A travers le temps
Chapitre 14 : La fin de cette longue journée
3062 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour il y a 3 mois
point de vue d’Hermione
Heureusement, j’avais réussi à m’en tirer avec ma petite transgression. Il fallait que je me rappelle que les domestiques sont là pour servir, et non pour jouer les petits malins jaloux.
Après le repas, Fleur, Bill et M. Delacour se sont retirés dans le salon pour discuter. Pendant ce temps, le personnel de la cuisine et moi avons nettoyé la vaisselle avant de prendre notre déjeuner. Il s’agissait de sandwichs au bœuf, simples mais satisfaisants.
Une fois le repas terminé, j’ai été autorisée à me rendre à l’épicerie tenue par M. Delacour, située à quelques pas de l’auberge. J’avais expliqué à Mme Winky que, puisque j’étais nouvelle en ville, j’avais besoin de me procurer quelques affaires essentielles : des bougies, du savon, du café, et d’autres articles de première nécessité.
L’épicerie était modeste mais bien approvisionnée. Je pris le temps de choisir soigneusement ce dont j’aurais besoin pour les prochains jours, notamment des denrées de base pour mes jours de congé, où je devrais me débrouiller seule pour la nourriture. Je remplis mon panier de bougies, d’huile pour l’une des lampes de ma cabane, de grains de café, de quelques conserves, de riz et de haricots, ainsi que de quelques autres produits utiles.
En fouillant parmi les étagères, mon regard se posa sur un journal vierge, semblable à celui dans lequel Fleur écrivait ses pensées. Une impulsion soudaine me poussa à l’acheter, accompagné d’un flacon d’encre et d’un stylo plume. L’idée de documenter mon séjour ici me semblait tout à coup essentielle, comme un moyen de clarifier mes pensées, d’analyser ce que je vivais. Et puis, une autre pensée germa dans mon esprit : j’avais déjà une idée pour une histoire d’horreur que je voulais mettre sur papier. Après tout, j’étais peut-être en 1869, mais l’écrivain en moi n’avait pas disparu pour autant.
Après avoir déposé mes achats à la cabane, je retournai chez les Delacour et arrivai aux alentours de 14h00. À ce moment-là, Bill était parti et Fleur était allée rendre visite à un voisin. Mme Winky m'informa que je passerais le reste de l'après-midi à l'auberge, où je travaillerais jusqu'au souper.
En arrivant, je me rendis directement auprès de M. Delacour, qui se trouvait dans son bureau. Il passait visiblement la plupart de ses après-midis à éplucher ses comptes et à s’occuper de ses affaires. Bien qu'il ne fit aucune mention de l'incident du déjeuner, son expression légèrement crispée laissait entendre qu'il n’avait pas oublié. Avec une neutralité impeccable, il me chargea de nettoyer les deux chambres vacantes avant de rejoindre Colin, qui gérait l’auberge au quotidien.
Je trouvai rapidement les produits de nettoyage et m’attelai à la tâche. Une fois les chambres en ordre, je passai les deux heures suivantes à jouer les serveuses, car plusieurs clients avaient afflué pour profiter de l’après-midi à l’auberge. À ma grande surprise, j’appris qu’une caserne militaire se trouvait non loin de la ville, ce qui expliquait la présence de plusieurs soldats parmi la clientèle.
Je ne tardai pas à constater que les hommes de cette époque étaient pour le moins… audacieux. Je fus victime de quelques pincements de fesses, accompagnés de commentaires douteux sur ma silhouette et mon accent exotique. Manifestement, la jolie Américaine aux cheveux noirs attisait la curiosité. Mais, à mon crédit, je restai dans mon rôle et me contentai de rire légèrement à chaque fois, feignant l’indifférence. Tous n’étaient pas des rustres, cependant ; certains clients et habitants de la ville se révélèrent plutôt courtois et agréables.
Colin, l’homme en charge de l’auberge, se révéla être un type amical, bien que relativement simple. Au fil de la conversation, j’appris que Fleur venait plusieurs jours par semaine pour jouer une sorte de rôle d’hôtesse. Apparemment, c’était une tradition familiale instaurée par sa mère. Mme Delacour, en plus d’être reconnue pour sa grande beauté, était une femme aimée et respectée de tous. Elle veillait à ce que chacun se sente bien accueilli à l’auberge, et Fleur avait repris cette habitude dès son plus jeune âge.
