Je ne suis pas Harry ! Hourra !

Chapitre 8 : La bibliothèque

3098 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 06/10/2024 14:56

Matthieu secoua la tête comme pour chasser l'eau de ses oreilles, recula, franchit le seuil et ferma délicatement la porte sur la scène de cinéma burlesque et surréaliste qui se jouait derrière. Il lui fallait du temps pour réfléchir. Une pause pour analyser la situation, les gens, et trouver sa propre voie dans ce monde absurde où il avait été envoyé par une entité avec un sens de l'humour douteux. Le meilleur endroit pour réfléchir, pour lui, était la bibliothèque, c'était évident. Matthieu se souvint qu'il avait l'autorisation tacite du propriétaire des lieux pour accéder à la section réservée aux invités. Mais, que diable l'importe (ou Mordred selon le lexique local), s'il savait comment accéder à cet endroit béni.

-         Kreattur, appela-t-il doucement.

 L'elfe, plume derrière l'oreille et une tache d'encre sur le nez, apparut presque aussitôt, comme s'il attendait d'être convoqué.

-         Quels sont les désirs de l'invité de la noble Maison Black ?

-         J'aimerais me rendre à la bibliothèque, section réservée aux invités, j'ai autorisation de Lord Black.

Kreattur s'inclina poliment, mais accompagna ce geste de chuchotement à peine audible :

-         Kreattur n'est pas un guide touristique, et ajouta un peu plus fort, suivez-moi...

Le trajet leur prit une bonne demi-heure. Malgré sa conviction que Kreattur lui faisait faire un détour intentionnellement, jeune homme ne se plaignit pas en mettant au profit ce temps pour admirer le chic baroque, quoique bien défraîchi de la demeure.

Ils suivirent plusieurs couloirs, franchirent un nombre impressionnant des portes, descendirent deux ou trois étages pour se retrouver devant une porte ornée de poignée en forme de tête de chien finement ouvragée. On aurait pu compter chaque dent dans la gueule entrouverte ou entrevoir une lueur rougeâtre au fond de ses yeux.

-         Que l'invité de la noble maison Black tourne la poignée et ouvre la porte, croassa Kreattur.

-         Oui, je sais Kreattur n'est pas un portier, sourit Matthieu et prit la poignée en main.

Presque aussitôt, il ressentit les dents de la sculpture se refermer sur ses doigts, suivi d'une légère piqûre à l'extrémité de son auriculaire. Une goutte de sang perla et fut aussitôt léchée par la gueule fantomatique. La prise de la poignée se relâcha et la porte massive s'ouvrit avec un grincement, rappelant le grognement mécontent d'un chien.

-         Vous êtes vraiment autorisé à entrer ici. Sinon, vous n'aurez plus de main, déclara Kréattur.

Il produisit un bruit similaire à celui de gonds rouillés d'une porte, et Matthieu mit un instant pour réaliser que c'était son rire.

-         C'était une blague, constata Matthieu consterné.

Il n'aurait jamais imaginé que Kreattur possédait le sens de l'humour, même si cet humour était assez spécial.

-         Ce n'est que le paiement pour l'usage de la bibliothèque de la noble Maison Black, invité ignare ! Que puis-je faire encore pour l'indigne ?

Ils passèrent à l'intérieur. Matthieu observa avec émerveillement les étagères qui s'étendaient à perte de vue, si élevées que leurs sommets disparaissaient dans les hauteurs invisibles du plafond. L'endroit ressemblait à une cathédrale, paisible, éclairée d'une douce lumière, et dotée de vastes fenêtres. La pièce représentait parfaitement ce que l'on pourrait appeler un « sanctuaire du savoir ».

-         Un stylo, un bloc-notes et un endroit pour écrire. Puis de la littérature sur le monde magique, quelque chose dans le genre « Le monde magique pour les Nuls » ou « La magie pour les Nuls ». Énuméra Matthieu.

Il sourit nostalgiquement en repensant aux ouvrages à couverture jaune et noire et ornés d'une tête aux yeux exorbités de la série « pour les nuls », parmi lesquels « Internet pour les Nuls » fut longtemps son livre de chevet.

