Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts
La liste des Malefoy
Assis dans cette même bibliothèque, plusieurs dizaines d'années auparavant, Lucius était exactement semblable à ce que Drago imaginait. Avec ses cheveux blonds, ses vêtements élégants et ses mains délicates, son apparence était irréprochable – comme d'habitude.
Il s'empressait de ranger quelques documents étalés sur la table, car il venait d'entendre le pas traînant de son elfe Prunnas résonner dans le couloir. Cela ne pouvait signifier qu'une seule chose, car Prunnas n'avait le droit de le déranger que pour une unique raison : Lord Voldemort souhaitait s'entretenir avec lui.
La porte s'ouvrit, et le visage verdâtre de l'elfe de maison apparut dans l'entrebâillement.
– Maître, commença l'elfe. Le Seigneur des Ténèbres...
– Bonjour, Lucius, siffla une voix aiguë et doucereuse.
À peine l'elfe avait-il ouvert la porte que Voldemort s'était glissé derrière lui pour s'introduire dans la pièce, telle une ombre silencieuse. Lucius se leva aussitôt, comme il en avait l'habitude pour le saluer.
– Mon cher ami, sourit Voldemort.
– Maître, le salua Lucius en s'inclinant.
Comme à son habitude, Voldemort était entièrement vêtu de noir, et avait rabattu son capuchon sur son visage : son allure sinistre offrait donc un contraste saisissant avec l'atmosphère chaleureuse et raffinée qui régnait dans le manoir. Il fit un geste imperceptible de la main, et la porte se referma au nez de l'elfe Prunnas ; puis il s'avança à travers la pièce en regardant autour de lui. Il était toujours heureux d'être accueilli dans cette bibliothèque, avec ses fauteuils confortables, ses cartes célestes, son parquet lustré recouvert d'une lourde peau d'ours polaire. Enfin un endroit digne de moi, semblait-il se dire en embrassant la pièce du regard, et voilà enfin quelqu'un qui mérite mon estime et ma confiance, semblait-il penser en se tournant vers Lucius.
– Asseyons-nous, décida Voldemort. J'espère que tu as de bonnes nouvelles à me donner.
– Comme d'habitude, Maître.
Leurs rencontres, qui avaient lieu à intervalles réguliers, commençaient toujours ainsi.
– Avant tout, dis-moi un peu comment se porte Narcissa...
– Elle va bien, répondit Lucius. Je vous remercie.
– Toujours pas de signe ?
Lucius cilla. Le Seigneur des Ténèbres parlait d'un enfant, bien entendu. C'était à cela que son maître s'intéressait, bien plus qu'au bien-être de son épouse – comme c'était le cas à chacune de leurs rencontres.
– Aucun, répondit Lucius avec dépit. Mais croyez-moi, j'en attends avec autant d'impatience que vous.
– Pour l'instant, seuls les Parkinson m'ont fait cet honneur, fit remarquer Voldemort. Voir cela me rassure quant à l'avenir des Mangemorts, mais j'aimerais qu'ils ne soient pas les seuls... Peu de mes partisans ont une compagne, et tu en fais partie, Lucius. Votre participation est donc essentielle.
– Nous faisons le nécessaire, assura Lucius. Ce n'est qu'une question de temps.
Lucius disait la vérité. Il savait à quel point Voldemort était enchanté par l'idée de voir naître de jeunes héritiers – ou plus exactement de futurs Mangemorts. Il guettait les naissances dans chacun des foyers et encourageait ses partisans à se lier entre eux, au grand dam de Bellatrix, qui refusait obstinément de se laisser approcher par quiconque.
Quant à Lucius et Narcissa, cela ferait bientôt trois ans qu'ils étaient mariés, et malgré leurs efforts répétés, Narcissa constatait tous les mois, avec une régularité exaspérante et un désespoir croissant, qu'elle ne portait toujours pas d'enfant. Ce mystère échappait à toute forme de magie, et personne n'était capable de leur fournir une explication quant à cet échec de plus en plus remarqué et de plus en plus humiliant.
– Ne sois pas contrarié, Lucius... Je suis certain que votre tour viendra.
