Lettockar, tome 3 : La folie des couvre-chefs

Chapitre 16 : Crins de Sombral

4613 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/08/2024 15:02

16. Crins de Sombral


Les temps étaient durs pour l’OASIS. Depuis plusieurs mois, la quasi-absence de progrès dans la recherche de la Perruque de Scravoiseux était la source de tourments et même de mécontentements. Dans ses visions offertes par la Boule de Curcumo, Peter était désespérément coincé aux pieds des arbres de la Forêt Déconseillée : chaque semaine, les questionnements des uns et des autres sur l’avenir de la Quête des Reliques croissaient et se faisaient de plus en plus pessimistes. Astrid et Peter commençaient même à paniquer… car dans quelques mois, ils auraient fini leur scolarité à Lettockar, et la probabilité qu’ils aient rassemblé les quatre Reliques d’ici là se faisait de plus en plus faible. Astrid, plus que tout autre, était persuadée que la Quête ne pourrait pas se poursuivre sans eux. Kelly elle-même commençait à se décourager… et bien qu’elle préférait ne pas leur en parler de peur de les faire douter au point de provoquer leur départ de l’OASIS, elle savait que c’était aussi le cas de John et Naomi.


Mais un petit événement vint leur changer les idées. Le jeudi, sur le temps du déjeuner, quelque chose de très inhabituel se produisit au château : il y avait quelque chose d’écrit au panneau des Nouvelles Officielles de Lettockar, autre que l’éternel « Tou va trait bien » de Viagrid. Un long texte en train d’être rédigé. Kelly et Naomi – John était retourné à la salle commune après le déjeuner – s’approchèrent, rejoignant la masse des curieux. Elles reconnurent l’écriture fine et pointue du professeur McGonnadie ; et en baissant les yeux, elles le virent effectivement devant toute la foule, en train d’achever une annonce à l’aide d’un sortilège :


OUVERTURE DU CLUB DE DUEL


Si vous souhaitez vous entraîner à l’art du combat de sorciers, le professeur Fistwick organise un club de duel auxquels tous les élèves sont encouragés à participer. La première séance se déroulera dans la Cantina Grande, le samedi 18 janvier à 14h. Si vous êtes intéressés, veuillez vous inscrire sur le formulaire ci-dessous.


Les badauds de plus en plus nombreux au pied du panneau s’échangeaient des murmures intéressés. Kelly demanda à Naomi :


- Qu’est-ce que t’en penses ?


- Bah, ça vaut le coup de s’inscrire, non ? Apprendre à se battre contre d’autres sorciers, c’est utile. On y va ?


- O.K. Tu nous inscrits toutes les deux ?


Naomi acquiesça et se mit à faire la queue devant la fiche d’inscriptions placardée juste à côté de l’annonce de l’ouverture du club. Tout à coup, une voix retentit derrière Kelly :


- Hey, c’est quoi cet attroupement ?


John venait d’arriver, un sourire détendu aux lèvres. Il était coiffé d’un nouveau couvre-chef : un chapeau melon marron aux bords très relevés, un peu trop petit pour lui, qui lui seyait encore moins que les précédents. C’était apparemment la raison pour laquelle il s’était absenté à la salle commune. Kelly observa d’un air stupéfait à la fois le chapeau et l’air fanfaron de John. Il le triturait de façon beaucoup trop ostentatoire pour que ça ne soit pas prévu pour qu’on le questionne à ce sujet. Effectivement, les personnes de leur année qui se trouvaient dans le coin le remarquèrent. Cela attira aussi l’attention de McGonnadie, qui haussa un sourcil intrigué et croisa les bras. Son amie Katerina Van der Praoüt fut celle qui brisa la glace :


- Un nouveau, John ?


- Ouais, je me suis lassé du galurin. Comment vous le trouvez ?


Kelly n’osait vraiment pas dire à quel point elle le trouvait ridicule, par peur de le vexer. Pas très fière de sa propre lâcheté, elle répondit de façon évasive :


- Ben… l’important, John, c’est que ça te plaise à toi.


- Un fez t’irait mieux, mon cher Ebay, si tu veux mon avis… intervint alors McGonnadie avec un rictus.


John se renfrogna tandis que des rires éclataient autour d’eux, et pour une fois, Kelly dut faire de sérieux efforts pour ne pas rigoler.


