Lettockar, tome 3 : La folie des couvre-chefs

Chapitre 10 : Étoiles contraires

5045 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 02/07/2024 11:23

10. Étoiles contraires


Peter avait dû écourter sa partie d’échecs façon sorcier avec Vladimir : il commettait bourdes sur bourdes dans un état presque migraineux. Sa tête dreadeuse semblait peser une tonne et il se massait continuellement les tempes. Astrid vint embrasser sa joue et passa l’enlacer par derrière. Vladimir rangea les pièces et le plateau de quelques tours de baguette. Kelly parlait de Crève-Ball avec Deborah, tandis que John expliquait les règles de Donjons & Dragons à Naomi. Une fois que les Becdeperroquet furent arrivés, la réunion de l’OASIS put commencer. Tout le monde se rassembla en cercle et une atmosphère studieuse irradia toute la Cour des Mirages.


Il fut d’abord question des nouveautés : Meche avait dégoté un journal qui traitait du retour de Voldemort, avec une double-page retraçant son sinistre parcours. Une fois l’éditorial passé au crible, quelques potins sur la vie des profs : Grog sentait de plus en plus mauvais, il semblait oublier de prendre des douches, ce qui démultipliait son antipathie. Naomi avait bien essayé de soutirer des informations à Pourrave, mais elle n’eut droit qu’à des élucubrations sur les recettes d’omelettes aux champignons sidéraux. Astrid faisait sauter la Cuillère de Lalaoud dans sa main, lui faisant faire des petits tours dans les airs, comme une espèce de TOC : elle revint sur la manipulation de Viagrid. La relique lui permettait de « faire le tri » dans les pensées de son interlocuteur, et d’endormir sa vigilance, mais pour cela il fallait une précision chirurgicale. « Le bistouri de Lalaloud », plaisanta John.


« Et c’est quoi, cette histoire de Perce-crâne ? demanda Oszike.


- J’ai épluché tous les bestiaires de Lettockar depuis des années, et là j’ai tout relu jusqu’à 4 heures ce matin, eh ben j’ai rien trouvé, répondit Tarung, des cernes sous les yeux.


- Je referai une lecture au cas où… grommela Astrid.


- Peter, as-tu demandé à la boule où se trouvait le Perce-Crâne ? demanda Kelly.


- Pourquoi tu crois que j’ai la migraine ? répondit ce dernier en rigolant. Je m’échine dessus depuis que j’ai l’info, mais ça rend la boule à moitié idiote, elle tourne en rond dans la forêt…


- Et que la perruque est dans la forêt, on le savait déjà… grinça Kwaï.


- Minute, on n’en était pas sûrs, on avait de fortes suspicions, c’est pas pareil ! tempéra Vladimir. Ça ne fait que confirmer ce qu’on pressentait, mais ça ne suffit pas…


- Moi, ça ne m’étonnerait pas que ce soit une sorte d’insecte, lâcha Deborah. Après tout, perce-crâne, perce-oreille…


- A tous les coups une belle saloperie ! renchérit John. Si c’est ça, on risque de se taper un remake du Mégamorphe, comme avec la boule…


- Je sais que ça peut faire peur, mais il faut pas s’en faire, John, répondit Peter calmement. En plus on s’en était bien sorti avec la boule !


- Peur ? Moi ? ricana John. Mais j’ai déjà défoncé une Acromentule à coup de batte ! Et j’étais même pas dans l’OASIS à l’époque ! Alors j’attends de la voir votre grosse chenille !


Tout le monde rigola. Le mystère entourant le Perce-Crâne rivalisait avec celui de la localisation de la Perruque. Les deux étaient-ils liés ? Les théories allèrent bon train et l’ambiance devint joyeusement électrique. L’espace d’une heure, les enthousiasmes des débuts de la quête des reliques refirent surface, la stimulation de l’imagination, de l’intellect, de l’humour et de la camaraderie inondait la jeune confrérie.


