Lettockar, tome 3 : La folie des couvre-chefs
15. Trop de pression
Les cours reprirent le 6 janvier, avec une bonne nouvelle pour les troisième année : Jar Jar Binns étant malade, ils n’auraient pas cours d’histoire en fin de journée. Après un cours sur la potion Sang de Granite où Grog avait retrouvé sa forme (« c’est pas pour les planqués et les danseurs étoiles, ce truc ! » avait-il dit), Kelly et ses amis allèrent à la Cantina Grande manger l’omelette aux pâtes du jour. Tout au long du repas, John changea à coups de Colovaria la couleur du panama qu’il portait ces temps-ci pour voir ce qui lui allait mieux.
- Comme ça, c’est comment ? demanda-t-il pour la énième fois aux filles en enfilant un chapeau bleu électrique qui piquait presque les yeux.
- Horrible, pourquoi pas jaune poussin, tant que tu y es ? s’exclama Kelly. Je le répète : noir c’est très bien, ça va avec tout.
- Ouais, mais j’ai déjà un béret noir, alors je veux changer ! rétorqua John. Allez Kelly, fais un effort, aide-moi !
- Mais t’es très beau, John, roucoula Naomi. Et de toutes façons, tes chapeaux sont… comment dire... éclipsés par cet uniforme barbant qu’on doit porter.
- Tiens donc ? Et qu’est-ce que la grande styliste Naomi Jane me conseille de porter pour être un mannequin ? ironisa John.
- Hmmm… je crois qu’un blouson de cuir t’irait bien, bel écuyer.
- « Bel écuyer »… il faut que je fasse quoi pour devenir « beau chevalier » ?
- Bon allez les deux moches, faut qu’on y aille, on a cours avec Fistulin, rappela Kelly.
En se rendant à leur cours de sortilège, ils apprirent qu’il avait encore lieu à la salle 104, là où on faisait des travaux pratiques. Fistwick les y attendait, à côté de cages remplies de tatous. Il faisait démarrer la rentrée sur des Choixpeaux de roues, puisque son cours portait sur le Sortilège de Stupéfixion. Cela faisait bien longtemps qu’ils entendaient parler de ce sortilège, certains – dont Kelly – l’avaient même vu être projeté. Beaucoup étaient très impatients d’apprendre à le lancer.
- Le sortilège de Stupéfixion – également appelé éclair – est l’un des sorts de combats les plus courants et les plus utiles, déclama Fistwick. Il permet en effet de neutraliser très rapidement un adversaire en le plongeant immédiatement dans une sorte de coma, avec une incantation facile et très rapide. Dans une école pourrie et surcotée du Royaume-Uni que je ne nommerai pas par respect pour elle, on n’étudie le sortilège de Stupéfixion qu’en BUSE ou en ASPIC. Dans une école de magie digne de ce nom, comme Lettockar, on l’étudie dès la troisième année.
Les troisième année s’échangèrent des regards enthousiasmés par l’apprentissage d’un sort de combat. Naomi leva la main.
- Professeur Fistwick, j’ai lu que le sortilège de Stupéfixion pouvait être mortel ? demanda-t-elle, légèrement inquiète.
- Ça peut, si on en prend plusieurs à la fois sur une partie du corps vulnérable, et qu’on est vieux et fatigué. C’est pour ça que je n’ai pris aucun tatou en phase terminale comme cobaye. Car il n’y a aucune raison de tuer ce petit animal, qui me paraît être bien con...
Il prit un tatou dans une cage et le caressa avec une étonnante tendresse.
- Les tatous résistent plus que d’autres animaux à la magie. Car leur carapace, c’est vital. Et d’avance, épargnez moi les « gna gna gna professeur c’est pas juste de nous faire débuter avec des animaux résistants », et bah JUSTEMENT, autant vous mettre de la difficulté le plus tôt possible. Parce que le jour où vous devrez l’utiliser contre un Mangemort ou contre un Auror - pour moi c’est la même chose - vous serez bien content d’avoir appris le Sortilège de Stupéfixion à la dure. D’ailleurs, j’ai échafaudé ma propre théorie concernant la façon de l’optimiser.
