Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 2 : De nos jours

2289 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 06/02/2025 18:07


De nos jours




Des dizaines d'années plus tard, le domaine des Malefoy, encore plus étendu que Buckingham Palace, est silencieux et désolé. Le ciel qui le surplombe s'émiette en flocons sur les ronces qui envahissent le jardin, et la neige recouvre la campagne de son lourd manteau immaculé : elle étouffe tous les sons, fait ployer les branches et grincer les toits.

Dans la tourelle Est, où Drago a déjà tant travaillé, l'humidité gagne chaque jour du terrain. Dans le petit bureau où il a initialement choisi de s'installer, il a tout débarrassé ; il ne reste pas un parchemin, pas un encrier, pas le moindre morceau de journal. Seul, posé sous une faiblesse du toit, un seau émet de temps à autre un son cristallin. Il semble répondre avec mélancolie aux autres récipients disposés un peu partout dans le manoir, érigés en remparts dérisoires contre l'humidité qui s'infiltre dans chaque faille, ramollit les poutres, dévore insidieusement les murs.

Drago, lui, n'entend pas cette étrange mélodie et ne se soucie pas de tout cela. Il se trouve quelques étages plus bas, au rez-de-chaussée, dans l'ancienne bibliothèque de son grand-père paternel, Abraxas Malefoy. Il n'apprécie pas particulièrement cette pièce, dont le sol est tapissé par une dépouille d'ours polaire, encore imprégnée par la malveillance de son ancien propriétaire ; mais la cheminée qu'elle possède est l'une des dernières à ne pas être obstruée, et la taille relativement réduite de la pièce lui permet d'échapper à la température glaciale qui règne dans toutes les autres. Les flammes qui bondissent dans la cheminée projettent des ombres mouvantes sur les murs et redonnent un semblant de vie aux objets qui y sont exposés : un somptueux piano à queue, un Fumesbire finement sculpté, des bouteilles de vin soigneusement délestées de leurs étiquettes moldues, un globe terrestre d'une taille impressionnante, des cartes célestes, des livres anciens gravés de runes inquiétantes.

Drago est assis, emmitouflé dans un manteau bien trop grand pour la maigreur de ses épaules. Devant lui, recouvrant toute la surface de l'immense table en bois verni, assemblés en piles et protégés des courants d'air par des presse-papiers ouvragés, s'étalent une quantité impressionnante de rouleaux de parchemin. Tout en frottant ses deux mains l'une contre l'autre pour les réchauffer, Drago s'affaire à classer toutes ces notes, avant d'en retranscrire quelques-unes dans le livre épais qui se trouve devant lui.

Il est courbé sur la table, intensément concentré ; les taches d'encre se multiplient sur ses mains, sans qu'il ne s'en préoccupe. De temps à autre, il s'interrompt, lève la tête, s'interroge sur l'ampleur et sur le caractère dérisoire de ce qu'il fait. Son regard gris pâle balaie pensivement l'ensemble des informations qui s'étalent sous ses yeux. Il y a là des copies d'archives du Ministère, des rapports concernant les échanges avec les dirigeants moldus, des coupures de journaux, des actes de décès aux dates bien trop rapprochées ; il y a là les témoignages d'hommes et de femmes, mais aussi celui d'un fantôme, d'un portrait, ou encore d'un valeureux elfe de maison.

Par hasard, il s'arrête sur l'un des parchemins, marqué par le sceau du Ministère et par l'écriture d'un certain Ministre de la Magie nommé Harold Minchum :

 

27 octobre - Entretien avec la reine moldue

Est informée de la dégradation de la situation

Pas de signe de soumission à l'Imperium

S'obstine d'ailleurs à nous proposer l'aide du peuple moldu, semble persuadée que cela pourrait nous aider

Sécurité de Buckingham assurée par plusieurs Aurors

Prochaine visite prévue le 3 novembre

Drago soupire. Chaque note, chaque page pourrait faire l'objet d'une journée de travail. Il pourrait s'attarder sur la manière dont la reine moldue s'est obstinée à proposer son aide au Premier Ministre à chaque entrevue, il pourrait saluer la patience et la dignité dont elle a fait preuve pendant ces longues années de guerre ; et il pourrait faire de même avec les innombrables sorciers qui ont fait barrage de leur vie pour entraver la marche destructrice des Mangemorts. Il sait que s'il le faisait, Scorpius s'intéresserait à chacun d'eux. Contrairement à lui, qui a toujours voulu dissimuler la vérité – aux autres et avant tout à lui-même – son fils a toujours été avide de savoir, de comprendre ce qu'il s'était passé pendant ces deux guerres, quel rôle sa famille y avait joué. Le poids de leur héritage ne l'a jamais effrayé : tout jeune, déjà, il avait deviné qu'il était nécessaire de le connaître et de l'accepter, afin de mieux s'en défaire.

