Lettockar, tome 3 : La folie des couvre-chefs

Chapitre 36 : La fin du mirage

7007 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 3 mois

36. La fin du mirage


Après sa retenue qui s’acheva sans incidents, Kelly, migraineuse, ne retourna que très lentement dans la salle commune, ne cessant de se ressasser ce qu’elle venait de voir.


L'Acromentule, le meurtre de la gamine, la folie de Kognak Komonenko… McGonnadie lui avait raconté l’entière vérité. Lui et ses amis avaient bien connu les heures les plus noires de Lettockar. Elle comprenait pourquoi Grog avait voulu ôter de sa tête le premier souvenir qu'elle avait vu. Car, à quelques minutes près, c'était lui qui aurait été dévoré par l'araignée à la place de Marina Seviethine… Kelly se souvint du procès de Pavel, quand Grog avait supplié Doubledose de ne pas agir comme une certaine personne dont il n'avait pas réussi à prononcer le nom. Maintenant, Kelly savait de qui il s'agissait. Car Komonenko, lui, n'aurait pas hésité à tuer Pavel…


- Pavel… murmura Kelly.


Après un bref passage à la salle commune, elle rejoignit Naomi et John dans la Cantina Grande. Le dîner du soir fut tout aussi morne que la veille. Kelly chassa son malaise en mettant cela sur le compte de la fatigue suite aux retenues de chacun…


Le lendemain matin, Doubledose les intercepta discrètement à la fin du petit déjeuner et leur fit remarquer qu'ils ne lui avaient toujours pas restitué les Reliques des Fondateurs. Ils avaient jusqu'à ce soir pour le faire. Kelly, John et Naomi décidèrent de prévenir leurs anciens compagnons de route : même s’ils avaient tous renoncé à aller chercher la dernière Relique, ils avaient quand même le droit de savoir. John alla prévenir Deborah, Oszike et Dominique, Naomi alla prévenir Mercedes et Tarung, et Kelly fut chargée de Kwaï, de Vladimir… et d'Astrid.


Elle la trouva après son cours d'histoire de la magie (portant sur les rumeurs de résurrection de Raptor Jesus en Utah), assise sur le banc près du Lac Caca d'Oie, l'endroit où elle allait tous les jours, seule, depuis la mort de Peter. Ses cheveux étaient toujours de la même couleur blafarde. Quand Kelly lui annonça qu'ils allaient rendre les Reliques à Doubledose, Astrid n'eut aucune réaction, aucun geste. Elle ne chercha n'y à s'opposer, ni à opiner. Les deux filles restèrent un instant à contempler le lac calme et scintillant. Alors que Kelly s'apprêtait à se lever et repartir, Astrid demanda :


- Kelly… qu'est-ce qui s'est passé, dans la Montagne Interdite ?


Kelly sentit une pointe d'irritation. Elle faillit rétorquer à Astrid qu'elle ne méritait pas de le savoir, elle qui leur avait menti, qui les avait dirigés avec tant de dureté et même de brutalité, et qui pour finir les avait laissé tomber. Mais après tout… à quoi bon ? Tous leurs différends, leurs querelles n'avaient plus aucun sens. Et puis, Astrid avait perdu Peter, son amour…


Alors, sans détourner son regard du lac, Kelly lui raconta tout : l'escalade de la Montagne Interdite, le ghetto des loups-garous, leur torture, Raksha Roma… et le professeur Pourrave, alerté par McGonnadie changé en corbeau, qui les avait tirés de ses griffes. Quand Kelly eut achevé son récit, Astrid soupira et dit d'une voix éteinte :


- Je suis… désolée de vous avoir abandonnés.


Kelly releva la tête vers elle. Astrid baissa le visage, et Kelly y lut toute la tristesse du monde. Ses regrets étaient sincères, elle le savait. La dernière cheffe de l’OASIS inspira avec force par le nez, puis elle ajouta :


- En fait, je suis désolée pour tout.


Le soleil brilla un peu plus fort, éclairant davantage le visage d’Astrid. Kelly ignorait si c’était un effet du métamorphosisme, mais il avait l’air d’avoir vieilli de vingt ans, tant il était cireux et tant sa peau était parcheminée. Kelly sentit la lassitude affaisser lourdement ses propres épaules. Elle avait une immense envie de s’en aller, mais il y avait encore des choses à dire, cette conversation ne pouvait pas s’arrêter là…


- Tu peux, Astrid, affirma-t-elle. Mais t’es pas la seule à avoir commis des erreurs. Moi, j’ai eu la faiblesse d’accepter les tiennes. Peter s’est tué parce qu’il a refusé de s’arrêter, et Pavel… je l’aimais, je l’admirais même, mais je reconnais qu’il a voulu faire quelque chose de beaucoup trop horrible...


Elle se stoppa. Astrid s’était mise à pleurer en silence. Mortifiée, Kelly pinça les lèvres.


- Pardon, marmonna-t-elle d’une voix contrite, j’aurais pas dû parler de…


- Pavel n’était pour rien dans la tentative d’assassinat de Doubledose, coupa Astrid.


