Lettockar, tome 3 : La folie des couvre-chefs
32. La bataille insolite
Les mâchoires de Kelly et ses amis se décrochèrent. De la bouche de Naomi sortit une sorte de gargouillement ; apparemment, elle avait voulu interpeller son professeur, mais la stupéfaction avait maintenu ses mots enfoncés dans sa gorge. Le nouveau venu détourna brièvement les yeux vers eux, puis s'approcha au plus près de l'estrade et s'adressa d'une voix redevenue normale à la Reine dans la Montagne :
- Bonsoir, Raksha.
- Pepino Pourrave… murmura celle-ci d'une voix sifflante. Ça, par contre, je ne l'avais pas prédit. Mais quelle bonne surprise ! Qu'est-ce qui t'amène ici ?
- Mon devoir de professeur. Quand des mioches ont la bougeotte, je dois les renvoyer se coucher...
L'air grave et sévère, il redirigea son regard vers ses élèves, lesquels nageaient dans l'ahurissement. Le professeur Pourrave était venu pour eux. C'était inimaginable. Comment avait-il pu savoir qu'ils s'étaient rendus à la Montagne Interdite ? Comment les avait-il trouvés si rapidement ?
Mais malgré toutes les questions qui se bousculaient dans sa tête, Kelly sentit l'espoir refaire surface en elle. Une chance pour eux de survivre venait de surgir du néant. Pourrave avait beau être seul, c'était comme s'il avait amené une armée avec lui. Et apparemment, il connaissait personnellement les loups-garous ; ceux-ci ne pouvaient pas l'ignorer. Les trois amis retenaient leur souffle, accrochés au professeur Pourrave comme à une bouée de sauvetage. Ce dernier cilla, plissa légèrement les yeux et tourna lentement la tête vers leur ennemie.
- C'est bon, maintenant, Raksha. Relâche-les.
- Et dis-moi pourquoi je le ferais ? lança la louve-garou en s'accroupissant au bord de l'estrade pour se mettre au niveau de son interlocuteur.
- Dis-moi plutôt pourquoi tu tiens spécialement à les trucider ? maugréa Pourrave d'une voix fatiguée. Qu'est-ce qu'ils ont fait de si mal ? C'est trois débiles qui ont voulu faire les fous en s'aventurant derrière la Montagne Interdite. Maintenant, ils sont calmés, ils rentrent chez eux et ils ne reviendront plus chez vous, fin de l'histoire.
Kelly était complètement déboussolée. L'homme qu'elle voyait n'était pas le Pepino Pourrave qu'elle avait toujours connu. Son visage n'affichait plus une expression naïve et joyeusement idiote, mais un complet sérieux, une redoutable froideur qui le rendaient intimidant. Sa voix, parfaitement calme et régulière, n'était plus agitée par un timbre excentrique et désordonné. Ses yeux n'étaient même plus injectés de sang. Il dégageait une assurance inflexible qui parvenait même à calmer les loups-garous, qui l'observaient avec nervosité. Raksha Roma elle-même ne lui réservait pas son mépris cruel et son expression ne montrait aucune envie de l'affronter ou de le provoquer.
- Oh, mais tu te trompes lourdement, mon chat, gronda-t-elle en se relevant. Ils ne sont pas venus ici par hasard : ils voulaient dérober la Relique de mon ancêtre ! Je ne fais qu'accomplir la mission qui a été confiée à ma famille de génération en génération : la protéger des cambrioleurs dans leur genre, des merdeux arrogants qui voudraient se hisser à la hauteur des Fondateurs de Lettockar…
Raksha sortit alors de la poche arrière de son baggy un morceau de cuir rapiécé, qu'elle brandit à la vue de tous. Elle l'agita entre ses doigts, et il se déploya : c'était un bonnet moyenâgeux, parfaitement lisse, avec deux longues bandes au niveau des oreilles. Le Bonnet de Philippe Gilluc. La Relique qu'ils convoitaient depuis des mois.
Normalement, Kelly aurait dû être surexcitée en le voyant. Ce couvre-chef miteux qui compléterait les Reliques, qui leur donnerait le pouvoir qu'ils espéraient tant depuis deux ans, était à portée de main. Mais, en plus de ne plus avoir beaucoup de désir pour lui, l'esprit de Kelly avait été frappé par la révélation de Raksha Roma à son sujet. Pourrave ressentait visiblement quelque chose de semblable, puisqu'il leva un sourcil et dit à mi-voix :
- La Relique de ton ancêtre ? Le Bonnet de Gilluc ? Ah, c'est donc toi qui l’avais…
- Attendez ! s'écria Kelly. M… madame… Philippe Gilluc… est votre ancêtre ?
Raksha lui coula un regard de côté mais ne lui répondit pas. Kelly pivota la tête pour voir la réaction de John et Naomi : ils étaient tout aussi abasourdis qu'elle. Naomi avait même cessé de couiner de douleur.
