Lettockar, tome 3 : La folie des couvre-chefs
34. Vieilles histoires
Kelly n'alla pas déjeuner à midi. Son estomac était comme obstrué ; elle n'avait ni appétit, ni la force de manger. Elle resta dans le dortoir, étendue sur son lit, à attendre sans le moindre intérêt le cours de sortilèges. Quand ce fut le moment, elle s'y rendit d'un pas tellement mou et lent qu'elle y arriva avec cinq minutes de retard.
Quand elle entra, elle sentit tous les regards dirigés vers elle, non pas parce qu'elle était en retard, mais parce que la rumeur comme quoi ils s'étaient rendus à la Montagne Interdite cette nuit et en étaient revenus blessés, ramenés par le professeur Pourrave, avait fait le tour de l'école. Mais Kelly n'y prêtait aucune attention. Elle se laissa tomber sur une chaise d'une table libre de la première colonne, tout au fond de la classe – alors que d'ordinaire elle s'asseyait au deuxième rang à côté de John, qui n'était pas venu. Elle s'attendit à ce que Fistwick lui adresse une réprimande et lui enlève des points, mais il n'en fit rien. Vaguement intriguée, Kelly leva ses yeux vairons vers lui : il avait la même expression absente et préoccupée que Grog ce matin. Elle comprit alors ce qui se passait : les professeurs étaient tous estomaqués par la nouvelle de la mort d'Albus Dumbledore. Tout au long du cours, Fistwick parla d'une voix monotone, et observa les travaux pratiques de ses élèves d'un regard vide. Il n'envoya même pas de commentaires désobligeants à Kelly, malgré ses performances particulièrement lamentables – elle n'avait ni la force ni la concentration pour lancer un sort digne de ce nom.
Vint ensuite le cours d'histoire de la magie, où quelque chose de bien plus surprenant que la mine affligée de Fistwick se produisit. A l'inverse totale de ses collègues, le professeur Jar Jar Binns était parfaitement serein. Il était même détendu. Il récitait son cours sur l'influence des illuminati post-Révolution de 1848 sur le ministère de la Magie français avec une voix parfaitement normale, les bras croisés. Son visage ne trahissait nul désarroi, ce qui surprit ses élèves : pourquoi cet enseignant-là n'affichait pas le même visage désorienté que tous les autres, comme le leur avaient rapporté leurs camarades sur le temps de midi ?
Le cours d'histoire prit fin à 17 heures. Au moment où Kelly, qui l'avait à nouveau passé toute seule – puisque Naomi, sa voisine habituelle, était absente - se levait, Jar Jar Binns lui fit un signe.
- Powder, reste ici, commanda-t-il.
Il attendit que tous les autres élèves soient sortis de la salle, puis continua :
- Ta punition va commencer avec moi ; autant commencer les heures de retenue le plus tôt possible, ça t'en débarrassera plus vite. Je voudrais que tu nettoies toutes les collections de ma salle de classe ; sans magie, cela va sans dire. Et que ça brille !
Il fit apparaître de sa baguette magique un chiffon humide, imbibé de produit dépoussiérant, sur un pupitre, puis quitta à son tour la pièce en saluant Kelly d'un hochement de tête ironique.
Soupirant, Kelly s'attela à sa tâche sans y accorder la moindre concentration. Jar Jar Binns entreposait dans sa classe toutes sortes de breloques et de bibelots, plus ou moins magiques, de toutes les époques. Naturellement, ils ne se laissèrent pas épousseter dans le plus grand calme : un boulier chinois bombarda Kelly de ses boules au moment où elle voulut le nettoyer, et elle manqua de se faire manger la main par un masque de Oni japonais, une créature rouge et noire avec des cornes sur le front. Au fur et à mesure qu'elle dépoussiérait, elle craignait de manquer de produit, mais le chiffon ne s'asséchait jamais : sans doute était-il enchanté pour être continuellement imbibé.
« Depuis le fond du Riséd, je t'entends m'appeler « à l'aide » ... »
Le temps passait avec une extrême lenteur, tant la tâche était ennuyeuse et tant le moral de Kelly, qui ne cessait de penser aux événements de la matinée, était au fond du trou. Mais soudain, au bout d'à peu près deux heures, elle entendit la voix du professeur Jar Jar Binns résonner dans le couloir :
- Non, ça ne me réjouit pas, Fistule. Simplement, je ne vois pas pourquoi on en fait toute une histoire. Il est mort, il est mort, un point c'est tout. Ça devait bien arriver un jour, non ?
- Jar Jar, je ne l’aimais pas tellement plus que toi, mais tu ne peux pas faire comme si c'était un détail… dit avec lassitude une voix que Kelly identifia comme étant celle du professeur Fistwick. La situation est extrêmement grave. Sans lui, Voldemort n'a plus aucun obstacle à sa mesure…
Kelly sentit ses intestins se nouer. Elle avait la confirmation de ses suppositions sur l'origine du tracas de ses professeurs.