Il fut décidé de reprendre les recherches sur le Perce-Crâne. Tarung et Naomi s’occuperaient des lectures fastidieuses, comme à leur habitude, Astrid s’en occuperait également, mais continuerait de s’entraîner sur la Cuillère (personne ne semblait avoir envie de l’essayer, maintenant qu’elle réussissait à la maîtriser). Néanmoins elle la laissa dans la Cour des mirages, comme il avait été convenu, avant de se retirer avec Peter. Les autres membres de l’OASIS décidèrent de leur emboîter le pas, John continuant d’expliquer les règles de son jeu de rôle à Naomi et quelques autres pris de curiosité.


L’un des cours les plus attendus, et les plus marquants de la semaine, fut celui du professeur Fistwick. Ce dernier, qui s’excitait de plus en plus depuis l’annonce du retour de Voldemort, avait donné à ses leçons un ton martial. Déterminé à entraîner ses recrues au combat, aujourd’hui, il était particulièrement impatient de les lancer face à la suite du programme : les Epouvantards.


Un énorme coffre-fort trônait au fond de la salle de sortilèges. Il enfermait quelque chose de vivant : ça remuait à l’intérieur, et les bruits inquiétants qui en sortaient n’avaient rien pour rassurer les élèves. Fistwick, vêtu d’un gilet beige et d’une chemise rayée qui lui donnaient un air de gangster, gardait une main dans sa poche, l’autre sur sa canne ; une fois que les élèves ne chuchotèrent plus un souffle, il commença la leçon.


« Certains moldus pondent des tartines sur l’être et le non-être. Qu’est-ce qu’un être ? Un monstre présent sous nos yeux. Qu’est-ce qu’un non-être ? Quelque chose qui n’a jamais existé, qui n’a ni passé ni avenir. Les Épouvantards, à l’instar des Détraqueurs ou des esprits frappeurs, sont des non-êtres. Ce sont des créatures qui se nourrissent de vos émotions. Elles n’existent que parce que nous avons des émotions et qu’elles s’en goinfrent. A votre avis, jeunes gens, de quelle émotion les Épouvantards peuvent donc être friands ?


Cette introduction grandiloquente provoqua un réel hébétement. Naomi, très renseignée, fut la seule à lever la main.


- Les Épouvantards se nourrissent de la peur de celui qui les regarde, récita-t-elle.


- Et il faut que ce soit Miss Fayotte qui ait la bonne réponse ? répondit Fistwick, l’air méprisant. Hum ? Épouvantard, épouvante… ça fait pas tilt chez vous autres ? Eh ben…


Naomi déglutit. Elle bouillonnait intérieurement contre son professeur, qui ne l’avait pas félicité, mais s’était servi d’elle pour rabaisser la classe. Fistwick souleva son couvre-chef pour lisser distraitement ses cheveux bruns-blonds, puis reprit son explication.


- Dans ce coffre-fort, vous l’aurez compris, se trouve un Epouvantard. Aujourd’hui, nous allons apprendre à le neutraliser… Ouvrez bien vos oreilles, les flipettes, ça pourrait bien vous éviter quelques années de psychanalyse.


« C’est toi qui aurais besoin d’une thérapie, gros taré », pensa Kelly.


- Les Epouvantards prennent la forme de ce qui vous fait le plus chier dans vos frocs. Ils sondent votre âme et cherchent vos peurs les plus coriaces afin de vous terroriser et de devenir encore plus forts. De ce qu’on sait, personne n’en est mort… Mais pour s’en débarrasser, il vous faudra plus que du cran. Il vous faudra de l’audace et de l’esprit. Tiens, Ebay, viens là pour donner l’exemple.


John, déterminé, se leva et se mit devant Fistwick en le regardant dans les yeux et croisant les bras : il avait toujours eu un certain appétit à affronter les défis et les monstres, cette histoire d’Epouvantard l’avait interpellé.


- C’est pas moi que tu vas affronter, ducon, dit Fistwick en pointant le coffre-fort de sa canne. Mais garde cette attitude, tu vas en avoir besoin.


John ne pipa mot mais pinça ses lèvres en se tournant vers le coffre. Il saisit sa baguette et la fit tourner dans sa main, puis se plaça devant le coffre comme un gladiateur dans une arène.


Depuis son pupitre, Naomi avait le cœur qui battait fort, ses joues rosissait légèrement, son regard était braqué sur John. Cela n’échappa pas à Kelly, qui ne put réprimer un petit sourire en coin : elle avait confiance en son ami et savait qu’il allait s’en sortir.


