesses, il est bien plus efficace et plus courageux de les reconnaître, plutôt que de les enfouir sous des couches de vantardise, ou pire, de violence.

Regulus fit une petite grimace.

– Ce n'est pas facile.

– Je te l'accorde.

– Alors, les Sang-Pur...

– Il n'y a pas de sang pur ou impur. Il est le même pour l'ensemble des hommes. Nous avons tous une part de sang moldu qui coule dans nos veines, et cela ne change strictement rien à notre nature profonde.

Regulus poussa un long soupir de lassitude.

– Tout ce qu'on raconte sur la grandeur des sorciers... Sur le fait que les Moldus sont des parasites... Selon vous, ce sont des mensonges ?

– Des mensonges éhontés, qui ont pour but de rassurer des sorciers en quête de reconnaissance... Mais qui sont à l'origine de beaucoup trop d'injustices et de souffrances.

– Comment pouvez-vous en être sûre ?

– De nombreux sorciers ont tenté de démontrer notre supériorité morale, mais sans succès. J'en déduis donc que cette supériorité n'existe pas.

– C'est impossible, protesta Regulus. Si tout est faux, alors pourquoi est-ce tout le monde le répète ? Pourquoi l'ai-je entendu des milliers de fois ? Pourquoi le Ministère ne nous contredit pas une bonne fois pour toutes ?

– Parce que les sorciers aiment croire qu'ils sont des êtres supérieurs... Et quelle pensée agréable, n'est-ce pas ? Ceux qui régissent le Ministère ne font pas exception à la règle. Ce ne serait pas la première fois qu'un mensonge sans aucun fondement est aussi répandu.

Sur la table, les mains de Regulus tremblaient légèrement. Il continuait de questionner Vera, toujours agité :

– Et parmi ceux qui répandent ces informations... Selon vous, certains nous mentiraient délibérément ?

– Je pense que la majorité des sorciers croit sincèrement à cette prétendue supériorité. D'autres connaissent la supercherie, mais tirent profit de ces fausses croyances. D'autres encore se questionnent de temps à autre, mais il est tellement difficile de faire face à ses propres contradictions... Ils préfèrent donc les étouffer et se complaire dans leurs idées bien arrêtées.

Regulus hésita à poser la question suivante.

– À votre avis... Qu'en est-il de mes parents ?

– Oh, Regulus... Je pense que tu es bien mieux placé que moi pour y répondre.

– C'est vrai. Dans ce cas... Je pense que mon père y croit. Il se croit supérieur aux Moldus. Il se croit supérieur aux autres familles. Il se croit supérieur à tout le monde.

– C'est un constat sévère, mais je le trouve pertinent, rit Vera. Et ta mère ?

Regulus se retourna vers la porte. En haut, dans le grenier, Walburga était trop loin pour les entendre.

– Ma mère est intelligente. Très intelligente.

– En effet.

– Je pense qu'elle croit en tout ça, et qu'elle y croira toujours. Vous savez... On ne lui a jamais laissé la moindre chance de penser autrement.

– On a toujours une chance de penser autrement, fit remarquer Vera. Libre à nous de la saisir... ou pas.

Regulus se renfrogna jusqu'à ce qu'une autre question lui vienne à l'esprit.

– Et vous, Mrs Goyle... Pourquoi êtes-vous restée ? Si vous ne croyez pas à tout ça, si avez cette violence en horreur... Pourquoi ne pas avoir quitté la Colline d'Émeraude ? Pourquoi êtes-vous restée amie avec toutes nos familles ?

– C'est une excellente question... à laquelle je ne peux malheureusement pas te répondre. Sache simplement que j'ai une promesse à honorer et que c'est la seule chose qui me retienne encore ici. Mais cette promesse ne te concerne pas.

Regulus hocha la tête.

– Vous avez beaucoup de secrets...

– Un certain nombre, admit Vera.

Ils échangèrent un sourire, qui s'évanouit aussitôt : soudain, Regulus sembla traversé par une pensée désagréable. Son visage se ferma, et son poing se serra sur la table.