Ce fut le professeur Pourrave qui répondit à la question de Kelly :
- Eh oui Kelly, Philippe Gilluc était un loup-garou. Mordu à l'adolescence par une pauvre créature damnée. Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi il y avait une lune sur le blason de la maison PatrickSébastos ? Après avoir pris sa retraite d'enseignant à Lettockar, il s'est installé derrière ce qui allait devenir la Montagne Interdite, a fait venir quelques-uns de ses semblables et y a fondé cette colonie que vous voyez, qui, jadis, étaient entourée de murailles magiques érigées par les autres professeurs pour empêcher les loups-garous de sortir de la Montagne. Et Raksha Roma, ici présente, est sa descendante. Moi, en tant que directeur de la maison qu'il a fondée, je suis chargé des échanges avec la colonie. Quant à sa Relique… à vrai dire, moi et les autres ne pensions pas que Gilluc avait planqué son Bonnet dans le ghetto même. Ça nous paraissait trop évident.
Les trois jeunes gens regardèrent Raksha avec des yeux ronds, décontenancés en apprenant son identité et la nature de son ancêtre. Gilluc le Clairvoyant, un des illustres fondateurs de leur école, était un loup-garou. Durant toutes leurs enquêtes, ils n'avaient rien trouvé qui pouvait laisser penser cela. Tout s'expliquait : Raksha avait hérité de lui ses dons de voyance... et sa malédiction. Un héritage à double tranchant...
Après avoir rangé le Bonnet, la descendante du Fondateur s'accroupit encore une fois, et Pourrave et elle se dévisagèrent longuement en silence. Soudain, le professeur de botanique eut une moue désappointée et marmonna :
- Tu me déçois, Raksha. On s'était pourtant dit qu'on ne se cacherait rien, toi et moi.
- Allons, allons, Pepino, ce qu'on s'est dit ce jour-là n'était pas très sérieux… Comme tout à notre sujet, d'ailleurs.
A ces mots, elle lui caressa tendrement la joue, un sourire onctueux aux lèvres. Au grand ébahissement des trois adolescents, Pourrave eut lui-même un sourire qui respirait une mystérieuse nostalgie. Néanmoins, il tourna le dos à Raksha Roma, et fit quelques pas nonchalants devant lui.
- Peut-être, mais ce soir, je suis très sérieux. Je ramène ces trois gamins à l'école, un point c'est tout.
- Parce que tu crois qu'on va te laisser nous arracher notre gibier de la bouche, Pourrave ? grogna Big Ed.
- Comme bouffe, vous pouvez trouver mieux, ils n'ont que la peau sur les os, répliqua l'intéressé sans même se retourner. Tes potes devraient plutôt commencer par toi et ton gros bide, Ed, y'a déjà beaucoup plus de viande, ajouta-t-il avec hargne.
- Assez d'insolences, le demeuré ! hurla le vice-chef, rouge de colère. Ozzy ! Tony ! Bill ! Terence ! Écrasez-moi ce junkie !
A ces mots, quatre hommes très chevelus, qui observaient la scène depuis le second étage du bâtiment le plus proche, se hissèrent sur les rebords des fenêtres, et sautèrent sur Pourrave en hurlant à plein poumons, brandissant des barres de fer, prêts à le battre à mort.
Tout se passa en un éclair. Sans même regarder ses attaquants, le professeur Pourrave empoigna fermement sa baguette magique et fit un large mouvement en demi-cercle au-dessus de lui. Une gigantesque vague d'énergie bleue-argentée explosa alors et frappa les quatre loups-garous de plein fouet, produisant un bruit de rafale si assourdissant que Kelly sentit ses oreilles s'obstruer. Tout le quartier fut illuminé par le sortilège ; de nombreuses personnes se masquèrent les yeux de leurs bras ou de leurs mains. Quand la vague magique prit fin et que la lumière se dissipa, on entendit un bruit sourd de corps tombant à terre. Kelly se tortilla pour mieux voir et être sûre de ce dont il s'agissait. Les quatre loups-garous étaient étalés par terre, le nez dans la poussière et le corps fumant, balayés en quelques secondes par la puissance du sortilège du professeur. Pendant un instant, elle crut avec horreur qu'il les avait tués, jusqu'à ce que l'un d'eux remue faiblement : dieu merci, ils étaient seulement assommés.
Kelly n'en demeurait pas moins bouche bée. Le professeur Pourrave venait de mettre quatre féroces loups-garous au tapis avec une facilité déconcertante. Il n'y avait pas la moindre crispation sur son visage : il paraissait presque s'ennuyer. Tout son corps irradiait une aura de puissance que Kelly n'aurait jamais imaginé chez le plus gaffeur de ses professeurs. Une aura qui n'était même pas amenuisée par ses fantaisistes vêtements de hippie. Elle était si estomaquée qu'elle en oublia toutes ses douleurs. John et Naomi étaient complètement figés, eux aussi, et les habitants du ghetto avaient tous reculés d'un pas, effrayés. Seule Raksha restait sereine, se contentant d'une paresseuse expression agacée. Pourrave pivota sur lui-même et dit d'une voix toujours aussi calme :
- Je commence à perdre patience, Raksha. Relâche mes élèves immédiatement, ou je vais vraiment me fâcher.