– Je l'espère, affirma Lucius.
En réalité, Lucius redoutait ce moment tout autant qu'il l'espérait – mais il chassa rapidement cette pensée, de peur que son maître ne la découvre.
– Parlons d'autre chose, proposa Voldemort. La dernière fois, nous parlions d'une nouvelle attaque de grande ampleur. Avons-nous réfléchi à notre prochaine cible ?
– Eh bien... Pas vraiment, répondit prudemment Lucius. À vrai dire, je n'étais pas certain que le Seigneur des Ténèbres veuille renouveler l'expérience, après ce qu'il s'est passé la dernière fois.
Lucius faisait référence à l'attaque prévue sur une école moldue, le jour de la rentrée : les Mangemorts s'étaient organisés pour faire autant de victimes que possible, en choisissant l'horaire adéquat. Mais en fait de victimes, c'était une école vide qui avait été attaquée : l'établissement avait été évacué un peu plus tôt, pour un motif complètement absurde. Avec l'attaque d'un pont au centre de Londres, c'était la deuxième fois que cela se produisait : il n'était plus raisonnable de croire à une coïncidence.
– Je me demandais s'il n'était pas préférable de mettre ces attaques en suspens, poursuivit Lucius. Après tout, nous pouvons faire tout autant de dégâts en frappant de manière aléatoire, et...
– Es-tu en train de dire que tu souhaites renoncer ?
Lucius se figea. Il lui arrivait de temps à autre de se tromper sur les intentions du Seigneur des Ténèbres, et ce n'était jamais agréable.
– Nous devons répandre la terreur, et cette terreur doit être à la mesure de notre puissance, asséna Voldemort. Nos ennemis doivent se sentir traqués et observés en permanence : c'est pourquoi ces attaques ponctuelles, synchronisées, sont essentielles. De plus, si traîtres il y a, c'est une raison de plus pour recommencer : cela les forcera à s'exposer... Ce sera l'occasion de les identifier, de les capturer et de les punir comme il se doit. Je te charge donc de choisir une nouvelle cible, et de faire en sorte qu'elle soit aussi meurtrière que possible.
Lucius fronça le nez : cela ne serait pas une mince affaire. Leurs adversaires les avaient devancés à deux reprises ; ils étaient rusés, et malgré toutes les pistes que Lucius avait déjà explorées, aucune ne s'était révélée consistante. Il hésita à insister, mais ses nombreux conciliabules avec le Seigneur des Ténèbres lui avaient appris que c'était une perte de temps.
– À propos d'espions... Je sais que nous en avons déjà parlé, mais la présence de Vera Goyle sur la Colline d'Émeraude continue de m'inquiéter. Cette femme est dangereuse, Lucius, je l'ai toujours su... Et je ne peux pas m'empêcher de la soupçonner fortement, elle et sa fille Daisy, d'avoir un lien avec cette mascarade...
– C'est un sujet délicat, reconnut Lucius. Évidemment, dans d'autres circonstances, nous les aurions exécutées par précaution, mais les Goyle sont protégés par cette fameuse malédiction...
– Quelle malédiction ?
– La mère de Vera est une puissante sorcière, vous l'avez peut-être connue... Elle a quitté la Colline d'Émeraude il y a des années, au moment de la naissance d'Edgar et Daisy, afin de voyager à travers le monde. En partant, afin d'assurer la sécurité de sa descendance, elle a fait savoir à tous ses voisins qu'elle avait ensorcelé la Colline d'Émeraude, ainsi que l'ensemble de ses habitants, pour qu'aucun d'eux ne fasse de mal à Vera, ni à aucun membre de sa famille. D'après elle, s'ils en étaient chassés, ou si quelqu'un osait les blesser ou les tuer, une malédiction s'abattrait sur eux et détruirait toutes leurs familles...
– Elle pourrait avoir menti, objecta Voldemort.
– Elle pourrait, en effet... Mais les Collinards ont connu la puissance d'Alma Goyle. Ils estiment qu'elle avait le talent nécessaire pour jeter ce genre de malédiction, et y croient dur comme fer : aucun d'entre eux n'oserait leur faire de mal, et tous sont même prêts à les défendre en cas d'attaque, de peur de voir cette fameuse malédiction se réaliser...