Kelly ferma brutalement la bouche et écarquilla les yeux. Elle crut que son imagination venait de lui jouer un tour. Hagarde, elle regarda brièvement à droite et à gauche, sans raison. Aucun son ne sortit de sa bouche, mais ses lèvres formèrent nettement un « Quoi ?? » estomaqué.


- Pour rien du tout, confirma Astrid. C’était Peter et moi qui avions décidé de ça. Depuis le jour où Pavel lui avait révélé l’existence de la potion Berserker, Peter a eu cette idée en tête. C’est devenu son grand projet secret, et j’y ai adhéré sans réserve. La mort du directeur, ça aurait été un coup porté à Lettockar plus fort que tout ce qu’on avait fait, ou qu’on pourrait faire.


Elle enfouit son visage dans ses mains, le souffle lourd et rauque. Kelly sentit une bouffée de chaleur sur ses joues et sa nuque, qui n’était aucunement causée par le soleil d’été. Elle n’avait pas de miroir pour vérifier, mais son visage devait certainement être devenu rouge brique. Astrid écarta lentement ses mains et reprit :


- Mais on savait que Pavel ne serait jamais d’accord. Ça faisait déjà un bout de temps que ça n’allait plus entre nous trois… les dissensions s’aggravaient, je pensais de plus en plus que Pavel était un chef trop mou. Son refus d’abattre le Demiguise de Martoni, ça a été la goutte d’eau. Dans ma tête, il est devenu sacrifiable. Car si la Kagoule échouait, il fallait que l’un de nous tombe pour étouffer l’affaire… et vu sa proximité avec Grog, c’était très facile de lui faire porter le chapeau.


Astrid prit une pause pour se tamponner les yeux avec un mouchoir en tissu. Kelly éprouvait la même sensation que lorsqu’elle avait appris la mort du professeur Dumbledore. Tout avait disparu autour d’elle. Elle était incapable de parler. Mais Astrid semblait deviner et les questions qu’elle ne parvenait guère à poser, puisqu’elle continua :


- Après que Doubledose ait vaincu la Kagoule, j’ai été planquer la fiole dans le dortoir des Becdeperroquet et Peter a été modifier la mémoire de Pavel juste avant que les profs fouillent le château. C’est pour ça qu’il était lui-même persuadé qu’il était coupable. Voilà, on a fait ça à notre meilleur ami. Peter s’en est voulu tout… tout le reste de sa vie pour ça. Quant à moi, je… je crois que j’étais déjà sous l’influence de la Cuillère.


Sa voix avait changé. Du chagrin et du regret, elle était passée à l’amertume, à la colère contre elle-même. Deux ultimes larmes coulèrent le long de ses yeux. Étaient-ce des larmes de tristesse ou de rage ? Kelly était surprise qu’Astrid mette ainsi en cause la Cuillère de Lalaoud, et même rien qu’elle ait eu conscience de ses pouvoirs maléfiques. Alors, elle réussit enfin à parler :


- Alors c’était bien vrai.


- Bien sûr. Le pire, c’est que j’en avais conscience bien avant de l’avoir jetée dans la Cour des Mirages. Mais malgré ça, j’ai continué. Avec la Cuillère, j’étais persuadée que tout ce que je faisais était bien, et que tout ce qui n’allait pas dans mon sens était faux, malfaisant, dangereux… c’était tellement plus simple. Et ça, je l’ai payé avec tout ce que j’avais. J’ai coulé l’OASIS, je ne reverrai plus jamais Pavel, et si Peter est mort, c’est aussi à cause de moi.


Kelly dévisagea intensément Astrid. Tout était réuni pour qu’elle se jette sur elle, qu’elle la roue de coups, qu’elle déverse toute sa rage sur elle. Mais elle était fatiguée. Fatiguée d’être en colère contre elle, fatiguée de la haïr. Et à quoi bon se battre à présent, surtout contre cette fille brisée… elle se contenta de soupirer et croiser les bras. Pendant un long moment, les deux filles ne firent rien d’autre que regarder ensemble le lac…


- J’espère que tu feras mieux que moi, Kelly, déclara soudainement Astrid.


Kelly entrouvrit la bouche, encore plus désarçonnée. Quelque chose sembla alors mourir dans les yeux d'Astrid. Puis, elle se leva. Le regard perdu vers l'horizon, elle serra faiblement l'épaule de Kelly, et s'en alla, les cheveux plus incolores que jamais, repartant d'une démarche spectrale vers le château, comme une âme venant de quitter son corps sans vie pour se rendre dans l'au-delà. Sans qu'elle puisse expliquer comment, Kelly sut qu'elle venait d'avoir sa dernière conversation avec Astrid Lisberg.


Il était l'heure du déjeuner… qui, à la consternation de Kelly, se déroula encore une fois dans une ambiance plate et fantomatique. Naomi était toujours aussi déprimée, et le peu de paroles que Kelly échangeait avec John étaient d'une banalité affligeante. Aucun sujet un tant soit peu intéressant. Mais il était vrai que leur situation n'était pas propice à la conversation... L'amour que John lui portait, et qu'elle ne lui rendait pas, planait au-dessus d'eux comme un nuage toxique. Et bien que cela la peinait d'en être à ce point-là, Kelly se méfiait à présent de chacun de ses regards. Plusieurs fois, elle les avait même esquivés… et avait senti l'énervement de John. Elle était restée impassible, mais avait ressenti de l'agacement à son égard ; il pouvait quand même comprendre qu'il avait mis Kelly dans l'embarras ?


