A travers le temps

Chapitre 16 : Toc Toc Toc

2825 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 2 mois

Le cœur d’Hermione se serra instantanément lorsqu’elle aperçut la silhouette imposante de M. Delacour se dessiner sur le seuil de sa porte.

« Puis-je entrer ? » demanda-t-il d’une voix posée, mais empreinte d’une certaine urgence.

Hermione acquiesça rapidement. 

« Bien sûr, monsieur, entrez. »

D’un pas mesuré, M. Delacour pénétra dans la petite cabane et attendit qu’elle referme la porte derrière lui. Dès que ce fut fait, il prit la parole, son regard scrutant Hermione avec une gravité contenue.

« J’ai eu vent des événements de ce soir. Tant par ma fille que par l’un de nos habitués, Shamus McMaster, qui a assisté à toute la scène. »

Hermione baissa instinctivement les yeux, incapable de soutenir le regard perçant du père de Fleur. Elle fixa ses chaussures, ressentant avec acuité la lourdeur de la situation.

« Je suppose que cela signifie que je suis renvoyée, » murmura-t-elle, souhaitant abréger cette conversation qu’elle redoutait déjà.

M. Delacour haussa légèrement un sourcil, visiblement surpris. 

« Est-ce réellement ce que vous pensez que je suis venu vous annoncer ? »

Intriguée, Hermione releva la tête pour croiser son regard. 

« Honnêtement, monsieur, oui. J’ai traité ce sergent de manière quelque peu brutale… sans parler du fait que je l’ai humilié devant ses hommes. Mon père m’a appris à me défendre, et… j’ai simplement réagi. »

Un sourire fugace étira les lèvres de M. Delacour, tandis qu’il secouait la tête. 

« Non, Hermione, vous n’êtes pas renvoyée. En réalité, je suis venu vous remercier. »

Hermione écarquilla légèrement les yeux. 

« Pardon ? »

« Je comprends que ma fille ait préféré gérer la situation différemment, mais permettez-moi d’être parfaitement clair : ces soldats reviennent d’une longue affectation à l’étranger. J’ai moi-même servi dans l’armée et je connais ce type d’hommes. Après des mois, voire des années loin de la civilisation, certains oublient les convenances et se croient tout permis. Vous avez agi avec un courage qui dépasse de loin ce que l’on attendrait d’une simple servante. »

« Je… je vous remercie, monsieur, » répondit Hermione, touchée par ses paroles, bien que le mot servante lui laissa un goût amer. Un rappel, encore une fois, de sa place dans cette époque.

« En reconnaissance de votre bravoure, je vais augmenter votre salaire de deux pences par semaine. Vous vous acquittez de vos tâches avec diligence et sérieux, et cet événement n’a fait que confirmer votre valeur. »

Hermione s’inclina légèrement. 

« Merci infiniment, monsieur. »

Un instant d’hésitation lui fit froncer imperceptiblement les sourcils avant qu’elle n’ose poser la question qui lui brûlait les lèvres.

« Comment va Mademoiselle Fleur ? »

M. Delacour marqua une pause avant de répondre, sa voix légèrement plus distante. 

« Elle est quelque peu troublée, mais elle se remettra. »

Hermione hocha la tête. 

« Je suis soulagée de l’entendre. »

Le maître des lieux jeta un bref regard vers la porte avant d’ajouter  

« Je dois encore m’occuper de quelques affaires avant la nuit. Je ne vais pas vous retenir davantage. Bonne nuit Mademoiselle Hermione. »

« Bonne nuit, monsieur, » répondit Hermione, ouvrant la porte pour le laisser partir.

Alors qu’elle refermait doucement derrière lui, elle poussa un soupir long et silencieux, tentant d’apaiser le tumulte d’émotions qui l’habitait. Elle était toujours en poste, mais la distance que Fleur maintenait entre elles lui pesait plus que jamais.

Quelques instants plus tard, Hermione se retrouva de nouveau seule. Bien qu’elle ait conservé son emploi, elle ne pouvait s’empêcher de penser que Fleur lui en voulait encore. Plus inquiétant encore, elle ignorait quand – ou même si – la jeune femme lui adresserait de nouveau la parole. Cette pensée la plongea dans un abattement profond. En soupirant, elle s’assit lourdement sur une chaise et se prit la tête entre les mains, réfléchissant à un moyen de regagner les bonnes grâces de Fleur.