- Mais bon sang, la terre tournait avant Dumbledore, non ? s'emporta Jar Jar Binns. A vous écouter, le monde ne peut pas se débrouiller sans lui. En fait, s'il n'avait pas été là, il s'en serait peut-être mieux porté...
- Bordel de Scravoiseux, s'exclama Fistwick d'une voix exaspérée, tu peux pas mettre tes convictions personnelles de côté, même cinq minutes, et reconnaître que la mort de Dumbledore nous fout dans la mouise ?
- Non. Je vais pas faire sa pom-pom-girl pendant la période de deuil pour faire plaisir à son fan-club. Tu sais ce que je pense de tout ça : s'il s'était moins mêlé de tout, il serait peut-être encore vivant à l'heure qu'il est…
- Ouais enfin, maintenant qu'il ne se mêlera plus de rien, c'est peut-être Lord Voldemort qui viendra toquer à notre porte… lança Fistwick d'un ton accusateur.
- Raconte pas n'importe quoi, rétorqua Jar Jar Binns avec suffisance. Il ne sait même pas qu'on existe. Il suffit d'attendre que les choses se calment… et Lettockar continuera son existence, comme elle l'a toujours fait...
Kelly ne passait plus son chiffon sur les gravures antiques que distraitement. Elle entendit Fistwick soupirer et dire d'une voix consternée :
- Je ne comprends pas comment tu peux être aussi désinvolte. Et tout ça pour une histoire vieille de cinquante ans...
- Tu m'emmerdes, Fistule. Je me barre, tiens.
Kelly vit sa tête aux longs cheveux apparaître dans l'ouverture de la porte. Il posa ses yeux jaunes sur elle et lui lança :
- Powder, ça ira, tu peux t'en aller.
A ces mots, il repartit d'un pas souple dans le couloir. Kelly n'entendit plus que la canne de Fistwick claquer de plus en plus faiblement au sol, le professeur de sortilèges s'éloignant dans la direction opposée de celle de Jar Jar Binns. Kelly jeta son chiffon sur une table proche, mais resta un instant dans la salle de classe. Cette conversation l'avait déroutée. Elle savait que Jar Jar Binns n'avait jamais aimé le professeur Dumbledore, mais ni ce dernier, ni elle-même, ne savaient quel grief il avait avec le directeur de Poudlard. Quelle était donc cette « histoire vieille de cinquante ans » ? Jar Jar Binns n'était même pas aussi vieux. Et pourquoi ressassait-il à nouveau son reproche ridicule comme quoi Dumbledore se mêlait trop de tout ? Quelle action le vieil homme pouvait-il avoir commis pour que le professeur d'histoire de la magie lui en veuille ainsi, au point de s'indifférer de sa mort ?
En sortant enfin de la salle de cours, la tête pleine de questions, elle entendit une voix l'appeler :
- Hé, Kelly !
Elle se retourna. C'était Maria Talbec qui s'avançait vers elle, apparemment affairée.
- Oui, Maria ? dit Kelly sans la moindre curiosité.
- J'ai deux messages pour toi… Primo, John te fait dire qu'il ne viendra pas dîner ce soir. Il veut être au chevet de Naomi…
Kelly ricana intérieurement. Elle n'était pas dupe : John avait trouvé un prétexte pour ne pas être avec elle ce soir. Il fuyait. Était-il honteux d'avoir mis Kelly mal à l'aise, ou était-il frustré par son échec à sortir avec elle ? Elle aurait presque voulu aller passer elle aussi la soirée à l'infirmerie, rien que pour voir sa réaction. Mais elle ne voulait pas imposer à Naomi le spectacle de ses deux amis glaçant l'atmosphère des seuls regards gênants qu'il se jetteraient. Aussi, elle se contenta de répondre à Maria :
- D'accord.
- Secundo, McGonnadie demande à te voir après manger. A 21 heures, dans son bureau.
Kelly fronça les sourcils, prise de court. Elle jeta un regard interrogateur à Maria, pour savoir si elle avait une idée de la raison pour laquelle McGonnadie la faisait venir, mais elle haussa les épaules. Kelly baissa les yeux et marmonna :
- Très bien, merci Maria. Oh, et… je suis désolée de te demander ça, mais tu peux me rendre un service ?
- Je t'en prie.
- Peux-tu aller dire à Naomi que j'irai la voir demain matin à la première heure ? Ce soir, je… je ne suis pas en état.
