A travers le temps

Chapitre 15 : Coup de sang

2976 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 3 mois

Point de vue d’Hermione


J’aimerais pouvoir dire que nous sommes immédiatement tombées amoureuses et avons vécu heureuses pour toujours. Mais après trois semaines passées dans ce pittoresque 1869, je dois me rendre à l’évidence : je n’ai pratiquement rien accompli.

Tout ce que j’ai réussi à faire, c’est récolter une ampoule au pied droit et prouver à moi-même que je pouvais jouer à la perfection le rôle de la servante dévouée, tout en devenant légèrement folle au passage.

Sans oublier, la liste interminable des luxes du XXIᵉ siècle qui me manquent cruellement. J’ai récuré chaque centimètre carré de cette maison et de cette auberge au moins cinq fois, selon mes estimations.

Mes seuls sauveurs dans cet enfer domestique sont mon iPod, mon Kindle et mon téléphone. Sans eux, je pense que je serais déjà en train de parler toute seule. Après ces interminables journées d’épuisement, je m’effondre sur mon lit, les écouteurs vissés aux oreilles, un film devant les yeux ou en essayant désespérément de battre ce fichu dernier niveau d’Angry Birds.

Note à moi-même : Étrangler Remus à mon retour pour m’avoir rendue accro à ce jeu complètement débile.

En réalité, c’est Sirius qui m’a provoquée en affirmant que je ne pourrais jamais finir ce jeu stupide. Évidemment, ça m’a tellement agacée que j’ai relevé le défi, juste pour lui prouver le contraire. Ce bâtard m’a bien eue. Lui aussi aura droit à sa correction en temps voulu.

Bref, oui, je perds lentement mais sûrement la tête.

Quant à Fleur et moi… on pourrait nous décrire comme des "connaissances amicales". Je la vois tous les jours, et chaque fois, mon cœur bondit comme une idiote. J’avoue que je ne peux m’empêcher de lui jeter des regards dès que j’en ai l’occasion. Elle est tout simplement époustouflante, à tel point que parfois, j’ai du mal à me contenir.

Mais voilà, elle appartient à la haute société, et moi, je ne suis qu’une simple domestique. Ce n’est pas qu’elle me traite mal, bien au contraire. Elle est toujours d’une extrême gentillesse, et nous échangeons quelques conversations çà et là. Mais il y a cette barrière invisible qu’elle ne franchira pas.

Et moi, je ne parviens même pas à entrer dans la redoutée "friend zone".

Environ une semaine après mon arrivée, j’ai lu dans son journal intime qu’elle était partie faire une promenade à cheval un après-midi. Comme c’était mon jour de congé, j’ai pensé que si je passais par l’écurie, je pourrais peut-être lui demander si je pouvais l’accompagner.

Je sais ce que vous pensez. "Hermione, c’est du harcèlement, là." Et vous avez raison, bien sûr. Mais j’ai une excuse en béton : je fais ça pour une bonne cause.

Sur ce chemin qu’elle emprunte, elle mourra d’une mort atrocement douloureuse et solitaire dans un peu plus d’un an. Je ne peux pas laisser cela se produire.

J’ai croisé Bill à quelques reprises ces derniers jours, mais j’ai sagement joué mon rôle de domestique, gardant le silence et me contentant de serrer les dents en sa présence.

Quand je suis arrivée à l’écurie, je l’ai aperçue à califourchon sur son cheval, se préparant à partir.

« Bonjour, Hermione. Qu’est-ce qui vous amène ici ? » m’a-t-elle demandé, son sourire amical habituel illuminant son visage.

J’ai tenté de paraître détendue, naturelle. Pas du tout comme une folle désespérée.

« Je me promenais. J’ai tellement travaillé que je n’ai pas eu beaucoup de temps pour profiter du paysage local. »

Mon regard a glissé vers sa monture avant que je ne demande d’un ton léger : 

« Je vois que vous partez en balade. Puis-je me joindre à vous ? »

L’espace d’un instant, j’ai cru voir une lueur d’espoir traverser son regard. Mais ce fut si bref qu’un battement de cils plus tard, il n’en restait plus rien. Elle a détourné les yeux vers la maison, une ombre d’hésitation flottant sur son visage. Puis, comme si elle venait de prendre une décision difficile, elle m’a offert un sourire… un sourire triste et embarrassé.