– Ils sont donc prêts à s'opposer à moi, constata froidement Voldemort.
– Ils sont prêts à vous prouver que les Goyle ne sont pas les responsables que nous recherchons, corrigea Lucius. Ils se sont unis pour surveiller étroitement les Goyle, et tous sont formels : il est impossible qu'ils aient pu entendre quoique ce soit de nos plans. Carla, qui est la plus soupçonneuse, a même essayé de les mettre sur des pistes factices, afin de les surprendre, et cela n'a pas fonctionné...
– Et Narcissa ne leur rend pas visite ?
– Très rarement. Elle y est peut-être allée deux fois depuis l'incendie... Et limiter ses visites serait une précaution inutile : Narcissa ne sait rien de nos actions, et ne s'y intéresse pas. Non, décidément, nous avons déjà exploré cette piste-là plusieurs fois... Je n'y crois vraiment pas. Nous attaquer aux Goyle serait inutile, et même délétère, car nous nous attirerions inévitablement l'animosité de certains Collinards.
Voldemort resta longuement silencieux, puis finit par acquiescer.
– À propos des attaques, reprit Lucius. Les Mangemorts sont enthousiastes, bien sûr, mais ils continuent de se demander pourquoi je n'y participe pas...
– Tu n'as qu'à leur dire la vérité, répliqua Voldemort. Dis-leur que tu t'es naturellement proposé pour mener ces attaques, mais que c'est moi qui t'ai refusé cet honneur pour la raison suivante : je ne veux pas prendre le risque de te perdre. J'ai besoin de toi pour poursuivre cette guerre, de ton manoir pour nous réunir, de ton ingéniosité pour nous guider, de ton visage séduisant pour recruter de nouveaux Mangemorts. Mes autres serviteurs seraient facilement remplaçables, mais ce n'est pas ton cas ; et même si je sais que tu trépignes à l'idée de te battre, je te demande de rester à l'abri. Tu m'es bien plus utile dans cette bibliothèque que sur le champ de bataille.
Lucius hocha la tête, sans rien montrer de son soulagement. Voldemort reporta ensuite son attention sur le long parchemin couvert de noms qui était accroché derrière Lucius. Certains noms étaient déjà rayés – trop peu au goût du Seigneur des Ténèbres, malheureusement.
– Cette liste n'évolue pas beaucoup, fit remarquer Voldemort.
Lucius se retourna vers la liste des cibles prioritaires qu'il avait établie. Y figuraient les noms de Dumbledore, d'Alastor Maugrey, d'Adam Claring et de Ted Tonks ; plus largement, elle faisait l'inventaire de tous ceux qui étaient ouvertement opposés au projet des Mangemorts, mais aussi aux Sang-de-Bourbe qu'il connaissait. Les noms rayés étaient ceux qui ne représentaient plus d'obstacle.
– Le Seigneur des Ténèbres est observateur... En effet, toutes ces personnes connaissent notre puissance et s'en protègent : leurs domiciles ont été rendus incartables, ou bien sont protégés par des Sortilèges de Protection renforcés. Nos cibles sont donc de plus en plus difficiles à localiser et à atteindre. Mais je crois avoir trouvé une solution – deux solutions, pour être exact.
– Et quelles sont-elles ?
Lucius se pencha en avant, fier de ses dernières trouvailles. Il ouvrit sa veste, extirpa de sa poche intérieure deux parchemins soigneusement roulés et les tendit à Voldemort, qui les étala sur la table.
– La Carte des Ennemis, lut Voldemort sur le premier.
– Mon père et moi y travaillons depuis quelques semaines, dit Lucius. Avec l'aide d'une vieille amie, experte en la matière...
D'un geste de la main, il désigna l'écritoire en bois verni qui se trouvait au fond de la pièce. Un parchemin y était minutieusement étalé, partiellement couvert de runes ; quelques plumes de taille différentes étaient posées dans des encriers magiques, accompagnées d'une loupe et d'un compas en cuivre.