- Ce ne sont pas les professeurs de Lettockar qui font la loi ici, Pepino ! répliqua-t-elle d'un ton mordant. C'est moi qui décide du sort des idiots qui se risquent à s'aventurer sans permission sur mon territoire, et pour me voler, en plus ! Je suis dans mon droit, si j'ai envie de les buter.
- Quitte à prendre le risque que Suppurus Grog omette malencontreusement un ingrédient dans la potion Tue-Loup du prochain mois, et qu'à cause de ça vous vous transformiez à nouveau en bêtes sauvages pour vous entre-tuer une énième fois ? dit Pourrave, le visage durci.
- C'est une menace, professeur ? lança Raksha d'une voix forte alors que des murmures indignés étaient prononcés par ses congénères.
- Une hypothèse, tout au plus.
Raksha Roma souffla des narines avec férocité et serra les poings sous l'effet de la fureur, mais Pourrave ne broncha pas. De son côté, Kelly était terrifiée par cette discussion. Pendant un instant, elle avait cru qu'ils étaient tirés d'affaire, mais Raksha Roma envisageait toujours très sérieusement de les vider de leur sang, malgré la présence d'un de leurs professeurs. Leur sort était encore incertain, et leur peur toujours inchangée. Surtout que la Reine dans la Montagne était à présent furieuse.
- Ça changera jamais, alors ? s'exclama-t-elle. Vous, les sorciers normaux, vous nous prenez toujours de haut, nous les loups-garous. Vous nous traitez toujours comme des métèques, des sous-êtres. Vous nous dictez toujours ce qu'on doit faire, on doit toujours se plier à vos règles.
- T'es une sacrée ingrate, Raksha, répliqua Pourrave. Niger a fait en sorte d'améliorer votre sort. Il vous a offert des logements bien plus décents que les cabanes en merde séchée auxquelles vous aviez droit, il a fait abattre les murs qui vous emprisonnaient dans votre ghetto auparavant, et désormais tu as le droit de le voir en personne si tu le demandes. Dès qu'elle a été inventée, on vous a distribué gratuitement de la potion Tue-Loup, chaque mois, sans faille. Alors je t'en prie...
- Des clopinettes ! le coupa la maîtresse du ghetto. On est toujours des parias. On est toujours consignés dans ce quartier séculaire comme des pestiférés, et en plus, tu viens de prouver qu'on a même pas le droit d'y faire ce qu'on veut !
- Ce n'est pas pour débattre de ça avec toi que je suis venu jusqu'ici, Raksha Roma. Une bonne fois pour toutes : libère mes élèves, et tout le monde aura la paix.
Le ghetto fut une nouvelle fois complètement silencieux. Les loups-garous se regardaient d'un air perplexe ou bien gêné, et se murmuraient des paroles déroutées entre eux. Leur Reine se mit à faire les cent pas, plongée en pleine réflexion. Kelly guettait le moindre de ses mouvements, la moindre de ses expressions. Elle ne parvenait pas à déterminer si le professeur Pourrave avait le dessus dans les négociations, même si ses propos avaient certainement fait mouche. Elle restait persuadée que leur destin demeurait à la merci de la scélérate, dépendait de sa docilité envers Lettockar.
- La liberté de tes élèves, il va falloir la gagner, Pepino, dit enfin Raksha.
- La gagner ? Comment ?
- Je te propose un Rap Battle. Le gagnant pourra disposer des trois mouflets.
Un rugissement enthousiaste et plein d'appétit retentit depuis la masse des résidents du ghetto. Leur suzeraine avait fait démonstration de ses talents, ce défi était donc pour eux un événement de premier ordre. Kelly et John se consultèrent du regard – Naomi souffrait beaucoup trop pour pouvoir réagir. L'heure de vérité avait sonné pour eux. Pourrave, lui, réfléchit un instant, triturant le bout de sa barbe d'un geste absent.
- Très bien, j'accepte ton défi.
- Parfait ! Alors monte sur scène, Pepino Pourrave, et subit le flow de Raksha Roma !
Alors que les loups-garous, galvanisés, hurlaient leur joie à pleins poumons, elle tendit la main au professeur Pourrave. Il s'en saisit, et elle le tracta pour le faire monter sur l'estrade à ses côtés. Kelly, John et Naomi eux, furent à l'inverse écartés et descendus au pied de l'installation par leurs tenants – sous d'autres gémissements de la pauvre Naomi, qui souffrait de sa jambe cassée en se déplaçant. Puis, Raksha claqua trois fois dans ses mains. Une table et des chaises furent apportées et placées au bas de la scène, et trois personnes – deux femmes et un homme – s'y installèrent, l'air attentif. Sans doute était-ce le jury.
- Ne t'inquiète pas, le match ne sera pas truqué, expliqua Raksha à Pourrave qui regardait les juges d'un air sceptique. Tous mes petits bouts de chou aiment la compétition, ils sauront reconnaître le vainqueur, même si ce n'est pas moi. Tu le verras à l'applaudimètre !