L'après-midi, en Gestion de Bestioles, ils s'en tinrent toujours au strict minimum, alors que ce cours était d'ordinaire l'occasion de discuter à voix haute et de rigoler un bon coup quand Viagrid n'était pas occupé à les rabrouer et les insulter. Kelly avait un gigantesque besoin de réconfort. En allant prévenir Vladimir en dernier en fin d’après-midi, elle espéra croiser Angelica, mais cette dernière n’était pas avec lui. Et puis… maintenant que Kelly y pensait, il n’était pas certain qu’elles se seraient parlé…


Après cela, Kelly, Naomi et John se retrouvèrent dans la Cour des Mirages. Tout le monde avait été averti. Chacun s'empara d'une Relique ; Kelly prit la Perruque de Scravoiseux, pour mettre John à l'abri de la tentation. Ils tâchèrent de ne pas être vus en montant dans le bureau de Doubledose. Le directeur les attendait, assis sur son large fauteuil. Il observa brièvement les trois élèves, et désigna son bureau d'un signe de tête. Kelly y déposa la Perruque sur le bureau avec une curieuse lenteur. En dépit de toute la malfaisance qui entourait ces objets, s'en séparer lui causait un certain sentiment de malaise. C'était tourner la page de deux longues années d'efforts et d'épreuves. Quand Naomi eut remis la Boule de Curcumo et John la Cuillère de Lalaoud, Doubledose examina les artefacts d'un air songeur, et dit à mi-voix :


- Alors, voilà les fameuses Reliques des Fondateurs de Lettockar… intéressant. La Boule de Curcumo est plutôt jolie, je dois dire.


Doubledose attrapa la sphère brillante et la fit tourner entre ses doigts, les yeux pétillants. John eut un regard dubitatif.


- Évitez de trop faire le con avec les Reliques, monsieur, avertit-il. Je sais très bien à quel point elles peuvent être tentantes, mais…


- Boarf, coupa Doubledose en haussant les épaules. Je saurai jamais quoi en foutre…


- Comment ? Avec la puissance qu’elles renferment ? s’étonna Naomi.


Le directeur eut un rictus de mépris amusé.


- Je pensais que tu aurais compris la leçon, petite, répliqua-t-il. Elles sont bien trop dangereuses. Et quand bien même elles ne le seraient pas, de laquelle Niger Doubledose aurait-il besoin ? La Perruque de Scravoiseux ? Je suis déjà surpuissant. La Boule de Curcumo ? Poséidon observe déjà le monde pour moi. La Cuillère de Lalaoud ? Je suis déjà un legilimens. Et le Bonnet de Gilluc, je me déplace déjà à ma guise dans Lettockar...


Il leur lança un sourire carnassier, très fier de lui. Naomi rosit et détourna les yeux. Kelly, elle, se demandait si Doubledose disait cela pour se vanter ou pour les enfoncer davantage en démontrant leur surestime des Reliques...


- Vu comme ça… commenta John.


Doubledose s’apprêtait à les congédier, quand Kelly prit la parole d’une voix fébrile :


- Professeur, il y a autre chose dont je voudrais vous parler.


- Oui ?


- C'est par rapport à l'agression de la Kagoule, l'an dernier, quand elle a essayé de vous tuer… En fait, Pavel Ossatrüvay n'y était pour rien. C'est Peter qui a tout manigancé.


Naomi et John se tournèrent vers elle, ahuris. Doubledose se figea, plissa ses yeux noirs, et resta coi pendant dix secondes.


- Quoi ?? éructa-t-il alors d'une voix forte.


Naomi et John continuaient de fixer Kelly, estomaqués par la nouvelle. Dans le même temps, ils devaient sans doute trouver inconvenant qu'elle balance leur ancien chef. Mais d’un simple regard, Kelly leur fit comprendre qu’elle ne garderait pas le silence. Elle n'avait plus rien à y perdre désormais. Elle raconta tout à Doubledose : que Pavel était le chef originel de l’OASIS, mais qu’il avait eu de nombreux désaccords avec Peter qui avaient amené ce dernier à le destituer ; que Peter avait fait boire la potion Berserker à la Kagoule, et l’avait planquée dans les affaires de Pavel pour lui faire porter le chapeau. Et qu’ensuite, il lui avait modifié la mémoire pour lui faire croire que c'était lui qui l'avait fait… il n’avait pas hésité à faire renvoyer son ami à sa place, au nom de leur cause.


Doubledose se gratta pensivement la nuque, médusé.


- Ah ouais, quand même… il a vraiment pété un plomb, le Shengen, fit-il.


- J’ai hésité à vous le dire, par amitié… mais maintenant, ça n'a plus aucune importance, expliqua Kelly avec amertume.


- En effet, marmonna Doubledose d'une voix lugubre.


- Alors du coup, monsieur le directeur… dit prudemment Kelly, même si Pavel a participé à la Quête des Reliques, il est innocent quant à cet attentat contre vous. Donc je me disais qu'il… qu'il y avait peut-être moyen de le réintégrer dans l'école ? Après tout, il a été renvoyé pour un crime qu'il n'a pas commis. S'il revient, il n'aura perdu qu'une seule année, c'est… c’est rattrapable, quoi !