– Qu'y a-t-il ?

Il secoua vigoureusement la tête.

– Vous avez raison, Mrs Goyle, dit-il avec colère. On peut toujours penser autrement. La preuve : c'est ce que Sirius a fait, depuis le début. D'après vous, c'est lui qui a tout juste, n'est-ce pas ?

Vera fronça les sourcils, mais Regulus poursuivit sans lui laisser le temps de répondre.

– Il a donc raison de dire que je suis un monstre, n'est-ce pas ? Il a raison de dire que je suis un imbécile ?

– Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit, protesta Vera. Et Sirius n'a pas raison à propos de tout.

– C'est le cas depuis que je suis né, Mrs Goyle ! Vous voulez une vérité difficile à entendre ? La voilà : Sirius est meilleur que moi, à tous points de vue. Il est temps que je l'accepte. J'ai essayé de renverser la balance, mais je n'ai fait qu'empirer les choses.

Il grimaçait, comme s'il mangeait quelque chose de très amer. Vera se redressa sur sa chaise, se pencha en avant ; puis, très doucement, elle prit la main de Regulus dans la sienne.

– Dis-moi, Regulus... As-tu déjà envisagé de faire tes propres choix, sans te comparer à ton frère ?

– Et comment le pourrais-je ? Tout le monde nous compare sans cesse ! Nos parents, nos professeurs, tous les élèves ! À croire que je n'existe que pour me distinguer de lui ! Et c'est exactement ce que j'ai fait... De la pire manière qui soit.

– Sirius n'est pas une meilleure personne que toi, assura Vera avec fermeté. De mon point de vue, il a certaines qualités, je l'admets... Certaines qualités très populaires. Il est à l'aise en public, enthousiaste, séduisant.

À nouveau, Regulus fit une grimace.

– Et pourtant, de vous deux, je crois que c'est toi qui serais le plus susceptible de lui tendre la main. N'est-ce pas ?

Regulus hésita, puis hocha la tête.

– C'est vrai. Je crois que même si je sauvais le monde, Sirius continuerait de me mépriser.

– Voilà exactement pourquoi je pense qu'il n'est pas une meilleure personne que toi. Il est fier, arrogant, entêté, parfois cruel... Et surtout incapable de pardonner.

– Rien que ça, ironisa Regulus.

– Tout le monde a ses défauts. Et tous les deux... Vous avez grandi dans un milieu hostile, où on vous demandait sans cesse de faire vos preuves, de mériter votre statut en écrasant vos semblables – jusqu'aux membres de votre propre famille. Vous avez fait du mieux que vous pouviez, chacun à votre manière. Mais Sirius est l'aîné : c'était à lui de t'aider, de te montrer. Je ne crois pas qu'il t'ait laissé la moindre chance.

À nouveau, les yeux gris de Regulus brillèrent intensément.

– C'est le moins qu'on puisse dire, chuchota-t-il.

Vera posa une main sur son épaule, et ils restèrent ainsi quelques minutes. À l'étage supérieur, on entendait de l'eau bouillir, des tasses s'entrechoquer. Regulus respirait un peu mieux. Malgré toutes les questions qu'il devait encore se poser, il se sentait étrangement détendu, comme allégé d'un énorme poids.

– Merci, Mrs Goyle. Vous m'aviez manqué. Vraiment.

– Tu m'as beaucoup manqué aussi, Regulus.

C'était au tour de Vera d'être émue.

– Qu'allez-vous faire, maintenant ? demanda soudain Regulus. Vous ne risquez pas d'être tuée par les Mangemorts, si vous restez sur la Colline d'Émeraude ?

– Ne t'en fais pas pour moi : je ne compte pas rester sur la Colline d'Émeraude. Il me reste quelques animaux à mettre à l'abri, puis j'aurai une ou deux petites choses à régler... Et ensuite, je m'enfuirai loin d'ici, avec Daisy et Fergus.

– Alors, c'est sans doute la dernière fois que nous nous parlons...