Kreattur claqua des doigts et un parchemin accompagné d'une plume apparu directement dans les mains de Matthieu. D'un geste, l'elfe indiqua un bureau situé dans un coin de la pièce. La lumière provenant d'une grande baie vitrée éclairait la table. D’ailleurs, c'était étrange de trouver autant de fenêtres dans un lieu qui se trouvait manifestement dans un sous-sol. Matthieu s'approcha de l'une d'entre elles et admira la vue de la Tour Eiffel. Une autre donnait sur les canaux de Venise, une troisième sur l'éruption du Vésuve, la suivante sur la Tour de Pise. La fenêtre à côté de laquelle était placé le bureau offrait une vue imprenable sur le Big Ben.

-         Et en ce qui est de la littérature, Kreattur suggère à l'ignare invité de la Noble Maison Black à se servir de cet artefact.

L'elfe montra le grimoire sur le pupitre à côté du bureau et murmura comme s'il se parlait à lui-même :

-         L'indigne croit sérieusement que Kreattur n'a rien d'autre à faire que d'attendre ses ordres. Et continua un peu plus fort : - C'est le catalogue, ce qui vous permettra de trouver facilement tout ce que vous désirez. Tous les enfants de la noble Maison Black utilisaient cet artefact pour travailler dans la bibliothèque sans déranger constamment pauvre Kreattur. Venez, je vais vous montrer comment l'utiliser.

L'elfe de maison s'approcha du pupitre, ouvrit le livre qui s'y trouvait. Matthieu le rejoignit, tenant d'une main le parchemin et la plume, et se pencha sur l'ouvrage aux côtés de Kreattur. Les pages au-dessus desquelles une petite bille de lumière planait semblaient complètement vides. Se rappelant qu'il était dans le monde magique, Matthieu s'abstint de tout commentaire et attendit patiemment des explications.

-         Regardez, sur le côté gauche vous écrivez le thème que vous voulez consulter. Ceci, par exemple, Kreattur prit la plume et traça : « Le monde magique expliqué aux néophytes. »

Matthieu qui écoutait attentivement Kreattur, remarqua que les phrases de ce dernier devenaient de plus en plus claires. L’elfe arrêta de parler de lui-même à la troisième personne, cessa d'insulter son interlocuteur et commença à ressembler par sa conduite à un petit professeur essayant de faire rentrer les connaissances minimales dans la tête de pioche d'un cancre. Les doutes sur les Elfes de Maison se multipliaient à vue d'œil, mais Matthieu décida de repousser les questions à plus tard, ou rechercher les réponses dans les livres.

Pendant ce temps, la page de droite se couvrit des titres, les uns écrits à l'encre verte, d'autres à l'encre rouge ou noire. Plusieurs dénominations étaient en latin, mais également en espagnol, en italien et même en russe.

Kreattur continua à donner les précisions :

-         Tout ce qui est en vert se trouve dans la section des invités, c'est accessible de suite. En rouge - dans le secteur des maîtres qui vous est interdit. En noir, ce que nous ne possédons pas. Vous voyez que la liste est assez longue, pour la raccourcir il faut formuler votre requête avec plus de rigueur.

« Tout comme avec le moteur de recherche sur l'internet » s'émerveilla intérieurement Matthieu.

Kreattur compléta la demande : « Le monde magique expliqué aux néophytes, compréhensible pour notre invité et se trouvant dans la section qui lui est accessible ». Immédiatement la liste sur la page de droite se modifia, pour ne garder que trois lignes en vert, deux écrites en anglais et une en français.

-         Maintenant touchez avec un doigt de la main droite l'intitulé qui vous intéresse.

Matthieu posa le parchemin et la plume, qui l'encombraient, sur le bureau et toucha la première ligne tout en demandant :

-         Ça doit être fait obligatoirement avec la main droite ?

-         Non, grinça Kreattur, c’était pour vous obliger de lâcher, enfin, de toutes ces fournitures de bureau.

Dès que le jeune homme obtempéra, la petite bille lumineuse se dirigea rapidement vers le deuxième rayonnage sur la gauche du bureau. Elle s'immobilisa devant la troisième étagère d'en bas, face au livre apparemment récent, qu'elle éclaira brièvement. Matthieu s'approcha et lut « Je suis un sorcier. Le monde magique pour les tout-petits. ».