Elle avait un peu de mal à trouver ses mots. Elle guetta la réaction de Doubledose, espérant l'avoir convaincu ; celui-ci n'avait pas pour habitude de remettre en cause ses décisions, mêmes erronées. Et à en juger par la moue maussade et sceptique qu'il faisait, il n'avait pas l'air particulièrement disposé à faire une entorse. Il tapota distraitement son bureau de l'index, et après un soupir las, déclara d'une voix expéditive :


- Je vais voir ce que je peux faire. Allez, dehors.


Il ouvrit alors un tiroir de son bureau et en sortit un manga qu'il commença aussitôt à lire, n'accordant plus davantage d'attention à ses élèves. Mais alors que Kelly, Naomi et John allaient partir, Doubledose se rappela de quelque chose.


- Ah, au fait, Powder… dit-il en levant légèrement les yeux de son manga. Concernant la… partie de ta retenue qui se fera avec moi, rendez-vous samedi dans mon bureau à 8 heures 30.


Naomi et John parurent un peu étonnés, mais ils ne posèrent pas de questions. Kelly sentit sa gorge se nouer, et elle ne parvint pas à hocher la tête ou à faire un quelconque signe d'acquiescement à Doubledose. Elle sortit donc sans dire un mot.


Le jour des funérailles du professeur Dumbledore vint. Kelly, qui se trouvait alors dans sa salle commune, déglutit. Tout au long de la semaine, elle avait à la fois attendu ce moment avec impatience, désireuse de rendre hommage au directeur de Poudlard, et l’avait en même temps profondément craint. Et maintenant qu’il était temps, elle eut l’impression... qu’il était arrivé un peu trop tôt. C’est donc d’un pas lent et lourd qu’elle monta vers le bureau du professeur Doubledose, après avoir dit à John et Naomi, toujours mornes et mutiques, qu’elle était convoquée pour aider le directeur dans des tâches administratives, en guise de punition. Devant la porte en bois, Kelly expira avec force pour s’armer de courage, et toqua.


- Entrez, dit la voix rocailleuse de Doubledose.


Kelly pénétra dans le repaire du directeur. Avec lui se trouvait le professeur Grog. Pour l’occasion, Doubledose avait renoncé à l’un de ses sempiternels sweat-shirts pour enfiler un costume noir par-dessus une chemise blanche, ainsi qu’une cravate sombre. Ensemble dans lequel il n’avait pas l’air spécialement à l’aise. En voyant Kelly, il dit laconiquement :


- Ah, te voilà. Parfait.


Grog accueillit Kelly par un signe de tête. Elle aurait bien aimé dire « bonjour », mais il lui était tout simplement impossible de suggérer que cela puisse être une bonne journée au vu de ce qui les attendait. Elle se contenta donc de l’imiter en guise de salut.


- O.K, donc comme convenu, on va modifier nos apparences grâce à du Polynectar, annonça Doubledose. On a piqué des tifs à des Moldus qui habitent dans le village à quelques kilomètres d’ici. Je m’appelle Douglas Bullit, un vieil ami américain d’Albus. Toi, tu es Connora McLeod, ma petite-fille d’Écosse – il vaut mieux coller avec ton accent.


- Vous avez pas plus cliché, comme nom écossais ? ironisa Kelly avec un petit rire.


- C’est bon, c’est un délire personnel, tu peux pas comprendre… bougonna le directeur.


- Je vous remercie, moi aussi je l’ai vu, Highlander, répliqua son élève.


Doubledose, interloqué, échangea un sourire amusé avec Grog. Le maître des lieux reprit :


- Bref. Il vaut mieux prétendre que tu es une Cracmolle, ça explique pourquoi tu n’as jamais été vue à Poudlard. Enfin, jamais… façon de parler, hein, ajouta-t-il d’un ton légèrement aigre.


- Du coup, laisse ta baguette ici, dit Grog.


Kelly fronça imperceptiblement les sourcils. Qu’une Cracmolle ne soit pas censée avoir de baguette magique sur elle était logique, mais elle soupçonnait les professeurs de la désarmer sciemment pour l’empêcher de tenter quelque chose quand Doubledose et elle seraient à Poudlard. Toutefois, elle ne protesta pas : elle sortit sa baguette de la poche de son uniforme et la posa délicatement sur le bureau, se sentant aussitôt un peu nue. Puis, Grog sortit deux gros flacons des poches de son cache-poussière, le premier contenant une potion rouge sombre, et le deuxième une autre d’un brun clair.


- Si on te demande, dit Doubledose, affirme que tu avais de l’affection pour Dumbledore, qui, les quelques fois où tu l’as rencontré, a manifesté beaucoup de sympathie pour ta condition de sans-magie. Tu me suis ?


- Oui.


- Allez hop, bois ça, ordonna Grog en lui tendant la potion brune.


Kelly s’empara du flacon, la main légèrement tremblante. Simultanément, Doubledose et elle avalèrent d’un trait leur potion respective. Celle de Kelly avait un fort goût de vinaigre.