Après la mort de sa mère, Fleur avait continué à perpétuer cette coutume, malgré ce que certains auraient pu considérer comme une tâche indigne de son rang. Pourtant, personne n’avait jamais osé en faire la remarque, tant la mémoire de Mme Delacour était honorée dans le village. En réalité, Fleur ne faisait guère plus que servir un verre de bière de temps à autre et échanger quelques mots avec les clients.
Colin me confia également que Gabrielle, la sœur cadette de Fleur, était d’un tout autre tempérament. Elle détestait travailler, peu importe le domaine, et méprisait l’auberge, qu’elle considérait comme totalement indigne d’elle. Un détail que je rangeai soigneusement dans un coin de ma mémoire.
Vers 16 heures, mon moral s’éleva en flèche en entendant la voix douce et enjouée de Fleur résonner dans l’auberge alors qu’elle entrait par l’arrière.
« Bonjour, Colin, comment vous portez-vous aujourd’hui ? » demanda-t-elle d’un ton léger.
Colin, qui essuyait un verre derrière le comptoir, lui répondit avec un sourire.
« Je vais bien, Mademoiselle Fleur, merci. Et vous, comment se passe cette belle journée ? »
Je revenais justement du bar avec des verres vides lorsque Fleur tourna son regard vers moi. Mon cœur manqua un battement en croisant ses yeux clairs.
« Et vous, Hermione, comment se passe votre première journée parmi nous ? » demanda-t-elle avec un sourire qui me réchauffa instantanément.
« Tout se déroule bien, merci, Mademoiselle Fleur, » répondis-je avec un ton plus maîtrisé que je ne l’aurais cru possible.
Colin prit la parole avant que Fleur ne puisse répondre.
« Elle fait du très bon travail, Mademoiselle. »
Fleur acquiesça, l’air satisfaite.
« Très bien. »
Son regard dériva alors vers l’entrée, où un vieil homme venait d’entrer. Une lueur de respect traversa son visage.
« Oh... voici Sir Ian McCulloch. Il a reçu une médaille de bravoure du roi George III pour son courage à la bataille de Waterloo. C’est l’un de nos habitués. Colin, apportez-lui une pinte de notre meilleure bière. Je vais aller le saluer. »
Colin s’exécuta tandis que Fleur s’éloignait gracieusement pour s’adresser au vieil homme avec la courtoisie qui la caractérisait.
Et ainsi se déroula le reste de ma journée. Bien que j’adorais travailler à proximité de Fleur, les occasions de réellement lui parler étaient rares. Elle était perpétuellement sollicitée, échangeant des paroles aimables avec chaque client qui croisait son chemin.
Par moments, nous échangions quelques mots, mais ce n’étaient que des banalités sans importance, des politesses de circonstance. Ce constat, bien que frustrant, me rappelait la position que j’occupais ici : une simple servante, reléguée à l’arrière-plan d’un monde auquel je ne faisais pas encore partie.
JJe n’avais pas eu besoin d’aider à préparer le souper, mais j’avais mangé avec le personnel de cuisine. Après le dîner, j’avais encore travaillé au bar pendant un moment, mais, à ma grande déception, Fleur était déjà partie. J’avais finalement terminé ma journée à 21h00, après avoir travaillé près de quinze heures d’affilée.
En me préparant pour ce voyage, j’avais lu que les domestiques de cette époque travaillaient souvent de longues heures comme celles-ci. Sur les conseils de Dumbledore, j’avais fait un peu de jogging pour améliorer mon endurance. J’avais détesté chaque seconde de ces séances, mais, à présent, je lui en étais reconnaissante. Si j’avais tenté une journée comme celle-ci sans être en forme, je me serais sentie dix fois plus mal que je ne l’étais déjà.
J’étais épuisée en rentrant dans ma cabane à la fin de ma première journée complète. Pourtant, j’eus droit à une petite récompense. En 2024, je vivais dans un petit appartement au-dessus d’une boulangerie, et j’avais pour habitude de m’asseoir sur le toit, une bière à la main, en regardant les étoiles. C’était mon moment de détente, une manière d’échapper un instant aux tracas du quotidien.