Drago n'a jamais su où son fils a puisé cette force, cette sagesse, ce courage. En ce qui le concerne, il en manque cruellement – il en a toujours manqué. En ce moment même, il se sent écrasé par tous ces noms qui le dévisagent, par le poids de cette sombre époque, marquée au fer rouge par l'œuvre de son père. Il ne sait pas comment rendre hommage à toutes ces vies perdues, il voudrait pouvoir effacer ces horreurs, faire en sorte qu'elles n'aient jamais eu lieu. C'est d'ailleurs ce qu'il a tenté de croire et de faire croire, pendant de longues années ; il a fait semblant, il a prétendu que tout allait bien, il fallait aller de l'avant, penser à l'avenir. Grâce à Astoria, il a presque réussi à croire à son propre mensonge, pendant un temps – jusqu'à ce que le passé ne le rattrape de plein fouet, et que l'avenir ne s'écroule devant lui.

Et maintenant, l'imposture est terminée, il est au bord du gouffre. Certes, il pourrait encore fuir, s'emmurer dans ce manoir sinistre, ne plus jamais donner signe de vie, se laisser engloutir par l'oubli et rejoindre le rang des vieux souvenirs. C'est d'ailleurs sans doute ce qu'il ferait, s'il n'y avait pas Scorpius, mais Drago ne peut pas se résoudre à l'abandonner au silence. Son fils doit comprendre, Drago lui doit des explications. C'est d'ailleurs la seule chose que Scorpius lui a demandée avant de partir.

Drago se raidit en se remémorant le jour où son fils a quitté le manoir, et la violente altercation qui les a opposés ce jour-là. Il lui semble que la scène a eu lieu quelques minutes plus tôt, tant ses souvenirs sont encore vifs. Il se souvient du regard blessé de son fils, de sa douleur si profonde, de ses questions si pressantes et si vaines. Il peut encore l'entendre crier : Pourquoi est-ce que tu ne me laisses pas t'aider ? Je veux seulement comprendre ce qui t'arrive !

Le temps est venu pour cela, pense Drago, la gorge serrée. Scorpius mérite toutes ces réponses, et bien plus encore. Il n'a que trop attendu, en plus d'avoir payé le prix fort pour des erreurs qui n'étaient pas les siennes. Il doit savoir d'où il vient. Et en effet, de sa famille maternelle, il a toujours tout su, tout connu : sa mère si douce, sa tante un peu hautaine et son oncle odieux, ses grands-parents maternels et le rôle flatteur qu'ils avaient joué pendant la guerre – les Greengrass ne manquaient jamais une occasion de s'en vanter.

Tandis que de son côté à lui, Drago... Les questions de Scorpius se sont toujours heurtées au silence. Tout est resté secret, mystérieux, verrouillé. Et à nouveau, Drago balaie du regard les piles de parchemin étalées sur la table. Il y a tant de choses à dire... Et tout cela n'est rien, en comparaison des souvenirs qui imprègnent les murs de ce manoir – à commencer par la pièce dans laquelle il se trouve.

Drago regarde autour de lui, nerveux. Non, décidément, il n'a jamais aimé cette bibliothèque. Combien de fois son père l'a-t-il convoqué ici pour examiner avec minutie ses notes de fin d'année, combien de fois Drago a-t-il espéré un geste tendre qui n'était pas venu, combien de fois son père a-t-il préféré lui raconter avec nostalgie ses conciliabules interminables avec Lord Voldemort ?

Le bras droit du Seigneur des Ténèbres, Drago, tu ne peux pas savoir ce que c'était... Non, bien sûr, Drago ne peut pas savoir. Mais il peut imaginer. Et d'ailleurs, c'est ce qu'il fait. Il fixe le fauteuil qui lui fait face, remonte des dizaines d'années en arrière, son esprit efface l'humidité sur les meubles et les parchemins étalés sur la table, redonne de l'éclat aux lustres et aux chandeliers, de la couleur aux tapisseries tendues sur les murs...