Pourrave hocha la tête sans dire un mot. Kelly, qui ne quittait pas les compétiteurs des yeux, espérait sincèrement qu'il savait ce qu'il faisait : que leur vie dépende d'un absurde Rap Battle était abracadabrant. Que se passerait-il si leur professeur de botanique perdait ? Il allait les laisser se faire dépecer devant lui, et rentrer à Lettockar tout seul, la queue entre les jambes ? Et au matin, lors du petit déjeuner dans la Cantina Grande, il y aurait une annonce faite aux élèves comme quoi trois de leurs camarades étaient introuvables, que nul ne savait ce qu'il était advenu d'eux ? Pas rassurée le moins du monde par la perspective de cet affrontement entre Pepino Pourrave et Raksha Roma, elle envisageait les pires des scénarios. Tout ne tenait qu'à un fil, si fin et si fragile…
Tout comme lorsqu'elle avait chanté pour la première fois, Raksha attrapa au vol le micro lancé par un de ses séides. Une nouvelle musique sortit des enceintes, encore plus forte et agressive...
- Vous êtes là pour du sang, vous autres ?! hurla-t-elle dans le micro.
Toute l’audience hurla à la lune et clamait « RAK-SHA ! RAK-SHA ! », en rythme sur l’instrumental démoniaque : une basse lourde, des cymbales acérées, une grosse caisse tonitruante et une caisse claire comme une claque, le tout accompagnant une espèce de piano presque désaccordé qui tournait en boucle sur le rythme binaire… C’est ainsi que la reine des loups entama son couplet, en prenant une voix monstrueuse et éraillée.
Montagne interdite, prend pas d’synthétique
Bâtard t’as fumé ? T’as cru qu’j’avais un brin d’éthique ?
ZGRRAAAHH !! Pathétique !
T’as cru j’étais sympa et j’allais te donner la réplique ?
TA MERE LA MOLDU j’la baise j’la graille j’lai pourfendue !
Y’a quoi ? T’es tout tendu ? Alors tu m’as bien entendue ?
Pauvre glandu ! Mon flow ferait flipper un pendu !
Si j’te dévore au p’tit déj pour une fois tu seras rendu !
Ici t’as tort et le tort tue, les loups-garous sont de sortie
Mes syllabes te torpillent et te plument façon harpie
Trois petits gorets viennent à moi, j’les assaisonnerai aux orties
Qui viendra les sauver ? Sûrement pas un prof amorti
Retourne à ton bureau, t’inquiète pour la marmaille
Ça fera moins d’effectifs, moins d’chiards qui s’chamaillent
C’est moi qui fais la loi, retour de karma
Leur destin est scellé, et son nom c’est : RAKSHA !
Les loups-garous acclamèrent leur cheffe. L’applaudimètre grimpait de manière fulgurante. Kelly, John et Naomi ressentirent des haut-le-cœur : les 16 mesures d’horreur de Raksha Roma les clouaient sur place. Elle souriait de toutes ses dents pointues : son flow était efficace, précis, elle marquait les temps forts comme de véritables coups de griffe.
Le jury distribua trois notes : 9.2, 8.9 et 9.4. Les jurés avaient des sourires malicieux et carnassiers, leur cheffe était fière de son entrée en matière, et ils étaient fiers de leur cheffe.
- Mais comment Pourrave va pouvoir surenchérir après ça ? glapit Naomi.
- Il a intérêt à se réveiller le bulbe, ce vieux dingue ! dit John entre deux claquements de dents.
Il était leur seul espoir. La DJ stoppa l’instrumental, fit quelques scratchs, et droppa un nouveau beat, avec un petit son d’orchestre en guise de sample. Pourrave, qui avait écouté son adversaire sans sourciller, attrapa à la volée un autre micro qu’on lui avait lancé. Il regardait Raksha bien en face, quand d’un coup, il mima un appel téléphonique : ainsi commençait son couplet.
Allô ? Le département des mystères ? Vérifiez vos prophéties
Quelqu’un va se prendre une leçon et je vois qu’un seul prof ici
Fais profil bas, j’pourrais t’avada kedavra mais c’trop facile
Pendant que tu bégayes au tableau j’peux aligner mes strophes assis
Original Pourrave pour le Lettocklan, te fume comme un quatre-feuilles
J’parle pas du trèfle : ta bande de consanguins portera l’deuil
Avec vos tronches de ploucs, vous avez l’air de pédophiles
Tranquille, j’inspire tes cendres et j’recrache de la chlorophylle
Fais tes prières, louloute, j’m’en tape de quel Dieu tu loues
Je confectionne mes rimes comme mes potions : tue-loup
Pépino crache ses pépins comme une balle d’argent dans ton cœur
Vétérinaire ou gynéco ? En tout cas va voir le docteur
T’attaquer à des enfants ? Ma grande ‘faut t’faire piquer
Si tu connectais deux neurones j’pourrais essayer d’t’expliquer
Mais c’est mort, fais-toi du bien rentre à la niche
Si j’voulais gérer une chienne en chaleur je me s’rai acheté un caniche
La dernière punch fit mouche. Le troupeau de supporters de Raksha lâcha des cris de subjugation : c’était l’irrespect le plus total, leur cheffe devrait surenchérir ! Cette dernière regardait Pourrave avec méfiance et respect, comme si elle prenait conscience d’avoir sous-estimé ses compétences de Maître de Cérémonie. Elle se pourlécha les babines d’un air vexé.