Une demi-heure s’écoula dans un silence pesant, seulement troublé par le crépitement des braises dans la cheminée. Puis, un nouveau coup retentit à la porte.

« Qu’est-ce que c’est encore ? » murmura-t-elle à voix basse, légèrement agacée.

Déconcertée par cette visite inattendue, elle se leva et ouvrit la porte… pour découvrir Fleur se tenant sur le seuil. Contrairement à leur dernière entrevue, elle ne semblait pas en colère. Au contraire, son expression trahissait une certaine humilité, voire une pointe d’hésitation.

« Puis-je entrer, Hermione ? J’aimerais m’entretenir avec vous, si cela ne vous dérange pas, » demanda Fleur d’une voix calme, presque timide.

Hermione fronça légèrement les sourcils, troublée par le fait que Fleur ait abandonné son vouvoiement habituel. Une lueur d’espoir s’alluma brièvement en elle, mais elle ne voulait pas se faire d’illusions trop rapidement.

« Bien sûr, Mademoiselle Fleur, » répondit-elle, adoptant un ton neutre.

Elle s’effaça pour laisser passer la jeune femme et referma doucement la porte derrière elle. En se retournant, Hermione ne put s’empêcher de remarquer à quel point Fleur semblait nerveuse. Elle se tordait les mains d’une manière presque enfantine, signe évident de son malaise.

« Merci de m’accueillir, » dit-elle enfin, sans oser croiser son regard.

Hermione, toujours sur la réserve, garda ses distances. 

« Que puis-je faire pour vous, Mademoiselle Fleur ? » demanda-t-elle d’une voix formelle, en partie par habitude, mais aussi en raison de la froideur avec laquelle elle avait été traitée plus tôt dans la soirée.

Fleur prit une profonde inspiration avant de relever lentement les yeux vers elle. 

« Je suis venue pour m’excuser, » déclara-t-elle d’un ton sincère. 

« Mon comportement à votre égard était indigne et inacceptable. Vous ne cherchiez qu’à me protéger, et au lieu de vous en être reconnaissante, je vous ai injustement réprimandée. J’ai agi sous le coup de l’émotion, et je le regrette profondément. »

Elle baissa à nouveau les yeux, comme une enfant consciente de sa faute. Hermione, surprise par cette confession, sentit son cœur se serrer. Jamais elle n’aurait imaginé entendre Fleur Delacour lui présenter des excuses de cette manière.

Après que son père lui eut exprimé sa gratitude, c'était maintenant au tour de sa fille de venir s’excuser. Hermione, déconcertée, ne savait plus quoi attendre. Était-ce un véritable tournant ou le destin se moquait-il d’elle en lui laissant entrevoir une lueur d’espoir avant de tout lui reprendre ?

Bien qu’elle ne fût pas certaine que ce fût une bonne idée, Hermione décida d’être directe.

« Sans vouloir vous offenser, est-ce votre père qui vous a demandé de venir me présenter vos excuses ? Il est passé tout à l’heure pour me remercier. »

Fleur leva aussitôt les yeux vers elle, et Hermione y lut une sorte d’imploration.

« Non ! » s’exclama-t-elle, presque blessée par la question. 

« Je suis venue de mon propre chef. »

D’un geste las, elle s’assit et passa une main tremblante dans ses cheveux, soupirant longuement. Une larme solitaire roula sur sa joue avant qu’elle ne l’essuie du bout des doigts.

« Ma mère possédait un talent particulier pour gérer même les ivrognes les plus agressifs. Elle savait user de son charme et de son esprit pour désamorcer toute situation. J’ai toujours voulu lui ressembler… » Elle marqua une pause, comme si elle cherchait les mots justes. 

« Lorsque tu as agi ainsi ce soir, tu me protégeais, mais j’étais en colère parce que… parce que je n’avais même pas eu la chance d’essayer de les amadouer, comme elle l’aurait fait. »

Elle détourna les yeux, comme honteuse de sa propre réaction.