- Sais-tu quelle est ta plus grande peur, Ebay ? lâcha Fistwick d’un air grinçant.


- Confondre le sel et le sucre dans mon yaourt ? plaisanta John, faisant s’esclaffer la classe.


- Très drôle, dit Fistwick en fixant John de ses yeux clairs. Tu vas devoir affronter ta peur en lui faisant changer d’apparence. Ce ne sera pas dur. Tu sais pourquoi ?


- Parce que c’est une créature changeforme ? répondit John du tac au tac.


- Bien vu l’aveugle ! claironna le professeur. Pour la transformer, tu devras lui lancer le sort. Articule bien après moi : Ri-dik-ku-lus.


- Ri-di-cul-nu ? fit semblant de mal entendre John, provoquant une nouvelle hilarité générale. Naomi avait le sourire aux oreilles, et Kelly tapa sur sa table.


- Non, non, mon bon ami, tu as tout faux ! roucoula Fistwick d’un air mesquin. Ça se prononce « 30 points en moins pour Dragondebronze pour faire des blagues dignes de la cour d’école ». ça te va ?... RI-DIK-KU-LUS., reprit Fistwick impassible. Et tu devras imaginer l’Epouvantard dans une situation, tu l’auras compris… Ridicule.


- Pigé, dit John. C’est quand vous voulez !


Fistwick eut un sourire, fit quelques moulinets de sa baguette biscornue, et la mollette du coffre-fort fit quelques tours à droite, à gauche, à droite : clic, clic, clic. Tchac !


Le coffre s’ouvrit dans un bruit lourd et traînant. Tous les élèves plissèrent les yeux en essayant de percevoir la créature. On entendit des bruits de pas. Puis, une forme vaguement humaine qui s’avançait depuis l’obscurité. Une main sortit et s’agrippa à la paroi du coffre, John prit une grande inspiration. C’était McGonnadie. Ce dernier, vêtu de son habituel costume noir de jais, sortit du coffre avec une grande facilité, et sur son visage, on retrouvait son regard d’acier trempé et son air féroce. À tout moment, il allait jeter à John un anathème ou un sort. Ce dernier serra les dents, avait les yeux grands ouverts et essayait de maîtriser sa respiration. Il n’avait pas reculé, mais un frisson glacial l’avait parcouru. Kelly et Naomi regardèrent la scène avec anxiété : Kelly était estomaquée par le réalisme de l’imitation, et Naomi avait ses mains jointes devant sa bouche.


McGonnadie s’approcha de John d’un air menaçant, sa baguette tenue fermement dans sa main, et lorsqu’il fut un peu trop près, John leva la sienne vers lui en s’époumonant : « Ridikkulus ! »


En un clignement d’œil, McGonnadie se retrouva en jupe écossaise, qui se mit à s’envoler comme celle de Marilyn Monroe : ses joues s’empourprèrent aux éclats de rire de la salle, et il mit ses mains en cache-sexe, l’air humilié. Kelly et Naomi applaudirent, et d’autres Dragondebronze, et Meche, et d’autres élèves encore, l’acclamèrent de concert. Fistwick lui-même tapa le sol de sa canne, emporté par l’émotion collective. Triomphalement, il invita les élèves à se mettre en rang pour affronter tour à tour l’Epouvantard.


Cela ne se fit pas sans quelques bousculades, desquelles Fistwick ne fit aucun cas. Au contraire, cela semblait le réjouir au plus haut point de voir un peu d’esprit d’initiative et de compétition de la part d’une jeune meute réjouie de se confronter à un monstre protéiforme. Ruriko Shimizu, une élève de BecdePerroquet, se retrouva face à un rat géant aux yeux rouges, qu’elle transforma en petite souris aveugle cherchant ses lunettes à quatre pattes. Stephen Bortnobewaïld affronta un tank soviétique et le transforma en sucre d’orge.