Les notes tombèrent : 9.3, 9.3 et 9.5 !
- Purée, on a une chance d’être sauvés ! lâcha Kelly.
- Pour une fois je suis sacrément fier du vieux Pourrave ! ajouta John.
- Vous croyez que c’est fini ? espéra Naomi.
Ce n’était pas fini. Même rengaine : la DJ lâcha quelques scratchs, le temps de chercher un nouveau vinyle. Cette fois-ci, le sample était celui d’une voix d’outre-tombe, et le tempo était plus lent que les deux fois précédentes. Une atmosphère sinistre s’installa. Alors, Raksha Roma prit une posture guerrière et lâcha son plus féroce fast flow :
La reine dans la montagne assène cent trois frontales dans ta face de pochard, j’te refais le portrait
Du sang sur mes pochoirs, t’es dans ton désespoir et maintenant c’est trop tard pour fuir à Lettockar
Tête au carré j’éclate quand l’étau se resserre, j’renvoie ta face de drogué dans ta serre
Révise tes sorts si ça t’rassure, ma morsure te prépare une mort sûre
Pauvre merde t’es transparent, ton flow est tellement prévisible
T’as pas besoin du bonnet de Gilluc pour être invisible
J’te rend tes viscères hors-services, tes racines me rendent irascibles
Raksha Roma invincible, prie pour toi si elle te prend pour cible
Ici c’est hip-hop lycanthrope avec la meute on est au top
Tu peux plus appuyer sur Stop, fais juste un flop comme une salope
Je vais tellement te défoncer que tu vas arrêter la clope
Tu peux me croire, je lis l’avenir : dans le tien un sombral galope
Alors me parle jamais d’prophétie et réserve tes cours pour les gamins
Chez toi ils usent du sac à dos, ici ils servent comme sac à main
Quand j’aurai arraché leur peau et les fait rôtir sur ma broche
Promis je te ferai un tricot avec le scalp de ces trois mioches
C’était le come-back du triomphe : toute la meute lâcha des hurlements conquérants et exaltés, le jury se leva et se joignit à la standing ovation. Raksha faisait des grands gestes avec ses bras, assurée de sa victoire : l’applaudimètre était sur le point d’exploser.
9.6, 9.5 et 9.9. Pourrave était au pied du mur. Non seulement il n’avait le droit à aucune erreur, mais il devait sortir un miracle. Kelly, John et Naomi n’osaient ni se regarder, ni le regarder : leurs mâchoires crispées, toute leur attention était fixée sur la réplique de leur professeur de botanique.
La dernière instrumentale sur laquelle Pourrave devait poser était symphonique, puissante et belle. Alors, il ferma les yeux un instant, les fixa dans ceux de Raksha et entama l’ultime couplet.
Tu t’es prise pour la reine du Scrabble en rentrant dans la « gros-mot zone »
En tout cas si tes mots comptent triple c’est pareil pour tes chromosomes
Pleure tes larmes de crocodiles, fais tes blagues sur les sacs à main
Le seul sac que je vois c’est toi : « Doit faire ses preuves à l’examen »
Maintenant ton style c’est « doggy bag » ? J’te préférais en doggy style
Quand j’te f’sais hurler à la lune, on t’entendait à 600 miles
J’peux ressortir les vieux dossiers : Raksha à l’école des sauciers
Succombait à mon maléfice du saucisson sans s’en soucier
Ça t’monte au nez avec mes herbes, Raksha Roma tique ?
Je redescends de ta montagne, te laisse en stress post-traumatique
C’est moi qui livre tes potions, mais j’vais quand même me payer ta fiole
Je crois que t’as oublié tes yeux quelque part au Chemin de Traviole
Toute ta meute a la bave au bec, alors venez j’ai du vaccin
Ou bien vous sonnez la retraite, ou bien vous sonnerez le tocsin
Vous êtes incapables de me mordre j’ai votre cheffe et j’ai vos dents
Je lâche le mic, j’sors ma baguette pour tuer la bête du Gévaudan
La musique s'arrêta d'un seul coup, et le dernier couplet de Pourrave fit exploser l'applaudimètre. Raksha regarda les siens, médusée, tandis que son adversaire posait négligemment le micro par terre et descendait très tranquillement de la scène.
Une fois les acclamations retombées, les trois membres du jury discutèrent entre eux à voix basse pendant une bonne minute, sous le regard intéressé de tout le monde. Enfin, l'homme se leva, s'avança vers la scène, s'éclaircit la gorge et dit à Raksha d'une voix timide :
- Dame Raksha… nous ne voudrions pas vous manquer de respect, mais il semblerait bien que le professeur Pourrave ait...
En voyant sa maîtresse le fusiller du regard, le gringalet se recroquevilla et fit un pas en arrière. La Reine dans la Montagne enfonça ses mains dans les profondes poches de son pantalon et se mit à déambuler lentement en rond sur la scène, ses yeux strabiques braqués sur le sol, comme si elle réfléchissait et qu'elle était énervée de devoir le faire. Voyant que le professeur Pourrave la regardait avec un sourire narquois, elle cracha par terre.