Au lycée, je me souvenais d’un professeur qui nous avait parlé de la pollution lumineuse, expliquant comment les lumières des villes masquaient celles des étoiles. Ainsi, dans une grande ville, on ne pouvait en distinguer qu’une poignée. À l’époque, j’avais à peine prêté attention à ce détail.
Mais ce soir-là, en 1869, ce fut un choc.
Après m’être préparé une tasse de thé, j’avais décidé de m’asseoir un instant sur la chaise du porche, étrangement en bon état. Levant les yeux vers le ciel, je restai figée.
Là où, en 2024, je n’aurais vu qu’une trentaine d’étoiles, j’en distinguais maintenant des centaines, peut-être des milliers. Un ciel d’une pureté saisissante, libéré des lumières artificielles, s’étendait au-dessus de moi dans toute sa splendeur. La Voie lactée, que je n’avais jamais vraiment remarquée dans mon époque, apparaissait nettement, telle une rivière céleste serpentant dans l’infini.
J’étais complètement époustouflée par cette vision.
Après une journée harassante et un peu frustrante, où j’avais eu peu d’interactions avec Fleur et aucun progrès significatif, ce spectacle nocturne était une récompense inespérée.
Assise sur cette chaise, sirotant mon thé, écoutant le murmure du vent dans les arbres et observant l’univers dans toute sa magnificence, je me sentis en paix, comme suspendue hors du temps.
Seule chose manquante à ce tableau parfait : Fleur.
Mais avec un peu de chance, je pourrais peut-être changer cela.
*********************************************************************
Comme la veille, l’entrée du journal de Fleur n’avait pas changé sur la tablette d’Hermione.
Mais dans la réalité, ce soir-là, Fleur avait écrit une toute autre entrée…
30 avril 1869
Aujourd’hui marquait le premier jour d’Hermione parmi nous en tant que domestique. Bien qu’elle m’ait semblé de nature aimable et agréable, je n’étais point certaine de la manière dont elle s’acquitterait de ses tâches. J’espérais sincèrement qu’elle saurait s’adapter, car elle semblait être une jeune femme des plus intrigantes.
D’après les dires de Mrs. Winky, elle s’est montrée appliquée et travailleuse, s’acquittant de ses devoirs avec diligence et sérieux. J’en suis fort satisfaite.
Néanmoins, il y eut quelques moments quelque peu singuliers. Il faut toutefois rappeler qu’elle est Américaine, et que ces gens du Nouveau Monde ont des manières bien différentes des nôtres, nous autres Britanniques.
Mon fiancé, William, nous a honorés de sa présence pour le déjeuner aujourd’hui. Comme à son habitude, il nous a gratifiés d’une charmante conversation et a récité quelques vers de Richard III.
À ma grande surprise, Hermione a relevé une erreur dans la récitation de William. Il avait omis deux vers du passage de Richard III qu’il déclamait. Je pouvais aisément percevoir l’agacement que cela lui causa, sans doute pour deux raisons. D’une part, il ne devait guère apprécier d’être corrigé, et d’autre part, il est fort probable que le fait d’être repris par une domestique ait accentué son irritation. Aucun serviteur bien né n’aurait osé pareille audace.
Toutefois, au lieu de trouver cela inconvenant, j’ai, pour une raison que je peine à expliquer, ressenti une certaine admiration. Il est rare qu’une domestique affiche une telle érudition et une telle assurance. Mon père, quant à lui, parut contrarié, bien que je sache qu’il ne tiendra pas rigueur de cet incident trop longtemps. Son propre père était un grand amateur de Shakespeare, et il ne saurait blâmer une appréciation sincère du grand dramaturge.
La curiosité m’a poussée, plus tard dans la journée, à vérifier les vers en question dans la bibliothèque de mon père. Effectivement, Hermione avait raison. Non seulement elle a corrigé William avec exactitude, mais elle a également récité quelques vers de Jules César avec une aisance qui me laisse penser qu’elle est, en quelque sorte, une actrice.
Cela m’a profondément étonnée. J’ai toujours apprécié les représentations théâtrales et trouve le métier de comédien fascinant, bien que je doute fort d’avoir le moindre talent pour cet art moi-même.
Une autre chose étrange, bien que cela ne soit peut-être rien de notable, s’est produite plus tôt dans la journée. Après le petit-déjeuner, je me suis rendue à la cuisine afin d’informer le cuisinier que nous aurions un invité pour le déjeuner. En passant devant la porte du garde-manger, qui était restée légèrement entrouverte, une impulsion irréfléchie m’a poussée à y jeter un coup d’œil.