Elle tituba sous l’effet de la métamorphose, manquant de tomber à terre. La sensation était atroce. C’était comme si toutes les cellules de son corps faisaient une crise d’épilepsie. Tout son intérieur la brûlait, elle sentait sa peau bouillonner et ses entrailles gigoter dans tous les sens. Son cuir chevelu se mit à la démanger affreusement. Kelly ne put s’empêcher de lâcher quelques gémissements. Par-delà ses nausées, elle entendait Doubledose grogner lui-même sous l’effet de sa propre transformation.


Puis la sensation s’arrêta d’un seul coup. Reprenant ses esprits, Kelly se redressa, et Grog lui tendit un miroir pour qu’elle puisse voir sa nouvelle tête. Elle était à présent blonde, avait un nez rond, des yeux verts, un menton plus prononcé et des pommettes hautes. Elle était un peu plus petite, mais avait à peu près la même corpulence que d’ordinaire. Kelly leva les yeux vers son directeur. Il avait à présent l’apparence d’un homme presque entièrement chauve, pourvu seulement d’une couronne de cheveux à l’arrière du crâne, et d’une barbe mêlant le gris foncé et le blanc neige. Il chaussa une paire de lunettes carrées devant ses yeux désormais bleus.


Doubledose et Grog sortirent ensuite quelques instants pour laisser Kelly se changer et enfiler les vêtements qu’ils lui avaient préparé : une jupe, un blaser et une chemise noire. Très sobres, convenant tout à fait pour l’événement. Quelques minutes plus tard, Kelly était en tenue de deuil et rappela ses professeurs. Doubledose se dirigea alors vers son bureau, ouvrit un tiroir et en sortit un vieux réveil, dont Kelly comprit qu’il s’agissait d’un Portoloin, ces objets en apparence ordinaires qui avaient le pouvoir de téléporter leurs utilisateurs sur de très longues distances. C’était lui qui allait les amener à Poudlard. Doubledose examina les aiguilles de ce même réveil.


- Une minute. Au fait, lança-t-il à Grog, j’ai prévenu Scrimgeour que je serais là.


- Scrimgeour… le ministre de la magie anglais ? demanda Kelly à Doubledose qui confirma d’un signe de tête.


- Y’aura d’autres directeurs, à ton avis ? marmonna Grog. On a reçu aucune nouvelle.


- Sais pas. On verra bien.


Sur ce, il posa un doigt sur le réveil, et fit signe à Kelly de faire de même. Quelques instants plus tard, le Portoloin fut entouré par un halo de lumière bleue, et Kelly eut l’impression d’être arrachée du sol à l’aide d’un grappin qui l’attrapait par le nombril. Tout autour d’elle, le décor avait disparu pour laisser place à un tourbillon de couleur, et de grosses rafales sifflaient à ses oreilles. Doubledose et elle étaient projetés à toute vitesse, les mains collées sur le réveil comme s’ils y avaient appliqué un maléfice de Glu Perpétuelle.


Ce désagréable voyage ne dura que quelques secondes. Le tourbillon autour d’eux cessa d’un seul coup, et Kelly tomba brutalement à quatre pattes sur un sol herbeux, le réveil chutant lourdement devant sa tête. Doubledose, qui avait parfaitement atterri sur ses deux pieds, attrapa Kelly par le bras et l’aida à se relever.


- Ça va ? demanda-t-il.


- O… oui.


- C’est comme pour le transplanage, il faut un temps pour s’habituer à la sensation.


Kelly observa les alentours. Elle reconnaissait le parc verdoyant de Poudlard. Ils se trouvaient près du bord d’un immense lac, et juste à côté d’eux se trouvait un petit monticule d’objets délabrés qui avaient vraisemblablement servi de Portoloins pour d’autre personnes – des pots de fleurs, des chaussures, des ustensiles de cuisines, des petits outils –, devant lequel se tenait un petit sorcier aux cheveux gris foncé en costume, qui tenait une plume et un registre entre ses mains, l’air affairé. Apercevant Kelly et Doubledose, il les apostropha :


- Vous êtes ?


- Douglas Bullit, et voici ma petite-fille, Connora McLeod, répondit Doubledose.


- Bullit… marmonna le sorcier en consultant sa liste. Oui, très bien. Votre Portoloin, je vous prie.


Doubledose lui tendit le réveil. Le fonctionnaire donna un petit coup de baguette magique, et une étiquette sur laquelle Kelly lut de travers « Douglas Bullit – Connora McLeod » fut fixée sur le Portoloin. Puis il le posa négligemment sur le tas de camelote derrière lui.


- Vous pourrez le récupérer pour repartir après la cérémonie. Je vous en prie monsieur, allez-y, dit-il en leur désignant de la main un attroupement à quelques centaines de mètres que Kelly n’avait pas remarqué.


L’enterrement avait lieu à un emplacement à la fois proche de la rive du lac et de la forêt voisine. Au fur et à mesure que Kelly et Doubledose s’approchaient de l’endroit, ils entendaient de plus en plus distinctement une étrange mélopée, belle et triste, qui semblait provenir du lac lui-même.


- Le chant des êtres de l’eau, dit Doubledose à Kelly qui regardait le bassin d’un air incrédule. Des créatures qui vivent dans le lac de Poudlard. Tu vas les étudier en cours de gestion de bestioles, en sixième année, je crois...