14 heures : ils avaient cours de Gestion de bestioles. Quand ils furent à proximité de la cabane de Viagrid, ils découvrirent de gros tas bleus et informes sur le sol. En s’approchant, ils s’aperçurent que c’était des amas de cadavres de lutins de Cornouailles. Un déplaisante odeur de sang et de viande planait dans les airs. Viagrid était occupé à pelleter les petits corps qui jonchaient le sol, faisant grossir la masse un peu plus à chaque fois.


- Bon, j’ai une mauvaise nouvelle, les lutins de Cornouailles se sont échappés de leurs cages et se sont entre-tués ce matin, déclara-t-il quand toute la classe fut rassemblée.


- Oooh, c’est trop dommage, on était si impatients de leur torcher les fesses… ironisa John.


- Ouais, c’est tellement dommage que vous allez devoir récupérer leurs ailes sur leurs carcasses, répliqua Viagrid. Ce serait trop con de perdre tous ces bons ingrédients pour les potions ! Allez, grouillez-vous, allez chercher des gants, des couteaux et des seaux !


Les troisième année lâchèrent tous un grognement apathique. Ils allèrent chercher le matériel dans l’énorme cabanon du potager de Viagrid, puis se rassemblèrent instinctivement par maison autour des différents tas. Ils se mirent au travail sans le moindre entrain. Il était particulièrement répugnant de se saisir des petits cadavres et de faire face à la bouche entrouverte et aux yeux morts des lutins bleus. De plus, leurs doigts étaient engourdis par le froid malgré leurs gants de travail, ce qui n’arrangeait pas les choses. Kelly, agacée par la tâche, découpait les ailes des lutins avec brutalité, en en perdant la moitié au passage, ce qui lui valut les réprimandes de Viagrid :


- Mais vas-y plus délicatement, bourrique ! 10 points de moins pour Dragondebronze !


- Pfff, mais à quoi ça sert d’arracher leurs ailes aux macchabées de ces cons de lutins ? persifla Kelly à voix basse.


- Ça sert pour les potions, Viagrid nous l’a dit y’a 10 minutes, lança Martoni d’un ton pédant.


- Ta gueule, toi.


- Reste polie, Mamie la Poudre, ou c’est la retenue, lui lança Viagrid, qui l’avait entendue. J’ai de la lessive en retard, en plus.


Une demi-heure plus tard, le cours prit une toute autre tournure quand soudainement, le cadavre d’un lutin de Cornouailles s’éleva du sol. Les gens crurent que quelqu’un utilisait un sortilège de Lévitation, mais il n’en était rien : le lutin mort venait de se soulever tout seul. Et tout à coup, son corps fut tordu dans tous les sens, et une moitié disparut avec une trace de déchirure, comme s’il était croqué par quelque chose d’invisible. Les élèves hoquetèrent de surprise, puis virent qu’il arrivait la même chose à deux autres dépouilles de lutin.


- Aaaaah, c’est dégueu ! s’écria un garçon de Becdeperroquet. Qu’est-ce qui se passe ?


Tout le monde avait cessé de découper les ailes de lutins et avait les yeux rivés sur le mystérieux spectacle. En regardant tout autour d’elle en quête d’une explication, Kelly s’aperçut que Naomi avait une expression différente du reste de la classe. Elle paraissait tout aussi troublée, mais pas d’incompréhension : d’effroi. Naomi leva un index tremblant en direction des lutins flottants et demanda à tout le monde :


- Vous… vous voyez rien ?


- Voir quoi ? Les cadavres qui volent ? Oui, plutôt, répliqua Martoni d’un ton acerbe.


- Mais non, les chevaux !


- Les chevaux ? Quels chevaux ?


Tous les regards étaient à présent tournés vers Naomi. Celle-ci passa sa langue sur ses lèvres, et se tourna vers le garde-chasse de Lettockar.


- Viagrid, ce sont des Sombrals ? demanda-t-elle.


- Tout juste, confirma-t-il. On en a tout un troupeau, dans la Forêt Déconseillée. Z’ont dû être attirés par l’odeur de la barbaque...


- C’est quoi, des Sombrals ? interrogèrent plusieurs personnes perplexes.


- Bah tiens Jane, explique, moi j’ai la flemme, dit Viagrid.


