A travers le temps

Chapitre 26 : le rappel d'urgence

5128 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a environ 2 mois

« Bella ! » hurlai-je, terrifiée. Je glissai le pistolet dans ma ceinture et courus jusqu’à elle pour la prendre dans mes bras.

Elle entrouvrit les yeux et murmura faiblement :

— Il allait te tirer dans le dos… Je ne pouvais pas le laisser faire.

C’est alors que des cris résonnèrent au loin, accompagnés d’aboiements qui se rapprochaient rapidement.

— Le coup de feu venait de ce côté ! cria une voix.

— PAR ICI ! répondis-je à pleins poumons.

Je baissai les yeux vers Fleur. Je fixais la tâche de sang qui ne cessait de grossir.

— Non, Bella… tu ne peux pas mourir. Tu n’aurais pas dû faire ça.

Sa main tremblante se leva pour caresser ma joue avec une douceur infinie. Dans ses yeux brillait un amour pur, inconditionnel.

— Il fallait… que je sauve… la femme que j’aime.

— Non… non… non… tu n’as pas le droit de partir, sanglotai-je, incapable de retenir mes larmes.

À cet instant, quatre hommes surgissent dans la clairière, escortés de chiens excités.

— Où est-il ? s’écria l’un d’eux.

Je levai un bras tremblant pour désigner les bois.

— Il est parti par là, vers la rivière. Je l’ai touché au bras. Il est blessé.

— Très bien, en avant ! lança un grand homme armé d’un fusil.

Sans attendre, le groupe s’élança à sa poursuite, bientôt rejoint par d’autres. Et moi, je restai là, seule… les bras serrés autour de Fleur, priant qu’il ne soit pas trop tard.

Quelques secondes plus tard, le père de Fleur surgit dans la clairière. Lorsqu’il vit sa fille allongée au sol, ensanglantée, son visage devint livide. Il se précipita aussitôt vers elle.

— Que s’est-il passé ?

— Fleur et moi étions en train de parler quand ce salaud de Bill s’est faufilé derrière moi. Votre fille l’a vu au moment où il allait me tirer dans le dos. Elle m’a poussée pour me sauver… et c’est elle qui a été touchée. Il a laissé tomber son arme et s’est enfui. Je l’ai ramassée et j’ai tiré. Je suis sûre de l’avoir touché au bras gauche, répondis-je, la voix brisée, la rage mêlée aux larmes.

M. Delacour blêmit davantage en découvrant la plaie. Je lui confiai Fleur, et il l’enlaça doucement.

— Papa… il allait tirer sur Hermione, souffla-t-elle faiblement.

— Ne parle pas, ma chérie. Garde tes forces. Tu as fait preuve d’un courage immense. Je suis tellement désolé de t’avoir un jour promise à cet homme. Si j’avais ne serait-ce qu’imaginé ce qu’il était réellement… jamais je n’aurais laissé faire ça. Pardonne-moi.

— Ce n’est rien, père… tu ne pouvais pas savoir.

Je fouillai fébrilement dans mon sac, déchirai un morceau de tissu d’une robe et le pressai contre la blessure, tentant d’arrêter l’hémorragie.

— Elle a besoin d’un médecin, maintenant !

Le regard du père de Fleur se posa sur la plaie. Je le vis blêmir davantage et détourner les yeux, visiblement bouleversé.

— Quoi ? Qu’est-ce que vous savez ? Dites-le-moi !

Il releva lentement les yeux vers moi, son expression devenue grave.

— J’ai vu beaucoup de blessures dans ma vie… trop, même. Et ce genre de plaie, je la reconnais. Si elle n’est pas entre les mains d’un chirurgien dans l’heure qui vient… elle mourra.

— Combien de temps avons-nous ?

— Le docteur Pince, le plus proche, est à Londres aujourd’hui. Je l’ai croisé hier à l’auberge, il m’a dit qu’il s’y rendait. Le prochain médecin est à mi-chemin entre ici et la capitale…

Il s’interrompit, la gorge serrée, puis prit la main de Fleur dans la sienne, des larmes roulant sur ses joues.

— Oh, ma petite fille… Je ne peux pas te perdre…

Je restai figée, en état de choc. Mon cœur battait à tout rompre, mon esprit tournait à toute vitesse.

— Réfléchis… réfléchis, bon sang ! criai-je, à bout de nerfs.