« Je pense qu’il vaut mieux que je monte seule. Sans vouloir vous offenser. »

Je n’ai pas pu empêcher mes sourcils de se froncer. 

« Aucun problème. À plus tard. »

Et je me suis retournée, sans attendre, fuyant avant qu’elle ne puisse voir la douleur brutale qui venait de s’abattre sur moi.

Je sais, ce n’est qu’une simple balade à cheval, mais ce refus m’a transpercée en plein cœur. J’ai fait tout ce chemin, j’ai tout sacrifié pour elle, mon cœur brûle d’amour, et pourtant, elle m’échappe. Elle va mourir seule, et moi, je suis là, impuissante.

Une fois rentrée chez moi, j’ai laissé les larmes couler. Pas des petites larmes silencieuses et contenues, non. J’ai pleuré comme une idiote, comme une gamine à qui on vient d’arracher son seul espoir. Puis j’ai passé le reste de mon jour de congé au lit, à écouter de la musique. De la musique très, très triste.



Le lendemain, j’ai mis mon masque, et j’ai fait mon travail comme si de rien n’était. Depuis, je n’ai pas l’impression d’avoir fait de réels progrès. Le mariage est dans moins de deux mois, et la frustration commence à me ronger.

À cela s’ajoute un mal du pays grandissant. Je tuerais pour un café de chez Starbucks, un repas médiocre de chez Burger King, ou juste une putain de douche.

En ce début de soirée du 23 mai 1869, l’auberge est pleine à craquer. Les week-ends, on sert un repas simple mais apprécié : un ragoût ou une soupe accompagnée de pain. C’est un vrai succès, et ce soir ne fait pas exception.

Je me fonds dans le décor, comme d’habitude. Je sers, je souris, je fais semblant. Fleur est fidèle à elle-même, toujours aussi lumineuse, allant de table en table, échangeant quelques mots avec les habitués.

La clientèle est celle de d’habitude. À une exception près.

Dans un coin, quatre soldats, bruyants et avinés, jouent aux cartes. Dès le premier regard, je sais qu’ils ne sont pas comme ceux qui fréquentent habituellement l’auberge. Leur peau est plus hâlée, leurs uniformes plus usés, et leurs regards... affamés. Pas par la nourriture, non. Par autre chose.

Je devine qu’ils viennent de rentrer d’Inde, d’Afrique ou d’un de ces coins lointains où l’Empire Britannique envoie ses hommes guerroyer.

En leur servant leurs pintes, je me suis fait taper les fesses deux fois.

Comme toujours, j’ai haussé les épaules. Je ne le supporte pas plus qu’avant, mais je joue mon rôle.

J’étais derrière le bar, tenant la boutique en attendant que Colin revienne de l’arrière avec un nouveau fût de bière. Le père de Fleur était à Londres pour affaires ce soir, et l’auberge était moins surveillée que d’habitude.

Au début, je n’y ai pas prêté attention. Puis, j’ai vu Fleur parler aux quatre soldats.

J’ai d’abord pensé qu’elle faisait simplement son tour habituel des tables, échangeant quelques mots avec chaque client.

Sauf que parler... ce n’était pas ce qu’ils voulaient faire.

Je ne pouvais pas entendre ce qu’ils disaient, mais je voyais nettement l’expression d’inconfort sur le visage de Fleur. Elle voulait partir.

Avant même qu’elle ne puisse se détourner, un soldat aux cheveux noirs, portant les galons de sergent, se leva brusquement et passa un bras possessif autour de ses épaules.

« Alors, un petit baiser pour le sergent Finnigan ? » lança-t-il d’un ton aviné, tout en la tirant un peu plus près de lui.

Je vis Fleur tenter de reculer, esquissant un sourire crispé.

« Non, merci, s’il vous plaît ! » répondit-elle, la voix tendue.

Mon sang commença aussitôt à bouillir. J’avais déjà vu des ivrognes lourds, mais ce type-là était un connard de première catégorie.

« Eh bien, je prends ce que je veux ! » s’exclama-t-il avec arrogance, puis, non content de tenter de l’embrasser de force, il osa poser une main avide sur son sein, éclatant de rire.

Je n’ai pas réfléchi. Au diable mon rôle, au diable mon histoire de couverture, au diable tout. D’un bond, j’ai contourné le bar et foncé à travers la pièce.