– Ce n'est pas aisé, et les phases de la lune ne me facilitent pas la tâche, expliqua Lucius. Mais lorsqu'elle sera prête...
– Quand ?
– Il me faudra encore plusieurs mois, mais notre patience sera amplement récompensée. Nos ennemis ne pourront plus se cacher : où qu'ils soient, nous les trouverons, et grâce à ma deuxième solution, leurs Sortilèges de Protection ne leur seront plus d'aucun secours.
Voldemort plissa les yeux, et même si son visage ne trahissait aucune joie, ses pupilles rougeoyèrent un peu plus intensément. Puis, sans rien ajouter, il repoussa le parchemin et examina le deuxième avec attention.
– Une hache ? demanda-t-il, circonspect.
Dans un premier temps, Lucius se contenta de sourire. Il avait anticipé la réaction dubitative du Seigneur des Ténèbres – et surtout, il avait préparé sa réponse.
– Ce n'est pas une hache comme les autres... Cette illustration ne rend pas compte de sa taille impressionnante, ni de sa puissance spectaculaire. Cette hache a été forgée par les premiers géants, à une époque où les hommes n'existaient pas encore. On raconte que ces forgerons à la force colossale se sont servis de la foudre qui tombait du ciel pour la modeler, et que l'acier en a absorbé la puissance céleste. Ceux qui prétendent l'avoir aperçue parlent d'un objet extraordinaire, irradiant d'une superbe lumière bleutée, capable de briser les plus puissants Sortilèges de Protection...
Lucius fit une courte pause pour apprécier l'attention avec laquelle Voldemort l'écoutait. Il avait appris à observer le Seigneur des Ténèbres, à interpréter le moindre de ses gestes et de ses tressaillements ; il pouvait donc deviner à quel point il était captivé. C'était l'une des nombreuses choses qu'ils avaient en commun : l'attrait pour tout ce qui touchait à la grandeur et à la puissance.
– Où se trouve cet objet ? demanda Voldemort.
– Personne ne le savait précisément, et beaucoup la croyaient perdue... Y compris moi-même, jusqu'à ce que je lise les carnets de voyage de l'un de mes ancêtres, Avelius Malefoy, qui a eu la chance d'approcher le peuple géant de près. Il raconte avoir vu, à l'extrémité nord de notre pays, l'un de ces géants portant une arme gigantesque qui, je cite, brillait dans la nuit comme un morceau de lave bleue... J'ai donc bon espoir qu'il s'agisse de cette hache, et qu'elle se trouve au nord de nos terres, en ce moment même, soigneusement gardée par les rares géants qui y vivent encore. J'ai ordonné à un homme de confiance de se rendre sur place, afin de la localiser plus précisément. Je dois encore réfléchir au meilleur moyen d'obtenir le soutien des géants, mais une fois que tout sera au point... Nous pourrions nous emparer de cet objet fascinant. Et lorsque nous serons en possession de la Carte et de cette hache, plus aucune cachette, ni aucun Sortilège de Protection ne pourra nous arrêter... Pas même ceux qui entourent l'école de Poudlard.
– Tout cela est très bien, déclara Voldemort en souriant enfin. Je vois que je peux toujours compter sur ton sens de l'initiative, Lucius... Grâce à ton ingéniosité inépuisable, le pays sera bientôt à nos pieds.
– C'est mon souhait le plus cher, assura Lucius en inclinant la tête.
Il se redressa, et tous les deux échangèrent un sourire satisfait.
– Je ne resterai pas longtemps, déclara Voldemort. Je ne veux pas retarder la fabrication de cette précieuse carte. Mais avant cela, dis-moi tout de même : as-tu des nouvelles recrues à me présenter ?
– Hélas ! En ce moment, je ne rencontre que des lâches terrorisés, qui cherchent seulement à rejoindre le clan des vainqueurs, grimaça Lucius. Je leur soutire leur argent et quelques informations, puis ils me rendent quelques services, mais aucun ne m'a paru suffisamment brave pour être admis au sein des Mangemorts.
– C'est fâcheux, en effet. Nous avons toujours besoin de sang neuf...