Et soudain, ce fut comme un éclair dans mon esprit. Il n’existait qu’un seul moyen de sauver l’amour de ma vie : je devais la ramener chez moi.

Mais je le savais… Elle mourrait bien avant que nous atteignions le portail temporel, là-bas, dans l’usine de Whitechapel. Puis je me suis rappelée du rappel d’urgence. Un dernier recours. Un bouton que je n’avais encore jamais utilisé. Il pouvait fonctionner ou échouer. Et s’il échouait, il détruirait la machine… Peut-être même moi.

Mais je n’avais pas le choix. Je ne pouvais pas la laisser mourir.

Je courus jusqu’à M. Delacour, qui tenait sa fille dans ses bras. Je haletais, le cœur en feu.

— Monsieur Delacour ! Je sais que tout semble perdu… mais il existe un moyen de la sauver. J’ai une solution.

Il leva les yeux vers moi, le regard ravagé par la douleur, mais où luit une étincelle d’espoir.

— Comment ? demanda-t-il, la voix tremblante.

Je n’avais plus le temps de cacher la vérité.

— Ce que je vais vous dire va vous sembler insensé… comme les divagations d’un esprit en fièvre. Mais je vous le jure devant Dieu, monsieur : je dis la vérité. Je suis bien un être humain, de chair et d’os. Ni un ange, ni un démon. Juste une femme… mais une femme venue d’un autre temps. Je viens d’au-delà de demain.

Je parlais vite, le souffle court, tandis que Fleur gémissait faiblement dans ses bras.

— Dans quelques décennies, un homme brillant inventera une machine capable de faire voyager une personne à travers le temps. Grâce à elle, j’ai quitté mon époque… et je suis venue ici. Pour empêcher ce mariage. Pour réparer ce qui n’aurait jamais dû être.

Ses yeux s’écarquillèrent. Il ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Alors j’insistai, espérant apaiser ses doutes :

— Mon époque, monsieur, n’est pas un monde de ruine ou d’oubli. L’Angleterre existe encore. Elle a toujours un monarque, un parlement, une Chambre des communes, une Chambre des lords. Les gens jouent toujours au cricket. Les hommes y croient toujours en Dieu, tout comme vous.

Il me fixa longuement. Son regard cherchait la folie, mais n’y trouvait que désespoir… et sincérité.

Je poursuivis d’une voix plus douce :

Très bien, j'étais en chemin pour Londres après l'interruption à l'église, afin de retourner à mon époque. Pour repasser par le portail entre nos deux mondes. Mais, il existe un dernier recours, je peux faire apparaître ce portail ici même. Je pourrais emmener Mlle Fleur avec moi. Là-bas, je pourrais organiser un transport très rapide et la faire admettre dans un hôpital entièrement équipé en quelques minutes. Nous avons des médecins, des infirmières et des chirurgiens qui utilisent les techniques les plus avancées.

Il fronça les sourcils, le regard brouillé d’émotion.

— Vous parlez de miracles… mais si ce que vous dites est vrai…

Je posai ma main sur la sienne, avec toute la gravité que j’étais capable d’exprimer :

— Ce n’est pas une fable, monsieur. Ce n’est pas une illusion. C’est réel. Je suis réelle. Et je vous en prie… donnez-moi votre confiance. Laissez-moi la sauver.


Ayant une idée soudaine, je fouillai dans mon sac et attrapai mon téléphone. Mes doigts tremblaient légèrement tandis que je faisais défiler mon album photo, jusqu’à trouver l’image que je cherchais. Je levai l’appareil.

— Ceci est un objet de mon époque. Un jour, presque chaque personne dans mon pays et dans le monde en possédera un. Il peut faire bien des choses : envoyer des messages comme un télégraphe, prendre des photos comme un appareil… et bien plus encore. Il a été inventé par des hommes, fabriqué dans une usine. Ce n’est pas un objet de sorcellerie. C’est un outil, tout simplement. Comme une machine à vapeur ou un moulin à café.

Je tendis le téléphone vers lui, l’écran éclairé entre nos deux visages.

— Regardez. Vous reconnaissez cet endroit, n’est-ce pas ?

Il jeta un coup d’œil dubitatif à l’image… puis son expression changea. Son regard s’élargit, fasciné.