Cette dernière phrase fit frémir les élèves. Les théories magiques personnelles de Fistwick étaient souvent délirantes et pour le moins risquées…
- Pour vaincre un Épouvantard, il faut penser à quelque chose de drôle. Pour lancer un bon sortilège de Stupéfixion, il faut penser à quelque chose qui vous fout en rogne au dernier degré. Vous verrez, ça donnera plus de patate à votre sort ! Allez, c’est parti, vous allez tous passer un par un. Tiens, Altaïr, l’autre jour tu n’as pas ri à ma blague sur les Poux mordeurs de pine, alors tu y vas en premier.
Zaius Altaïr, un Ornithoryx, se positionna avec appréhension à l’endroit que lui indiquait le professeur. Les autres élèves s’entassèrent dans le fond de la pièce en attendant ; Kelly s’aperçut alors que Martoni était juste à côté d’elle. Songeant au conseil de Fistwick, elle se pencha légèrement sur le côté et lui murmura sans la regarder :
- Devine à qui je vais penser, Martoni ?
- Moi je vais penser à tes parents, répondit-elle sur le même ton léger. Ils méritent la mort rien que pour t’avoir fait.
- Moi au moins j’ai été faite, toi t’as été chiée…
BANG ! Quand il lança son éclair de Stupéfixion, Zaius tomba à la renverse, déséquilibré par son sort brouillon. L’éclair rouge rebondit contre la carapace du tatou et frappa accidentellement Nadine Hapoil. La pauvre fille tomba, assommée, sur le sol de la salle. Étonné, Fistwick tâta son corps inerte du bout sa canne, puis dit d’un ton appréciateur à Zaius qui était tout bonnement effaré :
- Eh bah Altaïr, ton sort a marché ! Allez Jarvinen, à toi !
Veikko Jarvinven, un élève de PatrickSébastos, dut courir après sa cible (Kelly n’aurait pas pensé que les tatous étaient aussi véloces) à travers toute la classe pour la stupéfixer. Les élèves passèrent les uns après les autres, et petit à petit, il y eut une rangée de tatous inconscients alignée sous le tableau. Quand John passa, il rata son sort. De sa baguette ne sortit qu’un peu de fumée accompagnée de quelques détonations.
- Lamentable, Ebay, dit Fistwick. Tu repasseras après les autres. Allez Powder, à toi.
Kelly s’avança, très concentrée, la baguette magique prête à tirer.
« La tête de Martoni dans du formol, le cul de Martoni dans de l’acide, les yeux de Martoni sur un terrain de golf... » pensa-t-elle le plus fort possible.
Fistwick libéra un tatou, qui se mit comme les autres à courir dans tous les sens. Vive comme la foudre, Kelly visa sa tête de sa baguette magique et s’écria :
- Stupéfix !
Le tatou, frappé par son trait de lumière rouge, fut brutalement coupé dans sa course et tourna plusieurs fois sur lui-même avant de s’arrêter, impeccablement stupéfixé. Kelly fut agréablement stupéfaite d’avoir réussi du premier coup. Elle retourna dans le fond de la salle toute contente. Martoni, malgré sa colère nettement visible envers Kelly, ne fit pas aussi bien qu’elle. Cela aurait pu la réjouir si elle n’avait pas dû assister à un bien triste spectacle : il eut beau repasser deux fois, John ne parvint décidément pas à réussir le moindre sortilège de Stupéfixion. Même lorsque ses sorts touchèrent son tatou, il n’eurent aucun effet sur l’animal.