Hermione s’y trouvait, agenouillée sur le sol, occupée à le frotter avec vigueur. Elle ne m’avait pas remarquée et, pour des raisons que je peine à formuler sans en éprouver une profonde gêne, je suis restée là un instant à l’observer.
Alors que je me tenais silencieuse à l’ombre du couloir, j’ai perçu un murmure mélodieux. Hermione chantait pour elle-même, tout bas, mais avec un sentiment si sincère qu’il me sembla être le reflet d’une pensée intime. La mélodie m’était inconnue, et les paroles, bien qu’étranges, avaient une beauté envoûtante.
I've got you under my skin
Je t’ai sous la peau
I've got you deep in the heart of me
Je t’ai profondément dans le cœur
So deep in my heart, that you're really a part of me
Si profondément dans mon cœur que tu es vraiment une partie de moi
I've got you under my skin.
Je t’ai sous la peau.
Une chanson d’amour, sans nul doute. D’où venait-elle ? Était-ce un air folklorique d’Amérique ? Jamais je n’avais entendu pareille mélodie, et pourtant, elle me semblait d’une douceur poignante.
À qui pensait-elle en chantant ainsi ? Quelqu’un l’attendait-il dans ce pays lointain qu’elle disait avoir quitté pour voyager ? L’idée qu’elle puisse chanter pour une autre me troubla, et je sentis une étrange chaleur envahir mon visage.
Je serais restée plus longtemps si un bruit dans le couloir ne m’avait rappelée à la raison. Quelqu’un approchait. Je ne voulais surtout pas être surprise en train d’épier une domestique dans l’accomplissement de sa tâche. Je me détournai précipitamment de la porte et, dans mon empressement, manquai de heurter le cuisinier, que je venais précisément voir.
Par bonheur, il ne sembla pas remarquer l’agitation qui m’habitait, ni le rouge qui devait encore colorer mes joues. J’espérais du moins qu’il n’en fit rien.
Ce fut une chanson étrange, sans nul doute, mais d’une beauté troublante. Peut-être un simple air d’outre-Atlantique… ou peut-être bien plus que cela. Je n’oserai jamais interroger Hermione à ce sujet, car il me serait insoutenable qu’elle découvre que je l’avais observée en toute indiscrétion. Je prierai pour mon âme dimanche à l’église, afin d’obtenir le pardon d’avoir ainsi cédé à une curiosité des plus déplacées.
J’ai cependant eu l’occasion de travailler avec elle cet après-midi et d’observer son labeur de plus près. Hermione semble effectivement être une travailleuse acharnée, comme elle l’avait affirmé.
Je me surprends à souhaiter qu’elle fasse davantage partie de mon cercle social. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Les choses sont ce qu’elles doivent être, et je n’ose les remettre en question. Notre rang social est trop éloigné pour que ma familiarité avec elle soit tolérée par mon père.
Il se passe tant de choses ces jours-ci, entre les préparatifs du mariage et toutes les obligations qui en découlent. Mon esprit est accaparé par une multitude de détails nécessitant mon attention, si bien que je peine à trouver un instant de répit. Et pourtant… lorsque j’ai aperçu Hermione chantant dans le garde-manger, toute autre pensée s’est effacée. Pendant ce bref instant, il n’y avait plus que sa voix, sa silhouette, et cette étrange impression d’être happée par quelque chose d’inexplicable.
Je n’arrête pas de songer à ses yeux. Ce regard profond, d’un brun si chaud qu’il semble par instant se teinter d’or et de miel. Lorsqu’elle a croisé mon regard pour la première fois, j’ai eu l’impression qu’elle m’avait vue tout entière, comme si, d’un seul coup d’œil, elle avait su des choses que même moi, je n’ose formuler.
Mais mon avenir est tracé, et mon bonheur réside dans la construction d’une belle vie aux côtés de William. Bientôt, je deviendrai son épouse, et, avec la grâce de Dieu, une mère. Ce sera ma plus grande mission, mon véritable accomplissement.
Je ne dois pas me laisser détourner de ce chemin par des pensées frivoles et, pire encore, impures. Que le Seigneur me préserve des égarements et raffermisse mon cœur dans la vertu.