— C’est… l’église Saint-Michel. Celle où nous allons tous les dimanches. Mon Dieu… je n’ai jamais vu une image pareille. Elle est en couleurs… c’est comme si j’y étais…

— Lorsque je suis arrivée à Beckenham, je l’ai photographiée. Elle existe toujours, monsieur Delacour. Dans mon époque. Et chaque dimanche, les fidèles s’y réunissent encore. L’église est debout. La foi ne s’est pas perdue. Le monde continue.

Je le regardai droit dans les yeux.

— Alors… maintenant, vous me croyez ?

Il resta silencieux quelques secondes. Son regard allait de moi à sa fille, qui respirait difficilement dans ses bras. Je savais qu’il n’était pas encore tout à fait convaincu… jusqu’à ce que la main tremblante de Fleur se referme faiblement sur la sienne.

— Papa… s’il te plaît… fais confiance à Hermione… C’est une bonne personne… Je t’en prie…

Puis sa main retomba, et elle perdit connaissance.

Le silence retomba un instant. Il regarda la robe de sa fille, tachée de sang, puis redressa lentement les yeux vers moi.

— Si tu peux sauver ma fille… si tu peux vraiment l’emmener dans ton monde… alors fais-le.

Je laissai échapper un souffle tremblant, entre soulagement et tension.

— Très bien. Mais je dois vous prévenir. Pour ouvrir le passage ici, je vais devoir déclencher une procédure d’urgence. Une sorte de raccourci… qui va endommager le dispositif. Une fois de l’autre côté, je ne pourrai pas revenir avant longtemps. Et Fleur non plus.

Je posai doucement ma main sur son épaule.

— Mais je vous le jure : elle sera en sécurité. Je la ferai soigner, personnellement. Je ne la quitterai pas. Et je vous promets solennellement… qu’un jour, je la ramènerai auprès de vous.

Son regard se durcit légèrement, une lueur de solennité dans les yeux.

— Jure-le-moi. Au nom de Dieu. Que tu prendras soin d’elle. Et qu’elle me sera rendue, saine et sauve.

Je levai la main, la voix ferme.

— Moi, Hermione Granger, je le jure, au nom de Dieu qui est au ciel, que je prendrai soin de Mademoiselle Fleur Delacour… et que je la ramènerai un jour auprès de vous. Amen.

Il avait encore toutes les raisons du monde de croire que j’étais une imposture… ou simplement folle. Mais il aimait sa fille plus que tout, et cela suffisait. Il s’accrochait à l’espoir aussi fragile fût-il de la sauver. Et comment aurais-je pu lui en vouloir ?

Soudain, une lueur d’inquiétude passa dans son regard.

— Mais… comment vais-je expliquer sa disparition ?

Je réfléchis quelques secondes, puis une idée me vint.

— D’accord. Dis simplement qu’après l’humiliation publique qu’elle a subie, elle a choisi de se retirer du monde. Qu’elle est partie rejoindre un couvent, ou un lieu religieux isolé, pour consacrer sa vie à Dieu. C’est un mensonge, je sais, mais c’est une explication que les gens accepteront. Elle correspond à sa nature discrète… et personne n’ira la chercher.

Je le fixai avec sérieux.

— Et je dois te demander une dernière chose. Ne dis à personne qui je suis réellement. Dis que j’étais une jeune femme venue d’Amérique, engagée pour un travail temporaire, et qui a disparu du jour au lendemain. Ne parle à personne de mon origine. Ni du futur.

Il me regarda un moment, puis hocha lentement la tête.

— Tu as ma parole. Rien ne sortira d’ici.

Je me redressai alors, inspirai profondément, et reculai d’un pas. Repliant ma manche, je découvris la montre épaisse attachée à mon poignet.

— Je vais appuyer sur un bouton. Il y aura de la lumière, du bruit, peut-être un souffle d’air… mais n’aie pas peur. Tiens bien Fleur dans tes bras. Et prépare-toi à la confier à un autre monde.

Son regard se posa une dernière fois sur sa fille, puis il me fit un signe de tête solennel.

Je pris une grande inspiration. Puis j’appuyai trois fois sur le bouton rouge du rappel d’urgence.


Dans le présent – 2024

Dumbledore était affalé dans un large fauteuil de cuir, une bande dessinée moldue posée sur ses genoux, les lunettes glissant légèrement au bout de son nez. Le calme de l’instant fut soudain brisé par une alarme stridente qui déchira le silence comme un sortilège lancé en pleine nuit.

Il bondit aussitôt de son siège et se précipita vers le moniteur principal.