Kelly se trouvait juste derrière lui. Depuis quelques minutes, elle songeait à l’apparence que l’Épouvantard allait prendre pour elle. Elle réfléchit… qu’est-ce qui lui faisait peur plus que tout au monde ? Soudain, elle se souvint d’une créature entouré de grandes haies… immense et hideuse, avec huit longues pattes velues, de multiples yeux et une tête cauchemardesque que Kelly avait eu à quelques centimètres de son visage, alors qu’elle était à deux doigts d’être dévorée toute crue… Subitement, la longue cicatrice qu’elle avait à la hanche depuis la fin de sa première année se mit à la piquer...


Le sucre d’orge géant se mit à virevolter en face d’elle, et prendre l’apparence de l’Acromentule qui les avait attaqué, elle et ses amis, dans le labyrinthe de Poudlard, lors de leur légendaire escapade à Poudlard. Fistwick écarquilla légèrement les yeux ; lui-même semblait crispé par la vision de l’horreur à huit pattes. Toute la classe poussa des cris de terreur : personne n’avait vu d’Acromentule avant. Les mandibules émirent des cliquetis voraces, Kelly sentit ses genoux trembler, essaya d’articuler mais sa voix était nouée. Sa cicatrice, signature du monstre, semblait pulser sur son flanc. Elle se racla la gorge et lança un ferme « Ridikkulus ! » qui fit prendre à l’araignée géante une figure gélatineuse et grotesque : elle l’avait transformé en bonbon d’halloween géant. Elle poussa un soupir de soulagement, se retourna vers John qui leva un pouce triomphal, un sourire fier jusqu’aux oreilles. Fistwick dodelinait avec satisfaction.


Naomi ne s’était pas pressée pour affronter l’Epouvantard. A chaque élève qui passait, son anxiété montait d’un cran. Elle était juste derrière Mercedes. Cette dernière fit face à une armée de souris blanches dont les yeux brillaient et qui s’apprêtaient à la submerger. Elle réussit à les transformer en piscine à boules de toutes les couleurs. Elle s’en retourna sous les applaudissements du public, quand Naomi, raide comme un pieu, le front humide, s’avança. A nouveau, l’Epouvantard se mit à sonder les peurs de l’adolescente, et se métamorphoser. La piscine à boules s’évapora petit à petit, prit une forme gazeuse dans les airs. Kelly et John commencèrent à s’inquiéter. Ce que Naomi redoutait le plus se matérialisa devant elle, réveillant les traumas et agitant les cauchemars : on vit un jeune garçon, qu’on devinait blond vénitien, dans un petit costume du dimanche… Mais surtout, c’était un fantôme. Le fantôme d’un garçon d’à peine dix ans. Le fantôme de Benjamin, le frère de Naomi. Elle l’avait vu mourir, fauché par une voiture. Elle avait six ans.


Kelly se rappela la conversation nocturne de leur première année. Son cœur se serra quand elle vit son amie, les yeux grands ouverts, la mine dévastée, tremblante comme une feuille. Fistwick tapota le pommeau de sa canne de ses doigts potelés, intrigué de la scène. Le fantôme de Benjamin affichait un air surpris. L’expression d’un lapin pris dans les phares. Son air placide et son jeune âge inspirait un profond malaise, et Naomi semblait clouée sur place. John commençait à sérieusement flipper, et Kelly avait les tripes retournées devant ce spectacle. Alors que le fantôme s’approchait du visage de Naomi, cette dernière, ruisselante de sueur, plissa les yeux, leva sa baguette de sa main tremblotante… On aurait dit qu’elle allait tirer sur son propre sang.


« Ridikkulus ! »


Alors, une musique de fanfare aux sonorités kitsch résonna, et la baguette de Naomi fit apparaître un canon-aspirateur : c’était celui des héros du film Ghostbusters, dont le thème s’était lancé ! Alors, le fantôme fut happé par l’engin, sur l’hymne triomphal, et sous les applaudissements de la foule. Tout le monde sembla très fier de Naomi. On avait senti qu’il ne s’agissait pas d’une simple trouille, mais d’une profonde blessure inguérissable. Naomi, encore toute tremblante, se réfugia dans les bras de Kelly et John, qui l’accueillirent avec entrain. Elle pleura à chaudes larmes, ses amis l’entourant.