-         Il me semble que ceci correspond assez à votre demande « Le monde magique pour les nuls ».

Kreattur émit encore le grincement qui lui remplaçait le rire et disparu entre les rayonnages.

-         Et comment je fais pour modifier la requête ? Cria Matthieu dans le vide.

Et le vide répondit : « Frottez ce que vous avez écrit avec la main, comme avec une gomme. Cela effacera le texte et vous pourrez écrire à nouveau ».

« Je pourrai écrire si j'étais capable de me servir de ça ! », pensa Matthieu en regardant la plume avec une certaine rancune. Il souhaitait ardemment voir à la place de parchemin un cahier d'écolier tout simple, et au lieu de plume le stylo-bille des plus ordinaires.

La frustration et le désir de Matthieu devinrent presque tangibles. L'atmosphère s'alourdit autour de lui, chargée de minuscules décharges électriques. Le parchemin et la plume semblèrent entourés d'une lueur irisée, et sous le regard émerveillé et nostalgique du jeune sorcier, ils se transformèrent en cahier rouge Clairfontaine et en un stylo Bic le plus courant : corps jaune, bouchon bleu. Matthieu commença à saisir le fonctionnement et à comprendre pourquoi il avait échoué avec les cailloux au supermarché et réussi dans l'auto-soin. En plus de formuler un souhait il fallait également visualiser clairement le résultat. La place de la baguette magique dans cette équation, ainsi que sa nécessité restaient mystérieuses pour le moment.

Il ouvrit le cahier et s'apprêta à prendre des notes sur les événements récents, une habitude qu'il avait depuis longtemps en tant que médecin : mettre par écrit ses observations. Cette pratique lui permettait toujours d'organiser ses pensées, et Matthieu espérait sincèrement qu'en revisitant ses écrits plus tard, il trouverait au moins un début de réponse à la question « qu’attendait donc Nazgûl de lui ? ».

Sur la première page il traça de cette écriture caractéristique que tous les médecins obtenaient à la fin de leurs études universitaires et perfectionnaient durant l'internat, les grands items qu'il devait éclaircir.

1.      Où se trouve la voile entre les réalités et comment, diantre, on peut arriver à la rompre ? (Quelle est la nature de la maladie, quel organe est atteint et quels en sont les symptômes ?)

2.      Comment on pourrait en théorie empêcher cet événement déplorable à se produire ? (Vaut mieux prévenir que guérir. Prévention c’est notre tout !)

3.      Qui est le personnage clef ? (Qui est le malade zéro, le premier à être touché ?)

4.      Et enfin, qui dois-je aider et en quoi ? (Qui est mon patient ? Quelle est la planification de soins ?)

Présenté de cette façon pour le médecin intérieur de Matthieu tout devint plus clair, il devrait agir comme lors d'une épidémie : identifier l’agent pathogène, prendre des mesures préventives, isoler et soigner les malades.

L'identification et la prévention étaient problématiques. Matthieu ne possédait pas les bases nécessaires, car il était très peu renseigné sur le monde magique et ses lois. Cependant, il espérait pouvoir combler ces lacunes avec l'aide des livres de la bibliothèque ou peut-être de Nazgûl avec un peu de chance.

Pour l'instant, il allait rechercher le personnage principal de l'histoire. Il tourna la page, écrivit "SB", puis dessina un tableau à plusieurs colonnes. C'était la meilleure façon de retenir les faits objectifs et de faire des comparaisons basées sur les données identiques pour tous. Néanmoins, l'une des colonnes avait pour titre « Mes impressions » et était destinée aux sujets abstraits et subjectifs.

 Et c'était cette colonne que Matthieu se mit à remplir en premier. « Bel homme, brun, aux yeux bleus magnifiques, avec le corps d'une statue antique, élégant. Généreux, excentrique, dynamique, impétueux. Très efficace en tant qu'ami sur lequel on peut compter pour passer les munitions lors d'une confrontation et assurer les arrières. Mais, le charger d'une mission d'espionnage serait une grave erreur. »

Puis il remplit rapidement une partie des colonnes :

« Age : 35 ans, Taille environ 1 mètre 85, Corpulence moyenne, bien proportionné, cheveux bruns, yeux bleus, animagus se transforme en chien Sinistros. Surnom Patemol. Famille de noblesse magique Black, dont il est le dernier représentant. La famille... »

Matthieu marqua une pause pour méditer sur ce qu'il connaissait de la famille de son hôte. En y pensant sérieusement : rien. Il se rendit compte qu'il possédait, seulement quelques souvenirs flous provenant de l'orignal et des fanfictions, et bien malin celui, qui saurait dire lesquels étaient vrais ici.