Et grâce au miracle de l'imagination, son père est face à lui. Il est si jeune, plein de fougue, d'ambition et de ruse, vêtu de somptueux habits, manipulant avec aisance le Fumesbire et les cartes célestes, discutant avec passion. Drago n'est pas encore né, Lucius a reçu la Marque des Ténèbres quelques mois plus tôt, et il dirige le monde depuis cette petite pièce. Derrière lui, épinglés au mur, se trouvent des portraits de futures victimes que Drago ne connaîtra jamais.

Évidemment, c'est au Seigneur des Ténèbres que Lucius parle avec tant d'animation ; mais Drago ne veut pas imaginer le visage de celui-ci, les quelques souvenirs qu'il en a l'effraient encore trop. Il se concentre sur son père. Drago se le représente si bien, avec ses yeux gris pâle et ses cheveux blonds, son visage si semblable au sien, qu'il lui semble qu'il pourrait le toucher. Il aimerait surtout lui parler, l'avertir de ce qu'il est en train de faire, en train de préparer. Lui dire que Voldemort, derrière ses sourires, ses flatteries et ses paroles amicales, sera bientôt celui qui le tourmentera avec la pire des cruautés. Oui, Drago aimerait surgir devant son père, dans cette scène qui a sûrement eu lieu des dizaines de fois, et le convaincre de tout arrêter, malgré son ambition dévorante, malgré son désir désespéré d'obtenir enfin la gratitude et la reconnaissance de son père à lui...

Bien sûr, tout cela est impossible. D'ailleurs, Lucius ne le croirait probablement pas, tel qu'il était à l'époque, aveuglé par l'admiration et la confiance absolues qu'il portait en Voldemort. Non, décidément, il n'aurait jamais pu prendre une telle mise en garde au sérieux. Quant à Voldemort, Drago s'est souvent posé la question : lorsqu'il parlait avec son père, à l'époque, savait-il déjà qu'il finirait par le détruire ? A-t-il un jour ressenti pour lui, ne serait-ce qu'un instant, un sentiment approchant de l'amitié ?

Drago reprend ses esprits : il n'obtiendra jamais de réponse à ces questions, et il ne devrait pas s'en préoccuper. Il ferait mieux de penser à ce qu'il doit écrire, maintenant qu'il a lu tous les documents qu'il avait en sa possession.

Il contemple les innombrables liasses de parchemins qui recouvrent la table, et pousse un long soupir. De toute évidence, il ne peut pas tout raconter. Il ne peut pas rendre compte de toutes les vies perdues, de toutes ces tragédies, de toutes les atrocités commises par son père et ses complices. Ce serait bien trop long, et de toute évidence, trop douloureux.

Le regard de Drago se pose alors sur le journal rose et fané, oublié sur le bord de la table, enseveli sous quelques articles de journaux. Il en oublierait presque sa mère, tant elle était indifférente à la guerre qui se jouait au-dehors. Drago tend la main, ouvre le journal, parcourt les quelques pages qui racontent avec consternation la destruction du pensionnat Wimbley, puis les accusations insultantes de l'oncle Orion à son égard ; et en lisant la suite, il se sent envahi par une vague de tristesse.

En effet, dans les pages suivantes, il n'est question ni d'Orion, ni du pensionnat Wimbley, ni même de la guerre – en lisant ces pages, on pourrait croire qu'elle s'est interrompue. Non, sur ces dizaines de pages monotones et désespérées, des phrases se répètent à l'infini, toutes tendues vers la même espérance : Quand aurai-je enfin un enfant ? a-t-elle écrit d'innombrables fois, s'accusant d'être une incapable, d'être maudite, relatant tous ses espoirs irrémédiablement déçus, à tel point que le cœur de Drago se serre devant tant de désarroi.

Pendant presque trois ans, Narcissa ne s'est préoccupée de rien d'autre, pas même de Bellatrix, de Regulus ou de la famille Goyle, sans se douter une seule seconde que les meilleurs d'entre eux étaient sur le point de lui être arrachés.

Drago se renverse en arrière et se masse la nuque, ankylosée à force d'être penché sur son ouvrage. Puis il remue les doigts, se masse le poignet, reprend sa plume et se remet au travail. Il faut avancer : assembler tous ces souvenirs, combiner ces grains de poussière, leur redonner une forme, un ordre, un sens – même si tout cela n'en a peut-être jamais eu.

Il tente malgré tout, avec un espoir qui semble parfois vain, d'expliquer à son fils ce que lui-même a longtemps cherché à comprendre, de répondre à leurs questions trop longtemps contournées, et de peut-être, sait-on jamais, commencer à réparer ce qui semble irrémédiablement détruit.


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