L’écran clignotait en rouge, affichant en lettres capitales :

« RAPPEL D’URGENCE ACTIVÉ – 15:49:15 – 10/07/1869 HEURE LOCALE

LANCEMENT DU PROTOCOLE D’URGENCE

RECALCUL DES COORDONNÉES DU TROU DE VER

DÉBUT DU PROGRAMME… »

D’un seul coup, toutes les machines de la salle s’activèrent en chœur. Ce n’était plus le ronronnement habituel des moteurs, mais un vacarme grave, tendu, comme si les machines elles-mêmes souffraient sous une pression insoutenable.

Dumbledore fronça les sourcils. Même lui n’avait jamais entendu ce son-là.

Puis il vit l’espace devant lui se tordre lentement, comme si l’air se pliait sur lui-même. Un trou de ver commençait à s’ouvrir… mais avec une lenteur inhabituelle, laborieuse, presque douloureuse.

En 1869

Rien ne se produisit tout de suite.

Hermione sentit une boule d’angoisse se former dans sa gorge. Elle jeta un coup d’œil à Fleur, toujours inconsciente dans les bras de son père. La panique commençait à lui ronger les entrailles.

Et si ça ne fonctionnait pas ? Et si elle les avait condamnées toutes les deux ?

Mais soudain, l’air se mit à frissonner.

Un souffle étrange s’éleva du sol, comme un vent invisible qui faisait frémir l’herbe autour d’eux. Puis, sans avertissement, une déflagration de lumière rouge et violette jaillit à deux mètres du sol, illuminant la clairière d’un éclat surnaturel.

Le trou de ver apparut. Il était là… mais il n’était pas comme dans ses souvenirs.

Ses contours pulsaient irrégulièrement, sa couleur était plus sombre, presque instable, comme s’il luttait pour rester ouvert. Il vibrait violemment, émettant un bourdonnement sinistre.

Hermione comprit tout de suite.

Le portail d’urgence avait fonctionné, oui. Mais c’était une solution extrême. Le passage n’était pas stable… et il ne le resterait pas longtemps.


Point de vue d’Hermione

— Mon Dieu ! s’écria M. Delacour, la voix chargée d’effroi.

— Ne vous inquiétez pas, répondis-je rapidement, le cœur battant à tout rompre. C’est le passage. Un panier va être descendu d’ici une minute.

Et, comme prévu, quelques secondes plus tard, le panier d’extraction commença à descendre, suspendu à une corde d’acier vibrant sous la tension du trou de ver. Sans perdre une seconde, je jetai mes sacs à l’intérieur. Je ne voulais rien laisser derrière moi. Ni objet, ni preuve.

M. Delacour serra sa fille contre lui une dernière fois et l’embrassa tendrement sur le front.

— Que Dieu t’accompagne, ma fille… Que les anges veillent sur toi.

Il me confia Fleur sans un mot de plus, les yeux brillants de larmes. Avec une infinie précaution, je l’installai à mes côtés dans le panier, puis j’appuyai sur le bouton de remontée.

Une secousse immédiate nous signala que nous étions en train d’être tirées vers le haut.

— Que Dieu vous bénisse, murmurai-je en direction de M. Delacour, alors que son visage s’éloignait. Je reviendrai un jour… je vous le jure.

Le portail vibrait anormalement. Sa lumière rouge et violette se contractait puis se dilatait, en rythme irrégulier, émettant des sons stridents, presque douloureux à entendre. Mon estomac se noua : ce n’était pas normal. Rien de tout cela n’était normal.

À mi-parcours de notre ascension, j’hurlai instinctivement :

— DUMBLEDORE, APPELLE UNE AMBULANCE !

En haut, le laboratoire se dessinait enfin à travers la lumière instable. Mais le portail s’effondrait. Je le voyais se replier sur lui-même, se noircir, pulser dans un dernier spasme. Il ne nous restait que quelques secondes.

Nous avons jailli hors du vortex juste à temps.

Une demi-seconde plus tard, le portail se referma dans un éclair noir-violet, laissant derrière lui un fracas assourdissant et une odeur d’ozone brûlé.

Le laboratoire était plongé dans le chaos. Des étincelles jaillissaient de toutes parts, des alarmes hurlaient, et une épaisse fumée s’élevait au-dessus des machines, certaines crépitant, d’autres en flammes.

— À l’aide ! criai-je, la voix éraillée par la panique.