Sa condisciple acquiesça d'un signe de tête et la salua avant de s'en retourner. Kelly renifla. McGonnadie la convoquait. Qu'est-ce qu'il lui voulait ? La sermonner pour avoir quitté le bureau de Doubledose malgré leurs ordres ? Reprendre la litanie qu'ils avaient entonné ce matin ? Oh, et puis ça n'avait pas d'importance. Rien n'avait plus d'importance, de toute façon. Elle l'écouterait d'une oreille distraite, hocherait la tête à tout ce qu'il dirait, et repartirait comme elle était venue. Poséidon McGonnadie ne pouvait rien faire contre elle : son malheur l'avait immunisé contre toute tentative de l'atteindre.
Quand vint l'heure du dîner, Kelly se rendit seule à la Cantina Grande et s'attabla mollement parmi les Dragondebronze, et se servit du ragoût de bœuf. Elle allait manger toute seule, mais n'en avait rien à faire. En fait, cela l'arrangeait même : elle ne parviendrait pas à se changer les idées en discutant avec d'autres personnes, alors autant rester avec ses pensées. Elle avalait sa nourriture sans ressentir aucune saveur, sa main gauche soutenant sa joue, indifférente aux quelques regards provenant de plusieurs tables qu'elle sentait posés sur elle. Soudain, une main se posa délicatement sur son épaule. Kelly leva la tête. C'était Gudrun, qui la regardait d'un air inquiet, comme si elle avait l'air malade.
- Kelly, tu vas vraiment rester là toute seule ? dit-elle de sa voix grave. Tu peux venir manger avec nous, si tu veux…
Elle désigna du doigt l'emplacement qu'elle venait de quitter, où étaient également attablés Huffö Gray et Ludmilla Suarlov, lesquels lui jetaient le même regard désemparé que Gudrun. Kelly s'efforça de prendre une voix chaleureuse quand elle déclina l'offre :
- Non, non, je te remercie, Gudrun. J'ai juste besoin d'être tranquille…
Gudrun continua de la regarder de ses yeux gris, décontenancée. Kelly lui sourit faiblement, et détourna la tête, lui signifiant qu'il était inutile d'insister. Sa camarade lui tapota gentiment la tête et repartit : du coin de l’œil, Kelly la vit se rasseoir auprès de Ludmilla et Huffö en levant les mains.
« Tout ce poids sur mes épaules, qui me cogne comme un saule... »
Après le repas, à 21 heures, Kelly se rendit au troisième étage et entra dans le bureau du professeur McGonnadie. Il n’avait pas changé depuis la dernière fois : les mêmes étagères remplies de livres, d’instruments de magie et de vinyles, quelques portraits ici où là, les posters de ses groupes de rock préférés, et toujours cet étrange rideau rouge juste derrière le fauteuil du professeur qui avait l’air de dissimuler quelque chose.
- Assieds-toi, Kelly, lui intima McGonnadie, qui écrivait sur un parchemin.
La jeune fille lui obéit, mais ne le regarda même pas. Elle se fichait bien de ce qu’il avait à lui dire. Peu après, McGonnadie, ayant terminé son travail, reposa sa plume et fit disparaître le parchemin d’un coup de baguette magique. Il dévisagea Kelly un bref instant, puis dit d’un ton serein :
- Kelly, je sais ce que tu ressens, à propos de Dumbledore.
- Non, vous ne savez pas, rétorqua Kelly avec brutalité.
- Bien sûr que si. Je le sais même mieux que quiconque. Pour toi, Albus Dumbledore représentait un monde meilleur. Une image de la grandeur des sorciers qui te transportait et qui aurait pu te donner tout ce que tu n’as pas ici. C’était une source de sagesse et de bienveillance pour une jeune sorcière perdue dans la honte des écoles. Il était le directeur que tu aurais voulu avoir, bien plus que celui que tu as. Je me trompe ?
Kelly retroussa les lèvres, agacée. McGonnadie voyait juste, mais elle ne lui céderait pas un pouce de terrain. Elle feignit la froideur en répondant d’un ton hautain :
- Et on peut savoir d’où vous tenez ça ?
- Parce qu’à ton âge, c’était exactement ce que je pensais. Tu oublies que c’est lui qui m’a révélé que j’étais un sorcier quand j’avais onze ans, et qui m’a envoyé ici, tout comme toi. Pour moi aussi, il représentait quelque chose… c’était l’un des hommes qui avaient le plus changé ma vie.
- Plus que moi ? intervint alors un personnage dans un portrait d’un ton malicieux.
Kelly se tourna vers celui qui venait de parler. C’était un vieil homme, de petite taille, le crâne dégarni, avec des lèvres pincées et des joues creuses qui lui donnaient l’air d’une grenouille. Il scrutait Kelly et McGonnadie avec un regard perçant et légèrement sarcastique. Le professeur de métamorphose eut un petit sourire en coin et répliqua :
- Vous êtes arrivé un peu trop tard, François.
- Euh… commença Kelly.
- Kelly, je te présente François Mitterrand, ancien Président Moldu des Français, mort il y a un an. C’est l’un de mes interlocuteurs privilégiés dans mes soirées en solitaire.