Ainsi, toutes les créatures vivantes du domaine de Poudlard étaient venues rendre hommage à Albus Dumbledore… Bien qu’elle ne connaissait pas ces êtres de l’eau, Kelly fut prise d’un sentiment de gratitude, paradoxalement douloureux, à leur égard.


Des rangées d’innombrables chaises noires avaient été disposées devant une table en marbre, qui accueillerait d’ici peu le corps du professeur Dumbledore. Les trois quarts des rangs étaient déjà remplis. Il y avait ce que Kelly identifia comme les élèves de Poudlard, puisqu’ils portaient tous le même habit de cérémonie, comme des uniformes. Les personnes au premier rang avaient l’air d’être des dignitaires et de hauts fonctionnaires britanniques, à en juger par leur air solennel et formel. Quant au reste, l’incommensurable foule venue assister aux funérailles était incroyablement hétéroclite : britanniques et étrangers, jeunes et vieux, riches aristocrates dans leurs plus belles robes et gens modestes dans de tristes costumes gris et noirs… Kelly n’avait pas sous-estimé l’aura et la popularité du professeur Dumbledore, et le professeur McGonnadie n’avait pas menti quand il lui avait dit que « la moitié du monde magique serait présent ».


Kelly et Doubledose s’assirent au plus près qu’ils le purent. Après avoir scruté la foule endeuillée, le directeur donna soudain un petit coup de coude à Kelly, et lui montra du menton une femme titanesque d’une grande beauté, au teint légèrement hâlé, superbement maquillée, haute de facilement quatre mètres, vêtue d’une somptueuse robe noire de jais en satin, qui fixait la table de marbre avec des yeux rougis.


- Tu vois la demi-géante, là-bas ? murmura Doubledose. C’est Olympe Maxime, la directrice de l’école de Beauxbâtons.


- C’est vraiment une demi-géante ? questionna Kelly à voix basse.


- Ouais, mais elle veut pas l’admettre, répondit-il avec un sourire goguenard.


- Vous irez peut-être lui parler, après la cérémonie ? suggéra la fausse jeune blonde.


- Je sais pas si c’est une bonne idée, elle peut pas me blairer.


Kelly esquissa un sourire. Elle n’imaginait que trop bien les raisons qui poussaient une femme visiblement aussi distinguée à déprécier Niger Doubledose. Ce dernier désigna ensuite du doigt un personnage au premier rang.


- Tiens, le mec avec les longs cheveux gris et des lunettes, c’est Rufus Scrimgeour, le ministre…


- Il va vous reconnaître ?


- Non, tu fais bien de m’y faire penser...


Doubledose fouilla dans sa poche, et en sortit un petit papier blanc. Il souffla dessus, et le message s’envola de lui-même, passant discrètement sous les chaises des convives, pour se glisser dans la poche du costume de Scrimgeour. Celui-ci l’avait senti, puisqu’à peine quelques secondes plus tard, il sortit le papier de sa poche, le lut discrètement et regarda derrière lui. Le directeur de Lettockar déguisé et le Ministre de la Magie s’échangèrent un indiscernable signe de tête, et un bref instant plus tard, les êtres de l’eau se turent, et la cérémonie commença.


Un homme immense avec de longs cheveux et une énorme barbe noire en broussaille, tout aussi anormalement grand que Viagrid, portait dans ses bras une masse enveloppée dans un linceul, qui contenait, cela ne faisait aucun doute, le corps du professeur Dumbledore. Le géant pleurait abondamment, de grosses larmes venant tremper l’étoffe qu’il transportait. À son passage, certaines personnes – surtout les élèves et les professeurs de Poudlard – levèrent leurs baguettes vers le ciel, dont les extrémités s’allumèrent d’un point de lumière blanche. Un geste d’adieu. Doubledose eut un petit ricanement dédaigneux, marmonnant :


- Ridicule… si je meurs, surtout, personne ne lève sa baguette comme ça.


Kelly ne put s’empêcher de sourire, puis suivit la progression de la dépouille des yeux. Le géant la posa délicatement sur la table de marbre et, sanglotant toujours, alla s’asseoir à côté d’une autre créature encore plus énorme qui, de toute évidence, était lui un véritable géant. Un homme de petite taille, avec des cheveux en épis, se détacha de la foule, et commença une oraison funèbre en hommage à Dumbledore. D’une voix monotone, il vantait les innombrables mérites du disparu… sa « noblesse d’esprit », sa « contribution intellectuelle », sa « grandeur d’âme » ...


Kelly ne l’écoutait pas. Elle n’avait pas besoin de ce pompeux discours formaté pour se remémorer le grand homme qu’elle avait rencontré. Elle l’honorait d’elle-même, par ses pensées, par ce profond sentiment d’affection et d’admiration qu’elle aurait presque voulu hurler. Elle observa toute l’assistance autour d’elle. Si beaucoup de personnes – sans doute étrangères à Poudlard – restaient graves et solennelles, les élèves et les collègues du professeur Dumbledore étaient particulièrement émus. Mais aucun ne manifestait son malheur avec autant de force que le géant qui avait transporté le corps du vieil homme. Ses lamentations déchirantes étaient comme des coups de sabre enfoncés dans l’âme de Kelly, qui menait un combat acharné contre elle-même pour se retenir. Car depuis toujours, elle détestait qu’on la voie pleurer. Elle avait beau savoir que c’était un signe d’humanité, de sensibilité, elle se sentait indigne, ridicule, à chaque fois qu’elle versait des larmes. Elle ne supportait pas qu’on la surprenne en situation de faiblesse. Mais en cet instant, allait-elle pouvoir y échapper ? Ne pouvait-elle pas se laisser aller, pour cette fois ? Non, il fallait qu’elle lutte… elle devait absolument rester digne...