« Bon, voyons ce que bibliothèque a sur le sujet », se dit-il en se dirigeant vers le pupitre pour consulter l'artefact.

D'un geste, il effaça l'exemple de recherche de Kreattur et formula sa demande. L'expérience acquise lors de l'utilisation de Google s'avéra très utile dans cet exercice. Il écrivit : « Section des invités, ouvrages en français et en anglais moderne, histoire des familles magiques, les Black ». Il mit le point et contempla avec fierté d'avoir trouvé une formule aussi précise, l'unique titre apparaître sur la page de droite : « Les grandes familles du monde magique » compilé par Maître en sciences Gemiltun.

Matthieu toucha le titre avec le doigt et prononça en s'adressant à la bille lumineuse :

-         En avant, mon Petit Google !

Il suivit la bille qui fila vers le fond de la pièce en continuant de parler :

-         J’espère, que cela ne te gêne pas que je t'appelle ainsi. Tu me rappelles par bien des traits ton lointain « cousin », qui m'avait rendu des fiers services par le passé. Si tu savais, comment il me manque !

Sur une étagère près du mur du fond, à la hauteur des yeux de Matthieu, un livre brilla brièvement. Il le prit délicatement et remercia son petit assistant :

-         Merci, mon Petit Google ! « Petit Google » c'est vraiment un nom peu pratique, trop long, marmonna-t-il. - Je vais t'appeler PG, ou Pygé, c'est bien mieux ! Cela te convient, mon fidèle collaborateur ? Tu es maintenant Pygé, tu as pigé ?

Jeune homme sourit à cet involontaire calambour et au même instant il sentit une brise lui ébouriffer les cheveux. Pygé, fraîchement nommé, étincela un peu plus fort, ouvrit un œil rond qu'il clignât aussitôt avec une certaine malice, puis s'installa sur l'épaule de sorcier débutant en émettant un doux gazouillis.

« Si je continue d'animer les objets je finirai par m'attirer les ennuis ». Songea paresseusement Matthieu en reprenant sa place derrière le bureau.

-         Mon ami Pygé, voyons voir ce qui est écrit sur les Black.

Il feuilleta rapidement les pages jusqu'à la lettre B. « Bentel, Beurg, ah ! Voici les Black - La première mention de la famille remonte au XIIIe siècle. C'est impressionnant, n'est-ce pas, cher Pygé ? Sang pur, même bleu, Nobles, Lords titrés de la Magie. Sirius est le troisième de nom. Des liens de parenté avec presque toutes les familles anciennes, en particulier les Malefoy, les Potter et dans une moindre mesure les Londubat. »

Il écrit rapidement ce petit condensé et passa au personnage suivant. SR, pour Severus Rogue et resta comme figé, par le gémissement admiratif digne de starlettes de son alter ego Maïté : « Quel homme ! Il a l'air d'un noble espagnol peint par El Greco ou par Velasquez ! »

À cet instant, une pensée l’effleura, pourquoi il opérait la séparation entre Maïté et lui-même. Il la considérait comme son double, son médecin intérieur, une amie bienveillante. Cette situation ressemblait à un dédoublement de personnalité, voire à de la schizophrénie ! N'était-il pas temps de reconnaître qu'il se trouvait seul dans ce corps, et que c'était lui-même à la fois le médecin, le guérisseur, le sorcier et un fan de Severus ? Que le monde qui l'entourait n'était pas le fruit de son imagination ni le décor d'un jeu vidéo dont l'objectif était de remplir les conditions de contrat avec Nazgûl, mais bien la réalité dans laquelle il devait apprendre à vivre ? Matthieu posa le stylo et prononça à voix haute en périphrasant Flaubert « Madame Maïté, c'est moi » ! (1).

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1.      Phrase célèbre attribuée à Gustave Flaubert : « Madame Bovary, c’est moi ! »

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