- Les Moldus peuvent avoir des portraits vivants ? s’étonna Kelly en fronçant les sourcils.
- Étant chef d’État, je suis un cas un peu spécial, expliqua le dénommé François Mitterrand. Posséder quelque chose qui appartenait au monde des sorciers avait été une de mes grandes convoitises, moi qui croyais aux forces de l’esprit. Hélas, après ma mort, mon portrait magique a été galvaudé dans une vente aux enchères. Poséidon en a fait l’acquisition… il m’a révélé que déjà, de mon vivant, je le fascinais.
- Je savais que c’était l’occasion d’avoir des riches discussions. Mais, pour en revenir à Dumbledore…
- Vous ne savez pas ce que je ressens, répéta Kelly, butée.
- Je sais que tu l’admirais beaucoup, Kelly, mais ne parle pas comme si tu le connaissais mieux que moi, répliqua McGonnadie avec froideur. Ça m’a fait… non, ça nous a tous fait un choc. Les professeurs de Lettockar collaborent avec Albus Dumbledore depuis des années, et à titre personnel, je lui ai rendu plusieurs services dont il m’a toujours été reconnaissant. Entre professeurs de métamorphose, on se comprend. C’était son poste avant d’être directeur de Poudlard, précisa-t-il.
- Je sais, il me l’avait dit l’an dernier… quand il était venu…
Elle se remémora à nouveau la journée qu’ils avaient passé ensemble il y a un an. Une journée si exaltante. Dumbledore s’était tellement intéressé à elle, avait été tellement stimulant, et tellement ouvert à Kelly. Il n’avait pas hésité à lui parler de lui, de sa vie, de son passé, de ses goûts et ses visions… Mais cela, Kelly ne le revivrait plus jamais. Plus jamais il ne reviendrait à Lettockar, plus jamais ils ne se parleraient. Elle ferma les yeux, abattue. McGonnadie soupira et lui dit :
- Je veux que tu saches, Kelly, que nous ferons tout pour qu’il ne soit pas mort en vain. Les hommes de l’envergure d’Albus Dumbledore ne meurent jamais en vain. Nous ne savons ni quand, ni comment, mais Lettockar ne restera pas les bras ballants. Aussi distantes qu’aient été nos relations, son combat était aussi le nôtre.
Kelly rouvrit les yeux et releva la tête vers son professeur de métamorphose. Elle était stupéfaite de voir à quel point il lisait en elle, et qu’il trouvait les mots pour rendre justice à Dumbledore. Désorientée, elle lui sourit maladroitement. Celui-ci lui rendit son sourire et se pencha légèrement en avant.
- Si je t’ai fait venir ce soir, c’est pour te faire une offre, murmura-t-il. Le directeur veut bien faire un geste : il te propose d’aller à l’enterrement de Dumbledore à son école avec lui, dans quelques jours.
Kelly écarquilla les yeux, prise de court. Elle n’était pas sûre d’avoir bien entendu.
- Que… que j’aille à l’enterrement de Dumbledore ? Me rendre à Poudlard ?
- Avec un peu de Polynectar, vous passerez inaperçus. La moitié du monde magique sera présent, vous vous fondrez dans la masse.
Kelly se tortilla. Elle était déjà déboussolée par le fait que ses professeurs l'autorisent à sortir de Lettockar alors que d'ordinaire, ils faisaient tout pour que les élèves ne la quittent sous aucun prétexte. Quant à cette offre… d'un côté, honorer la mémoire du professeur Dumbledore pourrait être un pansement à sa blessure, mais de l’autre, elle n'était pas sûre d'avoir la force d'affronter cette cérémonie, et son cortège de souffrances…
- Je… j'hésite… dit-elle d'une petite voix.
- C'est sans doute la seule occasion que tu auras de lui rendre hommage, tu sais.
Kelly grimaça. Le professeur McGonnadie était assez brusque en lui disant cela, mais il avait raison. Qui sait si elle pourrait jamais se rendre à Poudlard, si elle pourrait voir un jour la pierre tombale d'Albus Dumbledore ? De toute manière, elle ne pouvait pas rester là sans rien faire pour porter le deuil. Elle sentait que si elle n'allait pas à cet enterrement, elle le regretterait toute sa vie. Tant pis s'il fallait souffrir un instant. Et après tout, c'était un peu comme si elle allait le revoir… en quelque sorte...
- Très bien… j'accepte, dit-elle d'une voix mal assurée.
- Alors je vais te demander de n'en parler à personne, pas même à tes plus proches amis. Il vaut mieux éviter que l'on sache que nous t'avons fait une fleur, ça créerait des tensions et des jalousies. Surtout qu'il s'agit d'autoriser un élève à sortir de Lettockar… et si par la suite, on t'interroge sur ton absence, invente une histoire et prétends que ça a un rapport avec ta future punition.