- Je t’ai donné trois chances et j’obtiens zéro résultats ? s’indigna Fistwick. Ebay, c’est inacceptable. Je t’enlève 15 points pour la peine. Bon, jeunes gens, potassez bien ce sortilège. C’est basique, mais ça servira très bientôt aux plus dégourdis d’entre vous !
Sans plus d’explications à ce curieux propos, Fistwick congédia les élèves. John était terriblement déprimé. Kelly fut profondément peinée pour lui. Commencer l’année 1997 de cette manière-là devait être sacrément démoralisant. Naomi et elle voulurent lui dire quelque chose, mais à peine furent-ils sortis de la salle de sortilèges que John s’éclipsa comme un voleur.
- J’vais faire un peu de base-ball dehors, prétexta-t-il.
Kelly jeta un regard par une fenêtre. Dehors, il grêlait…
Les filles ne revirent John qu’au dîner, durant lequel il fut inhabituellement laconique. Ensuite, dans la salle commune, il resta assis toute la soirée devant le feu de cheminée, l’air pensif, pendant qu’elles faisaient leurs devoirs dans leur coin. A minuit, Kelly enroula ses parchemins et se dirigea vers le dortoir des filles. Naomi était déjà partie se coucher, et Kelly s’apprêtait à la rejoindre, lorsque soudain...
- Tu veux bien rester avec moi, Kelly ? lui demanda John.
- Hum ? Bien sûr, avec plaisir.
Kelly comprit, à son expression, que John avait besoin d’être rassuré... Elle s’assit sur un fauteuil vide juste à côté de lui. Elle s’efforça de surmonter sa fatigue, et entama la conversation avec toute sa compassion :
- John, je sais à quoi tu penses… je suis vraiment désolée pour toi. Fistwick a été vache avec toi. En plus, t’es pas le seul élève à pas avoir réussi tout de suite…
- Ouais, j’comprends pas trop pourquoi il m’a autant testé d’ailleurs. Mais à la rigueur, je m’en fous de lui. Non, ce qui me bouffe, c’est mon échec…
- Oui, je comprends, mais sois pas triste… y’a rien de honteux, c’était un sortilège difficile qu’on ne devrait étudier que dans deux ans…
- Bah ouais, mais Naomi et toi, vous avez réussi quand même, rétorqua John. C’est comme d’habitude… J’suis celui qui est à la traîne, au bas de l’échelle, le pas doué du trio...
- C’est pas vrai, John ! s’exclama Kelly, choquée. Regarde, t’es très bon en potions !
- Pas plus que Naomi si on y regarde de près. Même dans cette matière, elle a de meilleures notes que moi. Cherche pas Kelly, y’a aucun truc dans lequel j’ai la médaille d’or.
Kelly sentit comme une pointe acérée dans son cœur. Il était vrai que John avait toujours eu les résultats les plus faibles, qu’il avait validé ses deux premières années à Lettockar de justesse et qu’il avait toujours eu plus de mal à réussir les sortilèges en cours que Naomi et Kelly. Elle n’en avait jamais fait grand cas, car il n’avait jamais manifesté des signes de malaise à ce sujet…
- Oh, John, pourquoi tu te dénigres comme ça ? Regarde, moi non plus j’ai jamais eu la médaille d’or en sorcellerie… et après ? Je sais ce que je vaux. C’est ça, le truc, savoir ce qu’on vaut. Bon, j’veux pas non plus balancer des banalités, je comprends quand même ce que tu ressens… ce que tu dois te demander, maintenant, c’est comment tu peux faire bien avancer les choses. C’est pas un cours de sortilèges raté qui va t’arrêter, j’en suis sûre !
- C’est vraiment gentil, Kelly, dit John avec un sourire sans joie. Mais justement, je me suis déjà posé cette question, et la réponse, c’est que je veux devenir plus fort… mais j’y arrive pas. Peut-être que je bosse pas assez, que je fais pas ce qu’il faut… ou alors que j’ai pas les bons outils…
Il se remit à contempler le feu dans la cheminée, qui commençait à faiblir. Kelly devina à quoi il pensait.