Dumbledore apparut dans mon champ de vision, armé d’un extincteur, l’air plus grave que jamais. Il étouffait un incendie sur une console, puis se précipita vers moi en me voyant.

Je lui tendis Fleur avec toute la douceur possible, les bras tremblants, puis bondis hors du panier.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il, en prenant Fleur dans ses bras et l’amenant aussitôt vers la pièce sécurisée à l’arrière du laboratoire.

— C’est William Weasley, haletai-je. Il a tenté de me tirer dans le dos. Fleur m’a poussée pour me sauver… Elle a été touchée à la poitrine. Il a fui, mais un groupe était à ses trousses. Je l’ai blessé au bras… mais il est encore vivant.

— Une ambulance est en route, dit-il rapidement. Je vais l’installer dans la salle blanche, elle y sera plus en sécurité. De ton côté, essaie de contenir les flammes. La machine a surchauffé, on a frôlé la rupture du continuum.

Pendant que Dumbledore emmenait Fleur en sécurité, je ramassai mes sacs et les jetai dans un coin du laboratoire, puis attrapai l’extincteur. Mais avant tout, je courus couper le courant général. Il m’avait montré l’interrupteur principal la toute première fois que j’avais utilisé la machine.

L’électricité coupée, les étincelles cessèrent aussitôt, mais plusieurs parties de l’appareil continuaient à cracher des flammes. Heureusement, je parvins rapidement à maîtriser les incendies. Une fumée âcre flottait dans l’air, me piquait les yeux, me donnait la nausée.

Un rapide coup d’œil aux composants calcinés, fondus, noircis, suffit pour comprendre l’évidence : la machine à voyager dans le temps était totalement détruite. Irréparable.

Je fonçai de nouveau dans la pièce principale, là où se trouvaient Dumbledore et mon amour inconsciente. Il était agenouillé à côté d’elle, appuyant fermement sur la plaie pour contenir l’hémorragie.

— Ils ne devraient plus tarder, dit-il sans lever les yeux. Je reste avec elle. Va te changer… tu es encore habillée pour 1869.

J’acquiesçai sans discuter, et en un temps record, j’échangeai ma robe à corset contre un jean bleu et un t-shirt noir. Mais en m’apercevant que j’avais toujours le pistolet à la ceinture, un frisson me parcourut. Je le saisis rapidement et le glissai dans mon sac. Une arme antique, désormais. Preuve d’un autre temps.

À peine ressortie, j’entendis enfin ce que j’attendais désespérément : le hurlement familier d’une sirène d’ambulance. Je crois que je n’avais jamais été aussi soulagée d’entendre ce son de toute ma vie.

Le véhicule s’arrêta juste devant le laboratoire, et deux secouristes en uniforme en descendirent à toute vitesse. Ensemble, nous avons transporté Fleur hors du bâtiment, dans la lumière artificielle de Londres.

— Que s’est-il passé ? demanda une femme en s’approchant, déjà en train de dérouler une civière.

— Elle a été agressée… blessée par balle, répondis-je, la gorge serrée.

L’homme qui l’accompagnait jeta un regard furtif aux vêtements inhabituels de Fleur, mais ne posa aucune question. Ils étaient professionnels. Rapides. Efficaces.

— Plaie thoracique par balle, constata-t-il à voix basse en examinant la blessure. Tension instable. On la transporte immédiatement.

— Je peux monter avec elle ? demandai-je précipitamment. Je suis… sa sœur.

Pourquoi j’avais dit ça, je l’ignorais. C’était la première chose qui m’était venue à l’esprit. Peut-être parce qu’il fallait bien un lien pour m’autoriser à l’accompagner. Peut-être parce que le mot amante me semblait trop fragile, trop brûlant.

L’homme me jaugea un instant, puis hocha la tête.

— D’accord. On l’emmène au Royal London Hospital. Montez.

Je lançai un regard rapide à Dumbledore. Il hocha la tête en retour, rassurant.

— Je reste ici pour m’assurer que tout est éteint et sécurisé. Je vous rejoins dès que possible.

Je montai dans l’ambulance, la main dans celle de Fleur, et tandis que les portes se refermaient dans un claquement sec, je priai intérieurement.


Aussitôt montée dans l’ambulance, le véhicule démarra en trombe, toutes sirènes hurlantes. Je tenais la main de Fleur aussi fort que je le pouvais, comme si ma poigne pouvait la maintenir en vie. Le secouriste, concentré, tentait de stabiliser son état, posant des pansements compressifs, vérifiant son pouls, luttant contre l’hémorragie.