Kelly acquiesça avec fermeté, tâchant de retrouver un peu de contenance et de détermination. McGonnadie et elle se dévisagèrent longuement, dans le silence le plus total. Kelly ne savait pas trop quoi faire : il fallait qu’elle dise quelque chose, elle n’avait pas le droit de se montrer ingrate…
- D’accord, je ferai attention, murmura-t-elle. En tout cas, c'est… c’est gentil. Merci.
McGonnadie sourit et dit d’un ton paternel :
- Tu vois bien que nous ne sommes pas inhumains.
- Admettez que vous donnez des raisons d’en douter, souvent…
Kelly avait d'un seul coup retrouvé un ton amer. Malgré le geste de ses professeurs, elle tenait à ce qu’ils ne perdent pas de vue tout ce qu’elle exécrait chez eux. De son côté, le professeur McGonnadie retrouva tout aussi vite son air sévère.
- Il ne me semblait pas avoir parlé à un mur, ce matin, pourtant, quand Niger, Pepino et moi nous sommes échinés à vous prouver le contraire, dit-il avec aigreur.
- M’ouais… n’empêche qu’à chaque fois que je vois le professeur Doubledose manger tranquillement, assis sur son trône, dans la Cantina Grande, j’ai un haut-le-cœur en pensant à quel point il a les mains sales… maugréa Kelly, n’ayant pas été très convaincue par les arguments de son directeur.
- Toi, tout de suite… Certes, il ne mange pas très proprement, mais…
- Mais non ! Je parle de la façon dont il est devenu directeur ! s'exclama Kelly, énervée.
McGonnadie eut un mouvement de recul sur son siège. Vraisemblablement, il ne s'était pas attendu à ce que Kelly en sache autant. Celle-ci éprouva une sorte de contentement rageur en voyant son arrogant professeur déstabilisé. Ce dernier hocha la tête et interrogea d'un ton impérieux :
- Et comment il est devenu directeur, selon toi ?
- C'est pas la peine de jouer la comédie, gronda-t-elle. Je sais parfaitement qu'il a assassiné le précédent directeur et a pris sa place. C’est Astrid Lisberg qui nous l’a appris.
Kelly regarda McGonnadie droit dans les yeux, dans une attitude de défi. Elle s'attendait à le voir devenir livide, à le voir exploser de colère, puis essayer de la faire taire, de lui faire ravaler toutes les vérités qu'elle lui envoyait.
A la place, il éclata d'un rire sans joie, se frappant le front du plat de sa main. Secouant la tête, il rétorqua à une Kelly médusée :
- N’importe quoi. Niger Doubledose n’a jamais tué Kognak Komonenko. Il y a eu un combat, c’est vrai, mais c’était dans les règles de l’art : apprends que l’une des manières de devenir directeur de Lettockar est de défier l’actuel chef d’établissement en duel de sorcellerie et de le vaincre.
- Euh… ah bon ? lâcha Kelly d’une voix un peu stupide, déconcertée par cette loi brutale qu’elle venait de découvrir - une de plus.
- Parfaitement, c’est dans nos statuts depuis des siècles. Niger l’a battu à la loyale, je le sais, j’étais là – je terminais ma septième année. Il ne l’a pas assassiné, il l’a juste banni à jamais de Lettockar.
- Mais alors… Kognak Komonenko n’est pas mort ?
- Ah si, mais c’est parce qu’il a fait une crise cardiaque juste après, quand il a réalisé qu’il n’était plus directeur. Doubledose n’était pas responsable, enfin, pas directement.
Cette dernière révélation sur cette fin assez grotesque aurait arraché un petit rire à Kelly si elle n'avait pas été aussi désarçonnée. Depuis ce jour où Astrid leur avait raconté sa version des faits, elle avait vu Doubledose comme un usurpateur, un assassin putschiste. Cela avait alimenté son hostilité envers lui, sa conviction qu’il fallait le combattre jusqu’au bout. Une conviction qui était violemment ébranlée, tout à coup. Apparemment, McGonnadie le sentait, puisqu’il continua :
- Crois-moi Kelly, le monde se porte mieux sans Kognak Komonenko. C’était un tyran, un sadique, un taré de première. Tout le monde le détestait, profs comme élèves. Il nous foutait la trouille. Un type répugnant, avec son Acromentule apprivoisée… ajouta-t-il avec dégoût.
- Son Acromentule apprivoisée ? hoqueta Kelly, révulsée.
- Une bestiole immonde qu’il chérissait et qu’il gardait dans son bureau… Je m’en souviens encore,
elles nous regardait avec ses yeux dégueulasses... on sentait tout de suite qu’elle n’attendait que l’autorisation de son maître pour nous bouffer. Ce qu’elle a fini par faire, d’ailleurs.