- Tu voudrais avoir la Perruque de Scravoiseux, hein ?
- Oui, j’aimerais, répondit John sans détour. Mais la Perruque, on est aussi près de l’obtenir que Milosz de tourner dans un film de boules… et puis de toute façon, même si on savait où elle était, ce serait sûrement pas moi qui la décrocherait…
- Et pourquoi ? le coupa Kelly avec fougue.
- Bah quoi Kelly, regarde qui détient les Reliques à l’OASIS… les plus âgés et les plus forts, pas ceux qui foirent leurs sortilèges de Stupéfixion. Et ce sera pareil pour la prochaine. A l’OASIS aussi, je suis en queue de peloton, j’en ai conscience…
- Alors là, John, je refuse de te laisser dire ça ! répliqua Kelly d’un ton catégorique. Genre à l’OASIS, t’es le dernier ? T’as oublié ce que tu as accompli à Poudlard quand tu étais seulement en première année ? T’as combattu une putain d’Acromentule, et tu m’as sauvé la vie. Combien d’autres personnes dans l’OASIS peuvent prétendre avoir fait ça, avoir sauvé la vie de quelqu’un en combattant un putain de monstre ? J’mets la main de McGonnadie à couper qu’il n’y en a aucun.
Sur le papier, cette affirmation était fausse (Peter l’avait sauvée des Strangulots du Lac Caca d’Oie et Tarung avait sauvé une moitié de l’OASIS en repoussant le Mégamorphe Centroïde du Jura), mais il fallait qu’elle fasse plaisir à John, et tant pis si c’était en disant un mensonge. Celui-ci tourna les yeux vers elle. Ils étaient légèrement brillants. Alors, John saisit la main de Kelly et la serra doucement. Elle eut un sourire un peu crispé, légèrement gênée, mais elle n’osa pas se dégager. Pendant un instant, ils ne se dirent rien, regardant ensemble le feu qui allait bientôt s’éteindre. Puis, Kelly prit une inspiration et dit :
- Tu dis que tu sais plus quoi faire : et si tu commençais par prendre une bonne nuit de sommeil ?
John acquiesça en souriant. Kelly et lui se souhaitèrent bonne nuit, puis partirent chacun dans leur dortoir.
Néanmoins, John resta miné par le cours de sortilège tout au long de la semaine. Cela s’illustra quelques jours plus tard, en cours de Gestion de Bestioles. Viagrid avait apporté des cages pleines de créatures à la tête pointue et au corps bleu électrique, pourvues d’ailes, hautes d’une vingtaine de centimètres. Elles s’agitaient à l’intérieur de leurs cages en poussant des piaillement enragés et en tapant contre les barreaux, manifestement désireuses d’en sortir.
- Aujourd’hui, on fait les Lutins de Cornouailles, expliqua Viagrid. Des vraies petites saletés qui foutent la zone partout où ils vont. Et en plus, ils aiment la gnôle ces cons-là. Imaginez-les bourrés…
Kelly et Naomi se regardèrent avec inquiétude, ces créatures ne vivant pas très loin de chez elles.
- Ce s’rait bien qu’on les domestique ce trimestre, poursuivit Viagrid. J’ai commencé y’a six mois, pour le moment je leur ai appris à arrêter de pisser dans mon arrosoir. Comme d’hab, on va d’abord apprendre à s’en protéger. Comment fait-on, me direz-vous ? Eh ben...
C’est alors que l’un des lutins s’échappa de sa cage. Il voleta dans tous les sens comme un insecte affolé, faisant des grimaces bizarres aux élèves. Il s’apprêtait à fondre sur Naomi pour lui tirer les oreilles, mais alors, Kelly le visa de sa baguette magique.
- Stupéfix !