Quand l’éloge funèbre fut achevé, le petit sorcier retourna s’asseoir. Pendant un instant, il ne se passa rien. Puis, de grandes flammes blanches jaillirent sans crier gare tout autour de la dépouille de Dumbledore. Kelly sursauta de frayeur, et plusieurs personnes poussèrent un cri dans l’assistance. Les flammes grandirent, s’élevant vers les cieux, au point qu’on ne voyait plus le défunt. Puis, une épaisse fumée immaculée apparut et tournoya tout autour de la table de marbre. La respiration de Kelly s’accéléra. Comme pour échapper au spectacle et trouver du réconfort ailleurs, elle détourna les yeux pour regarder le ciel. Elle vit alors, pendant quelques secondes, la silhouette d’un grand oiseau planer dans l’azur, avant de disparaître. C’était Fumseck, venu voler un court instant au-dessus de la dernière demeure de son maître.


Alors Kelly craqua et éclata en sanglots, enfouissant son visage dans ses mains. Voir ce phénix qu’elle avait pris en affection lors de sa dernière conversation avec le professeur Dumbledore l’avait vaincue. C’était comme si celui-ci venait de mourir une deuxième fois : elle devait aussi dire adieu à son alter ego. Car Fumseck n’avait plus de raison de rester parmi les hommes : son ami, le plus illustre d’entre eux, les avait quittés. Son départ symbolisait tout ce que Kelly ne vivrait plus, ce qu’elle n’espérerait plus. Tout comme la sagesse et la bonté de Dumbledore, le chant du phénix ne viendrait plus réchauffer son cœur. Alors quel espoir lui restait-il ?


Kelly sentit soudainement une main rugueuse passer derrière son dos et se poser avec douceur sur son épaule. Elle sursauta légèrement. C’était Doubledose. Le visage inondé de larmes, elle leva brusquement la tête vers lui, mais il ne baissa pas les yeux sur elle et continua de contempler la cérémonie, impassible. Kelly, elle, n’en revenait pas. Jamais elle ne se serait attendu à ce geste de pitié de sa part. Quand bien même Doubledose avait fait preuve de gentillesse en l’invitant à venir avec lui à cet enterrement, elle n’aurait jamais imaginé qu’il serait en cet instant aussi compatissant, envers une simple élève… surtout Kelly, qui n’était guère sa plus fidèle. Extrêmement touchée, elle effleura maladroitement de ses doigts fins ceux de son directeur. Le contact de cette main, la chaleur qu’elle lui procurait parvenait à soulager un peu sa peine. Elle parvint tant bien que mal à recentrer son attention sur la cérémonie. Les flammes et le brouillard avaient disparu pour laisser place à une tombe de marbre blanc, enveloppant le corps du professeur Dumbledore. Kelly observa longuement ce sépulcre, simple et majestueux. Quand elle fut enfin calmée, Doubledose sortit sa baguette magique, et fit apparaître un mouchoir en soie que Kelly attrapa alors qu’il choyait lentement sur ses genoux.


- Merci, mons… euh… merci, grand-père, bafouilla-t-elle, le nez plein, en se tamponnant le visage.


Une fois les hommages officiels rendus, les personnes présentes étaient invitées, si elles le désiraient, à se recueillir une à une devant le tombeau de Dumbledore. Kelly se tourna vers Doubledose, l’implorant du regard de la laisser y aller. Maussade, il l’y autorisa d’un hochement de tête. Elle rejoignit donc les nombreux sorciers et sorcières qui se rassemblaient à la queue-leu-leu devant la tombe.


Chacun restait un bref instant, posant une main sur le marbre, le temps de prononcer quelques mots, ou de méditer en fermant les yeux. Kelly sentait le battement de son cœur s’accélérer au fur et à mesure que la file devant elle rétrécissait. Une fois son tour venu, elle posa, comme tous ses prédécesseurs, une main sur la tombe blanche. Sa tête tomba lourdement, ses cheveux blonds masquant son visage, et de nouvelles larmes brûlantes coulèrent le long de ses joues.


- Vous m’aviez promis, professeur… sanglota-t-elle dans un murmure qu’elle seule pouvait entendre. Vous aviez promis que vous reviendriez me voir…


Mais Albus Dumbledore ne sortirait plus jamais du collège Poudlard. Il resterait pour toujours enfermé dans cet amas de marbre, dont la beauté jurait presque avec la tristesse du moment. Sans doute était-ce ce qu’il aurait voulu… veiller à jamais sur son école…


Quand Kelly retourna, abattue, vers Doubledose, celui-ci observait discrètement Olympe Maxime, la directrice de Beauxbâtons, qui demeurait seule, fermée, le regard perdu dans le vide. Doubledose caressa son crâne chauve, l’air mal à l’aise, puis chuchota à Kelly :


- Bon, finalement tu as raison, je vais aller causer avec Maxime. Ne t’éloigne pas trop, et ne parle aux gens que s’ils t’adressent la parole, c’est compris ?