— Quel est son nom ? demanda la femme en uniforme, tout en consultant les constantes sur le moniteur.

— Fleur, répondis-je aussitôt. Elle s’appelle Fleur.

Elle haussa légèrement les sourcils.

— Ce n’est pas un prénom très courant.

— Notre grand-mère était française, mentis-je sans hésitation. C’est un hommage.

Elle se contenta d’un hochement de tête, puis retourna à son travail sans commenter davantage. Chaque minute semblait durer une éternité.

Quelques minutes plus tard, nous avons enfin franchi les portes du Royal London Hospital. L’ambulance avait prévenu par radio, et une équipe complète attendait déjà notre arrivée. Fleur fut immédiatement prise en charge. Elle respirait encore… mais de justesse. Si j’avais été une minute plus tard, elle ne serait peut-être plus là.

Ils la conduisirent rapidement au bloc opératoire, et je me retrouvai seule, incapable de la suivre. Mes jambes me portèrent jusqu’à une salle d’attente vide, sans même que je m’en rende compte.

Et là, tout lâcha.

Je m’effondrai sur une chaise, les mains tremblantes, les larmes dévalant mes joues sans retenue. Le choc, la peur, la culpabilité, l’amour… tout me submergeait.


Dumbledore arriva environ trente-cinq minutes plus tard. À ce moment-là, j’avais cessé de pleurer, mais je restais assise, le regard perdu, comme hébétée, tentant de digérer tout ce qui venait de se passer.

— Elle va bien ? demanda-t-il en s’asseyant à côté de moi, l’inquiétude dans la voix.

Je secouai doucement la tête.

— Aucune nouvelle. Elle est toujours au bloc. Je suis désolée pour ta machine… Je n’avais pas le choix. Elle est fichue, pas vrai ?

Il hocha la tête et posa une main réconfortante sur mon épaule.

— Ce n’est qu’une machine, Hermione. Cette fille est bien plus importante.

Je n’avais pas les mots pour répondre. Alors je me tus.

Vingt minutes plus tard, une infirmière sortit dans le couloir d’un pas rapide, une tablette à la main.

— Vous êtes la sœur de la jeune femme avec une blessure par balle ?

Je bondis de ma chaise.

— Oui !

Elle sourit doucement, compatissante.

— Elle va s’en sortir. Vous l’avez amenée à temps. Elle est encore en salle d’opération, mais d’après le chirurgien, elle s’en tirera, à moins de complications imprévues.

Un énorme soupir m’échappa, et je serrai Dumbledore dans mes bras, incapable de contenir le soulagement.

— Merci… Merci infiniment.

L’infirmière me tendit alors un clipboard chargé de formulaires.

— Nous aurons besoin que vous remplissiez ces documents pour l’admission. Tenez-nous informés si vous avez besoin d’aide.

Une fois partie, je regardai les papiers. Sept formulaires. SEPT.

— Oh merde…

— Quoi ? fit Dumbledore, interloqué.

Je brandis le clipboard sous son nez.

— Réfléchis deux secondes. On a une femme en salle d’op avec une blessure par balle. Elle n’a ni carte d’identité, ni assurance, ni numéro de sécu, ni putain de date de naissance crédible. Et moi, je suis censée expliquer quoi ? Qu’elle vient de 1869 ? Que j’ai traversé un trou de ver pour la ramener ici ? Tu vois le problème ?

— Ah. Oui. Je vois le problème.

— Tu parles qu’ils vont appeler la police. Ils vont penser que c’est une clandestine, une terroriste, une espionne, j’en sais rien. Et quand je vais dire qu’elle n’a pas de papiers, qu’elle a été blessée avec une arme antique, et qu’on n’a aucun dossier sur elle… On va finir sur écoute, en garde à vue, ou dans un hôpital psy !

— L’IRA existe encore ? demanda-t-il avec un froncement de sourcils.

Je le foudroyai du regard.

— Sérieusement ? On s’en fout ! C’est pas le sujet ! Le sujet, c’est que je suis dans une merde noire.

Je laissai tomber le clipboard sur la chaise dans un bruit sec, me levai et fis quelques pas.

— Tu vas où ? demanda Dumbledore.

— À la cafétéria. Pour un café. Fort. Très fort. Et pour trouver un plan B avant que le MI5, la CIA, ou je sais pas qui débarque avec un hélicoptère. Franchement, je préférerais encore sauter du toit que remplir ces formulaires.