Il but une rasade du contenu de sa flasque. Naomi jeta un regard manquant d’assurance vers les fameux Sombrals, s’éclaircit la gorge et expliqua à ses camarades :


- Ce sont des grands chevaux avec des ailes comme celles des chauve-souris. Enfin, des chevaux… ou presque, je peux vous assurer qu’ils sont pas très beaux : leur tête ressemble plus à celle d’un dragon. Ils sont squelettiques, on dirait qu’ils ont de la membrane à la place des crins… et des yeux complètement blancs. Ils sont carnivores, et attirés par l’odeur du sang. Et seuls…


Elle s’interrompit. Sa voix était partie dans les aigus sur ces deux derniers mots.


- Seuls ceux qui ont vu quelqu’un mourir peuvent voir les Sombrals. Ils restent invisibles pour tous les autres.


Une vague de malaise parcourut toute la classe. Le visage de Naomi s’assombrit, et elle baissa la tête. Kelly savait à quoi elle pensait. A ce souvenir qui la hantait depuis ses six ans, du jour où elle avait vu son grand frère, Benjamin, renversé par une voiture. Discrètement, elle lui saisit la main. Personnellement, elle espérait qu’elle ne verrait jamais les Sombrals. Viagrid renifla bruyamment, son regard posé sur l’endroit où étaient les chevaux invisibles. 


- Ça faisait des années qu’ils étaient pas revenus dans le coin… marmonna-t-il d’un air pensif. Ils font un peu des allers-retours… des fois ils migrent vers ailleurs pendant longtemps, puis ils reviennent. Et cela depuis des siècles…


- Des siècles, carrément ? dit Heng Katchong.


- Ouais, carrément. Les anciens les appelaient « les cavales de Scravoiseux ». Mais j’ai aucune idée de qui les a mis dans la Forêt Déconseillée.


- Bah euh… peut-être Scravoiseux lui-même, non ? suggéra Kelly.


Viagrid haussa ses sourcils broussailleux et se gratta la tempe d’un index à l’ongle sale.


- Aaaah oui, pas con. Bon, assez parlé canassons, remettez-vous au travail !


Et la collecte d’ailes de lutins de Cornouailles reprit, dans un ennui profond. La seule chose qui maintint l’attention de Kelly éveillée durant les deux heures et demie restantes fut l’expression tendue et intense de Naomi. Kelly connaissait ce visage. C’était quand Naomi était tellement perdue dans ses réflexions que plus rien n’existait autour d’elle. Rien ne pouvait perturber cette concentration fiévreuse, qui laissait présager un incroyable éclair de génie de la jeune fille. Kelly se demandait bien ce qui avait allumé cette flamme dans son cerveau...


A 17h, le cours de Gestion de bestioles prit fin. Après avoir lavé leurs mains tâchées de sang verdâtre, les troisième année se dispersèrent : la journée de cours était finie pour eux. Kelly vit Martoni sauter au cou d’Alexis Petropoulos, son copain ; après s’être embrassés langoureusement au point que Kelly trouva cela ridicule, ils partirent bras-dessus bras-dessous. Derrière eux, Stephen Borntobewaïld s’en alla de son côté, manifestement délaissé. Kelly les regarda s’éloigner, puis elle lança une réflexion à voix haute :


- Le pauvre Petropoulos, sortir avec cette pétasse… comment il fait ? Il est aussi con qu’elle ? 


- A tous les coups, c’est parce qu’elle suce bien, proposa John avec un grand sourire. Ça fait trois ans qu’elle s’entraîne avec les profs.


Kelly éclata d’un rire dégoûté et un peu coupable.


- C’est tellement… beauf ! Mais j’adore.


- Bon en vrai, j’imagine qu’en dehors des cours, elle doit avoir du charme, Martoni, dit John en haussant les épaules. Je connais un peu Alexis, c’est un mec cool. S’il sort avec, c’est qu’il doit y avoir une rais… eh mais, où est Naomi ?


Kelly se figea. Naomi avait disparu sans dire un mot. Il n’y avait plus que John et elle.


- Mimi ? dit-elle compulsivement en regardant aux alentours.


Il n’y eut pas de réponse. Abasourdis, Kelly et John se rendirent au parc de Lettockar, à la recherche de Naomi. Il n’y avait que quelques personnes qui y traînaient, vu le froid qu’il faisait, et elle n’était pas parmi eux.


Ils rentrèrent au château et se séparèrent pour mieux chercher. Pendant que John restait au rez-de-chaussée, Kelly monta les escaliers dans le but de se rendre à la salle commune de Dragondebronze. Mais au premier étage, elle tomba sans crier gare sur Peter et Astrid qui étaient en compagnie d’une fille que Kelly ne connaissait pas. Peter remarqua sa présence et lui dit aimablement :


- Ça va, Kelly ? Qu’est-ce que tu fais là ?