« Merci, merci… continuait-elle de répéter. Sans… Sans vous, je, j’aurais ja-jamais eu la… La force de…


- Shhh, fit John en lui caressant les cheveux, pour la réconforter.


- T’es la meilleure, Mimi, ajouta Kelly. Bravo.


- Boarf, il est pas si bien, ce film… grommela Fistwick en unique commentaire.


Lorsque l’heure fut finie, pour une fois, les élèves de toutes les maisons semblaient ravis de leur cours de sortilège. Kelly n’avait qu’un regret : que Giovanna-Paola Martoni fut malade ce jour-là, et donc qu’elle ne sut pas quelle forme aurait pris son Epouvantard…


Naomi se remit de ses émotions, entourée par Kelly et John, qui soutenaient leur amie de toujours (cela faisait leur troisième année à Lettockar, c’était bien suffisant pour dire toujours). Peter, qui passa à côté d’eux, leur demanda si tout allait bien. Kelly expliqua qu’ils avaient fait les Épouvantards avec Fistwick : Peter n’en demanda pas plus mais offrit à Naomi une tablette de chocolat ; puis il partit travailler de nouveau sur la Boule de Curcumo.


La divination était à l’honneur l’après-midi. La professeure Vüvnir accueillit les élèves avec calme et retenue, et leur présenta le sujet du jour : la divination par l’astrologie.


- Est-ce que c’est un sujet qui vous parle ? demanda-t-elle à la cantonade.


- Moi m’dame, des fois j’aime bien lire l’horoscope, répondit Nadine Hapoil en levant la main.


- Très bien, très bien… Oui, Naomi ?


- Professeure, je vous demande pardon, mais… Est-ce que c’est vraiment fiable ?


- Mais tu as tout à fait raison de poser la question ! répondit Vüvnir, enjouée. La divination a eu la vie dure, comme toutes les activités sorcières chez les moldus. Les cultes divinatoires ont été discrédités et parfois même chassés ! Mais, étonnamment, encore aujourd’hui, l’astrologie a conservé une certaine bienveillance, ce qui n’empêche pas certains de la cataloguer comme étant une « pseudoscience », « nulle et sans objet », voire carrément « des trucs de bonnes femmes »…


- Mais est-ce que c’est pas un peu vrai ? lança un élève de Becdeperroquet, admirateur de Grog.


- 10 points en moins pour m’avoir coupé la parole ! relança Vüvnir, piquée au vif. Il est important de conserver un esprit critique à l’égard de nos pratiques, reprit-elle placidement. Or, s’il est vrai que l’astrologie est une pratique divinatoire qui a ses limites, gardons en tête que les discriminations à son encontre viennent aussi largement de figures d’autorité, voire carrément de pouvoir, qui visaient au mieux à prendre les sorciers – et surtout les sorcières – pour des idiotes, au pire à les mettre au bûcher !


Kelly n’aimait pas trop les cours de Vüvnir. Elle la trouvait assez assommante : néanmoins elle lui reconnaissait le mérite d’être pédagogue, et surtout de ne pas être complètement cintrée, ce qui à Lettockar était miraculeux.


- Dans le cours d’aujourd’hui, nous commencerons par les bases des bases. Connaissez-vous les planètes de notre système solaire ?


Les mains se levèrent et bientôt toutes les planètes furent nommées.


- Très bien ! clama Vüvnir. Maintenant, plus ardu : connaissez-vous la symbolique derrière chaque planète ?


Ainsi commença le cours sur l’astrologie : on apprit que Mars symbolisait la guerre, le sang, le feu (planète rouge), que Vénus symbolisait le plaisir, l’amour, la volupté, que Mercure symbolisait la communication, que son équivalent était Hermès dans la culture grecque, et Thot dans la culture égyptienne… Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on passe aux douze figures du Zodiaque, à leurs symboliques, leurs éléments et planètes associés, les définitions de « signe fixe, mutable, cardinal »… Cela prit une bonne moitié de l’heure.


Vint ensuite le moment pratique : Vüvnir donna à chaque élève un parchemin magique sur lequel ils devaient inscrire des informations précises que la professeure avait dictées. Kelly trempa sa plume dans son encrier et s’appliqua, sans grande conviction, à noter le plus clairement possible le message suivant.