Son éclair rouge atteignit de plein fouet le Lutin de Cornouailles qui chuta en spirale comme un petit avion. Il tomba inconscient aux pieds de Kelly, ses petites ailes s’agitant avec faiblesse. Kelly rangea sa baguette en la faisant tournoyer comme un pistolet et déclara avec décontraction :
- J’aime bien ce sort.
- Et bah voilà, vous pouvez faire comme Powder, dit Viagrid. 10 points pour Dragondebronze.
Kelly sourit d’un air un peu prétentieux, avant de voir que John, pour sa part, affichait à nouveau son air déprimé d’il y a trois jours. La consigne de Viagrid ne l’arrangeait guère ; Kelly lut sur des lèvres un « génial... » désabusé. Elle sentit un pincement au coeur, mais elle ne lui dit rien : elle craignait de remuer le couteau dans la plaie en faisant un commentaire. Elle avait peur pour la suite, s’il se rembrunissait de la sorte à chaque fois qu’il voyait un sortilège de Stupéfixion…
Le reste de la semaine s’écoula sans histoire ; heureusement pour John, durant le deuxième cours de sortilège de la semaine le vendredi, ils ne firent que de la copie. Le dimanche 12 janvier, Kelly se réveilla en douceur et de bonne humeur. Les lits à côté d’elle étaient vides ; y compris celui de Naomi. Il devait être tard, le dortoir était pratiquement désert. Kelly eut un petit sourire, et elle referma silencieusement les rideaux de son baldaquin. Puisque ses voisines étaient absentes, elle en profita pour se toucher un peu sous sa couette. Aujourd’hui était un jour bien particulier, elle avait bien droit à un petit plaisir…
Hélas, une fois encore, elle ne parvint pas à aller jusqu’au bout. Frustrée, elle se tira hors de son lit et alla se laver les mains. Une fois habillée et peignée, Kelly se rendit dans la salle commune, où flânaient quelques uns de ses camarades. Il y régnait une grande tranquillité. Elle aurait pu sortir… mais après réflexion, elle préféra se poser dans le salon. Elle rejoignit Maria et Milosz, à leur invitation, pour une partie de Bataille Explosive. Plus tard, Naomi rentra dans la salle commune. Elle avait l’air tendue, comme si elle avait affronté toute une matinée de cours. Elle avait dû se lever très tôt pour un dimanche.
- T’es tombée du lit, Mimi ? demanda nonchalamment Kelly en se grattant un sein.
- Je viens de passer deux heures avec Astrid, répondit-elle d’une petite voix. Elle m’a demandé de venir l’aider à la bibliothèque un dimanche…
- Quelle salope, déclara Kelly sans un tremblement dans la voix.
- Déjà que c’est pas facile d’éplucher des parchemins antédiluviens pour trouver des ersatz d’indices sur les Reliques, il faut en plus qu’elle y aille de ses laïus. Des fois elle se met à discourir pendant des plombes… Elle parle, elle parle, elle s’auto-alimente, c’est hallucinant.
- Et elle cause de quoi ?
- Parfois c’est flippant… Elle est tellement inquiète quant à l’avenir de l’OASIS qu’elle doute de tout. Elle passe les camarades en revue… Elle se demande qui est loyal, qui est déterminé, qui est vraiment dévoué à la cause… elle se demande si elle n’a pas encore des « ennemis » dans l’OASIS.
- Des ennemis ? répéta Kelly, stupéfaite. Non mais, elle est pas un peu tarée ?
- Elle a encore les affaires Dominique et Deborah en travers de la gorge….
- Elle est gonflée, c’est à cause d’elle que Dominique et Deborah ne sont plus dans l’OASIS ! s’indigna Kelly. P’tain… incapable de se remettre en question, quoi !
- Je sais bien, y’a pas moyen de lui faire entendre raison, répondit Naomi avec amertume. A l’écouter, tout le monde veut l’emmerder dans l’OASIS. Et puis tu devrais la voir, à jouer avec la Cuillère en permanence pendant qu’elle s’écoute parler. Si j’avais ton caractère, j’aurais envie de la lui faire avaler.