– En parallèle, Yaxley et Dolohov écument l'Allée des Embrumes à la recherche de partisans assez intelligents pour mériter notre attention. Quant à moi... Je garde un œil sur Poudlard, et c'est peut-être là que nous trouverons les recrues les plus féroces.
Il claqua des doigts, et les portraits de autres jeunes garçons se mirent à flotter dans les airs, juste derrière lui.
– Ils sont encore jeunes, mais je garde un œil sur ces quatre-là... À gauche, ce sont Robin Mulciber et Liam Avery. Ils sont tous les deux en sixième année à Serpentard, et passent plus de temps à dessiner des Marques des Ténèbres sur les murs qu'à suivre les cours. On dit qu'ils détestent tous les professeurs et qu'ils se vantent ouvertement de vouloir rejoindre les Mangemorts dès que possible.
– Très bien, murmura Voldemort.
– Si j'en crois les résultats qu'ils obtiennent à leurs examens de fin d'année, leur talent magique est assez médiocre, mais ils compensent ces difficultés par une agressivité impressionnante et une inventivité remarquable en matière de plaisanteries cruelles. D'après mes sources, c'est la cinquième fois qu'ils agressent un élève cette année... Je suis certain qu'avec un peu d'entraînement, ils feront de redoutables Mangemorts.
Voldemort se contenta de hocher la tête. Lucius désigna le troisième portrait :
– Celui-là n'a que quatorze ans, mais il me semble prendre le même chemin que les deux autres. Je ne sais pas d'où il tire toute cette haine pour les Moldus, mais ses convictions n'ont rien à envier aux nôtres.
– Son visage m'est familier...
– Sans aucun doute, puisque c'est le fils unique de Croupton... Cet imbécile lui a même donné son propre prénom : Bartemius.
– Fabuleux, susurra Voldemort. S'il nous rejoint, nous aurons un serviteur au plus près du camp adverse... Et le dernier ? Celui-là n'a pas l'air très... féroce.
Lucius suivit son regard. En effet, le quatrième garçon semblait plutôt absent et mélancolique. Il était très mince, quelques mèches de cheveux gras tombaient devant ses yeux, et il flottait dans ses vêtements mal assortis à la manière d'un épouvantail.
– Il s'appelle Severus Rogue, répondit Lucius. Il ne paie pas de mine, j'en ai bien conscience, et pourtant... Je le sais redoutablement intelligent. Je l'ai rencontré à Poudlard, alors qu'il n'était qu'en première année ; et déjà, il montrait beaucoup de potentiel, ainsi qu'un vif intérêt pour la magie noire. Il ne sera peut-être pas essentiel sur le champ de bataille, mais je serais ravi de l'avoir à mes côtés afin d'enrichir mes propres stratagèmes.
– Tu as mon entière confiance, conclut Voldemort. Rencontre-les, et convie-les aux prochaines réunions si cela te semble pertinent.
– Évidemment, il y a aussi le jeune Black... Je sais que le Seigneur des Ténèbres se défie de lui, mais je persiste à penser qu'il mérite toute notre attention. Je me suis renseigné sur ses résultats... Et à vrai dire, je n'ai jamais vu un garçon de son âge aussi brillant.
– En effet, je ne l'apprécie pas, confirma Voldemort avec agacement. Et surtout, je n'apprécie pas la relation qu'il entretient avec Bellatrix. J'ai le sentiment qu'il prend de plus en plus de place dans ses pensées, et que cela l'éloigne de notre lutte.
– Pourtant, lorsque Regulus en aura l'âge, leur union pourrait vous être profitable...
– Je t'ai dit que je ne l'appréciais pas, siffla Voldemort. Je sens quelque chose en lui qui me résiste... Ce n'est qu'une intuition, mais celles-ci me donnent souvent raison. Quel âge a-t-il ?
– Il aura seize ans l'été prochain.
– Vraiment, déjà ? Comme le temps est passé vite... Et dire que c'est l'âge auquel j'avais promis de le recevoir à nouveau... Mais je ne suis pas pressé de le revoir dans mes rangs. S'il m'est vraiment fidèle, il attendra un peu... Faisons-le patienter. Mettons-le à l'épreuve... Et alors, j'aviserai.