Et sur ces mots, je tournai les talons, laissant Dumbledore seul avec ses pensées, mes insultes et sept fichus formulaires.

C’était au-delà du frustrant. J’avais réussi à la sauver, à l’amener ici, dans un hôpital moderne, entre les mains de médecins compétents… et voilà que je me retrouvais face à un nouveau cauchemar. Pas de papiers. Pas de dossier. Pas d’identité.

Et aucune idée de comment m’en sortir.

Je marchais d’un pas nerveux vers la cafétéria, les pensées en vrac, quand j’aperçus un attroupement près de l’entrée principale. Une petite foule entourait une vieille dame en tailleur crème, qui découpait un large ruban rouge tendu devant un bâtiment flambant neuf.

— Qu’est-ce que c’est ? demandai-je machinalement à un brancardier qui passait.

— Oh… c’est l’inauguration du nouveau centre Wright pour le traitement du cancer. C’est la famille Wright qui a financé tout ça. Il paraît que le bâtiment est incroyable, hyper moderne, avec les traitements les plus avancés contre le…

— Peu importe, le coupai-je sèchement avant de tourner les talons.

Quelques minutes plus tard, j’étais assise dans la cafétéria, un café brûlant entre les mains. C’était amer, trop sucré, mais au moins, ça me tenait éveillée.

Cela faisait près de vingt minutes que j’étais là. Et le seul plan que j’avais réussi à formuler… c’était de faire sortir Fleur en douce dès qu’elle serait stable. Autant dire : aucun plan.

Je tenais bon. Mais de justesse.

Je n’arrivais pas à chasser cette pensée lancinante : J’ai encore tout foutu en l’air… et c’est elle qui va en payer le prix.

Je levai machinalement les yeux… Et je la vis.

La vieille dame de tout à l’heure.

Elle discutait avec un médecin important, debout près de l’entrée vitrée.

Elle était impeccablement coiffée, les cheveux blancs tirés en arrière. Ses yeux brillaient d’une intelligence tranquille. À ses côtés, une femme blonde d’une trentaine d’années, tailleur strict et posture parfaite.

Et soudain, la vieille dame tourna la tête vers moi.

Son regard croisa le mien.

Un étrange frisson me traversa. Un vertige. Un déjà-vu si fort qu’il me coupa le souffle.

Elle s’interrompit en pleine conversation. Me fixa longuement, les yeux plissés, comme si elle me reconnaissait elle aussi.

Je détournai les yeux, vite.

Non. C’était impossible. Mon cerveau me jouait des tours.

Mais au fond de moi… je savais.

Trois minutes plus tard, des talons claquèrent doucement sur le sol. Je levai les yeux : elle était là. Avec la jeune femme, juste en face de moi.

— Excusez-moi… Vous ressemblez tellement à quelqu’un que j’ai connu autrefois, dit-elle, la voix un peu tremblante.

— C’est charmant, rétorquai-je d’un ton sec, mon regard retombant sur mon café.

— Vous semblez bouleversée. Pardonnez-moi si je vous dérange, dit-elle avec douceur. Une voix à la fois lointaine… et étrangement familière.

— Grand-mère, allons-y, murmura la blonde à ses côtés. La limousine nous attend.

La vieille dame hocha la tête, se détourna…

Mais juste avant de franchir la porte, elle se retourna légèrement. Nos regards se croisèrent à nouveau.

Et là… ça me frappa.

Un éclair. Une image. Le couteau. Le métro. Les bombes.

Je bondis de ma chaise, traversée d’une certitude absolue, et criai à travers toute la cafétéria :

— Minnie ! LE COUTEAU ! LE COUTEAU T’A-T-IL PROTÉGÉE DES BOMBES ?

Tout le monde se retourna.

La vieille femme s’arrêta net.

Elle me fixa avec une intensité bouleversante.

Ses mains tremblaient légèrement alors qu’elle fouilla dans son sac à main en cuir bordeaux. Elle en sortit un petit objet…

Un canif, usé par le temps, mais toujours poli. Intact.

Un petit couteau que j’avais glissé dans les mains d’une enfant terrorisée, il y avait une vie de cela…

Un couteau qui, contre toute attente, était toujours là. Et moi, je comprenais enfin : elle était là, elle aussi.



Laisser un commentaire ?