Je ne suis pas Harry ! Hourra !

Chapitre 7 : « Le cirque est parti, les clowns sont restés »

3098 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 25/09/2024 17:58

Matthieu déchira l'enveloppe et lu à voix haute le texte. À la fin, il ne savait pas s'il devait rire ou pleurer. Ou bien pleurer de rire. Un millier de fanfictions, lues durant sa vie de Maïté, se bousculèrent dans son esprit, talonnées par l'œuvre originale.

De plus, il était décontenancé face au ricanement joyeux de son hôte, ne sachant pas quelle réaction adopter. Sa spécialité était le chant, alors, après avoir pris une profonde inspiration et accordé la guitare, il attaqua cet air joyeux sentant bon l'ère hippie :

Pour être un sorcier, prends ta valise

Et va donc à Poudlard on t'attend

Mets dans ta valise ta baguette magique

Pour être un sorcier c’est suffisant

Et ma vieille guitare

Laisse la ici

Et mon seul ami

Laisse le aussi

Mon vieux tant pis, mais

Pour être un sorcier, prends ta valise

Et va donc à Poudlard on t'attend. (1)

Il pinça les cordes une dernière fois si fort qu'une se rompit avec un bruit sec et déplaisant. Puis il se tourna vers Sirius et demanda :

-         Messire, arrête de rigoler et ôte-moi un doute : est-ce qu'on entre à Poudlard à l'âge de onze ans en première année ?

Sirius hocha la tête en signe d'assentiment, en étouffant l’hilarité à grand-peine.

-          Et moi j'ai presque dix-huit. J'aurais l'air d'un Guliver chez Lilliputiens. (2) Quel traquenard !

Black ne put s'empêcher d'imaginer le visage que Dumbledore ferait en voyant arriver cet étudiant. Il avait la scène devant les yeux, comme s'il y était : Matthieu clope au bec, guitare à la main, robe de sorcier de travers, baguette magique plantée dans les cheveux en guise d'épingle, s'élevant parmi les petits magiciens tels un Titanique, entre les fragiles canots de sauvetage. Prêt à couler mais toujours indompté.

Le tableau fut complété par l'image de McGanogal, faisant le dos rond et crachant sur la guitare comme un chat défiant sa rivale, tandis que l'instrument répliquait de la même. Sirius gloussa doucement, puis se marra franchement : les larmes lui coulaient sur les joues, il se frappait les cuisses, il tapait des pieds et finit par s'affaler sur la table le visage dans les mains sous le regard atterré de Matthieu.

-         Je suis vraiment heureux que ceci t'amuse, mais que dois-je faire ?

Black s’essuya le visage, respira un bon coup pour retrouver un peu son calme et répondit :

-         Ah, des questions existentielles « Être où ne pas être ? » et « Que faire ? ». Ce sont des interrogations éternelles auxquelles personne ne peut répondre de manière indiscutable ! Par contre, je sais ce qu'il ne faut absolument pas faire ! Et, sans vouloir me vanter, je suis l'un des rares, voir le seul et unique, à être disposée à te l'expliquer !

Après avoir prononcé ces mots, Sirius se redressa, frotta ses ongles sur le revers de la veste imaginaire, puis reprit la parole :

-         Tu ne dois pas refuser d'aller à Poudlard ! En aucun cas ! C'est primordial pour un sorcier de s'entraîner à contrôler ses pouvoirs, afin de ne pas représenter un danger pour autrui et pour soi-même.

Avec un air pompeux, Black semblait réciter les paroles d'autrui, imitant même le ton et la voix de cette personne, tout en pointant du doigt la poitrine de Matthieu pour appuyer l'importance de son discours. Puis il parut perdre sa superbe, s'affaissa comme un ballon privé d'hélium, se frotta rapidement la tête en ébouriffant ses cheveux et continua :

-         Ce n’est pas uniquement pour cela. Tu pourrais apprendre à te contrôler tout seul ou avec mon aide. Notre ministère souhaite maintenir le secret sur l'existence de notre monde, c'est pourquoi il impose à chaque jeune sorcier, surtout née-moldu, de fréquenter Poudlard. Là-bas, en plus de s’accoutumer à maîtriser leur pouvoir magique, ils s’habituent également à faire preuve de prudence. Du moins, c'est ainsi que l'on explique des mesures assez cruelles, prises en cas de refus. Donc, si tu ne vas pas à l'école de sorcellerie, l'Effaceur ministériel viendra neutraliser ton noyau magique et t'effacer les souvenirs, pour te renvoyer à ta vie de moldu. La perte d'accès à la magie est assez douloureuse et peut entraîner les troubles divers : la quête infructueuse d’un objet égaré ou bien un sentiment de deuil irrémédiable. Et ce n'est pas le pire. Le blocage forcé de ton noyau risque de le faire mourir et une fois mort, alors il va se décomposer et empoisonner ton corps, tel une blessure surinfectée. Une sep-ti-cé-mie de la magie, en somme.