Kelly aurait pu rire si ce que Naomi lui disait sur Astrid ne l’avait pas mise autant mal à l’aise. Alors, en dehors des réunions, elle s’autorisait à flinguer les camarades ? C’était nouveau, ça… le jour où Kelly l’avait aidée à chercher des éléments sur Scravoiseux, Astrid ne l’avait pas fait. Et aujourd’hui, avait-elle dit quelque chose sur Kelly ? Non, Mimi le lui aurait signalé…
- Bon… rien d’autre de nouveau ? demanda-t-elle.
Naomi fit « non » de la tête. Elle ne comprenait apparemment pas que Kelly attendait quelque chose d’elle. John sortit alors du dortoir des garçons. Tout échevelé et encore à moitié endormi, il avait simplement enfilé un t-shirt et des chaussons. Il n’avait même pas de pantalon.
- Tout va bien, John ? lui demanda Naomi, les bras croisés. Tu te sens pas trop habillé, au moins ?
- On s’en fout, on est dimanche.
- Oui, mais tu pourrais quand même mettre un caleçon… dit Kelly avec un sourire en coin.
- Quoi ? glapit John en baissant la tête, avant de constater qu’il en avait bien un.
Kelly et Naomi éclatèrent de rire devant son expression ahurie. John eut rictus mi-amusé, mi-agacé, puis il se tourna vers Kelly. Il avait l’air de vouloir lui dire quelque chose d’important, mais elle lui fit discrètement signe de ne rien dire pour l’instant. Une demi-heure plus tard, ils étaient en train de déjeuner à la Cantina Grande. Naomi continua de râler contre Astrid et l’OASIS.
- La recherche de la Perruque de Scravoiseux n’avance pas. Peter n’arrête pas de nous demander des informations sur la Relique pour l’aider, mais on a fait le tour du sujet ! A part lui dire directement où elle se trouve, je vois pas ce qu’on peut faire d’autre. Pfff… je suis désolée de vous gaver avec ça, mais ça me stresse…
- Ah mais, on voit bien que ça te bouffe la cervelle, confirma Kelly. Tu as tellement la tête ailleurs que tu as oublié quelque chose de capital aujourd’hui…
- Quoi donc ? dit Naomi, sceptique.
- Mon anniversaire.
- H... hein ?
- Mais oui Naomi, nous sommes le 12 janvier 1997, et aujourd’hui j’ai quatorze ans.
Naomi en resta bouche bée. Ses lunettes glissèrent lentement sur son nez. Kelly, amusée, sourit jusqu’aux oreilles jusqu’à ce que Naomi se répande en excuses :
- Oh non, je suis la dernière des idiotes ! Bon anniversaire Kelly, désolée, désolée ! Mon dieu, comment j’ai pu… oh là là !
- En tout cas, moi, cette année, je me suis pas raté ! s’exclama John avec fierté. Tiens, cadeau !
Il posa un paquet (très mal emballé) à côté de son assiette. Kelly le déballa et y trouva avec surprise une bouteille remplie d’une épaisse potion, blanche avec de fines rayures bleues.
- C’est une potion Toupie Ornotoupi ? demanda Kelly.
- Ouais, c’est moi qui l’ait fabriquée. Ça m’est venu à l’idée quant tu m’as rappelé que je me démerdais bien en potions… c’est pas grand-chose, mais je me suis dit que ça te ferait marrer.
