Destinée | les Prince, tome 1

Chapitre 7 : Mariage de condamnés

889 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/06/2024 21:07

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Février 1950.


Tobias Rogue n'éprouvait guère plus pour Eileen qu'une indifférence teintée de mépris.


La seule raison qui le poussait à la chérir comme il chérirait sa petite amie se trouvait être le revenu colossal de son père. 17 000 livres montaient au double, sinon le triple, de ce que son propre patron gagnait en six mois de travail.


Puisqu'il était un ouvrier, son union avec Eileen serait probablement mal perçue par sa famille. Mais aussi parce qu'il était ouvrier, il ne pourrait offrir un bon niveau de vie à Eileen, et aucun père ne laisserait sa fille sombrer dans le dénuement, peu importe à quel point son gendre serait de basse extraction.


Heureusement pour lui, Eileen était naïve. Elle ne comprenait pas ses véritables intentions, ou alors elle préférait les ignorer : dans les deux cas, Tobias en était satisfait.


Aujourd'hui, ils se rencontreraient pour un dernier rendez-vous, chez Tobias.


L'Impasse du Tisseur était une rue pauvre brumeuse, dont les maisons délabrées s'étalaient devant des trottoirs aux réverbères cassés. On apercevait au loin la grande cheminée d'une fabrique.


Eileen Prince se força pourtant à marcher sans se pincer le nez ni esquisser de grimace.


« Eileen, je te cherchais, dit Tobias, apparaissant soudainement derrière elle.


— Ah, s'écria-t-elle en sursautant. Tobias, tu m'as fait peur ! »


Elle l'enlaça avec soulagement.


« Tu rentres ? » proposa Tobias en désignant sa maison.


Elle semblait être la plus délabrée de toutes.


Eileen acquiesça et pénétra dans la demeure. Le salon, faiblement éclairé par une lampe, possédait une bibliothèque à moitié vide, une table basse branlante et un fauteuil affaissé d'un marron indéfinissable.


« J'ai une déclaration à te faire », annonça Tobias.


Même si le lieu la répugnait, elle hocha la tête. Tobias, qui voyait parfaitement le dégoût dans ses yeux, ressentit un plaisir malsain à l'idée que cette femme, qui était née avec une cuillère en argent dans la bouche, accepte le sacrifice de vivre avec lui pour lui.


Il s'agenouilla et sortit de sa veste rapiécée une petite boîte en carton. Il l'ouvrit soigneusement et demanda : « Eileen, veux-tu m'épouser ? »


Elle porta ses mains à ses lèvres et des larmes apparurent au coin de ses yeux.


« Oh, Tobias, tu es prêt à cela pour moi ? s'émut-elle.


— Je serais prêt à tout », assura Tobias.


Aucun d'eux n'y croyait vraiment, mais Eileen pensait que son sauveur était apparu et l'emportait enfin avec lui dans un monde meilleur.


« Le mariage avec les Black annulé ! s'indigna la mère d'Eileen en déchirant frénétiquement la Gazette. Que racontent encore ces idiots ! »


Derrière elle, son mari fixait leur boîte aux lettres, accrochée sur la cheminée — de cette manière, les lettres inutiles atterrissaient directement dans le feu. Ses cheveux, d'ordinaire maintenus en arrière par un gel magique, étaient échevelés et la sueur perlait à son front parcouru de rides.


Une enveloppe marquée par le sceau des Black jaillit brusquement de la boîte au lettre et le père d'Eileen poussa un soupir de soulagement. Il la décacheta fébrilement tandis que son épouse se pressait pour regarder derrière son épaule.


« Chers M. et Mme Prince... lut-il à voix haute. Nous sommes navrés de vous indiquer que, tenant compte des liaisons douteuses de votre fille, nous nous voyons dans l'obligation d'annuler le mariage. Veuillez ne pas nous contacter à présent. Signé, Irma et Pollux Black.


« Ils ne peuvent pas nous traiter comme ça ! s'écria la mère d'Eileen.


— Ma chérie... soupira-t-il. Nous n'avons d'autre choix que de renier Eileen.


— Comment ! Mais c'est notre unique descendante ! Sans elle, nous sombrerons dans l'oubli...


— Préférez-vous sombrer dans la honte et l'humiliation ? répliqua-t-il durement. C'est notre seule option pour conserver notre honneur et notre réputation. »


La mère d'Eileen se tut et parut se résigner.


Elle n'aimait pas sa fille — ou du moins ne l'aimait-elle pas comme un mère se devait d'aimer son enfant : à savoir tendrement et inconditionnellement. Elle la considérait à peine plus estimable qu'un objet précieux dont elle pouvait se vanter auprès de ses amies. Si Eileen ne suivait plus ses ordres, elle perdait toute sa valeur aux yeux des autres et donc aux siens. Elle avait parfaitement conscience de cette absence d'amour et, aussi cruel ce comportement était, la mère d'Eileen n'en éprouvait pas le moindre remord.


Pourtant, la renier lui fit mal au cœur. Un sentiment d'inconfort l'envahît. Elle se rassura en se répétant que, même si Eileen avait entaché leur réputation, elle ne l'avait pas ruinée, et qu'il suffirait de quelques bals financés au cours desquels elle cracherait sur le dos des Moldus et de tout ce qui y avait attrait en général pour rétablir sa notoriété d'avant.


« Nous lui annoncerons ce soir, déclara son mari, inconscient du désagréable sentiment qui tourmentait sa femme, quand elle rentrera. »


La mère d'Eileen, même si elle ne l'aurait avoué pour rien au monde, aurait voulu que sa fille ne rentrât pas à la maison ce soir-là.

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