- O.K…. O.K, O.K, O.K !! cria-t-elle tout à coup, sa voix allant crescendo. TU AS GAGNÉ ! Tu peux prendre les morveux avec toi. Libérez-les, ordonna-t-elle à ses sbires.
D'innombrables onomatopées déçues parcourent les rangs des loups-garous, pendant que ceux qui retenaient Kelly et ses amis prisonniers coupaient leurs liens. Tétanisés, ils tombèrent à genoux, Naomi poussant un nouveau gémissement de douleur. Kelly ahanait, mais un soulagement qui avait quelque chose de bouleversant la gagnait. Ils étaient sauvés. Leur monstrueux calvaire prenait fin. Ils avaient échappé à la mort et allaient rentrer à l'école.
- Allez, venez les enfants, dit Pourrave d'une voix paisible.
Kelly vit John se précipiter vers Naomi, lui passer ses bras sous son dos et ses cuisses et la soulever précautionneusement. Un des hommes qui les avaient capturés mit dans la poche du jeune homme les deux baguettes magiques qu'ils avaient confisquées. Kelly, quant à elle, se releva en titubant et courut vers son professeur en tremblant comme une feuille. Ce dernier posa ses mains sur ses épaules dans une attitude réconfortante. Quand John et Naomi les eurent rejoints, Pourrave toisa l'assemblée et claironna :
- Je vous souhaite une bonne soirée à tous. En espérant que vous ne nous tiendrez pas trop rigueur de cet incident.
- Le temps où vous pouviez nous contenir ici sera bientôt terminé, Pepino ! s'écria Raksha, sa voix rauque résonnant dans tout le ghetto. Les choses vont changer. Quelque chose gronde, dehors. De l’autre côté de la mer, un grand voile noir grandit, et bientôt, il vous traquera. Bientôt, vous ne pourrez plus vous cacher. Bientôt, il recouvrira la terre entière !
Le professeur Pourrave tourna très lentement la tête pour regarder Raksha, les yeux écarquillés. Pour la première fois, il eut l'air terriblement inquiet. La louve-garou soutint son regard, les bras croisés et la mâchoire serrée. Puis, le professeur de botanique fit signe à ses trois élèves de le suivre. Les adolescents, toujours terrorisés par les loups-garous qui s'écartaient à leur passage, prirent soin de ne croiser le regard d'aucun d'entre eux. Un silence de plomb régna pendant tout le temps qu'ils prirent pour traverser le ghetto. Tout au long du chemin, Kelly chercha sa baguette magique des yeux, mais sans succès. Et malheureusement, elle savait qu'ils devaient partir du ghetto au plus vite, et qu'elle n'aurait pas le temps de la chercher plus activement. Un profond désespoir mêlé à un sentiment d'humiliation la gagna. Comment allait-elle faire, sans sa baguette magique, durant ces derniers jours de l'année à Lettockar ? Comment allait-elle suivre les derniers cours ? Elle se sentit amputée, estropiée. Quoi de plus ridicule que d'être une élève en sorcellerie sans pouvoir faire de magie ?
Quand ils furent enfin seuls dans le long corridor taillé dans la pierre, Naomi éclata en sanglots hystériques, qui s'enfoncèrent comme des couteaux aiguisés dans l'âme de Kelly, qui était elle-même à deux doigts de craquer, encore dévastée par ce qu'ils venaient de vivre.
- Elle… elle a v-v-voulu nous tuer… gémit Naomi, la voix cassée. E-elle était p-prête à nous t-t-tuer !
- Calme-toi, Naomi… lui dit John avec tendresse, en la blottissant contre son torse. C'est fini.
- Elle était prête à nous tuer… répéta-t-elle, incapable de se contrôler. Même devant vous, professeur…
- Raksha voulait juste vous faire peur, Naomi, affirma Pourrave d'un ton apaisant. A partir du moment où elle m'a vu arriver, elle savait qu'elle ne pouvait pas se permettre de tuer trois élèves de Lettockar. Je n'ai accepté son Rap Battle que pour les caresser dans le sens du poil, sans mauvais jeu de mots. Ils sont un peu nerveux, ces temps-ci…
Kelly aurait voulu l'interroger sur l'étrange tirade de Raksha, et sur la raison de cette « nervosité » des loups-garous, mais le visage fermé du professeur Pourrave lui fit comprendre qu'il ne lui répondrait pas. Elle chercha John du regard, et lut dans ses yeux qu'il estimait la même chose.
- Au fait, vous avez un sacré flow, professeur, dit le jeune homme en essayant courageusement de détendre l'atmosphère.
- J'ai été formé par Niger Doubledose. Cette amatrice n'avait aucune chance, répondit-il, retrouvant l'espace d'un instant son habituel air fantasque.
Kelly aurait pu sourire si son esprit n'avait pas été aussi tourmenté. Dans sa tête surgissaient par éclairs les moments les plus affreux de cette soirée. Comme si Raksha Roma et sa meute avaient désormais une loge dans son cerveau….