Sirius prononça le mot « septicémie » en le scindant en syllabes, visiblement fier de maîtriser un terme aussi complexe.

-         Et je ne te donnerais pas un an de survie...Chuchota-t-il pour terminer, en écartant les bras en signe d'impuissance.

-         Euh, je comptais y aller de toute façon, je m'en doute qu'un pouvoir sans connaissances et périlleux, bien que l’aspect de secret ne m’eût pas effleuré. Je te suis profondément reconnaissant de me prévenir... Néanmoins, je deviendrai le sujet de moquerie, et, même si le ridicule ne tue pas...

-         Ne t'inquiète pas pour ça, j'ai quelques bonnes relations, y compris le directeur de l'école de Poudlard. J'ai le bras long, sais-tu, se vanta Sirius en tendant son bras au-dessus de la table en guise de preuve. - Je vais lui demander de te faire passer des tests pour que tu avances de quelques classes. On te fera rattraper le niveau, toute la section « des invités » dans ma bibliothèque est à ta disposition, ainsi que l'assistance de Kreattur. Et mon filleul Harry pourra également t'aider pendant les vacances scolaires.

À cette affirmation Matthieu jura intérieurement de dépit. Si le jeune Potter de cette réalité ressemblait au héros de l'original, son concours serait inappréciable et pas par sa grande valeur, mais à cause de l'absence totale de telle. D'après ses souvenirs, la priorité absolue pour Harry fut de combattre Voldemort, ensuite venaient ses amis, et en troisième position le Quiddich. Nostradamus aurait été le seul à pouvoir dire où les études se situaient dans son Top50. Ou bien Merlin, selon le vocabulaire local. Franchement, l'assistance de l'Hermione aurait été préférable.

Soudain, une idée folle traversa l'esprit de Matthieu et il demanda en essayant de paraître indiffèrent :

-         Sirius, ton filleul sait que tu étais tombé dans l'Arche ? Est-il au courant que tu t'en es réchappé ?

Sirius tenta de répondre aux deux questions en même temps. D'abord, il hocha la tête pour confirmer, puis la secoua dans la négation. Ensuite, il se frappa le front avec la paume de la main et s'exclama :

-         Je suis impardonnable ! Harry doit être mort de chagrin. Quel parrain lamentable je fais !

Sans laisser le temps à Matthieu d'intervenir, il leva sa baguette magique et cria « Spero Patronum ». Un chien fantomatique blanc nacré d’une taille impressionnante apparut instantanément en affichant un sourire d'un cabot heureux et une impressionnante rangée de dents.

-         Va voir Harry et transmets-lui ceci : « Je m'en suis sorti, je vais bien, je suis chez moi à Grimaurd », ordonna Black.

Le chien spectral jappa, remua la queue, fit l’air de lécher la main de son maître et disparut, en laissant Matthieu dans l’étonnement le plus total. Il s'enquit en choisissant ses mots avec prudence :

-         C'est un sacré messager que tu as là ! J'espère qu'il est privatif et peut être entendu uniquement par le destinataire !

-         Non, pourquoi ? Sirius leva les yeux pleins d'incompréhension sur son vis-à-vis.

-         Alors, tu voulais annoncer la bonne nouvelle de ton sauvetage miraculeux à tous ceux qui pouvaient l'entendre ?

Black regarda fixement sans parler son invité, puis il prit sa main et mit à courir en l'entraînant avec lui :

-         Mordred et sa mère Morgane ! Par les vieux caleçons de Merlin, dépêchons-nous ! En avant, mon gentil damoiseau ! Il faut que je ferme l'accès à ma maison ! Kreattur ! Occupe-toi à interdire la maison aux hiboux !