- Je cherche Naomi, répondit-elle. On avait un cours de Gestion de bestioles, et elle a filé juste après sans nous dire où elle allait… John la cherche aussi, de son côté. Vous l’avez pas vue ?


- Non, désolé.


Kelly retroussa les lèvres, contrariée, tandis Peter et Astrid la dévisageaient d’un regard perçant. Puis, elle regarda la personne qui les accompagnait. C’était une grande fille, de la maison Ornithoryx à en juger par le liseré noir sur son uniforme. Elle était d’une grande beauté. Elle avait des cheveux noirs mi-longs encadrant un visage au teint olivâtre, de grands yeux sombres et un joli petit nez ; un grain de beauté ressortait sur sa joue gauche. Son corps élancé était soutenu par un maintien gracieux. Voyant que Kelly attardait son regard sur elle, elle lui sourit d’un air bienveillant en guise de salut. Kelly lui rendit son sourire, puis se retourna vers Peter et Astrid, dans l’espoir qu’ils les présentent l’une à l’autre. Ce fut Peter qui devina ses pensées.


- Kelly, je te présente Angelica Diaz, une amie à nous, dit-il. Angelica, voici Kelly Powder.


- Enchantée, dit Kelly.


- Moi de même, répondit Angelica Diaz en hochant la tête.


Son regard s’arrêta sur les yeux vairons de Kelly, qui, taquine, fit exprès de les faire papillonner. Tout à coup, les sourcils fins d’Angelica se froncèrent légèrement, comme si une pensée venait de lui venir.


- Kelly Powder… c’est curieux, c’est un nom qui me dit quelque chose ? J’ai entendu parler de toi ?


- Euh, possible… bredouilla-t-elle, décontenancée.


- Kelly et ses amis, John et Naomi, ont fait beaucoup parler d’eux il y a deux ans… tu te souviens ? dit Peter. Quand trois petits première année ont fugué de Lettockar sans se faire punir par Doubledose… et bien, c’était eux !


- Mais oui ! s’exclama Angelica, les yeux ronds. Oui, je me souviens, ça avait fait un de ces bruits…


Elle sourit à Kelly, révélant des dents immaculées et parfaitement droites.


- J’avais trouvé ça assez énorme. Autant d’audace, dès votre première année ? Chapeau !


- Ha ha, merci, dit Kelly avec un petit sourire satisfait en coin.


- Dis pas ça en présence de Fistwick, ma p’tite Angelica, lui lança Astrid avec un sourire. T’es censée représenter l’ordre, je te rappelle.


- Je suis préfète d’Ornithoryx depuis cette année, dit-elle en réponse à l’air interrogateur de Kelly.


Elle tapota du doigt un insigne qui avait échappé à l’attention de Kelly.


- C’est moi qui lui ait tout appris, dit Astrid en rejetant la tête en arrière d’un air bravache.


- Ouais, ouais, tu m’as juste appris à engueuler les première année, répliqua Angelica. Pour le reste, heureusement qu’il y avait ton mec.


Kelly et Peter rirent en voyant la tête déconfite d’Astrid. Alors, Angelica se tourna vers Kelly, à la grande surprise de celle-ci, et lui dit franchement :


- Hé Kelly, tu voudrais pas nous refaire un coup comme celui de ta première année ? Genre un truc dont on parlerait pendant des mois ? J’m’ennuie en ce moment, je crois qu’une grosse émotion forte  me remuerait… 


- J’y travaille.


Il y eut un silence interdit. Cette phrase, qui n’était pas sans rapport avec la Quête des Reliques, avait totalement échappé à Kelly. Astrid et Peter la regardèrent avec des yeux ronds et stupéfaits. Elle se raidit, mortifiée par son lapsus, alors qu’en face d’elle, Angelica avait l’air intéressée. Elle se rattrapa en s’exclamant comme s’ils étaient idiots :


- Non mais je rigole, oh !


- Tsss, sale gosse, marmonna Astrid tandis qu’Angelica éclatait de rire.


- Bon, les loulous, dit celle-ci, désolé de vous fausser compagnie, mais faut que j’aille voir Vladimir. Ciao…


Apparemment, elle était aussi amie avec Vladimir Voulanoï, qui était en cinquième année à Ornithoryx, lui aussi. Après leur avoir adressé un beau sourire et un petit geste nonchalant de la main, elle s’en alla d’une démarche vaporeuse. Curieusement, Kelly la regarda fixement monter au deuxième étage. Alors, à peine quelques secondes après, John débarqua presque en courant, tout essoufflé.