– Très bien, Maître.
– Et en-dehors des nouvelles recrues ? Y a-t-il des élèves qui représentent un potentiel danger ?
– Hélas, oui, j'en ai repéré plusieurs... Tous de la maison Gryffondor.
Il se retourna, et les quatre portraits qui se trouvaient derrière lui revinrent se poser sur la table. D'autres portraits les remplacèrent, montrant six adolescents cravatés de rouge et d'or – quatre garçons et deux filles – aux visages nettement plus avenants.
– Celui-ci s'appelle James Potter, dit Lucius en désignant le premier. Ses deux parents ont longuement travaillé au service de la protection des Moldus, aux côtés des deux Maugrey, et leur fils unique compte bien suivre leur voie. Quant au deuxième, vous le reconnaissez sans doute...
La photo en question montrait le visage séduisant d'un adolescent aux cheveux bouclés, qui souriait avec une assurance au moins égale à celle de James.
– Il a le visage d'un Black, devina Voldemort. Ce doit être le fils aîné d'Orion, celui dont il essaie vainement de nous faire oublier l'existence...
– Tout juste, dit Lucius avec un petit rire. L'héritier de la famille Black est devenu un fervent partisan d'Adam Claring et de toutes les idées scandaleuses qu'il défend. Une parfaite illustration de la décadence qui menace notre peuple, en somme...
– Il faudra l'éliminer au plus vite, commenta Voldemort.
– Dès que nous en aurons l'occasion, promit Lucius. Il y a aussi leurs deux acolytes, mais ils sont plus discrets et me semblent moins menaçants. Ces deux-là, en revanche...
Les deux derniers portraits étaient ceux de deux adolescentes. L'une d'elle avait de longs cheveux roux, et ses beaux yeux verts brillaient d'intelligence et de détermination.
– Lily Evans et Marlene McKinnon, récita Lucius. Leur popularité m'inquiète tout autant que leur habileté en matière de magie. Quand je pense que Slughorn les a admis dans son Club, alors que cette Evans est une Sang-de-Bourbe...
– Slughorn, vraiment ? Quelle déception, en effet... Quel âge ont-elles ?
– Le même que Potter, Black et leurs deux amis – seize ans. L'année de leur naissance a dû être maudite, pour engendrer de tels parasites...
– Dans ce cas, qu'attends-tu pour les rajouter sur notre petite liste ?
Lucius croisa les mains devant lui, et sourit avec amusement.
– Ce sera fait, évidemment. Les parents de Potter y sont déjà, tout comme les McKinnon. Quant aux parents de cette chère Lily... Ce sont des Moldus, ce sont donc des cibles par définition.
Lucius se retourna vers la liste, pointa sa baguette dessus et l'agita discrètement. Avec un léger bruit, une onde parcourut le parchemin ; quelques noms s'ajoutèrent à ceux déjà présents, inscrits par une plume rapide et invisible ; puis le parchemin s'immobilisa. Les six adolescents que Lucius venait de mentionner y étaient désormais inscrits. Mieux encore, toutes les copies de cette liste, dispersées à travers le pays entre les mains des Mangemorts, avaient simultanément subi les mêmes modifications.
– Bien, dit Voldemort en se levant. Je te remercie pour ton aide précieuse, Lucius...
Lucius se leva à son tour et contourna la table d'ébène pour raccompagner Voldemort jusqu'à la porte de la bibliothèque, qui s'ouvrit devant eux comme si un valet invisible l'avait poussée.
– N'oublie pas ce dont nous avons parlé, dit Voldemort avant de sortir de la pièce. Je compte sur toi... et sur Narcissa.
– Je n'oublierai pas, Maître.