« Mon père m’a dit que j’avais de bonnes intentions, mais que la situation aurait pu dégénérer bien plus vite que je ne l’imaginais. Les soldats qui fréquentent habituellement l’auberge se montrent respectueux, car mon père est un ami du Général Shacklebolt, qui commande les casernes locales. Ils savent que s’ils causent du trouble, le Général en serait immédiatement informé. Mais ces hommes-là… ils revenaient clairement d’une mission à l’étranger. »

Elle déglutit avec difficulté avant de murmurer :

« Tu avais raison d’intervenir. Dieu seul sait ce qui aurait pu arriver si tu ne l’avais pas fait… »

Enfin, elle releva les yeux vers Hermione et lui adressa un regard empli de sincérité.

« Je suis désolée. S’il te plaît, accepte mes excuses. »

Hermione, touchée par la sincérité de Fleur, sentit la tension qu’elle portait en elle s’adoucir. Malgré la retenue et l’éducation stricte de la jeune femme, il était évident qu’elle désirait véritablement obtenir son pardon.

D’une voix plus douce, Hermione répondit :

« Ce n’est pas grave. Excuses acceptées. »

Elle observa Fleur un instant avant d’ajouter d’un ton plus doux encore :

« Votre mère vous manque, n’est-ce pas ? »

Un voile de tristesse envahit aussitôt le visage de Fleur.

« Oui, » souffla-t-elle simplement.

Hermione hésita un instant, puis, cherchant à apaiser la jeune femme, elle poursuivit :

« Tout cela est derrière nous à présent. Ces hommes sont partis et, s’ils causent d’autres ennuis, je suis certaine que votre père préviendra le Général. Comme je vous l’ai dit… excuses acceptées. »




Un silence gêné s'installa entre elles, flottant dans l'air comme une hésitation inavouée. Puis, soudainement, Fleur se leva, et son regard azur se posa avec intensité sur Hermione.

« Voudrais-tu venir faire une promenade à cheval avec moi demain ? » demanda-t-elle, d’une voix légèrement précipitée, comme si les mots lui avaient échappé malgré elle.

Aussi surprise par cette invitation inattendue que par les excuses qui l’avaient précédée, Hermione mit quelques secondes à assimiler ce qu’elle venait d’entendre.

« Faire une… une balade ? » fut tout ce qu’elle parvint à articuler.

Fleur fit un pas en avant, son sourire légèrement nerveux illuminant son visage délicat.

« Oui, une balade. Il y a quelques semaines, tu avais exprimé ton désir de m’accompagner. Je sais que demain est ton jour de repos, et il se trouve que je comptais justement monter dans l’après-midi. Je me suis dit que… peut-être aimerais-tu te joindre à moi. »

Hermione sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Pendant une fraction de seconde, elle eut l’impression que tout basculait à nouveau dans la bonne direction, que cette muraille invisible qui la séparait de Fleur venait de se fissurer imperceptiblement.

« Oui ! » s’exclama-t-elle, bien plus vivement qu’elle ne l’aurait voulu.

Le sourire de Fleur s’élargit légèrement, comme si elle était amusée par son enthousiasme. Elle se dirigea alors vers la porte, posant une main légère sur la poignée avant de se retourner une dernière fois.

« Très bien. Retrouvons-nous aux écuries à quatorze heures. Je m’assurerai qu’un cheval soit prêt pour toi. »

Hermione parvint à se recomposer une contenance, bien que son cœur battît toujours à tout rompre.

« Merci. Je vous verrai demain. »

« Bonne nuit, Hermione, » dit Fleur, sa voix teintée d’une douceur troublante, avant de disparaître dans la nuit.

Hermione resta un instant figée devant la porte, comme si elle craignait que le moindre mouvement ne dissipe ce qui venait de se passer. Une fois encore, une lueur d’espoir s’était allumée, fragile mais bien réelle.