Heureusement, il ne m’a pas vue arriver avant qu’il ne soit trop tard. Son bras enlaçait toujours Fleur, mais il avait relâché son emprise déplacée. Je lui saisis le poignet et le tordis violemment derrière son dos, le soulevant aussi haut que possible.

Un cri de douleur lui échappa alors qu’il lâchait Fleur sous l’effet du choc et de la douleur.

Sans lui laisser le temps de riposter, je le plaquai brutalement contre le mur.

« Aaaah… Tu me fais mal, garce ! » balbutia-t-il en titubant, l’alcool brouillant sa perception du danger réel dans lequel il se trouvait.

J’étais furieuse.

« Je vais te le tordre jusqu’à ce qu’il se détache si tu oses seulement penser à refaire ça, sale vaurien. Ta mère ne t’a jamais appris les bonnes manières ?! » grondai-je en forçant un peu plus sur son bras, lui arrachant un grognement plus fort.

« C’est une dame, et tu vas t’excuser immédiatement de l’avoir touchée de façon aussi abjecte ! »

À ma grande surprise, il céda presque instantanément.

« Je… Je suis désolé, mademoiselle… C’était très incorrect de ma part… Veuillez me pardonner… » bredouilla-t-il, honteux et souffrant.

Seulement alors, je le relâchai.

Je lançai un regard noir à ses trois compagnons encore sous le choc.

« Vous êtes censés être des soldats, pas des voyous ivres. Si l’un de vous a un problème avec la manière dont j’ai traité votre sergent, je vous attends au bar. »

J’étais prête à ce qu’ils réagissent mal, à ce qu’ils cherchent à me provoquer… mais avoir vu leur supérieur se faire humilier en un clin d’œil les avait refroidis.

Le sergent se massa l’épaule endolorie en lançant un regard sombre à ses hommes.

« Partons d’ici. »

Il tourna les talons et, sans demander leur avis, ses trois camarades le suivirent, encore abasourdis.

« Ne laissez pas la porte vous frapper au cul en sortant ! » raillai-je, incapable de contenir ma colère.

Un silence pesant tomba sur la salle.

Les clients surpris me fixaient avec de grands yeux. J’haussai les épaules.

« Ils avaient besoin qu’on leur apprenne les bonnes manières. »

Puis, mon regard se posa sur Fleur. Et toute ma rage s’évapora.

« Est-ce que vous allez bien, mademoiselle Fleur ? » demandai-je, inquiète.

À ma grande surprise, elle ne semblait pas soulagée.

Son visage était fermé, ses yeux brillaient d’une émotion que je ne parvenais pas à décrypter. Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit d’autre, elle attrapa brusquement mon poignet et m’entraîna vers l’arrière de la pièce.

Sur notre chemin, nous avons croisé Colin, qui revenait tout juste des réserves avec un fût de bière, l’air confus.

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-il en fronçant les sourcils.

Fleur ne ralentit même pas le pas.

« Je dois parler à Mademoiselle Hermione. Nous reviendrons dans un instant. »

Son ton était sec. Glacial. Autant dire que je n’en menais pas large.

Je ne m’attendais pas à cette réaction, et une angoisse soudaine me serra la poitrine. J’étais dans un gros pétrin.

Fleur me tira par le poignet à travers le couloir arrière, puis m’entraîna sans ménagement dans un petit placard de service.

« Qu’était-ce donc que cela ?! » s’exclama-t-elle avec une fureur contenue, anéantissant instantanément le dernier vestige de mon sentiment de triomphe.

Mon cerveau se figea. Je balbutiai, peinant à trouver mes mots.

« Je… je… voulais juste vous aider. Il… il vous touchait ! »

Fleur me pointa fermement du doigt en plein torse, ses prunelles d’azur brûlantes d’une colère que je ne lui avais jamais vue auparavant.

« Je sais ce qui s’est passé. Et sachez que j’aurais très bien pu m’en occuper moi-même ! » déclara-t-elle avec une sévérité glaciale. 

« Ma mère tenait à ce que notre établissement soit un lieu où tous se sentent les bienvenus. Il y a des manières convenables de gérer ce genre de situation. Des manières appropriées, dignes… et non celles d’une brute ignorante qui manque de démettre le bras d’un homme dans un accès de fureur. Ce n’est pas ainsi que nous faisons les choses ici ! Vous comprenez ? »

Son ton me transperça.