– Nous nous reverrons peut-être, tempéra Vera. Lorsque le monde connaîtra à nouveau la paix.

– Vous y croyez ? Vous pensez que tout cela peut finir ?

– J'en suis sûre. Et en attendant, nous pourrons nous échanger quelques nouvelles... Si tu en as le temps, entre deux cours de Potions.

Ils échangèrent un dernier sourire, puis Regulus bâilla longuement.

– Quelle journée, soupira-t-il.

– À qui le dis-tu, dit Vera en bâillant à son tour.

C'est le moment que choisit Walburga pour entrer dans la pièce. En voyant que Vera avait posé une main sur l'épaule de son fils, elle s'arrêta dans l'encadrement de la porte, et tous deux se séparèrent vivement de peur qu'elle ne se mette en colère ; mais elle ne fit aucun commentaire. Sous leurs regards craintifs, elle se contenta de poser un petit plateau sur la table. Vera remarqua qu'elle était de nouveau apprêtée : elle avait refait son chignon serré, défroissé sa robe, remit ses bijoux.

– Tenez, voilà pour vous, déclara-t-elle.

Avec brusquerie, elle posa devant Vera et devant Regulus deux tasses de thé brûlant, en en renversant la moitié sur la table.

– Toi aussi, prends ça, dit Walburga en mettant un morceau de pain dans les pattes d'Albert, qui sursauta.

À en croire les efforts que dut déployer Albert pour le grignoter, le pain était rassis ; le thé était trop infusé, avec des morceaux de thym qui flottaient dedans, et la tasse de Vera était dangereusement ébréchée.

– Bois, ordonna sèchement Walburga en voyant Vera hésiter.

Et elle s'assit en face d'eux, au plus près de Kreattur. Troublée, Vera en but une petite gorgée : c'était le thé le plus amer qu'elle ait jamais goûté.

À côté d'elle, Walburga s'était rassise. Elle ne semblait pas très encline à discuter, mais après plusieurs minutes de silence, Vera se décida à essayer d'engager la conversation :

– Euh, Wal...

– Ne dis rien, coupa Walburga. Je surveille Kreattur.

Vera crut avoir mal entendu, mais Walburga ne se reprit pas. Elle continua de regarder intensément son elfe de maison, imperturbable, comme si c'était sa manière à elle de le sauver. Vera piqua du nez, et se replongea dans sa tasse avec un sourire amusé. Regulus buvait aussi, tout en réprimant de petites grimaces. Il bâilla à plusieurs reprises, puis, malgré les efforts qu'il déployait pour rester éveillé, il finit par fermer les yeux, la joue appuyée sur sa main.

En discutant avec Regulus, Vera n'avait pu s'empêcher de penser à sa filleule Narcissa. Quand on parlait de contradictions... Daisy avait parlé de marchander avec sa conscience, et Vera trouvait ce terme assez juste. Et pourtant, Narcissa était bel et bien allée voler les Baies Funèbres, comme Vera lui avait demandé. Alors, peut-être que tout n'était pas encore perdu... Peut-être, avec l'aide de Daisy, pouvait-elle encore ramener sa filleule à la raison... Et peut-être que ce qu'elle avait à lui révéler pourrait changer la donne...

Emportée au loin par ses méditations, Vera se mit à somnoler, bercées par le bruit régulier des ailes d'Albert qui produisaient une brise légère sur le visage Kreattur.

Elle s'éveilla quelques heures plus tard, lorsque la lueur rosée de l'aube s'infiltra dans la cuisine et se répercuta sur les casseroles de cuivre suspendues au plafond. En massant sa nuque ankylosée, elle constata que quelqu'un avait posé une couverture sur ses épaules et sur celles de Regulus pendant la nuit. Seule Walburga était encore éveillée, et elle se trouvait toujours dans la même position, droite comme un i, les mains croisées devant elle. Pas une mèche de cheveux ne s'échappait de son chignon serré, et pas un pli ne venait froisser sa robe de dentelle noire. Son regard gris comme l'acier n'avait rien perdu de son intensité, et fixait obstinément Kreattur, attentive au moindre de ses tressaillements.