« Moi, Kelly Powder, née à Edimbourg le 12 janvier 1983 à 11h16, demande à connaître mes bons et mes mauvais génies. »


Alors le message s’effaça et le parchemin commença à dessiner le thème astral de la jeune écossaise : des cercles s’imbriquaient les uns dans les autres, on voyait également des dessins symbolisant les différentes planètes et les différents astres, ainsi bien évidemment que les douze signes zodiacaux. Le thème agissait comme une carte que Kelly pouvait consulter, et lorsqu’elle effleurait du doigt certains symboles, alors le dessin était « zoomé » et des mots s’écrivaient, ainsi que des illustrations au style antique… Naomi, qui pourtant avait de grosses réserves quant à la scientificité de la démarche, dévorait ce que son parchemin avait à lui dire. Quant à John, il ne souvenait pas de son heure de naissance, comme bon nombre d’élèves. Alors la professeure expliqua à ceux qui, comme lui, avaient un « trou », pouvaient remplacer l’encre là où le mot manquait dans la formule, par une toute petite goutte de sang : alors le parchemin trouverait tout seul l’information. Certains élèves ne purent s’y résoudre, mais John en avait vu d’autres et il fit une toute petite piqûre à son index avec le côté le plus aiguisé de sa plume.


- Bien ! claironna Vüvnir. Maintenant que vous connaissez votre thème, vous devrez tâcher de le mémoriser du mieux possible, alors nous pourrons pratiquer la divination astrologique personnalisée… Oui, Mercedes ?


- Madame, je comprends pas : vous nous dites que les planètes et les signes ont des sens bien précis, mais madame Morgana, elle nous a dit qu’on pouvait lire ce qu’on voulait dans les étoiles ?


Vüvnir ne contint aucunement son agacement à l’évocation de la professeure Morgana. Elle s’enfonça dans son siège et poussa un soupir d’ennui avant de répondre à l’innocente question.


- L’astronomie et l’astrologie, même si elles reposent sur l’observation des étoiles, sont deux pratiques bien distinctes. Gardez donc bien en tête que l’astrologie, qui est une science divinatoire, n’a au final pas grand-chose à voir avec l’astronomie, qui est une science astrophysique. De la même manière, mes cours n’ont rien à voir avec ceux de Morgana. Nous sommes d’accord ?


- Heu, oui… bredouilla Mercedes, mais ça répond pas à la question ?


- J’y viens. La divination, astrologique comme les autres, se base en effet sur une pratique rigoureuse de l’interprétation des signes. On peut en effet avoir deux interprétations différentes et valables d’une même observation. Mais dire que vous pouvez « lire ce que vous voulez dans les étoiles », c’est une funeste connerie. Pour la simple raison que toutes les interprétations ne se valent pas. Je suis claire ?


Elle avait particulièrement articulé cette dernière affirmation. Tous les élèves l’écoutaient très attentivement.


- Exemple, reprit-elle. Regardez cette lame.


Elle fit tournoyer sa baguette, et une gigantesque carte de tarot s’afficha flottante dans les airs. Elle représentait une tour qui s’effondrait, fracassée en deux par un éclair.


- Je vous écoute. Qu’est-ce que vous voyez ? Qui a une idée de ce que ça peut vouloir dire ?


Quelques secondes s’écoulèrent. Une première main se leva, venue du côté de PatrickSébastos.


- C’est une… Citadelle ? Un genre de building ?


- Et ça vous évoque quoi ? demanda la professeure de divination.


- Ben… Je sais pas, l’armée ? Comme une tour de contrôle, peut-être ?


- Moi madame ça me fait penser à la tour de Babylone ! dit une élève d’Ornithoryx. Du coup l’éclair, ça représente la colère de Dieu ?


- Boah non, c’est juste un éclair ! déclara nonchalamment Borntobewaïld. En fait la tour était peut-être un paratonnerre ?


- Moi je la trouve juste un peu triste cette carte… déclara laconiquement Milosz.


- On ne dit pas une carte, mais une LAME de tarot, reprit Vüvnir. Bien, vous avez compris où je veux en venir. Personne ici n’a dit qu’on voyait une jolie maisonnette, un lapin sur la lune, ou une allégorie de la paix sur Terre ?