Kelly renifla en guise d’acquiescement. Doubledose partit alors à la rencontre de l’immense directrice. En voyant cet étrange individu s’avancer d’un pas décidé vers elle, Madame Maxime eut une expression poliment intriguée, qui se mua en stupéfaction glacée quand elle le vit sortir et allumer un cigare cubain. Après s’être dévisagés un court instant, les deux directeurs se plongèrent dans une grande conversation, abordant sans doute des sujets dont l’importance dépassait Kelly.


Elle se mit à marcher lentement, contournant les personnes rassemblées en petits groupes, eux-mêmes en pleine discussion. Elle contempla le paysage. La seule fois où elle était venue à Poudlard, il faisait nuit noire, et elle n’avait pas eu l’occasion de voir ce grand lac sombre, et cette vaste forêt qui s’étendait à perte de vue… Tandis qu’elle déambulait, sans but précis, le temps s’écoula sans qu’elle s’en rende compte. Aussi captivants qu’étaient les environs, elle finit par braquer son regard au loin, vers le château lui-même.


Il était plus que probable qu’en cette journée de deuil, personne n’irait contrôler les allées et venues dans les bâtiments, que chacun était libre d’y faire un arrêt, et que, quand bien même on l’interpellait, personne ne chasserait une Cracmolle qui viendrait admirer l’école légendaire que sa nature ingrate lui avait refusé… Tout comme elle il y a deux ans, qui avait voulu voir l’endroit où elle aurait pu être scolarisée...


Kelly se figea. Elle pouvait y aller. Après tout, Doubledose regardait ailleurs, absorbé par sa discussion avec son homologue. Elle avait la possibilité de s’éclipser et de faire ce dont, autrefois, elle aurait tout donné pour en avoir l’occasion : entrer dans le château de Poudlard une nouvelle fois, en parcourir le hall et les couloirs, s’imprégner de cette école où elle aurait aimé atterrir, et espérer y être finalement intégrée.


Mais elle ne le fit pas. Car les obsèques avaient collé devant les yeux de Kelly une réalité qu’elle ne pouvait plus fuir, désormais. Cela n’avait plus de sens de chercher à habiter dans ce château. C’était impossible. Elle n’appartenait pas à ce monde. Elle avait accepté, à présent, qu’elle n’était pas une élève par correspondance d’Albus Dumbledore. Elle n’était pas une élève de Poudlard retenue prisonnière ailleurs. Elle était une élève de Lettockar. C’était là-bas qu’elle deviendrait une sorcière, pas ici.


- Il est temps d’y aller, Kelly, dit avec douceur une voix derrière elle.


Elle se retourna. Doubledose avait pris congé de Madame Maxime et l’avait retrouvée. Kelly le regarda droit dans les yeux, désarçonnée. C’était la première fois que le directeur l’appelait par son seul prénom. Une nouvelle fois, Kelly fut plongée en plein trouble. Elle se contenta de lui adresser un sourire faible mais reconnaissant, et elle aurait juré qu’il avait également souri avant de se retourner.


Kelly et Doubledose repartirent vers l’endroit où ils étaient arrivés via le Portoloin. Sur le chemin, ils ne croisèrent pratiquement personne. En les voyant arriver, le sorcier chargé des Portoloins leur fit un signe de tête, puis se retourna pour fouiller dans le tas d’objets et en extraire celui qui comportait leur référence. Doubledose regarda tout autour de lui à toute vitesse, comme pour vérifier qu’il n’y avait personne dans les environs. Soudain, il tira sa baguette magique d’un geste fulgurant, visa la tête du fonctionnaire et chuchota :


- Confundo.


Un petit sifflement retentit dans l’air, et le sorcier sursauta. Il fut saisi d’un hoquet, puis se retourna vers eux pour leur tendre le réveil-Portoloin. Kelly fut frappée par l’expression profondément ahurie de son visage.


- Sortilège de Confusion, expliqua Doubledose d’un ton abrupt en voyant la mine stupéfaite de son élève. Je ne veux pas qu’il se rende compte que je modifie la destination de notre Portoloin. Il est censé nous amener à New York, alors...


Il était en effet en train de faire des moulinets au-dessus du Portoloin avec sa baguette magique, dont l’extrémité scintillait. Le réveil fut tout à coup à nouveau entouré d’une gerbe lumineuse bleue. Connaissant à présent le mécanisme, Kelly toucha faiblement l’objet, la cérémonie et toutes les émotions qu’elle avait pu ressentir l’ayant vidée de ses forces.


Ils furent à nouveau cernés par le tourbillon de couleurs et l’insoutenable bruit venteux, et aussitôt propulsés en avant, tirés par le nombril. Ils furent tout aussi secoués qu’à l’allée durant leur bref voyage, mais cette fois, Kelly atterrit sur ses deux pieds quand ils retrouvèrent le silence du bureau directorial de Lettockar.

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