Lucius inclina la tête pour le saluer. Il resta debout et suivit Voldemort du regard tandis que celui-ci s'éloignait dans le couloir. Le Seigneur des Ténèbres pouvait très bien transplaner depuis la bibliothèque, mais il préférait toujours déambuler à travers le manoir avant de le quitter. Lucius le laissait seul, ce qui lui permettait de s'extasier librement ; et Voldemort ne se lassait jamais de ce petit rituel, qui lui permettait de mesurer une nouvelle fois l'étendue de la demeure qui l'accueillait, et de savourer l'opulence qui régnait dans chacune des pièces. Lucius sourit en voyant sa silhouette encapuchonnée partir du côté de la galerie des ancêtres : Voldemort ne pouvait pas résister à la tentation d'être salué par la vingtaine de portraits qui y étaient alignés, témoins de la grandeur de la famille Malefoy à travers les siècles.
Puis il ferma la porte et s'adossa à celle-ci avec soulagement. Il respirait enfin librement : une fois encore, tout s'était bien passé. Si l'on faisait exception de cette grossesse qui tardait à venir, Lucius avait répondu avec brio à toutes les attentes du Seigneur des Ténèbres : il avait, une fois de plus, confirmé son importance et son efficacité, et son père en serait le premier informé.
À cette pensée, son visage s'éclaira : il ne s'était jamais senti aussi important. Satisfait de lui-même, il regagna son fauteuil et s'y assit confortablement. Derrière lui, les visages suspendus de James, Sirius, Remus, Peter, Lily et Marlene continuaient de sourire, aveugles et sourds à toutes les décisions abominables qui venaient d'être prises, ignorant pour quelque temps encore toutes les conséquences désastreuses qui allaient en découler.
D'un geste de la main, Lucius attira à lui le Fumesbire de son père – une énorme jarre de cristal remplie d'un liquide vert frémissant, d'où montait une spirale de fumée verte. Il tendit une main ouverte vers la jarre et un tuyau argenté se matérialisa devant lui, relié au récipient de verre. Il en porta l'extrémité métallique à ses lèvres et inspira profondément : le liquide vert et phosphorescent qui se trouvait dans la jarre bouillonna alors plus intensément, et la spirale de fumée interrompit momentanément son ascension.
Lorsqu'il entrouvrit les lèvres, une fumée verte et opaque s'en échappa, et descendit vers la surface de la table, où elle se mit à onduler pour former le corps d'un long serpent. L'animal de fumée s'éloigna silencieusement de Lucius et se dirigea vers le dessus de la cheminée ; là, il s'enroula autour du superbe globe terrestre et l'enserra de ses anneaux, avant de se dissoudre dans un courant d'air.
Lucius sourit, et alors qu'il expirait une nouvelle bouffée de fumée opaque, ses yeux retombèrent sur la photographie de Rogue, qui était retombée sur la table. Tout en se caressant pensivement le menton, il leva la photographie devant ses yeux. Décidément, le pauvre garçon avait piètre allure, avec ses cheveux gras, son expression mélancolique et ses vêtements mal assortis. Il était loin d'avoir le panache d'un Mangemort, et pourtant, sans qu'il sache expliquer précisément pourquoi, Lucius le savait capable de grandes choses.
À peine quelques jours après l'arrivée de Rogue à Poudlard, Lucius avait surpris Sirius Black et James Potter – ces deux petites canailles, songea Lucius – en train de le tourmenter. Grâce aux deux jumeaux Crabbe, Lucius les avait fait fuir, et avait gagné la loyauté indéfectible de cet étrange garçon. Par la suite, ils avaient échangé quelques lettres lorsque Lucius avait séjourné à Durmstrang – Rogue était curieux de mieux connaître cet endroit fascinant, et Lucius ravi de partager ses nouvelles connaissances ; leur correspondance s'était espacée, mais Lucius pensait régulièrement à lui. Il devait bien l'admettre : dès le jour de leur rencontre, Lucius avait été touché par ce garçon, pourtant peu amène. Peut-être parce que la sensation d'être humilié et malmené ne lui était pas totalement étrangère...
Lucius secoua nerveusement la tête pour chasser ces vieux souvenirs, et se concentra de nouveau sur le portrait de Rogue. Le garçon était en sixième année : il aurait bientôt dix-sept ans. Il ne projetait peut-être pas encore de rejoindre les rangs des Mangemorts, mais cela ne saurait tarder, Lucius y comptait bien...