La classe ne pipa mot.


- Eh ben voilà, triompha la professeure, très satisfaite d’elle-même. Oui, on peut faire différentes interprétations d’une même chose, mais ça ne veut pas dire qu’on peut mettre tout ce qu’on veut derrière tel ou tel signe. Ça vaut pareil pour les feuilles de thé ou les mouvements des astres. Quand on est un peu sérieux, on ne raconte pas d’âneries… Tiens, d’ailleurs, en parlant d’âneries : pour ma prochaine prédiction, je vous affirme qu’un imbécile ne va pas tarder à venir nous importuner.


Pourrave fit irruption dans la classe à cet instant précis.


- Bonjour madame Vülpir ! claironna-t-il guilleret.


- Que puis-je pour vous ? répondit laconiquement Vüvnir.


- Oh ben rien d’spécial, je venais juste voir si vous alliez bien ! Vous faites quoi ?


- Je donne cours, répondit Vüvnir dont l’âme semblait s’envoler hors du corps.


- Oh super ! Vous faites la lecture dans les feuilles ? continua Pourrave, indifférent à l’effet qu’il produisait, ni au temps qu’il faisait perdre à la classe.


- Non, nous… (Vüvnir prit un moment pour souffler.) …Je faisais l’initiation à l’astrologie divinatoire, et…


- Oh WOW ! la coupa Pourrave, qui venait de remarquer l’image de tarot qui flottait toujours. Trop bien ce dessin ! C’est vous qui l’avez fait ?


- On essayait de deviner ce que le dessin voulait dire, monsieur, dit Kelly d’un air espiègle (cela l’amusait de voir Pourrave perturber ce cours monotone).


- J’adore ! Je peux jouer ? demanda Pourrave d’un air innocent.


- Non, professeur, coupa froidement Vüvnir. Ce n’est pas un jeu, c’est un cours. Et j’aurais besoin…


- Oh, mais ça me rappelle ! déclara soudain Pourrave en se frappant le front. J’avais un message pour vous de la part du directeur !


- Mais vous pouviez pas le dire avant, espèce de !... Bien, et de quoi s’agit-il ? se reprit Vüvnir, exaspérée.


- …J’ai oublié. Bougez pas, je reviens !


Et sans demander son reste, le professeur de botanique repartit en trombe, comme il était venu. Les élèves se retournèrent sur Vüvnir, dont la prédiction s’était avérée exacte. La fin de l’heure approchait. Résolue et lasse, elle se massa le front et déclara, désespérée :


- En tout cas, en voilà un qui n’a pas besoin de télescope pour voir des étoiles en plein jour…


En sortant du cours, Kelly était contente de l’intervention de Pourrave, qui avait égayé sa journée : pour une fois que ce crétin lui sauvait la mise… Naomi et John parlaient de leurs thèmes astraux, Kelly n’y prêtait que très vaguement attention : elle pensait à la recherche des deux dernières reliques, et n’avait aucun espoir que la divination puisse les aider…


Alors que le petit trio s’apprêtait à regagner la Cour des Mirages, ils furent stoppés nets au détour d’un couloir par Deborah, le souffle court, qui semblait complètement catastrophée.


- Les gars, on est dans la giga-merde ! leur déclara-t-elle affolée.


- Qu’est-ce qui se passe ? répondit Kelly, interloquée.


- Je... J’ai fait une connerie ! répondit l’aînée de Dragondebronze. J’ai pris la Cuillère de Lalaoud, et…


- Ah ! déclara John d’un ton embarrassé. Et Astrid l’a remarqué, c’est ça ? Tu sais, tu peux la rendre, faute avouée à moitié p…


- Non, c’est pas ça ! coupa Deborah d’une voix stridente. Je… j’étais dans un coin du tr…. troisième étage… j’étais en train d’admirer la Cuillère, je m’apprêtais à l’essayer et… et…


Elle se stoppa, toute chamboulée. John, Naomi et Kelly commencèrent à avoir peur, eux aussi. Deborah, le visage déconfit, déclara au milieu de sa respiration hachée :


- La Kagoule me l’a volée !


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