- Un peu ouais ! Merci mon p’tit John, t’es trop cool ! ajouta-t-elle en lui ébouriffant ses cheveux. Roooh, Mimi, fait pas cette tête, je t’assure que je t’en veux pas. Regarde, l’an dernier c’était John qui m’avait rien offert, et là…
Elle se leva et but une petite gorgée de la potion. Puis, elle s’élança, et parcourut quelques mètres en tournant sur elle-même à toute vitesse dans un bruit cartoonesque. Cette potion donnait, durant un quart d’heure, le pouvoir de se déplacer en tourbillonnant comme une toupie pendant quelques secondes. Et tout ça sans donner le tournis ! Ça ne servait pas à grand-chose, mais c’était très amusant. Kelly sortit de la Cantina Grande et fila à travers les couloirs en tournoyant à intervalles réguliers, en prenant des poses différentes. A son passage, les gens l’esquivaient de justesse en la regardant d’un air stupéfait. En tourbillonnant dans l’aile gauche du château, elle faillit culbuter deux PatrickSébastos de sa classe de troisième année.
- Eh, fais un peu gaffe, Powder ! s’écrièrent-ils.
- C’est mon anniversaire, j’ai tous les droits ! répliqua-t-elle.
A un moment, au beau milieu d’un tour, elle vit au-dessus d’elle un vol de hiboux, ceux qui apportaient le courrier à la Cantina Grande. Mais sa course s’arrêta brutalement lorsqu’elle se heurta contre quelque chose de dur et large et qu’elle tomba sur les fesses. C’était le torse du professeur Doubledose. Kelly le regarda de la tête au pied, effarée : ses vêtements étaient maculés de sang.
- T’as vraiment rien trouvé de mieux à faire, Powder ? aboya le directeur.
- Euh… monsieur, vous êtes couvert de sang ! Qu’est-ce que… ?
- C’est celui de York, répondit Doubledose en examinant distraitement ses ongles. Elle m’énervait, alors j’l’ai tuée.
- Ha ha, que c’est drôle… lança Kelly.
- Hé, baisse d’un ton, morveuse, où la prochaine fois c’est toi qui ira équarrir les cochons avec cette feignasse de Viagrid.
Plaisanter sur le meurtre lui allait bien, à ce fumier, se disait Kelly. Du sang, il en avait sur les mains depuis plus de 20 ans, lui qui avait pris la tête de cette foutue école en tuant son propre directeur. Rien qu’y penser suscitait en elle une aversion manifeste ; Doubledose s’agaça de son expression dégoûtée.
- Pffff, arrête de tirer cette tronche, et puis relève-toi bon dieu ! s’exclama-t-il. Une élève de Lettockar ne reste jamais à terre !
Kelly, piquée au vif, se releva d’un bond. Elle massa son coccyx légèrement endolori en grimaçant.
- Vous auriez pu m’éviter ou m’arrêter, au lieu de me laisser me cogner contre vous, grommela-t-elle.
- Ben tiens, comme si c’était mon problème ! ricana Doubledose. D’ailleurs, t’essaies quoi au juste, à faire tes tourbillons ? De forer un trou dans le sol pour aller jusqu’à Poudlard ?
- Et bien quoi, monsieur le directeur ? Vous avez si peur que ça que j’y arrive ?
Il y eut un silence tendu. Kelly sut qu’elle avait dit un mot de trop : Doubledose la foudroyait du regard. Ce fut alors comme si tout son corps irradiait une aura magique écrasante. Kelly sentit la terreur refroidir ses vertèbres. Elle avait l’impression de sentir le sol vibrer légèrement sous ses pieds. Doubledose caressa distraitement ses cicatrices à la joue.