Arrivés au bout du tunnel, ils se retrouvèrent sur la vaste corniche. Le professeur Pourrave s'approcha du bord, regardant le pied de la montagne. Kelly déglutit en se rendant soudainement compte à quel point elle était abrupte, pratiquement impossible à descendre à pied. A l'allée, ils ne s’étaient pas inquiétés outre mesure de la raideur de la pente, aidés qu'ils étaient par la Perruque de Scravoiseux. Mais en cet instant, il serait plutôt malvenu d'utiliser une Relique de Fondateur devant un de leurs professeurs, et en plus, Naomi ne pouvait à présent être transportée dans de telles conditions...
- Professeur, vous, comment vous êtes arrivé jusqu'ici aussi vite ? demanda John.
- Il existe un passage secret, quelque part dans la salle commune de PatrickSébastos, qui emmène tout droit à l'intérieur de la Montagne Interdite, répondit Pourrave. Je m'en sers pour apporter discrètement la potion Tue-Loup au ghetto. Mais on ne va pas le prendre pour revenir. Vous comprendrez bien que je préfère ne pas vous montrer un autre moyen de sortir en loucedé de Lettockar… ajouta-t-il avec froideur.
- Mais alors, comment on va redescendre ? demanda Kelly avec anxiété. Ça va être impossible, avec Naomi…
- Je peux nous faire transplaner jusqu'en bas de la montagne, dit Pourrave en attrapant le biceps de John. Le sortilège anti-transplanage de Lettockar ne s'étend pas jusque-là. Ensuite, il faudra retraverser la plaine à pied.
Il fit signe à Kelly d'agripper son bras gauche. La jeune fille acquiesça et s'accrocha fermement à son professeur. Pourrave prit une grande inspiration, et les téléporta.
C'était la première fois que Kelly transplanait, et elle fut particulièrement répugnée par la sensation. Tout autour d'elle disparut, remplacé par du noir. C'était comme si elle avait été brutalement introduite dans une sorte de tuyau beaucoup trop étroit pour son corps : sa poitrine et sa tête subissaient une pression insoutenable. Elle avait l'impression que quelqu'un enfonçait ses doigts dans ses orbites, comme pour faire rentrer ses yeux à l'intérieur de son crâne.
Tout s'arrêta d'un seul coup, et Kelly atterrit brutalement sur ses deux pieds. Elle regarda tout autour d'elle : ils étaient bel et bien arrivés dans la plaine verdoyante qui s'étendait entre le château de Lettockar et la Montagne Interdite, que le professeur Pourrave, droit comme un I, contemplait impassiblement. John, quant à lui, était tombé à genoux, mais il était parvenu à ne pas laisser tomber Naomi. Il regarda le visage de son amie d'un air inquiet, écarquilla les yeux, puis s'écria d'une voix brisée :
- Professeur, Naomi a perdu connaissance !
- C'est très compréhensible… j'imagine que dans son état, elle n'a pas supporté la sensation du transplanage.
A ces mots, le professeur de botanique ressortit sa baguette magique et fit apparaître un brancard qui lévitait à un mètre au-dessus du sol, comme l’avait fait Harouna Vüvnir il y avait quelques mois. John s'en approcha et y déposa Naomi avec douceur, prenant soin à ce que sa jambe cassée soit dans une position confortable. Puis, Pourrave partit d'un pas vif en direction de Lettockar, et la civière flottante lui emboîta le pas. Kelly et John les suivirent, tâchant de soutenir l'allure de leur enseignant, malgré leur fatigue et leurs membres endoloris.
Un silence embarrassé planait sur leur marche, que Kelly ne rompit qu'au bout d'une minute.
- Professeur Pourrave… merci. Merci un million de fois. Vous nous avez sauvé la vie… nous ne vous en serons jamais assez reconnaissants.
- Et tout ça pour quoi, je vous le demande… marmonna Pourrave d'un air sombre.
- L'autre folle vous a dit ce qu'on était venu chercher, dit John d'une voix contrite.
- Oh, je n'ai pas eu besoin de Raksha pour le savoir. Figurez-vous que ça fait plusieurs mois que vos professeurs se doutent que la Quête des Reliques a été relancée. En fait, depuis ce jour où toi, John, tu as vaincu Poséidon en combat singulier.
John grimaça, confus. La crainte que leur groupe avait eu ce jour-là s'était vérifiée : la défaite de McGonnadie avait mis la puce à l'oreille de leurs professeurs.
- Dès ce moment, on s'est beaucoup interrogés sur les raisons de cette victoire invraisemblable, poursuivit Pourrave. Petit à petit, l'hypothèse que des élèves se soient emparés de la Perruque d'Augousto Scravoiseux a fini par nous venir à l'esprit. Cela nous a rendus terriblement inquiets. Pour vous. Vous courriez un très grave danger. Malheureusement, nous n'avons pas trouvé une occasion de vous confondre...
Le professeur interrompit sa marche. John et Kelly s'arrêtèrent en même temps, suspendus à ses lèvres, bouleversés qu'ils étaient.
- Au nom de tous les collègues, déclara enfin Pourrave, le dos toujours tourné, je vous demande pardon. Pardon qu'on ne s'en soit pas aperçus plus tôt : on aurait pu prendre des mesures pour vous protéger...