Kelly plaqua sa main devant sa bouche, horrifiée.
- L'… l'Acromentule a mangé quelqu'un ?
- Il faut croire que le vieux Komonenko avait oublié de la nourrir, ce jour-là… Elle a perdu le contrôle, elle s’est jetée sur une fillette de deuxième année convoquée au bureau et l’a dévorée toute crue. Ça a été la panique dans l’école dès le lendemain. Et le pire, c’est que le directeur n’a rien fait. Il ne s’est pas débarrassée de cette foutue Acromentule. Il n’a même rien dit.
Le regard de McGonnadie se perdit dans le vide. Visiblement, ressasser ce souvenir lui était douloureux. Kelly éprouva de la sympathie pour lui : si ce qu’il disait était vrai, elle comprenait bien ce qu’il avait voulu faire comprendre en disant « nous aussi, on a morflé » lors de leur convocation au bureau de Doubledose. En effet, il avait vécu ses propres moments d’horreur et de peur quand il avait été à la même place que Kelly.
- Ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, poursuivit-il. C’est à ce moment que Niger – alors professeur de sortilèges - a décidé d’intervenir. L’école était au bord de l’explosion, et son dirigeant avait la conscience parfaitement tranquille alors qu’une très jeune élève était morte dans son propre bureau. Niger a fait ce qu’il fallait faire : il nous a débarrassé d’un directeur fou et incompétent, et il a fait cramer l’araignée géante. Tu ne te rends pas compte du bonheur que ça a été, pour nous.
Kelly s’imagina ses professeurs de métamorphose, sortilèges, botanique et potions, plus petits et plus juvéniles, imberbes mais avec des cheveux plus longs et quelques boutons sur le visage, parmi une foule qui assistait, terrifiée, à un impitoyable duel entre deux terribles mages.
- Oh, autre chose à propos de Komonenko, ajouta McGonnadie. Tu vois le sortilège qui modifie votre mémoire quand vous quittez Lettockar pour les vacances ? Et bien ça, c’est une de ses brillantes idées.
- Quoi ? s’exclama Kelly d’une voix stridente.
- Oui, il a lancé cette malédiction sur l’école durant son mandat. Il voulait éviter que les élèves n’aillent raconter ce qui se passait dans son château… certes c’était déjà pas jojo avant, mais avec lui ça avait pris une autre dimension. Alors il a trouvé ce moyen pour que ses élèves reviennent quand même à son établissement chaque année. Voilà à quoi Kognak Komonenko consacrait ses grands pouvoirs… marmonna-t-il avec mépris.
Kelly en était pantoise. Il y avait cependant autre chose qu’elle ne comprenait pas…
- Mais pourquoi Doubledose n’a pas conjuré la malédiction quand il est devenu directeur ? questionna-t-elle.
- Il a essayé, mais il n’est jamais parvenu à trouver l’origine du maléfice, même avec notre aide. Personne ne sait comment il fonctionne ni où il prend sa source, alors il nous est impossible de le conjurer. Au début, nous pensions que c’était un simple sortilège d’Amnésie, mais il s’est avéré que c’était autre chose… Komonenko a brouillé toutes les pistes, c’est déjà extrêmement rare en sorcellerie qu’une malédiction subsiste après la mort de son lanceur. Bien sûr, si nous parvenions à trouver la source du sortilège, nous pourrions peut-être l’abattre, mais sans ça…
McGonnadie fit un petit geste avec sa baguette magique, qui produisit un misérable pétard mouillé, puis lâcha un ricanement amer. Kelly, troublée, se mit à triturer sa chevelure brune. Elle ne comprenait pas qu’une bande de sorciers aussi opiniâtres que ses professeurs aient pu abandonner cette entreprise.
- Vous êtes vraiment sûrs d’avoir tout essayé ? D’avoir vraiment tout fait pour supprimer cette malédiction ? interrogea-t-elle d’un ton ouvertement dubitatif.
- Si tu crois que c’est facile ! s’exclama McGonnadie, offensé. Tu n’as qu’à t’en occuper, si tu es si maligne…
Kelly agita une main en roulant des yeux. Elle ne pouvait s’empêcher de penser que ses professeurs avaient capitulé face à cet ignoble sortilège, et qu’ils y avaient peut-être trouvé leur compte, à la longue.
Kognak Komonenko… Elle ne savait pas grand-chose sur lui, mais dans son esprit, il s’était forgé une image de martyr, victime de la barbarie et de la soif de pouvoir de Doubledose. Mais ce qu’en disait McGonnadie la remettait totalement en cause... Et cette histoire d’Acromentule domestique mangeuse d’élèves… le souvenir de l’affreuse araignée géante qui avait failli les tuer il y a trois ans, John, Naomi et elle, dans le labyrinthe du Tournoi des Trois Sorciers, la fit frissonner. Rien que pour cela, Kelly éprouva soudainement beaucoup moins de compassion envers l’ancien directeur de Lettockar. McGonnadie acheva ainsi son discours :
- Bref, certes, Niger n’a pas un caractère facile, mais ses mains ne sont pas aussi sales que tu veux bien le croire. Il lui arrive souvent d’être brut de décoffrage, c’est vrai ; mais lui n’a jamais eu le meurtre d’un élève sur la conscience.