Le ronflement de la cheminée et des claquements sec de transplanage résonnèrent dans la maison et le portrait de Lady Black hurla des obscénités.

-         Trop tard, dit Sirius résigné.

Il lissa ses cheveux, mit de l'ordre dans les vêtements et se dirigea vers la source de bruit de façon plus calme et posé.

Une compagnie hétéroclite les attendit dans le salon où se trouvait la cheminée de transport.

Un vortex composé des lunettes, des yeux verts étincelants de bonheur, des coudes et des genoux anguleux se précipita vers Sirius et s'accrocha à son cou.

« Potter » commenta en lui-même Matthieu.

-         Tu es vivant ! Tu es vivant ! Répéta avec émerveillement le garçon en serrant fort son parrain dans les bras.

Sirius répondit en riant tout en lui rendant son étreinte :

-         Oui, je suis vivant, mais je risque de ne pas le rester bien longtemps, tu vas m’étrangler si tu continues à me serrer de la sorte.

Matthieu parcourut de regard la pièce, et aperçut près de la fenêtre un vieillard imposant portant une robe de sorcier aux couleurs vives, qui présentait une étrange ressemblance avec le Merlin du dessin animé de Disney. « Dumbledore, Quel singulier personnage ! Et que dire de ses vêtements ! Si je ne voulais pas qu'on se souvienne de mon visage, je m'habillerais comme lui. » Pensa notre héros en se mettant dans un coin retiré de la pièce pour poursuivre son observation.

Il jaugea discrètement, en faisant abstraction de la coloration criarde de la robe, le vieux sorcier, auquel instinctivement il n'accordait pas sa confiance. « Alors, voyons voir qui es-tu vraiment Albus Wulfric Perceval Brian Dumbledore, Commandeur du Grand-Ordre de Merlin, Docteur ès Sorcellerie, Enchanteur-en-chef, Manitou suprême de la confédération ». Il plissa les yeux pour mieux voir. Ce qu'il vit le conforta dans sa méfiance. Une barbe blanche ornée de clochettes et une moustache également blanche, contrastaient avec un visage à la peau étrangement lisse. Un nez crochu. Les yeux bleus, vifs et intelligents qui étudiaient avec bienveillance, un peu trop surfaite, la scène de retrouvailles par-dessus des lunettes en demi-lune. Le tout couronné par un sourire mielleux de bigot, prêt à « infliger le bien et commettre la justice ».

« Eh bien, tu es plus jeune que tu ne veux le laisser paraître. Définitivement, tu ne me plais pas ». Faute de pouvoir le dire à Manitou Suprême, Matthieu fit cette conclusion pour lui-même, puis il se concentra sur le personnage suivant.

Un homme à l'apparence terne, comme couvert de poussière, se plaça non loin du maître de maison. Il était banal, à l'exception de ses yeux, qui se distinguaient par leur ressemblance avec ceux d'un loup, et qui fixaient avec colère à peine dissimulée l'étreinte entre Black et son filleul. Il se tenait les mains cachées dans ses manches, mais Matthieu crut voir des griffes redoutables à la place des ongles. « Lupin. Bizarre, il ne semble pas heureux de voir... Harry, ou bien Sirius, ou les deux, ou les deux ensemble... »

Matthieu fit glisser son regard de Lupin sur le dernier participant de cette réunion improvisée, qui debout à côté de la cheminée, visiblement était prêt à partir dès que l'occasion se présenterait.

Cafetan noir, cheveux noirs, yeux noirs et regard noir. « Rogue » chuchota Matthieu, son cœur fit une ratée puis battit la chamade. Son alter ego Maïté avait été une admiratrice inconditionnelle de Severus, et même dissoute dans leur personnalité commune elle gémit, tel une midinette, qu'elle n'était plus depuis longtemps : « Quel homme ! Un sombre génie, l'incompris, fidèle, fort ! J'ai tant rêvé de le rencontrer et soigner ses blessures (je suis un médecin après tout) Je le vois enfin, mais je ne suis plus une femme !!! Où est donc la justice ? Où ? »

Tout le monde se tut immédiatement et se tourna vers lui. Matthieu réalisa avec effroi qu'il avait prononcé les derniers mots à voix haute, trahissant ainsi sa présence. La scène se figea dans un mutisme stupéfait, comme si on avait appuyé sur l'interrupteur. Seul Rogue leva le sourcil et prononça sarcastiquement :

-         Jeune inconnu, si vous êtes à la recherche de la justice, je vous conseille de prendre un dictionnaire et de l’ouvrir sur la lettre J, c'est là-dedans qu'on a le plus de chances de la trouver.