- Nous protéger ? s'exclama Kelly, indignée. En nous empêchant de trouver des objets de pouvoir qui mettraient fin à votre domination ? Vous nous prenez pour des billes ?
Pourrave se retourna brusquement, et jeta à Kelly un regard foudroyant qui la fit se raidir. Elle sut qu'elle était allée trop loin. Leur professeur de botanique leur avait sauvé la vie, et elle trouvait le moyen de l'accabler de reproches. Immensément honteuse, elle baissa les yeux et dit d'une voix étranglée :
- Je… pardon, professeur. Je n'ai pas le droit de vous dire ça. Je suis ingrate.
- Vous savez ce qu'il fait, le Bonnet de Philippe Gilluc ? interrogea Pourrave d'un ton glacial.
- Quoi ? Euh, et bien… il rend son porteur invisible et...
- Ouais, tellement invisible qu'à force de le porter, on ne peut même plus redevenir visible, même si on l'enlève. Il efface petit à petit toutes les parties du corps. Vous auriez pu disparaître totalement, condamnés à vivre à jamais sans pouvoir être vus de personne. C'est plutôt cher payé pour acquérir un pouvoir d'invisibilité, non ? Vous pouviez vraiment pas attendre de savoir lancer des supers sortilèges de Désillusion, bande de cons ? s'écria le botaniste avec colère.
Kelly et John se ratatinèrent, comme matés par la voix irritée de leur professeur. Derrière eux, le brancard flottant émit quelques grincements. Devant leur désarroi, Pourrave soupira et leur dit d'une voix plus douce mais peinée :
- Désolé d'être aussi sec, mais il faut que vous compreniez ce que vous avez risqué. Depuis la seconde génération des professeurs de Lettockar, une tâche secrète leur a été confiée : dissuader les élèves de se mettre à la recherche des Reliques des Fondateurs, tout cacher à leur sujet, pour qu'ils ne les découvrent pas, et qu'ils ne soient détruits par elles.
Kelly et John s'échangèrent brièvement un regard, cachant tant bien que mal le choc que leur avait causé la révélation quant au pouvoir maléfique du Bonnet. Kelly réalisa avec horreur qu'en réalité, ça ne la surprenait pas tant que ça. Elle avait constaté elle-même les effets désastreux qu'avaient causé les autres Reliques sur ses camarades en contrepartie des pouvoirs qu'elles leur avaient octroyés, et depuis plusieurs jours, elle avait commencé à se douter que le Bonnet de Gilluc avait lui aussi un revers de la médaille. Ainsi ses craintes étaient justifiées. Les Reliques des Fondateurs apportaient plus de mal que de bien. Et de toute évidence, elles venaient à bout de leur possesseur bien avant qu'il ne soit devenu, comme le voulait la légende, le maître de Lettockar…
Et c'était un de leurs professeurs qui avait dû venir à leurs secours.
Alors Kelly les maudit. Elle maudit les Reliques, elle maudit leur quête, elle maudit tout ce temps passé à les chercher, toutes les épreuves qu'ils avaient dû affronter pour les acquérir, dont elle avait jadis tiré une grande gloire, mais qui ne lui inspiraient désormais que du dégoût. Ravagée par la colère et de chagrin, elle détourna la tête, pour échapper au regard de ses compagnons. John se triturait les mains, tout aussi consterné qu'elle.
- Professeur… commença-t-il faiblement.
- On a suffisamment parlé de ça pour ce soir, l'interrompit Pourrave. Vous avez besoin de soins. Quand on sera revenu au château, vous irez à l'infirmerie et y passerez la nuit. Juste avant que je parte, Madame Patatchaude a été prévenue qu'elle devait se tenir prêt à s'occuper de vous.
Il se retourna et reprit sa route. Alors que John et elle lui emboîtaient le pas, Kelly se souvint tout à coup de quelque chose qui l'avait interpellée :
- Professeur Pourrave, vous ne nous avez pas dit… comment avez-vous su que nous nous trouvions à la Montagne Interdite ? demanda-t-elle.
Kelly entendit alors un bruit de battement d'ailes tout près d'elle et vit une grosse forme noire à quelques centimètres de sa tête. Elle s'immobilisa en poussant un cri, puis s'aperçut qu'il s'agissait d'un corbeau qui se posait sur son épaule. Stupéfaite, elle plissa les yeux pour mieux le distinguer dans la noirceur de la nuit, et vit qu'il avait les yeux bleus, et qu'il tenait quelque chose dans son bec… sa baguette magique.
Alors que Kelly écarquillait les yeux, Pourrave s'arrêta, jeta un bref regard en arrière en direction du corbeau, et dit d'une voix placide :
- Big Teacher vous surveille.
Le corbeau aux yeux bleus tendit le cou. Kelly saisit délicatement sa baguette magique de son bec et la fit tourner entre ses doigts, parcourue une deuxième fois par un intense soulagement. Esquissant avec peine un sourire souffreteux, elle dit d'une petite voix au volatile :
- Merci, professeur McGonnadie.
L'Animagus cligna des yeux, lâcha un petit croassement et quitta l'épaule de Kelly pour voler à tire-d'aile en direction de Lettockar.