Alors que Vera émergeait, Regulus se redressa à son tour, la joue imprimée par le bois de la table, et se pencha immédiatement sur l'elfe de maison. La peau de Kreattur avait retrouvé une teinte plus soutenue, et sa respiration était plus fluide, moins rauque. Il parlait dans son sommeil :

– Maîtresse... Ma pauvre maîtresse... Kreattur... Ne peut pas la laisser seule...

– Il va mieux, affirma Vera.

Regulus poussa un profond soupir de soulagement, et aussitôt, Kreattur entrouvrit les yeux, et, en voyant Regulus, il se redressa, et lui attrapa fermement la main.

– Maître Regulus, gémit Kreattur. Kreattur a fait tout ce que le maître a dit... Le maître a dit...

– Chhht, Kreattur... Repose-toi...

– ...que c'était un honneur pour lui et pour Kreattur de servir le Seigneur des Ténèbres, alors Kreattur a fait de son mieux... Kreattur a bu la potion, il a vu des choses terribles... Les entrailles de Kreattur étaient en feu...

– Kreattur...

– Mais Kreattur a repensé à ce que maître Regulus avait dit, qu'il devait veiller à bien obéir aux ordres du Seigneur des Ténèbres...

Et il retomba dans l'inconscience, laissant Regulus sidéré et horrifié.

– Voldemort lui a menti, ou a peut-être même modifié sa mémoire, devina Vera. Il lui a fait croire que c'était toi qui lui avais ordonné de faire tout ça... C'était le seul moyen de le forcer à obéir, de l'obliger à boire tout ce poison aussi atroce... En revanche, pourquoi Voldemort voulait lui faire boire cette potion, je l'ignore. Une expérience, peut-être, pour de prochaines victimes...

Tout en disant cela, Vera revêtit sa grande cape orange et releva son col immense.

– Je dois rentrer avant que Carla ne se réveille, dit-elle. Kreattur s'en sortira. Il a juste besoin d'un peu de repos et de beaucoup d'eau... Merci pour l'hospitalité, Wal.

Walburga ne répondit rien. C'était comme si elle n'avait pas entendu. En signe d'adieu, Albert tapota la tête de Kreattur, qui paraissait énorme à côté du petit ravluk. Puis, avec un léger bruissement d'ailes, il s'envola jusqu'à l'épaule de Vera.

– Bonne chance à tous les quatre, dit-elle. Et tant que nous sommes encore sur la Colline d'Émeraude... Notre maison vous sera toujours ouverte. Promettez-moi d'y penser.

– C'est promis, dit Regulus.

Vera remit ses pots en verre dans sa sacoche, qu'elle hissa sur son épaule.

– Au revoir, Regulus. Fais attention à toi, d'accord ? Tu as été assez intrépide pour le moment.

– Je ferai de mon mieux, sourit Regulus. Au revoir, Mrs Goyle. Merci pour tout.

Vera lança une poignée de poudre de cheminette dans la cheminée, et se plaça dans le foyer avec Albert. Ils restèrent plusieurs secondes immobiles dans les flammes vertes et denses, presque tristes que cette longue nuit se soit achevée.

– Maison des Goyle, dit distinctement Vera, comme à regret.

Une fois que l'explosion verte eut emporté Vera et Albert vers la Colline d'Émeraude, Walburga regarda longuement la cheminée. Ses joues avaient même repris quelques couleurs. Timidement, avec le sentiment de saisir l'occasion parfaite, Regulus s'approcha d'elle, et lui prit doucement la main. À son grand soulagement, sa mère se laissa faire.

– Tu as bien agi, Regulus, dit finalement Walburga.

Ses longs doigts osseux exercèrent une légère pression sur la main de son fils, elle se tourna vers lui, et Regulus eut enfin l'impression que sa mère le regardait vraiment.

– Et puis, tu sais, cette proposition du professeur Slughorn... Je pense qu'il faut que tu l'acceptes, déclara Walburga.


Laisser un commentaire ?