Et le silence éclata en mille morceaux, tel une vase de cristal échappée des mains maladroites :

« Qui est-ce ? », « Mon garçon, que fait-il ici ? Nos réunions... », « Comment en es-tu sorti ? », « Pourquoi ne pas avoir averti tout de suite ? », « Je veux vivre ici avec toi ! »

Les exclamations fusèrent l'une après l'autre, sans laisser à Sirius la possibilité de placer un mot. Seul Rogue s'enferma dans le calme narquois. Le vacarme fut ponctué de ronflements des flammes vertes dans la cheminée signe de la venue imminente de nouveaux protagonistes.

Matthieu secoua la tête comme pour chasser l'eau de ses oreilles, recula, franchit le seuil et ferma délicatement la porte sur la scène de cinéma burlesque et surréaliste qui se jouait derrière.

L'expression favorite de maman Jones devant les pitreries des enfants décrivait parfaitement la situation :

« Le cirque est parti, les clowns sont restés » !


L’intermède N°2



Lieu : quelque part, hors de temps et de l'espace.

Décor : Réplique de la mansarde située rue des Fossoyeurs, Paris 6eme. (3)

Personnages : D’Artagnan, Atos et... Nazgûl.

Disposition : D’Artagnan est assis à côté d’Atos devant une petite table sur laquelle est posé l’échiquier. Nazgûl se tient debout en face d’eux.

-         Morbleu, encore ces nippes affreuses ! S'éxclama D'Artagnan.

Nazgûl soupira puis se mua en Milady. Elle prit un mouchoir pour essuyer le banc, puis s'y assit avec une mine de dégoût.

-         C'est mieux comme ça ? Demanda-t-elle. Alors continuons la partie.

-         Non ce n’est pas mieux ! Rétorqua Atos, - Cette roulure n'a rien à faire chez mon ami D'Artagnan !

-         Vous me fatiguez, à la fin. On dirait que vous craignez la suite que prendra cette partie et redoutez que je gagne !

Milady sortit un éventail de nulle part et l'agita devant le nez d'Atos.

-         Tais-toi, femme et joue ! Sinon pardieu je te jure que je vais te passer par le fil de mon épée.

-         Peut-être, avant vous deux, vous me raconteriez le résultat de l'action de votre pion ?

D'Artagnan parut un peu gêné, il tritura sa moustache, perça Milady d'un regard désapprobateur, se redressa sur le banc et commença :

-         Ça aurait pu être un franc succès, mais ces vivants ne font qu'à leur tête. Ils parlent, ils chantent, ils s'agitent dans tous les sens. Aucun savoir vivre ! Ils ne savent même pas lire les indices qu'on leur donne ! Mordiu, ça va mal finir !

-         Bien sûr, c'est toujours les autres qui sont responsables ! Pauvres mortels ! J'aurai dû m'en douter ! S'exclama Milady en déplaçant le pion noir sur e6.

Le pion subit immédiatement plusieurs métamorphoses : d'abord en manuscrit, puis en livre, puis en une bille de lumière, et enfin en un Elfe de Maison.

L'image de la mansarde devint indistincte, se couvrit de brouillard. Les personnages présents parurent couler, fondre pour finir par se transformer en silhouettes indistinctes, penchées sur l'échiquier qui continuait de luire dans les volutes de la fumée spectrale. L'une des silhouettes émit pensivement, avant de disparaître : « Quelle solution élégante ! Un bibliothécaire ! ».

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1.      Périphrase de « Pour la fin du monde » de Gerard Palaprat (1974)

2.      Matthieu fait référence aux « Voyages extraordinaires de Gulliver » le roman de Jonathan Swift où l'on trouve une histoire de voyage de Gulliver sur l'île Lilliput habitée par des Lilliputiens, des personnages de la taille minuscule.

3.      Rue des Fossoyeurs, Paris 6eme. – A. Dumas « Les trois mousquetaires ». C'est l'adresse de la petite mansarde que D'Artagnan a louée en arrivant à Paris (aujourd'hui rue de Servendoni).

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