- Je l’ai retrouvée, dit-il à Kelly.


- Ah ! Elle était où ?


- Je t’aide : Naomi y va plus souvent qu’aux toilettes.


- La bibliothèque ?


- Ouais, mais maintenant, elle est à la Cour des Mirages. Elle veut qu’on l’y rejoigne, enfin, surtout toi, Peter.


- Moi ? s’étonna l’intéressé.


- Oui, apparemment elle a une information qui te concerne en premier : c’est toi qu’elle m’a envoyé chercher. On y va ?


Un peu déconcertés, ils partirent pour la Cour des Mirages. Au pied de l’escalier qui donnait sur le troisième étage, ils croisèrent Madame Freyjard occupée à balayer les marches et à discuter avec le professeur Grog : ou plutôt l’écoutait-elle essayer désespérément de l’inviter à dîner en tête-à-tête. Pouffant de rire, ils se rendirent dans leur repaire secret. Naomi les attendait, debout derrière une des tables. Quand le portrait de la Cour fut refermé derrière le quatuor, elle déclara, sa voix parcourue d’une excitation passablement fébrile :


- Salut à tous. J’ai un truc très important à vous dire. Je pense avoir trouvé une information très précieuse au sujet de la Perruque de Scravoiseux, dans mes lectures...


Elle montra deux livres, posés sur la table devant elle, qu’elle avait empruntés à la bibliothèque. Astrid s’avança, en saisit un et lut sa couverture.


- Les Contes de Beedle le Barde ? s’exclama-t-elle alors d’un ton à la fois incrédule et hautain. Qu’est-ce qu’on va foutre avec un recueil de contes pour mioches ?


- S’instruire, rétorqua sèchement Naomi.


Elle arracha les Contes de Beedle des mains d’Astrid et lui tourna ostensiblement le dos ; puis elle se mit à feuilleter les pages pour trouver le chapitre qui l’intéressait. Astrid la regardait avec des yeux exorbités, outrée.


- Est-ce que l’un de vous connaît le Conte des Trois Frères ? interrogea Naomi à la cantonade. 


- Ça me dit un truc, dit Peter.


- Pas nous, dit John en son nom et celui de Kelly.


- Bon, je vais vous la faire en version rapide. C’est l’histoire de trois frères sorciers, qui ont obtenu des objets magiques très puissants de la Mort, qui cherchait à les duper. Le premier a demandé la baguette la plus puissante du monde : la Baguette de Sureau. Le deuxième a demandé une pierre permettant de ramener les morts à la vie ; et le troisième la Cape d’Invisibilité, qui lui permettait d’échapper constamment au regard de la Mort. Trois objets qu’on appelle communément les Reliques de la Mort.


- Et alors ?


- Pour les deux autres reliques, on n’en sait rien, mais ce qui est certain, c’est que la Baguette de Sureau, existe véritablement. Le Bâton de la Mort, la Baguette de la Destinée… elle réapparaît à plusieurs reprises au fil de l’histoire, sous différents noms de sorciers qui se sont vantés de posséder la plus puissante des baguettes. Jar Jar Binns nous en a parlé plusieurs fois en cours…


- Oui mais comme tout être humain normal, on écoute pas ce que raconte Jar Jar Binns, Naomi, rappela John.


- Ça se comprend, reconnut-elle en gloussant. Mais en ce qui me concerne, dès que j’ai appris l’existence de la Baguette de Sureau, je me suis demandé comment avait pu être conçu un objet aussi puissant… ce qui m’amène à mon deuxième livre.


Elle reposa le recueil de contes, et leur montra l’autre ouvrage. La fabrication des baguettes magiques : histoire, techniques et composants. Astrid, Peter, John et Kelly se regardèrent, toujours déconcertés, tandis que Naomi se mettait à nouveau à chercher le chapitre qui l’intéressait. Kelly ne comprenait décidément pas où elle voulait en venir.