Kelly était troublée. Peut-être s’était-elle vraiment trompée sur le compte de Niger Doubledose. Peut-être n’était-il pas le meurtrier sanguinaire, ayant arraché le titre de directeur à une innocente victime, qu’elle s’était toujours imaginé. Pour autant, elle avait du mal à concevoir qu’il était blanc comme neige… et il restait une possibilité que McGonnadie lui mente. Mais maintenant que Kelly fouillait sa mémoire, il avait beau lui avoir fait tout un tas de coups bas, il ne lui avait jamais menti. Alors que Astrid l'avait fait… et Peter l'avait fait aussi… Ses camarades, ses chefs. Alors qui pouvait-elle croire, à présent ?
Elle réalisa soudain qu'elle venait de révéler à son professeur qu'Astrid avait copieusement diffamé le directeur dans son dos, et que pour McGonnadie, c'était plus que répréhensible. En dépit de sa rancœur envers elle, Kelly se sentit coupable : elle venait d'exposer Astrid à de lourdes sanctions.
- Au fait, monsieur, je viens de m'en rendre compte… Ce que je viens de balancer sur Astrid… glissa-t-elle timidement.
- C'est bon, je fermerai les yeux. Il y a eu suffisamment de punitions comme ça, je pense, répondit McGonnadie.
Kelly lâcha un soupir de soulagement. Elle repensa à ce que lui révélait son professeur. Si seulement elle avait pratiqué la legilimancie, elle aurait pu savoir s’il lui mentait ou pas… ou alors si elle avait eu la Cuillère de Lalaoud… non, non, jamais elle n’utiliserait la Cuillère de Lalaoud, et plus jamais aucune Relique d’ailleurs. McGonnadie revint alors au précédent sujet de conversation :
- Tu sais Kelly, nous autres professeurs avons beau être tous proches amis, nous ne sommes pas aveugles sur les défauts des uns et des autres. Je sais bien que Suppurus est grave, que Pepino est un camé et que Fistule est dangereux…
- Et que vous êtes légèrement raciste, aussi ? le coupa sèchement Kelly.
McGonnadie se tut et haussa les sourcils. Il ne s’était manifestement pas attendu à ce que Kelly ose lui jeter ce reproche à la figure. Celle-ci affichait un air sévère qui ressemblait incroyablement à celui qu’il avait l’habitude d’arborer. Le directeur de Dragondebronze retroussa les lèvres, presque intimidé. Quand il retrouva l’usage de la parole, il déclara lentement et prudemment :
- Tu ne m’as jamais pardonné cette vanne envers Ebay lors de votre premier cours, à ce que je vois…
- Parce que j’aurais dû vous pardonner ? cracha Kelly, sans se soucier du ton qu'elle employait.
- Il faut que vous arrêtiez de tout prendre au pied de la lettre, vous tous… soupira McGonnadie avec lassitude. Combien de fois devrais-je le répéter : c'est de l'humour noir… je ne pense pas vraiment ce que je dis. C'est pas vraiment du racisme...
- Ah bon ? Ça existe, le “faux” racisme ?
- Y’a bien des faux cheveux, se défendit McGonnadie avec aplomb.
- Oui, mais justement, ça fait la même chose que des vrais cheveux, non ?
McGonnadie se redressa alors brusquement sur son siège, presque en sursautant. On aurait dit un chat domestique surpris par un bruit qu'il n'avait encore jamais entendu dans la maison familiale.
- Qu’est-ce que je suis censé comprendre ?
- Que vous êtes persuadé que ce que vous faites, c’est inoffensif, parce que vous ne faites qu’ironiser, que vous faites pas ça sérieusement. Mais ça, c’est ce que vous vous dites à vous-même, n’est-ce pas ? Les gens qui subissent vos blagues, vous vous êtes déjà demandé ce que ça leur faisait ?
- Moi, les blagues sur les Écossais me font beaucoup rire, affirma McGonnadie. Tiens, une fois Bender m’en a raconté une excellente : tu sais pourquoi…
- Non et j’en ai rien à foutre, coupa Kelly, irritée. Même si vous ne pensez soi-disant pas à mal, que pour vous c’est de l’humour trash, qu’est-ce que ça change ? Second degré ou pas, toutes ces petites blagues blessantes, elles font de l’effet, que vous le vouliez ou non. Et si en plus vous les répétez tous les jours, ça devient presque pire que du premier degré. Bref, c’est pas du faux racisme, c’est du racisme tout court.