- T’en as sous les poils, Powder, je le reconnais volontiers, dit-il d’une voix doucereuse mais pleine de menaces. Et ça plaît à Niger Doubledose. Mais tout de même, te fais pas plus forte que tu ne l’es quand tu t’adresses à moi. Ce serait dommage de gâcher ton grand avenir ici…
Il pivota alors sur lui-même et partit vers les étages du château. Kelly lâcha un grand soupir de soulagement en sentant l’atmosphère étouffante disparaître. Elle regarda Doubledose s’éloigner, pensive. Il y a deux ans, le directeur lui avait affirmé qu’elle avait beaucoup d’avenir à Lettockar, lorsqu’elle avait réussi à le faire annuler ses sanctions contre ses amis et elle pour avoir fugué du château vers Poudlard. A l’époque, elle ne l’avait pas spécialement pris pour un compliment. Mais la situation avait changé, et d’ici peu, Niger Doubledose regretterait peut-être d’avoir eu raison…
Avec le temps perdu à discuter, l’effet de la potion Toupi Ornotoupi s’était dissipé. Mais il lui en restait pratiquement toute une bouteille, elle avait largement le temps de s’éclater avec… il faudrait qu’elle trouve un moyen de s’en servir contre Martoni, d’ailleurs…
Légèrement euphorique, elle retourna à la Cantina Grande pour remercier encore une fois John pour son cadeau. Mais lorsqu’elle revint à leur table, elle tomba avec effarement sur une scène affreuse. Naomi avait la tête dans les bras en train de pleurer. En face d’elle, John lui caressait maladroitement la tête, une grimace attristée sur son visage. Kelly pâlit et écarquilla les yeux.
- Naomi, qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle en se précipitant à côté d’elle.
- J’ai… j’ai reçu une lettre de mes parents, expliqua-t-elle d’une voix tremblante.
- Une lettre de… ? Oh non, me dis pas qu’ils te harcèlent encore à propos de tes résultats ? dit Kelly, en colère.
- C’est à cause de ma moyenne trimestrielle en Gestion de Bestioles. Ils me disent qu’ils ne me félicitent pas, que négliger une matière secondaire était une pente glissante et que je devais me ressaisir… J’en reviens pas, je leur ai envoyé un bulletin presque parfait, et juste à cause de la gestion de Bestioles, ils… ils m’ont menacé d’écrire à mon directeur de maison !
Les sanglots de Naomi redoublèrent. Kelly ravala la volée d’insultes qu’elle avait envie de proférer envers les Jane. Naomi expira avec force pour se calmer.
- Pardon de pleurer… en vrai, c’est pas si grave… mais entre la séance avec Astrid, mon oubli de ton anniversaire, et maintenant ça…
- Ça fait beaucoup en une matinée, acheva Kelly. Écoute Mimi, tu comptes répondre tout de suite à tes parents ? Oui ? Bah dans ta lettre, tu devrais leur faire comprendre qu’ils sont gonflants. Dis-leur que tu vas très bien, que toute l’école peut témoigner que tu réussis sans problème et qu’ils n’ont pas à te mettre le stress comme ça. Tu te débrouilles très bien sans leur pression… non, tu te débrouilles mieux sans ça. Et tiens, dis-leur qu’ils t’ont fait pleurer, pour qu’ils comprennent bien qu’ils sont allés trop loin. Tu vois l’idée ? Si tu veux, je l’écrirai avec toi.
Naomi hocha lentement la tête plusieurs fois. John n’ajouta rien, mais il prit la lettre des parents de Naomi et la rangea dans sa poche, avec une expression qui voulait dire « n’y pense plus ». Naomi le remercia par une grimace censée être un sourire, et s’essuya les yeux.
- Je crois que je vais aller faire une petite sieste, déclara-t-elle.
Alors, elle se leva et quitta la Cantina Grande pour aller vers la Tour de Dragondebronze. Kelly la suivit brièvement des yeux, puis chassa d’un geste de la main la chouette qui avait apporté la lettre des Jane. Elle s’aperçut alors qu’elle n’avait pas reçu de colis de ses parents pour son anniversaire (le hibou était sûrement en retard), mais c’était bien le cadet de ses soucis.
- Tu vois, John, c’est pas forcément mieux d’avoir de trop bonnes notes, lui dit-elle d’un ton grave.
- En tout cas, comme parents, ceux de Naomi méritent un 3/20… ajouta John.