- Ah, voilà ! dit Naomi quand elle eut trouvé la bonne page. C’est dans la partie du livre qui concerne les cœurs des baguettes, les matériaux qui sont généralement utilisés… et ceux qui le sont moins. Écoutez ça : les crins de Sombral peuvent être utilisés dans la composition d’une baguette magique, mais peu de fabricants se risquent à en faire usage. Il s’agit en effet d’un matériau puissant et complexe, maîtrisable seulement par les sorciers le plus accomplis, et qui risque de donner lieu à des baguettes instables et dangereuses. La rumeur veut que la Baguette de Sureau, objet semi-légendaire qui serait la plus puissante baguette jamais créée, contiendrait précisément un crin de queue de Sombral. J’avais déjà lu ça il y a un paquet de temps, donc après le cours de Gestion de bestioles, je suis allée me rafraîchir la mémoire. Toutes ces informations me conduisent à la conclusion suivante…


Naomi marqua une pause pour le moins théâtrale. Kelly sourit devant cette manœuvre franchement évidente pour faire durer le suspense. L’effet était réussi : les cheveux d’Astrid étaient violets, signe d’une grande curiosité ; Peter et John, quant à eux, avait les yeux plissés au point qu’ils n’étaient plus que des fentes. Au terme du lourd silence qu’elle avait installé, Naomi se décida enfin à révéler sa « conclusion » :


- La Perruque de Scravoiseux est faite avec des crins de Sombrals.


Il y eut un nouveau silence déconcerté. Les connexions neuronales de Kelly n’étaient apparemment pas au meilleur de leur forme, car sur l’instant, elle ne comprit absolument pas le rapport. Et John non plus, d’ailleurs, puisqu’il lâcha un seul mot ahuri :


- Quoi ?


- Tout se tient ! Les crins de Sombral sont la source d’une grande force magique : la preuve, ça a donné la plus puissante baguette de l’histoire ! Et Scravoiseux possédait tout un troupeau de Sombrals, Viagrid nous l’a appris tout à l’heure. Ceux qu’on a vu tout à l’heure sont sans doute leurs descendants. Il a dû leur prélever des crins pour fabriquer sa Perruque, ce qui a contribué à son pouvoir ! Ça ressemble bien à Scravoiseux d’exploiter des créatures magiques qu’il avait apprivoisé ; il n’élevait jamais d’animaux s’ils n’avaient pas une quelconque utilité pour ses expériences. Et en plus, ils les gardait dans la Forêt Déconseillée, là où on est pratiquement sûrs que sa Perruque se trouve.


Fière d’elle, Naomi laissa ses quatre camarades apprécier le génie de son raisonnement. Il fallait avouer que sa conclusion tenait debout, en tout cas, aucun d’entre eux ne trouva cela aberrant. Convaincu, Peter explosa de joie.


- Naomi, c’est génial ! Tu as trouvé une info hyper précieuse, grâce à ça j’ai une nouvelle donnée à communiquer à la Boule ! Merci, merci, merci !


Il se dirigea aussitôt d’un pas conquérant vers le piédestal de la Boule de Curcumo et retroussa ses manches. Inquiète, Kelly intervint :


- Attends, Peter, tu devrais peut-être attendre…


- Tatata ! Attendre quoi ? la coupa-t-il avec un geste d’impatience. Avec la trouvaille de Naomi, la question que je pose à la Boule va être plus précise ! Je vais arrêter d’errer dans la Forêt Déconseillée – à supposer que ça soit ça ! - je vais avoir une vision nette.


- Oui, mais…


- Ça suffit, Kelly, trancha Astrid. Ça fait déjà trop longtemps qu’on cherche la Perruque, il faut qu’on AVANCE. Vas-y, chéri.


Si Kelly avait voulu dissuader Peter de se servir tout de suite de la Boule, c’était avant tout parce que cela risquait de le fatiguer, mais apparemment, ça n’effrayait pas Astrid, qui n’avait par ailleurs ni remercié, ni félicité Naomi. Alors, Peter posa ses grandes mains sur la relique de Curcumo et ferma les yeux. Les étoiles de la Boule brillèrent de mille feux, et l’esprit surexcité du chef de l’OASIS fut absorbé pour lui parler une fois de plus.


La vision de Peter dura plusieurs minutes. Alors, il ôta ses mains et tituba en arrière. Il était pâle, couvert de sueur, et son souffle était court, rauque et saccadé. Cette tentative avait manifestement été plus éprouvante que les autres. Kelly s’en mordit le poing, et Naomi semblait presque regretter de l’avoir amené à utiliser la Boule. Même Astrid paraissait moins catégorique. Elle s’avança vers son compagnon et l’attrapa maladroitement par les épaules, avant de lui demander prudemment :


- Tu… as trouvé l’endroit ?


- Pas encore… mais je suis tout près… tout près...



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