Elle planta ses yeux vairons droit dans les yeux bleus de McGonnadie, si intensément qu’elle avait la sensation qu’ils étaient baignés de flammes. Durant ses deux ans à l’OASIS, elle avait appris à parler avec bravoure, sans fléchir, même face à des têtes de bois comme Astrid Lisberg ou Poséidon McGonnadie. Le directeur de Dragondebronze se mit à regarder tout autour de lui, comme s’il espérait trouver un soutien de personnes pourtant inexistantes.
- Non mais c'est absurde, dit-il d’un ton catégorique. Je suis pas raciste, un de mes meilleurs amis est ascendant turc, une de mes élèves préférées était ougandaise, et…
Kelly ouvrit la bouche pour répondre à cet argument ridicule, mais ce fut le portrait de François Mitterrand qui intervint avec calme :
- Je pense que ce que veut dire notre jeune amie, Poséidon, c'est que pour que ces plaisanteries vous viennent aussi naturellement, même au second degré, c'est qu'il y a une part de sincérité en elles. Dans le fond, vous y croyez un peu, à ces stéréotypes racistes… Et c'est en cela que réside votre problème de personnalité, quelles que soient vos tentatives de vous abriter derrière l'humour ou vos amitiés...
- Est-ce que le champion de l'antiracisme pourrait nous dire ce qu'il faisait, en 1942 ? lança McGonnadie d'un ton glacial.
- Défense du faible, monsieur, répliqua le président d'un ton indifférent.
Kelly n'avait pas compris la réponse cinglante de McGonnadie, et à vrai dire, elle s'en fichait. Rien que l'air renfrogné de son professeur suffisait à sa satisfaction. Après avoir échangé un regard complice avec Mitterrand, elle tâcha de réprimer un sourire, ne connaissant que trop bien comment il réagissait face aux impertinences. Cela n'était de toute manière pas nécessaire : elle avait fait mouche. De sa main, McGonnadie tambourinait son bureau du bout de ses doigts, ce qui trahissait sa confusion.
- Et pourquoi personne ne m’a jamais adressé ta petite leçon, puisque apparemment c’est l’évidence même ? lança-t-il à Kelly d’un ton hautain.
- C’est parce que les gens ont peur de vous, ou parce qu’ils pensent que vous êtes trop stupide ou trop méchant pour entendre raison, répondit-elle avec force. À vous de prouver qu’ils ont tort.
Une fois encore, Kelly et McGonnadie se fixèrent mutuellement du regard, tels deux serpents tentant de s’hypnotiser l’un l’autre. Contre toute attente fut le professeur qui baissa les yeux le premier. Au bout d’un silence éloquent, il déclara à voix basse :
- Bon… je vais réfléchir à tout ça. En attendant, ce sera tout, Kelly, tu peux te retirer.
A ces mots, il saisit sa baguette magique et la pointa vers la platine à vinyles à sa droite, qui s’activa aussitôt. Un léger son de batterie, dominé par la cymbale, en surgit, bientôt suivi par quelques notes à la guitare. Kelly reconnaissait vaguement cette chanson qui débutait ainsi :
You know the days destroys the night, night divides the day,
Tried to run, tried to hide,
Break on through to the other side, break on through to the other side,
Break on through to the other side.
Kelly sourit. Ce morceau était très joli, ça lui changeait des vers mélancoliques qu’elle avait fredonné malgré elle toute la journée. Mais elle savait que McGonnadie ne l’accueillerait pas dans son bureau encore très longtemps : il avait l’air sérieusement contrarié. Elle se leva, se pencha vers son enseignant et lui dit d’une voix douce :
- Bonne soirée, professeur… et encore merci.
- Bonne soirée, Kelly…
Elle dirigea vers la sortie du bureau, alors que la chanson continuait :
We chased our pleasures here, dug our treasures there,
But you can still recall the time we cried,
Break on through to the other side, break on through to the other side,
Break on through to the other side.
Kelly sortit, et le son s’étouffa au fur et à mesure qu’elle fermait la porte. Elle resta un instant derrière, à l’abri du regard du professeur McGonnadie, n’allant pas tout de suite se coucher. Elle prit le temps de mettre de l’ordre dans ses pensées.
Durant cette entrevue, ce à quoi elle avait cru pendant deux ans avait été chamboulé une fois de plus. Cela faisait beaucoup, en deux jours, pour la jeune fille qu’elle était. Elle ressentait plus que jamais le besoin d’avoir des certitudes. Concernant ce qu’elle avait voulu inculquer à McGonnadie, seul l’avenir lui dirait si cela aboutirait à quelque chose. Mais concernant la véritable histoire de Lettockar, les squelettes dans les placards de Niger Doubledose, comment découvrir la vérité ?