Le soir même, Fleur écrivit dans son journal :


23 mai 1869

Hermione… Hermione… Cette énigmatique Américaine qui est à notre service depuis maintenant trois semaines ne cesse d’occuper mes pensées. Je ne saurais dire par où commencer. Ce soir, alors que je conversais avec quelques habitués à l’auberge, un groupe de soldats récemment revenus d’outre-mer s’est montré fort discourtois. L’un d’eux, un certain sergent Finnigan, s’est permis de m’importuner de la manière la plus déplacée qui soit. Son audace fut telle qu’il osa porter la main sur moi, dans un geste qui me fit frémir de dégoût. Ce fut un instant de profonde détresse, où je me sentis humiliée et impuissante.

Mais alors que nul ne semblait disposé à intervenir, Hermione surgit, telle une tempête furieuse. Avec une hardiesse inouïe et une force que jamais je n’aurais soupçonnée chez une femme, elle s’empara de l’homme et, en un mouvement aussi prompt que maîtrisé, le contraignit à la soumission. Sous le regard médusé des témoins, elle exigea qu’il me présente ses excuses. Jamais je n’avais vu pareille démonstration de bravoure. Était-ce l’effroi qui me paralysait, ou bien l’admiration qui me transportait ? Je l’ignore encore. Tout ce que je sais, c’est que mon cœur battait avec une ardeur démesurée, et que mes joues s’empourpraient d’une chaleur étrange et indéfinissable.

Hermione n’est semblable à nul autre être que j’ai côtoyé. Elle est d’une nature si singulière, à la fois intrépide et résolue, mais aussi pleine de mystère. Ses manières sont assurément celles d’une Américaine, empreintes d’une liberté qui contraste avec la réserve attendue des femmes de notre société. Et pourtant, malgré son rang modeste, elle possède une élégance naturelle qui me trouble plus que de raison. Il m’arrive souvent, sans même en avoir conscience, de poser les yeux sur elle, d’observer la grâce de ses mouvements, la détermination qui se lit sur ses traits. Et à chaque fois, je suis frappée d’un vertige inexplicable.

Mais comment ai-je réagi à son intervention ? Par l’ingratitude et la colère. Je me suis emportée contre elle, lui reprochant sa rudesse, convaincue que j’aurais pu gérer la situation autrement, que j’aurais pu désamorcer cette ignominie par des paroles douces, comme ma mère l’aurait fait. Ce fut une réaction indigne et déraisonnable. Mon père, lorsqu’il apprit les faits, loua la vigilance d’Hermione et souligna que les méthodes de cette dernière, bien que peu conventionnelles, s’étaient révélées efficaces. À mon grand soulagement, il ne fut jamais question de la renvoyer, bien au contraire.

Aussitôt qu’elle quitta l’auberge, une amertume insoutenable s’installa en moi. Mon cœur me criait que j’avais commis une faute, et je ne pouvais souffrir l’idée de la laisser ainsi dans le trouble. J’ai donc rassemblé tout mon courage et suis allée lui présenter mes excuses. J’étais nerveuse, tremblante même, tant je craignais son jugement. Mais elle se montra d’une indulgence qui me toucha profondément. Elle ne me tint rigueur de rien et accepta mon repentir avec une bienveillance qui ne fit qu’accroître l’estime que j’ai pour elle.

Et, dans un élan que je peine encore à comprendre, je l’ai invitée à chevaucher avec moi demain après-midi. C’est une idée qui me traverse l’esprit depuis des jours, sans que j’ose la formuler. J’ignore pourquoi, mais j’éprouve un désir brûlant de passer du temps en sa compagnie, de mieux la connaître, de percer le mystère de cette âme si différente des autres. Lorsqu’elle accepta, je ressentis une joie indicible, un soulagement presque euphorique.

Pourtant, je sais bien que tout ceci est vain. Ma vie est déjà tracée, et dans moins de deux mois, je serai l’épouse de William. C’est ainsi que les choses doivent être. Et pourtant, chaque fois que mes pensées s’égarent vers Hermione, une étrange tempête s’éveille en moi, un tumulte que je ne puis maîtriser.

Je devrais prier avec ferveur pour être délivrée de ces songes impies. Ces pensées ne sont pas convenables, elles ne doivent pas exister. Mais alors, pourquoi mon cœur refuse-t-il d’obéir à la raison ?




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