Peut-être étais-je trop émotionnellement impliquée, mais sa réprimande me heurta en plein cœur. J’eus une soudaine envie de pleurer… mais je refusais de me laisser briser devant elle.

Alors, je me figeai. Un masque d’indifférence vint couvrir mon visage.

« J’ai vu quelqu’un en difficulté. Alors, j’ai agi. »

J’étais sur le point de dire quelque chose de cruel, quelque chose que je regretterais aussitôt, quelque chose comme : « Peut-être que la prochaine fois, je vous laisserai vous faire tripoter. »

Mais je me mordis la langue et gardai le silence.

Fleur inspira profondément, visiblement frustrée.

« Je sais que vous vouliez bien faire. Mais lorsque j’aurai besoin d’aide, je saurai la demander. »

Son regard perçant chercha le mien.

« Pour ce soir, c’en est assez. Rentrez chez vous. »

Sa voix était tranchante, sans appel. Avant que je ne puisse répliquer, elle tourna les talons et quitta la pièce en claquant la porte derrière elle.


J’étais pétrifiée. À peine capable de retenir mes larmes, je me ruai hors du placard, traversai l’auberge sans un regard en arrière et pris la direction de ma cabane en courant.

Je ne comprenais pas. Pourquoi était-elle en colère ? Je pensais avoir fait ce qu’il fallait.

Un million de pensées se bousculaient dans mon esprit, tourbillonnaient, s’entrechoquaient. Je ne savais plus quoi penser.

Que diable suis-je en train de faire ici ?

Fleur est morte. Elle est enterrée depuis plus d’un siècle et demi. Elle est morte et enterrée… elle ne le sait juste pas encore.

Elle s’est fourvoyée en croyant que cet imbécile pourrait la rendre heureuse. Et moi ? Qu’est-ce qui me donne le droit de jouer à Dieu ? Peut-être que c’était censé se passer ainsi.

Une douleur sourde s’insinua dans ma poitrine alors qu’un torrent d’émotions déferlait dans ma tête.

Trop absorbée par mon propre chaos intérieur, je ne vis pas la pierre sur mon chemin. Je trébuchai violemment. Le sol de terre battue me cueillit sans ménagement, et une douleur vive me transperça le genou gauche.

Super.

À présent, j’étais en colère, blessée et humiliée. La totale.

Je boitai jusqu’à chez moi, sentant le sang chaud couler le long de mon tibia.

À peine avais-je franchi le seuil que je laissai exploser toute ma frustration.

« QU’EST-CE QUE JE FOUS ICI ?! »

Tout comme Fleur s’est trompée en croyant pouvoir être heureuse avec Bill…

… peut-être me suis-je trompée en pensant qu’une fille morte depuis longtemps pourrait me rendre heureuse.

Peut-être que tout ça… n’a jamais été qu’une illusion.

Une pensée terrifiante traversa mon esprit.

Je vais probablement être virée. Et après ? Ce sera la fin. Je n’aurai plus aucun moyen de la sauver…

Je m’affalai sur mon lit, vidée.

J’allumai une bougie pour y voir plus clair, puis entrepris de nettoyer mon genou du mieux que je pouvais. La blessure n’était pas trop profonde, mais elle brûlait comme l’enfer.

Une fois cela fait, je me couchai, fixant le plafond, tentant désespérément de remettre mes idées en place.

À quoi bon ? Je devais être plus épuisée que je ne le pensais, car le sommeil m’engloutit presque instantanément.

BAM BAM BAM !

Un bruit me réveilla en sursaut. Des coups. Quelqu’un frappait à ma porte.

Je me redressai aussitôt, désorientée.

La bougie que j’avais laissée allumée avait fondu d’au moins un pouce. Combien de temps avais-je dormi ?

Une peur sourde s’insinua dans mes entrailles.

Je suis virée. Je le savais. J’avais tout gâché. Et maintenant…

J’entendis à nouveau les coups, plus insistants cette fois.

Mon cœur se serra. Un sentiment de défaite totale m’envahit alors que je me levais et me dirigeais vers la porte.

Les dieux doivent bien se moquer de moi…

J’inspirai profondément, puis j’ouvris doucement la porte.



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